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Baudelaire Séance 1

1) Etude de l’œuvre complète : Les Fleurs du


Mal, édition de 1857 et ajouts de 1861.

A) Biographie :

Baudelaire devient orphelin de père à l’âge de six ans, père lettré et peintre. Un an après sa mère se remarie
avec un chef de bataillon qui deviendra ambassadeur. L’enfant ne pardonnera jamais à sa mère ce remariage
avec un homme qui représente la censure de tout ce qu’il aime : sa mère, la poésie, la liberté… En 1839, il
est renvoyé de son lycée, ce qui scandalise son beau-père qui l’envoie en voyage (Inde, Ile Maurice, loin,
loin, loin….). Il revient en 1841, et tombe amoureux de Jeanne Duval (passion mouvementée). Il s’endette,
est placé sous tutelle par sa mère, et commence une vie de bohème. C’est là qu’il commence à rédiger des
poèmes des Fleurs du Mal dont plusieurs sont dédiés à Jeanne : La chevelure en pleine passion, Une
charogne lorsque rien ne va plus…
Il devient journaliste et critique littéraire : il voit en Delacroix le représentant de la peinture romantique et
défend le projet de Balzac dans La Comédie Humaine. En 1848, il participe aux barricades… et demande à
ses camarades de viser Aupick, son beau-père… Les Fleurs du mal paraissent en 1857 à 500 exemplaires. Le
recueil sera poursuivi cette même année pour « offense à la morale religieuse » et « outrage à la morale
publique et aux bonnes mœurs ». Seul ce dernier chef d'inculpation condamnera Baudelaire a une forte
amende de 300 francs, qui fut réduite à 50 francs, suite à une intervention de l’impératrice Eugénie. L'éditeur
(Poulet-Malassis) s'acquitta pour sa part d'une amende de 100 francs, et dut retrancher six poèmes dont le
procureur général avait demandé l'interdiction (Les bijoux ; Le Léthé ; À celle qui est trop gaie ; Lesbos ;
Femmes damnées [le premier poème] ; Les métamorphoses du vampire). Ces poèmes seront tout de même
publiés sous un faux nom, et rassemblés sous le titre Les Epaves. Le titre des Fleurs du Mal repose sur
l’oxymore que le poète a entretenu toute sa vie : la beauté dans l’horreur… ou peut-être est-ce le
contraire ?...
Il meurt à Paris de syphilis, après avoir traversé de longues périodes d’aphasie sans avoir pu réaliser la
version qu’il voulait définitive (c’était la troisième) des Fleurs du Mal, projet de toute une vie. Cette
troisième édition a disparu avec lui.
Le jugement de 1857 n’a été cassé qu’en 1949 à la demande de la Société des Gens de Lettres.
Gustave Courbet,
Baudelaire, 1848.
Photographie
de Nadar,
Baudelaire
Emile Deroy, 1844.
C’est le jeune homme de vingt-
trois ans, farouchement
indépendant, que Deroy a
représenté dans ce portrait très
particulier. Baudelaire regarde le
spectateur de face, directement,
mais dans une sorte de recul qui
provoque l’interrogation. « Qui
suis-je ? Que penses-tu de moi ?
Comment me juges-tu ? »,
semble demander le poète qui
paraît se replier sur lui-même,
s’enfermer dans un univers où
seuls les longues mains
aristocratiques et le regard
manifestent la vie. Mais c’est une
vie de torture, de pensées
contradictoires, où les
convictions (regard) le disputent
à l’angoisse (main). La réflexion
semble déboucher pourtant sur
l’écriture symbolisée par cette
main mouvante. C’est en fait la
représentation du dandysme.

