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La crise de l'économie capitaliste

(Exposé du Cercle Léon Trotsky du 11 décembre


2008)

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Le fonctionnement normal du capitalisme

Depuis la révolution industrielle, toute l'histoire du capitalisme est ponctuée de


crises, suivies de récession plus ou moins longues, avant qu'une lente reprise ne
s'amorce, se transformant en un boom économique jusqu'à la crise suivante. Ces cycles
économiques "jouent, dans la vie du capitalisme, le même rôle que les cycles de
circulation du sang dans la vie de l'organisme" pour reprendre une formule de Trotsky.
Les crises ne sont ni des anomalies ni des maladies de l'économie capitaliste. Elles
sont en fait le seul et unique moment de régulation de tous les déséquilibres provoqués
par ce système de production.

Le seul régulateur de l'économie

Ce qui caractérise le capitalisme, c'est que l'ensemble des moyens de production et de


distribution des richesses est contrôlé par des propriétaires privés. L'objectif des
capitalistes n'est pas de fournir tous les biens nécessaires à la vie quotidienne de
plusieurs milliards d'êtres humains. Ils ne produisent pas de la nourriture, des
médicaments ou des automobiles pour satisfaire des besoins mais uniquement parce que
cette production est censée leur rapporter des profits.
Mais c'est dans les ateliers de production que sont créées toutes les richesses de la
société y compris le profit. C'est la force de travail humaine qui est seule capable de
créer de la valeur en transformant, par exemple, de l'acier, du plastique ou des câbles
électriques en automobile. La force de travail a cette propriété extraordinaire de créer
plus de valeur que ce qu'elle ne coûte pour l'entretenir. Si le salaire versé par un
capitaliste à ses ouvriers leur permet plus ou moins de faire face à leurs dépenses
courantes, il est toujours bien inférieur aux richesses qu'ils créent par leur travail. Cette
partie de la valeur crée par les ouvriers et qui n'est pas payée par les capitalistes, c'est ce
que Marx a appelée la plus-value. Et c'est la source du profit capitaliste.
Au bout du compte, toute la société capitaliste s'organise autour du partage de la
plus-value. La plus-value suée par les ouvriers sur les chaînes de fabrication des
automobiles va se répartir entre les actionnaires, les concessionnaires, les banquiers, les
assureurs et quelques autres intermédiaires.

Mais tant que les voitures produites restent sur les parkings de l'usine ou dans le hall
du concessionnaire, la plus-value reste virtuelle. Pour que le capitaliste récupère son
profit, il doit les vendre. C'est une phase capitale. Pour chaque automobile, chaque écran
plasma, chaque bien de consommation mis sur le marché, les capitalistes doivent trouver
un client disposant du pouvoir d'achat suffisant pour l'acheter. Ils doivent trouver un
marché solvable.
Mais le marché solvable est limité. Les clients potentiels des biens de
consommations sont les ménages, partout sur la planète. Ceux de la bourgeoisie petite
ou grande, qui consomment beaucoup, et pas seulement des jets privés ou des yachts.
Mais aussi, les plus nombreux, ceux des milieux populaires dont le pouvoir d'achat
limité permet tout juste de faire face à leurs besoins quotidiens, même dans les périodes
de prospérité économique où le pouvoir d'achat de la classe ouvrière augmente.
L'offre, de son côté, dépend de la capacité de production. Cette dernière augmente
avec les inventions scientifiques, les innovations techniques. Mais l'offre ne résulte pas
d'une décision consciente qui prendrait en compte les besoins à satisfaire ainsi que les
moyens pour y faire face. Elle résulte des décisions d'une multitude de capitalistes
individuels, opposés les uns aux autres par la concurrence.
Ces capitalistes se livrent une guerre acharnée. Dans le secteur automobile on compte
une douzaine de grands constructeurs. Si la demande mondiale est estimée à 70 millions
de véhicules neufs par an, chacun veut rafler la plus grosse part du marché. Chacun
lance des installations pour produire plus de voitures qu'il n'en vendra au bout du
compte. Cette concurrence entraîne un gonflement des capacités de production qui
dépasse un moment ou un autre la demande solvable. C'est la surproduction.
Inexorablement, certains se retrouvent avec des installations surdimensionnées ou
des stocks non écoulés. Pour rétablir l'équilibre, les perdants réduiront brutalement leur
production. Certains licencieront partiellement ou totalement leurs ouvriers, annuleront
les contrats passés avec leurs sous-traitants. D'autres feront faillite.

La crise est le seul moyen de liquider les stocks, d'équilibrer l'offre toujours plus
grande et la demande solvable limitée. L'ajustement se fait ainsi, après coup,
brutalement.

La construction d'une voiture exige des matières premières, de l'acier, divers métaux,
des câbles électriques, du plastique produit à partir du pétrole, des pneumatiques, une
multitude de pièces détachées, sans parler des machines-outils, des lignes d'assemblages
et de l'électricité pour les alimenter.
Chaque crise, chaque arrêt du processus de production dans l'automobile ou dans une
autre industrie des biens de consommation se répercutent sur les industries situées en
amont qui leur vendent ces biens de production. C'est ainsi qu'ArcelorMittal vient
d'annoncer l'arrêt de la moitié de ces hauts-fourneaux en Europe pour cause de crise
dans le bâtiment et l'automobile. Il en profite pour supprimer plusieurs milliers
d'emplois.
Comme dans tous les secteurs, la concurrence fait rage entre sidérurgistes ou entre
chimistes pour vendre le plus possible d'acier ou de plastiques aux industries des biens
de consommations. Elle fait rage aussi d'un étage à l'autre de la production, entre les
deux ou trois producteurs de minerais, les sidérurgistes et tous leurs clients
constructeurs automobiles ou industriels du bâtiment pour accaparer chacun la plus
grande part des profits.
Cette concurrence est encore une source de déséquilibre et de crise.
Mais le déséquilibre est d'autant plus grand que les investissements pour construire
un haut-fourneau ou une installation chimique sont très lourds. Les amortissements se
font sur des années et la mise en route de ces installations est longue.
Les sidérurgistes français ont par exemple, après guerre, retardé au maximum leurs
investissements dans des hauts-fourneaux capables de produire des aciers plats pour
l'automobile ou l'électroménager. Quand ils ont fini par le faire, avec l'aide massive de
l'État, dans les années 60, leurs nouvelles installations, à Fos ou à Dunkerque, étaient à
peine opérationnelles que les besoins en acier avaient chuté, condamnant de nombreux
hauts-fourneaux à la fermeture définitive. Ce fut l'une des causes de la crise de la
sidérurgie des années 70-80 qui provoqua des dizaines de milliers de licenciements et
qui vit une nouvelle fois l'État français voler au secours des de Wendel ou autres
Schneider en nationalisant leurs usines obsolètes ou surdimensionnées.

La crise permet ainsi de rétablir l'équilibre entre les différentes branches industrielles
; de rééquilibrer les deux secteurs fondamentaux de l'économie, les industries qui
produisent pour le marché des biens de consommations et celles qui produisent des
machines ou des matières premières, tous les moyens de production.

C'est encore à travers les crises que l'économie capitaliste élimine les entreprises qui
sont en trop par rapport au marché solvable.
Même dans une économie rationnellement organisée il serait nécessaire d'adapter
régulièrement les efforts collectifs, le temps de travail consacrés à produire n'importe
quelles marchandises. C'est une constante de l'économie humaine : au fur et à mesure
des innovations techniques et des améliorations dans la façon de produire
collectivement les richesses, le temps de travail moyen nécessaire pour produire la
nourriture, les vêtements mais aussi des ordinateurs ou des voitures a tendance à baisser.

Mais dans l'économie capitaliste, cet ajustement périodique se fait par la disparition
brutale des entreprises dont le temps et les coûts de production sont supérieurs à la
moyenne.
C'est encore la crise qui permet de rétablir le taux moyen de profit de l'économie
capitaliste. Pour augmenter sa part de profit, chaque capitaliste produit toujours plus de
marchandises. Si une nouvelle machine ou un nouveau procédé lui permet de produire
deux fois plus vite, deux fois plus pour deux fois moins cher, il investit dans cette
machine. Cela lui permet d'accroître sa part de marché et d'éliminer une partie de ses
concurrents.
Mais ce qui est bon pour un capitaliste individuel ne l'est pas pour la classe
capitaliste dans son ensemble.
Les concurrents finissent tôt ou tard par investir eux-aussi dans cette machine, ou une
autre encore meilleure. Au bout du compte, il y a un gonflement du capital investi dans
les machines. Comme c'est le travail humain qui produit le profit, pas les machines, ce
gonflement sans fin du capital provoque une diminution régulière du taux de profit pour
l'ensemble de l'économie capitaliste.
Chaque capitaliste tente bien sûr de résister à cette diminution en aggravant
l'exploitation des travailleurs par tous les bouts : allongement du temps de travail,
intensification des cadences, réduction des salaires comme des effectifs. Mais
l'exploitation fint par se heurter à des limites biologiques et le taux de profit moyen
diminue.
En éliminant les entreprises les moins rentables, en fermant les ateliers les moins
productifs, les crises détruisent du capital. Cette destruction de capital fait remonter le
taux de profit dans l'économie capitaliste.
Pour les capitalistes les plus faibles, la crise signifie la disparition. Pour les autres
c'est une opportunité de racheter à bas prix des concurrents. Les plus gros capitalistes
grossissent encore un peu plus. A chaque crise le capital se concentre davantage.

Pour l'économie capitaliste, les crises sont donc des moments absolument
indispensables pour purger le système de tous les déséquilibres qu'il engendre à toutes
les étapes de la production et de la distribution des marchandises.
Pour les travailleurs, chaque crise est une catastrophe car elle se traduit par des
licenciements massifs et du chômage, par l'appauvrissement d'une fraction
supplémentaire des classes populaires. Elle est nuisible, aussi, pour la société, car elle se
traduit par la destruction et le gaspillage de biens utiles qui manquent cruellement à
toute une autre fraction de l'humanité.
Mais pour l'économie capitaliste, ce ne sont que des faux-frais !

