Vous êtes sur la page 1sur 142

BACHELIER EN DROIT (3e bloc annuel)

Professeur : DE SCHUTTER Olivier

THÉORIE DU DROIT ET DE
LA PENSÉE JURIDIQUE

Maxime Descheemaeker

Année académique 2021-2022


Université catholique de Louvain
Louvain-la-Neuve
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Introduction
3 thèmes énoncés au sein de la vidéo :
- Notion de pouvoir
- Deux modèles d’intelligence
- Deux types de règles, deux manières de jouer

Notion de pouvoir : Sculpture de Gantoi en 1942 et date de 2015 nommée la force. Elle montre
la conception spontanée du pouvoir, c’est quelque chose pour nous, de solide, concentré,
passe d’une personne à l’autre (sceptre que le souverain transmet) et qui est objectivé comme
séparé du reste de la société.

Nous allons tenter de montrer l’inverse que c’est autre chose, c’est liquide, non pas concentré
mais déconcentré, qui n’est pas le monopole d’un seul (souverain, état, …) mais peut être
réparti.

La notion classique du pouvoir de l’œuvre montre aussi l’état comme séparé de la société, le
pouvoir contrôle une sphère et le reste est la sphère de liberté, mais nous savons qu’il est
différent en vrai car le marché n’est pas le lieu où les libertés de déployent mais plutôt un
lieu où se trouve le pouvoir, toujours la complicité de l’état. Ce n’est pas toujours pensé que
l’espace que l’état contrôle est un espace de liberté et que celui de marché est un lieu
d’épanouissement. Beaucoup de choix sont guidés par l’objectif de maintenir sa compétitivité
dans un monde de plus en plus international.

Une sculpture comme celle-ci présume que l’état doit intervenir pour contrôler les acteurs
privés pour éviter que la société dégénère en conflit.

-> danger sur la notion de pouvoir

Concurrence entre deux modèles d’intelligence : intelligence collective qui surplombe notre
conception classique de l’intelligence.

Un ouvrage de STEFAN ZWAG « le joueur d’échec » démontre la torture à l’intellectuel qui est
dans une pièce sans lire sans écrire et il tombe sur un m et il étude les grandes parties de ses
maitres d’échec et en devient le spécialiste. Dans ce livre a lieu une croisière et l’intellectuel formé
à partir du jeu d’échec est confronté au génie des échecs qui fonctionnent différemment sur le jeu,
au lieu de suivre les règles, ce génie des échecs procède de manière plus intuitive, il apprend
de manière permanente sans savoir toujours dans quel répertoire il puisera sa stratégie, ce sont
deux rapports à la règle qui sont mis en lumière.

- La 1e approche est formaliste, on suit les règles qu’on applique à la réalité.


- L’autre est plutôt expérimentaliste car elle se fonde sur la notion d’expérience,
d’apprentissage.

Il est important de percevoir qu’on ne peut pas parler de deux intelligences attachées l’une à
l’autre mais cela fait une régularité. Dans les deux modèles, il y a un va et vient entre le niveau
de modèle et de la mise en contexte et une différence d’approche.

Ces deux conceptions de la règle peuvent être mises en // avec l’intelligence cognitive. Il y a eu
un test avec une intelligence artificielle mais cela a permis de voir que cela avait des limites,
depuis 2010-2011, cette intelligence mise plus sur l’intelligence collective. Il ne s’agit plus

2
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

d’avoir 1 ordinateur super puissant avec un algorithme, mais de mettre en réseau de nombreux
d’ordinateurs dont les erreurs sont corrigées par les autres, avec des algorithmes imparfaits
mais toujours réparés par les autres.

Quand on a un grand nombre d’acteurs qui se posent sur un même problème, les erreurs se
neutralisent en raison de la loi statistique mais au plus on a de la diversité, au plus on a de
l’algorithme et on approche plus de la meilleure solution.

Cela rejoint avec les travaux sur l’intelligence collective qui a besoin de 4 éléments selon
SUROWIECKI
- Encourager l’originalité plutôt que le conformisme, récolter les informations sur le terrain
- Puiser l’information à diverses sources et non une.
- Favoriser la variété des points de vues
- Avec la variété de point de vues, on tente de dégager un consensus par une méthode objective
qui ne se repose pas sur le dictat d’une personne qui dirige tout le monde.

-> Cela rejoint la manière dont le cerveau fonctionne : On se rend compte que l’hémisphère droit
et gauche du cerveau cultive des choses différentes. Le droit garde davantage en tête les
détails mais pas les figures dans leurs ensembles et le contraire pour le gauche.

Notre cerveau lui-même agit sur base de l’intelligence cognitive où chaque partie a des
fonctions différentes et la mise en commun permet d’avoir des réalisations complètes.

Deux types de règles, de manière de jouer : soit à partir d’un seul paradigme, d’une seule
règle qu’on applique à une situation donnée, soit on a des règles qui sont dégagées de manière
inductive au cours de la partie (comme quand on improvise un foot sur un terrain vague et on
dégage par essaie-erreur les règles).

Le premier, modèle formaliste (modèle où on adopte une règle puis on l’applique à des cas
déterminés) a parfois une difficulté à s’adapter à la dynamique des concepts, la règle se
montre inadéquate à une situation. Mais de l’autre côté, si on parie qu’on va toujours trouver une
solution, le problème de l’anticipation arrive et le corpus de règles que l’on dégage par induction
en fonction des cas donnés soient suffisamment rapides.
La common law à travers les cas, a beaucoup de mérite et d’attractivité car ne se laisse pas
facilement capter et est parfois trop lente à s’adapter si la situation change vite. Si un
législateur fait des règles et donne au juge, moins sensible au contexte et capacité de modifier
facilement la règle qui permet une adaptation plus rapide.

3
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans ce cours, nous allons essayer de voir s’il n’y a pas une conception nouvelle de l’état à
imaginer : Un état qui ne veut pas imposer ses solution de manière descendantes, qui reconnait
la diversité de contextes dans lesquels son intervention est attendue, qui va tenter d’apprendre
des innovations sociales et de les orienter, plutôt que de dire qu’on laisse faire le marché, séparer
l’état du marché, tenter de trouver un état qui oriente le marché, qui stimule les innovations au
sein de la sphère du marché, mais qui le fait en tentant de créer des conditions qui permettent aux
acteurs sociaux de dvp une diversité de solutions qui permet à la société d’apprendre plus vite,
dans ce domaine d’intelligence collective

On veut une démocratie plus participative où les différents points de vues peuvent être
entendus dans les débats politiques et où l’on donne une sorte de prime à la reconnaissance de
la diversité d’opinions pour avoir des solutions en rapport avec la société.

è Il faudrait peut-être re-imaginer la séparation des pouvoirs avec une conception plus
délibérative.

4
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

PARTIE I. L’HERITAGE : L’EMERGENCE DE


L’AUTONOMIE

CHAPITRE 1. Les révolutions de l’autonomie


Il faut comprendre que les révolutions que nous allons examiner apportent des réponses
différentes aux questions posées.

Nous allons comparer trois moments révolutionnaires car cela permettra de comprendre ce
dont nous sommes les héritiers. Nous allons voir les différentes conceptions du pouvoir et du
rapport entre l’état et le marché. Deux remarques :

1) Nous assimilons le mot révolution à un bouleversement de la société qui se donne un


nouveau départ. La révolution vient de l’astronomie, d’une planète qui tourne autour
d’une autre. Au fond, c’est un retour aux origines ou encore la fermeture d’un cycle. Les
révolutionnaires étaient dans une contradiction permanente : ils veulent transformer les
choses et se disent accoucheurs de l’histoire (affirmation qu’ils ne font que traduire une
loi historique préexistante).

2) Ces trois révolutions ont un point commun : elles expriment une crainte de l’anarchie,
de la guerre civile. Cela justifie par là une certaine organisation des pouvoirs.
Les 3 révolutions montre qu’il faut contrôler la diversité et le conflit et c’est donc ici que
le pouvoir s’impose.

Section 1. La révolution de l’autonomie en Angleterre


Elle s’étale sur un certain nombre d’années. On a vu une tension permanente entre la
couronne et le parlement.

Depuis le M-A on a des seigneurs féodaux qui ont imposé de pouvoir consentir à l’impôt. On a
besoin de leur assentiment pour que l’impôt leur soit imposé.
Historiquement, c’est de cette capacité des nobles de refuser l’impôts qu’ils ont pu
revendiquer leur légitimité. Mais une dérive absolutise est apparue avec le début du 17ième
siècle, les parlementaires se sont révoltés, une guerre civile traversa l’Angleterre et au terme
de cette guerre, on a Cromwell qui prend le pouvoir et qui est soutenu par la classe bourgeoise et
les partisans du parlement. Pendant un moment la couronne est écartée du pouvoir.

Après la fin de la dictature de Cromwell, on rappelle Charles II en imposant des conditions très
strictes à l’exercice des pouvoirs royaux. En 1689, duand Charles II décède, on installe Marie et
Guillaume III de Hollande sur le trône : ils doivent signer le Bill of right comme condition
d’accès au trône.

C’est dans ce contexte que la sciences politique émerge. Thomas Hobbes en est un fondateur. Il
est très influencé par les sciences géométriques et physiques. Il est fasciné par la manière dont
Galilée travaille le mouvement des corps dans l’espace. Son ambition est de construire une
science politique sur ce modèle.

§1er : Le conflit pour Hobbes

5
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Lien avec la physique de la Galilée : Nous sommes des êtres qui recherchons à avoir des plans de
vie. La conception que Hobbes se fait de la société est que les individus sont comme des atomes,
suivent leur trajectoire et risquent de rencontrer les autres qui sont vus comme des obstacles.

Quand il y a des conflits entre des individus qui ont des projets différents, Hobbes nous dit
que la valeur d’un Homme dépend du prix que chacun a à un moment déterminé en fonction
du besoin qu’on a ou non l’un de l’autre.

Exemple : Le magistrat aura plus de valeur que le militaire. Mais en temps de guerre, on accordera
une plus grande valeur au militaire. C’est un critère démocratique qui dépend de l’offre et de
la demande. On va pouvoir ou non imposer notre volonté à l’autre et obtenir quelque chose en
échange. Chacun vaut le prix que l’opinion anonyme lui accorde. Dans la société féodale, la
valeur de chacun dépendait de sa naissance et de sa caste.

§2e : L’État pour Hobbes

Hobbes ne croit pas que l’état peut faire n’importe quoi. Il ne peut pas être arbitraire. Il doit créer
les conditions de l’épanouissement de la société de marché. Si le souverain manque à ces
devoirs et qu’il contribue à l’anarchie, alors il perd sa légitimité.

On demande à l’État de garantir la prévisibilité du droit, garantir le respect. Pour Hobbes l’État
est un souverain tout puissant mais qui est toujours sous surveillance, s’il échoue à ses fonctions,
il perd sa légitimité.

Si Hobbes écrit tout ça, c’est parce qu’il vient de voir 8 ans de guerre civile et il ne veut pas que
cela perdure.

§3e : John Locke

Un autre auteur important pour comprendre le contexte des révolutions anglaise est John Locke.

Il n’a surement pas rencontré Hobbes. On se base sur un ouvrage qui est paru en 1690, le second
traité du gouvernement civil. Ce second traité est un ouvrage général de philosophie politique où
John Locke prétend définir les limites du pouvoir de la couronne, il défend les droits du
parlement.

Le chapitre du second traité du gouvernement civil nous intéresse. Locke se pose la question de
savoir ce qui peut justifier la propriété privée. Pour lui, la terre et les ressources sont
données à toutes et tous. Dieu nous a doté d’un commun, n’est-il pas anormal que certains se
soient approprié une partie de cet héritage ?

La réponse de Locke va être de dire qu’il serait illogique que l’on ne puisse pas se comporter de
manière à maintenir notre subsistance, donc si on a la possibilité de tuer du gibier, il n’y a aucune
raison qu’on ne le fasse pas pour se nourrir.
Dans cette mesure l’appropriation est justifiée mais dans ce sens, on ne peut s’approprier que des
choses que l’on peut consommer, ce qui est très limité.
Pour éviter cela, Locke nous dit que l’on peut utiliser la monnaie pour vendre. La monnaie ne
perdra pas de la valeur, elle ne pourrira pas. On peut donc accumuler sans risque.

Locke nous dit qu’il y a une deuxième limite. Il serait contraire à la loi divine qu’on puisse
accumuler tellement de propriété alors que d’autres n’arriveraient pas à satisfaire leurs
besoins. On peut accumuler tant que l’autre ne se retrouve pas dans le besoin. On doit
respecter le droit à subsister de chacun.

6
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Locke a été dénoncé comme un partisan de capitaliste libéral, mais d’un autre côté Locke est
aussi un auteur chéri des socialistes car il dit qu’il y a des limites à l’appropriation privée et
qu’il faut respecter les besoins essentiels qui doivent être satisfaits dans une société.

Locke souligne aussi que même si la terre est donnée à tous, à mesure de l’accroissement de la
population, il y a des conflits entre les voisins et l’état doit jouer un rôle. La propriété est un droit
naturel mais en même temps, l’État doit fixer les bornes de la propriété.

Locke définit la propriété comme un droit naturel tout en disant qu’elle doit être limitée et que
l’état a un droit essentiel dans la délimitation de la propriété.

Des restrictions au droit de la couronne sont ancrées dans le MA et ce sont les partisans du
parlement qui ont réagi aux prétentions absolutistes. La révolution française est autre chose, ce
n’est pas un retour à avant mais c’est une modernisation brusque plutôt qu’une lente évolution
comme en Angleterre.

Section 2. La révolution de l’autonomie en France


Le Roi rencontre de plus en plus de résistance des parlements régionaux qui renvoient à Paris des
remontrances. Le 5 mai 1789, c’est la réunion des états généraux. Elle débouche sur l’Assemblée
nationale constituante. Le tiers état réclame d’occuper la moitié des sièges et pas un tiers des
sièges et ils décident de se proclamer assemblée constituante après des hésitations du roi. Le
processus révolutionnaire se met alors en marche.

Cette révolution française a débouché à partir du printemps 1793 sur une terreur révolutionnaire.
18.000 personnes tuées en France après la radicalisation de la révolution. Le Roi Louis XVI est
arrêté dans sa fuite et forcé de prêter serment à la C°. Une méfiance s’installe alors. Cela explique
l’exécution de Louis XVI ainsi que le début de la « Terreur » jacobine.

Il est a souligné que la révolution a été violente, et caractérisée par un esprit de revanche.

Exemple : Dessin d’un membre du tiers état assis sur un noble. Cette révolution voulait mettre
à bat tout ce qui restait de la société féodale. On ne voulait pas restaurer la tradition comme en
Angleterre, ici il s’agissait de mettre fin à l’ancien régime de manière radicale.

C’est dans ce contexte qu’est adoptée la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans ce
document on retrouve les valeurs invoquées pour justifier cette révolution.
Cette déclaration est l’idée d’un ensemble de valeurs qui vont légitimer la nouvelle société qui
est en train de se mettre en place.
On veut légitimer la concentration du pouvoir entre les mains des révolutionnaires. L’idée n’est
pas d’avoir des droits de l’homme contre le pouvoir. La fonction des droits de l’homme dans cette
révolution est très importante.

7
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è Ces révolutionnaires français remettent en cause l’autorité du roi alors que le roi a une
grande légitimité, donc pour s’opposer, il fallait des arguments très puissants. C’est pour
cela qu’ils utilisent les droits de l’homme.

Alors que le Bill of Rights a été une concession de Marie et Guillaume pour pouvoir occuper le
trône en Angleterre, ici, c’est un mandat que l’on donne à l’état de fonder une société nouvelle
en se débarrassant de la société féodale.
è Ce n’est pas comme en Angleterre, quelque chose de négocié entre le roi et le Parlement.
è Ce n’est pas comme aux USA quelque chose qui est négocié entre les différents états.
è L’idée n’est pas d’avoir des droits de l’homme contre le pouvoir, les droits de l’homme
vont légitimer le pouvoir.

A. Hannah Arendt
Hannah Arendt disait que la révolution française n’était pas une révolution mais un coup
d’état. Pour elle, les révolutionnaires n’ont pas changé la nature du pouvoir. Le pouvoir absolu
que Louis XVI exerçait va se faire approprier par les révolutionnaires français. Le pouvoir a
changé de mains.

B. Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau est également une source de référence. Rousseau est un homme du
peuple et a toujours vécu dans le sentiment d’être un incompris et d’être une sorte d’intrus dans
la haute société. Il est mal à l’aise dans la société.

En 1750, au sein de l’académie de Dijon, Rousseau développe l’idée que les arts et les sciences sont
une source de corruption. Pour lui la civilisation n’est pas une bonne chose, elle nous rend
artificiel alors que nous sommes spontanément bons. Ce discours est provocateur.

Rousseau nous dit qu’alors que beaucoup de gens se représentent l’état de nature comme une
situation de conflit et de guerre civile (démarche de Hobbes), lui le voit comme une possibilité de
cohabiter les uns avec les autres. Pour lui la société de nature est une société dans laquelle
nous n’avons pas de rapport de domination.

Pour Rousseau, les rapports marchands impliquent que nous avons besoin les uns des
autres. Peu à peu ces rapports vont se développer et nous allons alors développer des rapports
d’interdépendances. Ces rapports pacifient les mœurs. Au lieu de s’affronter à partir de nos
passions et de nos émotions, on va négocier avec les autres. Rousseau nous fait remarquer que
cela créer une dépendance et que le contrat est nécessairement le résultat d’un rapport de
force.
è Le marché abolit la différence entre vouloir son propre bien et vouloir faire du tort à
autrui. L’échange marchand est décrit par Rousseau comme étant le résultat de ce rapport
de force.

Dans son ouvrage du contrat social, Rousseau développe aussi la question de la volonté
générale. La loi doit être l’expression de la volonté générale. Rousseau nous dit que la volonté
générale est à distinguer de la volonté de tous.
La volonté générale ne regarde qu’à l’intérêt commun alors que la volonté de tous regarde
à l’intérêt privé et n’est qu’une somme de volontés particulières.

Pour dégager la volonté générale, nous devons laisser « au vestiaire » nos appartenances
particulières, oublier nos différences particulières. Nous sommes simplement des citoyens qui
voulons œuvrer à dégager cette volonté commune, générale.

8
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Rousseau en tire la conclusion qu’il ne serait pas mauvais dans une république parfaite de retirer
les enfants dès leur plus jeune âge de leur famille et qu’on les éduque en tant que bons petits
citoyens. Cette réponse est problématique car inapplicable. On ne peut pas se détacher de nos
appartenances. Cela conduit à une situation où tous les abus sont permis. Cette démarche de
Rousseau échoue et peut constituer un prétexte au totalitarisme et aux abus de pouvoirs.
è Ce raisonnement conduit à une situation où tous les abus sont permis par une avant-
garde révolutionnaire qui se croit détentrice de la volonté générale. S’il faut se méfier de
la volonté de tous, rien n’empêche une avant-garde d’accaparer au nom de la capacité que
cette avant-garde aurait de dégager cette volonté générale.

C. Edmund Burke

Edmund Burke est très dubitatif vis-à-vis de la révolution française. Il anticipe la dérive
totalitaire qui risquait d’être celle de la révolution française.

Il faut se méfier de cette prétention des révolutionnaires français. Cette prétention rationalisatrice
est en fait périlleuse. Elle a un potentiel totalitaire. Il recommande de ne pas faire table rase du
passé mais d’améliorer de manière progressive les institutions reçues car c’est la meilleure
façon de ne pas apporter des bouleversements destructeurs de la société.

Burke est un progressiste et est en même temps extrêmement critique de la révolution y


compris de la référence aux droits de l’homme. Il dit que les droits de l’homme en Angleterre
ont été conquis de haute lutte alors qu’en France les droits de l’homme sont une idée abstraite
développé par les théoriciens des lumières et ce ne sont pas des droits de l’homme qui ont des
sources dans les traditions. Pour lui, les droits des anglais sont plus stables et plus ancrés.

Il comprend aussi que le processus révolutionnaire français est un processus où l’on accorde à
l’état le mandat considérable de refaire la société pour y faire régner la liberté. Pour lui c’est

9
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

paradoxal, comment justifier le transfert du pouvoir absolu à une assemblée élue comme manière
de réaliser la liberté alors qu’on crée par-là les conditions d’un abus de pouvoir.

à Pour réaliser son projet réformateur de la France, Louis XVI a


voulu abolir ses institutions féodales et il a voulu concentrer de plus
en plus de pouvoir pour réaliser sa transformation de la France et
c’est ce que sont en train de faire les révolutionnaires français.
à Burke est partisan d’une autre forme de pouvoir avec des contre-
pouvoirs et des pouvoirs fragmentés.

Au lieu de vouloir virer les traditions et les institutions, il


faudrait améliorer ce que l’on a reçu.

Photos des jardins français et anglais :

Ces deux jardins montrent cette opposition.

Les jardins français ont été pensés par des architectes. Les lignes sont droites et la perspective est
parfaite. Ils sont plus géométrique.

Les jardins anglais sont plus en partenariat avec la nature. Les lignes ne sont pas droites.

C’est une manière de comprendre cette opposition entre la révolution anglaise et la révolution
française.

Section 3. La révolution de l’autonomie aux États-Unis

- Les 13 colonies déclarent leur indépendance en 1776 pour éviter de payer l’impôt à la
couronne britannique qui n’aident pas à leur développement.

10
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Tentative d’unification des colonies en 2 étapes : articles négociés en 1781 et puis un


débat sur la constitution fédérale.
- Ce débat a lieu en 1787 car pendant cette période il y a un débat qui précède la
ratification de la constitution de 1787, 7/8 colonies doivent accepter le texte et donc il faut
les convaincre et pendant la campagne, 3 autres, JAMES MADISON, ALEXANDER
HAMILTON et JOHN JAY publient des textes et signent pas en leur nom et signent sous un
pseudonyme commun -> Les fédéral papers. Ces auteurs essaient de justifier l’adoption de
la constitution fédérale et le système de séparation des pouvoirs américaines,
construits sur le mode des contre-pouvoirs.

MADISON justifie le système de check-balances mis sur pieds en disant qu’il faut protéger l’état
du risque que l’état soit capté par une faction de la population.

On ne peut pas réunir tout le monde sur une place publique pour prendre des décisions. Il faut
une représentation, une délégation de pouvoirs mais il y a un grand risque que ces
représentants trahissent leur mandat.
Il faut déléguer des pouvoirs à des élus mais comment faire pour qu’ils n’en abusent pas pour
favoriser leur faction ? Le fédéraliste (Madison) dit qu’il faut interdire les libertés (d’expression,
d’association) mais ce serait pire que le mal que nous voulons combattre. Il faut accepter que
les gens délibèrent. Nous ne pouvons pas faire en sorte que chacun pense différemment et ces
différences ne peuvent être abolies.

Comment faire pour que les différences soient respectées par le pouvoir d’état plutôt que niée au nom
d’une unité mythique ? La réponse de Madison est qu’on va contrôler le pouvoir de l’état en
mettant sur pieds des contre-pouvoirs.

Aux USA, le système repose sur 3 idées :


- Séparation horizontale des pouvoirs : Séparation des compétences des états fédérés
et de l’état fédéral qui évite que l’état fédéral abuse de son pouvoir.

- Séparation verticale des pouvoirs : Il y a un président (=exécutif), mais on a un Congrès


avec deux chambres et le congrès arrête le pouvoir de l’exécutif. De plus, on a un
judiciaire qui n’est pas que là pour soumettre la parole du législateur, mais aussi pour
l’arrêter lorsqu’il abuse de son pouvoir.

Arrêt Marbury v. Madison : le juge est un contre-pouvoir qui peut s’imposer face à la
législature, c’est la rule of law.

- On a une séparation des pouvoirs et une déclaration de droits, droits contre l’état comme
en Angleterre et >< RF. En France, à la même époque, on veut concentrer le pouvoir entre
les mains de représentants du peuple et il n’y a pas de contre-pouvoir. Aux USA c’est
dès le départ de l’établissement de la république que le contre-pouvoir a pu voir le jour et
s’imposer.

Il y a eu une tentative avec Adams pour se faire élire, il a voulu modifier la loi sur les juridictions
fédérales mais la cour suprême s’y oppose. Sinon toute élection deviendrait un coup d’état, les Usa
doivent avoir des contre-pouvoirs.

è On a, à la naissance de nos sociétés libérales modernes qui prônent l’épanouissement des


individus, 3 approches différentes

ü Comparaison entre les 3 révolutions :

11
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

En France, ils ont voulu faire table rase, -> rapprochement avec la sculpture qui représente la
force. On dit que c’est la continuation des tentatives réformatrices de la monarchie absolue.
Comme l’avait déjà voulu faire Louis XVI, les révolutionnaires français ont voulu encore plus
centraliser le pouvoir, ils ont voulu faire en sorte qu’entre l’état et l’individu, il n’y ait rien
(pas d’association, de syndicat, …) sinon ça serait contraire au fait que le pouvoir d’État
détienne le monopole de l’intérêt générale et doit être un pouvoir sans contre-pouvoirs.

Pendant 2 siècles on a eu un pouvoir en France qui ne pouvait rencontrer d’obstacle des contre-
pouvoirs.

En Angleterre, les pouvoirs sont répartis. Les droits de l’homme, notamment le Bill of rights
sont des choses qui assurent qu’il n’y ait pas d’abus de pouvoir. Ces droits sont le résultat d’une
négociation entre le monarque et les parlementaires. Par ces droits de l’homme, on décrète que
les droits des anglais en seront pas ignorés par le souverain.

La révolution des USA, il y a une séparation horizontale et verticale des pouvoirs. On a


l’exécutif le législatif et le judiciaire qui sont séparés mais aussi une séparation verticale des
pouvoir car l’état fédéral doit respecter les prérogatives des états fédérés.

On se méfie de l’abus du pouvoir de l’état fédéral. C’est une manière de se méfier de l’abus de
pouvoir car le pouvoir est dangereux de nature et le but principal est d’imposer des contrepoids.

Une des conséquences de cette méfiance du pouvoir est que quand le législateur crée des lois,
on va exiger du législateur qu’il poursuive l’intérêt général exactement comme on exige du
juge, qu’il ne soit pas partisan. On va donc s’assurer que le législateur n’agit pas de manière
irrationnelle, le but est l’intérêt général.

Remarque : Ce schéma tente de cartographier les 3 conceptions du pouvoir à partir de deux


axes.

- L’axe horizontale, à gauche situe le pragmatisme évolutionniste comme Burke, le critique


de la révolution française. A droite il y a la raison abstraire des révolutionnaires français
avec l’idée que nous sommes capables de déterminer le bien de la société.

12
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- L’axe vertical où certains vont faire confiance à l’état sans redouter des abus et d’autres
se méfient de l’état et vont construire des dispositifs pour que ces abus ne se commettent
pas.

Les français ont agi de manière à ce que certains auteurs aient pu imaginer l’arrivée du
totalitarisme.

Les fédéralistes croient en leur capacité à définir les bonnes institutions mais ils se méfient
du pouvoir d’état.

La Glorious revolution, c’est une révolution lente où on défend les droits conquis au fil des
siècles contre les prétentions absolutistes des monarques et les droits sont les résultats
de ces luttes donc sont plus ancrés dans la société que les droits des français.

Peut-être que le cadre en haut à gauche pourra un jour être rempli, c’est le défi qu’on peut
se lancer.

En bas à gauche on retrouve le modèle anglais qui est celui de la révolution lente, les droits
sont plus solidement ancrés. On peut situer Burke à cet endroit-là.

13
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 2. Le moment libéral


Nous allons tenter de comprendre un moment important de la pensée juridique qui a succédé aux
révolutions de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle.
Le mouvement libéral a occupé essentiellement le 19e siècle., qui a vu s’épanouir les
libertés de marché.

Comment la société de l’ancien régime (= la société féodale) s’est redéfinie comme société de marché
et comme société capitaliste ?

Section 1. En quoi consiste l’émergence du système capitaliste ?

La distinction avec la société de marché est assez simple.


Il y a 4 sociétés types :
- Société traditionnelle : l’échange a un rôle mineur : on s’échange des choses au sein
d’une communauté restreinte mais pas entre groupes. L’échange n’est que rarement
marchand, c’est un échange de solidarité (au sein de la famille, tribu). Une fois qu’on
échange au sein de ces groupes, on peut parler de l’émergence d’une société de marché.

- Société de marché : échanges entre groupes portant sur les produits du travail

- Société capitaliste : Début 19ème, on n’échange plus les produits du travail. On va


échanger les objets de production. Le capitalisme nait à partir du moment où les facteurs
de production (la terre, le travail, le capital) deviennent l’objet d’échanges. Le capitalisme
nait à partir de cette marchandisation des facteurs de production. Il parait naturel que la
terre fasse l’objet d’échange et que le travail moyenne un salaire aujourd’hui, mais il n’en
n’a pas toujours été ainsi.

è C’est ce passage qui nous fait passer d’une économie de marché à une économie capitaliste.

Le système de l’offre et la demande ne fonctionne plus comme régulateur.


Exemple : Si on veut vendre du lait produit par des vaches dont on est l’éleveur et que le prix du
lait augmente, on va produire + de lait car il y a une forte demande. On a une réaction de l’offre et
de la aux signaux faits dans un marché. Mais pour les moyens de productions (salaire, terres, ...),
si les salaires baissent car il y a trop de mains d’œuvre, ce n’est pas pour autant qu’il y aura moins

14
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

de travailleurs sur le marché du travail. Il n’y a donc pas de régulation de l’offre et la demande
en terme de facteurs de production.
C’est pareil pour la terre. La terre existe en quantité infinie. En effet, ce n’est pas parce que les gens
veulent acheter plus de terre que l’on va produire plus de terre. Il en va de même du travail.
Phénomène de marchandisation des facteurs de production.
è Rente, surplus que l’on obtient sur des biens rares. (voix de PMC est unique, il reçoit une
rémunération pour sa voix unique, il a le monopole sur cette voix, les jambes de Messi,
c’est pareil).
è C’est cette société capitaliste qui a développé ces inégalités.

En période de croissance économique, la démographie n’augmente pas spécialement, on ne va pas


augmenter l’offre du travail. Il n’y a pas d’adaptation mutuelle de l’offre et la demande.
C’est cette caractéristique du capitalisme de marchandiser les facteurs de production qui ne
répondent pas à l’offre et la demande qui explique le développement des inégalités en
période de surplus de mains d’œuvre.
Tout cela est l’explication des inégalités développés sous l’air du capitalisme libéral.

Pour que le capitalisme libéral s’installe il faut une série de conditions :

§1er : L’émergence d’un marché du travail

C’est la condition la plus frappante. On appelle cela la déterritorialisation. Cela passe par la
libération du travail. C’est un phénomène dans lequel les travailleurs ne vont plus être
attaché à un endroit déterminé mais ils vont offrir leur force de travail là où des emplois
se créent.

Ø Exemple de l’Angleterre
On a créé dans les sociétés occidental un marché du travail territorialisé.
Exemple : Angleterre : les enclosures (18/19ème siècle) : bouleversement ; avant, les zones
rurales étaient détenues par des grands P terriens mais qui toléraient que sur leur terre, des petits
paysans cultivent leurs terres pour subvenir à leurs besoin et écouler leurs surplus sur les
marchés.
Ils étaient entre les mains de seigneurs féodaux mais en pratique, ils étaient cédés en échange
d’argent et de récoltes.
Au milieu du 18ème, développement du textile avec le métier à tisser. On a utilisé la laine de
mouton dans ces ateliers textiles. Les grands P terriens ont chassé les petits paysans pour y mettre
à la place des moutons. Ceux-ci ont été vers les villes -> prolétariat urbain exploité dans des
usines, fabriques, ...
Ce qui a accompagné ces développement économique, c’est des développement juridique.
Fin 19ème, il y a une certaine solidarité de la commune en faveur des indigents. En pratique
d’ailleurs, les communes aident les pauvres (sais pas subvenir à leur besoin en achetant)

è On peut décrire cela comme l’émergence d’un marché du travail.

En Angleterre, on a des dates très précises associées à ce développement.

15
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

L’Act of settlement de 1662 obligeait les communes à enregistrer les personnes comme résidant
sur leur territoire. Chaque personne indigente est donc rattachée à une commune. Cela
oblige à accepter la prise en charge des indigents, résidents de la commune.

Ce système est critiqué par Malthus et Bentham, qui font partie des économistes philosophes et qui
estiment qu’il faut restaurer la loi sur les pauvres. En effet, selon eux, entretenir les pauvres, c’est
encourager les grandes familles. Bentham dira que la solidarité envers les indigents décourage
le travail, c’est contre-productif. Ils vont encourager la Poor Law, au nom de l’utilitarisme.
è C’est l’idée que les actions doivent maximiser l’utilitarisme des gens. On suppose qu’on
peut calculer ce qui sera dans l’intérêt des autres. C’est subversif comme doctrine car il
passe à côté de toutes les normes traditionnelles au nom de l’utilité. L’Act of settlement
n’a « pas de sens et décourage le progrès ».
è Bentham encourage la liberté de travail, la création d’un marché national de travail. La
société dans son ensemble va gagner à ce qu’on libéralise le marché du travail.
L’utilitarisme fournit un critère permettant de juger si la liberté de marché donne les
résultats attendus de lui.

Ce système a subsisté jusqu’à la réforme de 1834 avec le Poor Law Amendment Act. On a adopté
cela parce qu’on avait l’impression que cette assistance donnée aux pauvres était un obstacle à
l’émergence d’un marché du travail à l’échelle nationale.

L’utilitarisme qui nait dans les années 1760, sous la plume de Bentham, est une philosophie qui
parie sur l’idée qu’on peut calculer ce qui est moralement souhaitable en analysant les coûts et
bénéfices de chaque action. On peut alors rationaliser le droit des coutumes et mœurs.
C’est l’idée qu’un calcul d’utilité peut être effectué. C’est une philosophie progressiste mais c’est
en même temps une philosophie qui aboutit à des réformes extrêmement dures.

§2e : Le démantèlement de toutes les corporations de métiers

Le début du 19ème marque le moment où les syndicats, les corporations de métiers ont été
abolis. Adopté en 1791, la loi le Chapelier, en réalité, se présentant comme une législation
progressive en libéralisant le travail, ... en fait, restreignant l’offre de service sur le marché pour
offrir un peu plus libérateur. La loi de 1791 met un terme à cela. En 1776, un ministre de Louis
XVI avait tenté d’abolir les corporations de métiers.

è Refaçonnage de la société française contre les protectionnisme locaux, pour une


homogénéisation de celle-ci.

16
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans ce mouvement, on va démanteler toutes les corporations de métiers.


Ce sont par exemples les corps d’architectes ou de forgerons. Ce sont des corporations qui se
protègent de la concurrence. Elles se protègent en imposant par exemple à tous les membres
de la corporation de pratiquer les mêmes prix. On adopte un système qui évite cette
concurrence néfaste et protège l’accès à la profession en imposant des conditions.

C’est un obstacle à la fluidité du travail et à la mise en concurrence généralisée que l’on veut
promouvoir à l’époque. Ce démantèlement va être également une caractéristique du moment
libéral en France.

Dans la loi le Chapelier de 1791 on abolit les corporations et on y affirme la liberté de travailler.

Ø Exemple de la France

Le pouvoir nouveau qui se met en place se donne pour objectif de créer cette société capitaliste
en mettant un terme à tout ce qui restait de l’ordre féodal. Le nouveau pouvoir est un pouvoir
qui va se donner pour mission de libérer le travail et le marché, notamment par l’abolition des
corporations comme cela s’est fait par la loi le Chapelier.
è Libérer le travail, c’est permettre à chacun de travailler où il veut, en gagnant son argent
quand il voudra, effectuer le travail qu’il veut. Cette loi, vu comme ayant réprimé les
syndicats, est vue comme l’émanation de la philosophie des lumière.

Le maire de Paris répond à ceux qui se plaignant qu’ils ne pourront faire former des syndicat. Il
leur dit que tous les travailleurs sont égaux en droit mais ils ne le sont pas en talent, en
qualification. Les plus qualifiés pourront obtenir un plus grand prix qu’un prix négocié au nom de
la collectivité des travailleurs. On sort d’une société où les coopérations de métier jouaient un
grand rôle.

De plus, la toute-puissance du législateur se fonde sur cette idée que sa légitimité va venir du
fait qu’il créé une société libérale. Cette toute-puissance n’est pas absolue car le mandat que
l’on donne au législateur est de faire fonctionner le marché convenablement, d’abolir ce qui fait
obstacle à la liberté des échanges.

Il est intéressant de se plonger les débats de l’époque. On y voit combien cette idée d’un marché
qui devait se libérer est importante dans les discussions.
Cette idée d’un marché du travail est une idée puissante à l’époque. Quand les travailleurs
s’inquiètent que cette liberté de travailler les mette en concurrence, la réponse qui leur est
faite est qu’ils ont tords car les plus talentueux vont gagner plus.

§3e : La mécanisation du travail

Les ateliers et les machines commencent à émerger. Les artisans travaillant dans leurs caves et ne
pouvant pas faire face à cette concurrence mécanisée, laissent la place aux machines à tisser, par
exemple, ce qui pourra augmenter la productivité du travail.

L’idée d’autosuffisance de l’artisan disparait. Les travailleurs doivent se mettre au service des
grosses machines, qui dirigent le travail et des entreprises, qui forme du capital, et se met en place
le salariat dans ce nouveau type de productions. Le travailleurs deviennent dépendant et la société
est vue comme une collectivité d’individus, sans former de coalitions à la recherche de la meilleure
rémunération possible.

17
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est la séparation du travailleur et de ses moyens de production. La conséquence est que le


produit du travail va pouvoir être empoché par le propriétaire des machines. La dépendance du
travailleur s’étend et devient complète à mesure qu’il ne peut plus produire par lui-même.

Qu’en pensent Weber et Marx ?

Marx met l’accent sur le fait qu’auparavant, on avait des marchandises, on les vendait pour de
l’argent, ce qui permettait d’acheter d’autres marchandises. Il était une sorte de facilitateur
de l’échange. Avec le capitalisme, l’argent sert à investir dans des marchandises pour faire
plus d’argent. -> Accumulation entre les mains d’un nombre restreint d’acteur économique.

Cette mentalité a été discutée entre différents auteurs comme Weber.

Dans son ouvrage de 1920, il montre comment le capitalisme a émergé, il écrit e 1905 « L’éthique
protestante et l’esprit du capitalisme :

Il illustre ce qu’il y a de neuf dans cette nouvelle société qui se met en place.
En réalité, le capitalisme se fonde sur l’idée que l’individu est là, dans la société, pour accumuler
du profit et que c’est sa vocation.
Il dit que le capitalisme repose sur l’idée que le destin de chacun est de maximiser ses chances
de profits. Nous sommes plongés dans la société afin de réaliser cet objectif.

Le capitalisme part de l’idée qu’on remet en cause les valeurs, les normes traditionnelles, il met
en cause les prix uniformes fixés par la coutume, faire concurrence sur les prix.
è Concurrence sur les prix qui s’installe.

Le capitalisme devient une cage : tout le monde est enfermé et en souffre. Les gens s’épuisent
dans cette concurrence sans fins (dans les 2 sens). On devient prisonnier d’un système de
concurrence spécialisés (= cosmos)

Weber dit que qu’entre la société précapitaliste et la société capitaliste, les agriculteurs gagnent
deux fois plus. Seulement, dans la société capitaliste, ils s’arrêtent au milieu de la journée. Il n’a
servi à rien d’augmenter l’argent gagné car les travailleurs ne veulent pas travailler et gagner
davantage. Ils fonctionnent selon la norme du suffisant. Ils ont juste besoin d’assez pour faire
vivre leur famille. Cette norme du suffisant est la norme de la mentalité précapitaliste. Mais il
faut éduquer ces travailleurs agricoles à vouloir gagner davantage.

On a toute une série de phénomènes culturels qui accompagnent cette transformation.


Weber a résumé cela en disant qu’auparavant, l’argent était ce qui permettait d’acheter les
marchandises à la suite de la vente d’une autre marchandise. Dans le capitalisme, on a de l’argent
et on va investir de l’argent pour avoir plus d’argent. On va toujours vouloir faire plus d’argent.

Dans l’évolution des mentalités, il se passe quelque chose qui explique la naissance de cette
nouvelle société. Une des justifications de cette émergence de la société capitaliste est que tout le
monde apprend de ses erreurs, tout le monde apprend et tout le monde se remet en question. Tout
le monde est soumis à la discipline du marché. En réalité, cette discipline est beaucoup plus forte
pour les personnes qui possède moins de capital.

v La société concurrentielle, une société du « mérite » ? La critique de J.S Mill

Émergence d’une science économique qui va fournir sa légitimation à cette société


capitaliste.

18
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ceci de 3 manières :
- La science économique va se présenter à partir du 19ème comme une science exacte,
fondée sur l’idée des sciences de la nature. Elle va le faire au départ d’une représentation
de la société extrêmement simpliste, mais qui va permettre de se mathématiser.
è Homo economicus : comportement rationnel, parfaitement calculable, obéit à la loi de
recherche de maximisation personnelle, que l’on peut décrire ainsi la société
marchande.

- Dire d’une société qu’elle est fondée sur la liberté de marché, ce n’est pas l‘anarchie, ce
n’est pas la guerre. Il ne faut pas un pouvoir fort qui réprime les liberté pour éviter que ça
débouche sur le désordre , non. -> Permet à une société d’être auto régulée par l’échange.
C’est un ordre spontané (= au-delà de cette séparation entre nature et artificiellement
voulu) : c’est le résultats des échanges entre des individus. Ce n’est ni imposé par la
nature, ce n’est pas non plus la volonté d’une seule personne, c’est le résultats de ces
interaction spontanée.

- Réhabiliter l’égoïsme : les philosophe, par le passé, avait tendance à dire qu’un bon
citoyen = se mettre au service de la cité, être altruiste.
è Non, il faut rechercher son propre intérêt et la société dans son ensemble va en
bénéficier.

On peut construire une science exacte à partir de l’idée de l’homo economicus.

§4e : La querelle des méthodes

Pour rapporter cette contribution de la science économique à des débats célèbres de l’époque,
prenons celui qui a eu lieu en Allemagne entre Gustac Schmoller et Carl Menger « la querelle des
méthodes » :

• Schmoller était partisan de l’école historique. Il disait que la science économique ne


pouvait pas faire autre chose que de décrire les périodes de l’économie. Ils savent
que faire l’histoire de l’économie. Il dit qu’on ne peut pas faire de modèle car la réalité est
trop complexe pour être enfermé dans des modèles. La société humaine est trop complexe,
les économistes ne peuvent pas vraiment anticiper ce qui va se passer sur les marchés

• Menger, lui, dit qu’on peut faire des modèles à condition de partir des certaines
présuppositions qui permettent de mathématiser l’économie. La sciences économique
peut devenir une mathématique sociale.
Cela veut dire que l’on traduit en modèle des lois de la science économique.
Il est le fondateur de l’école marginaliste (à partir d’une modélisation possible de
l’économie) qui a connu son émergence dans les années 1900.
Selon Menger, les agents économiques ont des comportements calculables. Pourquoi ? il
suffit de partir de l’hypothèse de la motivation de l’appât du gain. Tout changement dans
le jeu des incitants a des conséquences prévisibles.
Exemple : réduire le prix du mètre de tissu, beaucoup de tissant vont quitter le métier. On
est des homo economicus, dont les comportement sont calculables. Menger sort l’école
marginaliste.

Pourquoi ?

Schmoller pense que le rôle de l’économiste est d’expliquer ce qu’il s’est passé mais il délie à la
science économique le pouvoir de faire des prédictions. Quand on a dû faire face à une économie
de guerre, ils n’ont pas été utile et ont perdu de l’influence.

19
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Selon Marx Weber, l’idéal type est une sorte d’épure. C’est la représentation idéalisée d’un objet
que l’on décrit.
Ex : Si on nous parle d’un arbre, on a une image d’un bête arbre. L’idéal type de l’oiseau va être
celui du moineau. Pour converser on a besoin de ces idéaux types. Marx développe cette idée pour
surmonter la querelle des méthodes.
Weber dit qu’on a besoin de modèle, de présomption pour agir dans le monde. Cela permet de
réduire la complexité du réel. Mais il ne faut pas confondre ces modèles avec la réalité.

§5e : Conclusion de l’émergence du capitalisme

C’est au final beaucoup de choses à la fois : la création d’un marché du travail, l’atomisation
des individus (on abolit les corporations), etc.
On a une société composée d’individus libérés des entraves de l’ancien régime mais par
conséquents, vulnérables. On a aussi une société où l’on doit penser en termes de
maximisation du profit. Tout cela peut se déceler dans l’émergence de la société capitaliste.
C’est ce sur quoi les révolutions libérales ont débouché.

Section 2. Quelles sont les principales sources de légitimation du capitalisme


naissant ?
Comment expliquer que le capitalisme ait pu être vécu comme une émancipation et une source de
libération ? Il y a 4 raisons qui ont permis à cette société capitaliste de fonder cette légitimité.

Comment se fait-il qu’en dépit des bouleversement (prolétariat urbain, migrations, ...), comment
le capitalisme a pu avoir une légitimité aussi forte ?

§1er : Civiliser la société et domestiquer l’État

Dans les sociétés traditionnelles d’ancien régime, les comportements des uns et des autres
étaient fondés sur l’honneur la passion la vengeance = émotions irrationnelles.
En enseignant aux hommes et aux femmes de se comporter en fonction de leurs intérêts
économiques, comme les homo économicus, on va vers une société apaisée, avec des
comportement plus rationnels.
è Le commerce, la marchandisation de la société est une manière d’adoucir les mœurs. C’est
l’expression du « doux commerce » utilisée par Montesquieu au 17e siècle.

Albert O Hirscham décrit la société fondée sur les rapports de marché, comme canalisant les
passions, réduisant le rôle des émotions, la jalousie, (= Tout ce qui historiquement a expliqué le
conflit) en incitants chacun à agir selon ses intérêts. On fait confiance aux individus, à leur
intérêts, mais ceci ne créé pas le désordre mais contribue à une société pacifiée.
è L’émergence du capitalisme, c’est que les intérêts se substituent aux passions.

L’émergence du capitalisme s’accompagne de l’idée que l’État ne peut pas faire n’importe quoi,
s’il détruit la base productive de la société, détruit la société de marché sur lequel repose la
prospérité de l’état, l’état doit se comporter de façon prévisible (au niveau des lois), sinon il ne
remplit plus sa fonction

20
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è Individu -> réfléchir en fonction de ses intérêts. Il faut forcer l’état à se comporter de
manière rationnelle. Sinon les marchants iront ailleurs et l’état ne pourra plus se financer
par l’impôt.

Les individus qui composent la société vont contracter les uns avec les autres, ils vont rechercher
un échange mutuellement avantageux et vont être orientés par leurs intérêts, plutôt que leur
passion.
Le commerce est une manière d’éviter que la société ne débouche sur du conflit.

O. Hirscham met en avant dans son livre deux idées :

• Le capitalisme permet de gouverner les individus parce qu’ils deviennent


prévisibles. Dès lors que les individus sont convaincus d’agir selon les intérêts, on sait
comment orienter les comportements.
En augmentant les récompenses, en menaçant de perte, en augmentant les possibilités de
profit, on oriente les individus afin qu’ils fassent ce qu’on voudrait d’eux qu’ils fassent. Les
individus sont manipulables et non plus imprévisibles. On oriente la société.
En jouant sur les intérêts, on a plus à craindre d’être surpris par des comportements
irrationnels dictés par la passion. La société est gouvernable, ne risque pas de sombrer
dans l’anarchie.