Le dandysme :
Selon Karin Becker, dans son ouvrage de 2010 Le dandysme littéraire en France au XIXème siècle, le
dandysme est tout autant un mode de pensée qu’un mode de vie « Si le terme était au début péjoratif,
désignant une personne ridicule, raide, hautaine et bizarrement habillée, […], la réputation du dandy ne tarde
pas à s’améliorer avec la montée progressive du phénomène dans la capitale française au cours de la
Monarchie de Juillet. Cette nouvelle valorisation résulte surtout de la naissance du dandysme littéraire :
désormais, un « dandy » n’est plus nécessairement un mondain vaniteux, un mannequin adonné aux
plaisirs des boulevards, mais un écrivain ou un artiste qui se définit par une dignité toute spirituelle,
se situant au-dessus du commun des hommes grâce à ses talents créateurs. En même temps, cette forme
d’existence devient un objet d’étude. »
L’aspect social et vestimentaire des premiers dandys du début du 19ème siècle se transforme et prend la forme
d’un mode de vie littéraire, particulièrement avec Baudelaire : « c’est une espèce de culte de soi-même »
affirme-t-il. Le dandysme littéraire est une justification intellectuelle et spirituelle de la position marginale
du dandy dans la société, ce qui convient à notre poète qui se démarque aussi bien dans son mode de vie
(bohème), dans son attitude vestimentaire, dans sa provocation littéraire, dans son affirmation de son géni
littéraire.

Recherche poétique :
Chez Baudelaire le rôle du poète est de transcender l’image humaine de la vie : il s’agit d’ouvrir aux
pauvres aveugles que nous sommes un monde auquel seul le poète et les dieux ont accès. Dans « Une
charogne », Baudelaire nous ouvre les yeux sur la beauté du laid (« charogne, pourriture, carcasse, squelette,
ordure » associés à « superbe, comme une fleur, pétillant, étrange musique, comme l’eau courante et le
vent »), le temps qui passe et la mort qui nous attend (dans une thématique rappelant Horace et son Carpe
Diem), la puissance de l’art et de l’artiste qui n’est pas soumis comme la femme aimée à la mort
(remarquons qu’elle seule est destinée à mourir, tandis que lui gardera « la forme et l’essence divine de [ses]
amours »). Observons d’ailleurs la dernière rime : « divine » renvoie au poète, « vermine » à la femme,
mortelle. Le poète est donc bien d’essence divine, grâce à son art qui fait de lui un être supérieur capable
d’atteindre l’éternité. Il est celui qui voit le monde au travers de la création artistique, celui capable de faire
le beau avec le laid, de réinventer la nature :
« O vous, soyez témoins que j'ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j'ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. »
Baudelaire déclare ainsi dans Les Fleurs du Mal son amour pour Paris, « capitale infâme », avec laquelle il
entretint tout au long de sa vie une relation ambiguë. Il faut y voir surtout la déclaration d'un poète exigeant
qui veut rivaliser avec Dieu. Il y a une allusion très claire à la Genèse dans laquelle Dieu crée l'homme en
pétrissant un peu d'argile. Baudelaire transforme cette image : la boue, c'est la réalité brute. Le poète en
artiste, en alchimiste, fait mieux que Dieu puisqu'il est capable de transformer la laideur en beauté, beauté
qui résulte d’un travail artistique fait d’harmonie mais aussi de rupture avec une tradition sclérosée.

L’art pictural :
C’est également cette période qui voit naître l’art de la photographie, les conceptions littéraires et picturales
changent. Un artiste va bouleverser notamment l’art de la peinture : Nadar. La photographie va forcer la
peinture à redéfinir son utilité. En peinture naîtront alors le mouvement de l’expressionisme qui met en
lumière l’intérieur de l’âme humaine, et l’impressionnisme qui joue avec les sensations d’un instant, mais
aussi le réalisme.

Jeanne Duval Charles Baudelaire Apollonie Sabatier


« Le Désespéré »,
Gustave Courbet, 1845.
Cet autoportrait s’inscrit
totalement dans la veine de
l’expressionisme : la peinture
se fait l’art de la
représentation de l’âme
humaine

B) 2 recueils : celui de 1857 et celui de 1861.

1) Le recueil « Les Fleurs du mal » eut trois titres successifs :


"Les Lesbiennes" en 1845 : référence à Sapho, poétesse grecque qui enseignait les arts à des
jeunes filles sur l'île de Lesbos, dans la mer Egée.
"Les Limbes" en 1848 : lieu où se retrouvent les âmes des innocents qui sont morts sans
avoir reçu le sacrement du baptême.
"Les Fleurs du mal" : projet poétique de Baudelaire : extraire la beauté du mal, transfigurer
par le travail poétique l'expérience douloureuse de l'âme humaine en proie aux malheurs de
l'existence (Baudelaire dit : " tu m'as donné ta boue, j'en fais de l'or ").

