Vous êtes sur la page 1sur 5

Elliot DUMAS Septembre 2022

GOUVERNEMENT DES ENTREPRISES


NOTE DE SYNTHESE

« Les avantages et les limites de la gouvernance actionnariale »

A l’attention de Monsieur Bertrand VALIORGUE


Professeur à emlyon business school et membre de l’IFGE
Dans un contexte de relance post-crise du Covid19, et tandis que la guerre fait son
retour aux portes de l’Europe, la croissance française et mondiale a atteint des records ces
derniers mois. Les entreprises et notamment les plus grandes d’entre elles ont ainsi profité
de ce rebond en affichant pour la plupart des résultats exceptionnelles. Face à ce que
certains qualifient de « super-profits », la question que l’on peut légitimement se poser est :
à qui vont profiter ces bénéfices ? Entre alors en scène la notion de gouvernement des
entreprises.
La gouvernance d’une entreprise, qui plus est sa « bonne » gouvernance, est un
enjeu qui traverse les siècles. Durant le second 20ème siècle apparait une théorie et des
principes qui vont peu à peu révolutionner cette gouvernance. Alors fondée jusque-là sur un
modèle managérial, la gouvernance va s’orienter vers un modèle actionnarial où les intérêts
des actionnaires sont alors privilégiés. Cette mutation se fait notamment sous les influences
de l’école de Chicago, opposée aux théories keynésiennes et représentée à cette époque par
Milton Friedmann.
On définit communément la gouvernance d’entreprise comme « le système par lequel une
organisation prend des décisions et les applique en vue d’atteindre ses objectifs » (Norme
ISO 26000). Elle implique différents acteurs internes ou externes dans une logique de
répartition des pouvoirs et de la valeur crée. On distingue principalement 2 types de
gouvernances d’entreprise. La première appelée gouvernance partenariale ou stakeholders
model se fonde sur le partage du pouvoir de décision et de la valeur issus de l’entreprise
entre toutes les parties prenantes. Au contraire, le mode de gouvernance dit actionnarial ou
shareholder model privilégie l’actionnariat et la relation actionnaires/dirigeants. Dans cette
étude nous nous attarderons sur ce second mode de gouvernance en définissant les atouts
et les menaces de ce modèle particulier.

***

Le modèle de gouvernance actionnarial apparait comme un bon modèle de


gouvernement des entreprises à l’aune des atouts suivants.
Tout d’abord ce modèle permet la création d’un noyau fort entre actionnaires et
dirigeants qui permet dans la plupart des cas à la définition d’un cap partagé par tous. On
parle alors d’engagement actionnarial. En effet, la formation d’un pôle de gouvernance fort
et de proximité réunissant ces deux types d’acteurs à de nombreux avantages. Les raisons de
ce rapprochement peuvent s’expliquer par le fait que les actionnaires attendent des profits
rapides, ils portent alors un intérêt tout particulier à l’évolution de l’entreprise à court-terme
et aux décisions qui peuvent être prises. Les dirigeants et le pouvoir exécutif dans cette
configuration ont moins d’amplitude dans leurs choix. Ainsi, contrairement à certaines
entreprises où les actionnaires peuvent se désintéresser des décisions ou des grandes
réflexions, ce n’est pas le cas lors d’une gouvernance actionnariale. Les actionnaires exercent
leur pouvoir en nommant les administrateurs lors des AG et les conseils d’administration
doivent dans ce modèle largement prendre en compte leurs préoccupations.
Ensuite, nous pouvons défendre l’idée que la gouvernance actionnariale est
avantageuse car elle limite les risques pris par l’entreprise. En effet, dans une gouvernance
actionnariale, puisque les actionnaires-investisseurs sont très attentifs à la rentabilité à
courte échéance, ils sont également très attentifs aux investissements réalisés par le pouvoir
exécutif et très impliqués sur les stratégies et les risques pris. Ces risques peuvent également
provenir de décision du pouvoir de surveillance (les administrateurs par le biais du conseil
d’administration qui définit les grandes orientations stratégiques). Par exemple, les
actionnaires pourraient s’opposer à une stratégie offensive d’investissement dans une
nouvelle activité ou sur un nouveau territoire sans garantie solide de retour sur
investissement. De ce point de vue, la gouvernance actionnariale limite le risque
d’investissements ratés et de pertes de revenus pour l’entreprise. Ainsi, il est fréquent que
lors d’une gouvernance actionnariale que les dirigeants soient invités à devenir actionnaires)
afin que leurs comportements et leurs choix aillent également dans le sens des actionnaires.
En conséquence, dans ce cas de figure, le pouvoir souverain est fort et verrouille en quelque
sorte le pouvoir exécutif. On a dès lors un déséquilibre des pouvoirs avec un fort pouvoir
souverain aux mains des actionnaires.
Enfin, la gouvernance actionnariale est un atout pour l’entreprise car elle vise à
augmenter la rentabilité financière de cette dernière à court-terme. En effet, dans ce modèle,
les actionnaires souhaitent récupérer leurs investissements et faire du bénéfice, à savoir
recevoir des dividendes réguliers et les plus élevés possibles. Ils recherchent également à voir
le cours de la bourse de l’entreprise s’élever afin d’augmenter leur capital et de pouvoir
réaliser des plus-values en revendant leurs actions. Dès lors, les actionnaires s’impliquent
fortement dans l’entreprise et nomment des administrateurs (pouvoir exécutif) en leur
spécifiant clairement leurs objectifs de rentabilité financière. Il y a donc ici un fort pouvoir
souverain (les investisseurs) qui peuvent choisir de révoquer des administrateurs qui ne les
satisferaient pas. Le pouvoir de surveillance est également assez fort puisque les
administrateurs, par le biais du conseil d’administration, peuvent décider de révoquer le
directeur général. Ainsi, la gouvernance actionnariale encourage les bons résultats financiers
à court-terme avec un fort pouvoir souverain aux mains des actionnaires qui sont ici des
investisseurs.