Le rôle des banques, de la bourse et de la finance

La crise actuelle a mis évidence le poids démesuré de la finance dans l'économie


capitaliste. Mais contrairement aux apparences, la finance n'est pas seulement un cancer
qui parasite l'économie capitaliste. Elle est aussi le sang qui irrigue son marché.
L'économie capitaliste ne pourrait pas fonctionner sans les banques.
D'abord les banques permettent la continuité de la production en fournissant les
liquidités, les avances sur trésorerie dont les entreprises ont besoin en permanence. C'est
vrai pour les petits fournisseurs ou les sous-traitants qui sont payés par leurs donneurs
d'ordre avec souvent des délais de trois mois mais qui doivent payer leurs traites
immédiatement. Mais c'est vrai aussi pour les grosses entreprises. Si Renault devait
attendre d'avoir vendu ses voitures pour racheter de la matière première, payer ses
factures d'électricité ou verser les salaires de ses ouvriers, la production risquerait d'être
sans cesse interrompue.
Un arrêt brutal des prêts financiers suite à une perte de confiance dans le système
bancaire ou une forte augmentation des taux d'intérêt, provoque la faillite de milliers
d'entreprises en les empêchant d'accéder aux crédits dont elles dépendent. Même un
géant de l'automobile comme General Motors dont les ventes se sont effondrées ces
dernières semaines et à qui les banques refusent de prêter des capitaux, voit fondre
inexorablement ses réserves dans le fonctionnement quotidien de ses usines.

Les banques jouent encore un rôle quand les capitalistes décident de réinvestir leurs
profits. Les investissements pour construire une nouvelle usine nécessitent de gros
capitaux. En attendant de les accumuler, les capitalistes placent dans les banques, pour
les faire fructifier, les sommes récoltées au fur et à mesure de leurs ventes. Les banques
centralisent ainsi des masses de capitaux, elles les mutualisent en quelque sorte, pour les
mettre à disposition de tel ou tel capitaliste au moment où il en a besoin. Elles lui
permettent ainsi d'investir en anticipant sur ses profits à venir.
Il ne s'agit plus là d'un simple crédit commercial, d'un prêt à court terme pour faire
tourner l'entreprise mais d'un prêt à long terme, d'un crédit d'investissement.
Au cours du développement du capitalisme, les banques ont drainé vers l'industrie
des capitaux de plus en plus petits et épars provenant de petits patrons et de divers
rentiers. Des succursales bancaires de plus en plus décentralisées, les caisses d'épargne,
les bureaux de poste, ont drainé l'épargne populaire puis une fraction des salaires
ouvriers déposés sur leur compte bancaire. Elles ont ainsi transformé des sommes
éparses inutilisables en un capital mis à la disposition des gros capitalistes qui, crise
après crise, ont pris le contrôle des grands secteurs de la production.
Evidemment les banques ne font pas ce travail d'intermédiaire pour les beaux yeux
des industriels. En échange des sommes avancées, elles perçoivent un intérêt. A travers
cet intérêt elles prélèvent leur part de la plus-value crée par les ouvriers et elles ne se
contentent pas de la portion congrue.
Les banques, au cours du temps, ne sont pas restées longtemps de modestes
intermédiaires. Placées au cœur même des affaires des entreprises, au niveau du porte-
feuille, elles en ont pris le contrôle, en n'investissant que dans les plus rentables.

Parallèlement aux banques, les capitalistes trouvent leur ration de capital frais à
travers la Bourse des valeurs. Ils ont créé, très tôt dans leur histoire, des sociétés
industrielles par actions. Chaque action représente une fraction du capital. Les
actionnaires ne touchent pas un intérêt fixe, comme les banquiers, mais un dividende.
Ces dividendes, variables d'une année à l'autre, représentent une partie des profits
annuels de l'entreprise.
Les entreprises peuvent encore obtenir des capitaux en émettant sur les marchés
financiers des obligations qui rapportent à leurs porteurs un intérêt annuel fixe mais
aucun droit sur la marche de l'entreprise.
La généralisation des sociétés par actions a permis de dissocier complètement la vie
des entreprises de celle des capitaux qui leur permettent de fonctionner. Elle a surtout
accéléré la concentration en mettant sous la tutelle de gros investisseurs des milliers de
petits porteurs sans aucune prise sur la marche de l'entreprise. Cela a permis la création
des monopoles et de cartels dans les grands secteurs économiques.

Finalement il y a belle lurette que la frontière entre les industriels et les banquiers ont
disparu, qu'il n'y a pas les bons entrepreneurs industriels d'un côté et les mauvais
financiers de l'autre. Les directeurs des grandes banques sont dans les conseils
d'administrations des grandes firmes industrielles et vice-versa.
Le premier président de la Société Générale était par exemple Eugène Schneider, le
patron des forges du Creusot. Le principal banquier de l'Amérique, J.P. Morgan, qui
disposait en 1900 de plus d'or que le Trésor américain, contrôlait la moitié du réseau
ferré américain avant de racheter la principale compagnie d'acier du pays.
Le poids des financiers dans l'industrie et la concentration du capital ont augmenté
régulièrement lors de chaque crise.

Avec la concentration, l'extension du capitalisme à tous les pays, à tous les secteurs
économiques, puis le développement du crédit, plus tard les interventions directes des
États, les crises sectorielles se sont transformées en crises générales plus profondes au
moment où elles éclataient. Mais sectorielles ou générales, elles reviennent
immuablement avec une fréquence plus ou moins régulière.
En 1921, Trotsky constatait : "que pendant les périodes de développement rapide du
capitalisme, les crises sont courtes et ont un caractère superficiel (...) Pendant les
périodes de décadence, les crises durent longtemps et les relèvements sont momentanés,
superficiels et basés sur la spéculation."

Nous n'allons pas, je vous rassure, faire le tour de toutes les crises qui ont secoué
l'économie capitaliste depuis sa naissance. Nous n'en évoquerons que deux : la Grande
Dépression des années Trente provoquée par le krach boursier de New-York en octobre
1929 et la crise actuelle qui s'est brutalement aggravée le 15 septembre dernier.
Si la crise actuelle ne fait que démarrer, si nul ne peut en prévoir les développements,
tous les commentateurs la comparent à celle de 1929. Même si la situation internationale
n'est pas du tout la même et même si l'histoire ne se répète jamais de la même façon, il
est instructif d'étudier les enchaînements qui ont conduit à la crise actuelle, à la lumière
de celle de 1929.

La crise de 1929

S'il existait une échelle de Richter des crises économiques, comme pour les
tremblements de terre, celle de 1929 serait tout en haut. Elle a traumatisé la bourgeoisie
pour plusieurs générations. Le système financier de toute la planète a été ébranlé pour
des décennies. Si les banquiers n'ont pas autant sauté par les fenêtres qu'on le dit, des
centaines de banques firent faillite. La Bourse de Wall-Street n'a retrouvé son volume
d'affaires que dans les années 50. Le krach boursier d'octobre 1929 a ouvert la
dépression économique la plus profonde de l'histoire du capitalisme.
Alors qu'est-ce qui provoqua la crise de 1929 et qu'a-t-elle de commun avec la crise
actuelle ?

Surproduction et spéculation effrénée...

Il y eut, avant le krach d'octobre 1929, la même phase d'euphorie boursière et


financière que ces dernières années.
A partir de 1921-22, l'économie américaine connut une spectaculaire croissance.
Pour les économistes de l'époque, l'Amérique était entrée dans la "nouvelle économie".
Le directeur de la Bourse de Wall-Street pérorait : "C'en est apparemment fini des crises
économiques cycliques telles que nous les avons connues".
Cette croissance économique était portée par des investissements relativement
massifs. La construction automobile était l'une des locomotives de cette " nouvelle
économie " : en 1929, un américain sur cinq possédait une voiture. Cette année là, 5
millions d'unités sortirent des chaînes de montage de Ford ou de la General Motors. Les
profits des constructeurs automobiles s'envolaient en même temps que le cours de leurs
actions à la bourse. General Motors pouvait ainsi racheter Vauxhall au Royaume-Uni et
Opel en Allemagne.
Les constructeurs automobiles avaient besoin d'acier, de pneumatiques ou de pétrole
fournis par la US Steel de Carnegie et Morgan ou par la Standard Oil de Rockfeller. La
construction immobilière explosait.
Le bâtiment et l'automobile tiraient la sidérurgie. Les États-Unis produisaient alors la
moitié de l'acier, extrayaient les deux tiers du pétrole de la planète. Les profits suivaient.

Ce fut, comme dans les années 2000, une époque d'intenses fusions-acquisitions. La
concentration était déjà réalisée dans l'industrie lourde, mais pas dans les nouveaux
secteurs comme l'automobile.
Henry Ford avait inventé le système des " Five Dollars Day ", 5 dollars par jour de
travail, et prétendait ainsi offrir à ses ouvriers un pouvoir d'achat suffisant pour qu'ils
achètent leur propre voiture, le fameux modèle T. En fait, il fallait une longue
ancienneté chez Ford pour toucher effectivement ce salaire. Pour les ouvriers, l'achat
d'une automobile neuve n'était possible qu'à crédit.
Le crédit fut précisément l'autre moteur de l'expansion économique des années Vingt.
Quand la crise a éclaté, il y avait plus de 1,4 milliards de dollars de créances sur des
automobiles aux États-Unis.
Les banques avaient inventé le crédit à la consommation, proposé à des fractions de
plus en plus pauvres de la population. C'était devenu un instrument magique pour élargir
artificiellement le marché solvable.
C'est le crédit encore qui favorisait la vente d'appareils ménagers. La radio était au
centre de cette " nouvelle économie ". Le principal fabriquant de postes récepteurs,
RCA, déchaînait un engouement boursier semblable à celui que connut " amazon.com "
ou " Yahoo " entre 1999 et 2001. Le cours de son action fut ainsi multiplié par sept
durant la seule année 1929.
En 1927, la Réserve Fédérale, la banque centrale américaine, qu'on appelle
couramment la FED, baissa ses taux d'intérêts. Les banques, qui pouvaient ainsi
emprunter à très bon marché auprès de la FED, accordèrent encore plus facilement des
prêts.
Ce fut le début d'une spéculation effrénée sur le cours des actions. Les acheteurs
n'attendaient plus simplement le dividende versé en fin d'année. Ils achetaient des
actions pour les revendre un peu plus cher. Le cours des actions boursières s'envola et
fut bientôt complètement déconnectées de la valeur réelle des sociétés. Après les
banquiers et les rentiers ce furent les entreprises industrielles qui spéculèrent avec toute
leur trésorerie, des salaires aux fonds de roulement. En septembre 1929, les capitaux
engagés dans la spéculation qui provenaient de l'industrie dépassaient ceux d'origine
bancaires. Des capitaux affluaient de toute l'Europe.
Ceux qui ne disposaient pas de capitaux empruntaient. Les courtiers de Wall-Street
proposaient des emprunts au jour le jour indexés sur la valeur des actions.
Les financiers créèrent des sociétés d'investissement par actions, puis des filiales de
ces sociétés qu'ils introduisaient à la Bourse. En 1929, il se créait une société par jour !
De grandes banques institutionnelles comme Morgan ou Goldman Sachs créèrent leurs
propres sociétés d'investissement. Le "génie financier" de l'époque avait inventé ses
"produits dérivés".
La bulle ne pouvait que crever. Tous les spéculateurs le savaient mais aucun ne
voulait être le premier à revendre, aucun ne voulait risquer de perdre le moindre dollar
tant que la hausse se poursuivait. Pour les rassurer sans doute, un économiste de
l'époque déclarait au printemps 1929 : "Le prix des actions a atteint ce qui paraît un
haut plateau permanent"...
Mais le plateau s'effondra. Le krach survint en octobre. Une mécanique fatale s'est
alors enclenchée : les sociétés d'investissements, profondément endettés auprès des
banques vendirent des actions en masse pour récupérer des liquidités. La plupart d'entre
elles firent faillites, fragilisant les banques qui s'écroulèrent à leur tour. Elles gelèrent le
crédit aux entreprises puis rapatrièrent le maximum de fonds depuis l'Europe et
spécialement depuis l'Allemagne. La crise d'abord boursière devint bancaire puis toucha
la production.