Les Fleurs font référence à :


- la beauté pure, esthétique naturelle, sans artifice : idéal de pureté et de fragilité :
thème du Carpe Diem d’Horace, que célèbre Ronsard au 16ème siècle (« Mignonne,
allons vois si la rose »…). Fleur = amour, et vie fragile et précieuse, pureté,
innocence : une conception de l’esthétique, et une conception de l’Idéal.
- La beauté érotique, faite des senteurs qui envoûtent, ensorcellent, fleurs exotiques
aussi attirantes que dangereusement effrayantes.
- Aux sens de la vue et de l’odorat : c’est un bouquet de fleurs que nous offre
Baudelaire…. Mais des fleurs parfois vénéneuses, puisqu’elles sont associées au Mal.
Le mal fait référence à quatre types de mal :
- mal social (marginalisé, privé de son héritage car sous tutelle)
- mal moral (le spleen : ennui, angoisses, sentiment d’être ‘’différent, incompris’’, mal de
vivre…)
- mal physique (drogues, syphilis, alcoolisme : déchéance)
- mal métaphysique (âme angoissée, athéisme révolté et sentiment de culpabilité)
2) Dans l’édition de 1857 : Le poète divise son recueil en cinq parties dans son édition de 1857,
organisés comme les 5 actes d’une tragédie : « Spleen et idéal », « Le Vin », « Fleurs du mal »,
« Révolte » et « La Mort ». Le premier poème « Au lecteur » sert de prologue, puis l’on commence
par « Bénédiction » pour finir par la mort du poète avec « Mort des artistes ».

3) Dans l’édition de 1861, il ajoute la section « Tableaux parisiens », placé en deuxième position
juste après « Spleen et Idéal ».

4) Un projet de construction significative : Cette construction aide à comprendre le message de


l’auteur : « Spleen et idéal », propose la vision du monde de l’auteur. Les 3 sections suivantes sont
des tentatives d’accéder à l’idéal afin de fuir le spleen (le spleen est cette mélancolie, presque ce
dégoût, qui s’empare du poète). Baudelaire essaie donc la foule (« Tableaux parisiens »), les
drogues (« Le Vin ») avant de se tourner vers les plaisirs physiques (« Fleurs du Mal »). Mais il
échoue et se révolte contre l'absurdité de l'existence (« Révolte ») ce qui n’aboutit à rien d’autre qu’à
« La Mort ». Il est d'ailleurs une lettre célèbre adressée en 1861 par Baudelaire à Vigny : « Le seul
éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album et qu'il a un
commencement et une fin. »

 « Spleen et idéal » comporte 85 poèmes.

Dans cette section, qui évoque les angoisses du poète (la recherche de l’Idéal conduit inévitablement au
Spleen…), Baudelaire évoque 3 thèmes principaux :

 L’art : C’est pour le poète la voie la plus sûre pour atteindre l’Idéal. Il développe cependant aussi
bien la grandeur du poète et son idéal de beauté que sa misère.
 L’amour : Baudelaire évoque les femmes de sa vie :
 Sa mère, qu’il adore !
 Mariette, la servante de sa mère, pour laquelle il avait un amour filial (« La servante au grand
cœur dont vous étiez jalouse / Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse / Nous
devrions pourtant lui porter quelques fleurs »)
 Jeanne Duval bien sûr, métisse noire, courtisane, passionnée, magnifique, qui inspire de très
nombreux poèmes (« La chevelure », « Remord posthume », etc…)
 mais aussi Apollonie Sabatier (de son vrai nom Aglaé Savatier), femme qui tient salon et à
laquelle il voue un culte, une sorte de muse intouchable, qu’il loue à sa manière notamment
dans « Harmonie du soir », mais aussi sans doute dans « A celle qui est trop gaie »,
 Marie Daubrun, femme qu’il adora, et qui lui brisa le cœur en l’abandonnant pour le poète
Théodore de Banville. Elle a notamment inspiré le poème « Invitation au voyage »
 Et toutes les autres qui ne furent que de passage… dont Sarah, prostituée des bas quartiers,
assez laide, qui lui a offert sa syphilis… Il trouvait dans cet avilissement un repos qu’il
célébra notamment dans « Une nuit que j’étais près d’une affreuse juive » et « Tu mettrais
l’univers entier dans ta ruelle ».
 Le spleen : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle »… Voilà le Spleen en un vers.
Ni l’art ni l’amour ne peuvent finalement effacer cet ennui qui envahit le poète, ce sentiment de
désenchantement terrible qui survient même devant la beauté pourtant recherchée.
Tableau d’Émile Deroy
(1820-1846) : « La
Mendiante rousse » (vers
1843) - Huile sur toile
Musée du Louvre – Paris

 « Tableaux parisiens » comporte 18 poèmes.

