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Troubles cognitivo-

comportementaux au cours des


maladies infectieuses
Nathalie PHILIPPI, Neurologue
Neuropsychologie, Neurologie & CMRR
Objectifs pédagogiques – à savoir
• Les sérologies de Lyme, syphilis et VIH font parti du bilan de troubles cognitifs
• Une origine infectieuse doit particulièrement être évoquée devant une évolution
rapidement progressive des troubles cognitivo-comportementaux et / ou
l’association à des céphalées
• Savoir que la syphilis peut donner une méningoencéphalite chronique
caractérisée par un syndrome limbique et frontal
• L’infection au VIH peut s’accompagner d’une encéphalite au VIH et de différentes
infections opportunistes
• L’encéphalite herpétique est responsable d’un syndrome limbique aigu
généralement fébrile et constitue une urgence diagnostique et thérapeutique en
raison du risque vital et de séquelles cognitives
• Les examens clés : PL à la recherche de signes de méningite et de l’agent
infectieux +++, IRM, EEG
Introduction
L’origine infectieuse des troubles cognitifs est rare en occident mais doit être recherchée
car potentiellement curable.
• Méningo-encéphalites chroniques : troubles cognitivo-comportementaux rapidement
progressifs
- Lyme, syphilis et VIH : les sérologies Lyme, syphilis et VIH font partie du bilan recommandé par
l’HAS en cas de troubles cognitifs
- Tuberculose, brucellose et maladie de Whipple : cherchée dans un contexte géographique et
d’exposition particulier
- Maladies opportunistes (JC virus, CMV, mycoses et parasitose cérébrale…) : recherchée dans un
contexte d’immunodépression (SIDA, iatrogène liée à l’utilisation d’immunosuppresseurs et
biothérapies immunomodulatrices, déficit immunitaire inné)
- Maladies à prion : cf cours sur maladies à prion
• Méningo-encéphalites aigues :
- Herpétiques (HSV1/2, HHV6) : les troubles cognitivo-comportementaux sont inauguraux et les
séquelles cognitives conditionnent le pronostic fonctionnel. Traitement antiviral urgent.
- Autres (Rage, entérovirus, fièvres hémorragiques, arbovirus …) : rares et sans traitement curatif
Introduction
Méningo-encéphalite :
• Méningite : inflammation méningée
• Syndrome d’inflammation méningée : fièvre, céphalées, raideur de nuque,
photophobie ; présent surtout dans les formes aigues
• LCR : > 5 cellules / mm3, liquide clair (≠ purulent)
• Encéphalite : dysfonctionnement du SNC lié à l’agression par l’agent
infectieux et/ou une réaction immunologique post-infectieuse
• Syndrome encéphalitique : déficits neurologiques incluant troubles cognitivo-
comportementaux (selon localisation), troubles de la vigilance, crises convulsives
• Imagerie cérébrale (IRM > TDM) et EEG : peuvent mettre en évidence des signes de
focalisation
• Syndrome infectieux : fièvre, sueurs, frissons, myalgies. Présent dans les
formes aigues
Neurosyphilis
• Syphilis = tréponématose vénérienne : Chancre
• Transmission : sexuelle et materno-foetale
• Epidémiologie : éradiquée en occident dans les années 1950’s avec la
pénicilline et persistante certains pays d’Europe de l’est, Afrique, Asie,
Amérique latine, on observe une recrudescence depuis les années
2000, notamment dans population homosexuelle ; co-infection VIH.
• Agent : tréponème pâle (treponema pallidum), bactérie qui
appartient à l’ordre de spirochètes (comme borrelia)
• Evolue en 3 phases (comme la borréliose de Lyme) :
• Syphilis primaire (qq semaines) : chancre muqueux Roséole & syphilides
• Syphilis secondaire (2 mois – 4 ans) : manifestations cutanées
(roséole, plaques muqueuses, alopécie, syphilides) ; méningite
syphilitique infraclinique ou symptomatique
• Syphilis tertiaire (2 – 25 ans ; 5-10% des syphilis non traitées) :
atteinte cutanée (gommes), cardio-vasculaire (aortite) ; neurosyphilis
(méningo-vascularite, paralysie générale, tabes)
Gommes
Neurosyphilis