Une longue dépression économique

En réalité, le krach boursier n'avait été que le révélateur d'une crise bien plus
profonde. La récession économique était en fait déjà amorcée depuis le milieu de l'année
1929.
L'économie mondiale à la fin des années vingt était marquée par les conséquences de
la Première guerre mondiale. Malgré leur victoire sur l'Allemagne, la France et
l'Angleterre en étaient sorties considérablement affaiblies. Une grande partie de leur
appareil de production était détruit ou usé jusqu'à la corde faute d'avoir été renouvelé.
Le paysan ne trouvait plus d'engrais chimiques ou de machines agricoles, le propriétaire
de mines ne renouvelait plus son outillage.
Les monnaies européennes étaient dévaluées car les gouvernements avaient fait
marcher la planche à billet. Pour restaurer à marche forcée la convertibilité de leurs
monnaies avec l'or, les gouvernements britannique et français avaient réduit les
importations et cherchaient à exporter le plus possible en baissant tous les prix.
Bien avant la crise, cette politique poussa les puissances européennes à se replier sur
leur empire colonial dont elles intensifièrent l'exploitation.
L'appareil productif américain, alors en pleine expansion, ne pouvait pas compter sur
le marché européen pour écouler sa production. Même si son marché intérieur était
vaste, avec des régions entières encore à industrialiser, il n'était pas infini. Le recours
massif au crédit n'avait fait qu'en repousser artificiellement les limites. Les inventions
financières qui avaient conduit au krach étaient finalement une façon de placer des
capitaux qui ne trouvaient pas à s'investir dans la production.
C'est un point commun avec la période actuelle : le développement de la finance et
de la spéculation était une fois de plus provoqué par les limites du marché solvable.

Toute une fraction de la bourgeoisie américaine en était parfaitement consciente.


Certains pensaient même que cette crise était salutaire pour purger le système, liquider
les canards boiteux et remonter ses taux de profits.
Andrew Mellon, secrétaire au Trésor de 1921 à 1932, banquier et milliardaire,
l'exprima sans fard. Il déclara cyniquement, au moment ou des millions de travailleurs
américains étaient jetés au chômage, dans des bidons-villes ou sur les routes: "liquidons
les emplois, liquidons les stocks, liquidons les agriculteurs, liquidons l'immobilier" en
ajoutant "le coût de la vie et le niveau de vie trop élevés baisseront, les gens
travailleront plus dur et mèneront une vie plus morale".
Mais Mellon et ses semblables furent servis au-delà de leurs souhaits. Contrairement
aux crises précédentes, celle-ci fut une dépression profonde qui dura.
Pendant quatre ans la production industrielle américaine chuta à la moitié de sa
valeur d'avant le krach. En 1933 il y avait 15 millions de chômeurs aux États-Unis, un
travailleur sur cinq ! Les grandes entreprises automobiles licencièrent les deux-tiers de
leurs ouvriers.
Dans le textile ou la sidérurgie plus de la moitié des usines étaient à l'arrêt. Ceux qui
conservaient leur emploi chômaient plusieurs jours par semaine.
Les prix de toutes les denrées se sont effondrés. C'était la déflation. Howard Zinn
raconte dans son Histoire populaire des États-Unis "qu'il y avait des millions de tonnes
de nourriture disponible mais qu'on ne pouvait profiter ni de leur transport ni de leur
vente. De nombreux logements étaient disponibles mais restaient vacants, personne ne
pouvant en payer les loyers. Les gens avaient été expulsés de chez eux et vivaient
désormais dans des taudis, les fameux "Hoovervilles", qui s'étaient rapidement
construits dans les décharges.".
Alors que des milliers de personnes mouraient de faim aux États-Unis, on détruisait
des milliers de tonnes de blé et de fruits, on abattait des centaines de milliers de têtes de
bétail pour faire remonter le cours de ces denrées agricoles. Steinbeck raconte dans "
Les raisins de la colère " comment des millions de petits agriculteurs endettés pour
moderniser leur exploitation, furent chassés de leur terre par les banques qui
récupéraient leurs hypothèques.

La crise joua son rôle habituel en éliminant les entreprises les plus faibles et les
moins rentables. Les grands trusts de l'acier, du pétrole, de la chimie renforcèrent leur
hégémonie déjà très forte tout en voyant leurs affaires ralentir considérablement. Dans
l'automobile, la concentration augmenta. Les deux grands, GM et Ford, absorbèrent leur
ration de constructeurs indépendants.
Les banques furent les plus touchées. Près d'un millier firent faillites. Les directeurs
des plus grosses furent sermonnés et convoqués devant le Sénat. Ils furent parfois
renvoyés... mais avec des rémunérations à vie confortables même si elles ne s'appelaient
pas encore " parachutes dorés ".

Après les États-Unis, la crise s'est étendue à l'Allemagne dont l'économie fut anémiée
par le retrait brutal des capitaux américains rapatriés en urgence vers Wall-Street. Avec
deux ans de retard, le reste de l'Europe fut touchée. On vit apparaître en France, et plus
encore en Grande-Bretagne, des files de chômeurs sans ressources et des scènes de
misère populaire.
Tous les pays furent touchés. Au Brésil, on brûlait le café dans les locomotives en
espérant faire remonter les cours effondrés.
Le protectionnisme déjà très fort avant la crise fut considérablement renforcé de part
et d'autres de l'Atlantique. Le commerce mondial s'est littéralement effondré. Chaque
bourgeoisie s'est repliée sur son marché intérieur ou sur ses colonies. Aux États-Unis,
une loi instaura en 1930 des tarifs douaniers prohibitifs.

Le New Deal et l'étatisme


C'est au cours de ces années de dépression économique que Franklin Roosevelt fut
élu président des États-Unis en remplacement de Hoover. Roosevelt est resté dans
l'histoire pour avoir mis sur pied, dès son entrée en fonction au printemps 1933, un
programme d'intervention économique, le New Deal ou " la nouvelle donne ".
Le New Deal est présenté comme un plan de relance économique et surtout comme
une politique d'intervention de l'État destinée à redonner du travail aux millions de
chômeurs.
Mais le problème du gouvernement Roosevelt n'était pas de réduire le chômage ni la
misère noire pour les travailleurs. Sa politique était d'abord destinée à relancer les
affaires de la bourgeoisie américaine, à lui offrir de nouveaux marchés.
Le New Deal fut concrètement une série de lois prises par le congrès dans les cent
premiers jours de la présidence. Roosevelt restaura le système bancaire en garantissant
les prêts par l'État et réorganisant, sous son contrôle, les banques en quasi faillite. Il
racheta leurs créances douteuses. Une mesure qui allait resservir !
Roosevelt fit voter une loi pour subventionner les agriculteurs afin qu'ils réduisent
leur production et que les prix remontent. Cette loi renforça les plus gros fermiers. Dans
l'industrie, une nouvelle loi limitait la concurrence et fixait des minima pour les salaires
et pour les prix. Les plus grandes entreprises se partagèrent les secteurs et les marchés.
L'État se mêlait certes des affaires industrielles, ce qui était nouveau aux États-Unis,
mais c'était sous l'égide de l'Association nationale des industriels.
Le New Deal est connu par sa politique des grands travaux. La construction de
dizaines de barrages, de tunnels, de dizaines de milliers de ponts ou de kilomètres
d'autoroutes, l'électrification de régions entières fut certes un progrès. Mais là encore, le
but principal ne fut pas de redonner du travail aux chômeurs. Ce fut d'offrir des marchés
aux industriels du bâtiment et des travaux publics. Les salaires étaient maintenus au
minimum et les conditions de travail telles qu'on pouvait parler "des groupes de forçats
fédéraux".
Roosevelt déclara lui-même en 1936 : "c'est mon administration qui a sauvé le
système du profit privé et de la libre entreprise".
Il faut dire que la bourgeoisie américaine fut confrontée à une véritable explosion
sociale à partir de 1934. Cette année-là plus d'un million et demi de travailleurs de
différents secteurs se mirent en grève. Les grèves qui s'intensifièrent en 1935 et 1936
prirent souvent un caractère politique avec occupation des usines. Elles débordèrent les
vieilles bureaucraties syndicales.
Pour faire face à cette vague de grève, Roosevelt favorisa la création de droits
minimum à l'assurance retraite et à l'assurance chômage. Une autre loi permettait à un
syndicat de faire appel à l'État pour obtenir sa reconnaissance par le patron, à condition
toutefois de s'être conformé à une procédure très restrictive.
Finalement, Roosevelt réussit à canaliser la révolte des travailleurs par un mélange
de répressions et de connivences avec les directions syndicales.
Mais en 1937, une nouvelle récession éclatait. Finalement c'est la production
militaire massive en vue de la guerre qui relança vraiment l'économie capitaliste. Si les
dépenses militaires sont à toutes les époques un marché pour les capitalistes, la
construction de navires, de chars et d'armes lourdes s'emballa dans tous les pays
développés
Cette politique interventionniste de l'État fut menée dans tous les pays de la planète.
L'État qui a mené la politique la plus interventionniste et la plus dirigiste entre 1930
et 1945, fut l'Allemagne. Cela démarra dès 1930 sous le gouvernement Brüning qui
diminua par décret les salaires et les prix et réduisit les indemnités chômage. Mais cela
s'intensifia avec l'arrivée au pouvoir de Hitler et du nazisme. Grâce à la dictature féroce
contre les travailleurs, à l'élimination des organisations ouvrières, à la militarisation des
ouvriers à l'intérieur même des usines, le régime hitlérien a lancé une politique de
grands travaux et de relance économique. En s'appuyant sur les cartels industriels
allemands et les grandes banques du pays - et pour le plus grand bénéfice de leurs
actionnaires - Hitler a imposé la régulation de l'économie, la centralisation de l'industrie
et des approvisionnements en matières première. Ce fut le dirigisme et le
protectionnisme poussés à l'extrême dans une société capitaliste pour permettre à
l'impérialisme allemand de reconquérir sa place.
Au delà de l'Allemagne, la militarisation de l'économie fut le lot de tous les pays
engagés dans la deuxième guerre mondiale. Ce fut finalement le seul véritable "remède"
à la crise.
Si les profits revenaient à la bourgeoisie, le choix des productions comme leurs
destinations étaient imposés par les gouvernements. GM s'enrichit en fabriquant des
tanks et le cimentier français Lafarge en construisant le mur de l'Atlantique au profit de
l'armée allemande.
L'humanité paya au prix fort la crise du capitalisme des années trente ; d'abord par
les souffrances endurées partout durant la Grande Dépression ; ensuite par les dizaines
de millions de morts, les destructions massives et les nouvelles souffrances provoquées
par la Deuxième guerre mondiale.

