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DIMANCHE 14 - LUNDI 15 JUILLET 2019

75E ANNÉE– NO 23174


2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT ROULER POUR LE PLAISIR – ET BAVARDER AVEC MAXIME LE FORESTIER

La Turquie se tourne vers la Russie et défie l’OTAN


1 ÉDITORIAL
▶ Trois ans après la tenta­ ▶ Les premiers missiles ▶ Washington devrait ▶ Le régime poursuit ses
tive de putsch, la Turquie antiaériens russes S­400 évincer l’industrie turque purges dans une armée
de Recep Tayyip Erdogan, sont arrivés le 12 juillet à du programme de cons­ islamisée, plus de 16 000
pilier oriental de l’Alliance Ankara, et le pays s’expose truction d’une centaine militaires ont été mis ERDOGAN FACE À UN
atlantique, défie ouverte­ désormais à des sanctions de F­35, les avions furtifs à pied depuis juillet 2016 CHOIX GÉOSTRATÉGIQUE
ment ses alliés de l’OTAN du Congrès américain de dernière génération PAG ES 2- 3 PAGE 28

Attentat de Nice
Le traumatisme
LE DÉTROIT D’ORMUZ PÉRILLEUX CENTRE DU MONDE des enfants,
▶ Le couloir maritime entre trois ans après
l’Iran et les alliés de l’Arabie
Des centaines de familles
saoudite – qui se livrent une IRAN restent traumatisées par
guerre sourde – est l’une des zones l’attentat au camion du
les plus sensibles de la planète 14 juillet 2016, qui a tué
Bandar-e-Abbas 86 personnes et en a
▶ Six tankers ont été sabotés Golfe blessé 458. Plus de 60 %
depuis le mois de mai dans Arabo-Persique des enfants suivis souf­
ce détroit vital pour l’approvi­ frent toujours de stress
sionnement mondial en pétrole post­traumatique. Les plus
GÉOPOLITIQUE – PAG E S 1 4 À 1 7 Chenal âgés accumulent les pa­
thologies nerveuses : tics,
anxiété, crises de panique…
Détroit PAGE 6

Dubaï OMAN d’Ormuz


Abou Dhabi
Education
ÉMIRATS ARABES UNIS
Une année au
collège Doisneau
dans le « 9­3 »
Trafic maritime
« Le Monde » a partagé la
N Foujeyra vie d’un établissement de
Clichy­sous­Bois, en Seine­
25 km OMAN Golfe Saint­Denis. Avec ses diffi­
d’Oman cultés, ses joies et ses espoirs
INFOGRAPHIE LE MONDE
PAGE S 8- 9

Cinéma Exposition « Nous les arbres » Sarah Halimi


Le meurtrier
Bataille de régnons sur la Fondation Cartier pourrait être
succession déclaré
à la tête du CNC irresponsable
PAGE 10

Un proche de Macron est


pressenti pour succéder
à Frédérique Bredin, l’ac­
Fonctionnaires
tuelle présidente du Cen­ Bercy renonce
tre national de la cinéma­ à supprimer
tographie. Et provoque un
tollé chez les cinéastes
50 000 postes
PAGE 20 PAGE 10

Internet Facebook
Amende record
Le filtrage de 5 milliards
du porno tourne de dollars
PAGE 12
au fiasco
Série « Quasi Oasis, 17 », Santiago du Chili, 2012. SEBASTIAN MEJIA
Les mesures prises par Economie
le Royaume­Uni pour l’exposition « Nous les ar­
bres », jusqu’en novembre à la
de la destruction de la nature.
Francis Hallé, botaniste et biolo­
La banque et la
protéger les enfants de la
pornographie en ligne Fondation Cartier, est aussi un giste, revient sur la radicale alté­ finance restent des
manifeste politique et artisti­ rité des arbres et des humains, à
s’avèrent peu concluantes que, où ces paisibles géants de­ laquelle il est très attaché.
milieux masculins
PAGE 11 viennent le symbole universel PAGE 18 IDÉES – PAGES 2 4 - 2 5
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
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2| DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