Forest et al. GPNV 2013


à partir de Ghanem CNS Neurosciences & Therapeutics 2010
Neurosyphilis
• Mécanismes : atteinte directe du parenchyme (paralysie générale) et vascularite secondaire
(méningo-vascularite).
• Installation subaiguë à rapidement progressive, plus rarement progressive
• « Paralysie générale » : nom historique de la neurosyphilis parenchymateuse
Cause la plus fréquente de démence au XIXeme
Victimes célèbres : Maupassant, Baudelaire, Rimbaud, Flaubert, Gauguin, Toulouse-Lautrec,
Klimt, Mozart, Beethoven, Schubert...
-> Implique une sémiologie limbique + frontale :
• Troubles cognitifs : mémoire antérograde (stockage) et orientation, syndrome dysexécutif
• Troubles psycho-comportementaux : troubles de l’humeur (excitation/hypomanie, labilité, irritabilité),
psychose (hallucinations, délires, mégalomanie), modifications de personnalité, syndrome frontal
• Crises d’épilepsie
• Syphilis méningo-vasculaire : tableau de démence vasculaire (atteinte sous-cortico-frontale)
et AVC (sémiologie dépend du territoire), céphalées
Neurosyphilis
Signes neurologiques associés :
• Tabes (atteinte de des cordons postérieurs de la moelle épinière) : atteinte
proprioceptive
• Atteinte des paires crâniennes
• Abolition du reflexe photo-moteur direct mais préservation du réflexe de
convergence (signe d’Argyll-Robertson)
• Hydrocéphalie secondaire à la pachyméningite
• Dysarthrie
• Tremblements des mains, face, lèvres/langue, dyskinésie oro-faciales
• Hyperéflexie, syndrome pyramidal
• Signes frontaux
Neurosyphilis
Examens complémentaires :
• IRM : atrophie diffuse aspécifique
Atrophie et hypersignal temporo-mésial (encéphalite limbique)
Lésion de la substance blanche aspécifique
Aspect de vascularite dans forme méningo-vasculaire
• EEG : ralentissement diffus, parfois focalisé ou foyer épileptique
• Sérologie : TPHA / VDRL / FTA
• LCR : liquide clair
Hypercellularité et hyperprotéinorachie inconstante
VDRL sur le LCR : peu sensible
PCR syphilitique = examen de référence
Traitement : Pénicilline G parentérale (21j)
Neurosyphilis
Cas illustratif : Patient 62 ans hospitalisé en 11/2019 pour bilan de
troubles de la marche et troubles cognitifs depuis 2 ans. anosognosique
• Examen : Marche lente à petits pas, tremblement de posture sans signe
extra-pyramidal
• Bilan cognitif : Moca 19/30 avant PL, syndrome d’amnésie
hippocampique (RLRI16 et DMS48), sd sous-cortico-frontal (BREFF à
12/18, léger ralentissement)
• IRM cf images ; EEG : N
• Sérologie syphilis positive : VDRL à 1/256 et EIA à 23.88
• Ponction lombaire : hyper-protéinorachie à 1,40 g/l, glycorachie
normale à 0,55 g/l, BOC+ ; pléiocytose avec 95 cellules IRM : dilatation ventriculaire et
nucléées/mm3, dont 95 % de lymphocytes ; PCR syphilis positive. atrophie hippocampique,
• Amélioration après PL déplétive : Test de marche après PL : 6s sur 10m quelques hypersignaux
(68 pas) vs à 9s sur 10m (98 pas) avant PL. Moca à 22/30 soit + 3 pts. périventriculaires et sous-
• Traitement par PeniG pdt 15 j – disparition de la méningite corticaux. Pas d’hypersignal
lymphocytaire. Evolution clinique ? diffusion ni prise de contraste
Encéphalite au VIH
• VIH = virus de l’immunodéficience humaine :
• Rétrovirus (virus à ARN), sous-groupe des lentivirus
• Responsable du SIDA (syndrome d’immunodépression acquise)
• Transmission sanguine, sexuelle et materno-foetale
• Troubles cognitifs et VIH :
• Des troubles cognitifs mineurs sont décrits dès le stade A rapportés à la présence du virus
dans le SNC
• La fréquence et l’intensité des troubles cognitifs augmente avec la sévérité de
l’immunodépression, pouvant aller jusqu’à des troubles cognitifs majeurs
• L’atteinte encéphalique due au VIH ou encéphalite au VIH :
• Peut être nommée « complexe démentiel du sida » ou « démence associée au VIH »
• Correspond à l’affection neurologique la plus fréquente définissant le SIDA (stade C de la
classification de la maladie à VIH)
• Très fréquente avant l’apparition des anti-viraux, elle n’a pas disparu
Encéphalite au VIH
Manifestations cliniques variables :
• Syndrome sous-cortico-frontal d’intensité variable, troubles
mnésiques, désorientation
• Ralentissement psychomoteur, apathie, mutisme akinétique
• Troubles psychiatriques : troubles de l’humeur (hypomanie,
dépression), troubles psychotiques (délire, hallucinations),
changements de personnalité
• Crises d’épilepsie
• Troubles de l’équilibre et de la motricité fine
Encéphalite au VIH
Examens complémentaires :
• IRM : peut être normale au stade débutant
Atrophie cortico-sous-corticale aspécifique
Hypersignaux de la SB sus-tentorielle périventriculaire,
initialement focal et d’évolution diffuse
• LCR : méningite lymphocytaire et hyperprotéinorachie
inconstantes, PCR VIH +
Il s’agit d’un diagnostic d’élimination, après avoir éliminé des
affections opportunistes cérébrale :
Leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP) due à JC
virus, CMV, tuberculose, toxoplasmose, cryptococcose…
Traitement : antirétroviraux passant la BHE