Une courte période d'expansion

Il est à la mode, dans les milieux bourgeois mais aussi dans les milieux
altermondialistes, d'opposer la période d'après-guerre qui serait une époque
d'intervention systématique des États dans l'économie, à la période démarrée dans les
années 1970 où la règle aurait été le " laisser faire " .
La crise actuelle déclenche des débats sur les responsabilités de telles ou telles écoles
d'économistes. Il y aurait d'un côté les partisans de l'intervention des États avec le
britannique Keynes comme modèle. Il y aurait de l'autre côté les " intégristes du marché
", partisans de la dérégulation à tout prix, dont Milton Friedman était le pape. Ceux-là
auraient pris le pouvoir à l'époque de Reagan et Thatcher et seraient responsables de la
déconfiture actuelle.
Cette discussion est oiseuse. Les grands États impérialistes n'ont jamais cessé un seul
instant d'intervenir dans la marche de l'économie. La béquille de l'État devint une
caractéristique permanente de l'économie capitaliste après la grande dépression des
années trente. Ce qui changea, au tournant des années 1980, ce fut la forme de cette
intervention. Et si la forme changea, c'est qu'après une phase globale d'expansion
économique, éclata une nouvelle crise.

L'intervention des États... au secours des capitalistes


Si les années d'après guerre virent un accroissement considérable de la production, le
redémarrage fut lent. Et il ne se fit, justement, qu'avec l'intervention massive des États.
Il a fallu reconstruire des économies dévastées. Il n'y avait plus ni surproduction ni
abondance de capitaux. C'était la pénurie qui régnait.
Dans la plupart des pays impérialistes, sauf les États-Unis, des industries entières et
les grandes banques furent nationalisées. C'était une nécessité pour les capitalistes. Les
industries de l'acier, du charbon, de l'électricité ou le transport ferroviaire étaient
exsangues. Les taux de profit dans ces secteurs étaient bien trop faibles pour que des
capitaux privés veuillent s'y investir. L'état finança lui-même leur reconstruction, passa
des commandes aux industriels. Il y eut même un ministère du plan sous De Gaulle,
pourtant pas réputé pour son socialisme !
Mais ce sont les Wendel, Alsthom, Schlumberger, Bouygues, ou feu Thomson qui se
sont enrichis avec les commandes d'État, les programmes de construction des centrales
nucléaires, des trains, des autoroutes et des réseaux téléphoniques.
S'il y eut après-guerre un contrôle strict de la circulation des marchandises et des
capitaux, c'est qu'on manquait de tout. Toutes les marchandises devaient être importées
depuis les États-Unis en même temps que les dollars pour les payer.
Ce n'est qu'au fur et à mesure du redémarrage de l'économie que les échanges se sont
libéralisés, au cours de longues négociations entre capitalistes rivaux.
Pour relancer les échanges internationaux et les stabiliser, les États-Unis, seul pays
dont la monnaie ne s'était pas effondrée, imposèrent en 1944 les fameux accords de
Bretton-Woods. Ces accords consacraient le dollar comme monnaie exclusive des
échanges commerciaux, la seule monnaie théoriquement convertible en or, du moins
pour les banques centrales.
Les autres monnaies étaient indexées sur le dollar et les variations de leurs cours
sujette à des accords entre les pays. Cela permettait de garantir les emprunts que
devaient faire les pays ravagés par la guerre auprès des États-Unis.
Les accords de Bretton-Woods affirmaient surtout la suprématie de l'économie
américaine qui servait de garantie en dernier ressort au dollar. Ils furent établis dans une
période où il y avait pénurie de monnaie et de capitaux. Les règles fixées par ces
accords furent plus ou moins respectées pendant 25 ans, malgré l'inflation et au prix de
dévaluations périodiques des monnaies les plus faibles.
Ces accords durèrent... jusqu'à la crise suivante.

Le retour spectaculaire de la crise au début des années 1970

Même si les économistes appellent la période 1945-1970 les "trente glorieuses", elle
connut plusieurs crises "courtes et superficielles" dans une période d'expansion globale.
Ni la faim, ni la misère, ni les guerres dans le monde n'avaient disparu. Pas plus que les
inégalités sociales et l'exploitation dans les métropoles impérialistes. Le niveau de vie
des classes populaires des pays occidentaux avait un peu augmenté. C'était d'abord
l'effet du plein emploi qui permettait aux travailleurs d'obtenir des salaires un peu
meilleurs. C'était ensuite l'effet de la diminution massive du prix des équipements
électroménagers ou des automobiles, rendant ces marchandises accessibles aux milieux
ouvriers.
Cette expansion permettait une nouvelle fois aux économistes d'annoncer
triomphalement "la fin des crises du capitalisme".

Mais dès le début des années 70, inéluctablement pourrait-on dire, une nouvelle crise
de l'économie capitaliste était de retour.
Le premier symptôme de la crise fut monétaire. Tout un symbole pour la suite ! En
1971, le gouvernement Nixon dévalua le dollar et supprima définitivement sa
convertibilité avec l'or. Il y avait bien plus de dollars en circulation, partout dans le
monde, que d'or dans les réserves de la FED. Pour financer les dépenses d'armement, en
particulier celles de la guerre du Vietnam, la conquête spatiale, les nombreuses
commandes d'État à l'industrie, les gouvernements américains avaient émis des dollars
sans retenue provoquant l'inflation.
Le dollar étant la monnaie internationale, cette inflation s'était répandue sur toute la
planète. Des masses de dollars avaient été accumulées par les banques européennes, au
cours des diverses transactions internationales. Grâce à ces réserves, les banques
européennes émirent des crédits en dollars. Ce furent les eurodollars, émis sans contrôle
ni de la FED ni des banques centrales européennes. Cette création débridée de dollars
faisait baisser inexorablement sa valeur.
La dévaluation du dollar marquait la fin du système de Bretton-Woods. Cela allait
permettre, dans les années suivantes, la fluctuation de toutes les monnaies les unes par
rapport aux autres, au gré de l'offre et la demande de chacune d'entre elle.

La deuxième manifestation de la crise fut le choc pétrolier de 1973 et sa réplique en


1979. On trouve encore aujourd'hui des commentateurs pour expliquer que la crise a été
provoquée par une augmentation brutale du prix du pétrole décidé par les pays
producteurs. C'est une légende qui servit à justifier la flambée des prix de l'énergie
auprès des populations.
Dans la réalité, il y a eu, entre 1970 et 1973, une série d'accords négociés entre les
pays producteurs et les grandes compagnies pétrolières pour relever le prix du baril.
Les grandes compagnies pétrolières avaient pris conscience que des investissements
lourds sur de nouveaux gisements aux accès plus coûteux étaient nécessaires pour
continuer à fournir la planète en pétrole. Du coup leurs taux de profit allaient
inexorablement baisser. En faisant remonter brutalement les prix, les compagnies
allaient maintenir, voire accroître leurs bénéfices tout en réduisant la production. Elles
évitaient ainsi les investissements nécessaires. C'était une anticipation brutale et cynique
de la crise.
Si la hausse du prix du pétrole n'était pas la cause de la crise, elle en devenait un
facteur aggravant. Pour sauver leurs profits, les pétroliers en situation de monopole,
prenaient sur les profits de leurs compères des autres secteurs économiques.
Cette décision allait accélérer, partout dans le monde, une véritable récession avec
toutes les conséquences dramatiques tant pour les peuples des pays sous-développés que
pour les classes populaires des pays développés.

Les prémices de la crise actuelle

Le gel des investissements productifs


C'est en 1975 que la production industrielle recula pour la première fois dans tous les
pays. Cette nouvelle crise de surproduction ne prit pas, à ce moment-là, la forme d'un
effondrement brutal. Mais la diminution du produit national brut des États-Unis en 1975
représentait tout de même le PNB total d'un pays comme la Turquie !
Si la production industrielle repartit, c'est avec une croissance deux fois et demie plus
faible qu'avant. Elle recula de nouveaux, brutalement, en 1980 puis en 1991 et encore
2001. Jusqu'à la dégradation actuelle, la crise a pris la forme d'une longue stagnation au
cours de laquelle des secteurs industriels entiers ont subi des restructurations massives :
le textile, la sidérurgie, la construction navale mais aussi l'automobile ou la chimie
Pour les travailleurs, la conséquence principale de cette longue crise a été le chômage
de masse qui n'a cessé de s'aggraver malgré les phases de reprises partielles. Dans les
meilleures années, une fraction des chômeurs se transforme par intermittence en
travailleurs précaires.
Durant ces années, les classes populaires ont été considérablement appauvries. Leur
part de la richesse totale a été réduite par de multiples moyens : le chômage et les
licenciements qui diminuent la masse salariale ; le blocage des salaires et leur
diminution absolue à chaque fois qu'un travailleur ne retrouve qu'un emploi moins
payé ; l'inflation qui grignote le pouvoir d'achat ; la très forte dégradation des services
publics et celle de la santé, de l'éducation ou des retraites.
Du point de vue de l'économie capitaliste, toute cette période est marquée par deux
phénomènes qui s'alimentent l'un l'autre : la très grande faiblesse des investissements
productifs et l'accumulation de masses de capitaux disponibles qui cherchent le meilleur
moyen de faire des petits. Même quand, par l'aggravation de l'exploitation, les
capitalistes ont fini par rétablir leur taux de profits, ils ont limité leurs investissements
productifs au strict nécessaire.
Du coup, ils ont cherché un nouveau débouché pour leurs milliards. Ce débouché fut
la finance qui prit progressivement un poids jamais atteint dans toute l'histoire du
capitalisme. Pour en donner une idée, en 2005 le commerce et l'industrie ne
représentaient plus que 2% du total des échanges mondiaux, quand la finance en
représentait 98%.
La spéculation fait partie du capitalisme. Quand les dirigeants d'un groupe industriel
décident d'investir leurs capitaux dans tel ou tel secteur, c'est en soi une spéculation sur
la part de marché solvable qu'ils peuvent gagner. Quand ce groupe vend ses
marchandises en dollars, en yens ou en euros, son directeur financier doit sans cesse
décider quelle monnaie lui fournira le meilleur placement, quel titre aura le meilleur
rendement, sur quelle place boursière, dans six mois ou dans un an. Au gré des
fluctuations du cours des monnaies et des titres boursiers, il doit en changer en
permanence.
C'est donc tout naturellement que la part financière de leurs activités a grossi quand
les grands groupes industriels ont décidé de réduire leurs investissements productifs.
Cela prit différentes formes successives, de façon empirique, au gré des crises
financières, des krachs boursiers provoqués justement par cet afflux de capitaux. Sur
l'ensemble de ces trente ans, cela a pris la forme de bulles spéculatives qui se sont
nourries l'une l'autre. Chaque remède administré pour surmonter la crise financière ou la
récession en cours s'est avéré à l'origine de la crise ou du krach suivant.
De bulles en bulles : des crises de plus en plus graves