***
Néanmoins, la gouvernance actionnariale possède un certain nombre de limites pouvant
mettre en péril les activités et le bon fonctionnement de l’entreprise.
Tout d’abord, la pression actionnariale peut avoir des effets délétères sur la gestion de
l’entreprise. En effet, la volonté des investisseurs de s’immiscer dans le pouvoir exécutif et de
récupérer des bénéfices au plus vite peut créer des tensions. En effet, les intérêts entre les
différentes parties prenantes peuvent être divergents. Une forte pression actionnariale peut
par ailleurs créer une instabilité à la tête de l’entreprise (révocation d’administrateurs, de
dirigeants, etc.). Les différents licenciements successifs de grands patrons peuvent en
témoigner. Cela n’accroit bien souvent pas la stabilité de l’entreprise.
La gouvernance actionnariale a également pour défaut de ne pas encourager une
vision à long terme de l’entreprise puisque bien souvent les investisseurs ne sont motivés que
par l’idée d’un rendement rapide. En septembre 2021, Xavier Niel rachète des actions d’Iliad,
et possède désormais 96,46% du capital du groupe. Par cette décision, Xavier Niel souhaite
accélérer le développement d’Iliad pour en faire un des leaders des télécommunications en
Europe, à travers une politique ambitieuse de rupture et d’investissements, fondée sur une
stratégie de développement bien particulière, qui n’aurait pas été possible dans le cadre d’une
gouvernance actionnariale. Ici, le pouvoir souverain n’est clairement pas aux mains des
actionnaires sous leur forme d’investisseurs mais sous la forme de l’actionnaire long terme
qui s’implique pour l’évolution durable de la société. Dès lors, il y a davantage équilibre
théorique entre les différents pouvoirs souverains, exécutifs et de surveillance.
Enfin, un cadre de gouvernance actionnarial ne permet en général que trop peu une
politique plus audacieuse, plus risquée et fondée sur des investissements plus importants sur
fonds de problématiques éthiques et sociales. En effet, la suprématie actionnariale qui vise un
rendement à court terme et une forte valorisation ne favorisent pas des nouveaux
développements et des nouvelles initiatives audacieuses pensées sur le temps long. De plus,
la gouvernance actionnariale peut induire à une survalorisation financière sur les marchés,
voire à une bulle spéculative ainsi qu’à des tensions internes et externes autour de la question
des dividendes. De plus en plus de gens se posent des questions éthiques et de transparence
autour de la rémunération des actionnaires. Chaque année ou presque, les rémunérations des
actionnaires parfois records sont jugées indécentes, inéquitables, et posent des
problématiques sociales et éthiques. La gouvernance actionnariale augmente le fossé entre
les employés et les hautes sphères de l’entreprise de ce point de vue, et nourrit l’idée d’une
déconnexion et d’une double réalité autour des actionnaires qui profiteraient injustement du
travail des autres.

***

En somme, la gouvernance actionnariale pose donc un certain nombre de questions


sur différentes thématiques, notamment l’équilibre entre les pouvoirs de gouvernance au sein
de l’entreprise. Cette gouvernance possède des atouts non négligeables au premier rang
desquelles la volonté première des actionnaires de faire réussir l’entreprise coûte que coûte.
Toutefois, la prépondérance du pouvoir souverain aux mains des investisseurs peut nuire au
développement de l’entreprise sur le temps long et à sa stratégie, ainsi qu’un risque de nourrir
une incompatibilité d’intérêts entre le pouvoir souverain et le pouvoir exécutif, qui nuit avant
tout à l’entreprise.
C’est ainsi que l’actualité nous pousse à envisager de nouveaux types de gouvernances. Le
15 septembre 2022 le fondateur de Patagonia, Yvon Chuinard, a annoncé sa volonté de faire
don de son capital à la planète. Il a déclaré : « La Terre est désormais notre seul
actionnaire ». Valorisée à 3 milliards de dollars l’entreprise devrait bientôt appartenir à un
trust et une ONG chargée de consacrer 100% des bénéfices à la planète.

Vous aimerez peut-être aussi