Senocak et al., 2010


VIH - Affections opportunistes du SNC

LEMP – JC virus Toxoplasmose Tuberculose méningée et hydrocéphalie

Senocak et al., 2010


Maladie de Whipple
• Infection chronique systémique lié à la bactérie intra-cellulaire en
bâtonnet Tropheryma whippeli
• Responsable typiquement d’une atteinte articulaire et digestive,
pouvant donner une méningo-encéphalite chronique
• Pathologie rare, incidence = 1/1.000.000 par an
• Bactérie ubiquitaire, transmission féco-orale ou oro-orale
• Portage sain 1-10% (réservoir = tube digestif), prédisposition
génétique et environnementale
• En Europe, touche préférentiellement homme caucasien 40aine
• Diagnostic souvent tardif car bactérie difficile à mettre en évidence
Maladie de Whipple
Manifestations cliniques :
• Atteinte systémique extra-neurologique :
• Arthralgies ou arthrites migratoires
• Douleurs abdominales, diarrhées chroniques, altération de l’état général
(malabsorption)
• Adénopathies
• Cardiaques (endocardite)
• Ophtalmologique (uvéite)
• L’atteinte neurologique : variable
• Troubles cognitivo-comportementaux rapidement progressive (atteinte limbique)
• Troubles oculomoteurs (ophtalmoplégie supranucléaire)
• Ataxie
• Syndrome pyramidal ou extra-pyramidal
• Myoclonies, myorythmies oculo-masticatoires, épilepsie
• Atteinte hypothalamique (thermorégulation, sommeil, libido)
… atteinte limbique
Maladie de Whipple
Examens complémentaires :
• IRM : peut être normale ou montrer un
hypersignal limbique
• Biologie sanguine : syndrome inflammatoire (CRP),
anémie microcytaire, hyperleucocytose,
hyperéosinophilie
• LCR : peut être normal ou montrer une méningite Cas clinique : encéphalite limbique chez un
(hypercellularité, hyperprotéinorachie), PCR homme 41 ans dans un contexte de
Whipple maladie de Whipple diagnostiquée 4 ans
• PCR sur selles et salives auparavant et insuffisamment traitée.
Atteinte mémoire (stockage), orientation,
• Biopsie duodénale : parfois nécessaire pour syndrome dysexécutif, MMSE 19/30
mettre en évidence la bactérie A. IRM initiale, B. après un an de ttt
Traitement : antibiotique (Bactrim), risque de Blanc et al. Arch Neurol. 2011;68(11):1471-
rechute de 2 à 35% 1473.
Encéphalite herpétique
• HSV = Herpes virus simplex (HSV 1 / HSV 2)
• Responsable d’infection cutanéo-muqueuses récurrente évoluant par
poussées
• Méningoencéphalite :
• Encéphalite aigue nécrosante temporale de début aigu (< 48h)
• Rare, peut survenir dans un contexte de primo-infection ou de récurrence
• Constitue une urgence diagnostique et thérapeutique
• Le pronostic vital peut être engagé
• Les séquelles cognitives conditionnent le pronostic fonctionnel
Encéphalite herpétique
Manifestations cliniques :
• Syndrome confusionnel :
• Troubles de la mémoire antérograde (stockage), désorientation, troubles du
langage (mémoire sémantique)
• Troubles psycho-comportementaux : changement de personnalité, agitation,
agressivité
• Troubles de la vigilance fluctuants, pouvant aller jusqu’au coma
• Crises convulsives (focales temporo-mésiale, secondairement
généralisées)
• Fièvre, céphalées mais syndrome méningé non systématique
Encéphalite herpétique
• Imagerie :
• TDM : moins sensible que l’IRM, souvent réalisé avant PL, peut
montre une hypodensité temporale en cas de nécrose
• IRM : hypersignal T2/FLAIR, hypoT1, prise de contraste péri-
lésionnelle impliquant les régions temporales volontiers
asymétrique
• EEG : onde lentes, activité périodique temporale
• LCR : liquide clair, hypercellularité lymphocytaire,
hyperprotéinorachie, PCR HSV+
• Traitement : aciclovir parentéral (15-21j), instauré de façon
probabiliste sans attendre le résultat de la PCR
Encéphalite herpétique – Cas clinique
• Patiente de 37 ans, hospitalisée pour crises
d’épilepsie généralisées dans un contexte de
céphalées
• LCR : 175 cellules/mm3 à prédominance