Les financiers commencèrent par prêter massivement aux États du Tiers-Monde et


d'Europe de l'Est. Ces prêts profitaient aux groupes occidentaux qui leur vendaient en
échange armes ou constructions de prestige. Incapables de rembourser leur dette, même
en pressurant la population, ces États firent de nouveaux emprunts pour payer les
intérêts. Mais en 1982, plusieurs d'entre eux, comme l'Argentine ou le Mexique, se
retrouvèrent au bord de la faillite.
Pour éviter ces faillites, qui menaçaient en cascade toutes les banques prêteuses, le
Fond Monétaire International a ré-échelonné la dette, sans pour autant l'annuler, tout en
imposant des sacrifices à la population.
Mais les capitalistes ont dû chercher un nouveau débouché pour leurs capitaux. Ce
fut le début de la spéculation sur les actions. Les bourses devinrent des centres
névralgiques de la finance.
De nouvelles sociétés financières apparurent pour gérer des portefeuilles d'actions.
Ce n'était pas tant le dividende, cette fraction du bénéfice de l'entreprise, qui intéressait
ces " investisseurs " que la revente de l'action elle-même avec bénéfice. Mais pour que
le cours des actions montent, l'entreprise doit faire des bénéfices, ses coûts de
production doivent être réduits et la productivité augmentée.
L'évolution de l'indice Dow Jones qui mesure la capitalisation boursière des
principales entreprises américaines donne une bonne idée de cette flambée. Il était resté
sous la barre des 1000 points pendant les quatre-vingt premières années du siècle, même
pendant l'euphorie précédent le krach de 1929. Entre 1982 et 1987, cet indice passa de
1000 à 2500 points.
En 1987, cette spéculation boursière provoqua un violent krach à la bourse de New
York. La panique s'étendit à toutes les bourses de la planète qui dégringolèrent pendant
quelques semaines. C'est l'intervention massive de la banque centrale américaine, la
FED, qui sauva le système financier.
La confiance restaurée, le cours du Dow Jones reprit son ascension. Il atteignait
14000 points en 2007 !
Les années 80 furent l'ère des " Golden Boys ". Comme un certain Michael Milken,
qui développa le marché des " obligations pourries ". Il s'agissait d'obligations émises
par des entreprises peu solides et que des banques achetaient moyennant un taux
d'intérêt très élevé.
Milken fit des émules. Les caisses d'épargne américaines, après avoir fait de
nombreux prêts hasardeux dans l'immobilier, se sont financées avec des obligations
pourries. Jusqu'à leur faillite en 1990. La FED versa 150 milliards de dollars pour
sauver les caisses d'épargne. Milken, lui, fut envoyé en prison pour fraude et délit
d'initié. Ces faillites puis la restriction drastique du crédit qui suivit déclenchèrent
directement la récession économique de 1991.
Entre temps les capitaux s'étaient envolés vers le Japon attirés par le cours élevé du
Yen et la spéculation dans l'immobilier. Entre 1985 et 90, la valeur des actions à la
bourse de Tokyo a été multipliée par trois. Cette bulle financière a fini par crever. Le
système bancaire du Japon s'est trouvé en faillite et n'a dû sa survie qu'à l'intervention
massive de l'État japonais. Une longue période de récession s'est alors ouverte, que la
population continue de payer.
Durant toutes ces années la spéculation sur les monnaies faisait rage. Leur flottement
général permettait aux financiers de s'enrichir en pariant sur les variations quotidiennes
des cours. Ces variations représentent les fluctuations entre l'offre et la demande de telle
ou telle monnaie. Elles sont normalement le reflet de la circulation des marchandises
entre les pays. Mais l'afflux de capitaux vers les bourses de devises amplifia
considérablement les variations, aggravant l'instabilité financière sur toute la planète.
En septembre 1992, le milliardaire George Soros vendit à découvert, c'est-à-dire sans
les posséder, 10 milliards de livres sterling, pariant à la baisse sur cette devise. La
banque d'Angleterre déboursa toutes ses réserves pour défendre sa monnaie qu'elle dut
finalement dévaluer. Quant à Soros, il racheta ses milliards de livres à bas prix,
empochant plus d'un milliard de bénéfices.

En moins de cinq ans, le déplacement des capitaux sur les places financières de la
planète provoqua des crises, financières ou boursières, au Mexique en 1994, dans le
Sud-est asiatique en 1997, provoquant un effondrement complet des économies
thaïlandaise et indonésienne, en Russie en 1998, suivie de la faillite de l'Argentine la
même année.
Lors de cette crise, un gros fonds spéculatif américain, LTCM, se retrouva incapable
d'honorer ses engagements. La FED trouva en urgence des banques pour le sauver : sa
faillite aurait entraîné la panique dans tout le système financier et peut-être son
effondrement. Le refrain allait resservir.

La crainte des " marchés ", c'est-à-dire celle des financiers, n'empêcha pas les affaires
de repartir. La bulle gonfla alors dans le secteur de l'industrie informatique, la " nouvelle
économie " des années 1990.
Ce secteur connaissait une véritable croissance économique, basée sur la production,
bien réelle, de téléphones portables, d'ordinateurs ou d'écrans plats. Cette production
entraînait à son tour des investissements chez les fabricants de composants, en
particulier leurs sous-traitants en Chine.
Mais ce boom fut amplifié par la spéculation. Les actions d'une société comme "
amazon.com ", ne possédant que quelques gros ordinateurs et ne faisant pas encore de
profits, valaient en bourse bien plus que celles d'un géant de l'automobile comme
Général Motors ! Cela ne pouvait pas durer et finit par s'effondrer à la fin 2000
provoquant une nouvelle crise.
Cette crise, comme les précédentes, n'eut pas que des conséquences boursières. Des
sociétés de l'industrie des télécommunications firent faillite, en particulier les fameuses
start-up qui avaient fleuri dans les années précédentes. D'autres, bien plus grosses,
Alcatel, Vodaphone ou France Telecom licencièrent.

L'éclatement de la bulle de la nouvelle technologie coïncida aux États-Unis avec


deux autres événements qui menaçaient de provoquer un krach de toute la finance. Ce
fut le scandale de l'affaire Enron qui révélait comment les dirigeants de cette société
texane de courtage en énergie avaient trafiqué leurs comptes pour doper le cours de
leurs actions. Ce furent, surtout, les attentats du 11 septembre 2001 qui secouèrent
l'économie américaine au moment où elle entrait en récession.
Pour éviter un effondrement, le directeur de la FED, Alan Greenspan, abaissa les
taux d'intérêts au maximum. Cela dopa l'économie en facilitant une nouvelle fois le
crédit. A cause de ce choix, Greenspan est aujourd'hui rendu responsable de la crise.
C'est dur d'être le banquier central de la bourgeoisie : s'il avait fait le choix contraire, il
serait sans doute voué aux gémonies pour avoir provoqué une crise grave dès 2001.
Au prix d'un endettement encore jamais atteint, le marché solvable allait être une
nouvelle fois élargi. L'État allait augmenter massivement sa dette et émettre de
nouveaux bons du Trésor.
Cela lui permit en particulier de passer des commandes au complexe militaro-
industriel. Les attentats du 11 septembre servirent de formidable prétexte pour
déclencher les guerres en Afghanistan puis en Irak. Avec le " terrorisme international ",
l'impérialisme américain s'est inventé un nouvel ennemi pour remplacer le communisme
et la guerre froide et justifier des budgets militaires en croissance exponentielle. Les
commandes de l'armée sont en effet devenues au fil du temps une béquille vitale de
l'industrie américaine, une extension permanente du marché solvable.
Le crédit facile relança la consommation des ménages et tira la production de toute la
planète. La dette des ménages américains explosa. De 4000 milliards de dollars en 1990,
elle passa à 7000 en 2000 pour atteindre 13 900 en 2008. Malgré la diminution
constante de leurs revenus, les classes populaires se virent proposer toujours plus de
crédits, directement ou sous forme de nouvelles cartes de crédit, avec des taux de 15 ou
20 %.
Des officines allaient proposer des prêts immobiliers à des familles de plus en plus
modestes, à des taux variables, en hypothéquant la maison. C'était les fameux crédits "
subprimes ". Cela inaugurait un nouveau boom dans l'immobilier. Tant que les prix
montaient, les ménages pouvaient toujours revendre la maison pour rembourser le prêt.
Les officines revendirent ces crédits à des banques qui les inclurent dans des titres
appelés " produits dérivés ". La " titrisation " et les " produits dérivés " sont les derniers
nés de l'imagination délirante des financiers.
Comme c'était trop simple, les génies de la finance ont conçu des " dérivés " basés
sur une combinaison complexe de plusieurs titres. Certains sont si complexes qu'il faut
un livret de plusieurs centaines de pages pour expliquer leur mécanisme. Autant dire que
les acheteurs ne savent pas ce qu'ils contiennent.
Même s'il vit sa propre vie et circule sur tous les marchés financiers de la planète, la
valeur d'un produit dérivé reste basée sur les crédits ou autres titres qui lui servent de
support. Si les crédits ne valent plus rien, le produit dérivé s'effondre à son tour.
Les économistes appellent toutes ces manipulations " l'industrie bancaire ". Cette
expression dit clairement que pour les capitalistes, le but de l'industrie n'est pas de
produire des biens utiles mais de rapporter des profits.
Avant le krach de septembre, le marché mondial des produits dérivés atteignait les
400 000 milliards de dollars1. Une somme à comparer avec les 60 000 milliards de
dollars de capitalisation boursière sur la planète avant le krach. Cette somme est censée
représenter la valeur totale de toutes les entreprises cotées en Bourse. Autant dire que
les produits dérivés, d'une valeur 15 fois plus grande, ne représentaient que du vent.