L A T U R Q U I E T R O I S A N S A P R È S L A T E N TAT I V E D E P U T S C H

Le tournant
stratégique
de la Turquie
d’Erdogan
La livraison de missiles russes,
contre les mises en garde de
l’OTAN, est l’aboutissement d’un
changement d’axe engagé après
la tentative de coup d’Etat de 2016

istanbul ­ correspondante parmi ses alliés en signant,


en 2017, un contrat de 2,5 mil­ Livraison du

A
rrivée vendredi liards de dollars (2,2 milliards système
12 juillet sur la d’euros) avec la Russie pour la de défense
base militaire fourniture de missiles russes an­ aérienne S­400,
d’Akinci (Murted) tiaériens S­400, incompatibles sur la base
à Ankara, la pre­ avec les systèmes de défense aé­ militaire
mière cargaison rienne de l’Alliance. de Murted,
des missiles antiaériens russes S­ Côté turc, en revanche, l’achat à Ankara,
400 acquis par la Turquie est un des missiles russes est présenté le 12 juillet.
objet de fierté pour le ministère comme une déclaration d’indé­ TURKISH MINISTRY
turc de la défense qui en a montré pendance. « Puisse cette acquisi­ OF DEFENCE PRESS/AFP
les images sur son site, lui don­ tion être bénéfique à notre pays, à
nant une grande visibilité. Les li­ notre région et au monde », a dé­
vraisons ne font que commencer. claré le 8 juillet le président turc
Les autres missiles arriveront par Recep Tayyip Erdogan, qui se pose
bateau pendant l’été, selon en leader global, capable de tenir Le prix à payer sera élevé. sanctions a été préparé par le traditionnels de la Turquie, régu­
l’agence TASS. tête aux puissants. « Le monde est Washington n’a eu de cesse de Congrès dont les effets, même si DEPUIS LA TENTATIVE lièrement fustigés par Ankara
En acquérant ces missiles, in­ plus large que cinq Etats », a­t­il mettre Ankara en garde, mena­ les sanctions sont minimes, por­ DE PUTSCH, LE PRÉSIDENT pour leur manque d’empathie. Ce
compatibles avec le système de coutume de dire, une allusion aux çant de l’évincer du programme teront un coup fatal à l’économie coup de fil a compté pour Erdo­
défense de l’OTAN, Ankara met en membres permanents du Conseil de construction des F­35, les chas­ turque, déjà mal en point. TURC MANIFESTE UNE gan, qui manifeste depuis une
péril la cohésion de l’Alliance et de sécurité des Nations unies. seurs furtifs américains de der­ Indifférent aux mises en garde rancune tenace contre ses alliés
s’expose à des sanctions du Con­ nière génération, que des entre­ américaines, le président Erdo­ RANCUNE TENACE CONTRE occidentaux. Le putsch manqué a
grès américain. « On avait donné DANS LES BRAS DE LA RUSSIE prises turques du secteur mili­ gan a choisi de franchir le Rubi­ définitivement marqué un tour­
le choix au président Erdogan, il a Soucieux de laisser sa marque taro­industriel contribuent à fa­ con. Son choix est politique avant
SES ALLIÉS OCCIDENTAUX, nant dans la relation.
clairement fait le mauvais », ont dans l’histoire, il a choisi de briquer. L’aviation turque tout. Acheter les S­400 n’est pas AU PROFIT DE POUTINE, Le ressentiment envers l’Occi­
déclaré dans un communiqué changer l’axe sécuritaire et de pourrait avoir à faire une croix justifié d’un point de vue sécuri­ dent est le principal ciment de la
commun Eliot Engel et Michael politique étrangère de la Turquie, sur la centaine de F­35 dont elle taire, ces missiles antiaériens QUI L’AVAIT SOUTENU nouvelle idylle russo­turque. Il
McFaul, élus démocrate et répu­ estimant que les Etats­Unis était censée s’équiper. Le Penta­ n’ayant jamais fait leur preuve. suffit à expliquer le changement
blicain à la commission des Affai­ n’étaient plus le partenaire indis­ gone craint notamment que les S­ Par ailleurs, pour être efficace, d’axe voulu par M. Erdogan. An­
res étrangères de la Chambre des pensable. En emmenant son 400, dotés d’un puissant radar, ne une défense antiaérienne doit La date de la livraison, à trois kara et Moscou ont le même hori­
représentants. « Qu’un allié de pays plus avant dans les bras de parviennent à percer les secrets être intégrée et non pas décou­ jours des commémorations de zon, louant le « multilatéra­
l’OTAN choisisse de s’allier avec la la Russie, le numéro un turc veut technologiques de ses avions mi­ plée, comme ce sera le cas en Tur­ l’échec de la tentative de coup lisme », appelant à la lutte contre
Russie et Vladimir Poutine au dé­ montrer qu’il ne sera pas l’allié litaires dernier cri. quie avec les S­400 d’un côté, le d’Etat du 15 juillet 2016, n’a pas été « l’hégémonie du dollar », oppo­
triment de l’Alliance atlantique et docile des Occidentaux. Il rompt D’ores et déjà, l’entraînement matériel de l’OTAN (missiles sol­ choisie au hasard par la partie sant les réveils spirituels de leurs
d’une coopération plus étroite ainsi avec la ligne traditionnelle, des pilotes turcs au pilotage des air américains Patriot notam­ russe, soucieuse de rappeler que populations respectives à ce
avec les Etats­Unis est difficile à celle d’une Turquie résolument F­35 a cessé sur les bases américai­ ment) de l’autre. Enfin, la ques­ Vladimir Poutine fut le premier à qu’ils décrivent comme le déclin
comprendre », ont­ils conclu. tournée vers l’Occident, son sys­ nes, et un embargo a été décrété tion reste entière à ce jour sur la soutenir le président Erdogan au de la civilisation occidentale.
Pilier oriental de l’OTAN depuis tème de sécurité, ses valeurs et sur les pièces nécessaires à la fa­ région où les missiles russes plus fort de la tentative de putsch, L’échec de la tentative de putsch,
1952, la Turquie a semé le malaise ses marchés financiers. brication du chasseur. Un train de pourraient être installés. contrairement aux alliés commémoré lundi 15 juillet, est