• L’État lui-même peut être discipliné parce qu’il a besoin, pour pouvoir lever des
impôts notamment, que l’économie prospère. La société marchande émerge qui n’a pas
les frontières des souverainetés étatiques et qui menace à tout moment le souverain de
sortir de sa juridiction si les règlementations sont trop strictes, si les possibilités de profit
ne sont pas assez grandes, si l’impôt est trop important.

On discipline l’État par le développement d’une société de marché qui constamment


exerce une sorte de chantage sur l’État. S’il n’est pas fidèle à son devoir de favoriser
l’économie de marché, va perdre sa légitimité de son attrait.

Donc, on s’éloigne d’une société dominée par la violence, une logique d’honneur, de passion, vers
une société beaucoup plus froide ou domine le calcul de chacun de son intérêt, et où l’on a plus à
craindre l’arbitraire du souverain. Si cet arbitraire est trop intolérable, la conséquence c’est que
l’économie s’arrête et que le souverain ne pourra plus financer son train de vie.

§2e : Encourager l’efficience économique

A. Bernard de Mandeville (1670-1733)

On va valoriser le comportement égoïste. Si chacun recherche son intérêt à lui, la société dans
son ensemble va y gagner. Il est bon de rechercher sa propre utilité.

Cela part d’un texte qu’un médecin hollandais expatrié en Angleterre publie en 1713. De
Mandeville publie « la Fables des abeilles », à Londres, où l’ouvrage fait scandale.
Il contraste deux ruches.
- Une où toutes les abeilles travaillent pour la collectivité : elle est désorganisée, les abeilles
incapables de se coordonner les unes aux autres, c’est l’anarchie).
- Dans l’autre, chaque abeille fait sa petite part : ruche très productive, où ça produit
beaucoup de miel.

21
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è En conclusion, il ne faut pas être moral dans la vie, ni immoral, il faut être amoral =
pas guidé par des normes traditionnelle, arrêter de nous encombrer de scrupules
moraux mais agir en fonction de ses intérêts. C’est comme ça qu’on contribue à la
prospérité de l’état. On ne fait pas le bien de la société en étant de saints.

Il faut arrêter de se comporter de manière vertueuse. Si chacun veut que son action bénéfice à la
collectivité, il faut améliorer ses talents personnel, après on fera profiter tout le monde. On sert
l’intérêt général en recherchant son propre bien.

è Le monde va condamner cette fable sauf Adam Smith

B. Adam Smith (1723-1790)

è Il va produire une œuvre qui va légitimer le fait pour chacun de chercher son intérêt
et défend l’idée que la liberté comique mérite d’être sauvegardée pour le bien général.

Le livre fait scandale et est condamné par les tribunaux. Mais, derrière ce flot d’indignations,
certains auteurs lui trouvent un certain mérite.

Parmi eux, il y a Adam Smith. A partir des années 50, il enseigne la philosophie morale et publie
un petit article où il dit que de Mandeville est infréquentable mais qu’il y a un domaine où l’auteur
n’a pas tort, c’est le domaine des rapports marchands.
Le fait pour chacun de se comporter selon son intérêt et de ne pas être vertueux, il y a là un
périmètre dans lequel les thèses de Mandeville se justifient.

Il y a deux livres majeurs d’Adam Smith :

- La théorie des sentiments moraux (1756). C’est un livre de philosophie morale. Ce livre
nous dis que chacun de nous est capable de sens morale. Il met en avant comme idée
maitresse, l’idée du spectateur impartial. On est tous capable de de mettre en retrait,
regarder ce qui se déroule et porter un jugement moral. On a des sentiments moraux
ancrés en nous.

- La richesse des Nations (1776). C’est le premier livre fondateur de la science


économique. Pourquoi les sociétés sont prospères ?

Au fond, il y a 2 Adam Smith : l’Adam Smith philosophe morale et l’autre qui s’intéresse à
l’économie sans s’intéresser à la philosophie morale. Il n’arrive pas à concilier les deux. Mais ils
sont conciliable.

On a parfois l’impression d’une incompatibilité entre ces deux livres. Au fond, il y a 2 Adam Smith :
l’Adam Smith philosophe morale et l’autre qui s’intéresse à l’économie sans s’intéresser à la
philosophie morale. En fait, il y a une grande cohérence dans les œuvres d’Adam Smith.

Dans les deux ouvrages, l’idée qui émerge est celle d’une société où les normes morales, les
manières de travailler et de pratiquer comme agent économique dépendent des évolutions des
normes sociales. Surtout, il y a un cours qui est la jonction des œuvres d’Adam Smith. C’est un
cours qu’il a enseigné en 1762-1764. Ce sont les lectures on Jurisprudence.

Dans ces cours de théories du droit, il rappelle que l’état doit préserver les libertés
économique pour contribuer au bon fonctionnement de la société. Certaines libertés
économiques, y compris la liberté d’entreprise, de commerce, sont des libertés fondamentales
qu’on ne peut pas refuser à l’individu.

22
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

On a des droits naturels. Il part de ses convictions morales, on a tous le droit de rechercher notre
intérêt de manière à augmenter notre propriété, c’est naturel.
Dès lors, si on reconnait cela, chacun va se spécialiser dans la perspective de l’échange,
investir dans sa formation. On développe des nouveaux talents, compétences dans l’espoir de les
faire fructifier.
è Si la liberté de commerce est garantie, les choix fait vont être orienté par cet objectif
d’échange dans la sphère du marché.

Il en résulte une division du travail. Cette division et source d’efficience car on va rechercher la
meilleure façon de travailler dans tel ou tel domaine, on développe des nouvelles
technologies, on va devenir très rapide, adroit, on réalise des économies d’échelle grâce à la
spécialisation des tâches.
Elle augmente la production de la société car on est plus productif. La division du travail est
source de gain pour la société car le gâteau à partager est pus grand. Chacun pourra subvenir
à ces besoins. Le plus pauvre des ouvriers est mieux doté en bien de consommation que les élites
dans les sociétés traditionnelles.
Il part d’un raisonnement moral (=protéger les pertes économiques) pour arriver à une
justification utilitariste (=division du travail maximise la productivité et donc la richesse de la
société dans son ensemble).
Exemple : Ce n’est pas de la bienveillance du boucher qu’on a besoin, mais du soin qu’ils apporte
à leur intérêt. On a besoin de leur avantage, pas de leur besoin. C’est grâce à la division du travail
que je vais chercher ma bière chez le brasseur et chez le boulanger pour mon pain. Si tout le monde
n’agissait pas en fonction de ses intérêts. Il n’y aurait pas de divisions du travail.

La division du travail débouche sur une augmentation de la production. Par conséquent, la


richesse produite dans la société augmente permettant à chacun de se trouver à l’abri du
besoin.

Ce schéma, qui permet à la liberté économique d’encourager la division du travail et la


spécialisation des tâches et donc la recherche de solutions efficientes, permet de fonder, à partir
d’un critère utilitariste, une économie sur des bases morales.

Chez Smith, la spécialisation de chacun permet des gains d’efficience donc l’augmentation de la
richesse. Mais, qu’en est-il de la distribution de cette richesse ? N’y aurait-il pas des inégalités qui
vont croitre ?
La réponse de Smith repose sur la distinction qu’il fait entre le prix naturel et le prix du marché :

23
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Chaque bien échangé sur le marché a un prix naturel : le prix du marché rejoint ce prix naturel
spontanément.

• Le prix naturel du travail : c’est ce qui légitimement récompense le travail que l’on
investit.

Exemple : On passe 5 ans à bosser le droits. C’est un investissement fait. C’est normal que
le prix pour service rendu récompense cet investissement.
- Génération actuelle : Si forte demande pour les avocats et que ça coute cher, + de jeunes
vont faire avocat.
- Génération suivante, - besoin d’avocat, le prix du marché rejoint le prix naturel. A l’inverse,
si les avocats ne parviennent pas à finir leur fin de mois, - de gens vont se destiner à la
profession et le prix à payer va augmenter et le prix du marché, trop bas a rejoint le prix
naturel.

è Si on laisse le marché et le mécanisme de fixation de prix orienter les choix des individus,
le prix que chacun va recevoir pour son investissement va correspondre au juste prix (sans
intervention de l’état).
Or, naïveté dans cette présentation des choses :

• Le prix des marchés va récompenser les mérites des juristes qui se spécialisent. Le
prix du marché va rejoindre le prix naturel. Le marché fonctionne ainsi, à récompenser
chacun par le juste prix que l’on attache à ces services. C’est ce que permet la loi de l’offre
et de la demande.

è Smith nous dit qu’il faut reconnaitre les droits économiques comme libertés
fondamentales, qu’il faut que l’état favorise le déploiement de ces rapports de
marché, d’échange. Il faut laisser faire la division du travail dans la société.

Finalement, une certaine justice distributive sera réalisée grâce à ce mécanisme que l’état
doit respecter sans trop interférer. Cela ne veut pas dire que l’état ne doit rien faire. Il doit
intervenir mais pas dans les rapports de marché.

§3e : Rompre avec la société d’ordres : les droits humains

Le début du 19ème est perçue comme une période assez difficile, croissance des inégalités,
exploitation des ouvriers. A l’inverse, la sortie du féodalisme et l’émergence des libertés
économiques étaient vues comme une source d’émancipation.

Le marché représente ce que les droits de l’homme exigent. Pour expliquer cela, il faut
s’attarder sur l’épanouissement du libéralisme aux États-Unis.

Les États-Unis sont fondés en 1787. En 1791, on ajoute un Bill of Right à la Constitution
fédérale, y compris le 5e amendement qui garantit la liberté, la propriété et le procès équitable.
Puis, des années plus tard, il y a la guerre des sécessions qui oppose le nord et le Sud dans une
guerre civile sanglante. Elle se clôt en 1765 avec un amendement constitutionnel censé résoudre
un des problèmes qui a causé le conflit civil, l’esclavage. L’esclavage était réprouvé par les états
du Nord-est mais pratiqué à grande échelle dans le Sud. C’était une source de compétitivité pour
les états du Sud.

En 1865 avec la défaite des états confédérés du sud, on introduit un amendement qui abolit
l’esclavage, le 13e amendement. Il permet au Congrès fédéral d’adopter des lois qui vont
éradiquer l’esclavage. Cela ne suffit pas. Pourquoi ?

24
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans les états du Sud, certes, on émancipe les esclaves, mais il y a encore toute une série de
discriminations qui sont maintenues à l’encontre des esclaves affranchis. Ils ne peuvent pas
être propriétaires de terres, leurs voix comptent moins dans le jury, ils n’ont pas accès au vote,
etc.

Le 14e amendement de 1868 décrète l’égalité de tous devant la loi. Cela les force à mettre fin à
l’esclavage.

Comment cet amendement sera interprété ?

Quel est le lien avec la fondation du capitalisme libéral dans les droits de l’homme ?

Le lien vient du fait que ces clauses vont servir à légitimer la construction par le juge d’un système
qui va en fait protéger les libertés du marché contre toute immixtion de la part de l’État et
constitutionnaliser les libertés économiques. Cela ne s’est pas fait tout de suite, ni facilement.

A. Slaughterhouse Cases (1873)

L’affaire des Slaughterhouses, l’affaire des abattoirs dans la ville de New Orléans, dans l’État de
Louisiane. Dans cet état, tout au long d’un fleuve, il y a de nombreux abattoirs qui déversent des
carcasses de bétails dans le fleuve. Cela causait des puanteurs et des maladies. L’état de Louisiane
en voulant interdire ces abattoirs, vont réserver, dans une loi de 1869, la fonction d’abatage a
quelque entreprise sélectionnées soigneusement. Il réserve le droit d’abattre du bétail dans l’état.
Les entreprises perdantes font appel à un avocat, John Campbell (ancien juge cour suprême). Il dit
que cette loi de 1869 restaure des privilèges de nature féodales. On les prive de la liberté
d’entreprise en réservant le monopole de l’abatage. Or, les 13ème et 14ème amendement servent
à abolir toutes formes de discrimination liées à l’esclavage mais pas la liberté d’entreprise.
Oui, la loi viole les DF, le principes d’égalité devant la loi, qui est >< C°.
Mais, 4 juges sut 9 ont émis une opinion dissidente. Au sein de celle-ci, on fait référence à Adam
Smith (liberté d’entreprise = Liberté fondamental) mais aussi le ministre de Louis XVI (liberté
de travail en mettant fin aux corporations). Les 4 juges vont dire que la loi est une loi d’Ancien
Régime, restaure des privilèges aux bénéfices d’une minorité, => la loi ne promeut pas
intérêt général, = partialité du législateur car il a légiféré de manière arbitraire en faveur de
quelques-uns contre les intérêts des autres et du coup, elle doit être jugée inconstitutionnel.
è Cette thèse va percoler dans le raisonnement des juridictions et va devenir dominante.

B. In re Jacobs (1885)

Le premier arrêt dans lequel c’est le cas, c’est un arrêt de la Cour suprême de l’État de New York,
l’arrêt in re Jacob. Dans cette affaire, il s’agissait d’une règlementation qui voulait interdire le
traitement des feuilles de tabac dans des zones résidentielles à NY et à Brooklyn. Pourquoi ?
La raison invoquée par le législateur était que ces feuilles provoquaient une odeur très
désagréable pour les voisins.

En fait, la vraie raison, c’est que faire travailler des ouvriers dans ces manufactures de tabac, mal
aérées avec des plafonds bas, est nocif. Le législateur avait donc voulu protéger les travailleurs et
avait prétendu que c’était pour protéger les voisins. C’est une loi de protection de la santé au
travail qui n’osait pas s’appeler comme ça.

La Cour suprême de NY intervient en disant que c’est une loi inconditionnelle. Pourquoi ?

25
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

On prive les entrepreneurs qui fabriquent le tabac de cette liberté d’entreprise qui fait partie de
leurs droits constitutionnels. De plus, on prive les travailleurs de la liberté de choisir de travailler
dans ces ateliers s’ils le souhaitent. Cette législature bride la liberté d’entreprise.

Donc, dans cet arrêt, les articles de la Constitution américaine servent à fonder l’idée qu’il y
a une sphère du marché ou la liberté de travailler doit être garantie et l’État ne peut pas
s’immiscer dans cette sphère. Sauf si l’État peut mettre en avant des objectifs d’intérêt
général qu’il poursuit, ce qu’on appelle des objectifs de public policy qui sont limités, et qui
interdit à chacun de causer du tort à autrui. Ce n’est certainement pas venir au secours des
travailleurs qui peut justifier un objectif d’intérêt général. On impose du législateur une discipline
pour éviter qu’il légifère en faveur de certains groupes dans la société, plutôt qu’en faveur de
l’intérêt général.

C. Lochner v. New-York (1905)

Cette interprétation de la Constitution américaine va finir par l’emporter dans l’affaire Locher v.
NY devant la Cour suprême des USA. Cette affaire a donné son nom à l’ère Lochner qui va aller de
1905 à 1937. L’arrêt est le point de départ.

L’affaire Lochner parle d’un boulanger qui est poursuivi pour avoir fait travailler des employés
au-delà de ce que la loi tolère. Cette loi limite à 10 heures par jour et 60 heures par semaine le
nombre d’heures que l’on peut travailler. C’est un secteur où abus important. Pain frais ->
travailler dès 2h. Lochner ne respecte pas cette règlementation. L’intervention du législateur vient
s’ingérer dans la liberté contractuelle des employés, qui veulent travailler car besoin d’argent.

La Cour suprême va lui donner raison en disant qu’en réalité, aussi bien l’employeur que les
employés sont des individus avec une pleine capacité juridique et qu’ils savent parfaitement où
résident leurs intérêts, donc on n’a pas à être paternaliste et à venir au secours des employés de
la boulangerie. Chacun doit pouvoir accepter le travail qui paraît conforme à ses intérêts, ou
proposer du travail aux conditions qui paraissent s’imposer.
La Cour suprême constitutionnalise la liberté économique et le fait au nom de cette idée que ce
sont des êtres qui ont toute compétence pour décider où réside leurs intérêts.

La Cour dit au fond que le législateur de l’État de NY n’est pas intervenu pour protéger la sûreté,
la morale, l’intérêt public. C’est en réalité les intérêts d’un groupe particulier.
En même temps, l’arrêt Lochner n’est pas un arrêt qui donne une liste de ce qu’un État peut faire,
et un périmètre qu’il est interdit de pénétrer.
è Il va falloir peser/faire une balance des intérêts, intérêt qu’avait l’état d’apporter des
restrictions a cette liberté -> examen de proportionnalité. C’est dans cette arrêt que l’idée
émerge pour la 1ere fois ce principe.

L’arrêt injecte dans le raisonnement une dimension de proportionnalité en disant que la loi va
trop loin par rapport à ce qui serait justifié dans l’intérêt général. Il y a une analyse de
proportionnalité. Avec cet arrêt, on est au cœur de ce qui va traverser le droit administratif et
constitutionnel au 20e siècle. Comment décéder l’abus de pouvoir de la part de législateur qui prend
parti au lieu d’être objectif. Quand peut-on dire que le législateur va trop loin ?
Cette idée de définir l’intérêt général et d’identifier la proportionnalité de l’action publique est au
cœur, encore aujourd’hui, des raisonnements tenus par la Cour constitutionnelle.

L’arrêt Lochner est un arrêt fondateur car c’est le début de l’époque de 32 ans durant laquelle on
va imposer des restrictions très fortes à la capacité pour l’État de pénétrer des rapports de
marché, d’influencer les échanges économiques.

26
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est au départ que les individus ont un droit fondamental d’entreprendre, que les employés et
employeurs ont une pleine capacité juridique, qu’ils sont l’un et l’autre libres de refuser les
conditions, que le marché est un espace où les liberté s’épanouissent et l’échange se noue non
contrainte.

D. Justice Oliver Wendell Holmes (1841-1935)

Cependant, il y a une opinion dissidente émise à la suite de cet arrêt par un juriste Oliver Wendell
Holmes. C’est un ancien juge à la Cour suprême du Massachusetts. Il est professeur à Harvard et
est récemment nommé à la Cour suprême quand cette affaire lui est présentée.

Dans son opinion dissidente, il dit que l’arrêt est mal décidé car il est fondé sur une théorie
économique qui n’est pas neutre, qui n’est pas consensuellement admise de tous et toutes. Il est
légitime que différentes conceptions de ce que l’État doit ou non faire dans les rapports
économiques coexistent. Il est illégitime pour la Cour suprême de fonder son raisonnement
sur une doctrine précise, celle du libéralisme économique.

Holmes nous dit que l’arrêt repose sur une idéologie, celle du darwinisme social qu’il attribue à
Herbert Spencer. Il a une crainte que l’arrêt soit fondé sur des mauvaises bases. Sa proposition
c’est qu’il faut laisser ce type de question tranché par le législateur. Ce n’est pas au juge de
refaire l’évaluation de l’opportunité d’une législation. Il est conforme aux principes
démocratiques que ce genre de législation puisse être adoptée. Les juges doivent seulement
intervenir de manière prudente si erreur manifeste, ne doivent pas censurer le législateur.

E. Adair v. United States (1908)

En dépit de cette réserve exprimée par le juge Holmes, l’arrêt Lochner va être suivi par plusieurs
autres. Dans une affaire Adair v. USA, la question qui était posée était celle d’une loi fédérale qui
interdisait toute discrimination fondée sur l’appartenance syndicale. On ne pouvait pas donner un
traitement moins favorable aux employés pour les décourager d’appartenir à un syndicat. Adair
est un employé de la compagnie de chemins de fer qui a violé cette loi anti discrimination parce
qu’il a choisi de licencier un autre employé Coppage en lui reprochant d’avoir été membre d’un
syndicat.

Il dit que la loi est un obstacle à la liberté de travailler. Elle empêche de contracter, selon les termes
choisis, de définir librement le contenu de la relation contractuelle. Elle est une violation de la
liberté constitutionnelle de travailler.
La Cour, dans la finalité de la jurisprudence Lochner, va suivre cette thèse en constatant
l’inconstitutionnalité de la loi de 1898 sur la liberté syndicale en disant le droit d’une
personne de vendre son travail aux conditions qu’elle détermine, est équivalente au droit
à celui qui achète le travail de définir les conditions auxquelles le travail doit être presté.
Il y a une symétrie entre l’employé et l’employeur. Il a signé un contrat de travail et le savait très
bien que s’il appartenait à des syndicat, c’était un licenciement. Il a exercé sa liberté contractuelle.
Cette loi porte atteinte à cette liberté contractuelle.
Il est illégitime pour le législateur de prétendre s’immiscer dans ce rapport contractuel
librement consenti. Si Coppage ne voulait pas travailler parce qu’il préférait être membre d’un
syndicat, il lui était libre de refuser l’offre qui lui était faite.
Le législateur n’a pas à s’immiscer dans la liberté contractuelle de ces être juridique, ayant la
pleine capacité juridique et savent bien où résident leurs intérêts.

F. Adkins v. Children’s Hospital (1923)

27
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans une affaire Adkins v. Children’s Hospital de 1923, on met en cause une loi de 1918 qui
prévoyait un salaire minimum au bénéfice des femmes dans le District de Columbia. Le district de
Columbia ne fait pas partie d’un des 50 états de l’Union et c’est le législateur fédéral qui légifère
directement pour le district de Columbia. Une loi fédérale avait imposer ce salaire minimum afin
d’éviter que les femmes soient amenées à travailler pour un salaire de misère. La tentation était
forte de leur proposer des salaires extrêmement bas, parce qu’elles étaient dans le besoin de
trouver du travail et parce qu’à l’époque, le salaire des femmes était le complément des salaires
principal des hommes. Les salaires des femmes étaient très bas et cela de manière discriminatoire
et contestable.

La question qui se pose à la Cour est de savoir si la loi instaurant un salaire minimum est conforme
au droit du travailleur. Le mouvement féministe est divisé. Une majorité des féministes considère
cette décision scandaleuse car la Cour suprême va considérer que la loi de 1918 est une restriction
inacceptable au droit de travailler. Les femmes doivent pouvoir choisir de travailler, mais
pour un salaire de misère.

Certaines féministes vont dire que la loi les protégeait contre l’abus de pouvoir économique. Cela
permettait de renforcer leur pouvoir de négociation. Et voilà que cette loi est déclarée
anticonstitutionnelle.

D’autres féministes vont dire qu’il ne faut pas que la loi soit paternaliste à leur égard. Les femmes
ne sont pas une partie faible qu’il faut protéger. Les femmes sont capables de se battre pour
faire respecter leurs droits.

Adkins s’inscrit bien dans la jurisprudence Lochner qui va pendant 30 ans faire obstacle à ce que
des lois annonciatrices de l’état providence, soient adoptées.
Les Cours fédérales américaines protègent cette sphère des libertés économiques et des échanges
contractuels contre toute ingérence de la part du législateur qui ne saurait se justifier par la
recherche d’un intérêt général.

G. La lecture révisionniste de l’ère Lochner

Dans les années qui ont suivi le New Deal, des historiens ont déclaré que cette ère Lochner, cette
décision de justice qui affirme les libertés économiques et retarde l’émergence de l’État
providence existe parce qu’il y a dans cette juridiction des juristes très conservateurs. Ces
juristes ont une idéologie économique bien précise : celle du libéralisme économique.
Cette jurisprudence est très contestable parce qu’elle trahit un préjugé de classes.

En réalité, cette thèse ne tient pas suffisamment compte du contexte dans lequel la
jurisprudence Lochner a émergé.
Quand on s’interroge sur ce qui motivait les premiers arrêts suivant Lochner, ce sont des thèses
de constitutionnalistes qui disaient que le législateur ne pouvait pas faire n’importe quoi au nom
du pouvoir qui lui a été légué par l’élection. Le législateur ne peut pas avoir ses protégés et il
ne peut pas légiférer en faveur de certaines fractions. L’objectif de la constitution américaine
est d’éviter que le pouvoir d’État soit capturé par une fraction pour servir ses propres intérêts.

Quand on examine le travail des juristes qui ont été les premiers à interpréter la constitution après
l’adoption de ces amendements qui ont suivi la guerre civile, on retrouve l’idée qu’il est interdit
au législateur de discriminer, et notamment dans le domaine des libertés économiques.
Ex : Thomas Cooley dit qu’il faut surveiller de près le législateur pour qu’il ne réintroduise pas des
discriminations qui seraient sources d’inégalités.

C’est l’idée que l’État doit être neutre, doit servir les intérêts généraux, et ne doit pas avoir
ses favoris.

28
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Les droits que l’on reconnait dans la Constitution doivent être garantis pour le bénéfice de
l’individu, sauf dans les situations exceptionnelles où des abus de droit pourraient être
commis.
Un abus de droit est le fait d’utiliser son droit subjectif, non pas en recherchant son intérêt
propre, mais de manière à causer dommage à autrui.
Tant que l’individu ne fait rien d’autre qu’exercer ses droits pour son intérêt propre, cela est
légitime et le législateur ne peut pas l’interdire.
C’est seulement lorsqu’il utilise son droit pour causer dommage à autrui que l’usage qu’il
en fait devient abusif et que l’on pourra le lui reprocher. A ce moment-là, le législateur peut
intervenir.

v Cass. fr., 3 aout 1915, Clément Bayard

Cette affaire concerne deux voisins, Clément Bayard et Coquerel, qui ne s’aiment pas beaucoup.
Clément adore les ballons dirigeable et Coquerel a installé sur son terrain des piques de manière
à ce que si un dirigeable se retrouve sur son espace, il va exploser.
Coquerel peut faire ce qu’il veut dans son jardin, mais dans ce cas-ci, il fait cela dans le seul
but de nuire à son voisin.
La Cour de Cassation française dit qu’il s’agit d’un usage abusif du droit de propriété. L’idée est
que le droit mérite d’être protégé, mais on engage sa responsabilité si on en fait un usage abusif.

Dans la jurisprudence américaine, le critère utilisé pour définir le pouvoir de police de l’État est
le critère « sic utere tuo ut alienum non laedas », ce qui veut dire « utilise ce qui est tien de manière
à ne pas causer de torts à autrui ». Si l’on utilise ce qui est à soi de manière à causer tort à
autrui, le législateur peut intervenir.

è Cette époque est intéressante car on a à la fois des limites très stricte imposée à l’État
d’agir dans les pouvoirs de marché, mais ces limites ont une appréciation
contextualisée. Le législateur peut intervenir pour interdire l’usage abusif d’un droit.
S’il s’immisce dans l’exercice que chacun veut faire de sa propre liberté simplement dans
le but de maximiser sa position, il va au-delà de ce qu’il peut faire.

« L’ère Lochner » : Respect des choix démocratiques et le juge va se retirer en faisant confiance
au législateur. C’est un rôle actif du juge.

H. Louis D. Brandeis (1856-1941)

29
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est dans ce contexte qu’intervient le juriste Louis Brandeis. C’est un juriste précoce qui a été
diplôme très tôt, qui a fondé un cabinet d’avocats à Boston et qui a voué sa vie à défendre des
causes progressistes. Il dit qu’au fond, son métier d’avocat doit être mis au service de la
construction progressive de l’État providence.

Brandeis a reçu des représentantes de la « National Consumers League », organisation de défense


des droits des consommateurs qui en fait défend les droits des femmes.
A la tête de cette organisation, il y a Florence Kelley, qui souhaite que Brandeis intervienne, en
soutien de l’État d’Oregon, pour défendre devant la Cour Suprême une loi qui veut limiter à 10
heures par jour le travail des femmes dans des entreprises industrielle.
L’État d’Oregon veut faire cela parce que les travailleuses sont soumises à des conditions de travail
très difficiles, et le législateur pense devoir intervenir.

Mais la législation est contestée, on se demande si elle n’est pas paternaliste. C’est ce qui se
retrouve au du contentieux Muller c. Oregon de 1908.

v Muller v. Oregon (1908) – Un nouveau style de raisonnement judiciaire

Brandeis accepte de soutenir Kelley à deux conditions :

• Qu’il ait le monopole de la stratégie judiciaire suivie. L’avocat de l’État d’Oregon ne doit
pas se mêler de sa stratégie judiciaire.
• Que Kelley réunisse des données médicales sur l’impact de la physiologie des femmes sur
le fait d’exercer des travaux de longues heures. Elle doit également rassembler des
éléments de droit comparé permettant de déterminer si le législateur de l’État d’Oregon
est allé trop loin.

Brandeis inaugure un style de mémoire juridique, appelée la « Brandeis brief », qui est un
mémoire où les arguments juridiques jouent un rôle minime, et où les arguments de fait et
de contexte tiennent une place beaucoup plus grande. Les faits permettent à la décision
judiciaire d’être encrée dans une argumentation très contextualisée.

Brandeis a pris le risque de faire sa plaidoirie sur cette base, avec des arguments très contestables.
Il a été les chercher dans les revues médicales. Ces arguments consistaient à dire que le fait de
faire travailler des femmes pendant de longues heures dans des conditions de travail pénibles est
dangereux pour leur santé. Or, l’arrêt de Brandeis stipule que les femmes en mauvaise santé ont
une descendance qui est également en moins bonne santé.

Cet argument est très biologisant. Brandeis tente de démontrer pourquoi l’intérêt général est en
jeu. Ce n’est pas l’intérêt des femmes qu’il faut protéger, c’est nous tous qui ne devons-nous
protéger du risque d’une dégénérescence de la femme qui résulterait du fait que des femmes
en âge d’avoir des enfants seraient soumises à des travaux pénibles.
è Brandeis parvient donc à faire passer l’idée qu’il ne s’agit pas de privilégier un
groupe sur un autre, mais de protéger l’intérêt général.
è Pour la préservation de la race, les enfants doivent être robustes.
è Il est obligé de venir à ce type d’argument : convainque que le législateur œuvrait pour
l’intérêt général, œuvrer pour la bonne santé des enfants (pas le droit de défendre cela au
nom de l’intérêt des femmes car il faut être impartial)

Cette législation était acceptable aux yeux de la Cour parce que beaucoup d’autres État ont légiféré
dans le même sens, et donc le législateur n’a pas agi de manière déraisonnable. Il a respecté
l’exigence de proportionnalité.
coexistent

30
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

I. La situation de l’économie politique aux États-Unis (1860-1910)

Aux USA, la science économique a connu une trajectoire différente de celle qu’elle a connu en
Europe. Jusqu’à la fin du 19, des économistes considèrent que cette sphère doit être abandonnée
à l’autorégulation, l’état ne doit pas intervenir dans cette sphère du marché car elle est agencée
de manière harmonieuse et les conséquences seront difficile à rattraper par la suite.
Cela parait dater, mais c’est très actuel. Le néo libéralisme dit que l’état doit créer les
conditions d’un marché qui fonctionne de manière efficace.

Francis Bowen a publié un livre de référence de l’économie politique en 1870. Pour cet
économiste, la société fonctionne selon des lois naturelles qui nous viennent d’un prescrit
divin et on n’a pas intérêt à vouloir changer ces lois économiques car cela introduirait des
distorsions dans la machine de l’économie. Dieu a voulu la société comme elle est, et l’homme ne
peut pas s’ingérer dans ce travail sans le détruire.
Son ouvrage oublié en 70 est un traité. Quand on le lit, c’est sidérant de voir qu’il ne s’agit pas
d’un ouvrage scientifique mais théologique. C’est Dieu qui organise le marché tel qui l’est. Dieu
agit à travers ces lois naturelles qui finiront par produire le bien commun
è Croyance aveugle envers les institutions économique tel qu’il est présenté, comme
devant être respecté par l’état sinon il risque de sortir de son rôle d’arbitre impartial.
è Le libéralisme économique produit des résultats bénéfiques pour tous et toutes, de
manière inconsciente, le marché conspire à produire le bien commun.

La machine économique doit être protégée de toute ingérence de la part de l’État et la Constitution
doit empêcher l’État de s’y immiscer.
Les institutions économiques sont naturelles, et l’État reste neutre s’il ne s’ingère pas dans ces
mécanismes. L’État a raison de ne pas intervenir, car c’est la meilleure façon pour lui de
respecter le prescrit divin et de favoriser l’efficacité économique.

§4e : Ne pas s’opposer au cours naturel des choses : le darwinisme social

Opposition entre Darwin et Lamarck, biologistes, qui essayaient d’expliquer comment les espèces
évoluaient.
è Partons d’un exemple : séquence lamarckienne : dans un paysage de savane, les girafes
tendent le cou pour se nourrir et à force de le tendre, elles vont de déformer et cet exercice
permanant va hypertrophier le cou et cela va devenir caractéristique de leur enfant. C’est
la fonction quelle l’organise qui va développer celui-ci

Charles Darwin se différencie de son collège Jean-Baptiste Lamarck, qui lui était partisan du
transformisme pour expliquer l’évolution des espèces. Le transformisme est l’idée que lorsque
les organes servent à remplir une fonction, ils se transforment.
Exemple : Les girafes qui tendent le cou pour attraper des feuilles vont finir par avoir un long cou.

31
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

L’explication de Darwin, elle, repose sur l’idée de la sélection naturelle.


Exemple : Il y a une population de girafes avec des cous plus ou moins longs, et seules ayant un
long cou pourront subsister, car les girafes au cou court sont moins adaptées à la savane.
Le trait génétique du long cou a permis à certaines girafes de subsister et à marginaliser d’autres
types de girafes.

Darwin va dire que ce n’est pas génétique, cela ne va pas se transmettre. Il va dire que survit les
girafes, qui avec une légère variation génétique. Les court cou vont mourir et après des
milliers d’années, il ne va que rester des long coup.

Il n’y a pas de girafe plus performante qu’une autre : la sélection naturelle opère de manière
aveugle en sélectionnant les girafe les plus performante. Faible variation génétique +
environnement qui fait que voila

A. Herbert Spencer (1820-1903)

Dans la foulée de Darwin, certains vont dire que si l’on intervient dans la sélection des espèces,
la lutte que les gens se livrent les uns les autres, on vient au secours d’être en danger, on fait
que retarder l’échéance de leur extinction : cela va affaiblir la communauté, c’est voué à l’échec.

A partir de cette idée de Darwin s’est popularisée la thèse (darwinisme sociale) selon laquelle
l’État doit laisser l’économie s’opérer sans s’y interférer, car c’est la meilleure façon de
permettre aux plus compétents d’émerger victorieux de cette sélection naturelle.
Herbert Spencer a notamment développé cette thèse. Selon lui, dans une situation où l’État
s’ingérerait trop afin d’aider les plus faibles, la société serait elle-même moins s’affaiblirait.

Il faut donc respecter cette sélection naturelle dans les sociétés humaines comme cela se passe
dans le monde de la nature. L’État qui voudrait retarder ou influencer cette sélection
naturelle ne ferait que retarder l’inévitable et provoquerait un déclin de la civilisation.

Spencer revendique donc un État minimal, qui se contente de permettre au marché de


fonctionner librement. L’État ne doit pas orienter la société vers une fin déterminée, on attend
simplement de lui d’administrer la justice.

B. William Graham Sumner (1840-1910)

Sumner conteste le fait que l’État doive intervenir pour protéger les plus faibles. Cela
affaiblit la société. Elle va être moins compétitives que les sociétés concurrentes. Cette
sélection améliore la qualité des individus qui composent la société. Il reprend les mêmes
idées que Spencer.

C. John Dewey (1859-1952)

Ce darwinisme social a rencontré beaucoup de résistances, et notamment dans le chef d’un


philosophe appelé John Dewey. Il a mis en avant plusieurs arguments contre le darwinisme
social, et en particulier deux arguments :

• A côté de la liberté négative de ne pas voir sa liberté entravée par l’état, il faut mettre
en avant une liberté positive : si on veut que les individus fassent quelque chose de leur
vie, il faut en avoir les moyens et l’état doit soutenir cela

Exemple : sélectionner les plus aptes d’une société = liberté illusoire pour les moins
défavorisé

32
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

• Le darwinisme social repose sur une erreur logique. On ne peut pas dire que la société
humaine avec ses institutions et ses acteurs économiques est comme une savane qui
sélectionne les girafes ayant un long cou.
La société humaine, elle, est construite par nous. C’est nous qui avons développé les
institutions et qui pouvons les transformer pour les rendre meilleures.
Il n’y a rien de naturel dans les institutions mises en place. On ne peut donc pas
raisonner comme si le darwinisme était transposable aux sociétés humaines.
è On a parfois tendance à naturaliser les institutions économiques et juridiques alors même
qu’il s’agit de créations artificielles et humaines.

• Nous héritons d’une société de marché fondée sur la concurrence avec intervention
de l’état relativement faible, mais on peut le transformer : devoir de ne pas accepter
que l’environnement sur lequel les individus se livrent concurrences, est figé -> Etat
providence qui va arriver.

Q1. Dans son opinion dissidente émise à la suite de l’arrêt Lochner v. NY rendu par la CS des USA,
le juge holmes considère :
- Que la majorité a fait une mauvaise application de la doctrine de Herbert Spencer
- Que la majorité a pris appui sur une idéologie économique, alors qu’elle aurait dû
s’en remettre à l’appréciation du législateur
- Que la majorité a pris appui sur une idéologie économique, avec laquelle il est en
désaccord
- Qu’il y a bien une ingérence dans les droits de Lochner mais que celle-ci est justifiée car
proportionnée à l’objectif d’intérêt général poursuivi.
-> 2e. La position de Holmes est qu’en démocratie, dans une société libre, il est normal que
différentes idéologies coexistent et le juge n’a pas à prendre position entre-elles. Face à la
compétition d’idéologies, ce sont les processus de démocratie qui doivent l’emporter. Holmes
ne croit pas qu’il y ait une seule vérité que le juge pourrait imposer dans l’exercice de son rôle.
Il ne dit pas que Spencer se trompe, il dit juste ce n’est pas le rôle du juge de se positionner sur
des controverses, il doit laisser la marge d’appréciation au législateur et doit s’en tenir au
contrôle manifeste. Holmes est le juriste le plus proche de la philosophie pragmatiste.

Q2. Le darwinisme social est :


- Une application de l’enseignement de Charles D. aux sociétés humaines
- Une utilisation abusive de l’évolutionnisme de D.
- Une dimension sous-explorée de l’œuvre de D.
- Une doctrine juridique qui conduit à sacraliser la liberté contractuelle
-> 2e. Quand on discute l’évolution par rapport au monde naturel, on ne peut pas passer du
monde naturel à celui des institutions humaines. La savane sur laquelle évolue les girafes n’a
été voulue par personnes. Mais les sociétés humaines a été voulues par nous. Grosse erreur des
darwinistes qui est d’associer les deux, le monde des sociétés humaines n’est pas le monde
naturel, on peut en changer et si on veut devenir une société plus exclusive. La grande
mystification des darwinismes est de dire quelle marché ne peut être changé alors que chacune
des normes du marché ont été voulues et peuvent être transformées. Rien n’est inévitable.

Section 4. Conclusion sur le libéralisme


Le libéralisme est une démarche juridique, économique et culturelle qui partait généralement
d’une intention de mettre fin aux sociétés rigides dans lesquelles les individus voyaient leur
trajectoire définie par les circonstances de leur naissance. Il fallait libérer l’individu de tout cela.

33
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Finalement, cela a débouché sur une société qui interdit parfois à l’État d’œuvrer en plus de
l’intérêt général, qui sacralise les libertés économiques au point de paralyser les actions étatiques,
et qui conduit à transformer la société de manière très contestable.

34
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 3. L’affaissement du libéralisme et la


maturation de l’État providence
On ne peut pas comprendre le droit sans avoir quelques bases sur les évolutions qui ont eu lieu.

Section 1. Révolution dans les sciences : géométrie non-euclidienne et


théorie de la relativité
Le moment moderniste est un moment ou la rationalité libérale du 19e siècle a été interrogée
car on s’est rendu compte, dans toutes une série de domaines, de l’urgence de repenser les
anciens dogmes à partir desquels l’on réfléchissait la vie en société.

Cette révolution moderniste qui se situe autour des années 1890-1920 a sa source dans les
évolutions auxquelles on a assisté dans les domaines de la géométrie et de la physique.

Emmanuel Kant partait de l’idée que la seule géométrie concevable était la géométrie
euclidienne. C’est la géométrie que l’on enseigne en secondaire. Elle est développée à l’origine au
5e siècle avant J-C par Euclide. C’est une géométrie qui part de certains axiomes.
Exemple : Nous avons appris en géométrie, que par tout point passe une et une seule parallèle à
une droite, que les 3 angles d’un triangle font 180°, …
è Tout ça, ce sont des dogmes de la géométrie euclidienne.

C’est une géométrie à ce point banale que quand on parle de géométrie, on pense à celle-là. Kant
ne concevait pas qu’il puise en aller autrement. Penser l’espace, c’était penser un espace
tridimensionnel. Il ne s’agit pas de prouver que c’est ainsi que l’espace doit se concevoir, c’est une
donnée présupposée, c’est la condition même pour penser l’espace de penser dans les termes
hérités de la géométrie euclidienne. Selon Kant, la géométrie est une science qui détermine
synthétiquement et pourtant à priori les propriétés de l’espace.

Que doit donc être la représentation de l’espace pour qu’une telle connaissance en soit possible ?

Il faut que ce soit une intuition qui se trouve en nous a priori antérieurement à toute perception
d’un objet. Par conséquent, c’est une intuition pure et non empirique. Les compositions
géométriques sont apodictiques, elles impliquent la conscience de leur nécessite. Elles ne peuvent
donc être des jugements empiriques ou d’expérience, ni en être conclues. L’espace euclidien est
la condition de possibilité d’une pensée de l’espace. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit
trouver dans la nature. Il n’y a pas d’autre manière de penser. Il y a une connaissance qui est a
priori et qui nous est commune.
è Cette géométrie fonctionne sur un espace plat, mais correspond à une série de présupposé,
pas éternellement valide. On a l’impression que ce sont des lois de la pensée tellement
ça fonctionne et c’est utilisé depuis longtemps.

Cette manière de concevoir la géométrie était banale à l’époque. A la fin du 19e siècle, 3
générations après Kant, une autre conception a émergé avec des auteurs comme Bolyai et
Lobatchevski. Ils sont les premiers à réfléchir une géométrie post-euclidienne. Ils pensent un
espace qui ne répond pas aux paramètres d’Euclide.
è Des auteurs vont commencer à proposer une géométrie post-euclidienne.

A. Georg Bernhard Riemann (1826 – 1866)

35
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Riemann va faire une thèse sur la géométrie non euclidienne. Il développe toute une série de
modèles géométriques non-euclidiens où les lois d’Euclide ne fonctionnent pas.
Exemple : Une triangle peut faire non pas 180° mais 270°. Dans une géométrie sur une sphère,
espace non euclidien, cela fait 270°, et ça marche.

Ces auteurs montrent qu’il y a d’autres manières de construire un système géométrique dès
qu’on sort des présupposé d’Euclide, à partir d’autres postulats de départ.

Cela va au-delà de la sciences. On interroge les anciens dogme, les système de pensées hérités
peuvent être réinterrogé et on peut leur redonner une fraicheur

è On veut réinterroger le dogme traditionnelle. Tous les dogmes qui auparavant


dictaient notre manière de penser. On va construire de modèles alternatifs en se
demandant si les systèmes hérités ne doivent pas être radicalement réinterrogés.

Exemple : La théorie de la relativité d’Einstein. On ne pensait qu’il n’y avait qu’une physique, celle
de newton. Einstein développe une théorie de la relativité qui va révolutionner et qui va être
parfois plus utile, comme pour prévoir une éclipse solaire (il va trouver quand l’éclipse grâce aux
outils de la physique relativiste. La théorie générale de la relativité d’Einstein va s’avérer plus
utile que la physique de Newton.

B. Friedrich Nietzsche (1844 – 1900)

En philosophie, certains auteurs vont mettre en avant l’idée qu’il n’y a pas sur la réalité une
seule perspective valable. Il y a une pluralité de perspectives qui peuvent être adoptées à
propos d’un même objet. Le plus représentatif de cette théorie émergeante, c’est Nietzsche.

Derrière le slogan de la mort de Dieu, il dit qu’il y a une infinité de manières de définir le réel, une
infinité de perspectives valables. Il débouche sur un perspectivisme qui peut être parfois vu
comme une sorte de nihilisme ou d’anarchiste. On a en même temps que la géométrie non
euclidienne, la physique einsteinienne, on a en philosophie cette idée qu’il y a différentes
manières de comprendre le monde. Il n’y a pas une seule perspective qui doit s’imposer.

Section 2. Révolution dans le savoir : la perte de confiance dans les vérités


éternelles
Ceci traduit une nouvelle épistémologie. C’est à cette époque qu’émergent des auteurs, Henri
Pointcarré, Gaston Bachelard et Henri Bergson qui vont nous inviter à réfléchir la réalité dans une
démarche plus relativiste, perspectiviste.

A. Henri Pointcarré (1854 – 1912)

Henri Poincaré écrit un ouvrage, la Science et l’Hypothèse, en 1902. Partant de la géométrie, il nous
dit que la question n’est pas de savoir si la géométrie euclidienne est plus vraie ou non
qu’une autre. C’est une géométrie parmi d’autres. Simplement, la géométrie euclidienne sur
laquelle on se base depuis 25e siècle, est la plus commode à utiliser. Elle nous sert à nous
orienter le mieux dans le monde. Elle mérite qu’on lui accore la primauté, mais il y a d’autres
géométries alternatives.

B. Gaston Bachelard

36
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

De même, dans l’œuvre de Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, de 1934, il y a une remise en
cause de l’idée qu’il y a une seule manière de penser qui précède tout contact avec le réel. Il y a
différentes manières de rendre compte du monde. Nous devons reconnaître la relativité des
théories, ce pluralisme des théories avec lesquelles le réel est appréhendé.

è Il dit qu’il n’y a pas de loi de la pensée, on ne nous impose pas une manière de pensée,
on peut développer des système de pensée concurrentes et aucun ne doit avoir la
priorité sur les autres. Toutes perspectives est légitime

A la différence de ce que dit Henri Pointcarré une génération plus tôt, Bachelard nous dit qu’il
n’y a pas de raison d’accorder une primauté à l’épistémologie euclidienne. Toute théorie vaut
n’importe quelle autre, tout dépend de l’usage que l’on veut en faire.

Bachelard dit que la géométrie non-euclidienne n’est pas faite pour contredire la géométrie
euclidienne. Il ne s’agit pas de dire que la géométrie euclidienne se trompait. Il faut reconnaître
la pluralité des théories qui peuvent coexister. En fonction des besoins du moment, on va
recourir à tel ou tel système de pensées. Il n’y a pas une seule théorie adéquate à rendre compte
du réel.
è Il s’agit de facteurs adjoints. Il aurait pu parler de polygéométrie, une diversité de
manière de décrire le réel. Selon les besoins de l’instant, on va privilégier une théorie
sur l’autre.

On ne croit plus en l’existence de vérités éternelles. On ne croit plus en ce fétichisme de la réalité


une. On reconnaît la légitimité d’aborder la réalité sous des angles différents. C’est ce pluralisme
qui émerge. C’est une manière d’encourager l’imagination à se déployer.

C. Henri Bergson

On remet en cause les anciens dogme et le plus intéressant pour nous est la manière dont Bergson
va être influencé par ce mouvements.

Il est en avance sur nous. Sa question centrale, c’est l’innovation, la création. Penser le mouvement,
c’est renoncer à rechercher des lois éternellement valide.

Ce qui est intéressant c’est que c’est à cette époque qu’émerge le philosophe Henri Bergson. Il est
professeur au Collège de France. Il fonde son travail théorique sur l’idée que tout ce que nous
voulons dire de la réalité aboutirait à faire une capture d’écran mais nous devenons par
conséquent incapables de décrire le changement, le mouvement, l’évolution.