Comme en 1929, c'était la chronique d'une catastrophe annoncée. Tous les


spéculateurs savaient que leur système financier était instable. Georges Soros, un expert
en spéculation, résume lui-même dans son dernier livre toutes les raisons qui ont fait
gonfler, depuis 30 ans, ce qu'il appelle "la super bulle". Soros ajoute que chaque krach a
servi de "test concluant" aux spéculateurs. Lors de chaque crise, ils ont pu se convaincre
que les autorités interviendraient toujours pour empêcher les faillites en injectant des
capitaux frais pour huiler le système.
Les autorités ont aussi favorisé la dérégulation de tous les marchés financiers.
Les gouvernements ont progressivement supprimé les barrières juridiques qui
compartimentaient les différents secteurs de la finance : banques de dépôts, banques
d'investissement, compagnies d'assurance, sociétés d'investissement...
Ils ont supprimé les contrôles des changes entre pays et leurs droits de regards sur les
transactions financières. Ils ont assoupli les frontières entre le marché des actions, celui
des obligations, des devises ou encore celui des commodités c'est-à-dire des matières
premières. En passant par le bon courtier, une compagnie d'assurance peut acheter des
bons représentant des tonnes de blé ou de cuivre ; un constructeur automobile peut
acheter des titres adossés sur des crédits immobiliers.

L'interdépendance entre l'économie réelle et la finance

Les gouvernements n'ont finalement fait qu'aider la bourgeoisie à trouver des


débouchés aux capitaux qu'elle ne voulait pas investir dans la production. Car tous ces
capitaux engagés dans la sphère financière ne sont pas des coupons de Monopoly. Ils
sont issus de la production des richesses.
Il n'y a pas d'un côté le "capitalisme moral", les industriels qui seraient utiles et de
l'autre des financiers immoraux, des fonds spéculatifs qui étrangleraient la production.
Les deux sont intimement imbriqués et se nourrissent l'un l'autre.

Le cas du fond Wendel Investissement dirigé par Ernest-Antoine Seillière, ex patron


du MEDEF en est une illustration. Les Wendel bâtirent leur immense fortune dans la
sidérurgie. Ils surent habilement profiter de la crise de ce secteur dans les années 1970.
Avec l'argent du rachat d'Usinor-Sacilor par des banques publiques, puis sa
nationalisation complète en 1981 ils constituèrent une holding financière.
Wendel Investissement possède aujourd'hui des actions dans des dizaines de sociétés
dont Valéo et Saint Gobain ou dans des banques comme UBS. Malgré son nom, cette
société n'investit pas des capitaux frais dans les entreprises qu'elle contrôle. Elle se
contente d'acheter des parts de capital et de prélever du profit dans les entreprises les
plus rentables.
Dans les années 90, Wendel s'était associée à un fond spéculatif dont la spécialité
était le rachat par emprunt, remboursé par la suite par l'entreprise achetée. Par ces
méthodes, Wendel a pris le contrôle de l'électricien Legrand et de l'équipementier Valéo
supprimant des milliers d'emplois et fermant des usines en Normandie.
Wendel Finance n'est pas un fond spéculatif anonyme. C'est une société constituée
par les héritiers d'une famille de la grande bourgeoisie industrielle française, dirigée par
celui qui fut le porte-parole des patrons de ce pays pendant plus de 5 ans.

Voilà un bel exemple de capitalisme industriel "entrepreneurial" !


La plupart des groupes industriels partagent leurs activités entre la production et la
finance. Tous les grands constructeurs automobiles ont créé des filiales financières
spécialisées au départ dans le crédit et l'assurance auto mais qui sont devenues
quasiment des banques. En 2005, les filiales financières des six plus grands
constructeurs ont rapporté 7 milliards d'euros de dividendes, entre la moitié et les deux
tiers des bénéfices de leur groupe.
GMAC, la filiale financière de General Motors, était avant la crise le 7ème
organisme de crédit des États-Unis. Dans les années 2000, elle s'est lancée à grande
échelle dans les prêts immobiliers. Elle vient d'ailleurs de perdre beaucoup d'argent avec
les crédits "subprimes".
La répartition des profits entre les filiales financières et la production est largement
un artifice comptable. Les deux branches se nourrissent l'une l'autre : dans les périodes
de fortes ventes, les profits réalisés dans la production sont orientés vers la finance.
Quand les ventes diminuent, la branche financière permet de maintenir les bénéfices des
actionnaires.
Mais fondamentalement les profits dégagés proviennent de la production.

Les trois grands constructeurs américains, GM, Ford et Chrysler déclarent


aujourd'hui des pertes abyssales. Le cours des actions de GM comme ses ventes de
véhicules ont chuté ces derniers mois, ce qui a poussé leurs dirigeants à mendier un plan
de sauvetage à l'État. Mais les trois grands ont réalisé ensemble un total de 108 milliards
de dollars de bénéfices entre 1994 et 2004.
Ces bénéfices ont été obtenus en réduisant drastiquement les effectifs, en augmentant
la productivité et les cadences. Pour l'ensemble du secteur automobile américain, le
nombre de salariés est passé de plus de 1 million en 1979 à 640 000 en 2007 tandis que
la production passait de 10 à 12 millions de véhicules par an.
Mais la réduction du personnel des seuls trois grands a été encore plus spectaculaire.
En généralisant la sous-traitance et en vendant leurs usines par tronçons, les effectifs
sont passés de 720 000 à 139 000 en un peu plus de 25 ans !
Les dirigeants de ces trusts se sont séparés de centaines d'usines de pièces détachées.
Ils n'ont conservé que les segments de production les plus rentables. Ce fut d'abord un
moyen de réduire considérablement les salaires et de remettre en cause les couvertures
médicales et les retraites des travailleurs de l'automobile. Les sous-traitants, parfois eux-
mêmes de véritables multinationales comme Vistéon ou Delphi, pouvaient se déclarer
plus facilement en faillite pour licencier et sous-traiter à leur tour.
Durant la même période, la production n'a finalement augmenté que modérément, les
trois constructeurs se concentrant aux États-Unis sur les gammes qui rapportaient le
plus, celles des 4x4 ou des petits camions.

La construction automobile illustre une tendance générale de toute l'industrie : les


taux de profits ont été rétablis moins par l'élargissement de la production, moins par
l'innovation, qui par l'aggravation de l'exploitation, par la réduction de la masse
salariale. Tous les grands industriels se sont concentrés sur les secteurs disposant des
taux de profits les plus élevés. Ils ont revendu ou sous-traité les parties moins rentables
quand ils ne les ont pas carrément arrêtées.
Depuis 15 ans les résultats nets de toutes les grandes entreprises progressent bien
plus vite que leurs chiffres d'affaire, ce qui signifie une augmentation des profits sans
augmentation équivalente de la production.
Ce ralentissement des investissements finit par avoir des conséquences sur la
production. Ce sont des centaines de milliards de dollars qu'il faudrait investir dans des
nouveaux forages ou des raffineries pour simplement continuer à satisfaire la demande
actuelle de pétrole.
En limitant la production, les industriels les plus gros, ceux en situation de
monopole, font monter les prix. En aggravant l'exploitation, ils font monter les taux de
profit. Finalement ils produisent moins mais gagnent beaucoup plus. Et ils réinvestissent
leurs profits dans la sphère financière.
Quant ils n'empruntent pas carrément sur les marchés pour spéculer. A la faveur de la
crise, on a ainsi pu apprendre que les sociétés cotées au CAC 40 avaient plus de 250
milliards d'euros de dettes.
Mais alors qu'ont fait ces entreprises de tous les milliards de profits accumulés année
après année ? Elles les ont versés aux actionnaires sous forme de dividendes ordinaires
ou extraordinaires.
C'est encore pour satisfaire les actionnaires et pour faire gonfler le cours des actions
qu'ont été réalisées toutes les fusions et acquisitions. Dans tous les secteurs, les grands
groupes ont racheté leurs concurrents : Alcatel a fusionné avec Lucent, Mittal a racheté
Arcelor. Non seulement ces fusions-acquisitions ne créent pas de richesses
supplémentaires mais elles suppriment les emplois par milliers.
Ces concentrations géantes n'entraînent pas une rationalisation des forces
productives. Dans le passé, la concentration du capital, crise après crise, se faisait certes
brutalement avec des fermetures d'usines et des licenciements. Mais elle réduisait
l'émiettement de la production. Elle entraînait une forme de planification à l'intérieur
d'un même trust.
Ce n'est même plus le cas aujourd'hui. Pour rembourser les emprunts qui permettent
ces fusions-acquisitions, les dirigeants revendent les usines les moins rentables, quand
ils ne les ferment pas carrément. Et cela même quand elles sont indispensables dans la
chaîne de production. Finalement, pour faire monter le taux de profits, ils détruisent
volontairement du capital.
Malgré l'exploitation féroce et le renforcement des inégalités, le capitalisme avait été
capable, à ses débuts, d'accroître considérablement les forces productives de la société.
C'est même son seul mérite historique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Lénine avait déjà
constaté, en 1916, que les monopoles, c'est-à-dire les grands groupes concentrés,
freinaient l'innovation et les améliorations techniques. Aujourd'hui, ils en sont à dépecer
l'appareil de production.
Le capitalisme de rentiers dont parlaient déjà Lénine et les socialistes avant la
première guerre mondiale est devenu un capitalisme de charognards au fur et à mesure
que le parasitisme de la finance sur l'économie s'est accru.

L'aggravation de la crise

Le système financier, premier touché

C'est dans ce contexte qu'a éclaté la bulle de l'immobilier, en août 2007.