lymphocytaire
• IRM cérébrale : hypersignal temporal G
• EEG standard : ralentissement diffus
• Traitement par anti épileptique et Aciclovir
• Evolution : troubles de la mémoire antérograde et
troubles du langage stables sous traitement
Encéphalite herpétique – Cas clinique
• MMS à 23*/30, Moca est à 17*/30, BREF à 14*/18
• Mémoire verbale épisodique est testée par le RL RI 16 :
• Rappel immédiat : 10*/16
• Rappels libres : 4*-1*/16
• Rappels totaux: 4*-2*/16
• Reconnaissance : 5*/16
• Rappel différé : 0**/16
• Rappel différé total : 2**/16
• Intrusions : 8
• La mémoire de reconnaissance visuelle évaluée par le DMS 48 :
• Set 1 rappel immédiat à 97,92%. Cut off à 97,35%.
• Set 2 rappel différé à 93,75*%.Cut off à 97,35%
• Langage non évalué en aigu, fluence catégorielle à 15 en 2 min et phonologique
limite à 12 en 2 min
Encéphalite à HHV6
• HHV6 = Human herpes virus 6
• Responsable de l’exanthème subit
(roséole) chez le petit enfant
• Très fréquent, il reste à l’état latent
dans la moelle osseuse
• Peut être réactivé chez des patients
immunodéprimés (VIH, greffe,
affections hématologiques) et peut
provoquer des complications sévères Encéphalite limbique à HHV6 chez une
telles que méningoencaphalite, patiente atteinte de leucémie traitée par greffe
notamment limbique de moelle épinière, inaugurée par un état de
mal épileptique, associé à des troubles
cognitifs (syndrome d’amnésie hippocampique
et sous-cortico-frontal, MMS 23/30)
Encéphalopathie associée au sepsis (EAS)
EAS : Dysfonctionnement cérébral diffus induit pas la réponse systémique à une
infection sans argument clinique ou paraclinique pour une agression infectieuse directe
du SNC
• Cause courante de confusion mentale (« délirium »), survenant dans un contexte de
sepsis, accompagnée ou non d’une hyperthermie, pouvant engager le pronostic vital.
• Syndrome confusionnel, associant :
• Troubles cognitifs (mémoire, orientation, atteinte diffuse)
• Troubles comportementaux (agitation, délire)
• Troubles de la vigilance (somnolence, stupeur, pouvant aller jusqu’au coma)
+ rigidité, sd dysautonomique
• Absence de signe focal ou syndrome méningé
Encéphalopathie associée au sepsis
• EAS = Diagnostic d’élimination après avoir
écarté une méningite, méningoencéphalite,
vasularite (infectieuse ou inflammatoire)
• Facteurs de risques : lésions cérébrales,
neurodégénérescence (MCL+++), infections Confusion prolongée sur infection covid-19 après
broncho-pulmonaires, urinaire, covid-19 (cf prise en charge en Réa (10j) pour sd de détresse
illustration) respiratoire chez une patiente de 77 ans
Absence d’atcd neuropsychiatrique mais
• Physiopathologie : Implique une intense multiples fdrCv dont diabète et obésité
inflammation du système nerveux central Confusion, hallucinations visuelles (HV), sd
(cytokines pro-inflammatoires et de extrapyramidal
lipopolysaccharide libérés dans la circulation à IRM : prise de contraste méningée post.
partir du foyer infectieux) et une rupture de la PL : hyperprot isolée, infectio/PCR-Evolution à 4
BHE, indépendant d’une défaillance semaine : % HV, troubles attentionnels
circulatoire (état de choc septique) ou persistants avec fluctuations (MMSE 28/30, BREF
présence d’anomalies des gaz du sang. 17/18)
Helms et al. NEJM 2020
Conclusion
• Les troubles cognitifs d’origine infectieuse sont rares
• Ils constituent cependant une cause potentiellement curable
• Les sérologies Lyme, syphilis et VIH doivent être proposées dans le
cadre du bilan de troubles cognitifs
• La maladie de Lyme et la syphilis peuvent prendre l’aspect d’un
tableau d’atteinte limbique chronique ou d’une démence vasculaire
• HSV doit être recherche systématiquement devant un tableau
limbique d’installation aigu et traité de façon probabiliste
Merci pour votre attention !

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