Un de ses livres s’appelle L’évolution créatrice. Un autre, c’est La pensée et le mouvant. La science
est constamment à la recherche de lois valant pour toute éternité. Il nous dit que plus nous
voulons développer des lois intangibles, plus nous identifions les régularités, on se sent
incapable de sentir le neuf, on renonce à la possibilité d’être surpris.

Ce qu’il dit est important pour un juriste. Quand on enseigne une matière du droit, on enseigne un
système de règles. Plus on présente le droit comme un système cohérent, structuré et les règles
comme agencées les unes avec les autres, moins parfois on perçoit la vie du droit dans sa
dynamique et son évolution. Anticiper ces évolutions, comprendre la direction dans laquelle
le droit évolue, nous permettra d’être des juristes plus lucides.

D. Paul Richer : « Diagramme d’un corps descendant »

37
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est à ce même moment, que l’on se pose la question de savoir comment représenter les
mouvements des corps dans les arts. En 1895, Paul Richer pose cette question. Il faut
représenter le mouvement sur un dessin qui est figé. Il dessine la marche.

Il part du diagramme d’un corps descendant : sur une surface immobile, en 2D, comment
représenter le mouvement, On met sur la même surface, plusieurs instants, pour représenter le
mouvant.

E. Marcel Duchamp : « Nu descendant un escalier », 1912

En 1912, Marcel Duchamp peint son tableau célèbre « Nu descendant un escalier ». Comme la
toile ne bouge pas, la seule manière de représenter le mouvement c’est de montrer différentes
silhouettes. L’œil les suit et imagine le mouvement. On cherche à réconcilier l’immobilité de la
toile avec la fluidité du mouvement.

Comment peut-on représenter quelque chose d’immobilisé, en quelque chose qui bouge ?

Si on ouvre un manuel de droit, il y a deux types de textes : 95% décrit le système des règles, 5%
saisit le mouvement, et arrive à dire comment cela a et va évoluer.
è Décrire un système de règle et saisir le mouvement est très dur.

La succession d’images fixes permet de créer l’illusion du mouvement.

F. Conclusion relative au modernisme

On remet en cause les anciennes manières de pensées, on accepte également qu’il y a une
concurrence entre manières de pensées, sans hiérarchie, pluralisme de vérités dans la
représentations du monde, qui est une forme de modeste, on reconnait qu’il n’y en a pas qu’une.

è Avec ce déclic, on va comprendre le pragmatisme

Section 3. Naissance du pragmatisme : James & Dewey


A. Généralités

On va vers une philosophie qui renonce à construire un système.


Exemple : Descartes, à partir de son « je pense que je suis », construit un système philosophique.

L’ambition de la philosophie n’est pas nécessairement de construire un système. C’est voué à


l’échec. Tout système va être déjoué par l’évolution du réel, par l’événement qui vient nous
surprendre. C’est difficile à expliquer car c’est une sorte de méthode de pensée/ manière de se
positionner au monde et ce n’est pas une doctrine.
C’est le pragmatisme. Il trouve sa source dans des auteurs comme James et Dewey. Il faut le
comprendre sous le mode d’un déclic.
Le pragmatisme est l’idée qu’aucun d’entre nous, aucun des membres d’une collectivité n’a un
accès privilégié au réel. Le plus grand des génies à une perspective sur la réalité différente de la

38
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

noter. La vérité n’est pas une, elle est multiple. Pour progresser dans notre compréhension du
réel, on doit combiner ces différentes perspectives.

Exemple : L’intelligence collective. Elle donne son modèle à la seconde génération de l’intelligence
artificielle. Elle consiste à mettre en réseau des ordinateurs plutôt que d’avoir un ordinateur
puissant. L’intelligence collective part de l’idée qu’il vaut mieux avoir une pluralité de points
de vue qui accélèrent l’apprentissage collectif, que de prétendre développer une seule ligne
de pensée.

Le pragmatisme part de deux influences :

• La naissance de la théorie des probabilités et de la science statistique. C’est une


théorie mathématique qui a sa source d’un grand mathématicien français, Pierre-Simon
Laplace. Au début du 19e siècle, il écrit sa théorie analytique des probabilités. Il nous
dit en substance que l’incertitude dans des cas individuels peut être compensée dans
une approche qui prend en compte un grand nombre de cas.

Par exemple, on ne sait pas si Pierre aura la grippe cette année, mais que sur 170
personnes, 30 auront la grippe -> l’incertitude sur un individu est remplacée sur la
prévisibilité sur un grand nombre.

Adolph Quetelet, un belge, a inventé la science statistique. C’est la science de l’état.


Comment un gouvernement peut-il réguler la société ? Il peut le faire parce qu’il dispose
d’outils probabilistes, statistiques, permettant sur une population entière d’anticiper
les évènements qui permettent à l’état de bien gouverner. Gouverner c’est prévoir
grâce aux lois statistiques. Il met en place l’idée de l’homme moyen. Il n’existe pas. Mais
c’est l’homme statistiquement moyen.
Exemple : Sur l’ensemble d’une population donnée, il faudra x dose de vaccin, x lit
d’hôpital.

è La science statistique émerge et qui compense l’incertitude individuelle dans des cas
particuliers par une compréhension des probabilités sur des grands nombres.

• La théorie de l’évolution. L’enseignement de Darwin c’est que l’idée qui émerge un


moment donné, qui paraît devoir l’emporter sur toutes les autres, n’émerge qu’en
raison d’un certain évolutionnisme dans le champ des idées mais ne signifie pas que
cette idée est la seule valable et qu’elle va être éternellement valide.

è Tout dépend du contexte, à un moment donné, elle satisfait aux attentes de la population,
elle sert au mieux les fonctions qu’on voudrait qu’elle remplisse. Il faut accepter qu’elle
puisse être erronée, c’est qu’une perspective parmi beaucoup d’autres.

L’environnement dans lequel l’idée émerge va ou non faire que cette idée devient
dominante. Mais, cette dominance n’est que provisoire. Elle dépend de l’environnement
qui peut changer. Si l’environnement est différent, c’est peut-être une tout autre idée
qui peut gagner l’adhésion de la majorité.

Exemple : La raison pour laquelle telle ou telle espèce animale, comme les girafes au long
cou, au fond dominaient l’évolution c’est que ce sont les espèces qui ont survécu le mieux
au condition de vie dans les savanes.

39
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Les pragmatistes disent deux choses :

- Personne ne peut prétendre avoir un accès certain à la réalité, à la vérité. Si un


grand nombre d’opinions coexistent, statistiquement on peut parier que certaines
erreurs vont corriger des autres.

- Si une idée paraît saugrenue et d’autres dominantes, c’est parce que dans le contexte
dans lequel les idées ont été énoncées, les idées dominantes ont été valorisées,
les autres écartées comme utopistes. Rien ne dit que l’environnement ne va pas
changer et que ces idées utopistes ne vont pas à leur tour devenir dominante.

Le pragmatisme dit que la vérité est toujours relative et que la démarche philosophique ne doit
pas consister à tenter de construire un système valable une fois pour tous.
La philosophie est une démarche procédurale consistant à accepter que l’on peut se tromper et
qu’il faut constamment se mettre en position d’apprendre.

B. Benjamin Peirce (1809 – 1880) et Charles Sanders Peirce (1839 – 1914)

Il a inventé le terme « pragmaticism ».

Benjamin Peirce est un philosophe à Harvard. C’est un des fondateurs du pragmatisme. Son fils,
Charles Sanders Pierce a continué la tradition. La célébrité des pères et fils Pierce vient
notamment de leur implication dans une affaire en justice concernant le testament d’une
dame riche, la veuve Howland. Elle est décédée et dont l’authenticité du testament était
contestée. On ne savait pas si le testament était valable. On avait la signature de la veuve en bas
mais on se demandait si cette signature était bien authentique.

Les Pierce ont proposé d’examiner des centaines de signatures de la veuve. Ces signatures ne sont
jamais identiques. Elles sont distinctes par des menus écarts. Mais si on prend des centaines de
signatures, il y en a un type, une moyenne. Si sur le testament, la signature est proche de cette
moyenne, on peut présumer que le testament est authentique.
Ils apportent leur concours à l’identification du testament à partir de la démarche statistique.

La conception de la vérité est représentée par la métaphore de la cible. Différentes


propositions cherchent à l’atteindre. Aucune flèche ne sera parfaitement au milieu de la cible. Si
on trace des lignes entre les différentes flèches, on va approcher le centre.

Pour les pragmatistes, la vérité c’est cela. Nul ne peut prétendre détenir cette vérité, mais tous
peuvent prétendre y contribuer dans une démarche qui favorise le pluralisme des
perspectives, la démocratie, la prise en compte des points de vue de tous et toutes dans la
conscience ou chacun se trouve de n’avoir que des hypothèses à formuler sans pouvoir être
certain de détenir la vérité. C’est au fond la traduction dans le domaine de la pensée
philosophique, de ce modernisme qui fait qu’il n’y a plus de dogme, de vérité unique.

è La reconnaissance de la pluralité des perspectives et la recherche collective


démocratique ouverte à la réalité va permettre d’approcher la vérité.

Bien entendu, cette conception du savoir, cette rupture épistémologique a des conséquences
importantes pour la théorie démocratique. Cette démarche pragmatiste conduit à jeter le
doute sur l’approche technocratique des problèmes de société. La technocratie c’est le
pouvoir des experts, de ceux qui savent qui prétendre savoir.

A partir de leur monopole de savoir, ils dictent leur solution ou leur volonté à la société tout
entière. C’est exactement ce dont les pragmatistes se défient.

40
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ils opposent à la technocratie à démocratie. Bien que les experts puissent participer à la
démocratie et mettre en avant des arguments qu’il appartiendra à chacun d’évaluer, la société ne
doit pas se laisser piloter par une perspective unique fut-elle bien informée. Ils insistent sur
la démocratisation de la prise de décision, à l’inverse de la gestion par un petit nombre
d’experts.

Les pragmatistes mettent en cause l’idée qu’il y a des lois de développement historique. Les
révolutionnaires sont dans des situations paradoxales car ils font l’histoire, ils innovent mais en
même temps ils disent qu’ils ne font qu’accoucher l’histoire de ce qu’elle a en elle. Il y a des lois
historiques dont nous ne sommes que les représentants. Les pragmatistes disent qu’il n’y a pas
de loi de développement historique et que nous sommes acteurs de notre propre destin.
C’est la liberté et l’autonomie.
è On privilégie la politique et l’action sur la recherche

Enfin, ils disent que plutôt que l’imposition par le haut de certaines solutions, il faut autoriser
une délibération aussi large que possible dans toute la société pour trancher les questions.
Pourquoi est-ce qu’on évoque cela ? -> On tente des délibérations à partir du bas

Le passage entre la philosophie pragmatique et le droit s’est fait au sein du club de métaphysique :
des intellectuelles se sont retrouvés sur les différents campus. On retrouve Holmes, par exemple.

Dans les années 1860, on a une montée aux USA de cette pensée pragmatiste qui va influencer
l’économie et le droit, notamment à travers le groupe d’intellectuels « le club métaphysique ».

v Affaire Lockner c. N-Y et l’opinion dissidente de Oliver Wendell Holmes

Les règles qu’on demande au juge d’appliquer sont des tentatives d’influencer le réel, fondé sur
diverses interprétations du réel, qui peuvent être fausse.

Holmes tire comme conséquence que le juge doit constamment favoriser la recherche de solutions
nouvelles, dans une sorte de dialogue avec le législateur.
Holmes se méfie de toutes prétentions de qui que ce soit à connaitre le réel. C’est la démocratie
qui va gagner.

La première phrase du premier livre qu’il publie : le mérite de la Common Law, c’est qu’on
tranche le litige d’abord et qu’on trouve le principe après.
On procède par induction : on résout une série d’affaires et peu à peu vont se dégager de la
masse, un principe que l’on peut induire. C’est l’expérience accumulée qui permet la logique à
l’œuvre.

è La vie du droit est faite de litiges que l’on a tranché.

Il dit que la majorité a tranché l’affaire sur base d’une certaine idéologie économique qu’une
grande partie du pays ne partage pas.

En quoi cela révèle l’influence qu’a exercé sur Oliver la pensée pragmatiste ?

Dans cette affaire, la Cour suprême constate l’inconstitutionnalité d’une législation à N-Y qui veut
interdire aux employés du secteur de la boulangerie de travailler plus de 10h par jour. La Cour dit
que ce n’est pas compatible avec la liberté contractuelle et la liberté d’entreprise. Oliver dit que la
Cour suprême excède leur pouvoir.

41
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

La Cour suprême dit dans son arrêt que le législateur s’est trompé, il a pris parti en faveur des
employés. Elle censure cela car l’économie se portera mieux si on laisse faire le marcher.
Oliver dit qu’il ne sait pas si le législateur s’est trompé mais il dit qu’il ne sait pas en tant que juge
substituer sa propre conviction à celle du législateur qui lui à la légitimité de l’élection.

Il ne dit pas qu’il a une meilleure théorie à proposer, il dit que nous ne savons pas et que dès
lors il faut faire confiance au législateur et au débat démocratique. Il fait confiance au
processus démocratique des décisions. Holmes est un juriste pragmatique. Il n’a pas un
programme politique, il dit juste que les juges doivent s’effacer lorsqu’il y a eu une délibération
démocratique. Il n’y a pas de raison que les 9 juges de la Cour suprême ait un accès à la vérité
meilleur que les instances délibératives élues.

Ce pragmatisme est renforcé par les circonstances de sa biographie. Il a été blessé deux fois à
la guerre, il est revenu avec un vaccin contre tout dogmatisme et contre toute idéologie.
Toutes ses prises de position vont être influencée par cette conviction qu’est la sienne : Il faut se
méfier des dogmes. Par conséquent le meilleur service que les juristes peuvent rendre à la
société est d’enregistrer la manière dont le droit évolue spontanément mais surtout pas
d’imposer une vue dogmatique.
è Il est méfiant vis-à-vis des idéologies. Il n’a pas une vue du droit figée, le droit doit
s’adapter aux circonstances changeantes de la vie, si ces dogmes font obstacles à la
meilleure solution.

On dit de Holmes qu’il est agnosticisme. Le travail de juriste est un travail qui consiste à se
mettre à l’écoute de la vie du droit dans tout ce que celle-ci peut avoir d’évolutionniste, de
créatisme.

Pour lui, le bon juriste est celui qui est immergé dans le droit et qui se laisse porter par son flux.
Holmes se méfie des utilitaristes qui prétendent avoir une seule manière de calculer la
bonne solution. Il se défie de ce genre de calcul, il ne sait pas et fait confiance au processus de
délibération démocratique parce qu’il ne pense pas détenir une meilleure vérité.

v Christopher Columbus Langdell et Holmes

Une des premières batailles de Holmes, c’est contre son doyen Christopher Columbus Langedell
de la faculté de droit en 1879.
Ce doyen a fondé la faculté de droit de Harvard. Avant cela le droit n’était pas enseigné à
l’université. Il disait qu’au fond, les décisions de justice sont aux juristes ce que les plantes sont
aux botanistes. Les cas de jurisprudence, c’est comme les plantes, c’est le matériau sur lequel
les juristes doivent se former.
Il a eu idée de faire du droit une science.

Cela consiste à prendre le matériau jurisprudentiel et à partir de ce dernier, de définir un


système de droit. Cette approche rationalisante du droit était contestable car rien ne permet de
justifier de prendre ce point de départ plutôt qu’un autre. Dans une critique du traité que Holmes
écrit, ce que fait Langdelle est merveilleux, et c’est le plus grand théologien du droit vivant.
L’hommage est ambigu car en identifiant un système de règle qui se dégage de la jurisprudence,
Langdell tombe dans une sorte de dogmatisme. On est obligé de sélectionner des arrêts,
d’identifier la règle et l’exception. On fait comme si une seule explication peut être donné alors
qu’il y a un ensemble de lecture qui peut aboutir à de système de règles très différentes. Il ne faut
pas tomber dans la théologie juridique, il faut accepter que la jurisprudence soit le choix fait par
des juges voulant choisir en équité. Langdell a privilégié la pensée, le système, il a voulu figer dans
un système de règle la vie du droit qui est pourtant une évolution.

42
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Il a privilège qu’un seul type de règle, c’est un choix politique. (Prendre possession du P, trad
ou progressiste, protéger la partie faible)
è Il n’y a pas une seule manière de suivre, on peut choisir des interprétations qu’on lui
donne. -> Tout le travail du bon juriste va consister à convaincre le juge de lire de telle ou
telle manière le même matériau juridique

Dans la critique de Holmes qu’il va adresser à son doyen, il va dire que son doyen est un
théologien du droit parce qu’il ne reconnait pas que sa perspective est une perspective parmi
beaucoup d’autres.

v John Austin, The Province of Jurisprudence Determined

Un autre exemple du pragmatisme de Holmes est celui-ci. Il ne faut pas retenir des faits, il faut
juste essayer d’avoir le déclic quant aux différentes manières d’aborder le droit.

On est dans un contexte où émerge la responsabilité sans faute.


Exemple : les employeurs pour les accidents du travail des employés.

è Cette responsabilité oblige à réparer le dommage causé, une personne qui s’est comportée
de manière parfaitement prudente.

Pourquoi est-ce que cette idée de responsabilité sans faute à émergé dans le milieu du 19ème siècle ?
Parce que nous sommes dans une société industrielle, on a des fabriques qui se développent et
qu’on considère normal que si une usine explose et cause dommage aux maisons qui l’entourent,
le propriétaire de l’usine paye car il a le capital pour compenser les familles. On doit donc inventer
un nouveau concept aux besoins de la société industrielle naissante.
è C’est lié aux accidents industriels, même si l’employeur n’a commis aucune faute. Il dégage
du profit, il faut travailler les personnes pour le bénéfices de l’entreprise -> considérations
pragmatiques.

Certains auteurs disent que cela n’est pas conforme à ce que la science du droit doit tolérer. À
partir de la théorie de John Austin, théoricien du droit anglais, certains juristes disent que l’idée
de responsabilité civile objective, elle n’a pas sa place dans le droit. Pourquoi ?

Parce qu’il décrit le droit comme ayant sa source dans l’ordre du souverain adressé à ses sujets, le
commandement de l’autorité. Ici, l’injonction que le régime de responsabilité nous fait, la manière
de se comporter une fois le régime introduit, il n’y a pas d’ordre à suivre car quoi que l’on fasse,
on va voir sa responsabilité engagée si on est P d’usine, par exemple
Parce que le droit, au départ, c’est l’ordre du souverain adressé à ses sujets, le décret royal. Les
juristes se disent que le concept de responsabilité objective n’a pas sa place dans le droit car le
droit c’est un commandement auquel on doit obéir. Ici, il n’y a pas d’ordre à suivre car quoi
que l’on fasse, on va voir sa responsabilité engagée si on est P d’usine, par exemple

è Au nom d’une certaine conception du droit, les juristes vont dire que la responsabilité
civile n’a pas sa place dans le droit.

Holmes va dire que pour des raisons pragmatiques, on veut qu’il soit indemnisé. Les règles
juridiques découlent du dogme de ce que le droit doit être, et cela évolue.
Holmes va faire l’éloge de cette responsabilité en disant que le droit doit s’adapter aux
besoins de la société industrielle naissante. Il n’a aucune pudeur à ce que l’on décrète qu’il peut
exister des situations où la responsabilité civile peut être engagée, même en l’absence de faute.
C’est une démarche pragmatiste qui refuse de se faire dicter des solutions à partir de certains
dogmes.
è Les règles juridiques découlent du dogme de ce que le droit doit être, et cela évolue.

43
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Section 4. Le modernisme dans le droit : réalisme juridique américain et


« juristes inquiets » en France
Dans cette démarche pragmatiste vont s’inscrivent des juristes critiques. Ils vont prolonger la
démarche pragmatistes et moderniste dans le droit.
Les juristes influencés (les américains et les français) par ce mouvement se sont appelé
respectivement les réalistes juridiques (les américains) et les réalistes inquiets (les français).

Vidéo 1 : Introduction au Réalisme Juridique

Réalisme juridique américain : mouvement critique du droit dvpé au sein des facultés de droits
aux USA. Influente dans les années 1910/20, mais c’est à partir de 1930 et d’un article de
Llewellyn qu’il s’est vu doté d’une unité et d’un label, « le réalisme juridique ».

Il se décompose en trois types d’approches :


1) Démarches empiriques : examiner comment le droit était appliqué dans les faits :
distinction entre les « paper rules », les règles énoncées dans les textes et les « real rules »,
les règles appliquées dans les faits.

2) Comprendre les liens entre le marché, les rapports de force qui s’y nouent, l’importance
que prennent les sociétés de + en + influentes et de critiquer l’échange contractuelle et les
rapports de force : R.L. Hale -> Analyse économique du droit.

3) Déconstruction du rôle du juge : démarche des réalistes = mettre en cause une


conception déclaratoire du jugement : lorsque le juge énonce le droit, il déclare ce qui
était déjà présent dans le droit, le juge ne créé rien. Tout jugement j rendu ne fait
qu’énoncer ce qui était prévisible. Il n’invente rien. -> conception déclaratoire du
jugement juridique. CSQ : dès qu’une nouvelle règle est annoncée par le juge, elle n’est
pas censée être nouvelle donc elle est rétroactive. Dans un arrêt de 1932, la CS des USA,
dit que le « perspective overuling », le précédent judiciaire, comme le juge crée le droit,
donc risque de prendre les parties comme surprise, ne pourra s’appliquer qu’à l’avenir.

Llewellyn va thématiser en 1960 la démarche des juristes réalistes. Tout ce livre est une
critique du modèle classique de la règle, de la conception déclaratoire du jugement
juridique et il propose de comprendre autrement la manière dont le juge fonctionne
et comment les juridictions interprètent et utilisent le droit à des fins de politiques
juridiques.
Au début du 20ème, le RJ est accueillie avec faveur dans le milieu juridique, nous sommes
dans une phase avec bcp de precedant, la juridprudence d’appel est publiée de manière
systématique. On se dit qu’on peut trouver la solution aux problèmes au sein de celle-ci. Il
y a moyen de justifier toute solution à laquelle on veut aboutir, la L d’appréciation du juge
devient une évidence et il faut dvper une nouvelle théorie qui redonnerai une certaine
confiance/logique dans la manière où le système juridique opère.

Résumé : Contrairement à la fiction juridique dominante selon laquelle le juge n’invente rien, le
juge créé ici le droit tout le temps et son interprétation est de moins en moins prévisible.
À mesure qu’il y aura de plus en plus d’arriérés jurisprudentiels, le juge va puiser dans la
jurisprudence la solution qui lui convient le mieux.

Vidéo 2 : La critique de l’interprétation judicaire par les réalistes juridiques

44
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

En 1928 : article d’Oliphant : opposition entre deux manières pour le juge de se rapporter au
precedant judiciaire. Ces deux manières qu’il a d’utiliser le precedant judiciaire dans ses
jugements :
- C’est ce qu’il appelle le « stare dectis », fait pour le second juge, qui reçoit la solution
du premier qui énonce la doctrine, auteur du raisonnement, de reprendre la règle
énoncé par le juge, sans se poser la question si la règle a répondu au cas d’espèce, et
de reconnaitre au premier juge le pouvoir de formuler le précédant. Perversion
du modelé classique du precedant judiciaire qui est le stare decisis
- Il y a également le « stare decisis », on ne donne pas au premier juge une autorité pour
énoncer la règle qui va lier ses successeurs, mais de reconnaitre que le premier juge a
pris une décision, dans un contexte particulier, et il a implicitement fait appel à une
certaine conception des principes, et le second juge doit remettre le precedant dans le
contexte de l’affaire, il y a une + grande L d’interprétation pour le second juge qui
va devoir interpréter le comportement qu’a eu le premier juge. Il est possible
d’induire différents principes sur bases des precedant judiciaire. Le précédant ne
lie pas nécessairement le deuxième juge.

è Perversion du precedant judiciaire. Mais il y a quand même bcp de déficience pour la


doctrine classique également. Lorsqu’un juge a pris une décision, il y a une infinité de
principes qui peuvent venir à l’appui de cette décision -> Liberté très considérable :
doit choisir s’il doit se trouver très proche de la décision ou approche éloignée et la
signification, la doctrine juridique qu’il va tirer de cette décision, qui est censé le lier

Exemple : décision qui confronte une juge sur la question de savoir si un père a convaincu sa fille
de rompre ses fiançailles avec un individu doit réparer les dommages causé sur le fiancé déçu ou
on contraire si cette responsabilité est à exclure.
Comment interpréter cette décision ? Si on part du rapport entre les parents, on se demande par
exemple si ce n’est pas aux parent de prendre cette décision à 2. On peut dire que le choix des
fiançailles est trop intime pour impliquer quelconque responsabilité.

L’intérêt est de comprendre la sous-détermination de la règle appliquée par l’application


qui en est faite : lorsqu’il y a l’application d’un principe, celui-ci peut être défini de manière plus
au moins large, différentes règes peuvent expliquer le même dispositif vis-à-vis d’un jugement et
la liberté d’interprétation judiciaire est une liberté d’interprétation considérable.

Carl Llwelinz vient faire le bilan des acquis du RJA, en mettant l’accent sur l’interprétation du droit.
Il remarque que lorsqu’une règle est formulée par le législateur, l’auteur est confronté aux mêmes
dilemmes : soit il adopte une règle précise défini de manière étroite et risque que cette
règle soit vite dépassée par les faits, il faudra adapter la règles aux évolutions, soit l’auteur
adopte un principe très vague et général et qui laisse une L à l’interprète d’en déterminer
les circonstances concrète dans un cas bien particulier.

Il y a selon lui une nouvelle manière de comprendre le raisonnement juridique à partir de quelque
thème qui revienne dans son travail : 4 thèmes récurrents dans son travail :
- Le juge ne peut plus chercher refuge dans le modèle de la règle. Dès lors qu’il a une L
réelle d’interprétation Le juge est forcé d’accepter de rentrer dans des arguments de
types politiques, le juge doit accepter la R qui est la sienne, d’adapter l’évolution
du droit à l’évolution de la société, de faire des choix que le législateur n’a pas
fait, sur base d’un raisonnement pas très différent de celui que le législateur
pose en opportunité
- Le juge doit appliquer la règle en tenant compte de l’objectif qu’elle poursuit :
conception instrumentale de la règle : règle = moyen au service d’une fin. Si la règle ne
sert plus la fin, si elle est dépassée par l’évolution des faits, il doit faire primer l’esprit

45
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

de la règle sur l’interprétation littérale de celle-ci. -> mission du juge d’adopter le droit
selon les différentes évolutions de la société.
- La sécurité juridique doit être repensée : elle ne doit plus découler de la règle, qui
ne doit plus déterminer la solution qu’on va appliquer aux faits portés à la
connaissance du juge. Il y aura toujours des exceptions à côtés des règles. Le juge doit
restaurer la confiance en la justice par d’autre facteurs que cette liberté d’appréciation.
La prévisibilité peut être rétablie à condition de dire qu’il interprète une règle dan un
contexte particulier, qu’il ne fait pas n’importe quoi, de sorte qu’un avocat peut prévoir
les chances de son client d’échouer ou de réussir, non pas parce que la règle
permettrait de prévoir la solution que le juge va adopter mais pcq il est contraint par
d’autres facteurs.
- La motivation, les arguments fournis auteur de la décision doivent être traité avec des
précautions. Souvent, les vraies raisons sont de nature personnelle et politique,
des facteurs que l’avocat peut deviner et de telle sorte conseiller son client, mais ce
n’est pas la véritable explication du dispositif dans laquelle le juge s’est
aventuré.

Résumé : Les juristes réalistes disent que le juge a une responsabilité politique. Il doit assumer
les conséquences de ses choix. Il doit faire un calcul d’opportunité pour aller vers la solution
la plus conforme à l’objectif que le législateur a voulu poursuivre. Le juge doit créer pour
adapter la règle aux circonstances de chaque espèce. Ce pouvoir créateur doit être canalisé et
bien compris.
C’est le geste principal du réalisme juridique américain.

Vidéo 3 : Livre de Karl Llewellyn, The Common Law tradition. Deciding appeals

Ouvrage qui fait la synthèse de ce que les réalistes ont dit sur l’interprétation judiciaire depuis
1920. Sa thèse dans l’ouvrage est descriptive et prescriptive.

Descriptif : on a perdu confiance dans l’objectivité du jugement juridique. On ne croit plus


les fables que le juge utilise quand il prétend motiver par la règle préexistence la décision
judiciaire, le dispositif auquel le juge aboutit. Le récit classique a perdu toute capacité à
comprendre l’auditoire. Et pourtant, la décision n’en demeure pas moins prévisible, on
peut anticiper ce que le juge va faire et le rôle d’avocat de conseiller le client continue à avoir
un sens (paradoxe).

Prescriptive : Llewellyn essaie d’éclairer ce paradoxe en tentant de montrer que la prévisibilité


des décisions de justice découlent d’autres facteurs que du modèle de la règle et qu’on peut
concevoir un style de raisonnement judiciaire qui soit conforme à ce que les réalistes ont
déconstruits et aux enseignements de ceux-ci.

On peut partir de la question de la prévisibilité de la décision de justice qu’il comprend bien qu’elle
ne s’explique plus par l’application de la règle comme par le passé, ce qui explique la prévisibilité
de la décision de justice est donc que le juge soit inséré dans un réseau, un contexte qui fait
qu’il ne peut pas faire n’importe quoi.
--Exemple : à la suite d’une série de juges, le juge est dans un continuum par rapport à ce que
d’autres juges ont décidés avant lui et il sent le devoir de continuer cela. Il a aussi le jugement
qui sera porté sur sa décision par la communauté des juristes. -> doctrine

Karl met en avant des facteurs de stabilisation (14) qui restaurent la prévisibilité de la
décision de justice en dépit du modèle de la règle.
- 1e facteur est le fait que le juge appartient à une communauté de juristes qui
perpétue la tradition et qui accepte ou non certains arguments qui font ou non

46
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

parties de la tradition. Le juge est contrait par son appartenance à la communauté.


Aussi le fait qu’il y ait débat contradictoire l’oblige à ne pas faire n’importe quoi
puisque le juge doit répondre aux arguments qui lui sont exposés et s’il n’y répond pas,
ceci lui sera reproché.

- 3e : tradition même de ce que Llewellyn dit « single one answer », tradition qui dit qu’à
toute question juridique, une seule réponse possible. Cela est devenu
problématique mais pèse toujours comme une fiction qui surplombe l’œuvre du juge
comme une sorte de mythe auquel le juge doit se référé malgré lui et il est tenu, par sa
fonction, de perpétuer ce mythe ce qui lui impose une certaine discipline dans la
manière dont il s’exprime et argumente.

- Le style dans lequel le juge se place : style au sens architecturale, manière à un


moment donné dont le raisonnement juridique est formé, les qualités dont le
raisonnement doit être doté pour être convaincant et Llewellyn dit qu’entre 1860 et
1940 les juges américains étaient dans un style formel (formaliste) mais qu’après
1940, c’est une tout autre tradition et style qui domine le raisonnement
judiciaire, le grand style qui est aussi le « functional style. »

Le formal style est le style ayant dominé l’ère lochnaire, période où la liberté contractuelle, la
propriété, étaient des droits sacralisés, protégés de toute ingérence du législateur au nom
que le marché autorégulé devait être laissé en paix et que toute intervention législative
basée sur la protection de la partie faible était suspecte.
Le formaliste était venu à l’appui d’une jurisprudence qui était rétrograde ne permettant pas la
construction de l’état providence.

Comment distinguer les deux styles ? 4 critères qui les compare :

1. rôle de la règle
- Formaliste : si la règle dit que les conditions d’application x sont réunies, solution y s’applique.
Le juge se tient à la règle.
Grand, fonctionnel : le juge doit constamment se poser la question de savoir si le dispositif, la
conclusion est bien conforme à l’intention qui animait la formulation au départ. Il faut replacer
la règle dans son contexte. Peut-être que le législateur avait imaginé un autre concept que la
situation face au juge, ainsi, le juge doit réaliser l’esprit de la règle au lieu de l’appliquer
aveuglement.

2. Conception de la fonction de juger


- Formaliste : le juge se contente d’appliquer la règle juridique aux faits dont il est saisi. C’est
le caractère déclaratoire. Le juge est la bouche parlante de la loi.
- Grand, fonctionnel : le juge doit utiliser les ressources qu’offrent les sources formelles du
droit. afin d’aboutir à la décision la plus appropriée au regard des conséquences qu’elle
produit. Le juge fait une mise à jour permanente du droit afin que celui-ci serve les fins sociales.
Il prolonge l’œuvre du législateur plutôt que la servir de manière aveugle. Rôle actif du juge.

3. Arguments dans le débat juridique


- Formaliste : ce qui est recevable comme argument devant le juge est la référence aux sources
formelles du droit et logique formelle déductiviste le paradigme en étant le syllogisme
judiciaire classique, on a un fait et une règle, la règle prescrit.
- Grand, fonctionnel : en plus des arguments du formaliste, le juge peut recourir à des
arguments politiques, d’opportunités en observant les conséquences qui vont se dégager
de différentes solutions. Cela suppose que le juge doit comprendre le contexte dans lequel il
opère, les mémoires seront plus riches en faits empiriques permettant au juge de comprendre les
impacts de telle ou telle décision, le juge est informé par le contexte socio-économique dans lequel

47
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

il est placé. Le juge doit aussi se substituer au législateur quand il a été silencieux ou n’a pas
pu anticiper la dynamique du contexte dans laquelle la décision sera à rendre. Le juge doit
combler les lacunes en faisant appel à la situation sens, la compréhension que le juge a de la
situation qui relève de l’intuition.

4. Rapport du juge au contexte social, techniques d’interprétation


- Formel : techniques qui sont littérales. Le juge doit faire une application de la règle qui
respecte l’énoncé formel.
- Grand, fonctionnel : l’esprit de la règle qui prédomine comme chez F. Géni, le juge doit être
attentif à la philosophie de la règle plutôt qu’à son énoncé.

è Dans les deux styles, il y a une patte différente utilisée pour présenter l’argument du
point de vue esthétique, du point de vue de la forme.
Formel : le juge se contente de prendre en compte les faits litigieux devant lui et ne doit pas
prendre en compte le contexte général sur lequel le débat judiciaire sur lequel ça se
déroule.
Grand fonctionnel : le juge doit prendre en compte le débat, le contexte et peut replacer la
solution dans le contexte sociétal plus général.

è Critère d’une bonne décision


Formel : décision qui est parfaite du point de vue de la logique formelle, élégance que
Llewellyn ne nie pas.
Grand, fonctionnel : l’esthétique est d’ordre fonctionnel, le jugement est adéquat à ce que la
situation exigence. Jugement approprié au contexte.

Un aspect intéressant mais problématique de l’œuvre de Llewellyn réside dans l’idée de


« situation sens », Llewellyn estime que le juge est capable de comprendre la solution que la
situation appelle naturellement de sa part et le juge a une sorte de talent, de don qui lui permet
d’identifier ce qui est équitable c’est la « emanon solution », solution qui parait, à tous,
raisonnable. Cela ne veut pas dire que ce qui est raisonnable pour la société est la solution
raisonnable que le juge va retenir il y a une tension entre les attentes de la société et ce que le
juge doit faire. C’est un grand pari de Llewellyn qui s’explique par son passé d’avocat
commercialiste et qu’il est rompu aux mœurs qui caractérisent les rapports commerciaux : on a
une série de normes qui reposent sur les pratiques en usage dans les professions
commerciales et l’on respecte les traditions, ces normes parce qu’on cherche à maintenir des
rapports de confiance au sein de la communauté. Llewellyn transpose, généralise à l’ensemble du
droit ce qu’il y a de particulier dans cette lex mercatoria qui caractérise les échanges
commerciaux. Llewellyn réfléchit comme s’il était encore possible d’identifier ces normes
auxquelles les gens adhèrent dans une situation donnée.

Llewellyn va passer une semaine avec Adamson dans une tribus cheyenne pour essayer de
comprendre comment, dans ces tribus, les conflits sont tranchés à savoir par une réunion des
anciens qui identifient une solution qui correspond aux mœurs de la tribu, on a une sagesse
détenue par les anciens de la tribu qui est perçue comme légitime par les opposants en litige.
Llewellyn est fasciné par cette tribu qui n’a pas un système juridique avec un corps de règles
mais où les litiges sont malgré tout résolu par la disponibilité dans les mœurs et les normes
sociales de la tribu.

L’approche de Llewellyn a des limites, 3 grandes :

1. La régression à l’infini une fois que la règle n’est qu’un instrument, servant des fins plus
hautes.

48
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Il ne faut pas prendre à la lettre, le prescrit de la règle. Il faut se tourner vers l’esprit de la
règle pour écarter la règle formelle et substituer une solution plus adéquate à l’intention
qui était derrière l’édiction de la règle. Parait évident mais cette intention peut avoir été le
produit déterminé. Quand on donne un objectif et cet objectif est dépendant de la situation dans
laquelle il est énoncé. Peut-être que l’objectif était mal conçu, qu’il n’est plus adéquat au T+1 de
vouloir l’objectif considéré désirable au temps T. Il peut y avoir une régression à l’infini si on
permettait que le juge, chaque fois, prenne, dans la tradition qui le précède, une approche qui
prévoit de voir les énoncés comme de simples moyens en vue d’une fin qui n’est pas elle-même
énoncée de manière explicite. On peut voir un juge qui donne sa propre conception de la vie
bonne aux conceptions de la communauté auxquelles ils doivent rester fidèle.

2. La tension entre l’utilitarisme du cas individuel et l’utilitarisme de la règle

Le juge est écartelée entre deux objectifs que Llewellyn lui assigne : celui de trouver une
solution adéquate au litige qu’il doit trancher et donc cette solution sera vue comme légitime
par les parties mais il doit aussi adapter la règle de droit à une société en permanente
évolution, il doit assumer son rôle de prolonger l’œuvre du législateur ce qui parfois amène à
des règle qui ne sont pas parfaitement adéquates. Comment le juge se situe-t-il ? Cette tension
entre ces utilitarismes est une tension qu’il remet dans son œuvre.

3. L’importation non critique dans le raisonnement du juge de savoirs d’autres disciplines

Llewellyn impose au juge, dans le grand style, qu’il s’informe à d’autres disciplines que le
droit, qu’il s’informe des sciences sociales, la science politique peuvent apportées mais il y a un
risque que l’importation de ces autres disciplines et des arguments qui y proviennent se
fassent de manière dogmatique, sans que le juge interroge de manière critique ce que vienne
dire les économistes, les politologues, … c’est bien que le juge s’ouvre à d‘autres savoir que le
juridique, qu’il soit compréhensif à une compréhension élargie mais on risque d’oblitérer les
débats internes, la complexité de ces savoirs importés de l’extérieur du droit avec des
conséquences pour le juge d’une interprétation trop aveugle.

Vidéo 4 : L’institutionnalisme économique de G. Schmoller et J.R. Commons

Pour comprendre comment le réalisme juridique américain a été à l’origine de l’analyse


économique du droit, il faut comprendre l’évolution des sciences économiques de l’époque.
Commons avait comme professeur Richard Ely qui avait suivi les enseignements de Schmoller qui
était le créateur de l’école intentionnaliste allemande et qui a fondé l’american economic
association (1885). Commons va suivre cette influence, il va enseigner jusqu’en 1899 à Syracus
university d’où il sera remercié en raison de ses prises de positions trop progressistes et rejoindre
en 1904 l’université du Wisconsin. À partir de 1904, il s’investit dans l’enseignement de
l’économie et dans des réformes sociales d’ampleur qui vont être conduites par le gouverneur. Ce
sont des réformes qui annoncent l’état providence. John Commons est le penseur de la
providence aux USA, il permet que cet état providence s’installe.
Dans son œuvre « The legal foundation of capitalism » (1924), il tente de comprendre quelles sont
les conditions juridiques à remplir pour que le capitalisme puisse s’installer.
Deuxième ouvrage : Institutional Economics (1934) où il fait une synthèse de l’institutionnalisme
é conomique de l’é poque.

Quel est l’apport de Commons ? Dans l’institutionnalisme, il y a divers courants et Commons


cherche à comprendre le rôle du droit dans l’économie, et comment les rapports
contractuels sont influencés par les normes juridiques et les rapports de force. Il veut
comprendre ces rapports dans le marché. Il remet en cause le fait que, dans l’économie, les
individus seraient prévisible dans leur volonté de maximiser leur profit. Les institutionnalistes
veulent remettre en cause l’idée physicaliste d’une économie qui serait pensée comme une

49
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

physique sociale où les individus seraient des atomes au comportement prévisible à partir
de leurs appétits du gain et leur soucis de maximiser leur position ce qui a présenter
l’avantage de permettre une modélisation de l’économie, la mise à jour par l’économie de lois.
Les institutionnalistes veulent montrer qu’il est possible de mettre l’économie dans des lois,
en montrant que l’é conomie a un caractè re contextuel, que les rapports é conomiques dépendent
des coutumes, et qu’il existe des rapports de force dans l’économie, qui oblige le législateur à
intervenir. De ce fait, le juriste a une place dans les rapports é conomiques.

Commons a toujours é té partagé entre son cô té formaliste et historiciste :
- Formaliste car il tente de définir des lois économiques, au risque de perdre le
contact avec le réel et de fournir des modè les qui ne sont pas trè s utiles pour la prise
de dé cision politique car ils sont fondés sur un homo economicus qui ne correspond
pas à la motivation des H-F.
- Historiciste, car il tente de comprendre l’économie tout en sachant qu’il ne peut
pas la prévoir, car le réel est trop difficile à réduire à des modèles. Commons n’a
pas ré ussi à surmonter ce dilemme mais, dans toute son œuvre, on voit sa volonté de
comprendre le systè me é conomique par l’apport d’autres disciplines et de
comprendre la psychologie de l’individu.

Commons part d’une idé e, dans son premier ouvrage, qui est que l’unité de base de l’économie ne
doit pas être l’individu seul. L’unité de base est la transaction soit l’échange entre deux agents
économiques sur le marché (et non pas l’homo economicus). Mais Commons dit avec 5
individus, pas 2. A côté des individus qui procèdent à l’échange, il y a d’autres acteurs avec
lesquels ils auraient pu échanger et, en fonction de ce que les autres acteurs auraient pu
proposer en échange, la situation aurait pu être différente. Il y a également la présence du
juge (5e acteur), qui est une métaphores pour dire que toute transaction se base sur des règles
juridiques qui l’encadre. Pour Commons, le droit est directement dans les transactions. Dans
cette approche institutionnalistes où les institutions viennent tenir un rôle dans l’explication de
l’échange sur le marché, les individus veulent du gain, mais ils sont tout de mê me soumis à des
normes sociales, des coutumes, des habitudes.

Deuxième intérêt de Commons : les lois de la sc économiques ne sont pas des lois naturelles, ce
sont des lois qui ne peuvent s’expliquer que par un contexte institutionnel. Par conséquent,
le droit à un rôle important à jouer, le droit est toujours présent, mais pas de loi naturelle de
l’économie car cela dépend du cadre institutionnel. Cela permet à Commons de parler aussi du
pouvoir et de la contrainte dans le rapport économique. Il insiste sur le fait que la liberté de
chacun est relative, dès lors qu’il y a un échange économique, il y a forcément des libertés qui
n’ont pas été viciées mais la liberté est plus ou moins grande et dépend des alternatives que les
individus possédaient. Il distingue la liberty (liberté formelle) et la freedom (liberté réelle – qui
suppose qu’on ait des alternatives).

Pour comprendre la pensée de Commons qui dit que l’état est présent dans toutes les
transactions.
--Exemple : affaire Miller c. Schoene où l’’é tat de Virginie avait adopté́ une loi permettant aux
propriétaires de vergers de pommes de demander la destruction de certains arbres décoratifs qui
mettaient en péril la récolte de pommes. L’é tat de Virginie, fortement dépendante
économiquement de ces récoltes de pommes, avait pris cette loi dans l’intérêt général. Seulement,
les propriétaires des autres arbres se sont plaints et ont déclaré cette loi inconstitutionnelle, car
le législateur prenait parti pour une partie de la population. Cet argument va échouer car la Cour
va considérer que cette loi avait été prise dans l’intérêt général. Si le législateur est passif,
les récoltes auront été détruites sans possibilité d’obtenir réparation du dommage et la CS
dit cela aurait été aussi une manière pour l’état de prendre parti donc c’est équivalent au choix
d’intervention. Dans les deux cas, l’état prend parti. Cela montre que la CS reconnait l’action de
l’état qui consiste à ne rien faire et celle qui prend l’initiative.

50
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è L’alter-égo de Commons est Hale.


è Commons analyse l’économie en mettant en lumière le fait que ce n’est pas ce lieu
mythique où les libertés s’épanouissent, où chacun recherche son intérêt et conclu
des échanges avec l’autre, c’est un lieu où des rapports de force s’exercent
constamment. L’é change entre A et B va conduire à des termes de l’é change qui
dépendant des alternatives que chacun a ou n’a pas. Il faut arrêter de se représenter le
marché comme un lieu où les gens s’é panouissent dans l’exercice qu’ils font de leur liberté ,
car c’est un lieu de pouvoir. Ce lieu de pouvoir est médiatisé́ par le droit. L’é tat est
toujours là . L’idé e d’un marché autorégulé d’où l’é tat devrait ê tre exclut car il aurait à
respecter cette autonomie du marché, est fausse, car tout rapport de marché est médiatisé
par le droit. Les institutions juridiques sont devenues naturelles. On s’est tellement
habituées à elles qu’on ne les voit plus. Il montre que le droit n’a rien de neutre et qu’il
encadre la transaction é conomique.

Vidéo 5 : La contribution de R.L. Hale

Robert Lee Hale est un auteur qui part des mouvances du réalisme américain mais il est juriste et
économique et remet en cause la représentation idéalisée du marché comme source
d’émancipation des libertés. Il va mettre en avant le fait que le marché est source de contraintes
et de rapports de force.

Hale enseigne le droit à partir de 1919 à la Columbia school de NY, année qui suit le décès d’un
influenceur. Hale va prolonger l’intuition des travaux de Rochfeld à savoir que le droit protège
des intérêts en accordant aux individus des droits, ce qui leur permet de réclamer la
protection des tribunaux. Mais, ces droits lé gitiment le conflit entre des liberté s qui
s’entrechoquent dans la liberté du marché, ce qui fait que certains ne pourront pas ré clamer
réparation de leur dommage.

Hale commence sa carriè re dans l’ère Lochner, lorsqu’on considérait encore que l’état ne devait
pas intervenir dans le marché, qu’il devait le laisser s’autoréguler.
Christopher Tiedeman dit que l’état peut parfois intervenir mais dans des conditions
extrêmement restrictives car, tant que les individus ne cherchent que leur propre intérêt,
l’état n’a pas à se mêler de la manière dont cette liberté se manifeste. A cette é poque, les
économistes pensent toujours que le marché est efficient, qu’il fonctionne sans abus et que
chacun sera ré compensé à la juste valeur de son investissement (thèse marginaliste classique).
Même si déjà à cette époque certains économistes, comme J. BATES CLARK, estime que l’état a
un rôle dans le contrôle de l’abus économique, le rôle de concentration excessive dans le
sphère du marché qui risque de conduire à des positions dominantes. Clark se soit déclaré en
faveur d’un droit de la concurrence robuste et la 1e grande loi sur la concurrence est adoptée aux
USA en 1914.

Hale dé veloppe à cette é poque une thèse selon laquelle il y aurait une fusion progressive des
sciences sociales et ainsi entre le droit et l’é conomie : les rapports économiques dépendent
d’une infrastructure juridique pour se développer ; le droit à des institutions qui
pré supposent des réalités é conomiques, malgré qu’elles ne soient pas toujours justes, le droit
repose sur une présomption quant à la manière dont le marché fonctionne et la tâche de
l’économiste est de montrer la réalité des rapports de force. Interdépendance.