Aux États-Unis les prix de l'immobilier ont fini par se retourner. Trop de maisons
avaient été construites. Les ménages endettés ne pouvaient plus ni payer leurs
mensualités ni trouver un acquéreur pour revendre leur bien. Les produits dérivés basés
sur les crédits "subprimes" virent leur valeur s'effondrer. Toutes les institutions qui en
possédaient, y compris de très grandes banques, l'américaine Citigroup, la suisse UBS
ou la française Société Générale, perdirent brutalement plusieurs milliards de dollars.
Les banques se sont alors méfiées les unes des autres au point de refuser de se prêter
de l'argent entre elles, ce qu'elles font quotidiennement.
En septembre 2007, la panique a commencé à s'étendre. Pour éviter des faillites en
chaînes, comme celle de la britannique Northen Rock, les banques centrales ont injecté
des centaines de milliards de dollars ou d'euros dans le système bancaire mondial.
En temps ordinaire, si on peut dire, les banques centrales émettent régulièrement des
crédits. Elles prennent en contreparties, toutes sortes de titres. Elles régulent ainsi la
masse monétaire en circulation. Depuis le début de la crise, elles prêtent sans limite, à
toutes les banques qui le demandent, à des taux très bas et en acceptant n'importe quel
titre en contrepartie, y compris les titres "toxiques".

Cela n'enraya pas la crise pour autant. Au fur et à mesure que les banques
annonçaient leurs bilans annuels, elles révélaient l'ampleur de leurs pertes, aggravant
encore la défiance dans le système.
A la mi-janvier 2008, les actions de plusieurs entreprises se sont effondrées à la
Bourse. La crise ne concernait plus seulement les banques.
Malgré une nouvelle baisse des taux d'intérêt par les banques centrales, la crise
s'amplifiait. En mars, l'annonce de la quasi-faillite de la banque d'affaire Bear Stearns
puis son rachat en catastrophe avec l'aide du gouvernement américain, a provoqué une
nouvelle panique...
Le cours des actions s'est ensuite un peu stabilisé, ce qui permit à certains ministres
de s'écrier : "on commence à penser à un scénario de sortie de crise".
Mais en septembre, une nouvelle vague de faillite survenait aux États-Unis. Cela
concernait une grande banque d'affaires, Lehman Brothers ; des organismes spécialisés
dans le rachat de crédits, Fannie Mae et Freddy Mac, qui possèdent à eux seuls 42% de
tous les crédits immobiliers américains ; des sociétés d'assurance comme AIG.
Le secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, sous l'égide des banquiers de
Wall-Street, laissa couler Lehman Brothers puis déboursa des centaines de milliards de
dollars pour sauver les autres. Il annonça alors un vaste plan de sauvetage des banques
laborieusement validé par le Congrès américain. Les députés avaient en effet du mal à
expliquer à leurs électeurs pourquoi le gouvernement offrait 700 milliards aux banquiers
alors qu'il n'avait pas fait un geste pour empêcher des millions de ménages d'être
expulsés de leur logement.
En France, les ministres assuraient encore que la crise étant purement américaine
quand, fin septembre, plusieurs grandes banques européennes étaient touchées. Fortis,
Dexia et d'autres ne durent leur salut qu'aux dizaines de milliards d'euros versés en
urgence par les gouvernements européens concernés.

Cette fois la faillite du système financier mondial n'était plus un spectre lointain. Elle
frappait à la porte. Plus aucun banquier ne faisait confiance à son voisin. Dans un
monde où des millions de transactions bancaires ont lieu en permanence, où les
financiers passent leur temps à emprunter, où toutes les banques sont interconnectées, le
refus d'alimenter les échanges interbancaires équivaut à la paralysie de l'économie.
Les banques centrales ont ouvert les vannes du crédit à grands flots. Alors qu'on
rabâche depuis des années aux travailleurs que toutes les caisses sont vides, chaque
gouvernement a sorti de son chapeau des dizaines de milliards d'euros pour nationaliser
ses banques ou les recapitaliser en urgence.
Mais en plein milieu de la tourmente, les affaires continuaient. Alors que Sarkozy
fustigeait les spéculateurs immoraux, on apprenait que la Caisse d'Epargne, une banque
publique supposée prudente, jouait et perdait 700 millions d'euros dans la spéculation.
Quant à la banque Fortis que les gouvernements belge et néerlandais venaient tout juste
de sauver de la faillite avec l'argent des contribuables, elle était rachetée par la BNP
Paribas avec la bénédiction des autorités.

La crise devient générale

Alors que la faillite générale des banques menaçait, la crise s'est étendue à la Bourse
des valeurs. La marche des entreprises étant intimement mêlée à celle de la finance,
certains fonds spéculatifs retiraient en urgence leurs capitaux de la bourse parce qu'ils
avaient besoin de liquidités. Cela accéléra la chute.
D'autres "investisseurs" anticipaient la récession et la baisse à venir des profits des
entreprises. Ils vendaient des actions dont ils estimaient le cours surévalué après des
années de hausses boursières. Après 10 jours d'effondrement le journal "Le Monde"
pouvait titré spectaculairement "25 000 milliards de dollars évanouis".
Ces 25 000 milliards de capitalisation boursière "évanouis" peuvent apparaître
comme une abstraction, un capital virtuel. Mais pour les accumuler, combien de milliers
de travailleurs ont été mis à la porte ? Combien d'accidents, de stress, de maladies
professionnelles bien réels, les ouvriers ont-il subis ?
Et puis ces capitaux reflétaient, même de façon déformée, la valeur des entreprises.
Cet effondrement rendra plus difficile l'obtention d'emprunts, la réalisation
d'investissements et pourra faire fuir des actionnaires potentiels.

Derrière le capital détruit, il y a les travailleurs de ces entreprises. On peine à faire la


liste des plans de suppressions d'emplois en cours. Dès la mi-octobre tous les secteurs
économiques se sont mis en ordre de bataille. Après le secteur bancaire et le bâtiment,
ce fut l'automobile. En France, Renault puis Peugeot ont annoncé plusieurs plans de
suppressions d'emplois, renvoyé massivement les intérimaires, organisé le chômage
technique, coupé brutalement les commandes à leurs centaines de sous-traitants,
provoquant parfois des faillites, des fermetures d'usines et toujours des licenciements.
Tous les constructeurs de la planète ont fait la même chose, exactement au même
moment, anticipant largement un recul des ventes. Bien sûr le marché automobile a
ralenti avec la flambée des prix du pétrole, la baisse du pouvoir d'achat et plus encore le
gel du crédit. Mais, baisse des ventes ou pas, la plupart des constructeurs feront encore
de gros bénéfices cette année. Les actionnaires de Renault devraient ainsi se partager
plus de 2 milliards d'euros de bénéfices.
Aux États-Unis, les actions de GM ne valent quasiment plus rien. Les trois
constructeurs vont restructurer brutalement leur production, quelle que soit la forme
juridique qui sera adoptée, faillite officielle ou recapitalisation par l'État. Cette
restructuration est même une condition posée par Obama pour verser des milliards aux
constructeurs. Elle impliquera forcément des licenciements massifs, la remise en cause
des retraites et des assurances maladies, la réduction des salaires.
Les constructeurs automobiles utilisent, dans tous les pays, le chantage à l'emploi,
mêlé à des arguments écologiques, pour faire financer par les États les restructurations
qu'ils ne veulent pas payer eux-mêmes. Mais, au moment où ils mendient des milliards,
ils suppriment les emplois par dizaines de milliers. Ce sont au total plus de 100 000
emplois qui pourraient disparaître chez les constructeurs automobiles. Voilà un modèle
de cynisme !

Après l'automobile, ce sont la chimie ou la sidérurgie qui sont touchés. ArcelorMittal


arrête la moitié de ses hauts-fourneaux en Europe. Mittal, comme les autres industriels,
anticipe sur l'avenir en baissant trois fois plus sa production que la chute réelle de la
consommation : il veut assécher le marché pour maintenir des prix assez élevés malgré
la crise. S'il peut le faire sans craindre que ses concurrents ne lui prennent des parts de
marché, c'est qu'il est en position de quasi monopole sur plusieurs produits. A travers la
crise, un combat féroce se livre entre les différents secteurs industriels pour le repartage
des profits. Le combat se livre en même temps contre les travailleurs puisque Mittal
veut supprimer 9000 emplois.

La récession s'est étendue à tous les pays développés.


Aux États-Unis, la vente des biens de consommation les plus courants, les vêtements
et l'alimentation a reculé de plus de 6% au troisième trimestre, la plus forte baisse depuis
50 ans. C'est la conséquence directe, mécanique, de la brutale dégradation du sort des
classes populaires.
Les premières victimes de la crise ont été les ménages chassés de leurs logements.
De véritables campements qui rappellent les "hoovervilles" de la Grande Dépression
sont apparus autour de certaines villes.
L'effondrement des valeurs boursières a entraîné celles des fonds de pension.
Plusieurs millions de retraités américains ont déjà perdu une partie des sommes
économisées toute leur vie.
Aux États-unis, on assiste à une véritable hémorragie d'emplois. Plus d'un million
d'emplois ont été supprimés sur les trois derniers mois, après un million déjà supprimé
entre janvier et août de cette année. Au total ce sont plus de 22 millions de travailleurs
qui sont au chômage partiel ou total.
En Grande-Bretagne, 300 familles sont expropriées chaque jour et le chômage a
explosé.
En France, il faut un sacré cynisme pour oser se vanter, comme la ministre Lagarde,
des 0,1% de croissance au troisième trimestre alors même que des milliers de
travailleurs perdent chaque jour leur emploi ou une partie de leur salaire.

Dernière étape dans l'extension de la crise, la Chine, l'Inde et d'autres pays sous-
développés sont touchés les uns après les autres. Des commentateurs, menteurs ou
stupides, nous répétaient pourtant que ces pays seraient protégés et qu'ils allaient même
tirer la croissance économique mondiale.
Mais ces pays qui servent d'ateliers de sous-traitance pour les grands groupes
industriels de la planète dépendent bien sûr tant des capitaux occidentaux que des
exportations vers les pays développés. Les capitaux sont rapatriés en urgence par les
financiers qui ont besoin de liquidités et la récession réduit massivement les
importations des pays riches. Des milliers d'entreprises chinoises ont déjà mis la clé
sous la porte dans la région de Canton, parfois des grosses, comme cette usine de jouets
de 6500 ouvriers. Des milliers de travailleurs ont manifesté dans plusieurs villes pour
réclamer leurs salaires non versés par des patrons qui se sont volatilisés, provoquant
d'ailleurs chez les autorités la crainte d'une révolte générale.
La liste des pays qui font appel au FMI pour éviter la faillite s'allonge tous les jours.
Après l'Islande, la Hongrie, l'Ukraine, il y a eu le Pakistan, la Serbie, le Liban et la
Biélorussie. L'économie de ces pays étant dépendante des capitaux occidentaux investis,
leur retrait brutal provoque une catastrophe. Cela montre au passage la valeur et la
solidité des investissements occidentaux réalisés dans ces pays.
Quant aux pays sous-développés dont l'économie repose sur l'exportation des
matières premières, la chute brutale du cours de celles-ci provoque un effondrement de
leurs rentrées financières et la ruine des petits producteurs.
La crise n'est plus seulement financière ou boursière. C'est désormais une crise
économique générale et profonde. Elle n'est plus américaine, ni européenne, elle est
mondiale.