Dans cette section, 3 thèmes dominent :


 la Femme, souvent enivrante, parfois lubrique, rarement laide. La Femme dans cette section de
poèmes est ainsi l’élément qui révèle l’ambivalence de cette ville qu’il révèle à travers ses tableaux :
une beauté qui s’enlaidit avec le temps (Baudelaire déplorait les plans d’Haussmann), qui est
hautaine mais aussi capable de se vendre.
 La Mort, thème récurent chez Baudelaire, qui met en évidence la souffrance qu’il y a à vivre, le
temps qui passe et avance vers une fin inéluctable, la cruauté d’une vie (et d’une ville) dans laquelle
on ne fait que passer.
 La ville de Paris : une ville à la fois de débauche, de soleil, de joies et de mort. La foule permet de
se noyer dans l’anonymat, de se fuir aussi, même si la foule est aussi parfois révélatrice de sa propre
solitude. Baudelaire s’inspire du travail de son ami dessinateur Constantin Guys, dessinateur de
guerre qui pendant ses moments de loisir dessine la ville avec un regard entre douceur et violence :
Le poème « Rêve parisien » lui est dédié.
Constantin
Guys

 « Le Vin » comporte 5 poèmes : « L’Âme du vin, Le Vin des chiffonniers, Le Vin de


l’assassin, Le Vin du solitaire, et Le Vin des amants » : le vin est une des fuites possibles pour tenter
d’échapper au Spleen.
 « Fleurs du mal » comporte 9 poèmes : cette partie qui donne son nom au recueil
est bien plus courte que « Spleen et idéal », mais c’est dans cette section que le poète exprime le plus
le concept de beauté dans la laideur. C’est là que se trouvaient la plupart des poèmes censurés de
l’édition de 1857. C’est une section innovante (la mise en place d’un romantisme noir poussé à son
extrême) et provocante. Ainsi, cette provocation peut être vue également comme un moyen
d’échapper au spleen.

 « Révolte » comporte 3 poèmes. Cette section fut très discutée lors du procès, la
Justice y voyait alors une attaque directe contre L’Eglise. En effet, la révolte est présentée comme le
moyen offert à l’Homme pour fuir sa condition misérable… et cette révolte est l’offre que nous fait
Satan dans la Genèse. Dans « Le reniement de St Pierre » on peut lire par exemple : « Puissé-je user
du glaive et périr par le glaive ! / Saint Pierre a renié Jésus… il a bien fait ! »

 « La Mort » (6 poèmes) clôt le recueil : finalement, cette révolte échoue… et il ne


reste que la mort. L’édition de 1857 se finissait sur « La mort des artistes » comme un point final à
tout espoir. Celle de 1861 se termine sur « Voyage » dans lequel il redéploie toutes les formes de
spleen :
 la religion : « Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché »,
 la nature : « Nous avons vu des astres / Et des flots, nous avons vu des sables aussi ; /
Et malgré bien des chocs et d’imprévus désastres /Nous nous sommes souvent
ennuyés, comme ici. »,
 l’amour : « la femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide »,
 le vin : « Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques / Dont le mirage rend le gouffre
plus amer »…
Inutile de fuir… l’ennui et le désenchantement nous rattrapent toujours.

« Épigraphe pour un livre condamné », Charles


Baudelaire
Lecteur paisible et bucolique,
Sobre et naïf homme de bien,
Jette ce livre saturnien,
Orgiaque et mélancolique.

Si tu n'as fait ta rhétorique


Chez Satan, le rusé doyen,
Jette ! tu n'y comprendrais rien,
Ou tu me croirais hystérique.
Mais si, sans se laisser charmer,
Ton oeil sait plonger dans les gouffres,
Lis-moi, pour apprendre à m'aimer ;

Ame curieuse qui souffres


Et vas cherchant ton paradis,
Plains-moi !... sinon, je te maudis !

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