Le point de départ de Hale se situe au niveau de la liberté contractuelle. Certains réalistes de


l’époque comme ROSCOE POUND dé veloppe l’idé e que la liberté contractuelle n’est pas
absolue, qu’elle possède des limites. Roscoe tente de mettre en avant dans « liberty of contract »
que la liberté contractuelle se fonde comme liberté constitutionnelle sur une présomption que
les individus sont en principe libres et capables de négocier des contrats selon leurs

51
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

intérêts et leurs préférences, mais la réalité n’est pas toujours conforme à ça, il y a tout de
mê me des rapports de force qui se cré ent entre les individus. Le droit omet d’offrir une lecture
réaliste de ce qu’il se déroule sur le marché.

Cela est complété par NATHAN ISAACS qui dé montre que, dans la réalité, la plupart des
contrats sont des contrats d’adhésion avec des clauses standards et des clauses
impératives, ce qui rend les individus moins libres qu’il n’y parait, c’est illusoire de penser
ça.

ARTHUR COBIN enchaine en disant lui que les juges, lorsqu’ils doivent trancher un litige, ne
peuvent pas se servir de la potentielle intention qu’avaient les parties à la conclusion du
contrat, car ces parties n’auraient pas contracté si elles avaient été au courant de l’état de
l’autre partie.

è L’idée commune est la conviction que le contrat ne doit pas être idéalisé, qu’il faut en
faire une lecture réaliste fondée sur la réalité des faits de la négociation contractuelle
et des litiges qui s’en suivent à la suite d’une mauvaise exécution contractuelle.

Ce que Hale va apporter à ça, c’est qu’il va tenter de redécrire l’économie, le marché, les
rapports économiques, en mettant en avant la nécessité de prendre en compte, au-delà de
l’égalité formelle, l’inégalité qui caractérise les situations respectives des parties et qui
permet de forcer l’autre à faire des concessions dans la conclusion du contrat.
Rousseau avait dé jà exprimé cette vision : le contrat est une maniè re d’extorquer de l’autre les
meilleures conditions et de constater si les parties ont, ou non, une alternative qui lui permettent
de refuser l’échange proposé. Au vu de l’urgence ou de l’absence d’alternatives, on sera
parfois obligé de contracter à des conditions qui ne nous avantagent pas. En fonction du
besoin qu’on a de recourir à l’autre, en fonction de l’urgence et de l’importance on sera plus ou
moins en position de faiblesse dans la relation car on aura pas la possibilité d’attendre. La
conséquence est que si l’état intervient dans ces rapports de forces inégales, il n’ajoute pas
une contrainte, il ne fait que contrebalancer l’inégalité présente dans le contrat, il ne doit
pas rajouter une contrainte.

Ce qu’il dit é galement, c’est que le droit de propriété n’est pas un droit naturel, c’est simplement
un droit donné par l’état à des acteurs privés pour que ces derniers puissent imposer leur
volonté dans le marché. La loi peut être émancipatrice et venir aider le faible et si cela est le cas,
il faut l’accepter.
Hale fait aussi remarquer que le droit de propriété n’est pas un droit de l’individu qu’il ne pourrait
voir limiter par l’intervention étatique, c’est une compétence déléguée par l’état qui permet de
refuser de donner un bien à l’autre, mais l’état en accordant le droit de propriété a confié à des
acteurs privés cette compétence qui leur permettra de s’imposer. Le droit de propriété n’est
qu’une prérogative accordée par l’état mais par conséquent, l’individu ne peut pas en abuser.

Du fait de tout ce qu’il avance, Hale va faire des propositions originales qui ont des consé quences
concrè tes sur des controverses juridiques.
--Ex : doctrine de la state action. En principe, la Bill of Rights américaine ne s’applique qu’aux
états et ne peut pas être opposées aux rapports individuels. Seulement, la question s’est posé e
(Shelley v. Kraemer) de savoir si le 14e amendement pouvait être invoqué contre une famille
blanche, si elle dé cidait de vendre sa maison à une famille noire, alors que les habitants de ce
quartier avaient é tabli un contrat empê chant tout habitant de vendre sa maison à une famille
noire. De prime abord, on a tendance à dire que cet amendement ne s’applique pas, vu qu’on a ici
affaire simplement à un contrat (doctrine). Mais Hale va avoir un autre discours en disant que, si
le contrat est mis en œuvre, l’état devient complice de cette discrimination raciale, donc le
14e amendement est bien opposable. La cour confirme. Derrière tout contrat, transaction
privée, il y a l’ombre de l’état qui permet que le contrat ait force de loi.

52
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

--Exemple : Débat sur les conditions constitutionnelles. Remise en cause de


l’inconstitutionnalité de certaines conditions imposées par l’é tat, qui iraient à l’encontre des
droits fondamentaux car l’é tat viendrait octroyer des avantages à certains individus en leur
imposant d’exercer leur liberté fondamentale de telle ou telle manière voire même y
renonce. Exemple : un é tat qui octroi des subsides aux artistes pour leur permettre de travailler
sans devoir se soucier de l’argent, à conditions qu’ils produisent des œuvres qui ne soient pas
contraires à l’ordre public. Ici, l’état peut brider les individus en appâtant l’individu et en lui
offrant des avantages : ou bien les artistes continuent de produire des œuvres contraires à l’OP
mais perdent un avantage moné taire ; ou bien les artistes continuent de travailler mais sera
contraint dans sa liberté de produire ce qu’il veut comme œuvre.

è La réelle question : « Unconstitutionnel conditions » : accorder un avantage qui aurait pû


être refusé moyennant le respect de certaines conditions, est-ce exercer une contrainte
équivalente à l’imposition directe de ces conditions ? Un état peut-il lorsqu’il accorde un
avantage, qui aurait pu être refusé, le conditionner au respect de certaines conditions qui
amène un sacrifice ? L’état peut accorder des avantages que l’individu ne pourra refuser.
Le fait d’offrir à l’individu un avantage moyennant une prime peut être une
contraire comme une censure qui serait plus directe.

Hale nous présente le marché comme un réseau de contraintes, un ensemble de rapports de


forces où chacun essaie d’obtenir de l’autre un avantage et où les inégalités vicient le
contrat, qui ne sera plus vu comme librement négocié et comme traduisant la véritable
préférence des parties au contrat.
Il y a en fait pour lui une « nouvelle » liberté : c’est un pouvoir d’exercer un contrainte sur
l’autre avec la possibilité pour l’autre de refuser cette contrainte avec la complicité de l’
état qui permet d’exercer cette contrainte. Au lieu de parler de liberté, Hale parle d’échanges
mutuels. L’é change contractuel sera plus ou moins favorable aux parties si on peut faire du
chantage ou pas. Le prix est redéfini par Hale comme la taxe que le vendeur impose pour qu’il
fournisse son bien, et non plus la rencontre de l’offre et de la demande et non plus le prix
d’équilibre entre le vendeur et l’acheteur. Ce n’est pas une taxe imposée par l’état mais par le
propriétaire privé.

Le droit fournit son infrastructure juridique au marché économique. Ce que propose Hale
est que le droit aide à la démocratisation de l’économie, en introduisant des structures
participatives par exemple dans les entreprises pour que les syndicats soient mieux
repré senté s dans les conseils d’administration de l’entreprise. Si le droit fournit à l’é conomie ses
institutions, pourquoi ne pas faire de l’économie un lieu beaucoup plus participatif, pourquoi
ne pas imposer un contrôle démocratique sur l’usage que font les acteurs économiques de
leur pouvoir de négociation ?

L’é conomie est l’arriè re-plan des rapports juridiques, quand on né gocie un contrat c’est parce que
l’on est dans un rapport de marché . Ce que propose Robert est d’égaliser les rapports de force
par une politique de redistribution, il y a des interventions législatives qui peuvent
accroitre la liberté nette des individus si la liberté de la partie faible augmente et que la
liberté de la partie la mieux dotée diminue.

------------------------
Question sur les vidéos

1) Robert Lee Hale considère que : Liberté et contrainte sont indissociable

R. Hale considère que :

53
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Liberté et contrainte sont indissociables dans l’échange contractuel


- L’échange contractuel est un rapport de contraintes, la liberté qui s’y manifeste est
purement illusoire
- Il est possible de distinguer dans l’échange contractuel la contrainte acceptable de celle
qui ne l’est pas, et qui, excessive, pourrait constituer un vice de consentement.
- L’échange contractuel ne sera vraiment libre dans une société sans inégalités

à A. Une manière de présenter Hale, c’est un rapport de force. On a beau être libre, on est pris
dans ce rapport de contrainte mutuel. Si chacun essaie d’imposer à l’autre les termes de
l’échange qui lui sont le plus favorable, on a beau être libre, dans ce rapport de contrainte et
dans un contexte où la liberté est la plus formellement complète possible, cette contrainte
mutuelle subsiste.

Ce qui est puissant chez Hale, liberté et contrainte sont les mêmes phases de la même médaille,
c’est parce qu’on est libre de choisir ou non les termes d’un contrat proposé qu’on est soumis à la
contrainte car la liberté on l’exerce en trouvant la meilleure alternative possible.

2) Quel est l’impact de la critique de l’interprétation du droit proposée par les réalistes
juridiques américains sur la séparation des pouvoirs

Dans un première lecture, les réalistes mettent en avant que l’interprétation pour le juge est
beaucoup plus libre dans la présentation que l’on fait dans l’office de juger. Le texte ne contraint
pas le juge, le texte est libre et le juge doit exercer cette liberté, il développe les règles de
droit, le juge doit accepter de faire évoluer le droit par rapport au contexte changeant ->
rôle actif à jouer, qu’il doit assumer.

Mais deuxième lecture possible par Karl Llewellyn. Carl est fasciné par le droit dans la tribu :
légitimité car fruit de la discussion avec les anciens -> rôle du juge chez Carl, sans référence à
du droit écrit, délibération sur ce que les mœurs disent.
Le passé de Carl comme avocat d’affaire, fascination par le droit marchand, droit qui a son origine
dans ce que la communauté des marchands organisait comme règles, le juge doit être le porte-
parole de la tradition juridique qui se transmet de juge en juge dans la chaine et qui suppose du
juge une intuition d’identifier la solution qui sera perçue comme juste dans la société.

- Prolonger œuvre du législateur, adapter par rapport circonstances nouvelles de la


société -> POLE PROGRESISTE
- Le juge incarne la sagesse, comme les anciens était capable d’identifier quelle était la
solution juste au regard de la communauté -> POLE CONSERVATEUR

3) Pertinence de la critique de l’interprétation dans le contexte spécifique de l’ère


Lochner ouverte par l’arrêt Lochner v. NY de 1905 ?

La liberté contractuelle dans la sphère du marché est sacralisée comme liberté


constitutionnelle au nom de l’idée que la liberté contractuelle est l’expression par chacun de
sa liberté de choisir.

Or, cette liberté est illusoire car le contrat est une contrainte à laquelle on se conforme.

Les juges prennent appui sur le DP, sur le mot liberté dans le 5è amendement, 14è amendement
qui interdit au législateur de ne pas prendre parti. On interdit à l’état de s’immiscer. Le juge est
beaucoup plus libre et doit accepter d’y mettre sa responsabilité. Le juge serait forcé d’adopter
des interprétation => c’est faux. On refuse aux juge le luxe de s’arbitrer derrière le texte pour
justifier le fait que l’état ne peut intervenir pour jouer un rôle dans le marché.

54
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è Sphère de contrainte et l’état a son rôle à jouer sinon abus

4) Lien entre l’institutionnalisme de Commons et le réalisme juridique américain,


l’état est absent de cette sphère du marché, quand on lui interdit d’y pénétrer

L’institutionnalisme est l’idée que la vie économique se déroule sur les institutions au sens
large, normes éthiques et que les rapports de marché ne se déroulent pas dans un vide et la vie
économique est prise dans les différentes normes.

Le lien avec le réalisme juridique ? Est-ce que pour les réalistes juridiques l’état est absent de cette
sphère du marché ? Si les rapports de droit privé sont régis que par la Common Law, est-ce que
l’état la voulu ?
à Non, c’est le résultat de la jurisprudences accumulées par les tribunaux mais à l’origine
les règles de droit privés viennent de juridictions.

Dans tous les cas, l’état va prendre position.

Le Common Law, c’est la jurisprudence des tribunaux qu’on a fini par codifier. C’est un système
de droit jurisprudentiel.

L’état peut être présent si les rapports de marché se déroule sur fond de Common Law ? L’état a
voulu la Common Law ?

C’est issu d’un long processus évolutionniste : Prenons la Common Law, comme une langue
naturelle, qui a voulu cette langue, les règles qui régissent cette langue ? Y a-t-il une intention
derrière la langue française, au fond ? Qui est l’auteur de la langue française ? Nous, en l’utilisant,
on la fait évoluer. On disait pendant l’ère Lochner que les règles, étant voulue par personne, on ne
peut les imputer à personne. Le fait pour l’état de rien faire, c’est aussi prendre parti, ce n’est
pas parce que l’état n’a pas voulu les règles qu’on ne peut rien lui reprocher, au contraire,
ne pas intervenir, c’est prendre parti, autant qu’intervenir en fait.

è Ère Lochner : état qui ne fait rien, il est neutre, impartial.


è Réalisme : état qui ne fait rien, autant impliqué que s’il faisait quelque chose.

55
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 4. Les juristes inquiets en France


Section 1. Le contexte
On est dans les années 70, la société française va s’industrialiser très vite, il y a les premiers
accidents de travail et un droit issu du code civil est inadapté.
Par exemple : on ne parle pas du contrat de travail mais du louage de service, pas de place pour
les grandes entreprise et son rapport avec le consommateur.

Le contexte de l’émergence de ces juristes est le suivant : la fin du 19ème siècle, une série de
juristes, principalement orientés par les travaux de François Gény et de Raymond Saleilles, ont
commencé à considérer que le Code civil adopté en 1804 était inadapté aux évolutions de la
société industrielle.
Ces juristes ont voulu remettre en cause la lecture traditionnelle qui était faite du Code civil. C’est
ce qui a déclenché la réflexion de ces juristes progressistes. Ils veulent réinterroger la manière
dont le Code civil français fonctionnait. Ils vont venir à la rescousse du droit civil.

Comment le faire ? En travaillant sur les questions du rôle de la jurisprudence dans l’adaptation
progressive du droit civil français aux nécessités que la société industrielle amenait.

Des notions vagues comme celle de l’abus de droit, ont connu un regain de faveur car elles sont
le type d’outil qui ont permis à la jurisprudence d’adapter le droit.
L’émergence de la responsabilité sans faute est un autre exemple. La théorie de la lésion a
également eu un regain de popularité à cette époque.

è On amène le juge à faire évoluer le droit pour qu’il soit mieux adapté aux évolutions
sociales.

Section 2. L’École de la « libre recherche scientifique » vs l’École de l’exégèse


è Le juge ne doit pas se réfugier derrière le texte mais il doit adapter le droit VS Le juge doit
lire le texte, tout est dans le texte. Le juge est la bouche parlante de la loi.

La principale impulsion donnée à cette réflexion vient de deux civilistes : Raymond Saleilles et
François Gény.
Gény publie en 1899 un ouvrage majeur où il préconise la libre recherche scientifique.

Selon R. Saleilles : Le juge doit comprendre le contexte de la rédaction du 1804 : comment le


législateur aurait rédigé le code civil en 1880 ? -> lire le code civil par rapports aux évolutions
de la société.

Selon F. Gény : Confier au juge d’adapter le droit aux réalités sociales changeante et là où le
législateur ne s’exprime pas clairement, il faut l’adapter.

Selon Édouard Lambert : il y a un droit commun qui se fait jour et que l’on peut mettre à jour à
travers la méthode du droit comparé. Nous devons nous inspirer des autres pays pour adapter
le droit français. ->Démarche comparatiste qui ressemble au droit naturel

è Point commun entre ces 3 auteurs = libérer le juge du texte et adapter le droit aux
réalités changeantes

56
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Section 3. La révolution opérée par les juristes inquiets


Il y a une méthode nouvelle qui est préconisée et qui n’est qu’une traduction d’une volonté
d’adapter le code civil à une société qui n’est plus individualiste. C’est contre l’individualisme
du Code civil que les juristes déploient leur imagination juridique. Ils veulent que le droit des
obligations soit d’avantage sensibles aux attentes des syndicats et des revendications des
travailleurs. C’est pour se protéger de ses revendications qu’on veut adapter le droit. C’est ce
que les juristes inquiets ont comme programme.

è Il faut adapter le droit au besoin d’être socialement plus juste car ils craignent que le droit
civil soit remis en cause).

Henri Capitant et René Demogue sont deux grands noms du droit civil français. Ce sont les
fondateurs du droit moderne des obligations. Le débat entre ces deux grands homme est fascinant
(cela rappel Holmes)

Demogue considère que la jurisprudence qui adapte le droit civil est devenue illisible. Tout
principe s’accompagne d’un contre principe, toute règle s’accompagne d’une série
d’exception. Il déconstruit l’idée d’un système juridique qui fournit une seule réponse juridique
à une seule question juridique. Ils pensent que les juristes doivent assumer la responsabilité
politique qui est la leur.

Capitant quant à lui est convaincu qu’on ne peut pas tomber dans un tel anarchisme. Il le reproche
à Demogue. Il considère qu’il est possible pour le bon juriste de lire la jurisprudence et de la
reconstruire.

v Le nihilisme de René Demogue

Il publie en 1919, « notion fondamental de droit privé ».

Dans cet ouvrage, il dit que le droit privé est frappé de contradictions, entre liberté et
solidarité, entre sécurité juridique VS justice, entre individu et classe sociale.

Le droit privé est déconstruit. De plus, la jurisprudence veut satisfaire trop d’attentes donc
pas moyen de mettre en ordre ce matériel juridique car trop de tensions, de contradictions entre
les divers objectifs que le droit privé poursuit.

57
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Demogue est un auteur qui va au bout de la logique des juristes inquiets. C’est le plus réaliste
(au sens américain du mot) des juristes inquiets. Il dit de manière explicite plusieurs choses :

« Le sens de la vie ne peut être conçu par nous que subjectivement ».

Il veut dire par là que des juristes qui cherchent à suivre la jurisprudence vont des choix
d’opportunité. Il n’est pas honnête de présenter la tâche de la doctrine juridique comme une
simple tâche d’élucidation scientifique sans prise de position politique. Il dit qu’on doit
s’immerger dans la vie du droit mais qu’il est illusoire de vouloir la capturer.

« Je me suis surtout placé à un point de vue critique pour montrer sans chercher à rien dissimuler les
conflits et les contradictions qui sans doute agiteront toujours le droit civil »

Ces conflits sont par exemple la liberté et la solidarité. L’opposition entre la sécurité juridique et
le sentiment de justice. Demogue dit que le droit est le résultat d’un compromis entre des
préoccupations contradictoire. Il est impossible d’avoir un point de vue supérieur, on est forcé
d’être dans des compromis instables.
Le point de vue de Demogue est très dérangeant. Il met en cause la légitimité même de ce que la
doctrine juridique tente de faire. Elle veut créer de la stabilité là ù il y a une évolution permanente.

Capitant critique Demogue en disant que « le rôle du juriste n’est pas terminé quand il a exposé,
rapproché, résumé les résultats de la jurisprudence des tribunaux. Il doit s’efforcer de les
systématiser, c’est-à-dire de les insérer dans les cadres juridiques, de les rattacher à un principe
directeur ». -> Idée qu’il y aurait un principe directeur.

Selon le professeur, le « un principe » parait typique d’une démarche du juriste qui croit que
derrière l’apparent désordre du droit, un principe unificateur qui permet de rendre compte du
déploiement du droit que le juriste serait capable de mettre à jour. C’est l’inverse de la pensée de
Demogue.

58
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 5. Les fondements philosophiques de l’État


social en France
Section 1. La socialisations du droit privé : Durkheim et Josserand
§1er : Émile Durkheim : « De la division du travail social » (1893)

Durkheim a publié en 1893 un ouvrage « De la division du travail social » dans lequel il tente de
montrer que dans la société moderne, issue de la révolution industrielle, la solidarité entre
les individus peut découler d’une solidarité mécanique (imposée par l’état) ou d’une solidarité
organique.
è La division du travail crée une solidarité entre les individus.

A. Solidarité organique

Pour Durkheim, cette solidarité organique résulte du fait que nous sommes
interdépendants.
À mesure que la division du travail progresse et que nous devenons spécialiser dans certaines
tâches, nous en venons à dépendre les uns des autres.

Cette même idée d’une spécialisation des tâches avait déjà animé Rousseau plus d’un siècle avant.
Il ne disait pas la même chose, il disait que c’était un problème car on dépendait des autres.
Durkheim dit l’inverse en disant que l’interdépendance nous relie et que cela créé une sorte
de solidarité dans le corps social.

Nous ne sommes pas des individus atomisés avec seulement l’état qui nous impose sa volonté, il
y a des liens de solidarité qui ne dépendent pas de l’État. C’est le thème important de l’ouvrage
de Durkheim. L’état va vérifier que les liens qui nous unissent fonctionne pour l’intérêt
général. Il doit s’assurer que la sphère fonctionne de manière harmonieuse

è Le droit privé doit nous imposer des normes de comportement pour permettre à
cette solidarité organique et ce sentiment de communauté d’émerger.

On va mettre l’accent sur les outils qui permettent d’adapter aux attentes :
3 illustrations :
- Émergence de la responsabilité sans faute
- Abus de droit
- Nécessaire colonisation du droit privé

- Émergence de la responsabilité sans faute : Saleilles y consacre sa thèse en 1897 sur les
accidents du travail et la responsabilité civile objective. Ses thèses ne font que suivre la
jurisprudence, l’idée de responsabilité objective est née sur base d’un arrêt cass. 21
Juin 1841 qui dit qu’un employeur est responsable d’un dommage causé à un
employé par un autre sur base de 1384. Redit dans un arrêt 1896, où même sans
reproche l’employeur peut devoir réparer le dommage causé par le processus de
production. Au lieu de se demander qui est en faute on dit qu’il faut faire payer celui qui a
les moyens de dédommager les victimes et qui organise le processus de production pour
faire du profit. Donc il est normal d’introduire l’imputabilité normative plutôt que de
s’en remettre à une causalité naturelle.

59
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Cette responsabilité va à l’encontre de la manière dont le droit libéral a été conçu. On n’est
jamais obligés envers quelqu’un d’autre sauf dans 2 circonstances : quand on a conclu
librement un contrat et qu’on s’est obligés par voie contractuelle soit lorsqu’on a adopté
un comportement fautif qui cause un dommage à autrui, en dehors de ces hypothèses pas
obliger envers autrui et donc la responsabilité n’a pas de place originellement dans la
représentation de la société libérale. La responsabilité sans faute remet en cause cette
idée.

è Livre « état providence » de François Ewald le fait démarrer et première fois qu’on remet
en cause les dogmes du droit de la société libérale.

Ce qui est important dans cette RO, c’est que pour la 1e fois, on dit que des agents privés,
dans la sphère du marché, on l’obligation d’aider d’autres agents privés sans contrat
et sans faute, simplement parce que la société en a voulu ainsi. Cela évoque ce que dit
Durkheim, on octroie des rôles en tant qu’agents économiques, il faut aller au-delà d’une
idée libérale et parfois imposer des obligations d’aider.

Le problème et c’est pour ça que l’état providence est critiqué est qu’on ne sait pas où
s’arrêter, jusqu’où va cette socialisation du droit privé ?

Ce qui a permis de faire passer la RO qui parait injuste, c’est que le mécanisme de
l’assurance permet à celui ou celle dont la responsabilité est engagée sans faute de l’aider.
Cela ne choque plus aujourd’hui.

Pour faire droit à la demande de justice sociale, la jurisprudence voit émerger la RO avec
le soutien de R. Salleiles.

- Abus de droit : notion très vague mais utile pour le juge qui doit adapter le droit à une
société changeante. Dans les débats juridiques de la doctrine en France, beaucoup de
débat sur cette notion avec deux positions extrême.

è Celle de Edouard Levy qui dit que les droits subjectifs reconnus ne peuvent être
exercés en vue de certaines fins déterminées et l’abus de droit c’est utiliser son droit
subjectif pour faire autre chose que ce que le droit voudrait qu’on en fasse. Théorie
finaliste de l’abus de droit. Idée qu’on est pas vraiment libre dans l’usage qu’on en fait.

è Celle de Louis Josserand qui est de dire qu’on commet un abus de droit uniquement
si on utilise son droit dans le but de nuire à autrui et non dans son intérêt propre.
C’est cela qui a émergé dans l’arrêt Cockerell. Notion plus conservatrice où l’abus de droit
est restrictivement entendu, on peut faire ce qu’on veut avec notre droit sans nuire à
autrui.

L’abus de droit est un champ où se pose la question de la solution la plus juste à


promouvoir ? Comment le droit privé peut s’approprier les solutions les plus justes ?

- Colonisation du contrat privé pur : évolution du droit des contrats. Louis Josserand, au
départ pense que le juge doit corriger les contrats, protéger la partie faible
notamment via les articles 1060 c. civ. et 1135 qui permettent au juge de donner de
l’équité dans les relations.

Peu à peu, Josserand sort de cette position. Plusieurs de ses textes vont dénoncer les
risques d’une dénaturation du droit des contrats sous prétexte de justice social. Il
va dénoncer le risque de socialisme juridique.

60
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

En 1937 il écrit qu’on risque d’introduire un droit de classe contre-révolutionnaire qui


serait la reproduction de lutte de classes.

En 1939, la lutte qui a mis aux prises les démocraties de l’occident avec le Reich a pour
origine et enjeu le grand principe de la force obligatoire du contrat.
à Progressivement, les juristes français ont pris peur. Tant étaient grandes les critiques
de l’exégèse, tant était radical leur volonté que le juge adapte le droit aux attentes sociales,
et on a accusé les juristes de rejoindre l’union soviétique dans la critique de l’état de droit
basé sur la sécurité juridique. Si on a vu reculer les juristes de l’école de la libre recherche
c’est parce qu’on les a accuser d’être comme des mythes et de faire perdre la France la
bataille contre le fascisme italien.

En 1939, il dit qu’il est désirable que le juge et le législateur protège le faible du fort
mais en revanche, il convient de critiquer les mesures qui ont pour effet de désorganiser
le contrat. Socialisation du contrat oui.

On organise une solidarité au mépris de la solidarité des individus. Josserand en citant


Summer dit qu’on risque de revenir à un âge primitif en oubliant ce que la liberté
contractuelle apporte comme bien être.

Maine est un historien et Josserand estime que trop protéger la partie faible, c’est
opérer un retour en arrière, revenir aux sociétés d’ancien régime alors qu’on fonde
les sociétés modernes sur la liberté économique. Josserand a évolué.

Pourquoi a-t-il évolué ?


Il a commencé à regretter d’être trop ambitieux à l’égard de cette adaptation du droit par le juge
et du droit des contrats par le législateur.
Il en va même à la fin des années 1930, il dénonce la fin de l’âge d’or contractuel. Il dit que le
législateur s’est trop immiscé dans la volonté des parties au contrat. Il dénonce le fait que
l’on soit sorti de l’idée libérale du contrat. Cela amène le droit des contrats à se faire politique.

Quelles sont les explications de la contradiction de la démarche de Josserand ?

• Josserand qui était un grand défenseur de la responsabilité civile sans faute, est dans un
domaine très différent. La responsabilité civile extracontractuelle est une situation dans
laquelle une personne subit un dommage, sans l’avoir voulu et où la question qui se pose
est de savoir qui va compenser le dommage. Dans le droit des contrats, la victime a
consenti à ce contrat qui lui a été proposé. La vulnérabilité n’est pas la même que la
victime d’un dommage causé par une personne dont la faute est ou non établie.

• Dans le droit français, à l’époque, on était face à une situation polémique et


contentieuse où un auteur comme Georges Ripert dénonce les dérives socialistes dans
le droit. Il dit que le droit est perverti par la volonté de faire en sorte que le droit privé
reflète une certaine conception de la justice sociale.
E. Levys, dans son ouvrage « une vision socialiste du droit » de 1936, attire les foudres de
Ripert qui dénonce là une dérive socialiste. Donc, Josserand a peut-être voulu éviter
de se situer trop explicitement dans un camp.

• Dans le contexte de la fin des années 1930, le nazisme est au pouvoir et le concurrent
idéologique de la France et des démocraties occidentales c’est le nazisme, le soviétisme et
le fascisme. Il s’agit pour les juristes français de ne pas prêter flanc à l’accusation d’être
complice d’une mise en cause de l’état de droit.

61
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Quand ils critiquent le désordre de la doctrine juridique et l’impossibilité d’être objectif en


droit, est-ce qu’ils ne sont pas prêts de dénoncer l’idée même de l’état de droit ? Quand ils
prétendent que le droit privé doit être adapté à la justice sociale, ne sont-ils pas en train de
dire que le droit doit refléter une certaine idéologie comme dans l’Allemagne nazie ?

Dans un article de 1939, Josserand fait l’aveu explicite.


Donc, Josserand à la fin des années 1930, comme beaucoup d’autres de l’école des juristes
inquiets, va prendre ses distances vis-à-vis d’une lecture trop radicale de ses premiers travaux en
faveur de la socialisation du droit.

Ce que nous dit Josserand dans son article de 1939, c’est que l’intervention toujours plus forte du
législateur dans le rapport contractuel pour protéger la partie faible c’est un retour en arrière, un
retour aux sociétés primitives.

Section 2. Les corps intermédiaires et le droit « social » : Durkheim et


Gurvitch
§1er : La reconstitution de corps intermédiaires entre l’individu et l’État :
Durkheim et Gurvitch
A. Émile Durkheim, « De la division du travail social » (1893)
La révolution française a été vue comme abolissant toutes les structures intermédiaires
entre les individus et l’État. Les syndicats, les corporations, les grandes entreprises n’ont pas
leur place dans le Code civil. La révolution française a aboli le tiers état, l’aristocratie, la noblesse
comme des états séparés.
è Il faut reconstituer ces corps intermédiaires.

La révolution a créé une sorte d’atomisation de la société où les individus sont libres et
égaux sans que l’on fasse une place aux associations qu’ils pourraient former.

Durkheim, dans son ouvrage de la division du travail social, s’inquiète de cette atomisation. Il
dit que l’on doit sortir d’une société qui ne connaît que des individus séparés les uns des autres,
non organisés en groupe. Il faut des contrepoids à l’état pour éviter le risque d’un état qui
place les individus sous son joug et qui risque de briguer les libertés.

62
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Durkheim dit que la révolution française nous a fait passer d’une société d’ordre à une
société d’individus. Mais, maintenant il faut une autre réforme qui permet de reconstituer
des corps intermédiaires. Il faut sortir de la monstruosité sociologique qu’a causé la révolution
française et recomposer les corps intermédiaires.

On a dans le contexte d’alors, différentes manières de répondre à la question du social. On a aussi


bien à gauche qu’à droite, des partisans, soit d’un état fort qui dirige la société en planifiant la
justice sociale, en créant une administration lourde et annonciatrice de l’état province, soit en d’un
état fort qui associe les entreprises et les syndicats à la gestion de l’état pour que l’état contrôle la
vie sociale dans son ensemble à des fins qui ne sont pas nécessairement progressistes.

Il s’agit de deux versions de l’état fort.

Puis, on a dans ce contexte des années 1920-1930, des partisans d’un état plus modeste.
A droite, un état libéral qui intervient que dans l’économie même si la philanthropie et le
paternalisme viennent compenser l’absence de l’état social.

A gauche, on a un état plus anarchiste qui veut permettre à des acteurs d’émerger sans être
contrôlé par l’état. L’état, dans cette version, n’a plus le monopole de la chose publique, crée des
espaces que d’autres acteurs veulent occuper pour faire progresser des causes progressistes.

C’est cette idée-là qui est incarnée par un auteur comme Georges Gurvitch.

B. Georges Gurvitch, « L’idée du droit social » (1932), et « La déclaration des droits


sociaux (1944)

Il y a une thèse restée discrète jusqu’à aujourd’hui, une thèse qui n’est réductible ni à l’état libéral
classique, ni à l’état providence institué à partir de la pression des mouvements socialistes
pour garantir la sécurité sociale. Il y a à côté de ces deux figures de l’état libéral classique et de
l’état libéral, une figure de l’état qui tolère que d’autres acteurs collectifs jouent un rôle plus
important et ne prétendent pas avoir le monopole de la définition de l’intérêt général.

Gurvitch est l’auteur le plus intéressant à cet égard. C’est un sociologue de formation mais qui a
écrit des ouvrages pertinents pour les juristes. Son maitre ouvrage est un ouvrage de 1932, « l’idée
du droit social ».

63
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans cet ouvrage, c’est intéressant car Gurvitch nous dit qu’à côté du droit qui est le résultat de la
volonté de l’état, qui s’exprime par les législations adoptées par l’état, et à côté du droit qui est les
résultat des rapports de droit privé, il y a le droit social.

L’idée du droit social, ce n’est pas le droit du travail. Le droit social est le droit qui nait hors du
droit privé/public, il nait de l’action dans ces sphères intermédiaires, il émane d’individus qui
se mettent ensemble pour créer des choses nouvelle.

- On a un droit qui concerne l’individu = droit privé


- On a un droit qui organise les pouvoirs au sein de l’état = droit public
- On a un droit qui est produit par le corps social = droit social
è L’état ne peut pas être le seul à pouvoir prétendre incarner l’intérêt général, sinon, on a
affaire à un état totalitaire. Ce droit social introduit un pluralisme juridique.

è L’idée du droit social c’est qu’il émane de l’inventivité du corps social.

Pourquoi Gurvitch appelle à l’émerge du droit social entendu ainsi ?


Gurvitch craint que si l’état a le monopole de la définition de l’intérêt général et que si c’est
l’état qui assure la mise sur pied de l’état providence, l’on va vers un état totalitaire, un état
qui enferme l’individu et qui finit par l’étouffer. Il se méfie de cette bureaucratisation et de ce
risque d’un état trop encombrant pour un individu. C’est la raison pour laquelle Gurvitch insiste
sur l’idée que les droits sociaux qui commencent à se développer comme revendication dans
les années 1930, ne doivent pas seulement être des droits substantiels.
Ce sont aussi des droits procéduraux qui doivent permettre aux individus et aux syndicats
de prendre part à la vie collective et d’être représentés dans la décision publique.

Quand en 1944, Gurvitch publie « la déclaration des droits sociaux », il dit que les droits sociaux
sont des droits de participation. Il faut sortir de l’état tentaculaire qui dirige tout, comme il faut
sortir de l’idée d’un marché ou les individus recherchent leur épanouissent dans l’exercice de la
liberté contractuelle. Il y a une sphère intermédiaire entre l’état et le marché, qui doit être
productrice du droit.

Ce qu’il faut, c’est que les agents économiques puissent s’organiser en collectif, avec des syndicats,
assemblées de producteurs/consommateurs, il faut des groupements d’individus qui fassent
contrepoids à l’état. Certes l’état doit protéger, mais il ne doit pas détenir le monopole de
protection.
è L’État providence ne doit pas être un prétexte pour que l’état détienne le monopole du
pouvoir + contrepoids.

Section 3. Le contexte de l’émergence du néolibéralisme : la crise de 1929 et


le lancement du New Deal
L’émergence de l’État providence aux USA : le NEW DEAL (vidéo)

L’instauration de l’État providence aux USA

C’est dans les années 1930, et sous la présidence de Roosevelt à partir de 1932 que l’état
providence s’installe durablement.

Cela a été possible grâce à 3 facteurs :

I. Une remise en cause de la liberté contractuelle comme liberté fondamentale

64
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Travail de sape intellectuel de 1910-1920 par des économistes et juristes pour montrer que la
liberté contractuelle ne doit pas être sacralisée, que le droit de propriété n’était pas
inviolable et considéré comme absolu et pour montrer que le marché autorégulé ne
fonctionnait pas bien, ne protégeait pas des crises économiques et que cela n’avait pas du
point de vue intellectuel la validité qui lui était attribué.

L’état est présent dans les rapports économiques et rien n’interdit à l’état, par conséquent,
d’œuvrer en vue de l’intérêt général pour que les rapports économiques soient plus
équitables et que les Hommes et les Femmes soient protégés contre les risques de l’existence.

II. L’expérience de l’économie de guerre et celle de l’Etat du Wisconsin

Ce qui permet également de comprendre la montée de l’EP sont les expériences passées, celles de
l’état de Wisconsin où Commons a œuvré pour construire à l’échelle d’un état des mécanismes qui
annoncent l’état providence qui seront, ensuite, généralisé.

La 1e GM et l’économie de guerre qui va se mettre sur pieds entre 1915 et 1918 en soutien des
alliés des USA ont montré le rôle possible d’une meilleure coordination de l’activité
économique par l’état qui ont démontré que les lois économiques ne sont pas des lois
naturelles, qu’on peut changer le cours de l’économie par une idée volontariste qui oriente la
production économique. Pas un hasard, si en 1921, on met sur pied une commission statistique,
advisory commity on statistics, Hoever était le secrétaire d’état au commerce et cette commission
permet de donner une base scientifique à l’intervention de l’état dans l’économie ce qui permet à
l’état de suivre de manière plus précise les évolutions économiques pour y intervenir.

III. La levée du veto des juridictions fédérales

Évolution de la jurisprudence, des juridictions fédérales de base hostiles à toute ingérence


de l’état dans la vie économique qui ne puissent se justifier par un souci de protection de
l’intérêt général, on tolérait ces ingérences qu’à des conditions restrictives mais celles-ci se sont
vues assouplies. Le grand arrêt West Coast Hotel v. Parrish (300 US, 379 –1937) formellement
signifie la clôture de l’ère lochner entamée au début du 20e siècle.

Conditions dans lesquelles Franklin D. Roosevelt a lancé cette émergence

Rappelons des faits historiques, en octobre 1929 sous la présidence d’Hoever, la bourse de NY
chute de manière brutale, c’est le krach boursier, les actions vont perdre de leur valeur, les
entreprises découvrent que nous sommes en surproduction, ne parviennent plus à trouver des
débouchés pour leurs produits, les sociétés licencies en masse, la demande stagne les gens qui
perdent leur boulot entraine une baisse de la consommation et finalement grosse crise en
raison de l’impossibilité de trouver une demande pour absorber la surproduction. Crise
économique importante, la production chute d’1/3, le chômage augmente et c’est dans ce contexte
que Roosevelt exerce sa campagne pour être élu aux élections de 1932 à la présidence des USA
et qu’il va tenter de relancer la machine économique américaine.

Il est élu sur la promesse d’être un gestionnaire rigoureux des finances publiques, il annonce
qu’il combattra les déficits publics, ne fait pas campagne sur l’EP qui instaurerait des
protections plus amples pour les chômeurs ou personnes n’ayant pas accès au marché du travail.
Il est un conservateur fiscal.

65
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Néanmoins, il fait la promesse de stabiliser l’économie et arrivé à la présidence il lance ce qu’on


appelle le premier New Deal, première série de réformes législatives qui tenteront :
- De réduire la volatilité des prix
- De contrôler mieux les cycles de production
- Lutter contre la concurrence abusive entre entreprises de manière à stabiliser
l’évolution des prix.
- Dialogue institutionnalisé entre entreprise et entreprises et syndicats.
Ce premier new deal permet l’Agricultural Adjustement Act (1932) pour protéger le revenu des
agriculteurs par un soutien artificiel et le National Industrial Recovery Act (1933) qui veut
favoriser le dialogue social entre syndicat et entreprise pour permettre un salaire qui permet aux
travailleurs d’avoir un train de vie décent et on veut ainsi donner une concurrence loyale.

Cette une première phase qui va rencontrer le veto des juridictions américaines. Cour
Suprême impose un obstacle, arrêt Schechter Poultry Corp v. United Stated (1935) où la CS déclare
inconstitutionnel la section 3 du National Industrial Recovery Act qui autorisait l’exécutif à
imposer le respect de code de concurrence royale et réglementer les prix dans le domaine de
volailles. La CS dit que cela va trop loin dans la délégation des pouvoirs à l’exécutif.
Incompatible avec la liberté des acteurs économiques.

Le second New Deal à partir de 1935, seconde réforme législative inspiré d’une autre
philosophie,
- il repose moins sur la régulation de l’économie et plus sur l’imposition d’un droit de
la concurrence appliquée de manière extrêmement rigoureuse afin qu’aucune
entreprise n’abuse de son pouvoir sur le marché
- cela s’accompagne également d’une meilleure protection des travailleurs qui sont
protégés contre la discrimination grâce au National Labor Relations Act aussi appelé
Wagner Act 1937.

Roosevelt est réélu à la présidence en 1936 et s’est dans ce contexte que la CS des USA va
prononcer son arrêt West Coast Hotel c. Parrish qui va reconnaitre au législateur le pouvoir
d’intervenir dans la régulation des rapports économiques en abandonnant la position des
juridictions fédérales dans l’ère Lochner. Cela ouvre le champ à d’autres réformes car le Fair
Labor Standards Act en 1938 qui impose la semaine de travail maximale à 40h, impose un salaire.
Seconde vague de réformes.

Ce qui est important est la transformation entre les 2 new deal.


- 1932-1935 c’est la période associasoniste, on veut dire par là que l’état veut faire
dialoguer les syndicats et les entreprises, que les entreprises s’entendent entre elles
sur une certaine loyauté pour éviter une concurrence sauvage au détriment de toutes
les entreprises, il s’agit d’une démarche corporatiste : l’idée est que les entreprises
doivent être amenée à contribuer à l’intérêt général, époque où on publie The modern
corporation & private property, où on dit l’entreprise qui travaillait autrefois pour ses
actionnaires est aujourd’hui contrôlée par les administrateurs délégués et qui ne
servent pas l’intérêt des actionnaires.
è Il est légitime d’imposer aux entreprises de contribuer aux intérêts généraux car
elles ne contribuent, de toute façon, pas comme elles le devraient aux intérêts des
actionnaires.
CCL : Dans cette première période, l’idée est que les entreprises doivent se parler, parler avec les
syndicats, que l’état doit être l’organisateur de ces dialogues pour servir l’intérêt général.

- Or, en 1935-1936 Roosevelt considère qu’une division du travail doit s’installer entre
l’état et les entreprises.

66
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

o L’état doit avoir la priorité de conserver une police des marchés avec une
application très rigoureuse et agressive du droit de concurrence pour éviter
l’abus de position dominance, les concentrations abusives.

o Les entreprises doivent, elles, chercher le profit avec une protection des
travailleurs qui doit maintenir un pouvoir d’achat suffisant pour que la
demande puisse augmenter pour les produits que les entreprises veulent faire
écouler sur les marchés.

John Maynard Keynes qui publie sa théorie générale et qui va théoriser la fonction de l’EP ; qui
est de lutter contre les cycles économiques et de contribuer à la stabilité de la croissance
économique, il n’a qu’une faible influence sur la pensée américaine de l’époque. Avant Keynes,
on avait des économistes qui avaient déjà dit qu’investir dans les travaux publics, les salaires
minima étaient une manière de stabiliser l’économie.

On a l’exemple de Henry Ford qui en 1914 payait ses employés à 5 dollars par jour en disant que
chacun devait s’offrir une ford. Dialogue social, salaire décent -> contribue à l’harmonie de l’état
économique.

L’état social, les avantages reconnus aux travailleurs étaient vus comme un obstacle à la
compétitivité des entreprises, à partir du 2e new deal, Roosevelt dit que la protection sociale
est un bon investissement économique qui permettrait la crise connue de 1929-1932.
è L’état social est un état qui investit dans la vie économique en donnant aux
entreprises l’idée qu’elles auront des débouchés pour leurs produits.

Les économistes sont : Simon Patten (The theory of prosperity) ou John Maurice Clark (economics
of planning public works), ce sont des ouvrages qui anticipent le second new deal réhabilitant le
caractère utile de la consommation et affirmant que l’état doit aussi être un état
redistributeur de richesses.

L’auteur le plus influent est Stewart Chain qui publie A New Deal où il dit que ce n’est pas la
surproduction le problème mais la sous-consommation. Il faut que le pouvoir d’achat des
américains soient plus élevés. Roosevelt va y accorder de l’attention.

Ce qui est intéressant est qu’avec ce second new deal, c’est une philosophie du rôle de l’état
par rapport au marché qui s’installe et qui est originale et qui va déterminer les évolutions par
la suite. L’état doit :

- Assurer la redistribution par des politiques sociales qui permettent de maintenir le


pouvoir d’achat et garantir un marché aux entreprises où elles pourront écouler leurs
production

- Donner les conditions de la concurrence libre et non-entravée par l’abus de positions


dominantes, l’état doit avoir un droit de la concurrence robuste et l’appliquer
fermement, l’agent de police du marché. Pas un hasard que Roosevelt confie à un juriste
le soin de mettre en œuvre le droit de la concurrence et ce droit prendra une ampleur en
1937-1942, Thurman Arnold en est chargé. Il ne s’agit pas tant pour Arnold de
démanteler les grandes entreprises et lutter contre les grandes entreprises parce
qu’elles sont puissantes mais s’assurer qu’elles se comportent bien malgré qu’elles
soient puissantes, sans abuser de leur position forte.

- Créer les conditions macroéconomique favorable par un soutien de la demande avec


un taux d’intérêt qui permettra aux entreprises d’emprunter, avec une position
sociale qui maintient la possibilité pour les entreprises de vendre leurs produits.

67
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans ce contexte, la CS des USA a été obligée de s’incliner. Elle rend un arrêt West Coast Hotel v.
Parrish (29 mars 1937) qui est un arrêt connu car fin de l’ère Lochner et a sa source dans une
démarche d’une femme qui réclamait le respect de la législation de l’état de Washington d’un
salaire minimum que son employeur refusait de lui verser, son employeur argumente que l’état
de Washington violait sa liberté contractuelle (droit de propriété) et revendiquait le précèdent
de Adkins V. Children’s Hospital où la CC avait dit que la législation d’un salaire minimum à
l’égard des femmes était inconstitutionnelle. Dans la décision de West Coast, la CS dit que la
loi de l’état de Washington qui garantit ce salaire est constitutionnel et ceci s’accompagne de la
motivation de rejet de la jurisprudence lochnaire. La CS a changé d’attitude car elle a été mise
sous pression, Roosevelt a été réélu et il avait été question d’augmenter le nombre de juges à la
CS (9 à 12), ce plan de Roosevelt n’avait pas été rendu public à ce moment et donc la cour n’a pas
répondu à cette menace.

La CS a évolué dans sa position de manière graduelle :


- Arrêt Nebbia v. NY où la CS acceptait que l’on règlemente le prix du lait en donnant un
prix minimum (permet de faire payer les agriculteurs, protéger les producteurs) et
maximum (c’est un bien de première nécessité pour les familles -> prix doit être
abordable), la Cour avait accepté l’ingérence dans la libre fixation des prix sur le
marché.

- Progressivement la CS a évolué, a été plus ouverte à une approche plus progressiste au


rôle de l’état dans l’économie et le point de vue des juges centristes ont évolués.

Arrêt West Coast rejette les différentes doctrine qui avaient motivés le veto à la motivation
énonciatrice de l’EP. L’arrêt dit :
- Que la constitution ne parle pas de liberté contractuelle, elle ne parle que de liberté,
mais la CS dit on ne lit pas que la liberté contractuelle serait protégée et toute
règlementation qui encadre la liberté des individus au nom de l’intérêt général, est
en principe acceptable à ses yeux. Revirement spectaculaire // jurisprudence du passé.