Les États plus que jamais au secours du capitalisme

Depuis l'éclatement de la crise, l'intervention des gouvernements au secours de


l'économie capitaliste a été spectaculaire. Les vannes du crédit public ont été ouvertes à
grands flots.
Cela prit d'abord la forme des milliards de dollars injectés dans le système financier
par les banques centrales ou directement par les États. Il est bien difficile d'en faire le
compte exact, d'autant que cela augmente tous les jours. Ce sont plusieurs milliers de
milliards de dollars. Certaines de ces sommes ont été versées comptant pour
recapitaliser des banques défaillantes. D'autres sont des lignes de crédit mises à leur
disposition et qu'elles utiliseront pour profiter de la moindre opportunité.
Les gouvernements présentent ces injections comme des mesures pour éviter
l'effondrement du système financier mondial. Mais les banques secourues n'ont pas ces
pudeurs. Elles n'ont jamais cessé un seul instant ni de spéculer ni de racheter leurs
concurrents fragilisés.
Le sauvetage des banques n'est pas celui de leurs salariés. Le gouvernement
américain vient de recapitaliser la banque Citigroup à hauteur de 20 milliards de dollars
et de lui accorder une ligne de crédit jusqu'à 306 milliards, pour éviter sa faillite. Au
même moment Citigroup supprime 75 000 emplois, un emploi sur cinq.

L'intervention des États est passée à une nouvelle phase avec les plans de relance
directe de l'économie. En Europe, derrière la façade fictive d'un plan européen, chaque
gouvernement fait le compte des milliards qu'il va offrir à sa propre bourgeoisie tout en
refusant de subventionner celle d'à côté. En France, Sarkozy vient d'offrir 26 milliards
d'euros au patronat, un acompte sans aucun doute. Aux États-Unis, après les 15
milliards d'aide au secteur automobile, Obama prépare, je le cite : "le plus grand plan
d'investissement dans notre infrastructure nationale depuis la création du système
autoroutier fédéral des années 1950".
Tout indique que les commandes directes d'État vont se multiplier dans tous les pays.
La bourgeoisie les attend et les gouvernements les préparent.

Il est significatif que ce soit les dirigeants qui affichaient le libéralisme le plus
intransigeant, de Bush à Sarkozy, qui ont adopté depuis le début de la crise, la politique
la plus étatiste et la plus interventionniste. Ils n'ont pas viré leur cuti, ils n'ont fait que
répondre aux nécessités urgentes d'une économie capitaliste paralysée par la crise.
En intervenant massivement dans l'économie, ils reconnaissent à leur façon que le
capitalisme ne peut pas se passer de l'État.
C'était déjà le rôle planificateur de l'État, la nationalisation des secteurs clés de
l'économie et des principales banques qui avait permis le redémarrage de l'économie
après la deuxième guerre mondiale. Ce sont les interventions répétées des États et de
leurs banques centrales qui ont empêché l'effondrement du système bancaire ou boursier
à chaque fois qu'une bulle spéculative a éclaté depuis 30 ans.
Mais la nécessité d'une régulation et d'une intervention planificatrice est bien plus
profonde. Malgré une concentration accrue du capital, malgré des réseaux financiers de
plus en plus interconnectés, l'anarchie de la production et tous les déséquilibres
provoqués par la concurrence acharnée entre les capitalistes demeurent. Ce sont des
freins de plus en plus puissants au fonctionnement de l'économie.
Chaque capitaliste, chaque banquier agit plus que jamais en fonction de ses intérêts
égoïstes, même si cela rapproche tout le système du précipice. Avec la crise, le caractère
parasitaire et nuisible de la bourgeoisie, son incapacité à agir dans le sens des intérêts
collectifs y compris ceux de son propre système, est encore plus flagrant. Du coup, le
rôle régulateur de l'État est encore plus indispensable.

Une lutte de classe acharnée

Nous ne savons pas combien de temps durera cette crise, ni dans quel état la société
en sortira.
Comme lors de chaque crise, la lutte entre les capitalistes eux-mêmes est exacerbée.
On assiste à une phase accélérée de concentration. On assiste à une guerre acharnée
entre les différents secteurs de la production. Les sidérurgistes se positionnent face aux
constructeurs automobiles. Les producteurs de minerais face aux sidérurgistes. Les
grands groupes répercutent le coût de la crise sur leurs sous-traitants. Les banquiers
imposent des taux de crédit exorbitants aux patrons les moins puissants.
Mais l'ensemble de la classe capitaliste mène une guerre encore plus violente contre
la classe ouvrière. S'ils se laissent faire, les travailleurs paieront la crise, par la perte de
leur emploi, par la baisse de leur salaire, par l'appauvrissement de toute leur classe. C'est
eux qui paieront tous les plans de sauvetage des gouvernements.
C'est parce que la bourgeoisie ne s'est jamais vraiment heurter à la force collective
des travailleurs depuis la fin des années 70, qu'elle pu rétablir ses taux de profits,
procéder à des dizaines de plans sociaux successifs et appauvrir toutes les classes
populaires.
Depuis 30 ans et le début de la crise, il y a eu de multiples réactions de défense. Elles
furent presque toujours le dos au mur, entreprise par entreprise. La bourgeoisie a
pleinement profité de la complicité des partis de gauche qui ont gouverné en faisant
accepter les sacrifices. Elle a profité aussi de celle des directions syndicales qui ont
émietté soigneusement toutes les réactions.

Mais la brutale aggravation de la crise pourrait provoquer un réveil de la conscience


de classe et de la combativité des travailleurs. C'est même la seule chose de positif qui
pourrait en sortir.
En novembre 1931, analysant la situation sociale deux ans après le krach de 1929,
Trotsky écrivait : "Les États-Unis sont passés sans transition d'une période de
prospérité inouïe qui stupéfia le monde entier par un feu d'artifice de millions et de
milliards de dollars, au chômage de millions de personnes, à une période de misère
biologique épouvantable pour les travailleurs. Une secousse sociale aussi importante ne
peut pas ne pas marquer l'évolution politique du pays. Aujourd'hui, il est encore difficile
(...) de déterminer quelle peut être l'importance de la radicalisation des masses
ouvrières américaines. On peut supposer que les masses elles-mêmes ont été à ce point
surprises par la crise de conjoncture catastrophique, à ce point écrasées et abasourdies
par le chômage ou la peur du chômage, qu'elles n'ont pas encore réussi à tirer les
conclusions politiques les plus élémentaires du malheur qui s'est abattu sur elles. Pour
cela, il faut un certain temps. Mais les conclusions seront tirées."
Les conclusions furent tirées en effet. A partir de 1934, des États-Unis à l'Espagne en
passant par la France, les travailleurs ont mené des luttes parfois très radicales. Mais à
aucun moment ils n'ont réellement mis en cause l'emprise de la bourgeoisie sur les
moyens de production, sa place à la tête de l'économie sans même parler de son pouvoir
politique. Aucun des partis qui avaient la confiance des travailleurs, les partis
communistes ou les partis socialistes, ne leur ont donné cet objectif.
Finalement, les droits et les concessions économiques qu'obtinrent les travailleurs ne
réglèrent rien et leur furent repris avec la marche à la guerre.

Aujourd'hui, rien ne nous garantit que l'aggravation de la crise provoquera des luttes
de la même ampleur. Rien, sauf l'expérience du passé justement et sauf la confiance que
nous avons, en tant que marxistes, dans la capacité du prolétariat à contester son
exploitation.
Si les travailleurs ne veulent pas "subir une période de misère biologique
épouvantable", pour reprendre l'expression de Trotsky, il faut qu'ils se défendent. Il faut
que la classe ouvrière lance une offensive générale collective.
Bien sûr le réveil de la combativité ouvrière ne dépend pas des révolutionnaires.
Mais il est par contre de leur responsabilité de tenter de diffuser et de rendre concrets les
objectifs vitaux que les travailleurs devront mettre à l'ordre du jour quand ils se
radicaliseront.
Il faut que les travailleurs sortent avec le moins de dégâts possibles de cette crise
dont ils ne sont en rien responsables. Ils ne doivent pas accepter le chômage. Cela
implique l'interdiction des licenciements des travailleurs en activité et le retour à
l'emploi de ceux qui ont déjà été jetés hors des entreprises. Cela exige la répartition du
travail entre tous mais, évidemment, sans diminution des salaires. C'est ce qu'on appelle
"l'échelle mobile du temps de travail".
Cela coûtera de l'argent ? Oui, évidemment ! Mais pas plus que les milliards
distribués sans limite aux banquiers. Et il serait infiniment plus juste humainement, plus
utile socialement, de sauver les salaires des travailleurs plutôt que les profits des
banquiers !
Les travailleurs ne doivent pas accepter non plus la chute brutale de leur niveau de
vie, en particulier du fait de l'inflation. Ils devront imposer l'alignement immédiat de
leurs salaires sur le coût réel de la vie, ce qu'on appelle "l'échelle mobile des salaires".
Mais par dessus-tout, au-delà de ces revendications de défense immédiate, ce que les
travailleurs en lutte devront imposer, c'est de mettre le nez dans les affaires de la
bourgeoisie. Ils devront imposer un contrôle sur leurs comptes, leurs profits, leurs
projets. Ils devront finalement contester aux capitalistes leur propriété sur les moyens de
productions pour prendre eux-mêmes le contrôle de l'économie.
L'une des étapes dans cette prise de contrôle, que la crise actuelle rend d'ailleurs très
concrète, est l'expropriation de toutes les banques privées et leur centralisation en une
banque unique, sous le contrôle direct des travailleurs et de la population. Il s'agit de
mettre un terme à la rivalité et à la concurrence destructrice entre les banques.
Quant à ceux des industriels qui demandent de l'aide à l'État pour éviter la faillite,
alors qu'ils ont démontré leur incapacité à assurer normalement la production, il serait
absolument légitime de les exproprier, sans indemnités ni rachat !
C'est en s'emparant, l'une après l'autre, de ces revendications, que les travailleurs se
rendront compte que l'on peut parfaitement se passer des capitalistes, que l'on peut
mettre un terme à la dictature que les banquiers ou les actionnaires des grands groupes
exercent sur toute l'économie.
Mettre ainsi un terme au capitalisme, c'est la seule et unique façon de mettre un
terme définitif aux crises économiques destructrices et d'éviter la barbarie à l'humanité.

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