- La CS dit qu’il n’est pas illégitime de protéger le salaire minimum des femmes et non pour
tout le monde car elles ont une position moins favorables (2ème salaire de la maison
donc payée pas bcp), il est légitime de les protéger.

- La Cour dit qu’il ne faut pas idéaliser la position des parties dans le rapport
contractuel (dans ce rapport, il y a des rapports de force -> c’est pas parce qu’on agit pas
sous la contrainte qu’on est libre), même si les femmes acceptent de travailler pour un
salaire sous le seuil, rien ne dit qu’elles voulaient un salaire faible, leur position ne
leur permet pas de demander plus.
è Le législateur doit venir au secours de la partie faible au contrat. Il faut que le
législateur puisse avoir égard à la réalité des forces dans un contrat.

- La CS dit que dès lors que le législateur n’a pas agi de manière déraisonnable, il lui
appartient à lui seul de faire l’évaluation de l’opportunité de telle ou telle
règlementation économique et pas aux juges de refaire le travail du législateur, de se
positionner comme lui pour évaluer la sagesse d’une législation, le seul rôle du juge est
de considérer qu’il n’y a pas un abus de pouvoir du législateur.

- La CS dit que lorsqu’un employeur impose un salaire très bas, et le travailleur qui
l’accepte car pas d’autres opportunité, c’est la collectivité qui en paie la conséquence
(par des allocations familiales, des aides sociales, interventions en matière de soin de

68
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

santé), des travailleurs insuffisamment payés vont pas pouvoir envoyer leurs enfants à
l’école, logements insalubres etc.
è L’échange contractuel a des externalité négative.

- Le salaire minimum n’est pas issu de quelque chose d’arbitraire -> dépend de réalités
économiques.

à Pour toutes ces raisons, la CS considère qu’il est acceptable d’imposer un salaire minimum
pour les femmes, refusent la thèse de l’inconstitutionnalité et début d’une nouvelle phase,
puisque les juridictions fédérales respectent l’appréciation du législateur des nécessités
d’une intervention dans l’économie et les juridictions laissent faire le législateur sauf s’il y
a une erreur manifeste d’appréciation, un abus de pouvoir (dans le domaine de
règlementation de l’économie) mais en principe, on peut faire confiance à la manière dont
l’évaluation a été faite.
Les exceptions que la CS va énoncer est que quand il y a une ingérence dans un droit
constitutionnel reconnu, le juge doit intervenir et imposer une scrut scrutiny ou quand le
processus démocratique n’a pas fonctionné car par exemple certaines minorité, certains groupes
n’ont pas pu s’exprimer, … mais en principe, le juge doit se tenir en retrait en principe. On ne
censure que l’erreur manifeste, abus de pouvoir manifeste sur base du principe de
proportionnalité.

En conclusion, avec ces arrêts du milieu 1930, et particulièrement avec celui West Coast Hotel c.
Parrish, un nouveau paradigme constitutionnel s’installe et qui autorise l’administration
Roosevelt à adopter toutes une série de législation inspirées par l’expérience de l’état du
Wisconsin qui dans les années 20 et pour la première fois aux États-Unis a créé un état fédéral
providence et qui a créé plein d’agence de régulation de la vie économique.
Grâce à cela, c’est l’État régulateur qui s’annonce, avec la fin du marché autorégulé et la fin des
protections constitutionnelles contre l’État tels que celles contractuelles ou de propriété.

A lire en // des vidéos :

Le moment clé, c’est la 1st GM. Quand les USA sont rentrée en guerre, il a fallu organiser l’économie
et il en est résulté 3 changements qui expliquent l’identité de la période qui va suivre :
1) Dans l’ère Lochner : sphère autorégulée répondant à des lois naturelles quasi divine : dans
l’économie de guerre : on peut changer les lois, on peut instituer l’économie, qui n’est pas
un héritage religieux, qu’on ne peut toucher
è Les lois de l’économie n’ont rien de naturelle, on peut la faire fonctionner selon les
objectifs qu’on lui donne.

2) Les USA sont un lieu d’expérimentation sociale moins expérimenté que l’Europe
(féodalité, le poids des tradition est moindre aux USA ils peuvent innover)

3) Les politiques économiques doivent sortir de l’idéologie des modèles abstraits pour
devenir plus empirique. On va utiliser les statistiques. Il faut cela pour planifier
l’économie de guerre.
è La guerre a permis le fonctionnement de new outils. Mais on se dit que l’économie doit
rester séparée de l’état.

Dans l’état du Wisconsin, on expérimente un EP.

Aux États-Unis, l’État providence a sa source dans le krach boursier du 24 octobre 1929 qui a
conduit à la chute de la bourse de Wall Street à la suite d’années d’opulence. Ce crac a conduit à
une catastrophe économique et sociale inédite. On n’avait jamais rien connu de tel. Cette chute
considérable a conduit à ce que l’élection de novembre 1932 à la présidence des USA amène à la

69
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

présidence de Roosevelt, le candidat de parti démocratie. Il est entré en fonction en mars 1933,
sur un programme électoral qui appel à la responsabilité fiscal (restaurer équilibre des comptes
publics, lutter contre déficit public).

C’est à partir de Roosevelt que l’état providence va se construire. Il va arriver à la présidence en


1933, au même moment ou Hitler arrive à la chancellerie allemande à la suite d’une élection qui
amène les nazis au pouvoir. Roosevelt va tenter de lancer un programme de réforme
législative, le new deal. Ce sont des réformes spectaculaires qui au début vont prendre la
forme d’une tentative de réguler les prix sur le marché, qui vise à contrôler l’économie.

La conviction de Roosevelt est que le marché s’est développé de manière trop anarchique, que
beaucoup d’entreprises sont victimes d’une concurrence trop forte, ce qui a forcé les
entreprises à diminuer leur prix. Cela a mené à la faillite et les entreprises ont dû licencier.

La solution selon Roosevelt c’est d’entrer en discussion avec les entreprises et les syndicats
pour que selon des processus de négociation tripartite, état, entreprise et syndicat on ait
une économie plus régulée et planifiée avec des variations de prix moins importantes. On
veut créer un climat stable qui favorise les investisseurs et la prise de risque par les entreprises.
Cette idée est l’idée d’un état interventionniste dans l’économie qui réduise la volatilité des sites
économiques.

Mais, Roosevelt ne croit pas dans les solutions keynésiennes. Il ne pense pas qu’il faille des
programmes sociaux généraux pour relancer la machine économique.
Au contraire, il est même élu sur un programme relativement conservateur car il promet de
mettre fin au déficit public. Bien qu’il adopte une série de lois sociales progressistes, il le fait
toujours en se promettant à l’orthodontie budgétaire.

Le New Deal est bâti sur ces bases. En fait, Roosevelt essaye de ramener autour de lui les
syndicats, les entreprises pour une économie plus contrôlée et moins volatile que celle qui
a causé le krach.

è Roosevelt fait du corporatisme : = régime fasciste de Mussolini : être contre le libre


marché, contrôler l’économie, dialogue syndicat/entreprises. Roosevelt veut que les
entreprises arrêtent de se faire concurrence, il faut s’entendre, arrêter la concurrence
néfastes.

Le problème que rencontre Roosevelt est double :

• La Cour suprême des États-Unis va s’opposer à plusieurs des réformes de Roosevelt.


Elle s’oppose à une série de législations qui veulent contrôler les prix.
Un arrêt célèbre est l’arrêt de 1932 (arrêt Schechter Poultry Corp v. United Stated) dans
lequel la Cour considère qu’est inconstitutionnelle une législation qui impose certains
prix minima et maxima dans le secteur de la volaille. Il s’agit par une telle législation de
protéger les producteurs de volaille tout en permettant au consommateur d’avoir une
volaille à un prix abordable.
Cette ingérence est vue par la Cour comme contraire aux dogmes de la liberté
contractuelle. Elle considère que c’est une législation inconstitutionnelle.
C’est un des arrêts qui s’inscrit dans l’ère Lochner.

• Du point de vue économique, les programmes de Roosevelt échouent.


En octobre 1937, on a eu une seconde chute des cours de la bourse, appelée la « dépression
dans la dépression ». Roosevelt se rend alors compte que ses réformes n’ont pas l’effet
attendu pour la relance de l’économie.

70
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Les entreprises qui voulaient coopter dans son programme sont très réticentes, et elles
résistent aux appels que fait Roosevelt. C’est dans ce contexte là que Roosevelt va devoir
passer à autre chose.

En 1936, Roosevelt est réélu, ce qui lui donne une seconde présidence. Roosevelt va alors
décider de lancer son second New Deal, mais il le fait dans un contexte différent du
premier, et ce pour deux raisons :

- La résistance de la Cour Suprême va être surmontée. Roosevelt imagine, à la suite


des élections de 1936, un plan qui consiste à modifier la loi fédérale sur le pouvoir
judiciaire pour permettre au Président de nommer des juges supplémentaires à la
Cour. Cette proposition consiste donc à permettre à Roosevelt de nommer autant de
juges supplémentaires à la Cour Suprême qu’il n’y a de juge ayant plus de 70 ans.
L’argument de Roosevelt est de dire que les juges vieillissants ne travaillent plus aussi
bien, et que la Cour a besoin de nouveaux juges.
Mais lorsqu’on nomme des nouveaux juge à la Cour, ils sont nécessairement de notre
camp. Roosevelt espère donc par-là contourner l’obstacle que représente la Cour
Suprême des États-Unis en nommant des juges progressistes et en faisant basculer la
majorité à la Cour en sa faveur.

Roosevelt a présenté ce plan le 2 février 1937, mais il a suscité beaucoup de réticences


dans le camp des républicains et des démocrates. Les démocrates craignent que
Roosevelt devienne autoritaire dans sa manière de gouverner.
Les sénateurs vont donc demander du Chef de la Justice, c’est-à-dire le Président de la
Cour Suprême, qu’il écrive une lettre expliquant que la Cour n’a aucun mal à traiter les
affaires qui lui sont soumises et que les juges travaillent très bien.

La réforme que proposait Roosevelt ne va donc pas passer. Mais la menace pèse sur la
Cour Suprême, et en mars 1937, elle va adopter un arrêt « West Coast Hotel v. Parrish »
dans lequel une femme se plaint du fait que son employeur ne lui paye pas le
salaire minimum, qui devrait lui être garanti.
L’employeur dit qu’imposer un salaire minimum au bénéfice des femmes va à
l’encontre de la liberté contractuelle. C’est en effet la position que la Cour avait adopté
dans un arrêt précédent de 1923.
La Cour va décider de changer son point de vue, de ne plus opter pour la position
qu’elle avait en 1923.

Avant l’annonce du 2 février 1937, Roosevelt avait dit qu’il avait l’intention de
proposait un plan, la Cour Suprême le savait donc déjà. C’est la raison pour laquelle
elle n’a pas adopté la même position.
Dans l’arrêt de mars 1937, la Cour déclare que la doctrine de l’ère Lochner doit
être mise de côté, tous les dogmes de cette ère sont abandonnés.

è Cela va permettre à l’État providence de peu à peu être mis sur pied.

- Le premier New Deal reposait sur l’idée qu’il fallait mettre ensemble les grandes
entreprises sous l’arbitrage de l’État pour régler l’économie. C’est une démarche
corporatiste, qui était une doctrine en vogue durant les années 30.
Comme il y a une dissociation entre la propriété et le contrôle, comme les propriétaires
des entreprises ne les contrôlent pas réellement, il revient à l’État de le faire. L’État
peut assigner aux entreprises des objectifs d’intérêt public.
Pour éviter que les dirigeants ne servent leurs intérêts personnels, on a amené
les entreprises à collaborer au projet d’intérêt général que définit l’État.

71
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Il y avait peu d’enthousiasme de la part des entreprises à travailler avec Roosevelt. Il


a donc développé le second New Deal dont l’idée est de mettre sur pied des agences
indépendantes pour réguler l’économie, et imposer une discipline aux acteurs
économiques. Il faut régénérer le droit de la concurrence, lutter contre les monopoles.

Ainsi, Roosevelt va opérer une sorte de conversion. On a un État qui devient un État
redistributeur et régulateur. C’est ce qui caractérise le second New Deal.

New Deal -> Double transformation :


- 1ère phase : État corporateur -> État régulateur : Roosevelt est un arbitre et veut
négocier la manière dont s’organise l’économie et les entreprises.
On chercher à organiser les entreprises entres elles et dialogues avec les syndicats. ->
limiter la concurrence
- 2ème phase : État protecteur -> État redistributeur : Les entreprises doivent se battre
sur le terrains économique et le job de Roosevelt, c’est de faire la police des marché,
être gardien des règles qui organisent une concurrence libre. Éviter les abus.

v Thurman Arnold, Service de la concurrence au sein du Ministère de la Justice (1938-


1942)

Dans la tradition du droit de la concurrence, il y a deux écoles :


1) Droit de la concurrence = important pour que les petites entreprises puissent
survivre à la toute-puissance des grandes entreprises, qui fatalement, peuvent
contrôler mieux l’échelle logicielle d’approvisionnement, écouler à bas prix les
marchandises, …
è Il faut soutenir les petits contre les grands

2) Les grandes entreprises c’est inévitable, on ne peut s’opposer au fait que la production
de masse, c’est bien MAIS il faut contrôler les abus de pouvoirs que les grandes
entreprises peuvent être tentée de commettre.
è Le droit de la concurrence, c’est pour éviter que les grandes entreprises en viennent, en
raison de la position de monopole, à facturer très cher ce qu’elle fournit.

Exemple : Les prix des IPhones : C’est plus selon les facteurs de productions mais raisons
économiques.

On crée des agences indépendantes pour faire la police des marchés.

Dans ce contexte, Roosevelt va nommer à la direction de la concurrence du Ministère de la Justice


un juriste appelé Thurman Arnold, réaliste juridique américain, qui va faire la police des
marchés.

Il va booster le travail du service de la concurrence, et il va tenter de démanteler les


concentrations d’entreprises qui volent le consommateur en élevant les prix.

La politique du droit de la concurrence va donc être renforcée, non pas parce qu’on est contre les
grandes entreprises, mais parce que l’on veut éviter qu’elles abusent de leur pouvoir
économique pour augmenter les prix, à défaut que les consommateurs puissent avoir une
pluralité de choix. On veut éviter les monopoles qui aboutissent à des abus.

è = Fonction de l’état régulateur

72
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

v Les « New Dealers » : la lutte contre les monopoles

La lutte contre les monopoles peut avoir deux fonctions :

• Éviter la concentration économique. Louis Brandeis a publié en 1914 un ouvrage


appelé « Other People’s Money » sur le droit de la concurrence dans lequel il explique que
le droit de la concurrence doit démanteler les grandes entreprises.
Les grandes entreprises sont un problème pour la démocratie, car selon la tradition
américaine, chacun peut avoir sa chance et essayer de se développer.

• Favoriser le bon fonctionnement du marché. Thurman Arnold dit que démanteler les
grandes entreprises serait contreproductif. Les grandes entreprises sont bien, car elles
permettent de produire à des faibles couts, mais le droit de la concurrence doit servir à
éviter qu’elles n’abusent de leur position dominante. C’est donc une position qui n’est
pas contre les grandes entreprises mais qui veut les discipliner.

Arnold dit que le marché livre est un rôle de l’État qui consiste à contrôler le trafic
économique. L’État apparait comme une sorte d’arbitre qui veille au respect des règles qui
régissent la vie économique. L’État doit éviter que les acteurs économiques n’abusent de
leur position, mais il ne doit pas se mêler de la production économique.

Il y a donc une division des tâches qui se met en place entre le marché et l’État dans le second
New Deal. L’État doit faire trois choses :

ü S’assurer que les richesses produites soient redistribuées. L’État doit avoir des
politiques sociales qui permettent de compenser les perdants du marché. Le
paiement d’allocations de chômages. Ces versements ne sont plus comme des couts mas
comme des investissements. -> C’est l’aspect redistributeur de l’état.

ü Créer des conditions macro-économiques favorables par le soutien de la demande. Il faut


maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs pour permettre aux entreprises
d’écouler leur production.

ü Assurer la police du marché et surveiller que les acteurs n’abusent pas de leur
position.

L’État ne doit donc en aucun cas se mêler de la production. Il ne peut pas produire lui-même,
ce sont les acteurs économiques privés qui le font.
C’est en cela qu’il y a une division des tâches : le marché produit la richesse, et l’État
intervient après pour les redistribuer et arbitrer.
Le marché est donc préservé dans sa manière de fonctionner par un État qui ne se mêle pas de
remettre en question le choix que font les entreprises.

Après 1940, lorsque la concurrence était d’autant plus forte, Roosevelt ne voulait pas être accusé
de vouloir planifier l’économie. Il ne veut pas que l’État se mêle de la production. Cette division
des tâches va permettre au marché de se déployer.

Le second New Deal suit au fond une démarche keynésienne, même si la théorie générale de
Keynes n’est pas ce qui a influencé Roosevelt. Le courant n’est pas bien passé entre eux.

è Les sources d’inspiration de Roosevelt étaient des sources américaines :


- Simon Pattern, The Theory of Prosperity (1902)
- John Clark, Economics of Planning Public Works

73
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ils ont été les véritables sources d’inspiration du second New Deal.

Par la suite, il y a l’affaire Carolene Products de 1938.

Remarque : la Cour Suprême peut intervenir dans 3 cas de manière plus rigoureuse :
- Lorsque la C° est explicite dans les interdictions formulées

- Lorsque le système politique qui n’ pas bien fonctionné, lorsque des minorités incapables
de biens s’organiser, voient leurs intérêts menacés par la majorité qui méprise les
droits des minorités.

Un auteur va bâtir une théorie la dessus : John Hart Ely : l’intervention du juge est légitime
lorsqu’elle vient défendre les intérêts des minorités qui ne se sont pas fait entendre.
è Face aux lobbys, le juge ne doit-il pas être plus regardant par rapport aux législations qui
avantages les grandes E au détriment du consommateur ?

- Quand les DF sont violés, menacent d’être violé. Dans les années qui suivent, montée
en puissance des juges.

En matière de règlementation économique, il y a un contrôle très faible de proportionnalité

Exemple : arrêt Wiliamson v. Lee Optical Co : La loi réservait aux ophtalmo et non aux opticiens la
fait de pouvoir faire un contrôle de vue et rendre des prescriptions pour acheter des lunettes.
è Dans l’ère Lochner, c’est contestable car les opticiens peuvent le faire aussi. Législation
qui protège les intérêts d’un groupe particulier. La CS répond qu’il n’y a rien de suspect au
sein de cette législation. -> new pensée C° qui se met en place.

Selon le professeur De Schutter : on garde un héritage ambigu de l’état providence (EP) : elle est
repérable sur 5 points :

1) L’EP veut intervenir au secours des gens qui sont vulnérables dans les rapports de
marché, parfois, au prix d’immixtion arbitraires importantes dans la vie privée,
parfois avec une grande difficulté à justifier la neutralité dans l’intervention de l’état : tant
qu’un état demeure en retrait du marché et ne veut pas intervenir pour corrige les impacts,
il peut se présenter comme un simple spectateur neutre. Une fois qu’il intervient, il prend
parti.
On avait vu que ne pas intervenir = prendre parti aussi. Or, plus difficile de justifier si
on intervient effectivement -> soupçon de partialité qui pèse sur l’état quand il intervient.
De plus, on doit intervenir dans la vie des gens pour octroyer des allocations, par
exemple (vérifier que bien 3 enfants par exemple)

2) L’EP repose sur l’idée qu’on va croitre l’économie et les richesses et les redistribuer par la
suite. Au nom de cette idée de croissance, on ne va pas démocratiser celle-ci. Faire
croire qu’on augmente les richesses puis redistribuer : on va à la limite dérèglementer
puis taxer et redistribuer. On permet que l’économie exclue avant de compenser cette
exclusion. Ne faudrait-il pas une économie qui inclut pour ne pas devoir compenser
l’exclusion.

3) Avec Roosevelt et le new deal, cela instaure une répartition des rôles entre l’état et le
marché très différente (// premier new deal), où l’état était un acteur économique,
qui met ensemble les travailleurs et les entreprises, demandait aux entreprises de

74
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

se concerter avec lui plutôt que de laisser le marché déterminer les choix de
productions.

Avec le nouveau New deal, les entreprises qui décident quoi produire et combien puis
l’état intervient par une politique sociale, politique de prêt aux entreprises avec des
taux d’intérêt, par une politique de police des marchés = contrôler les entreprises pour
les empêcher d’abuser. => état régulateur qu’on a évoqué. Ce sont les entreprises qui
décident pour les choix de productions. L’état vient contrôler les impacts qui résultent de
ces choix.

Le néolibéralisme n’aurait pas pu émerger si le New deal avait créé un EP différent.

4) L’EP veut protéger des chocs économiques : en soutenant le pouvoir d’achat des plus
faible, on évite les cycles économiques. L’EP s’écroule dès qu’il n’y a plus de croissance
car plus de moyen de taxer pour la finance. On devient addict à la croissance, l’EP est
dans un piège car si on prend des politiques qui ne favorisent pas cette croissance, on se
prive de ce full qui lui permet de fonctionner. EP fragile.

5) Juge qui se tient en retrait et laisse l’état prendre les choix de politiques
économiques mais le juge va regagner un poids considérable dans d’autres circonstances
(note infra 4). La neutralité du juge va de nouveau être attaqué étant donné le rôle
activiste du juge dans les années 60 sur la déségrégation.

L’état providence en perspective

A. Rôle de l’état protecteur

Thomas Hobbes dit que l’état a un rôle à jouer pour protéger contre l’indigence. Il écrit au
moment où le capitalisme commence à naître. Les solidarité de jadis ne vont plus fonctionner
(charité privé, …). En 1651, il dit que le souverain doit pourvoir à ses besoins -> besoin
physiologique de l’individu.

4 caractéristiques à un EP selon Hobbes :


1) Palier les déficit de la protection rapprochée (famille). La charité privé est trop
incertaines. L’état doit venir au secours de l’individu car sa famille ne le protège plus.

2) Protection subsidiaire qu’offre l’état : il faut aider les personnes incapables de


travailler et les incapables, on les mets dans les ateliers public où ils vont travailler pour
un salaire minimum.

3) Protéger les individus au minimum que requiert les lois de la nature Si elles sont trop
généreuse, c’est un désincitant à travailler.
Principe de la moindre éligibilité : Il ne faut pas que la protection que l’état offre soit
plus généreuse que ce que la personne ne pet obtenir par le travail, sinon
désincitant à travailler- > limite à toute expansion de l’état social.

4) C’est l’état qui donne cette protection, il se voit reconnaitre des pouvoirs considérable sur
les individus. L’état protège contre l’indigence, solidarité pour ne pas que les
individus ne tombe dans l’extrême pauvreté. On se méfie du pouvoir de l’état, il t’aide
mais il te prend plus de pouvoir.

75
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

B. Trois missions de l’EP

1) Démarchandisation du travail
= Protéger des risques d’exploitation face au renversements des incitants

L’état doit intervenir dans les rapports de marchés de manière à compenser les déséquilibre qui
s’installer dans le marché, les abus de pouvoirs. -> démarchandisation du travail : le travail n’est
pas une simple marchandise régulée en fonction de l’offre et la demande. L’employeur
exploite le travailleur dès lors que celui-ci n’a pas d’autre choux que ne se mettre à son service/

L’intervention de l’état est requise parce que si les employeur paye un salaire si bas, les gens
vont s’épuiser et la société devra venir à leur secours car il ne saura pas subvenir à ses besoins.

2) Assurer la sécurité d’existence


On a des outils qui protègent l’individu contre le risque qu’il ne puisse plus subvenir à ses
besoins par le travail. -> quand les personnes perdent leurs travail, on leur garanti des
allocations de chômage.
Comment assurer la sécurité d’existence dans le respect du principe de moindre égibilité ? Cela va
de l’allocation familiale à l’allocation de vieillesse. Il y a 3 piliers dans cette sécurité d’existence.

3) Réduire les inégalités par la redistribution :


= Créer de la richesse, par une économie qui fonctionne bien, puis on impose des taxes,
on finance les service public, puis on redistribue.

Sujet à des critiques qui vont préparer le néo-libéralisme : d’où vient le succès du débat sur le revenu
universelle ? Sous quelle forme ?
- Donner à tout individu, à montant forfaitaire, sans condition ?
- En plus de l’EP ? Comment trouver l’argent ?
- A la place de l’EP ?

Le succès de ce débat tient au fait que ce revenu de base est conçu sur un triple inconditionnalité :

76
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Tout le monde reçoit, indépendamment de la situation familiale, même les étudiants


chez leurs parents, le cohabitant de Elon musk.
è Pas d’immixtions dans la vie privé

- Sans condition de ressource : même les grands entrepreneurs vont recevoir ce revenu
de base.
Il y a un risque que l’aide social ne soit pas élevé si on la laisse que pour les pauvres
(les gens voteront pas pour ça). Or, si elles bénéficient sur beaucoup plus de personne, il y
aura beaucoup plus de soutient car ça pourrait lui bénéficier.
è Paradoxe de la redistribution : cibler l’aide social sur les pauvres, ce n’est pas idéal, car
au plus c’est ciblé, moins il sera financé par la population et aura un soutien politique large.
è Piège à l’emploi : Si des gens reçoivent une aide social qui est légèrement moins élevée
qu’un salaire, c’est pas mieux de rester sans travail ? -> si on la retire dès qu’on trouve un
travail -> « piège à l’emploi » .
è Non recours au droit : Plein d’allocations ne sont jamais perçue car les personnes ne
sont pas informées ou ont la flemme de les demander : phénomène qui se traduit par
le fait qu’un % substantiel de l’allocation est jamais perçu car à l’une des étapes, elles
échouent à continuer. Il faut comprendre qu’on en a besoin, savoir que le dispositif existe,
se voir comme éligible, avoir l’impression que c’est plus intéressant de faire les démarches
pour percevoir l’utilité, perception de l’analyse couts bénéfice, perception de la stabilité
de la situation de l’individu. Le revenu universelle empêche cela. Il y a rien à faire, on
reçoit ça comme si on recevait une carte d’identité.

77
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Sans contrepartie : on ne demande pas au gens de travailler (><allocation de chômage, il


faut amener les lettre qu’on écrits, les entretient d’embouche).
è Dans l’EP, injonction du travail : fonction expressive de la loi C’est important par
rapport au message que la loi émet et au respect du pluralisme dans les choix de vie : si on
est apte à travailler, on doit travailler et si on ne montre pas qu’on est disposé à travailler,
on ne reçoit plus -> message de la loi qui dit que la vie doit être consacré au travail et
ne rien faire n’est pas acceptable vis-à-vis de la communauté. C’est contesté :
è Perte du pluralisme : on doit pouvoir refuser de travailler et la société doit
reconnaitre que pour être pluraliste (plusieurs conception de la vie bonne), revenu de
base aussi pour ceux qui ne veulent pas travailler. Le refus de travailler est une
tradition qui resurgit, permet de sortir de ce cercle travailleur -> consommation. Si on ne
consomme rien, on est inutile aux yeux de la société -> c’est inacceptable, on oublie les
services gratuits développés vis-à-vis des autres, le talent, …

L’État providence aux États-Unis s’est peu à peu mis sur pieds, grâce aux deux New Deal
successifs de Roosevelt. Mais cela a été remis en cause par le néolibéralisme, qui est monté en
puissance durant les années 70. Le néolibéralisme a en effet remis en cause les rôles que l’État
avait dans le second New Deal.

Section 4. Conclusion
Pourquoi le néolibéralisme a-t-il pu prospérer sur les ruines de l’État providence ?

• Une répartition des rôles entre l’État et le marché qui respecte l’autonomie des
acteurs économiques et les choix d’investissement.
L’État providence tel qu’il a été conçu n’a pas voulu que l’État se substitue au marché et
n’a pas voulu démocratiser les entreprises. C’est une répartition des tâches dans laquelle
l’État vient compenser les effets réalisés par le marché qui est laissé à lui-même.

• La crainte d’un État hypertrophié et de la tentation totalitaire. On craint qu’un État


qui en fait trop puisse déboucher sur un État totalitaire. Quand Roosevelt a voulu modifier
la composition de la Cour Suprême, on a craint ce totalitarisme.
On a voulu éviter une planification de l’économie trop forte.

• Le contexte de la guerre froide et la nécessité de fonder une alternative au


libéralisme classique. Les États-Unis s’opposent aux soviétiques, et donc il faut éviter
d’aller vers des recettes comparables. Toute idée de planification est donc exclue.

78
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

PARTIE II. GOUVERNER PAR LE MARCHÉ :


LES NOÉLIBRÉALISMES

CHAPITRE 1. Le néolibéralisme : mythes et réalités


Section 1. Généralités

Le néolibéralisme n’est pas comme le libéralisme classique du 19e siècle où l’État est dans
une position de retrait.

Dans le néoliberalisme, l’état est très actif : il contrôle le marché de manière à s’assurer que
le marché soit aussi ressemblant que le marché idéalisé tel que décrit dans les manuels
d’économie politique.

Si on assimile le New Deal de Roosevelt au néolibéralisme, c’est pour cette raison-là. Dans les
années 1989 et suivantes, l’État joue un rôle de façonnage du marché. La politique de la
concurrence est un exemple frappant. On confie aux acteurs économiques le soin de créer de
la richesse. L’état vient compenser avec des politiques sociales.

è On veut que le libéralisme se renouvelle. Le libéralisme manchestérien, non


interventionniste, où l’EP était exclu, en retrait, et qui voulait fonder une société où la
liberté de marché était exclue. Ce marché était peu populaire au sein même des classes
populaires. Il faut donc penser à autre chose.

Il y a dans le néolibéralisme des variantes importantes : il y a l’école autrichienne, l’école de


Chicago et l’ordolibéralisme.
è Ce qui les réunit, en plus du mont Pèlerin, c’est Hayek. C’est la figure fondatrice du
néolibéralisme.

Section 2. Quelques acteurs


Le néolibéralisme est un mot très utilisé au cours des années précédentes. Quand on le trouve
sous la plume de journaliste, ce terme est utilisé pour décrire une évolution générale de nos
sociétés qui consiste pour l’état à privatiser les services publics, les entreprises publiques,
à réduire son rôle dans le marché et à réduire le déficit public.

79
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

En définitive, à sortir d’une expansion progressive de l’étatisme qui a accompagné la montée en


puissance de l’état providence au cours des années 1945-1975.

Le néolibéralisme est une réaction à l’hypertrophie de l’état avec une bureaucratisation de la


vie sociale que cette hypertrophie a accompagnée. On la voit comme la face négative de la
protection de l’individu assurée par l’état-providence.
Cette définition n’est pas d’une grande utilité pour comprendre ce qui est caractéristique du
néolibéralisme et pour comprendre comment au sein même du néolibéralisme, ce sont différents
mouvements de pensées qui se sont affrontés avec différentes propositions normatives.

Une des analyses les plus justes du néolibéralisme utilise le terme de « néolibéralismes » (au
pluriel) en montrant que dans le mouvement du néolibéralisme, il y a différents auteurs qui
se sont affrontés.

Dans cet usage commun du mot, journalistique ou facile du mot « néolibéralisme », on a une
seconde idée qui vient se loger. Le néolibéralisme serait le résultat de différents complots pour
faire triompher des idées favorables au marché. En fait, le néolibéralisme serait le triomphe
de ce petit groupe d’économistes et juristes qui se seraient unis pour proposer un programme
idéologique.

C’est ce qu’on voit dans « Master of the universe » de Daniel Jones ou dans « The road from the Mont
Pellerin » qui tente de décrire comment à partir de la création de la société du mont Pellerin en
1947, le néolibéralisme s’est constitué comme idéologie arrêtée une fois pour toute visant à
capter le pouvoir intellectuel.

En 1947, une réunion importante a été conviée par von Hayek pour avoir autour de lui des
économistes, juristes, intellectuels qui pensaient comme lui devoir trouver une alternative
au totalitarisme soviétique. La société du mont Pellerin a une influence importante. Mais, en
réalité, au sein de la société du mont Pellerin, il y a eu beaucoup de débats et de rupture.

A. Walter Lippman, The Good Society (1937)

Il faut s’intéresser à ces débats pour savoir ce qui est spécifique du néolibéralisme. Pour
comprendre, il faut reprendre l’histoire depuis le début. Il faut partir de 1938, la date à laquelle
se réunit un colloque autour de l’œuvre de Walter Lippmann, journaliste et intellectuel des
USA. C’est un compagnon de route du New Deal. Il reproche au New deal l’excès de
bureaucratisation qu’accompagne le déroulement de l’état providence aux États-Unis.

Il publie « the good society » ou il propose son alternative. Trois thèses méritent l’attention :

• Sortir de l’alternative entre « laisser-faire » et dirigisme étatiste. Il faut sortir de


l’opposition stérile enter le laisser-faire et l’économie dirigée (exemple : l’Allemagne
nazie = orienter l’économie dans un sens déterminé). Selon Lippmann il faut construire
un contre-agenda idéologique pour faire rempart au totalitarisme. Ce contre-agenda ne
peut pas consister à revenir au libéralisme manchestérien (début 19ème siècle). On ne peut
pas revenir à un état gendarme qui laisse faire (=s’autoréguler). Il faut prendre en
considération les craintes exprimées par rapport à la fragilité que le marché
entraine pour certains groupes de la population. Il faut offrir quelque chose d’aussi
attrayant que ces totalitarismes peuvent offrir. Ces options d’états dirigistes sont de
nature à exercer une séduction notamment sur les travailleurs.

Il faut transformer le libéralisme en un libéralisme repensé à la lumière des craintes


exprimées.

80
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

• Les institutions économiques et juridiques n’existent pas naturellement. Elles sont


à construire. L’état doit jouer un rôle actif dans cette reconstruction. C’est là ce qui
caractérise ce qu’il y a au fond comme fil conducteur dans ces différents mouvements de
pensées.

Un observateur parfaitement lucide et fin du néolibéralisme c’est un philosophe français,


Michel Foucault. Il enseigne en 1979 au collège de France un cours qu’il consacre au
néolibéralisme. Il propose une analyse du néolibéralisme dans un moment où celui-ci n’est
pas encore bien compris et vu comme exerçant une forte influence pour la plupart des
autres observateurs de la vie publique.

Selon Foucault, à l’inverse du libéralisme classique, le néolibéralisme suppose de l’état


qu’il soit actif dans le marché pour introduire les mécanismes de la concurrence
dans les marchés, pour façonner le marché et la société à l’image du marché, pour
introduire des mécanismes concurrentiels qui mettent les individus en concurrence les
uns avec les autres.

Si on croise la dimension active du marché, non pas pour planifier l’économie, mais pour
permettre au marché réel de se conformer au modèle du marché idéal rêvé par les
économistes. C’est la spécificité du néolibéralisme et ce qui unifie les mouvements
néolibéraux disparates les uns par rapport aux autres.

Dans l’ouvrage « the good society », il dit que les marchés réels ne sont pas aussi libres
et équilibrés que le voudrait la théorie économique. Il faut les réformer de manière
à ce qu’ils se conforment au modèle. A ces conditions-là, le libéralisme pourra se
réinventer et offrir ce contre-point idéologique au totalitarisme nazi et soviétique, à l’idée
d’un état qui doit diriger l’économie pour éviter que le libéralisme ne balaye les plus
faibles.

• Il faut équiper l’individu afin de permettre à celui-ci d’être un agent économique


actif et de bénéficier d’une réelle égalité des chances. L’individu est réformable et à
réformer afin qu’il puisse être un agent économique actif, doté des capacités qui lui
permettront d’être concurrentiel.

B. Le colloque de Walter Lippmann (1938)

Le colloque Walter Lippmann est un colloque inclusif : il y a des allemands, des français, des
autrichiens, etc. Il y a des libéraux qui sont sincèrement voués à l’idée qu’il faut réinventer
le libéralisme afin de lutter contre la séduction que peuvent exercer l’Allemagne nazie et
l’Union soviétique.

Walter Lippmann a une œuvre qui fait débat et qui incite les intellectuels à tenter de développer
une alternative au libéralisme classique. Il n’a pas répondu aux attentes des travailleurs. Les
libéraux se sentent menacés par la séduction qu’exercent le nazisme, le fascisme et le
totalitarisme soviétique sous Staline. Il faut réinventer le libéralisme. Le colloque de 1938 est
l’acte de naissance du néolibéralisme.

81
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 2. L’école autrichienne


Section 1. Le néolibéralisme de l’École autrichienne : de Ludwig von Mises à
Friedrich von Hayek
Friedrich A. von Hayek est le plus éminent représentant. C’est un professeur d’économie qui a
entamé sa carrière à Vienne. Puis, il a migré vers Londres à l’invitation de Lionel Robyns. Il est
ensuite allé à Chicago de 1949 à 1952. C’est parce qu’il est à Chicago, que l’école de Chicago a pu
prendre racine et se développer.

A. Ludwig von Mises (1881 – 1973)


Von Hayek est avant tout le continuateur du travail d’un autre économiste autrichien Ludwig von
Mises, qui a une vision radicale de ce que les économistes néolibéraux devraient proposer
à la société. Son idée c’est qu’au fond, le système économique est trop complexe pour être
modélisé et être influencé à travers l’utilisation de certains leviers qui peuvent peser sur la vie
économique. L’économiste devrait être modeste et surtout œuvrer à convaincre les
gouvernements de se retirer du marché afin que l’ordre spontané de celui-ci puisse émerger
des interactions entre les agents économiques. Hayek s’inscrit dans ce fil.

B. Friedrich von Hayek (1899 – 1992)


1) F. von Hayek, “Economics and Knoweledge” (1937)

Hayek arrive à Londres en 1931. Il en demeure jusqu’en 1949. Pendant cette période, il s’intéresse
aux questions épistémologiques. En 1937, il publie un article important dans une revue
« Economics and Knowledge ». Il soutient l’idée que le marché est supérieur à toute autre
manière d’organiser la vie économique parce que le marché permet à tout agent
économique où qu’il se trouve de s’orienter. On n’a pas un seul agent qui oriente l’ensemble
du marché dans une direction. Le savoir est dispersé dans le chef des différents agents
économiques. A partir des interactions dispersées, l’ordre du marché va émerger.
Hayek va peu à peu aller vers une position qui lui permet de dénoncer la prétention de la raison
à tout contrôler.

2) F. von Hayek, “The Road to Serfdom” (1944)

La visibilité de Hayek va être considérablement augmentée en 1944 lorsqu’il publie un ouvrage


« la route de la servitude » où il va dénoncer les risques que l’état providence cause à la
liberté politique. Cet ouvrage est un ouvrage important dans le contexte où il paraît. C’est un
ouvrage dans lequel Hayek va s’en prendre à la construction par les britanniques d’un état
providence. C’est à la même période qu’on réfléchit les suites à donner au rapport qui va conduire
à créer le système national de soins de santé.
Le Royaume-Uni s’apprête à créer l’état providence. Hayek arrive et leur dit qu’il a vécu la montée
du nazisme en Allemagne, il a vu ce qui a pu causer le totalitarisme et avertit que la construction
d’un état providence amène une dérive vers le totalitarisme.

Au moment où il écrit, l’état providence était vu comme devant impliquer le contrôle par les
gouvernements des moyens de production. Selon Hayek, il n’est pas possible de réaliser la
justice sociale sans courir le risque que l’état soit sur une pente qui va l’amener à vouloir
contrôler de plus en plus l’économie au détriment de la liberté politique.

82
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Hayek utilise l’exemple de Adam Smith dans la théorie des sentiments moraux. Smith
imagine un échiquier sur lequel des pions sont disposés. Smith fait remarquer qu’on ne peut pas
construire une stratégie avec des pions qui ont leur propre principe de mobilité et qui choisissent
dans quel sens s’orienter. Soit, il faut réprimer cette stratégie, soit il faut accepter la liberté
des pions qui se déplacent. Si on a deux logiques qui se déploient simultanément, on a un
résultat qui est désordonné et qui ne parviendra pas à remplir les fins que le stratège se donne.

Cette thèse se laisse aisément comprendre dans un contexte d’après-guerre puisqu’elle radicalise
l’opposition entre les démocraties du monde libre occidental qui favorisent les économies
de marché et le monde soviétique qui promeut l’économie planifiée.

Section 2. La fondation de l’école de Chicago


Hayek migre ensuite vers l’université de Chicago. Il va fonder l’École de Chicago.
Hayek va obtenir pour développer la pensée néolibérale, des fonds importants qui vont permettre
de financer des recherches et des publications avec une influence dans la vie intellectuelle
américaine qui va se faire de plus en plus importante.

A partir de là, Hayek va développer une partie de son travail qui met l’accent sur les limites de
la raison et l’excès du scientisme. Il publie des études à partir de 1952, « the counter revolution
of science ».
Il va dénoncer la volonté d’influencer le court de la société par un usage qu’il estime abusif
de la raison. La société humaine est trop complexe pour être orientée comme une machine
artificielle. Il vaut mieux s’en remettre à la spontanéité des actions sur le marché.

Keynes va lire le travail de Hayek. Il va lui dire que sa critique de l’état-providence est
intéressante mais se demande quelle alternative il propose. Hayek va tenter de relever le
challenge de Keynes en rédigeant un ouvrage « la Constitution de la liberté » qui est le programme
juridique et politique de Hayek et dont il imagine comment une société libre doit être
organisée. Une société qui favorise l’épanouissement de chacun et dans laquelle on n’est pas sous
l’emprise envahissante de l’état.

Hayek va partir d’une conception radicale de la liberté. Pour lui, la liberté c’est de ne pas être
dirigé par quelqu’un d’autre, ne pas être soumis à la volonté d’un autre. De son point de vue,
peu importe que l’autre soit le monarque absolu ou une assemblée représentative.

Le vrai problème est que l’individu est forcé de se conformer à ce que l’individu n’a pas
souhaité. Pas plus qu’on ne peut présumer une sorte de sagesse dans le chef du monarque absolu
du simple fait de sa naissance, on ne peut présumer que l’assemblée parlementaire sera
parfaitement bien informée et qu’elle soit à ce point raisonnable dans l’usage des outils qu’elle
met à sa disposition. On ne peut lui faire aveuglement confiance pour diriger la société.

La liberté pour Hayek est la liberté de chacun de s’autodéterminer. Hayek ne voit pas, sinon
dans un état libre où l’état ne s’ingère pas, comment cette liberté pourrait être garantie.

Hayek migre en Allemagne. Dans les années 70, il publie son magnum opus sur la théorie du droit.
Il y a trois tomes intitulés « droit, législation et liberté ».

Quelles sont les conséquences de ces prises de position ?

Il se fait l’avocat d’un ordre juridique spontané. Il fait l’éloge de la Common Law. Il considère
que le droit d’un peuple libre est un droit qui doit émerger spontanément de la
jurisprudence et du règlement des litiges, du jeu d’essai et erreurs. Il est évolutionniste dans
sa conception du droit.

83
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Il distingue l’ordre qui résulte de cette évolution spontanée, kosmos, de l’ordre qui serait imposée
résultat d’une intention délibérée, taxis.
Il considère que nous avons une tendance naturelle à croire que tout ordre doit résulter
d’une intention libérée. Il dit que c’est une illusion anthropomorphique, une tendance à voir une
intention à l’œuvre derrière tout arrangement. Beaucoup d’ordres dans la vie de la nature sont
le résultat spontané d’interactions entre les individus.
è C’est ce type de droit-là qui constitue la constitution d’un peuple libre.

Cette idée d’Hayek va peu à peu se radicaliser sous sa plume et va le conduire à mettre en avant
une conception très radicale du rapport que l’état doit nouer au marché. Il ne croit pas à
l’état providence et à l’idée qu’on ne peut pas créer une justice sociale sans dommage
considérable pour les individus et pour l’efficience de la vie économique. Il ne croit pas non
plus aux thèses d’autres auteurs dans le camp néolibéral, thèse selon laquelle l’état a un rôle
important à jouer dans la police du marché. Hayek va être de plus en plus explicite dans son
apologie d’un marché libre. Il entretient un rapport ambigu au libéralisme classique du 18e siècle
car il voit les dégâts sociaux qu’il a causés. Malgré tout, son épistémologie l’amène à de plus en
plus se méfier de toute intervention de l’état.

L’œuvre vaudra à Hayek un prix Nobel. Hayek va continuer d’orienter les travaux de la société de
Mont Pellerin et constituer le lien entre l’école de Chicago, l’école autrichienne dont il est le
représentant et les ordolibéralismes.

84
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 3. L’école de Chicago


Section 1. Quatre critiques de l’État providence

§1e : La question du coût social (Coase)


A. Généralités
C’est un économiste qui est très influent dans les débats juridiques car il a été le premier à
construire la branche de l’analyse économique du droit qui met ensemble les outils
économiques et juridiques.

Ronald Coase a beaucoup apporté à la théorie du droit. Il a été couronné par le prix Nobel de
l’économie en 1991 et ce, pour principalement deux articles :

• « The nature of the firm » (1937). Il s’interroge sur les raisons pour lesquelles les
firmes émergent alors que du point de vue de la théorie économique pure, il pourrait
sembler plus efficient de faire appel au marché lorsque nous voulons un bien.
Pourquoi s’engager à long terme dans le cadre d’une firme alors que le marché pourrait
satisfaire tous les besoins de l’entrepreneur. Coase va répondre qu’il peut être efficient
de construire une firme parce que cela réduit les coûts de transactions. Ces derniers
réduisent l’efficience de la solution consistant à faire appel au marché pour satisfaire au
cas par cas, par l’échange contractuel, les besoins de l’entreprise. Il est couteux de faire
appel au marché.

• « The problem of Social Cost » (1960). Coast est d’un intérêt particulier par les juristes
parce qu’il a publié ce deuxième article. Cet article est fondateur de l’analyse économique
du droit. Il va le présenter dans un séminaire à Chicago devant Friedman et Stiegler. Il va
convaincre les économistes que l’approche classique des externalités est une
approche incorrecte. Ils ont toujours raisonné à partir des externalités en disant que
lorsqu’une activité économique à des impacts sociaux, il est normal et souhaitable
que ces externalités négatives soient internalisées par l’acteur économique qui en
est responsable (pollueur-payeur). C’est la démarche que l’on recommandait.

Coase dit que les choses ne sont pas si simples : obliger l’entrepreneur de cette usine à
payer, c’est éventuellement identifier la solution qui est la plus efficiente du point de vue
économique. SI le coût de la pollution est de 1000 et que ses profits ne suffisent pas, l’usine
va devoir fermer. Or peut-être que ce dommage peut être limité par des mesures que
les victimes de la pollution pourraient prendre elles-mêmes. Cela permettra à l’usine
de fonctionner et aux habitants d’être à l’abris de la pollution et d’éventuellement
d’obtenir une prime.

L’idée de Coase est de dire que l’on peut arboriser la recherche par la négociation de
la solution la plus efficiente et que cette solution pourra être bénéfique pour
l’ensemble des parties à l’échange. Si on laisse les parties négocier, elles vont
pouvoir identifier cette solution.

B. Le théorème de Coase

C’est ce que l’on résume dans le théorème de Coase : « si les couts de transaction sont nuls,
l’attribution initiales des droits, combinée avec la libre négociation entre les parties et sans effet sur
l’allocation efficiente des ressources ».

85
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è Ce théorème dit que si on laisse les parties négocier, elles vont trouver la solution la
plus bénéfique et elle sera la même quel que soit les principes de propriété.

Le droit à un rôle du point de vue de l’organisation d’une solution équitable mais l’efficience va
dépendre de la négociation entre les parties. Le marché est un mécanisme favorisant la
découverte de la solution la plus efficiente.
On peut faire différentes lectures de ce théorème et il y a différentes conséquences
politiques qui peuvent s’y attacher. Coase était ambigu quant à la manière d’approche de son
théorème.

- L’efficience est un but que le système juridique doit se donner.

- Sur le plan pratique, lorsque des parties entrent en négociations, elles entrent
avec des ressources et des stratégies différentes. Leur volonté d’aller vers la
solution la plus efficiente sera contrastée par des effets de revenus et d’émotions. Il
peut également y avoir des enjeux sentimentaux dans les négociations.

Exemple : Je suis riche et on veut abattre l’arbre de mon grand-père pour lequel j’ai
une affection particulière. Je peux dire que je veux le garder et que j’indemniserai la
récolte de pomme qui sera perdue. Ici ce n’est pas la solution la plus efficiente.

Le théorème de Coase est donc intéressant mais il part de l’idée que dans le cadre de la
négociation, les agents qui se rencontrent vont se comporter comme des agents
économiques maximisateurs de leur utilité comprise comme le profit monétaire qu’ils peuvent
accumuler sans tenir compte des acheteurs extra économique qui peuvent arriver. On peut donc
s’interroger sur la réalité et la véracité de cette théorie.

Il faut absolument comprendre l’idée de Coase. Imaginons cette situation. La firme pollue le cours
d’eau. Elle fait un bénéfice de 800 euros par mois. Elle cause un dommage qui est évalué à 1000
euros par mois pour les voisins. Dans un tel scénario, si on suit le principe du pollueur-payeur, la
firme va devoir compenser les habitants en versant 1000 euros. C’est l’internalisation des
externalités négatives (= pollueur-payeur).

Cependant, cette solution morale, risque de conduire la firme à arrêter de produire. Coase nous
dit que ce principe n’est pas satisfaisant et qu’on peut trouver une solution plus efficiente. On peut
la trouver en favorisant la libre négociation entre les parties.
Si la firme change ces méthodes de production, elle peut peut-être réduire le dommage subit par
les habitants à un coût relativement abordable pour la firme : 600 euros.

Il lui reste donc un bénéfice de 200 euros. C’est viable mais pas très efficient.
Les habitants peuvent se protéger de la pollution à un coût qui est de 400 euros. La solution
efficiente est donc que la firme paye aux habitants affectés par la pollution une somme située entre
600 euros et 400 euros. C’est dans l’intérêt des deux parties.

86
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è La négociation a permis d’identifier la solution la plus efficiente économiquement en


contournant ce que le droit aurait prescrit. Le droit est utile dans une certaine mesure mais
il ne doit pas se mêler de préjuger la situation la plus efficiente. Le droit doit encourager la
libre négociation sur un marché. Cette solution oublie cependant que dans la vie réelle, on a
d’autres facteurs qui entrent en jeu. C’est un réel reproche que nous pouvons faire à Coase.

C. Trois lectures de Coase

• La première lecture est relativement courante dans l’analyse économique du droit. Elle
consiste à dire qu’il faut favoriser le développement de marché de droit où les parties
puissent négocier pour trouver des solutions efficientes. Cela consiste à réduire les
coûts de transactions

• La deuxième lecture consiste en le fait que comme il est illusoire de résoudre à 0 les coûts
de transaction, on devrait peut-être prescrire au législateur de rechercher les solutions les
plus efficientes et de les appliquer. Le droit devrait viser à prescrire la solution qui est
économiquement la plus efficiente.

• La troisième lecture consiste à dire que puisque les couts de transactions ne peuvent
pas être réduits à 0, on doit faire en sorte de traduire dans le droit les valeurs qui
nous paraissent importantes. Le droit ne doit pas tendre à la solution la plus efficience,
il doit promouvoir d’autres valeurs et donc il est une bonne chose que les couts de
transactions soient élevés.

§2e : La question de la capture de l’État : la théorie du choix public (Stiegler –


Buchanan – Tullock)
A. Nicolas Machiavel, Le Prince (1532)
Dans le néolibéralisme de l’école de Chicago, une des contributions a consisté à appuyer ce
mouvement de la théorie des choix publics. Cela consiste à mettre en doute cette prétention
de l’État à incarner l’intérêt général, à œuvrer pour le bien public, au départ de l’idée que la
décision politique est souvent capturée et colonisée par des groupes d’intérêts. Par
conséquent, on peut mettre en doute cette prétention de l’État à toujours incarner l’intérêt
général.
Cette démarche a démarré au début du 16e siècle, avec la publication de « Le Prince » par Nicolas
Machiavel, dans lequel il conseille Laurent II de Médicis quant à sa manière de conserver le
pouvoir à Florence. Il lui conseille une forme de duplicité.
Le Prince doit, dans ses discours publics, prétendre travailler pour le bien de la population, et
en privé, il doit avoir conscience des rapports de force qui se nouent et travailler de manière
à maintenir son pouvoir.

C’est cette duplicité fondée sur une analyse réaliste des rapports de force que Machiavel
recommande. C’est la raison pour laquelle on l’a accusé d’immoralisme, alors qu’en réalité, il
cherche simplement à montrer la réalité des rapports de force dans la politique florentine.

B. James Madison, Le Fédéraliste (n°10)

Dans l’histoire constitutionnelle américaine, James Madison a développé la même démarche dans
les papiers du Fédéraliste n°10. Ce Fédéraliste défend l’idée qu’il faut que la République
américaine soit outillée pour éviter que les factions ne viennent occuper le pouvoir.

87
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Madison, dans ce papier, exprime sa crainte que des groupes particuliers, des factions, viennent
accaparer le pouvoir d’État pour servir leurs fins propres. Tout le système de la séparation
des pouvoirs que la Constitution américaine va mettre sur pieds va viser à faire remparts à
ce risque que les factions viennent utiliser l’État à leurs fins propres.

C. Charles Beard, An Economic Interpretation of The Constitution of the United States


(1913)

Au 20e siècle, cette tradition va être reprise par Charles Beard, qui publie un ouvrage important
en 1913. Dans cet ouvrage, il revient sur les débats qui ont donné lieu à l’adoption de la
Constitution fédérale des États-Unis en 1787 lors de la Convention de Philadelphie.
Il remarque que la plupart des acteurs impliqués dans la rédaction de cette Constitution sont
des grands propriétaires terriens, et que beaucoup des clauses de la Constitution peuvent
être interprétées comme visant à protéger les intérêts de ces grands propriétaires.

Beard a publié cet ouvrage pour dénoncer le fait que la Constitution américaine soit sacralisée
alors qu’on oublie que derrière sa réaction, il y avait des intérêts économiques. C’était une
Constitution de propriétaires.
De plus, il y a un certain paradoxe car un juge conservateur a un jour cité Charles Beard dans un
arrêt rendu par la Cour Suprême des États-Unis en 1934 pour défendre une interprétation
conservatrice de la Constitution.

Cette affaire s’appelle « Home Building & Loon Association v. Blaisdell », et elle concernait une loi
adoptée au Minnesota de 1933 qui voulait protéger les personnes ayant hypothéqué leur
propriété afin de rembourser leur emprunt permettant l’accès à la propriété immobilière.
On se trouvait à l’époque au milieu d’une grande dépression économique et financière, et le
Minnesota a dit qu’il s’agissait d’une sorte d’état d’urgence, étant donné que les personnes
endettées n’arrivaient plus à rembourser leurs dettes. L’État de Minnesota voulait leur donner un
répit par rapport aux remboursements qui sont exigés de la part de leurs créanciers qui menacent
de saisir les biens immobiliers.

La question qui se pose à la Cour Suprême est la suivante : Cette loi n’est-elle pas contraire à la
clause de la Constitution qui garantit le respect des obligations contractuelles (article 1er, §10) ?
Cette loi n’est-elle pas également contraire au 14e amendement de la Constitution fédérale ?

La majorité de la Cour Suprême a considéré que l’État du Minnesota pouvait prendre en compte
cet état d’urgence pour adopter cette législation. Mais le juge s’est opposé à cette opinion
majoritaire, il défend l’idée que la Constitution doit être interprétée à la lumière des
intentions qui en animaient la formulation. Ces intentions étaient celles de propriétaires
qui voulaient protéger leurs propriété par l’adoption de cette clause qui protège le respect
des contrats.

De manière paradoxale, c’est un juge conservateur qui s’est servi de cet historien
progressiste pour justifier une interprétation très stricte de la clause de la Constitution
relative au respect des rapports contractuels.

D. Anthony Downs, An Economic Theory of Democracy (1957)


Cette démarche de Charles Beard a été par la suite prolongée et trouve sa manifestation dans des
ouvrages des années 50-60 qui vont développer cette théorie du choix public.

En 1957, Anthony Downs a publié un ouvrage dans lequel il relève que la plupart des électeurs
ont des choix modérés entre l’intervention de l’État d’une part, et le laisser-faire d’autre part,

88
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

et donc la plupart des partis politiques ont tendance à aller vers le centre pour capter le vote
de l’électeur médiant.

E. James Buchanan & Gordon Tullock, The Calculus of Consent. Logical Foundations
of Constitutional Democracy (1962)
Cette analyse de la décision politique va être prolongée par un autre ouvrage de James Buchanan
et Gordon Tullock dans lequel ils proposent une analyse de la politique à partir de l’idée qu’elle
peut se comprendre à travers le comportement égoïstes des électeurs et décideurs
politiques.

F. Mancur Olson, The Logic of Collective Action. Public Goods and the Theory of
Groups (1965)
La publication de cet ouvrage a été prolongée par un autre ouvrage de Mancur Olson sur la logique
de l’action collective. Dans cet ouvrage, Olson a mis en avant les différences entre les groupes
d’intérêts qui sont plus ou moins en mesure de peser sur la décision politique.

Il a fait remarquer que les groupes d’intérêts qui regroupent un petit nombre d’acteurs ayant
tous un intérêt relativement important à investir dans l’action publique pour obtenir
certains avantages vont peser d’avantage sur la décision politique que les groupes
regroupant un très grand nombre de membres ayant chacun un intérêt relativement modeste
à ce que la décision politique soit adoptée dans telle ou telle direction.

Quand un groupe est composé d’un grand nombre de personnes, chacun aura tendance à compter
sur les efforts des autres plutôt que d’investir lui-même dans l’action politique et dans le
financement du gouvernement. De plus, si ces personnes ont un intérêt relativement faible à ce
qu’une réforme soit adoptée, elles ne vont pas vouloir consentir le prix que cela exige pour
influencer la décision politique. Il y a des intérêts largement présents dans la société mais diffus
sur un grand nombre de personnes qui seront sous-représentés dans la décision politique.

G. George J. Stigler, “A Theory of Economic Regulation” The Bell Journal of Economics


and Management Science (1971)

A travers ces différents travaux, Georges Stigler a publié un article en 1971 dans lequel il met en
avant les facteurs qui expliquent que la décision politique sert systématiquement les
intérêts de quelques acteurs économiques influents, au détriment parfois du public.

Que déduire de ces thèses qui mettent en doute l’idée que l’État incarne l’intérêt général ?

• D’un côté, on retrouve des auteurs qui se sont saisis de ces théories pour démontrer que
le juge devait faire bien davantage pour contrôler le législateur qu’il est légitime de
soupçonné de vouloir privilégier certains intérêts au détriment de l’intérêt général.

Exemple : Richard Epstein va publier en 1985 un ouvrage appelé « Takings – Private


Property and the Power of Eminent Domain » dans lequel il étend cette interprétation de la
clause de la Constitution américaine qui interdit à l’État de procéder à des expropriations,
pour dire que l’État exproprie bien plus souvent qu’il n’y parait. En effet, très souvent,
l’État agit pour favoriser certains groupes économiques qui ont réussi à capter à leurs fins
le processus de décision politique.
è Le juge devrait alors jouer un rôle beaucoup plus actif parce qu’on ne peut pas faire
confiance au législateur.

89
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

• D’un autre côté, d’autres auteurs ont rétorqué qu’il n’y avait pas davantage de raisons
de faire confiance au juge qu’au législateur. Le juge, lui aussi, pouvait être colonisé
par certains groupes d’intérêts et instrumentalisé par certains acteurs.

Par ailleurs, toute dénonciation d’une distorsion de l’intérêt public par l’État supposait
que l’on puisse définir ce qu’est l’intérêt général de manière neutre. Cela est difficile à faire,
il est donc peut être bon de faire confiance au législateur en ne censurant que les
erreurs manifestes d’appréciation qu’il peut commettre, et en intervenant que dans
les cas les plus extrêmes.

L’enseignement général qui se dégage de tous ces travaux est qu’il ne faut pas faire une
confiance aveugle à l’État, qui peut échouer (comme la marché, en cas de rente ou de monopole)
lorsque la décision politique est captée par certains au détriment de l’intérêt général.

A juste titre, Stigler critique les progressistes qui pensent que l’État puisse venir au secours de la
cause progressiste, et qu’à travers l’État, la société va pouvoir résoudre les défis qui lui sont posés.

Section 2. L’impérialisme de la science économique


Les auteurs qui se rattachent à l’École de Chicago ont eu la prétention de développer des
raisonnements fondés sur le marché dans toute une série de domaines de la vie sociale, d’où ces
raisonnements étaient auparavant exclus.

C’est une sorte d’économisation de la vie sociale qui se déroule, car peu à peu, les raisonnements
fondés sur l’économie vont coloniser la famille, les choix intimes, le droit pénal, et d’autres
domaines qui n’intégraient pas de raisonnement économique auparavant. C’est ce que l’on
appelle l’impérialisme de la science économique, qui va tendre le raisonnement économique
bien au-delà de la sphère du marché où le raisonnement économique a son origine.

Une des manières à travers lesquelles l’École de Chicago a influencé la science économique est
d’avoir développé une compréhension de la science économique qui lui permettrait de pénétrer
dans différents domaines de la vie sociale, à travers l’idée que l’économie est non seulement une
science qui permet d’approcher ce qui se passe sur les marché, mais aussi une manière de
comprendre la rationalité de nos décisions dans tous les domaines de la vie quotidienne.

A. Lionel Robbins, An Essay on the Nature and Significance of Economic Science


(1932)

Pour revenir au point de départ de cette évolution, il faut comprendre la définition de la science
économique. Dans un article de 1932, Lionel Robbins propose la définition science de
l’économie : « la science qui étudie le comportement humain en tant que relations entre les fins et
les moyens qui ont un usage alternatif ».
Ce qui est intéressant dans cette définition, c’est que à la fois l’économiste prétend ne pas se
prononcer sur les fins que les individus poursuivent, et en même temps il prétend pouvoir
évaluer la rationalité de nos choix quant à la manière dont nous utilisons les ressources rares
à notre disposition, dès lors que nous nous sommes donnés certaines fins.

A travers cette idée que l’économie est la science de la rationalité des choix qui permet
d’évaluer si la manière dont nous faisons nos choix une fois que nous avons choisi les fins
que nous poursuivons est adéquate, cela ouvre la porte à l’impérialisme de la science
économique.

90
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

A partir de cette idée que l’économie est la science de la rationalité des décisions, on peut
développer l’économie dans tous un tas de domaines, et bien au-delà du comportement marchand
où la science économique a son origine.

B. Gary Becker (1930 – 2014)

Gary Becker s’est vu attribuer le prix Nobel de l’économie en 1992, et il est l’exemple le plus
typique de cet impérialisme de la science économique.

Il est le fondateur de la micro économétrie, il étudie, à partir de la science économique, les


comportement humains dans un ensemble de domaines de la vie sociale. Il part du postulat que
l’individu est rationnel, qu’il a des préférences stables, et qu’il est capable de calculer les
couts et avantages de chacune des options qui se présente à lui. C’est un individu
maximistateur d’utilité, un individu calculateur qui fonde l’approche économique de Becker.

Becker va également développer la notion de « couts d’opportunité », qui n’est en fait pas
neuve. Benjamin Franklin l’avait déjà développée dans un ouvrage en 1746.
Exemple : Si je choisis une option A parmi un ensemble d’options, le cout de cette option A n’est
pas seulement ce qu’on investit dans l’exploration de cette option, mais aussi ce qu’on ne fera pas
en ne choisissant pas les options alternatives.

Becker va étendre cette notion, et notamment au domaine de la famille, en s’interrogeant par


exemple sur le cout d’opportunité qu’il y a pour la femme de rester à la maison si les salaires sur
le marché augmentent. De manière générale, Becker va utiliser la science économique pour
travailler dans une série de domaines qui échappaient aux économistes. Deux exemples :

• « The Economics of Discrimination ». Dans cet ouvrage, Becker étudie la discrimination


raciale dans l’emploi et sur le marché de l’habitation. Au fond, il considère que dans un
marché parfaitement concurrentiel, celui qui discrimine va se trouver sanctionner.

Exemple : L’employeur qui recrute des personnes en fonction de leur appartenance


ethnique ou de leur race va se priver de mettre à son service les meilleures compétences,
les employés potentiels qui ont le plus de mérite et de qualités.
Les employeurs qui agissent en fonction de leurs préjugés raciaux vont être
progressivement moins concurrentiels, parce que leurs concurrents vont recruter les
meilleurs employés. Peu à peu, le marché lui-même va sélectionner les employeurs qui ont
le moins de préjugés, car ils font les meilleurs choix.

• « Human Capital ». Dans cet ouvrage publié en 1964, Becker étudie la question de
l’investissement dans l’éducation, la formation, la santé pour développer ses compétences
et sa capacité à être productif, comme un investissement qui sera fait par l’agent
individuel. Becker va mettre en cause l’idée que la formation et l’éducation que les gens
reçoivent doivent être vues comme un bien public que l’État doit fournir, parce
qu’autrement, il ne sera pas suffisamment fourni par le marché.

L’idée classique est que la formation et l’acquisition de compétences sont une


externalité positive, la société dans son ensemble bénéficie du fait que les individus
seront mieux formés en son sein, et donc il faudrait que l’État intervienne pour fournir
ce bien public.

Si on suit cette logique de l’acquisition de compétences comme externalité positive, on


doit supposer que les employeurs vont être réticents à vraiment bien formés leurs
employés, parce que s’ils sont bien formés, ils risquent d’aller ailleurs. La formation

91
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

reçue dans l’entreprise au départ va par conséquent être un investissement perdu pour
l’employeur, qui va voir fuir ses meilleurs employés vers les concurrents.

Becker dit que ceci est peut être un malentendu car en réalité :

- Soit la formation reçue est celle qui correspond spécifiquement à l’entreprise qui
dispense cette formation. Le problème de l’externalité positive ne se pose alors pas,
la formation reçue ne sert qu’à l’entreprise elle-même.

- Soit s’agissant de la formation générale que l’employé pourrait utiliser ailleurs, y


compris au service des concurrents de l’employeur, l’employé va en comprendre la
valeur. Il va donc accepter un salaire plus bas afin de recevoir cette formation que lui
donne l’entreprise, et elle n’a donc pas à se plaindre de la situation où elle peut sous-
payer l’employé simplement parce qu’elle lui fournit un service, qui est de le
doter de compétences qu’il pourra ensuite valoriser ailleurs.

La solution de Becker est donc de laisser faire le marché, la fixation du salaire par la libre
négociation entre l’employeur et l’employé, et le capital humain va malgré tout pouvoir se
développer. On va toujours investir dans l’acquisition de nouvelles compétences.
Tantôt ce sera l’employeur qui voudra développer les compétences de ses employés afin que ceux-
ci soient plus productifs dans l’entreprise, tantôt ce seront les employés qui voudront acquérir
des compétences qu’ils pourront valoriser ailleurs, en contrepartie de quoi l’employeur pourra
payer un salaire en dessous de la valeur réelle de l’employé.

Ces travaux de Becker partent d’une lecture des comportements humains qui est typique de
l’approche de l’économie classique, où l’individu est pris comme un homo economicus,
faisant des calculs rationnels et cherchant à maximiser son utilité. Mais cela pose deux
questions :

- Ces comportements, dans la vie réelle, correspondent-ils bien à la manière dont ils sont
modélisés sur le plan économique, ou bien est-ce que l’individu n’est pas aussi rationnel
que les modèles voudraient nous le présenter ? Réalisme de ses prises de positions ?

- N’y a-t-il pas des domaines dans lesquels la rationalité marchande devrait être exclue ?
N’y a-t-il pas des domaines qui devraient être préservés de cette rationalité et où il
faudrait que d’autres valeurs que les valeurs purement marchandes l’emportent ?

Quelques questions de fin de chapitre :

1) L’individu va prendre des choix dans le but de maximiser son utilité.

92
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

GB est un auteur qui applique les outils de la science économiques à tous les domaines de la vie
sociales.
è Impérialisme de la science économique, elle pénètre les nouveaux domaines de la
vie sociales, où elle était exclu auparavant (famille, politique pénales, …). Les rapports
sociaux se voient étudier avec les lunettes de la sciences économiques. La seule
rationalité qui devient acceptable, c’est la rationalité économique.

C’est le calcul des coûts/bénéfices de chaque action qui caractérise cette rationalité
économique, et quand GB l’applique à différents domaines sociales, au fond c’est une manière de
dire que les autres rationalité ne sont pas aussi dignes de respect/solide pour l’individu, qui se
comporte comme un agent économique rationnel.
Exemple des vidéos : l’employeur qui discrimine car il n’engage pas de noirs se pénalise lui-même.

è Le fait d’évaluer la chose d’une autre manière va être dévalorisé.

2) Dans quelle dimension sommes-nous ?


Dimension positive = description
Dimension prescriptive = norme qu’on impose

GB prétend décrire la façon dont les choses se passe : nous sommes des individus qui calculent
les coûts/bénéfice de chaque action. Il y a en plus, une prescription dans la manière de
réfléchir. C’est une norme qu’on impose.
è Heureusement, toute la vie ne se résume pas à un analyse couts-bénéfice.

3) Le rôle du juge

Une fois qu’on a réécris le rôle du législateur comme étant le résultats des efforts des groupes
d’intérêts, le juge doit éviter toute naïveté par rapport à la décision du législateur, et doit
être attentif aux risques d’abus de pouvoir de ce dernier, qui ne peut pas toujours prétendre
incarner l’intérêt général.

La justice est plus au moins accessible pour différents groupes dans la société, en fonction de sa
compréhension du monde de la justice, on peut avoir accès au juge.

Peut-on faire confiance au juge pour censurer le législateur? Pour la même raison, pas trop.
Résultat d’un rapport de force entre les différentes factions de la société.

Une fois qu’on passe les pouvoirs de l’état au crible de la critique de la théorie des choix publics,
il reste le marché.

Peut-on lui faire confiance ?


On laisse les agents économiques prendre des décisions économiques (les entreprises vont
choisir quoi produire, dans quoi investir) et l’état a un rôle de régulateur du marché.
Or, si on ne peut pas faire confiance à l’état, on doit laisser un marché sans surveillance, ce
qui débouche sur des abus de pouvoirs privé, ce qui est l’opposé de l’objectif à atteindre.

Qui d’autre à part l’état peut s’assurer de la police du marché ?

4) Conséquence pour le rôle du juge de Coase

Bref rappel sur Coase : Pour Coase, la liberté de négocier sur le marché est la meilleure façon
d’aboutir à découvrir la solution la plus efficiente économiquement. Il est en faveur d’une

93
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

situation dans lequel, une fois que l’état a identifié les droits et obligations des autres, elle
laisse libre recours à la négociation entre les individus pour qu’ils puissent arriver à des
décisions qui confient à leur intérêts respectifs. Ils sont mieux placé que l’état pour
déterminer quelle est la solution la plus efficiente économiquement.
Il ne dit pas que l’état est inutile (assigner les DOB = question de justice), il dit juste que une fois
que l’état a fait cela, il doit laisser les individus.

Le rôle du juge est donc d’organiser la négociation, dans le but qu’elle débouche sur la
solution la plus efficiente.

Dans l’exemple de pollution par les entreprises vu précédemment : deux scénario :


- L’E qui pollue n’a pas à payer.
- Le droit de la R l’impose à payer le dommage
L’état doit choisir quelle régime créer en fonction des valeurs de la justice dans la société.
Le juge doit éviter d’imposer de manière trop arbitraire la solution que le droit préconise, il doit
laisser les parties négocier.

Obstacles à la négociation : les coûts de transactions : le juge peut faire autre chose si l’accord
est difficile à trouver. Il doit faire des choix de société.

Exemple : Le TPI est confronté à une action en R car la Belgique ne va pas assez vite en matière de
réchauffement climatique.
Dans la logique de Coase, le juge peut trouver lui-même la situation économiquement la plus
favorable, et de compléter l’œuvre du législateur. Ce dernier ne peut connaitre le détails des
contextes variés dans lesquels les conflits vont émerger. Le juge prolonge le travail du législateur,
si la négociation est trop longue et complexe à organiser et va identifier la solution la plus
efficiente économiquement.

è Pour Coase, seul l’efficience économique compte.

5) Agenda social

Rôle pour la protection social dans la vision des néo-libéralistes de l’école de Chicago ?

En quoi ce libéralisme est-il néo ? En quoi il se distingue du libéralisme manchestérien ? Où les


enfants travaillaient dans les mines, sous prétextes qu’il fallait respecter la liberté de commerce
entre les individus.

è Le libéralisme ne peut être séduisant pour les masses que s’ils se dotent d’une
dimension sociale. Mais comme on a peur d’une sorte d’hypertrophie de l’état, ils vont
avoir un agenda social très particulier.

è Il faut trouver un équilibre entre le laisser faire et totalitarisme de l’état providence.

Au lieu d’introduire la justice sociale dans la réforme du marché, on va réformer l’individu : on


parle du social à l’individu, on veut travailler sur les individus pour qu’ils soient des agents
économiques qualifiés. Une fois qu’ils ont cet esprit d’entreprise, plus besoin de l’EP. Les individus
vont eux même chercher un emploi.

Objectif : L’agenda néo-L veut équiper les individus afin qu’ils deviennent des agents
économiques performants.

94
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Lawrence Mead : la pauvreté subsiste car les individus ne sont pas suffisamment prêt à
améliorer leur comportement, se réformer. On a des filles qui deviennent mère trop tôt, des
couples se séparent et ça débouche sur des familles dysfonctionnelles.

è Les individus ne sont pas assez performants -> Politique de réformation de


l’individu, plutôt que la société, qui va tenter de réformer les individus, les éduquer à
devenir des agents éco performants.

95
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 4. L’école allemande de l’ordolibéralisme


Section 1. Généralités sur l’ordolibéralisme – quelques acteurs

L’ordolibéralisme est une école née à Fribourg, au sud de l’Allemagne.

Cet ordolibéralisme allemand a sa source dans les travaux de juristes et d’économistes qui
ont été des résistants au nazisme. Ils étaient parfois résistants actifs, ce qui a conduit certains
d’entre eux à s’exiler, et d’autres ont été moins actifs mais ont résistés par leurs écrits à la
prétention totalitaire des États nazis.

Le point de départ de l’ordolibéralisme allemand est celui d’une question qui a eu lieu dans les
années 30 : Que faut-il faire dans une crise économique avec un tôt de chômage incroyable ?
On réunit des experts. Parmi eux, il y a Wilhelm Röpke, qui dit que le problème du chômage en
Allemagne, c’est parce que les salaires sont trop élevés, donc les entreprises trop peu
concurrentielles. On aide trop les sans emploi et on incite pas assez à travailler. Il veut créer
des incidents pour qu’on se tourne vers le travail.
è Réduire salaire
è Augmenter incitants

Si on insiste à travailler, ça ira mieux.

Un mouvement se constitue donc sous l’Allemagne nazie.


Attention : l’ordolibéralisme a résisté au nazisme, elle n’en était en rien complice.

A. Konrad Adenauer, Chancelier fédéral 1949 – 1963


Les ordolibéraux ont pris beaucoup d’importance, notamment lorsque Konrad Adenauer est
devenu chancelier fédéral, et a donc du reconstruire l’Allemagne après la seconde guerre
mondiale. Adenauer était très proches des ordolibéraux, il va s’entourer de conseillers
économiques très influents. C’est un Conseil Économique qui est peuplé de ces ordolibéraux (rare
était les économistes non soupçonnés des crimes commis par le régime nazi)

è La politique économique allemande était ordolibérale au cours des premières années.

B. Ludwig Erhard

Erhard était le ministre de l’économie de Adenauer, c’est lui qui va promouvoir l’idée d’une
économie sociale de marché, qui définit la démarche des ordolibéraux. En 1963, c’est Erhard
qui va devenir Chancelier fédéral d’Allemagne.

C. Walter Eucken (1891 – 1950)


Il n’est pas complice du nazisme. C’étaient des juristes et économistes qui ont résisté au
néolibéralisme : par de la résistance physique et intellectuelle. Plusieurs d’entre eux ont dû
s’exiler.
è Création d’une politique d’opposition intellectuelle au nazisme.

Il publie un ouvrage en 40 dans lequel il dit que toute intervention de l’état dans l’économie
est problématique car cela expose l’Etat à prendre le parti pour certains secteurs de la
société : à partir du moment où l’état intervient, il va prendre sa position d’arbitre et va échouer

96
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

à incarner l’intérêt général. Il va développer idée qu’il faut faire un choix clair entre deux modèle
de l’état par rapport au marché.

L’ordolibéralisme est dominé par la figure de Eucken, qui était extrêmement influent. Il a écrit
avec deux autres auteurs, Franz Böhm et Hermann Grossmann-Doerth, le manifeste ordolibéral
en 1936. Il a également créé la revue « ordo », qui est la revue phare du mouvement ordolibéral.
Pourquoi avoir appelé cette revue « ordo » ?
Pour les ordolibéraux, on doit s’assurer que chaque État se dote non seulement d’une
Constitution politique qui organise la séparation des pouvoirs et garantit les droits et libertés
fondamentaux, mais également une Constitution économique, qui doit déterminer le rôle de
l’État par rapport au marché, et les manettes dont l’État dispose pour influencer le cours du
marché.

Il ne faut pas répéter les erreurs du passé. L’erreur commise est quand le pouvoir d’état a capté le
pouvoir économique, alliance entre le pouvoir d’état capté par les nazis et les entreprises.
è Société devenue totalitaire. C’est pourquoi, il faut séparer le pouvoir économique de
l’état. Il ne faut pas que les entreprises inondent l’état.
è Les ordolibéraux, ajoutent en plus de la séparation des pouvoirs par Montesquieu ->C°
POLITIQUE, une séparation entre le pouvoir économique et pouvoir étatique. -> C°
ECO

Pour les ordolibéraux, il y a 2 types de rapports que l’on peut imaginer :

- Soit dans des économies dirigées, planifiées et centralisées, c’est l’État qui est
aux commandes et qui oriente la vie économique. C’est la solution qu’on pourrait
qualifier de totalitaire aujourd’hui = état centralisateur qui contrôle l’économie.

- Soit l’État respecte l’autonomie du marché, se contente de jouer son rôle


d’arbitre, n’oriente pas le cours de la vie économique, mais impose un cadre. Au
sein de ce cadre, les acteurs économiques doivent pouvoir se faire concurrence.
è L‘état se met en retrait du marché, veille à ce que le marché fonctionne bien mais s’abstient
d’agir.

C’est cette grande opposition qui est mise en scène dans un manifeste Unsere Aufgabe : Etat
robuste pour résister aux groupes d’intérêts et qui n’intervient pas dans l’économie. Il se contente
de jouer le rôle d‘arbitre.

Il n’y a pas de position intermédiaire entre ces deux rapports pour les ordolibéraux. Leur
préférence va évidemment vers un État qui laisse l’économie se développer librement, car
autrement, l’État risque de devenir totalitaire. Tout système hybride va déboucher sur des
conséquences totalitaires.

D. Franz Böhm (1895 – 1977)

Il était à l’origine du droit de la concurrence allemand auquel il a consacré des ouvrages.

E. Alfred Müller-Armack (1901 – 1978)

C’est lui qui est l’auteur du terme « économie sociale de marché ». Pour Armack, les politiques
sociales doivent être conçues de manière à favoriser la capacité pour chaque acteur
économique d’être performant sur le marché, et il ne faut pas que les politiques sociales
deviennent des politiques d’assistance qui créent une indépendance.
Il faut des politiques sociales qui soutiennent les individus, mais en les formant pour qu’ils
puissent devenir autonomes et performants sur le marché.

97
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

La meilleure politique sociale pour les ordolibéraux est une politique qui créé des emplois et
qui permet à chacun d’acquérir les compétences permettant d’être employable sur le
marché.

Alfred Muller-Armack a été secrétaire d'état pour l'Allemagne pour les affaires européennes. C’est
lui qui a négocié le traité de Rome et qui a créé la Communauté économique européenne.
Il a importé dans le traité de Rome des concepts de l’ordolibéralisme.

Alfred Müller-Armack et d’autres ont mis dans les débats deux idées :
- Les états et la CEE doivent se doter d’une C° économique. Cette idée rejoint l’idée
de la séparation des rôles entre l’état et le marché, exactement comme la C° politique
doit séparer et organiser les pouvoirs. La C° économique doit séparer l’état et le
marché et doit définir le rôle légitime de l’état dans le marché, pour éviter que les
grandes E ne viennent s’approprier le pouvoir de l’état.

Cela se traduit par la garantie de libertés économiques comme garantie C° : au


début du 20ème, sous l’ère Lochner, on a constitué la liberté d’entreprendre, la
liberté de commerce et de contracter. On veut protéger les libertés de toutes
immixtions de l’état pour protéger la liberté de marché.

- Un état, comme la CEE doit se doter d’un droit de la concurrence performant.


Parce que bien que l’état ne doit pas se substituer aux acteurs de marché, ce qu’il doit
faire, c’est préserver les conditions de biens fonctionnement du marché, assurer une
fonction de police du marché à travers le droit de la concurrence.

Il faut un droit de la concurrence européen robuste et une mise en œuvre par une
institution, qui va devenir la commission européenne, impartial, apolitique, forte
pour faire face à la pression des groupes d’intérêts et jouer le rôle d’arbitre sur le
terrain économique. L’arbitre doit imposer le respect des règles du jeu.

On peut parler des travaux de Hayek :


(1) Pour avoir la paix sur le continent, il faut créer un marché européen.
(2) Il faut créer une solidarité de fait entre les états européens. Cela suppose un marché
unique, une libre circulation des personnes
(3) Si on crée une libre circulation des personnes, chaque états va intervenir moins dans
l’économique du pays, pourquoi ce non interventionnisme ? Si un état veut réguler trop
étroitement la vie économique, il serait pénalisé par le fait que les capitaux s’en iront. Les
entreprises vont alors aller ailleurs. L’État sera désarmé et pénalisé s’il est trop régulateur. Toute
intervention excessive va les pénaliser. Faudrait-il pas réguler au niveau européen ? Cela serait
pensable
(4) Pourquoi pas compenser la dérégulation au niveau national ? C’est impensable en pratique
car la diversité des états européens empêchera de retrouver un accord sur des questions
comme le nombre d’heure de travail. Il n’y a pas une solidarité suffisante entre les peuples pour
trouver un accord. Il n’y a pas de peuple européen.

è Pour éviter la guerre, les économies doivent fusionner, mais les états vont déréguler car
concurrence les uns avec les autres, et on ne pourra plus re-réguler au niveau européen
car il n’y a pas de solidarité partagé. La liberté de marché sera préservé car l’état ne
pourra pas la réguler.
è Il y a des similitudes entre ce que Hayek propose et ce qui va être instauré au niveau
européen.

98
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Question de fins de chapitre :

1.

Dans l’UE, la crainte qui s’est exprimé depuis la création de l’UE, c’est la concurrence fiscale et
sociale qui réduisent le poids de la fiscalité sur les E au nom de la compétitivité dans un
marché unique.
Hayek présentait cela comme un programme libéral. C’est ce que l’UE a réalisé.

Le rôle principale la puissance de la commission européenne … bug du professeur

Comment qualifier la liberté des EM, d’avoir une politique sociale et fiscale. Sont-ils libres de définir
ces politiques ?

En principe, cette liberté est complète. Ils ont différents modèles d’états social, que rappel Dumont
dans son textes bismarckien, régime familialiste, … -> grandes diversités des modèles d’EP.

Ils sont limités par les politiques économiques européenne.


On a une L formelle des EM car l’UE ne peut légiférer en matière sociale et fiscal mais cette
L est illusoire parce que tt ce que fait un état, il doit le faire en regardant ce que font les
autres états. S’il légifère de manière négative, l’état prend le risque des départs des acteurs
économiques, qui offrent des actions + favorables. Concurrence entre les états.

Il ne s’agissait pas pour l’UE d’uniformiser le droit social et fiscal mais même quand il n’a
pas d’outil législatif pour le faire, il y a une pression qui s’exerce sur les pouvoirs fiscaux et
sociaux parce que ces états sont en concurrence les uns avec les autres (= utopie de Hayek -

99
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

> marché unique, solidarité entre plusieurs EM, forcément les états n’oseront pas pénaliser leurs
économies)

2.
Tous ces états sociaux sont sous pressions. Il y a a une européanisation qui résulte de la mise
en concurrence des états dans le marché intérieur.

3. Cette tendance de l’activation (fait que l’allocation de chômage va être subordonné à des
conditions telle que la preuve qu’il chercher du travail) de l’état social abouti à une
harmonisation/uniformatisation des solutions ?

L’activation est le fait que les allocataires demeure passif, -> on veut les inciter à chercher du
travail car on veut éviter la forme de passivité.

L’activation peut se voir de deux manières :

L’action des politiques sociales s’entend de l’activation des individus et des services sociaux.
Selon la philosophie des EM, c’est tel ou tel lecture qui va l’emporter.
L’uniformisation des EM -> ressemble à un trompe l’œil.

Les domaines harmonisés par les directives européennes : égalité de traitement, …

4. Arrêt Viking et Laval : comment ses arrêts peuvent être rapporté à cette dystrophie
ordolibérale, tel que vue chez Hayek ?

Arrêt V : les lois sociales étaient


moins couteuse du coté estonien que
finlandais.
Vu en DUE : contraire au droit de l’E
de choisir de délocaliser

100
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Arrêt Laval : entreprise lettonne qui voilait


construire une école dans la banlieue de
Stockholm. L’entreprise emmené ses propres
travailleurs sur les chantiers, recrutés en
vertu du droit tchèque plutôt que du droit
suédois. Les syndicats suédois ont protesté. Il
fallait faire primer la libre p de service sur le
droit des syndicat de protester. Ces deux
arrêts opposent les L éco à la L des syndicat
d’exercer l’action collective (exercer grèves,
actions collectives tel que blocage, …)

Comment relier cela au néolibéralisme ?

La liberté économique est le principe, les ingérence sont les exceptions. C’est slmt à des
conditions restrictives que l’on peut admettre que de telle restrictions économiques soient
imposées. En quoi ceci se rapproche des thèse vu cette après-midi dans le Néo-L ?

La Suède et la Finlande, dans ces eux arrêts ont un droit social très généreux et protecteur. Ces
deux états se demandent si ça sert à quelque chose d’avoir un DC protecteur, si au final, les
entreprises fuient et vont ailleurs.

C° éco : pour les ordo L, la notion de C° éco est aussi importante que la notion de C° politique.

L’état doit définir des L fondamental, tout ce qui concerne l’organisation du pouvoir (=ce que fait
une C° politique), mais un état doit définir les rapports d’un états au marché. Cette C° doit
garantir la séparation des sphère économiques et politique, protéger l’état contre le risque
d’instrumentalisation de l’état par les acteurs économique.
V et L illustrent cette C° éco européenne qui protège les acteurs économiques contre les
ingérences de l’état.

Dans ces affaires, on a considéré cela comme des entraves à la LPS ou LE. Or, c’était autorisé par
le droit de ces états. On pourrait concevoir que dans la veine NL, on veille à ce que les rapports de
force qui sont imposés par les syndicats et qui entravent la L des acteurs éco, la L des E soient
condamnés.
è C° sociale où il règle l’action légitime au nom des syndicats, ce qu’ils peuvent faire, les
empêcher, …

L’idée que le marché est une espace de concurrence éco sans que les agents économiques jouent
un rôle est une fausse idée.

Diverses réponse du chat teams :

Je dirais qu'on peut remarquer qu’il y a une sorte de fusion de l’économie, par le biais de libertés
fondamentales notamment de liberté de circulation, d’établissement et autres, mais il y a toutefois un
arbitre puisque ces libertés peuvent être restreintes et régulées par l’UE. Il y a donc une inspiration néo-
libérale puisqu’il y a une tentative de mise en commun de l’économie, et les États ne vont pas forcément
pouvoir agir, sous peine de se voir sanctionner par la Cour de Justice, s’ils ne respectent pas la liberté et
que ce non-respect n’est pas justifié par de bonnes raisons.

101
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

De plus on peut remarquer qu'il y a de grosses différences, notamment au niveau des conditions de
travail entre les différents États et on voit là bien en quoi la solidarité entre tous les États membres est
impossible, il n'est pas possible d'avoir quelque chose de totalement commun à tous car ils sont trop
différents.

Je pense le droit social est supposé être une protection plus efficace contre la concurrence des états
membres notamment au niveau des normes sociales. Cependant, il semblerait que les traités
aujourd'hui montrent que les droits sociaux comme des exceptions aux libertés économiques

102
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

PARTIE III. GOUVERNER PAR LA LIBERTÉ :


L’ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE
Nous allons parler de l’émergence des sciences du comportement et leur impact sur la science
économique et sur la science de la gouvernance, sur la régulation juridique. Nous allons partir
de la manière dont les sociétés libérales démocratiques se sont constituées. On a appelé cela
les révolutions de l’autonomie qui ont permis d’attester l’émergence du libéralisme politique et
économique.

On a ensuite examiné comment le libéralisme économique du 19e siècle a été progressivement


remis en question dans un mouvement de pensée du modernisme (1890 – 1920). Nous allons
ensuite voir comment l’état providence a émergé à la suite de la critique du libéralisme.

Nous avons déjà examiné les différentes versions du néolibéralisme avec l’école autrichienne
(représentée par Hayek), l’école de Chicago (Coase, Friedman, Stiegler) et ensuite l’école ordo
libérale qui a sa source dans les travaux de l’analyse économique du droit de Fribourg.

Nous les avons déjà examinées car ce sont les néolibéralismes qui ont mis en cause le paradigme
de l’état providence protecteur, au départ d’une idée de marché qui devait être construit
activement par l’état de politiques sociales qui ne devaient pas amener des distorsions sur
le marché. Le néolibéralisme a pu s’imposer dans les années 1970 mais surtout 1980, après la
crise de l’état providence qui a ouvert la voie à l’alternative néolibérale.

Nous avons également vu comment le néolibéralisme a montré qu’il faut inciter l’individu à se
mettre en cause à travers les signaux qu’il reçoit du marché. Il suppose cette fonction
d’apprentissage.

Nous allons tenter de comprendre les débats contemporains. Nous allons distinguer trois grandes
options qui se présentent :

• L’approche par les sciences comportementales de la régulation juridique.


• Le paradigme des communs.
• Les alternatives à la démocratie représentative classique.

Comment sortir du libéralisme ? une des voies : cette approche comportementale de la


gouvernance.

Les sciences comportementales, c’est prendre conscience que nous sommes victime de biais
liés à une pensée automatique, que nous sommes mal positionnés pour raisonner car nous
sommes poussés dans le dos par des normes sociales. En plus de ces biais, nous avons tendance
à réfléchir à partir de modèles qui nous amènent à réfléchir dans telle direction par analogie
avec des situations qu’on a déjà vécu.

è Elles permettent de nous faire prendre conscience des faiblesses.

Ce sont les trois propositions qui nous seront faites dans les débats contemporains. On verra qu’il
y a parfois des intersections entre eux. Mais ce sont essentiellement trois directions dans
lesquelles les nouvelles propositions se développent.

Section 1. Le comportementalisme
§1er : Les différentes pensées

103
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Pour le comprendre, il faut partir d’un certain nombre d’exemples qui montrent 3 phénomènes :

A. La pensée « automatique » (cadres et biais heuristiques, réflexes)


Lorsque nous sommes amenés à prendre des décisions dans la vie quotidienne, nous
recourons de manière spontanée à certains réflexes, certaines intuition. On peut appeler cela la
pensée automatique. Elle est notre manière spontanée d’aborder des problèmes que nous
avons à affronter. L’essentiel des choix que nous faisons dans la vie sont dictés par cette
pensée automatique non réflexive.

À la place de cette pensée automatique, on peut avoir une pensée beaucoup plus réflexive, avec
des présupposés qui nous orientent spontanément dans l’action. C’est cette distinction entre la
pensée automatique et la pensée délibérative qui ont mis en lumière deux auteurs
psychologues, spécialistes des questions de cognitions : Amos Tversky et Daniel Kahneman.

Ils ont beaucoup travaillé ensemble. Kahneman a obtenu le prix Nobel d’économie en 2011 en
raison de l’apport de ses travaux pour la science économique. Il met en cause l’idée que dans la
vie quotidienne, nous agissons de manière rationnelle. Ils sont venus nous dire que non, nous
agissons de manière irrationnelle, victime de biais, piégé par la manière spontané que nous
avons de réagir à diverses situations.

La pensée délibérative est caractérisé par le fait que nous examinons de manière plus sereine
une plus grande gamme d’explication à la situation que nous traversons, nous précédons par
délibération plutôt que de manière spontanée.

è Effort de réflexivité (// réflexion).

Le raisonnement est plus riche mais il nécessite un effort plus important. Cela permet de montrer
comment notre cerveau fonctionne dans les situations de la vie quotidienne, nous éloignant de ce
qui est idéal.

Ils ont montré 3 raisons pour lesquelles les comportements empiriquement attestés ne
correspondent pas au modèle de l’agent économique parfaitement rationnel et calculateur :

• Dans la vie quotidienne, dans nos choix quotidiens, nous ne raisonnons pas toujours
de manière parfaite, comme le ferait un homo economicus, un individu parfaitement
rationnel et calculateur. C’est un aspect de la science comportementale.

• Beaucoup de nos choix de vie sont dictés par des normes sociales, des traditions, les
attentes d’autrui. Nous faisons des choix conditionnés par les normes sociales,
éthiques et culturelles qui pèsent sur nous. Nos choix de comportements se distinguent
donc des choix que l’on attendrait d’un homo economicus.

• Beaucoup de nos choix sont dictés par des paradigmes, des modèles mentaux, des
représentations idéalisées de la réalité qui ne prennent pas en compte la complexité
du réel dans lequel nous opérons. Pour décider, nous sommes forcés de nous accrocher
à des modèles abstraits et de nier la difficulté des problèmes que nous affrontons.

104
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Exemple : Si on a une balle de tennis et une raquette et que l’on sait qu’au total la balle et la
raquette coûtent 110 euros et que la raquette 100 euros de plus que la balle. Si on nous demande
les prix respectifs de chacun, spontanément vont répondre que la balle coûte 10 euros.
En fait, ce n’est pas correct. Si la balle coûte 10 euros, il y a une différence entre les deux montants
qui est de 90 euros. La bonne réponse est que la balle coûte 5 euros et la raquette 105, de
qui fait une différence de 100 euros.
Cet exemple montre que nous avons tendance à faire un mauvais calcul et que nous devons
réfléchir plutôt que de nous en remettre à cette intuition spontanée pour obtenir la bonne
réponse.
è On peut construire une science de comportement à partir de réponses fausses,
systématiquement donné.

Exemple : Ancrage :
On nous pose 2 question : Q si on est heureux ? puis Q si on sort souvent avec des amis ? le nombre
d’heureux sera + élevé si on inverse l’ordre de la question.
è L’ordre des Q a un impact sur la réponse donnée.

Exemple : Que vaut 1x2x3x4x5x6x7x8 ? Et que vaut 8x7x6x5x4x3x2x1 ?


La série 1 est exactement équivalente à la série 2. En fait, si on nous propose ces deux séries, nous
ferions une estimation de la première multiplication qui sera beaucoup plus basse que notre
estimation de la deuxième série. Notre calcul mental approximatif va être influencé par
l’ordre dans lequel ces différents facteurs de ces deux multiplications se présentent.

Exemple : Un dirigeant de la gauche brésilienne. Lula Da Silva. Ayant récemment quitté le pouvoir,
il annonce le 29 octobre 2011, qu’il est atteint d’un cancer de la gorge. Il est opéré. Cette annonce
publique de son cancer à conduit à ce que la population brésilienne s’intéresse tout d’un coup à la
manière dont on peut arrêter de fumer. Le nombre de consultation sur internet de la question
« comment peut-on arrêter de fumer » à augmenter considérablement au Brésil.
C’est seulement lorsque la population a vu le président atteint d’un cancer que les gens ont pris
les choses en mains. Ce message est beaucoup plus efficace que les messages d’information qu’ils
ont reçus. On croit beaucoup plus à la réalité d’un cancer si on voit quelqu’un sur son lit d’hôpital.
C’est un exemple de notre relative incapacité à prendre les bonnes décisions puisque nous voilà
interpellés par une image alors que nous n’avions pas su prendre en compte les
informations.

Exemple : La question de la communication autour du risque environnemental.

105
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ce graphique nous propose une hypothèse simple : si on donne plus d’informations


environnementales à une population, on peut présumer que la conscience du risque
environnemental va augmenter. Si on se déplace de gauche à droite, la flèche monte et le risque
est perçu comme étant plus élevé. La logique de cette hypothèse est simple. Si l’information
relative au risque environnemental est plus complète, nous serons beaucoup plus nombreux à
croire à la réalité du risque environnemental que notre mode de vie fait courir à la planète.
Cependant, ce n’est pas comme cela que notre cerveau fonctionne. Les informations
environnementales sont filtrées et censurées par notre cerveau qui se protège des
mauvaises nouvelles.

Un psychologue a mis en lumière que selon le profil personnel de chacun, le risque


environnemental serait compris de manière très différente. Il classe les individus selon deux
types de profils :

• Les profils soucieux de justice sociale et capable d’empathie, qui pensent que la
société doit venir au secours des perdants, une société égalitaire. Si on leur fourni les
informations sur le risque environnemental, ils vont avoir une perception plus aiguë de ce
risque.

• Les profils des personnes plus hiérarchiques et individualistes. Elles sont moins
soucieuses de justice sociales et sont moins altruistes. Elles pensent que leur
positions dominante est justifiée et méritée. Plus on leur fourni des informations, plus
ils vont avoir l’impression que le risque n’est pas si important que ça. Ils n’aiment pas les
informations scientifiques qui remettent en cause leur mode de vie, la manière dont
la société est organisé.

è Dissonance cognitive entre leur position dans la société et l’information que les
scientifiques donnent en disant qu’il faut changer de trajectoire. Ils ne veulent pas
entendre cette vérité qui dérange.

106
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Exemple : Cet exemple a été très influant dans le travail de Kahneman. C’est ce que l’on appelle
l’aversion pour les pertes. L’idée est simple : nous attachons plus d’importance à ce que nous
possédons déjà et ce que nous risquons de perdre à ce que nous pourrions gagner à la suite
d’un changement.
Par exemple, on a 100 euros dans notre poche.
Si on nous propose de les donner en échange de 3 chances sur 4 de gagner 300 euros. Il serait
rationnel d’accepter l’offre. En réalité, les gens vont refuser de céder leur argent parce qu’ils
imaginent de manière irrationnelle que les 100 euros qu’ils possèdent valent davantage que la
chance de gagner 300 euros.
Souvent, on adhère à nos habitudes, on ne change pas nos styles de vie parce qu’on a peur du
changement. Nous faisons des choix irrationnels parce que nous sommes victimes de cette
aversion pour les pertes.

On a une série d’expériences faites pour voir les erreurs que nous commettons, les biais qui
affectent la qualité de nos raisonnements.

Exemple : la manière dont on dénomme les différentes options : on demande à des personnes
de cocher une case, si on est plutôt hiérarchique ou égalitaire dans notre manière de pensée. Tout
le monde va cocher, pour être bien vu, l’égalitaire. Il faut des questions plus subtiles.
è Notre raisonnement sera biaisé : le label, l’ordre des questions, la manière dont on
présente la façon dont on va traiter l’information importe.

La science comportemental nait à partir de ça.

Action de l’agent économique sur le marché : On a un acteur qui délibère quant au choix de
l’action à adopter, il adopte un comportement qui amène une récompense/sanction (au moins il
apprendra et pourra s’améliorer)
C’est important que les signaux du marché ne soit pas trahi, faussé par des interventions
du régulateur. L’individu doit améliorer sa manière de raisonner grâce à ses boucles
d’apprentissages permanant qui récompensent les bons choix.

Or ça ne se passe pas comme ça. L’action est le résultat. Donc oui, on va agir mais pas à la suite
d’une délibération rationnelle sans biais. Quand on a agi, provoque des résultats dans le
monde, des effets positifs et négatifs. Notre capacité à apprendre est amoindri en raison de bais.
Nous sommes affectés par ces biais et irrationalités que les sciences comportementales
veulent mettre en avant.

B. La pensée « sociale » (normes sociales)

107
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Il y a des normes sociales, à côté de ces biais. Ce sont des manières de fausser le jugement.

Beaucoup de nos choix de vie sont dictés par des normes sociales, par les traditions, les
attentes d’autrui. C’est la pensée sociale. Nous faisons des choix qui sont conditionnés par les
normes sociales, éthiques et culturelles qui pèsent sur nous. C’est une deuxième raison pour
laquelle nos choix de vie et de comportement se distinguent des choix que l’on attendrait d’un
homo economicus, individu tel que les économistes se représentent.

Exemple : On a fait des études sur ce que l’on appelle le jeu de l’ultimatum. Le principe est simple,
on met les gens par paire et on demande dans chaque paire que l’un des deux reçoive une
somme d’argent (100 euros) et le jeu consiste à ce que la personne qui reçoit l’argent propose à
l’autre, une manière de diviser le montant.
Si l’autre accepte la division proposée, l’argent reste attribué à cette paire de joueur et ils vont se
répartir le montant conformément à l’accord auquel ils sont parvenus. Le raisonnement
économique logique consiste à la personne qui a l’argent à proposer à l’autre un deal qui serait
par exemple de 99-1. Un euro c’est mieux que 0 euro, donc la personne va accepter parce que
c’est rationnel. C’est la logique de l’agent économique qui calcule de manière égoïste mais
rationnelle. Il maximise son intérêt. Cependant, la réalité est autre. La grande majorité des joueurs
ne proposent pas un deal de type 99-1.
Ils proposent soit 50-50, soit une répartition légèrement favorable à celui qui a reçu
l’argent.

Pourquoi ce jeu débouche sur une solution beaucoup plus équitable ?


Parce que les joueurs savent qu’il y a des normes éthiques qui régissent les comportements.
Si on propose une division 99-1, la personne à qui on propose 1 va se sentir bafouée dans sa
dignité et va probablement refuser cette offre. La personne qui veut offrir une solution veut être
perçu comme quelqu’un d’équitable et va plutôt proposer une autre division.

Nous répondons à des normes sociales, nous sommes soucieux de justice et d’équité.
Exemple : On a fait une étude sur les chauffeurs Uber. Ils font concurrence aux taxis. La manière
dont ce système fonctionne est que les services sont plus chers en période de très fortes
demandes. On pourrait s’attendre à ce que les chauffeurs Uber travaillent beaucoup le 24
décembre en soirée. Pourquoi ?
Car c’est à ce moment-là qu’ils peuvent faire le plus d’argent. L’heure de travail va leur
rapporter beaucoup plus. Cependant, ce n’est pas comme ça qu’ils résonnent.

Ernst Fehr et Lorenz Goette ont fait une étude sur le comportement de ces chauffeurs. L’étude
montre qu’ils répondent à une norme de suffisance. Lorsqu’ils ont obtenu un montant
suffisant pour leur journée, ils vont s’arrêter. Il y a une norme du suffisant qui vient réguler
les comportements de ces chauffeurs. Ils ne répondent pas à une logique purement
maximisatrice. de leur utilité personnelle.

1) Max Weber

Cette étude a été faite en 2007 et elle rappelle un passage très célèbre de l’ouvrage de Max Weber
« l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » datant de 1905. Dans un passage il pose la
question du passage de la mentalité traditionnaliste à la mentalité capitaliste.

Il donne un exemple pour illustrer ce passage. C’est celui des travailleurs agricoles qui reçoivent
deux marcs par arpent de terre cultivée. C’est le montant qui permet aux travailleurs de recevoir
6 marcs pour une journées de travail. Imaginons qu’on veuille faire travailler d’avantage ces
travailleurs. On veut qu’ils cultivent 5 arpents par journée.
Pour augmenter leur goût du travail, la réponse des capitalistes a été d’augmenter la
rémunération qui sera donnée par arpent de terre cultivé. On va leur donner 4 marcs par arpent.

108
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Au lieu de travailler beaucoup plus, les travailleurs agricoles s’arrêtent beaucoup plus tôt
car ils obtiennent leurs 6 marcs beaucoup plus vites. C’est encore lié à la norme du suffisant.

Weber s’étonne de cette inefficacité des incitants économiques et de cette persistance de la


mentalité traditionnaliste. Il constate que les gens doivent pourvoir répondre aux incitants pour
promouvoir le capitalisme. La solution a été de réduire les salaires pour que les ouvriers
soient obligés de travailler beaucoup.

2) Benjamin Franklin

L’idée de Benjamin Franklin (1736), c’est que pour devenir riche, on doit scanner toute son
existence quotidienne pour maximiser les revenus qu’on peut en tirer (coût d’opportunité).
C’est cette mentalité capitaliste que Max Weber va mettre en avant.
C’est cela qui n’a pas encore tout à fait disparu. Quand on dit aujourd’hui, qu’une norme de
suffisant continue d’orienter les chauffeurs Uber, on veut dire par là que la mentalité capitaliste,
que la maximisation du profit n’est pas encore devenue une loi universelle.

è On ne se comporte pas comme les manuels de science économique voudraient qu’on se


comporte.

C. La pensée à partir de « modèles mentaux » (paradigmes)

Très souvent, nous faisons des choix qui sont dictés par des paradigmes, des modèles mentaux,
des représentations idéalisées de la réalité. C’est la pensée à partir de modèles mentaux.
En réalité, ils ne prennent pas en compte la complexité du réel. Pour décider, nous sommes forcés
de nous accrocher à des modèles abstraits, idéalisés et de nier la complexité des problèmes que
nous affrontons.
Voilà une 3e raison pour laquelle les comportements empiriquement attestés ne correspondent
pas toujours aux modèles de l’agent économique parfaitement rationnel et calculateur.

§2e : La montée en puissance des sciences comportementalistes


Les sciences comportementales sont devenues un terrain très fertile d’exploration en philosophie,
en psychologie, et en économie. Différents auteurs sont associés à ce mouvement des sciences
comportementales.

Esther Duflo et Abhijit Banerjee ont notamment reçu des prix Nobel pour avoir développé une
manière de faire l’économie qui implicitement, prend appui sur les sciences
comportementales.
C’est une économie empirique, qui au lieu de postuler que nous répondons toujours aux
incitants économiques de manière parfaitement rationnelle comme dans les modèles abstraits de
l’économie, mais qui prend au sérieux le fait que nous répondons à toute une série d’irrationalités,
que nous faisons des choix qui sont constamment dictés par autre chose que la maximisation de
notre utilité personnelle. C’est une perspective de l’économie assez hétérodoxe.

Cass Sunstein, professeur de droit à l’Université de Harvard et conseiller de Barack Obama, a


voulu proposer une série de réformes permettant d’utiliser les sciences comportementales dans
les politiques mises sur pied lors de la présidence Obama.

Il s’agit d’un mouvement extrêmement influent qui nous prescrit une nouvelle manière de
chercher à changer la société. Au lieu d’utiliser uniquement les réglementations juridiques
contraignantes ou les incitants économiques, nous avons d’autres options, y compris le fait de
changer le contexte dans lequel nous faisons certains choix, changer « l’architecture des
choix » pour que les choix que nous faisons soient les bons.

109
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est une manière d’utiliser les sciences comportementales.

Ex : Un mémoire de 2012 remis à la Commission européenne sur la manière d’influencer les


gens pour qu’ils soient plus respectueux de l’environnement. Comment faire pour que les
gens recyclent d’avantage leurs déchets et gaspillent moins de nourriture ?
Cette étude de 2012 dit qu’il y a 4 options :

• L’approche réglementaire. On impose des normes sous la menace de sanctions.


• L’approche économique. Cela se fait par des incitants économiques, on impose des
taxes, on octroie des subsides. On fait en sorte qu’il soit plus couteux d’avoir un
comportement que l’on veut décourager et moins couteux d’avoir un comportement que
l’on veut encourager.
• L’approche informative. On donne des informations aux gens, notamment en mettant
des labels sur les produits respectueux de l’environnement pour encourager leur
consommation.
• L’approche comportementaliste. On développe des stratégies influençant les choix
de l’individu en aménageant le contexte dans lequel ces choix seront faits. On fait en
sorte que les choix les plus responsables soient aussi les plus naturels et les plus faciles à
poser. C’est l’approche que conseillent les sciences comportementales.

è Ce que font les sciences comportementales, montrer que nous ne sommes pas des
individus totalement rationnels, que nous répondons à des réflexes spontanés
largement irrationnels. Mais si on comprend ces mécanismes, on peut influencer le
comportement de l’individu en changeant le contexte dans lequel il va poser ses
choix.

Section 2. Une économie empirique : la randomisation

§1er : Principe de l’essai randomisé contrôlé (RCT)

L’émergence des sciences comportementales à partir de la psychologie sociale permet de


comprendre que nos comportements ne répondent pas toujours aux attentes des
économistes. Nous ne sommes pas toujours des êtres rationnels et calculateurs. Au contraire,
nous avons souvent tendance à faire des choix qui ne sont pas parfaitement explicables par
les modèles économiques parce que des émotions et des biais aux normes sociales
interviennent.

Certains économistes se sont alors mis en quête d’une économie plus réaliste. Dès lors qu’elle met
de côté les modèles théoriques fondés sur la figure de l’homo economicus, elle tente de
comprendre les comportements tels qu’ils se déroulent dans la vie réelle.
Les économistes sont plus réalistes, ils procèdent à des études empiriques pour examiner
ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Exemple : Si on veut évaluer la meilleure façon de réduire la consommation de tabac dans


une population et qu’on ne sait pas si on doit opter pour une élévation du prix des cigarettes ou
des campagnes d’informations, on va tester les deux stratégies. On va ainsi définir 3 groupes :
- Un groupe auquel on donne l’information sur la nocivité du tabac.
- Un groupe pour lequel on augmente le prix des cigarettes.
- Un groupe « témoin » où l’on ne procède à aucune intervention. C’est ce groupe qui
va permettre d’évaluer les progrès faits dans les deux autres groupes.

Ces trois options représentent la mise en œuvre d’un essai randomisé contrôlé (RCT). C’est
ainsi que procède l’économie empirique.

110
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Dans ce scénario, dans le groupe de contrôle, la consommation n’a pas diminué de manière
significative. Dans le groupe où on a augmenté le prix des cigarettes, on a une certaine diminution
de la consommation, mais cette diminution est beaucoup plus forte dans le groupe où on a donné
des informations sur la nocivité du tabac.
On a permis d’identifier ce qui fonctionnait le mieux pour influencer les comportements des
individus grâce à cet essai randomisé contrôlé.

Ce type de démarche économique a le mérite d’être moins dogmatique et idéalisante que la


démarche des économistes classiques qui modélise des comportements à partir d’une idée
très fausse de l’individu et de ce à quoi il aspire. Mais malgré tout, ces essais randomisés
contrôlés posent parfois question.

§2e : Quelques défis liés à la randomisation

Quand on a développé à grande échelle ces essais randomisés contrôlés, on a pris un échantillon
de la population qui n’était pas du tout représentatif.
Ex : On a fait des essais sur une population d’étudiants dans des universités dans les pays riches,
et on a voulu en tirer des conclusions générales. Mais cela est problématique car cette population
n’est pas la même qu’une population beaucoup plus pauvre dans un autre pays.

On a nommé cela des échantillons « weird » (western, educated, industrialized, rich, democratic),
mais cela veut également dire « bizarre ». C’est une manière d’appeler les économistes qui font
ce genre de tests à être attentifs à la représentativité du public sur lequel ils font leurs tests.

On a également appelé cela « l’effet Hawthorne ». Hawthorne est une ville aux États-Unis où, dans
les années 1920, on a voulu tester l’effet sur la productivité au travail de nouvelles manières
d’organiser la chaine de production dans un atelier de voitures.
On s’est rendu compte que les employés de cette chaine de production étaient beaucoup plus
productifs qu’ils ne l’avaient été auparavant. Une partie de cette augmentation de la productivité
tenait, non pas au fait qu’il y avait des nouvelles méthodes, mais au fait que les ouvriers se
savaient observés. Ils ont donc voulu donner le meilleur d’eux-mêmes.

L’effet Hawthorne désigne le fait que lorsqu’on est dans une expérience et qu’on le sait, on va
faire en sorte que l’expérience réussisse. C’est un biais que les essais randomisés contrôlés ne
parviennent pas toujours à éliminer.

Exemple : Dans l’expérience pour évaluer la meilleure façon de réduire la consommation de tabac,
on a un résultat. On a constaté que donner des informations à la population fonctionnait mieux
que simplement augmenter le prix du tabac. Mais dans quelle mesure cet enseignement est-il
représentatif et généralisable dès lors qu’on n’a pas su expliquer réellement pourquoi les
informations avaient un tel impact sur les fumeurs ? Pouvons-nous, à partir de tests empiriques sur
des populations particulières et restreintes, tirer des enseignements généraux ?
Il est difficile d’évaluer le caractère généralisable ou non des enseignements que l’on en tire.

Avec les essais randomisés contrôlés, on continue de considérer que les individus de la
population ne sont pas soumis à des lois de comportements.
On ne dit plus, comme dans les modèles classiques, que les individus répondent aux incitants
économiques et que leurs comportements sont parfaitement prévisibles. Mais il n’en demeure pas
moins que l’individu continue d’être perçu comme un simple objet pour la science, soumis
à des lois, alors que nous sommes des êtres qui faisons des choix et agissons.

111
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Cette démarche de l’économie empirique continue de prendre les individus, non pas comme
des êtres qui peuvent avoir des désirs à eux et qui peuvent vouloir autre chose, mais comme des
simples sujets d’expérience.

Section 3. La question du paternalisme


Une fois que l’on comprend comment le cerceau fonctionne, comment on peut modifier
l’environnement du choix pour influencer l’individu, il devient tentant de manipuler ce dernier.

La question qui se pose à partir des sciences comportementales et de leur utilisation comme outil
de régulation est celle du paternalisme.
Les sciences comportementales amènent les décideurs politiques à vouloir orienter les choix de
l’individu en aménageant le contexte dans lequel les choix sont imposés. C’est la
manipulation de l’architecture des choix.

Mais une fois que l’on aménage les choix que font les individus, ne décide-t-on pas à la place des
individus de là où réside leur bien-être ? Ne tombe-t-on pas dans un État paternaliste ?

§1er : Le « nudging » des comportements individuels (Richard Tholer, Daniel


Kahneman, Cass Sustein)

L’ouvrage « Nudge », de Richard Tholer et Cass Sustein, décrit la pratique des nudge, des coups
de pouce dans l’orientation des comportements individuels.

Ce tableau a été présenté par le gouvernement britannique dans un autre ouvrage « White
Paper ». Le gouvernement britannique y dit que pour améliorer la santé de la population
britannique, il y a toute une gamme de politiques qui peuvent être entreprises, qui vont de
l’approche la plus passive pour l’état (bas du tableau) à l’approche la plus active où l’état peut
interdire certains choix (tout en haut du tableau), où on élimine les choix.

Remarque : C’est parfois à cette élimination des choix que l’on est forcés d’avoir recourir pour
combattre la pandémie du covid-19.

Le gouvernement britannique a proposé cette gradation des choix allant de l’État le plus
libertaire à l’État le plus interventionniste et autoritaire. En fait, il y a lieu de préférer une
position intermédiaire lorsqu’on est un gouvernement, car c’est une manière de faire consensus.
Le choix intermédiaire est ici d’encourager les bons choix de vie, les comportements les

112
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

plus sains, mais pas en obligeant les individus à adopter ces comportements, et pas non plus
en ne faisant rien et en espérant que les choses aillent mieux. C’est le nudging.

Une des techniques du nudging : si l’individu ne bouge pas et demeure passif, le choix aura été fait
pour lui et par défaut. On s’assure que le refus de faire des choix l’amène vers le plus
bénéfique pour lui. Il se situe à mi-chemin de ces différentes types d’interventions de l’état.

Il y a un type d’intervention typique du « nudging », qui consiste à faire en sorte que les choix
les plus sains soient aussi les plus naturels. C’est le « guide choice through changing the
default ». Au fond, on oriente le choix des individus, non pas par des incitants économiques en
pénalisant le mauvais choix ou en récompensant le bon choix, mais simplement en changeant le
contexte dans lequel les choix sont posés.

On va faire en sorte que les choix les plus sains soient les plus naturels pour les individus,
parce que le contexte dans lequel ces choix sont faits va les faciliter.
Ex : Dans la cafétéria, on met à hauteur des yeux les fruits. Cela n’interdit pas à ceux qui le
veulent de prendre une glace, mais le choix le plus spontanément fait est celui qui consiste à
prendre des fruits.

Dans leur livre « Nudge », Richard Thaler et Cass Sustein disent les coups de pouce ne sont pas
des contraintes, les individus restent libres. Le nudge respecte la liberté de l’individu, mais on
a aménagé l’architecture des choix pour que le choix le plus sain apparaisse comme naturel.

Cette popularité du nudging tient au fait que les apôtres du nudging, tels que Sustein et Thaler,
ont pu réconcilier différentes approches de l’État qui ont beaucoup de mal à être combinées :

- L’approche libertarienne, qui consiste à dire que l’État ne doit pas se mêler de la
vie des gens et doit les laisser libres de poser des choix, y compris des choix
nocifs.

- L’approche interventionniste, qui consiste à dire que l’État doit faire le bien, et
doit intervenir dans la vie des gens au nom de l’intérêt général.
Exemple : Le maire de New-York, Mike Bloomberg, a voulu interdire la fourniture de boissons
gazeuses sucrées dans des volumes trop importants. On a accusé ce maire d’être paternaliste,
en disant qu’il niait la liberté des individus et voulait décider à leur place de leur bien-être.

Le nudging situe le curseur de l’intervention de l’État dans une position très intermédiaire. La
manière dont le gouvernement britannique a choisi de représenter le nudging est typique de cela.
Il est difficile de contester comme déraisonnable une politique de l’État qui n’introduit pas de
position autoritaire, mais qui ne se contente pas non plus de laisser les choses se faire.

§2e : Le débat sur le paternalisme : le nudging respecte-t-il la liberté de


l’individu ?

On a reproché à des gens comme Sustein et Thaler d’être des paternalistes et de ne pas
véritablement respecter les choix des individus. Dès lors que l’on aménage le contexte dans
lequel ces choix sont posés, on influence ce que les individus vont faire de leur liberté.

Sustein a répondu à cela en avançant 3 arguments :

• L’environnement hérité et naturel n’est pas neutre. Quand on change


l’environnement, cela ne veut pas dire qu’on était avant dans une position de

113
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

neutralité et qu’on modifie l’environnement de manière artificielle et non-neutre.


L’environnement dont on hérite n’était pas neutre à la base.

è On ne peut pas assurer que l’environnement est neutre à la base.

Exemple : Dans la consommation de tabac, il y avait plein de publicités qui incitaient les
gens à fumer. Cet environnement n’était pas neutre.
Il est faux de dire que l’environnement non-transformé par l’État est neutre. En changeant
l’environnement, on ne passe pas de quelque chose de neutre à quelque chose d’artificiel.

• Le paternalisme prend différentes formes. Le paternalisme du nudging est


extrêmement doux, il porte sur les moyens que nous mettons en œuvre pour réaliser nos
préférences, et non pas sur les fins que nous choisissons de nous donner. Ce paternalisme
du nudging respecte la liberté individuelle.

Pour orienter le comportement de l’individu, on peut avoir des réglementations strictes


qui imposent certains comportements, mais aussi de simples encouragements qui
respectent la liberté individuelle. Le nudging se situe à ce niveau.

Avec le nudge, on n’oblige à rien, on se contente de faire en sorte que les choix les plus
souhaitables des individus soient aussi les plus faciles à poser.
On ne cherche pas à influencer les fins que l’individu se donne, les préférences qui
sont les siennes, mais on se contente de s’assurer que les moyens qu’il met en œuvre
lui permettent de réaliser efficacement les fins qu’il s’est donné.

Exemple : Un GPS pour mieux circuler en voiture. On ne préjuge pas de la destination que
l’utilisateur va prendre, il lui appartient de décider là où il veut aller. Le GPS ne sert qu’à
l’aider à trouver l’itinéraire le plus commode et le plus rapide.
Exemple : Une carte de restaurant indiquant les calories de chaque plat. Cela n’oblige
pas le client à manger léger, mais ça le guide dans son choix.
Exemple : Avoir des informations sur la consommation d’une voiture lors de l’achat.
Cela n’oblige pas le client à prendre une voiture performante, mais ça l’informe.

Toutes ces informations montrent que l’on se contente d’outiller l’individu pour qu’il
puisse faire ses propres choix en toute connaissance de cause, et pour que les choix
qu’il souhaite faire soient faits facilement.
Exemple : L’enrôlement automatique dans un syndicat avec « opt-out ». On est recruté
dans une entreprise, et en raison de ce recrutement, on est placé dans le syndicat de la
FGTB. Mais on peut sortir de ce syndicat en cochant une case.
On se situe dans le respect de la liberté individuelle, on n’impose rien. Mais le choix de
rejoindre un syndicat est quelque chose d’idéologiquement très fort. On les encourage.

114
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Exemple : Des normes qui imposent des standards d’efficacité énergétique aux
voitures. On ne peut plus vendre de voiture mauvaise pour l’environnement.
On se situe dans une imposition, l’individu n’a plus la possibilité de choisir. Il s’agit d’un
moyen d’aller vers un environnement meilleur. On impose ici d’avoir un comportement
écologique (porte sur une fin).

Exemple : Le bannissement de substances dangereuses. Si on bannit le Coca-Cola des


restaurants, cela serait bien pour la population, mais cela serait perçu comme très
paternaliste. On impose une fin. C’est ce que l’individu va manger qui sera impacté par la
décision.

Ces différentes mesures sont parfois relativement respectueuses de la liberté de


l’individu et ne portent que sur les moyens, ce qui constitue le nudge. Mais d’autres
mesures sont beaucoup plus paternalistes. On a différents types de paternalismes, et
le nudge est le paternalisme le plus doux que l’on puisse concevoir.

è On lui laisse le choix et ça ne concerne que les moyens qu’ils lui permettront de faire
les choix qui correspondent à ce qu’il veut vraiment.

• Il s’agit de permettre aux réflexes d’être corrigés. Le paternalisme du nudge ne vise


pas à s’immiscer dans les préférences que l’on entretient, mais à ce que les croyances
que nous avons quant à nos actions soient correctes. Le nudge nous donne une sorte
de « GPS » pour que nos informations soient bonnes. On n’influence pas les préférences,
mais on améliore la manière dont les actions sont prises en faisant en sorte que les
croyances erronées de l’individu soient corrigées par une pratique du nudging.

§3e : Le débat sur la paternalisme : le « nudging » introduit-il un économicisme


dans les comportements ?

A côté de ce débat sur le paternalisme, il y a une autre question qui n’est jamais posée. C’est une
question relative au paternalisme mais différente : Est-ce qu’au fond le nudging n’introduit pas une
sorte d’économicisme dans les comportements ? Ils veulent qu’on raisonne dans manière que les
économistes raisonnent et introduire le calcul cout/bénéfice dans la manière dont on résonne. ->
Ils veulent qu’on raisonne comme un homo economicus, homme rationnel, calculateur,
maximisateur d’utilité.

Quand on lit des auteurs comme Richard Thaler ou Kahneman en particulier, on a souvent
l’impression que le comportement vertueux, celui qui serait à encourager par des nudges, est aussi
le comportement qu’adopterait un individu qui respecte les manières de se comporter, que
l’économiste attendrait de l’individu. Le comportement rationnel, c’est un comportement,
d’après Kahneman et Thaler, qui fait que l’individu va véritablement s’orienter dans la vie
comme les économistes le recommanderaient.

Dans le bouquin de Thaler à la suite de son prix Nobel, il classe en 3 types d’irrationalités les
irrationalités de l’individu :

- La première, c’est quand on raisonne mal.


- La seconde, c’est quand on raisonne bien mais on ‘na pas la volonté d’aller
jusqu’au bout de ce que l’on veut.
- La troisième, c’est quand on calcule mal son intérêt égoïste. On se comporte en
oubliant ou réside notre intérêt.

115
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

è Le comportement qu’il faut encourager c’est le comportement qui permet à chacun de


traduire son intérêt égoïste.

Kahneman : on m’offre un poste d’université à Prinston. Il hésite à accepter l’invitation car il a


ses amis, il faut déménager, mais cela paie bien, conditions de travail bien. Cela serait irrationnel
de laisser le choix être biaisé par des raisons irrationnelles. Est-ce si irrationnel, dans un choix,
d’accorder du poids aux amitiés, à la possibilité pour sa partenaire de vie de poursuivre son propre
parcours professionnel ? Oui pour les économistes ce n’est pas le bon choix, mais est-ce irrationnel
? n’y a-t-il pas un danger à dire qu’il y a une erreur de jugement car vous ne pouvez pas bénéficier
votre choix sur une analyse cout-bénéfices ?

On pourrait dire que quand on demande à l’individu de passer du régime des émotions, de
l’intuition sans trop réfléchir, à un choix délibéré plus réflexif et calculé. Ce choix-là, est un choix
qu’on voudrait voir ressembler au choix de l’agent économique rationnel que les économistes
imaginent. L’individu qui se comporte comme un être égoïste et qui poursuit son intérêt et calcule
tous les C-B de son action, est entrain de mal décidé. Parait problématique car en réalité, l’être
rationnel, calculateur et délibérant qu’on voudrait nous voir devenir est une personne qui, certes,
sera hyper attentive à calculer les C-B de chaque action mais elle va être malheureuse.

Fred Hirsch dit dans « social limits to crowth » qu’il y a des mythes sociales à la croissance car la
société de consommation crée du mécontentement de frustration permanente et contrairement
à ce qu’on pouvait imaginer dans les années 50, elle n’apporte pas le bonheur, toutes les études
montrent qu’en dépit de l’élévation du niveau de vie qui a triplé, les gens ne sont pas plus heureux
mais à l’inverse plus malheureux. Et Hirsch dit que cela découle du fait que nous avons un plaisir
à acquérir des choses nouvelles qui nous distingue des autres, mais qu’une fois que tout le monde
acquiert ce bien, nous serons frustrés de ne plus être distingués et on relance la course à la
consommation. La société de consommation ne fait que créer des envies nouvelles et nous
sommes dans une frustration de ne pas pouvoir s’élever par rapport aux autres, cela annule le
bénéfice que chacun tire de sa consommation individuelle.

Dans les travaux de Thaler et de Kahneman, il y a de manière implicite l’idée que bien raisonner
dans la vie, adopter le bon comportement, c’est adopter le comportement qui est
maximisateur de son utilité, issu d’un calcul cout-bénéfice. C’est le comportement de l’homo
economicus dans le modèle des économistes.

L’environnement social peut avoir des vertus modératrices : l’entraide, la norme de


suffisance, les comportements dictés par un souci d’altruisme. Mais, quand on lit Kahneman
on a l’impression que les individus qui ont la faiblesse de se comporter en fonction des normes
sociales qui favorisent l’entraide, sont des individus qui font des mauvais choix. Il faut qu’ils se
rendent compte de l’irrationalité de leur comportement. En prétendant améliorer la capacité de
l’individu à réfléchir, à délibérer, Kahneman nous dit en fait que l’individu délibérant et réflexif
est celui qui calcule de manière rationnelle ou est son véritable intérêt. L’individu au
comportement altruiste ne passe pas cette épreuve de la rationalité ;

Quand Kahneman nous dit qu’il va nous aider à passer au système 1 au système 2, il dit qu’il faut
se comporter comme les économistes attendraient de nous. C’est l’économicisme imposé à
travers ces sciences comportementales.

Section 4. La question de l’auto-détermination et de l’action collective

116
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

§1er : Encourager la manifestation des motivations intrinsèques

Les techniques du nudging peuvent orienter l’individu non seulement à faire les bons choix
qui correspondent à ses préférences réelles, mais aussi à réexaminer ses préférence, les
réinterroger pour sortir de l’idée que les gouts et préférence de l’individu ne sont pas influencé
par l’environnement.

Peut-il faire ressortier dans le chef de l’individu, ses motivations intrinsèque, ce qu’il a envie de
faire, de devenir ?

Il faut partir de deux considérations sur le nudging :

- N’est-il pas d’autant plus dangereux de recourir au nudging comme celui-ci n’est pas
tout à fait transparent ? C’est l’idée que l’individu est manipulé à son insu à adopter
tel ou tel comportement sans que sa réflexivité y gagne.

Les psychologues nous montrent aussi que pour qu’un comportement soit
persistant dans le temps, pour que l’individu se tienne à un comportement qui
respecte mieux l’environnement ou qui soit meilleur pour sa santé, il faut que
le comportement vienne d’une motivation intrinsèque tels que les convictions,
les valeurs qui sont les siennes.

è La motivation extrinsèque, quand on trie les déchets, c’est parce qu’on on craint l’amende
administratives.
è La motivation intrinsèque, on trie les déchets car on y croit, c’est l’image qu’on veut de sois
même. Tant pis si pas de sanction.

Exemple : Quand on impose des amendes, l’individu à tendance à échapper à


l’amende en ne posant pas le comportement qui pourrait donner lieu à l’amende,
mais il ne fera pas beaucoup plus. -> Motivation extrinsèque.

C’est la raison pour laquelle la meilleure façon d’amener les individus à être
imaginatifs c’est de leur reconnaître une liberté de s’autodéterminer. C’est que les
psychologues Deci et Ryan ont développé. C’est la théorie de l’auto-
détermination. Si l’individu est autonome et a les compétences nécessaires
pour adopter tel ou tel comportement et si, ce faisant, il se rattache à un groupe,
il va effectivement développer des comportements pour lesquels il y aura une
motivation et sa performance sera meilleure.

Exemple : Si on veut contribuer à la préservation de l’environnement et, convaincu


par la cause, on ne roule plus en voiture, c’est un comportement que l’on va avoir
même si ce n’est pas pénalement répréhensible. On va continuer à le faire même si
c’est très compliqué.

En d’autres termes, les changements de comportements les plus persistants sont


ceux qui viennent des motivations intrinsèques. Le nudging amène-t-il ces
motivations intrinsèques à se manifester ou non ?

Si l’individu a l’impression d’être manipulé, il va résister à cette manipulation.


C’est la théorie de la réactance développée par Jacques Brens. Ce dernier avait mis
en avant la tendance, quand on est l’impression d’être manipulé de l’extérieur, à
résister pour protéger sa liberté. Si le nudging est perçu comme une influence
extérieure, on v résister. Si le nudging opère à notre insu, nous met sur la bonne voie

117
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

mais nous donne l’impression que ce que l’on fait, on le fait librement, on va y adhérer
de manière plus persistante.

C’est pour ça que l’état ne parvient pas à obtenir de nous ce qu’il veut. On lui
donne le droit à l’économie, obligation/interdiction édicté juridiquement,
taxe/subsides.
C’est faible, chacun de ses outils traitent l’individu comme si c’était un pion sur
l’échiquier. L’état est peu outillée pour faire ressortir nos motivations intrinsèques.

- Les techniques du nudging inspirées par l’économie comportementale, dès lors qu’elles
considèrent l’individu seul et prétendent respecter l’autonomie dans la définition des
fins tout en favorisant la réflexivité quant aux moyens, ne sont-elles pas insuffisamment
ambitieuses ? Que serait un environnement qui favorise une réflexivité quant aux
fins ? Une véritable autonomie ? Un individu qui choisit lui-même les normes auxquels
il va répondre. Il se donne ses propres normes.

Cela concerne la modestie apparente du nudging. Dans tous les exemples de nudging,
on prend l’individu seul et on se pose la question de savoir comment on
aménage le contexte dans lequel il pose les choix pour que ce soit les bons
choix. On ne demande jamais à l’individu qu’il se mette avec d’autres personnes
pour réfléchir, ce qui est souhaitable pour la société, pour les inciter des formes
d’actions collectives. On ne parie jamais sur l’individu politique qui entre dans
l’action collective.

Ne peut-on pas avoir des formes de nudging 2.0 qui n’encouragent pas seulement les
comportements individuels mais aussi le développement de l’action collective ?

Le nudging tel que conçu comme modeste et non paternaliste est une réflexivité
sans autonomie. On aide l’individu à être lucide quant aux moyens qu’il utilise, en
acceptant que l’individu poursuive des fins absurdes.

Est-ce qu’on ne veut pas aussi une autonomie ? On ne veut pas une autonomie sans
réflexivité. On ne veut pas que l’individu poursuive des buts louables mais qu’il
les poursuive avec des moyens absurdes.

è On veut un individu autonome et réflexif à la fois. Un individu qui à la fois réfléchi les
but qu’ils se donne dans la vie (aux actions qu’il faut prendre) et aux adéquation des
moyens qu’il met en œuvre pour atteindre ses buts (voir s‘ils ne sont pas
irrationnelles/destructeurs).
è Il prétend respecter l’autonomie (on ne dit rien, on l’aide juste à réaliser ses
préférences), mais le risque est de poursuivre des fins absurdes.

è Le nudging 2.0 permet à l’individu d’être réflexif quant aux moyens mis en œuvre et
à la fin d’idée de vie bonne qu’il prétend vouloir poursuivre.

118
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

§2e : L’auto-institution de la société et de l’individu chez Cornelius Castoriadis

Castoriadis est un philosophe grec, naturalisé français. Il est le grand penseur de l’autonomie.
Il dit qu’une société qui se développe uniquement sur base de traditions reçues, n’est pas
une société autonome.

Il dit qu’une société est autonome, si elle sait quelle fait ses lois et qu’elle sait remettre ses
lois en cause. Ces lois ne sont pas dérogé par la tradition.

è On ne peut créer des environnement où les individus font des choix qui encouragent
celui-ci à réfléchir les fins qu’il se donne, qui font de lui un individu autonome
A quoi l’environnement ressemblerait-il ?

Pourquoi nous faut-il aller vers des sociétés et des individus autonomes ?
Il dit que c’est parce qu’on développe des processus sociaux et individuels qui sont
irrationnels parce qu’on poursuit des fins absurdes avec les moyens les plus rationnels possibles.

Il nous dit qu’en fait, à défaut de réfléchir en toute autonomie à des objectifs que nous nous
donnons en tant qu’individu et société, à défaut de mettre en question les objectifs que l’on
entretient, on est dans une situation absurde où on est hyper sophistiquée sur des moyens et
rien sur les fins, où l’on ne cesse de vouloir toujours plus, sans que l’on soit encouragé à se poser
la question de savoir ce que vraiment nous voulons.

è Il n’y a pas de boussole, c’est infini comme processus. On peut se poser cette question :

Le nudgering 2.0 ne doit pas être radicalisé pour nous obliger à être plus lucide quant au moyens
qu’on met en œuvre et à la désirabilité de la fin ?

119
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Questions de fin de chapitre :

1. Le nudging exclut que l’on puisse miser sur l’autodétermination, où il y a un nudging qui fasse
ressortir ses motivations intrinsèques ?

Si sa motivation intrinsèque, par exemple, c’est de contribuer à la lutte contre le changement


climatique, en ayant un comportement responsable par rapport à ses émissions, on peut imaginer
des rappels sur les valeurs qu’on a, mais dans le tourbillon de la vie quotidienne, qu’on risque
d’oublier.

Quand on commande un Uber, le rappel du temps que ça mettrait en parcours pour faire le même
parcours. Il y a des outils qui permettent de garder le rappel des objectifs qu’on s’est donné.

è Obliger l’individu à prendre le temps de réfléchir s’il veut vraiment faire ce qu’il
veut.
è Imposer des choix et imposer une procédure avant de faire tel ou tel choix pour
rappeler à ce que l’individu avait fait comme choix

Se voir rappeler que c’est possible de le faire à vélo le trajet, n’oblige personne à rien, mais ça
oblige ceux qui s’était promis de contribuer au changement climatique de rappeler ce qu’il s’était
promis.

On veut inciter l’individu à ne pas être le jouet des normes sociales qui l’entoure

2. Le nudging n’est-il pas une manière d’imposer un point de vue ?

Dans une certaine mesure, c’est inévitable, on l’oblige à être plus respectif vis à vis des choix qu’il
fait.
L’individu doit pas réfléchir qu’aux moyens mais aussi sur les fins.

3.

Exemple : Panneau qui dit ne rien jeter devant ce panneau


Selon Brems, quand on reçoit un ordre, on veut préserver cette liberté.

Entre le nudging explicite et furtif, il y a toute une gamme.

120
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Exemple : Dans les hôtels : au lieu de dire qu’il faut respecter l’environnement, on fait appel à une
norme sociale (pancarte qui dit que 80% des gens réutilisent leurs essuies, donc les gens veulent
les réutiliser)

C’est furtif ? Il n’y a pas d’ordre mais on joue sur une norme sociale. -> Plus au moins furtif.

Ce message déclenche–t-il des réactances ?

Seul le nudging complètement clandestin ne déclenche pas cette réaction : exemple : musique du
supermarché qui nous formate à acheter. Si on sait cela, on va faire les courses les oreilles
bouchées pour ne rien entendre et préserver cette liberté.

4.

è Expérimenter l’individu à se confronter à d’autres conceptions de la vie bonne.

Cet expérimentalisme oblige les individus à réfléchir quant aux moyens mis en œuvre et à la
fin qu’il cherche à poursuivre.

C’est la confrontation à la diversité des conceptions de la vie bonne qui permet à l’individu
d’être autonome (qui se combine à la réflexivité).

121
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

PARTIE IV. GOUVERNER PAR L’AUTO-


DETERMINATION :LA RECONQUETE DES COMMUNS
Quelques rappels par rapport à ce qui a été vu précédemment : Quels sont les outils que l’on dispose
pour gouverner la société ?
Une de ces pistes, c’est l’appui pris sur les sciences comportementales : liberté de l’individu de se
tromper, de choisir, mais un aménagement du contexte de ce choix libre est fait, pour que le
contexte facilite ce choix. Nous avons parlé du nudging, …

Aujourd’hui, on va examiner la question des communs. C’est une question nouvelle qui émerge.
On est loin d’avoir toutes les réponses sur ce sujet. De nombreuses recherches sont encore en
cours.
C’est quelque chose de neuf qui émerge depuis une dizaine d’année, et qui va influencer les débats
publics à l’avenir.
Cela apporte des éléments de réponses sur des questions tel que « comment sortir de l’opposition
entre l’État et le marché ? », et s’il y a d’autres manières de faire entre cet équilibre/opposition
binaire (+ état, - marché/ - état, + marché).

CHAPITRE 1. L’émergence des communs


Section 1. Qu’entend-on par la résurgence contemporaine des « communs »
Qu’entend-on par « communs » et par quoi se traduit cette réémergence de l’idée des communs ?

C’est une des manières démocratiques de gouverner.

Partons du travail fait en 1968 par un économiste, Garett Hardin dans la revue « Science » qui
s’appelle « The tragedy of the Commons ». C’est un célèbre article dans lequel il nous dit que la
raison pour laquelle les ressources de la planète s’écroulent, c’est que nous avons des
communs que nous surexploitons dès lors qu’il n’y a pas de discipline qui vient restreindre
l’usage que l’on en fait.

Exemple : L’air de pâturage. Il présente un scénario simple : L’air est ouvert à tous les éleveurs
et est surexploité car chaque éleveur, avec son cheptel, vient amener ses bêtes. Du coup, l’élevage
est surexploité et les ressources diminuent.

è Si l’on veut préserver les ressources rares, il faut sortir de l’usage commun et soit, faire
confiance à l’état pour qu’il impose des règles de manières autoritaire, soit privatiser la
parcelle pour que des propriétaires privés prennent soin de l’espace et évitent le
surpâturage.
è La solution à la tragédie des communs : Il y a deux choix : pouvoir de l’état ou
privatisation. -> Opposition entre l’état et le marché.
La question des communs, c’est de savoir qu’il ne faut pas définir un terme entre les
deux, et donner une chance aux communs d’être géré/gouverné par la communauté
des utilisateurs (ni état, ni PP). C’est ce troisième terme, au milieu.

Ce travail a été rendu célèbre par la contribution/critique que Elinor Ostrom a fait à cette
discussion. C’est une politologue bien qu’elle se soit vu accorder le prix Nobel d’économie en 2009.

122
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Elle a eu ce prix grâce à un ouvrage de 1990, « Governing the commons. The evolution of institutions
for collective action ». Cet ouvrage est un ouvrage dans lequel Ostrom répond à Hardin en disant
en substance qu’il est trop pessimiste. En effet, les communs ne débouchent pas sur
l’écroulement de la ressource. On peut gérer les communs de manière responsable en tant que
communauté.
Elle se base sur des recherches empiriques que nous pouvons faire dans le monde où les
communs sont gérés par des communautés. Elle travaille de nombreux d’exemples.

Dans ces exemples, il y a des communautés locales qui entretiennent des communs de manière
durable sans que la ressource s’écroule ou s’épuise car les communautés qui le gèrent se dotent
de règles de gouvernances, respectent ces règles et s’imposent des disciplines sans que l’état
impose ses disciplines.

Ostrom analyse une série d’exemples dans différents régions du monde de forêts, de lacs ou l’on
a une gouvernance de la pèche, etc.

Ostrom dégage de ces études, 8 principes qui selon elle, seront de nature à faciliter la
gouvernance des communs par les communautés locales.

ü On entretient les communs adéquatement quand on a une définition claire des


frontières de la communauté. On sait qui est membre et qui ne l’est pas de la
communauté et qui pourra ou non bénéficier des produits de la foret, pêcher dans le lac.

ü On négocie des règles adaptées au contexte spécifique et qui ne sont pas importées de
l’extérieur.

ü On permet que ces règles soient en permanence négociées à travers la participation


de chacun (= règles participatives). Chacun est coauteur des règles. Dès lors qu’on est
coauteur des règles, on est soucieux que ces règles soient respectées. Leur respect est
décentralisé.

ü On a une gouvernance du commun qui est démocratique. C’est une gouvernance


effective et redevable de la communauté vis-à-vis des coauteurs.
En d’autres termes, les leaders de la communauté rendent des comptes à celle-ci. Ce n’est
pas une gouvernance dictatoriale ou autoritaire.

ü Quand la règle est violée, on a des sanctions graduées. On ne va pas exclure tout de
suite la personne de la communauté. On va faire en sorte que les membres de la
communauté soient réintégrés dans la communauté avec un système gradué de sanctions.
Ce n’est que dans des situations extrêmes qu’on arrive à l’exclusion des membres.

ü Quand des conflits émergent, on va pouvoir les résoudre à l’échelle locale de manière
souple et flexible.

ü Les niveaux supérieurs de gouvernance vont reconnaître l’autonomie constitutionnelle ou


l’auto-détermination de la communauté locale. Les autorités étatiques acceptent que
la communauté s’auto-gouverne et décide des règles de gestion des communs qui est
partagée entre les membres de la communauté.

ü Chaque communautés gère ses communs et des concertations ont lieu entre les
représentants des différents communs.

Exemple : Quand une communauté autour d’un lac gère les droits de pêche, elle peut
négocier avec les communautés voisines, l’impact de la pêche sur la rivière. La

123
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

communauté n’est pas fermée sur elle-même. Elle est en contact avec d’autres
communautés.

Cela ne veut pas dire que si un principe n’est pas respecté, on tombe dans la tragédie des
communs. C’est simplement que quand ces 8 conditions sont réalisées, cela marche mieux.
è On peut alors leur faire confiance de laisser les ressources à leur charge.

Le message d’Ostrom constitue à dire que dans bien des cas, sans privatiser la ressource et sans
non plus devoir déléguer tous les pouvoirs à l’état, on peut faire confiance aux membres de la
communauté locale pour gérer la ressource commune. C’est l’expression « communs ».

§1er : Typologie des biens, à partir de l’opposition entre « biens privés et « biens
publics »

Ostrom reste prisonnière d’une approche économiciste des biens ou des ressources.
Lorsqu’elle parle des « communs » qui peuvent être gérés par la communauté, elle se situe dans
une tradition économique bien connue, qui a démarré avec les articles de Paul Samuelson en 1954
et de James Buchanan en 1965. Buchanan était un membre de l’école de Chicago. C’est lui qui avec
Gordon Tullock a développé la théorie des choix publics.

En fait, ce qu’ont fait Samuelson et Buchanan, c’est au départ de travaux, classer les biens
économiques en 4 catégories à partir de deux critères :

- Les biens où il est facile d’exclure certains candidats à leur consommation (les biens
excluable = un vêtement) et les biens où il est difficile d’exclure les gens (les biens
non-excluable = des idées, -> on a dû créer des droit intellectuel)

- Les biens dont l’utilisation par l’un réduit l’utilisation par l’autre (les biens rivaux =
un biscuit par exemple) et vice versa (les biens non-rivaux = l’information, par exemple,
je la communique et je ne perds rien en la communiquant).

On a 4 types de biens :
• Les biens communs. On peut difficilement exclure quelqu’un mais l’utilisation par
l’un réduit l’utilisation par l’autre.
• Les biens publics. Il est difficile d’exclure les gens mais l’utilisation ne réduit par
l’utilisation par l’autre.
• Les biens privés. Ils sont réservés à celui ou celle qui est propriétaire et l’utilisation du
propriétaire prive les autres de l’utilisation qu’ils peuvent en faire.
• Les biens de club. Ils sont réservés à une partie de la communauté, les membres du club.

124
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ou peut-on citer le travail d’Ostrom dans cette typologie ?


Quand Ostrom situe son travail sur les communs par rapport à cette typologie des biens que
mettent en avant Samuelson et Buchanan, elle nous dit que les « common pool resources » figurent
dans la catégorie des biens communs. Ce sont des biens dont il est difficulté d’exclure des
utilisateurs mais ils sont rivaux (elle parle de lac, de forêt, de pâturage utilisé en commun).

Dans son article « Beyond Markets and States » publié en 2010 c’est ce qu’elle nous dit.
Ostrom se trompe. La typologie sur laquelle elle prend appui n’est pas adéquate à véritablement
refléter l’apport de son travail sur les « common pool resources ». Quand on se rappelle les
principes qu’Ostrom a mis en avant dans son étude des communs, les 8 principes fondamentaux,
on voit qu’en réalité, là où elle se situe ce n’est pas dans les biens communs. Elle se situe dans les
« biens de club ». Pourquoi ?
Elle nous dit de manière explicite que la communauté a des limites bien définies. On
commence par définir les limites de qui peut avoir accès à la ressource, qui est membre de la
communauté ou qui n’en est pas membre.

Ce que fait le travail d’Ostrom c’est de nous dire que la solution à la tragédie des communs, qui
survient quand un bien est un bien dont l’utilisation par l’un réduit l’utilisation par l’autre, c‘est
d’adopter des règles qui clarifient qui est membre ou non de la communauté. On glisse des biens
communs aux biens de club. Mais, Ostrom ne le reconnaît pas. La réponse pourtant qu’elle
donne à la tragédie des communs c’est de dire que les biens communs sont tragiques dont
il faut en faire des biens club.

Ostrom peut être vue comme reposant encore de manière trop matérialiste, économiciste sur
l’idée que le mode de gestion d’un bien dépend de ses caractéristiques physiques.
Ce qui est moins important que les caractéristiques physiques du bien, c’est le type de règle qui
en régit l’utilisation. Quand on regarde les biens de club, la seule chose qui les distingue des
biens communs, c’est les règles qui gèrent l’utilisation.

è Ces typologie naturelle, liée à la nature des biens, ne sont pas que naturelle, c’est une
combinaison entre la nature physique des biens et les caractéristique
institutionnelle de l’utilisation qui en est faite.

Exemple : Forêt de Soignes : c’est un bien commun. Si on décide de clôturer, ou qu’on puisse avoir
accès que moyennant le paiement de x €. Cela devient un parc à loisir. Elle n’est pas par nature un
bien commun, elle peut devenir un bien de club, cela dépend de l’utilisation qu’on en fait.

Exemple : On une invention brevetée, cela devient un bien réservé aux membres du club, c’est-
à-dire les membres qui ont payé des royalties pour utiliser l’invention. Au départ, l’invention était
un bien public à l’accès libre.

§2e : La dénaturalisation de la typologie : la catégorisation des biens selon


l’organisation institutionnelle des composantes du droit de propriété

Il faut sortir de l’idée qu’il y a un rapport nécessaire entre les caractéristiques physiques du
bien et les règles institutionnelles qui régissent la gouvernance du bien.

Il faut dénaturaliser la typologie qui vient des économistes. N’importe quel bien, quelle que
soit sa nature, peut être placé dans différentes catégories.

Exemple : Un lac avec des poissons. A priori, c’est un bien commun. La tragédie des communs,
c’est que pleins de pêcheurs viennent et que du coup, il y a moins de poissons.
- Si le lac est sous la propriété d’un grand propriétaire. Le bien devient privé.

125
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Si le lac est sur un territoire communal, la commune fixe des règles. Seuls les détenteurs
d’un brevet peuvent pêcher dans le lac. Il y a un quota maximum de pêche. Le lac devient
un bien de club.
- Si le lac est un bien public où on a un accès libre mais qu’une discipline s’impose qui fait
que la pêche ne débouche pas sur la surpêche, c’est un bien public.

è Ces typologies sont le fruit des caractéristiques physiques et institutionnelles (= de choix


de gouvernance) dont elles font l’objet. Un élément peut circuler d’une catégorie à l’autre
sans que les caractéristiques physiques viennent déterminer son assignation à une
catégorie spécifique du cadrant.

Si on retourne à la classification des biens qui vient des économistes, ou est-ce qu’on situe Wikipédia ?

C’est un bien particulier. On pourrait dire que c’est un bien public car l’utilisation par l’un ne
prive pas l’autre, mais en outre, si personne n’utilise la ressource, elle dépérit. Il faut des
utilisateurs pour que la ressource soit entretenue.

Exemple : C’est la même chose pour Blablacar. Moins il y a d’utilisateurs, moins la ressource est
utile.

C’est la même chose pour le sentier dans la forêt.


Exemple : Un sentier est utilisé rarement par les promeneurs. Les personnes n’auront pas de
scrupule à jeter des déchets.

Donc, ces ressources risquent de s’écrouler si elles sont sous-exploitées. S’il n’y a pas assez
d’utilisateur, peu de personnes veillent au respect de l’utilisation et donc la ressource risque de
ne pas être utilisée de manière gérable.

è Tous ces biens ce ne sont pas des biens rivaux.

Pour cette catégorie de bien, on doit élargir la typologie. On doit parler de bien en accès libre
ou de biens coopératifs.
- Les biens en accès libre sont des biens que tout le monde peut utiliser et cette
contribution est positive sans qu’il soit nécessaire de se coordonner.

- Les biens coopératifs sont des biens ou il est nécessaire de se coordonner. Cela ne veut
pas dire qu’il n’y a pas de règle à suivre.

Exemple : Si on met à jour un article sur Wikipédia, il faut respecter certaines règles mais on n’a
pas besoin de se coordonner avec d’autres.

On a donc 6 biens et non plus 4.

126
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

On est amené à poser la questions des communs de manières différentes :

En effet, ce ne sont pas juste des ressources naturelles qui risquent de s’affaisser dès qu’on n’en
règle pas l’usage. Ce sont en fait tous les biens, toutes les institutions (de l’hôpital public u
potager collectif) dont la gestion est démocratie, partagée par les utilisateurs, et ni par l’état,
ni par le marché. Peu importe les caractéristiques physiques du bien ou de la ressource.

Dans une société autonome comme la nôtre, on a le choix de privatiser la forêt de Soignes, de la
traiter comme bien public ou bien de club, de définir des chartes (pour les promeneurs) pour
éviter que la ressource ne s’épuise, …

è C’est ici une conception plus contemporaine des communs.

C’est l’approche de David Bollier. Il parle non pas des communs mais du commoning.
C’est un de ceux qui ont voulu utiliser les communs pour questionner notre manière de
gouverner. Il a politisé une question des communs, qui demeure naturalisé chez Ostrom.

Il ne parle pas des communs mais de la pratique de gestion démocratique et participative de


certains biens ou de certaines ressources. Il nous dit que ce qui est intéressant dans les
communs, ce n’est pas les biens dont il s’agit mais la pratique du commoning.

Les biens communs sont le terreau dans lequel naissent des nouvelles pratiques sociales
de mise en commun. Ces mises en commun nous fournissent des pistes pratiques pour repenser
notre ordre social, notre gouvernance politique et notre gestion écologique.

Dans cette veine de David Bollier, s’inscrivent des auteurs comme Pierre Dardot et Christian
Laval. En 2014, ils publient l’ouvrage « Commun : essai sur la révolution au XXe siècle ».
è Les communs, c’est ce qui est géré de manière démocratique par les utilisateurs eux-
mêmes.

Ils nous disent, après tout, l’émergence du commun dans les débats publics, entre la gouvernance
autoritaire par l’état et la loi du marché, c’est quelque chose qui est prometteur et qui est
prometteur car cela nous permet de réfléchir à la possibilité de gouverner de manière
démocratique et politique toutes une série de ressources qui n’étaient pas abordées comme telles.

127
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Si demain une communauté quelconque veut décréter que tel bâtiment va être géré en commun,
cette communauté peut le faire. Elle n’est pas obligée de dire que c’est un bâtiment public. On peut
avoir une gestion démocratique de biens. C’est un choix politique que de baptiser comme commun
tel ou tel bien, telle ou telle ressource.

L’idée de commun est une nouvelle manière de gérer certains biens ou certaines ressources qui
peut être plus inclusive du point de vue des personnes que cela permet de mettre ensemble et à
qui l’accès à la ressource sera ouvert.

è Permet de réinsuffler la démocratie dans la vie en général, on démocratise la société.


Dans tout ce qu’on fait, on se demande si ce n’est pas mieux qu’on s’occupe de la gestion.

Mais c’est également une manière plus durable de gérer la ressource car elle ne sera pas gérée
seulement en fonction des considérations électoralistes des politiques qui ont entre les mains
l’appareil de l’état ou en fonction des considérations de court terme et de maximisation des
produits des propriétaires privés. Le pari c’est que gérer les biens comme un commun, c’est
garantir une gestion plus démocratique, participative et durable.

è On peut imaginer que l’école, les hôpitaux, la forêt soit géré de manière démocratique par
des communs. On renouvelle la démocratie avec quelques chose de neuf.

§3 : La dimension anthropologique de ce déplacement

On peut faire deux remarques incidentes :

- Cette critique d’Ostrom de l’approche de Hardin est une critique qui a une dimension
anthropologique. L’approche de Hardin s’inscrit dans un mouvement dans les années 60
qui se prolongera dans les années 80 qui caractérise la manière dont la science politique
et économique a évolué à l’époque. On partait à l’époque d’une idée de prévisibilité du
comportement humain qui serait toujours un comportement dicté par un calcul
rationnel que chacun fait de là où réside son intérêt.

Les travaux de Hardin rejoignent les travaux de Mancur Olson ou de Gary Becker. Ces
auteurs sont des auteurs qui, dans les années 60 promeuvent ce paradigme. Ce sont 3
auteurs qui ont pour caractéristique commune de partir de l’idée que les individus sont
des homo economicus, des êtres maximisateurs de profit.

La dimension anthropologue d’Ostrom c’est de donner à voir que nous ne sommes pas
seulement des individus motivés par le souci de maximiser notre position individuelle, on
est capable de coopération. Nous sommes des homo economicus et des homo cooperans.
En effet, on peut construire ensemble sans être prisonnier de ces calculs maximisateurs.

è Les gens sont capable de se mettre au service du commun. Il y a un pari fait sur ce qui
motive les individus et sur ce qui sont capable -> pari anthropologique.

- Ce dont on parle aujourd’hui ne sont pas des questions abstraites qui découlent des
manuels de science politique. Ce sont des problématiques nouvelles qui émergent et qui
trouvent des traductions concrètes dans des expériences qui sont en train d’être
conduites.

En Italie, en 2007, on a mis sur pied une Commission pour réfléchir l’inscription des biens
communs dans le Code civil. Cette Commission a eu un impact sur les débats publics

128
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

italiens. En 2011, un référendum s’est tenu en Italie pour remettre en cause une loi qui
allait privatiser les services de distribution d’eaux.

Des gens se sont dit que nous n’avons aucun contrôle sur l’état dès lors qu’il propose de
privatiser.
Quand l’état s’exproprie lui-même, il y a une indifférence générale, aucune règle.
Des italiens ont dit que ce n’était pas acceptable, ce n’est pas la propriété privée de l’état,
-> il y a des biens qu’on peut gérer ensemble.

C’est un référendum abrogatif car il peut abroger la loi du gouvernement. Le référendum


a été couronné de succès. 97% des gens ont voté contre la privation de l’eau. On a créé une
société publique de distribution de l’eau à Naples de manière participative.

On a une tendance dans les villes nombreuses à remunicipaliser ce qui avait été privatisé
en associant à cette remunicipalisation des acteurs de la société civile. On passe du
client de la société privée ou de l’électeur qui a donné un mandat à l’idée que chaque
membre de la communauté peut avoir sa contribution à apporter à la gestion
commune du bien si on organise la gestion de manière participative. Quand on parle
de communs, on parle des expériences menées sur le terrain depuis une quinzaine
d’années.

è Création de ce que les italiens appellent les « Beni comuni ».

129
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

CHAPITRE 2. Communalisme et démocratie directe


Cours de Sixtine Van Outryve

Une autogouvernement du peuple est-il possible ? La démocratie représentative est-elle en crise ?

Section 1. La crise de la démocratie représentative


§1er : Concepts
Il y a plusieurs symptômes de crise de démocratie représentative comme la montée de
l’extrême droite, le désintérêt des citoyens pour la politique et l’incapacité à résoudre la crise
écologique.

Pour bien comprendre cette crise, il faut revenir au terme de démocratie et de représentativité :
- La démocratie c’est le pouvoir au peuple. « Demos » peut avoir d’autres significations que
le peuple.
- La représentation, d’un point de vue générique, c’est rendre présent ce qui est absent.
En l’occurrence dans la démocratie, c’est rendre présent le peuple qui est absent. Les
députés rendent présent la volonté du peuple absent.

Bernard Manin, auteur des « Principe du gouvernement représentatif » explique qu’après les
révolutions qui ont aboli les monarchies absolues de droit divin, le choix du gouvernement
représentatif s’est fait sur base d’une conception de la légitimité du pouvoir.

Cette légitimité du pouvoir est le consentement des gouvernés, des personnes soumises à
l’autorité politique.
A l’époque, une partie de la population sur laquelle l’autorité s’exerce est exclue de ce
consentement, ceux qui n’avaient pas de propriété privée, les femmes, les personnes de
descendance africaine, les non-nationaux, etc.
è Conception un peu restreinte du corps politique

Selon les révolutionnaires, le mécanisme qui traduit le mieux ce consentement individuel


c’est l’élection par rapport à d’autres formes comme le tirage au sort. L’élection c’est un
mécanisme qui est à la base aristocratique. Il y a un principe de distinction qui se situe à la reine
du mécanisme. On élit des gens qui seraient inévitablement supérieurs aux électeurs.
Distinction entre les gouvernements d’un côté et les gouvernés de l’autre. A partir de maintenant,
on assimile la démocratie à la démocratie représentative et élective.

La démocratie est basée sur plusieurs prémices :


• Les individus ne souhaitent pas gérer les affaires publiques. C’est une conception de
la liberté et du bonheur individuels comme appartenant à la sphère privée, séparée de la
sphère publique.

• Les individus ne sont pas capables de prendre des décisions politiques et de se


gouverner. C’est une conception élitiste du citoyen : propension des masses à la
manipulation et être influencée par l’émotion.

Tout ça mène à une conception burkéenne la représentation (Edmund Burke) : les


représentants sont élus car ils ont une meilleure capacité de jugement et de décision. Ils
sont plus à même de définir l’intérêt général que le peuple lui-même.

Il y a plusieurs conséquences :

130
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- On institutionnalise le désintérêt des citoyens pour les affaires publiques.

- La tâche de prendre des décisions politiques est professionnalisée et confiée à des


représentants pour qui le peuple vote périodiquement.
Gouverner est la profession d’une minorité, au lieu d’être l’activité quotidienne de la
majorité (exclusion de la majorité des espaces publics)

- Il y a une réaffirmation de la distinction entre classe gouvernante et classe


gouvernée, à la racine de cette conception de la démocratie.
-
§2e : Solutions
Il y plusieurs outils de gouvernementalité adaptés pour répondre à la crise démocratique.
Comment repenser les bases de la vie démocratique pour faire de l’autogouvernement la tâche de la
majorité et réaliser l’autonomie collective (C. Castoriadis) ? Il y a plusieurs solutions :

• La démocratie participative et délibérative.

o La démocratie participative est la théorie de la démocratie incluant les citoyens


dans certains aspects du processus de prise de décision politique.

o La démocratie délibérative est la théorie de la légitimité démocratique faisant


provenir l’autorité des lois et politiques publiques dans l’échange public
d’arguments enter citoyens libres et égaux. Elle est combinable.

Exemple : Processus constituant participatif dans la Constitution islandaise.


Exemple : Chambre tirée au sort pour le processus législatif.
Exemple : Budget participatif comme à Porto en Brésil

• La démocratie directe. Il y a différentes compréhensions :

o La démocratie directe traditionnelle. Le pouvoir de décision est donné au peuple


car le gouvernement représentatif pour une question spécifique (référendum) ou
dans un cadre limité (initiative législative citoyenne)

o Les assemblées populaires spontanées. C’est l’utilisation de techniques de


démocratie directe au cours d’assemblées temporaires dans des espaces publics.

o La démocratie directe communaliste.

Section 2. Théorie de la démocratie directe Communaliste


§1er : Introduction au Communalisme
Le communalisme a été inventé par Murray Bookchin, penseur américain. Il était d’abord
marxiste. Il est devenu anarchiste. Puis, il a critiqué les deux courants et il est devenu
communaliste.

Il a fondé l’écologie sociale. C’est un courant de pensée écologique considération les problèmes
environnementaux comme des problèmes sociaux.

Le postulat de base c’est que l’idée de la domination de l’humain sur la nature provient des
hommes, les uns sur les autres : riches sur les pauvres, personnes blanches sur les personnes
de couleur. Il analyse les phénomènes sociaux et politiques à travers une critique de la hiérarchie.
La politique de l’écologie sociale est le municipalise libertaire aussi appelé au communalisme.

131
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C’est quoi le communalisme selon Bookchin ?


- La municipalité est le lieu où les communautés locales peuvent gérer directement
leurs propres affaires au travers d’assemblées populaires fonctionnant sur le mode de
la dé mocratie directe et du face-à -face.

- Pour les questions dé passant l’é chelle de la commune, les assemblé es populaires locales
s’organisent sur le modè le du confédéralisme : un réseau de conseils composés de
délégués provenant des assemblées populaires municipales, avec des mandats
ré vocables et impé ratifs dans le but de coordonner et administrer les politiques formulé es
par les assemblé es elles-mê mes.

Il y a une distinction entre prise de dé cision et administration :

- Prise de décision politique : les dé cisions politiques concernant le cours d’action qu’une
municipalité va suivre – formulé es par l’assemblé e populaire rassemblant les ré sident.e.s
de la municipalité .

- Administration de ces décisions : la coordination, l’administration et l’exé cution de ces


dé cisions, par des délégué.e.s avec mandats impératifs, révocables et rotatifs, sous
supervision constante de l’assemblé e populaire.

§2e : La démocratie directe Communaliste

// Cours Mr De Schutter : C’est un commun politique. Il propose de gérer toutes les affaires, toutes
les ressources. Le communalisme est plus large, on pourrait le voir comme un commun politique.

Le choix de la municipalité est un choix arbitraire : c’est un peu étroit/large par rapport aux
différents problèmes.

Le communalisme permet de recouvrir toutes les personnes. Mais il y a des personnes qui n’ont
pas envie d’en faire partie. C’est pourquoi, il faudrait une articulation.

Quelle est la définition de la démocratie directe Communaliste ?

C’est « l’exercice direct de tous les aspects du pouvoir public par le peuple constamment
assemblé en face-à-face au niveau communal dans des assemblées populaires et, lorsque le peuple
ne peut plus être physiquement assemblé, la représentation directe des décisions de l’assemblée
populaires par des délégué.e.s doté.e.s de mandats impératifs et révocables » .

A. La municipalité commune unité politique principale

“The true distinction between [a democracy and a republic] . . . is, that in a democracy, the people
meet and exercise the Government in person; in a republic, they assemble and administer it by their
representatives and agents. A democracy consequently will be confined to a smaller spot. A republic
may be extended over a large region.”

C’est un fait indubitable que la taille de l’État-nation moderne rend matériellement


impossible la réunion d’individus au mê me endroit en une assemblé e pour dé libé rer et décider
collectivement (cf. Rousseau)

132
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Mais l’État-nation est une “forme historique transitoire” qui ne procure pas une “ré alisation
satisfaisante de l’ancienne et continuelle aspiration à l’autogouvernement dé mocratique (R. Dahl,
“The City in the Future of Democracy”).

Depuis la naissance de l’État-nation, la question de l’unité politique la plus appropriée pour


qu’un peuple se gouverne n’a plus été posée. Le Communalisme cherche pré cisé ment à poser
à nouveau cette question et à y ré pondre en proposant la commune comme unité pour
l’autogouvernement plutôt que l’Etat.

Les villes modernes sont, lé galement, les « créatures de l’Etat » : cette absence de pouvoir des
villes et leur dé pendance envers un pouvoir centralisé est un choix politique (à cause de l’hostilité
de la pensé e libé rale envers le pouvoir politique des villes comme entité s intermé diaires entre les
individus et l’Etat (G. Frug, “The City as a Legal Concept”).

B. L’assemblée populaire locale

1) L’assemblée continue du peuple

« Le gouvernement représentatif ne confè re aucun rôle institutionnel au peuple assemblé »


(B. Manin, Principes du gouvernement représentatif)

Qu’est-ce que le demos dans la démocratie athénienne?

Le Demos n’est pas le peuple, mais c’est l’assemblée au sens d’une « masse de personnes
rassemblé es pour poursuivre un but commun »

Le critè re politique pour identifier si qqn fait partie de l’assemblé e ou de l’é lite politique c’est «
s’il influence les dé cisions politiques comme individu ou comme membre de la masse »

L’avènement de la demokratia à Athènes comme régime politique n’est pas le moment de la


cré ation de l’assemblé e (elle existait dé jà ), c’est quand le demos ré alisa le kratos (le renversement
du rapport de force entre ceux qui avaient le pouvoir politique comme individus et la
masse, celle-ci gagnant le « pouvoir de dé cision final »).

Le Communalisme cherche à ré aliser la dé mocratie comme le rè gne de l’assemblé e (besoin donc
de construire l’institution de l’assemblé e) ET l’abolition de toute classe gouvernante.

Il y a un projet de constitutionnalisation de la liberté publique dans la filiation des « tré sors perdus
de la ré volution » (H. Arendt, De la Révolution)

2) Exercant tous les aspects du pouvoir public mais aussi économique

Le projet du communalisme c’est une démocratisation politique mais aussi économique. Ici, il y
a une subordination de la sphère économique à la sphère politique, au contrô le dé mocratique
de la communauté

Les assemblées populaires devraient collectivement et démocratiquement décider des


politiques é conomiques fondamentales concernant la production, distribution, consommation,
recyclage/traitement des dé chets, utilisation de la technologie et des ressources. C’est la
municipalisation de l’économie. Les conditions de travail et l’opé ration journaliè re devraient
ê tre laissé es sous le contrô le des travailleurs et travailleuses dans leurs lieux de travail
(autogestion du travail)

133
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

C. La confédération

1) La délégation comme représentation directe

Quand le peuple ne peut pas être assemblé (coordination d’une politique au niveau supra-
communal / fédéral, exécution d’une politique au niveau local), il peut être directement
représenté. La représentation se définit comme « rendre présent ce qui est absent ».

Ici, la délégation pourra être vue comme une représentation directe étant donné que la décision
de l’assemblée est directement rendue présente par le ou la déléguée.
Ce délégué représente l’assemblée populaire dans la mesure où il rend présente la volonté
collective déjà formée par l’assemblée.

2) Les mécanismes de délégation

Quels sont les mécanismes de cette représentation directe ou de cette délégation ?

• Le mandat impératif. C’est un mé canisme par lequel le délégué opère sous un contrat
permettant au principal (les citoyen.ne.s) de conférer temporairement leur pouvoir à
un agent pour prendre des actions spécifiques, mais ne qui dé lè gue pas le pouvoir de
prendre des dé cisions, qui est retenu par le principal.

• La révocabilité. Ce mandat impératif est souvent combiné avec un mandat révocable. Si


dans ce mandat impératif, la personne ne respecte pas son mandat, on peut la
révoquer.
C’est le droit de priver la personne dé lé gué e de son poste en cas de non-respect du mandat,
et de la remplacer par quelqu’un d’autre.

• La rotation. C’est un mécanisme qui permet de déprofesionnaliser la politique. Il garantit


que le pouvoir puisse circuler et ne demeure pas avec un sous-groupe d’une entité
politique plus longtemps que strictement né cessaire, et permettant d’empê cher la
cré ation d’une classe sé paré e de gouvernants.

v Démocratie directe Communaliste >< démocratie traditionnelle ou participative

Quelles sont les différences entre la démocratie directe Communaliste, démocratie directe
traditionnelle et démocratie participative ?

On retrouve 7 différences entre ces démocraties :

• La municipalité comme unité principale (>< l’État).

• Tout le pouvoir public (y compris le choix de l’agenda, ce dont on va décider) appartient


aux assemblées populaires communales (>< opinion / décision demandée au peuple
sur un point spécifique par référendum).

• Tant la délibération que la prise de décision appartiennent à l’assemblée populaire


communale (>< pas de délibération et/ou de pouvoir de décision, voix seulement
consultative).

• La politique comme l’activité quotidienne de tous et toutes (>< la politique est la


profession d’une minorité).

134
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

• Les délégués n’ont pas la capacité de décider, mais ils sont liés par mandats
impératifs et révocables (>< les représentants ont le pouvoir de décision).

• Toute personne sujette à l’autorité de l’assemblée populaire communale peut


participer au processus de prise de décision (>< seuls les nationaux ont le droit de
vote).

• Ancré dans une critique plus large de la hiérarchie (>< compatibilité idéologique avec
le capitalisme, le patriarcat, le racisme, le colonialisme, la nécessité de l’égalité
économique pour l’égalité politique).

§3e : La stratégie Communaliste


Il s’agit de construire l’institution de l’assemblé e populaire locale et de la confé dé ration.

Pour pouvoir donner tout le pouvoir aux assemblé es populaires, il y a deux stratégies :

• La stratégie extra-institutionnelle. C’est cré er des institutions radicalement nouvelles


et alternatives en construisant des assemblé es populaires extra-lé gales pour prendre en
main des affaires indé pendamment du systè me politique existant et cré er un contre-
pouvoir.

• La stratégie institutionnelle. C’est occuper les institutions municipales pour les


transformer radicalement et donner le pouvoir à l’assemblé e.

Mê me si une municipalité est construite autour d’institutions fortes d’autogouvernement, celle-ci
ne serait pas suffisamment forte que pour dé fier l’État seule (lé galement, é conomiquement,
militairement, ou mê me en termes de lé gitimité politique)

Il faut donc cré er une situation de « double pouvoir » de compé tition pour la lé gitimité politique
entre :
o L’État-nation traditionnel.
o La Confé dé ration de communes basé es sur l’autogouvernement local.

Il est important de s’attarder sur la straté gie institutionnelle :

• Les mouvements Communalistes pré senteraient des candidats pour les é lections
municipales qui, une fois é lus, lieraient leurs mandats aux décisions de l’assemblée
populaire. Il y a un transfert du pouvoir public confé ré par les é lections des mains des
é lus officiels vers celles de l’assemblé e populaire.

• Le rôle de la personne élue :


o ≠ Prendre des dé cisions politiques.
o Relayer les dé cisions de l’assemblé e populaire sur les politiques à prendre dans le
cadre de son mandat d’é lu.
o La personne élue serait un dé lé gué lié à essayer de ratifier juridiquement les
dé cisions de l’assemblé es comme si elles é taient les siennes, et dont la tâ che est de
« rendre pré sent » la volonté dé jà formé e et dé libé ré e de l’assemblé e.

• Problème : les socié té s modernes n’ont pas d’assemblé e dé jà institué e (masse de
personnes agissant collectivement dans la sphè re politique). Il est donc important pour
les mouvements Communalistes d’entreprendre la tâ che de construire l’assemblé e avant

135
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

de se pré senter aux é lections (é ducation à la dé libé ration et à la prise de dé cision
collective – paideia).

On nous a jamais habitué à prendre des décisions collectivement et à délibérer


collectivement, et donc cette construction de l’assemblée est cruciale pour réapprendre
cela aux citoyens.

§4e : Objections
Comme pour toute thé orie normative, beaucoup d’objections peuvent ê tre adressé es au projet
Communaliste (1) et à sa stratégie (2), que cela soit au niveau de sa faisabilité , dé sirabilité ,
validité , cohé rence interne, etc.

A. Objections à la démocratie directe Communaliste


• Si les assemblé es populaires ont une autonomie complète, qu’est-ce qui les empê cherait
d’adopter des politiques racistes, excluantes socialement, é conomiquement ou
culturellement – des politiques qui permettraient aux hié rarchies existantes de classe, de
race, de genre de se perpé tuer, ou à de nouvelles hié rarchies de se cré er ?

• Vu que la dé mocratie directe Communaliste prescrit que le pouvoir de prendre des
dé cisions politiques revient aux assemblé es populaires municipales et que les dé lé gué s de
chaque assemblé e au niveau confé dé ral n’auraient que le pouvoir de rendre pré sente la
volonté populaire dans les limites de leurs mandats, comment pourraient-ils
coordonner et administrer des décisions d’assemblées contradictoires au niveau
confédéral ? Quelle est leur marge de manœuvre ?

• Est-ce que les individus ont le temps pour participer aux assemblées populaires ?
Exemple : Il faut que les femmes ne doivent pas s’occuper de leurs enfants à ce moment-
là.

• Comment garantir la décentralisation de l’information pour éviter le règne des


experts ?

• Comment éviter l’émergence d’une classe de gouvernants, au sens de personnes


influençant le cours d’action d’une communauté comme individus, et non comme membre
d’un demos, à partir du moment où certaines personnes sont des leaders charismatiques
? Comment é viter l’é mergence d’une classe de politiciens professionnels composé es par
les dé lé gué s à chaque niveau ?

• Vu que la lé gitimité politique de l’assemblé e populaire repose sur le fait que le pouvoir
public est exercé par le peuple assemblé , comment s’assurer que tout le monde peut ê tre
non seulement pré sent pour participer aux assemblé es, mais aussi participer de maniè re
significative ? Est-ce que les dé cisions de l’assemblé e populaire sont lé gitimes si certaines
personnes font le choix ré el de ne pas participer, une fois levé es les contraintes maté rielles
et en termes de connaissances ?

• Comment combiner la nécessité pour l’ouverture et la publicité des assemblées


populaires et des conseils de dé lé gué s avec le besoin potentiel de confidentialité pour
des affaires politiques sensibles ?

• Comment délimiter les frontières physiques d’une commune/confédération?


Comment diviser des mé galopoles comme New York, Mexico ou Bombay qui ont presque
la taille d’un pays ?

136
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

B. Objections à la stratégie Communaliste d’occuper et de transformer le conseil


communal

• Mê me si les mouvements Communalistes gagnent les é lections municipales, comment


permettre l’exercice direct du pouvoir public à travers le mandat du conseil communal vu
que la commune n’a pas de pouvoir législatif général ?

• Vu que les principes de la dé mocratie repré sentative sont constitutionalisé s, comment
gérer l’inconstitutionnalité de cette stratégie (article 33, al. 2 de la Constitution belge)?

• Comment permettre une responsabilité (accountability) des délégués é lus en l’absence


de mé canisme lé gal contraignant ?

• Comment approcher la ré élection du mouvement Communaliste si celui- ci refuse de se


soumettre aux rè gles é lectorales classiques ?

• Une fois au pouvoir, comment gé rer une administration municipale habitué e à travailler
sous une gouvernance repré sentative ?

• Comment é viter l’instrumentalisation du Communalisme par des groupes dé jà dominants
pour consolider/augmenter leur pouvoir dans la socié té ?

• Si une commune, ou une confé dé ration de communes, commence à menacer ré ellement
l’existence de l’État – ce qui devrait ê tre son but d’aprè s la straté gie du double pouvoir –
comment gé rer la ré ponse é conomique, lé gale ou militaire d’é craser les communes
rebelles ?

Diverses questions // cours


Dans une assemblée, on s’expose à la critique, censure. Cette tension existe entre la contrainte de
la rationalité d’une part, et l’exercice de de la politique qui consiste à ne pas être enfermé dans
des raisonnements purement technocratique.

è Dans la démarche de la démocratie directe communaliste, comment résoudre cette tension ?

Ces contraintes sont présentes de toutes façon, mais les citoyens ne s’approprient pas cette décision.
Elle ne sera jamais aussi bien respectée si c’est des personnes qui les prennent eux-mêmes.

è Peut-on relier la démocratie au pragmatisme et à l’idée que la politique c’est pas


l’application des politiques a des savoirs prédéfinis et une enquête permanente où on ne sait
pas la solution et qu’on découvre au moment où on l’a construit ?

Notion de paidei + cette éducation politique, c’est à nous de l’apprendre. Certes il y aura des erreurs,
mais c’est au sein des assemblées qu’on va se former.

Section 3. Pratique de la démocratie directe communaliste

§1er : Quelques exemples historiques et contemporains

Quels sont les exemples historiques et contemporains de mouvements réalisant les principes de
la démocratie directe Communaliste (abolition d’une classe gouvernante, assemblée continue du
peuple, exercice direct du pouvoir public par l’assemblée, non-hiérarchie) ?

137
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

• La Commune de Paris (1871).


• Les soviets pendant la ré volution russe (1905; 1917).
• La ré publique des Conseils à Berlin et Munich aprè s la dé faite de l’Allemagne (1918-19).
• La ré volution espagnole (1936).
• Les conseils de travailleurs pendant la ré volution Hongroise (1956).
• Les Zapatistes au Chiapas, Mexique (depuis 1994).
• Cheran, Mexique (depuis 2011).
• La ré volution au Rojava (Kurdistan Syrien) (depuis 2011).
• La dynamique é mergente en Amé rique du Nord : Symbiosis, la fé dé ration de mouvements
de dé mocratie radicale (Cooperation Jackson, Olympia Assembly, Symbiosis PDX, etc.)
• L’expérience de démocratie directe à Commercy (France)

§2e : Un cas d’étude : le mouvement d’assemblée et de démocratie directe à


Commercy

A. Contexte : le mouvement des Gilets Jaunes

Naissance le 17 novembre 2018 en ré action à l’augmentation du prix du carburant : appel à porter
le gilet jaune et à bloquer les pé ages.

Spé cificité s du mouvement :


• Hé té rogé né ité sociologique ET idé ologique, grande diversité locale.
• Autonomie d’action.
• Trè s pré sent dans le milieu rural.
• Beaucoup de primo-manifestants.
• Critique de toute forme traditionnelle de participation politique (parti, syndicat).
• Critique absolue de toute repré sentation, y compris dans le mouvement (consé quence :
pas de dialogue avec le gouvernement, pas de revendications officielles; « attention
constante voire obsessionnelle au risque de la monopolisation de la parole du mouvement
et de la ré duction de sa diversité derriè re des leaders »).
• Né anmoins, certaines revendications communes sont relativement claires : dignité ,
davantage de pouvoir d’achat; davantage de justice fiscale et sociale, dé mocratie directe
(RIC = référendum initiative citoyenne), dé mission de Macron, etc.

Il y a eu une double forme de mobilisation :


- Des manifestations.
- Des occupations des ronds-points et création d’espaces délibératifs. Des gens occupaient
les ronds-points avec des cabanes et ils délibéraient de leurs actions et des problèmes
qu’ils identifiaient.

Face à cette mobilisation, il y a eu une double réponse de l’État :


• Face aux manifestions : ré pression sans pré cé dent depuis la guerre d’Algé rie (25
personnes é borgné es, plusieurs mutilé es, des milliers de personnes interpellé es et
condamné es, dont des centaines à de la prison ferme).

• Face aux petits débats des ronds-points : canalisation de la contestation par un


dispositif de participation : le Grand Débat (critique: questionnaire, pas de dé libé ration,
cadenassage des questions, population ayant participé complè tement diffé rente de celle
composant les GJ, « ce n’est pas dé battre que nous voulons, mais dé cider »).

B. Les Gilets Jaunes de Commercy

138
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Commercy : ville de Meuse (Grand-Est), relativement pauvre, 5500 habitants.

Dè s le dé but du mouvement, la sono tombe en panne, les forçant à se mettre en demi-cercle, à faire
davantage circuler la parole et à fonctionner sans chef

Rapidement, il y a la cré ation de la cabane sur la place du village : lieu « de chaleur humaine, de
contact et de fraternité », d’accueil, d’organisation, de rencontre, de dé libé ration et de dé cision.

Il y a une assemblé e quotidienne à 17h30 : sans chef, rotation des tâ ches, ordre du jour participatif
(affiché à la cabane), participation é gale de toutes et tous; dé cision collective sur tout à la majorité
tout en cherchant le consensus
C’est une assemblé e de lutte : volonté d’ancrer les dispositifs dé mocratiques dans l’expé rience.

Il y a un appel aux autres groupes de gilets jaunes :


- Organisation d’assemblé es populaires ré guliè res où tout le monde participe à é galité .
- Construire des cabanes et des maisons du peuple.
- Reprise du pouvoir « par la base ».
- Refus de nommer des repré sentants comme le demande le gouvernement (risque de
ré cupé ration, d’encadrement, de fonctionnement de haut en bas, de « reproduction du
systè me »).
- « Si délégués il doit y avoir, c’est au niveau de chaque comité populaire local de gilets jaunes,
au plus près de la parole du peuple. Avec des mandats impératifs, révocables, et tournants ».
- « Pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple ».

Dans l’appel des Gilets Jaunes, idées du Communalisme et de la démocratie directe à la base
du mouvement :
o La lé gitimité politique de l’assemblé e populaire locale comme lieu de rencontre, de dé bat
et de dé cision.
o La politique comme l’affaire quotidienne de toutes et tous et non la profession de
quelques-uns.
o L’horizontalité .
o L’é galité de participation.
o Le refus de la repré sentation, au profit de la dé lé gation du pouvoir grâ ce à des mandats
impé ratifs et ré vocables

Deux choses qu’ont fait les Gilets Jaunes :


• Organisation d’un RIC local par les Gilets Jaunes contre la destruction de leur cabane et
pour une plus grande participation des habitants aux dé cisions qui affectent la commune
(fé vrier/mars 2019): 575 personnes sur un corps é lectoral de 3500 ont participé (500
oui).

• Destruction de la cabane (mars 2019). Consé quence : essoufflement du mouvement


local car moins d’horizontalité dans l’organisation sans lieu fixe (transparence odj et
dé cisions), moins d’assemblé es gé né rales, dé sertion de l’espace public, perte d’é nergie,
dissociation entre lieu de rencontre/vie et lieu de dé cision/politique; exacerbation des
tensions internes

C. L’assemblée Citoyenne de Commercy

Pour une partie des gilets jaunes, cela a été le moment de transformer l’expérience et
d’institutionnaliser l’espace de discussion qu’est l’assemblée, et de l’ouvrir aux autres habitants
de Commercy non-Gilets Jaunes en créant l’Assemblée Citoyenne de Commercy (ACC).

139
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

Ils ont organisé des premières assemblées citoyennes en mai et juin 2019, et ils s’échangeaient
une critique du système représentatif, une volonté des habitants de retrouver du pouvoir sur leur
vie en discutant des affaires qui les concernent.

En septembre 2019, l’Assemblée a décidé de donner un mandat à une liste pour se présenter aux
élections pour donner le pouvoir à l’assemblée citoyenne. C’est exactement la stratégie
municipaliste qu’on a vu précédemment.

Ce tournant municipaliste a eu pour effet une scission du groupe des Gilets Jaunes :

- Pour les anti-municipalistes, « le cô té municipal, c’est reprendre le sché ma qui est dé jà
instauré alors qu’on essaie de se battre pour essayer d’en sortir ».

- Pour les pro-municipalistes, « le dé bouché politique des gilets jaunes, c’est l’assemblé e
citoyenne, je parle pas des é lections, c’est de faire des assemblé es comme on a essayé de
faire pour que les gens expriment leurs besoins, leurs envies, leurs idé es, et fassent leurs
propositions eux-mê mes, n’attendent pas que des gens au-dessus les fassent . . . si on a
pré senté une liste, c’é tait pas pour dire votez pour nous . . . c’é tait pour dire si vous votez
pour nous, nous on fera rien, on exé cutera les dé cisions de l’assemblé e citoyenne ».

En novembre 2019, il y a eu une assemblée et il a commencé à vraiment y avoir une construction


participative de propositions. Ils ont créé une liste citoyenne « Vivons et Décidons ensemble »
dont le seul et unique programme est la démocratie directe.

Rapports entre la liste et l’assemblée :


- Assemblé e devenue presque inexistante et dominé e par le narratif é lectoral. L’assemblée
n’existe plus en tant qu’institution automne. Le rapport entre l’assemblée qui donne le
mandat à la liste et la liste elle-même, c’est que l’assemblée est complètement dominée
par la liste.
- Mandat unique donné à la liste. Ce mandat n’a pas été contrôle en cours de route, il était
non impératif.
- Tâ che de valider le travail de la liste laissé e aux é lections.
- Assemblé e prê te pour aller aux é lections ?

Il y a eu une campagne : du porte-à -porte avec questionnaire pour faire remonter les besoins de
la population, permanences hebdomadaires, des assemblé es é lectorales pour expliquer le projet,
signature publique d’une charte des é lus, des ré unions ré guliè res d’organisation, d’é laboration de
la constitution locale et de ré flexion sur le fonctionnement concret de l’ACC en cas de victoire
é lectorale.

Le premier tour des é lections était le 15 mars 2020 :


- En cas de victoire : le maire/les é lus appliquent les dé cisions de l’assemblé e.
- En cas de défaite : l’assemblé e sera un contre-pouvoir

Il y a eu une dé faite avec 9.77% (4 voix manquantes)


Aujourd’hui : redé finition de l’assemblé e citoyenne comme lieu pour dé velopper l’auto-
organisation des habitants par la construction de projets et comme contre-pouvoir à la mairie.

Il y a eu une rédaction collective d’une constitution locale :

- Pré ambule rappelant « la né cessité de la rupture avec le systè me repré sentatif, pour en
revenir à une dé mocratie directe et permanente ».

140
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Le terme "Assemblé e citoyenne" dé signe de façon gé né rale, tous les moments de dé bats
et de prise de dé cision ouverts à l'ensemble des habitants, sous forme de ré union physique
et par tout autre moyen (internet...). Elle offre à tous les habitants de Commercy la
possibilité de dé cider par eux-mê mes et pour eux-mê mes.

- Autres articles sur l’autonomie de l’assemblé e citoyenne par rapport au conseil municipal,
son fonctionnement, le fonctionnement de ses commissions, le processus de prise de
dé cisions, les recours via un Conseil Constitutionnel Citoyen et les conditions de
modifications de la constitution (//nos constitutions).

Il y a eu un paradoxe constituant, une impossibilité de trouver une source de légitimité pour


un pouvoir constituant qui soit extérieure à l’exercice-même de ce pouvoir
Comment instaurer un mode de fonctionnement en démocratie directe tout en respectant les
principes fondamentaux de la démocratie directe ? Quelles règles peuvent être fixées avant de lancer
la démocratie directe et qu’est-ce qui est laissé ouvert pour l’assemblée ?

Il y avait un souci d’é laborer une proposition de fonctionnement en dé mocratie directe
suffisamment dé taillé e pour que les habitants y adhè rent VS un souci de permettre à l’assemblé e
de choisir son propre mode de fonctionnement, d’ê tre autonome

Ré solution du cercle vicieux de la fondation de l’autorité du pouvoir constituant :

- Ecriture de la Constitution aprè s la Ré volution française : l’abbé Sieyè s distinguait le


pouvoir constituant du pouvoir constitué , et dé clarait que le premier existe à l’é tat de
nature.
- A Commercy : recours aux é lections: « les citoyens de Commercy qui votent pour nous,
votent pour cette constitution » => l’autorité de la constitution locale serait tiré e du fait
que les habitants plébiscitent cette constitution aux é lections (paradoxe de lé gitimer la
mise en place de la dé mocratie directe par le processus paradigmatique de la dé mocratie
repré sentative, les é lections?).

D. Questions pour la démocratie directe Communaliste

• Assemblée Citoyenne de Commercy :


- Jusqu’où jouer le jeu é lectoral (personnalisation de la politique) pour ê tre é lus, tout en
restant fidè les au projet de donner le pouvoir à l’assemblé e populaire?
- Comment articuler l’assemblé e citoyenne et la liste, et é viter que l’assemblé e survive à la
campagne é lectorale comme institution autonome ? L’assemblé e citoyenne é tait-elle
suffisamment construite pour se pré senter aux é lections ?
- La dé mocratie directe est-elle uniquement procé durale, ou faut-il lui donner un cadre
substantiel ?
- Mê mes questions que pour une dé mocratie classique (texte constituant, lé gitimité du
groupe fondateur, interpré tation du texte constituant, comité de sage, procé dure de
ré vision de ce texte, actualisation du consentement populaire).
- Comment ré ellement gouverner alors que la municipalité a peu de pouvoir (ex : à
l’intercommunale) ?

• ADA :
- Comment faire pour que les assemblé es locales dé finissent les mandats impé ratifs de leurs
dé lé gué s à l’avance alors que de nouvelles questions surgissent au cours du dé bat ?

141
Maxime Descheemaeker Théorie du droit

- Comment assurer la continuité de l’ADA (autorité donné e aux dé cisions passé es des
pré cé dentes ADA, mais instabilité vu l’absence de texte fondateur et de texte de
fonctionnement) ?

142

Vous aimerez peut-être aussi