Le malaise de l’Alliance atlantique après la livraison des S­400 russes


En l’absence de mécanisme de sanctions au sein de l’OTAN, les Etats­Unis pourraient prendre des mesures de rétorsion contre Ankara

bruxelles ­ bureau européen Tayyip Erdogan, joue depuis long­ qua non pour les missions qu’ils ment, avec un investissement ac­ deux ans. Le scepticisme de Incirlik, dans le sud du pays –,
temps la carte de la prudence et, peuvent effectuer ensemble. tuel de 1,4 milliard de dollars Washington était encouragé par que dans le contrôle de l’immi­

L’ OTAN a beau vouloir li­


miter au maximum l’af­
faire à une question
de relations bilatérales entre
Washington et Ankara, l’annon­
de toute manière, sa marge de
manœuvre est réduite : le traité
fondateur de l’organisation ne
prévoit aucun mécanisme de
sanctions contre un membre, et il
Fin juin, le nouveau secrétaire
américain à la défense, Mark Es­
per, a rencontré son homologue
turc, Hulusi Akar, en marge d’une
réunion ministérielle à Bruxelles.
(1,2 milliard d’euros). Quelques
centaines d’exemplaires de
l’avion ont été livrées, mais il est
encore en phase de test. En rai­
son de problèmes techniques,
le fait qu’en 2015, la Turquie avait
renoncé à un projet d’achat de
missiles antiaériens chinois.
Washington est, « en théorie »,
désormais « obligé » de réagir fer­
gration, un sujet­clé pour les
Européens, pourrait amener les
uns et les autres à réagir de ma­
nière modérée.
Les tensions actuelles présen­
ce de la livraison, par la Russie, n’existe pas, à l’OTAN, de règle­ Il s’agissait d’une ultime tentative aucun exemplaire n’est mement, juge quant à lui un di­ tent « le risque que les deux parties,
d’une première volée de missiles ment d’ordre intérieur qui pour­ de conciliation, permettant de aujourd’hui entièrement opéra­ plomate européen. « Pour éviter arrivées à un point d’incompré­
et radars S­400 à la Turquie porte rait permettre de les envisager. rappeler « plusieurs décennies de tionnel. Les dirigeants du Penta­ que des données stratégiques hension mutuelle systématique,
à leur paroxysme des difficultés C’est, dès lors, des Etats­Unis que collaboration entre partenaires gone affirment que, via le sys­ tombent entre les mains des Rus­ réagissent à la crise en la compli­
déjà alimentées, au sein de l’Al­ viendront d’éventuelles mesures stratégiques ». Celle­ci était toute­ tème S­400, la Russie pourrait ses, pour lancer un avertissement quant davantage encore », dia­
liance atlantique, par les de rétorsion. fois assortie d’une nouvelle mise disposer d’informations lui per­ fort à Erdogan, pour éviter que de gnostique le chercheur Nicholas
questions syrienne et kurde, ou A Bruxelles, l’Alliance se disait en garde du Pentagone, qui rap­ mettant d’abattre le F­35. futures missions soient rendues Danforth dans une étude récente
le coup d’Etat manqué de 2016, toutefois « préoccupée », ven­ pelait « l’incompatibilité » entre le plus complexes, pour mettre en du German Marshall Fund of the
qui avait entraîné l’éviction dredi 12 juillet. Un groupe de tra­ programme de l’avion furtif amé­ « Avertissement fort » garde d’autres pays qui seraient United States, une organisation
d’une bonne partie des interlo­ vail constitué pour tenter de dé­ ricain F­35 et les S­400, en indi­ Jusqu’à il y a quelques semaines, tentés d’acquérir du matériel qui œuvre à l’approfondissement
cuteurs habituels des diri­ nouer la crise qui couvait n’a quant qu’Ankara ne serait de la diplomatie américaine ne sem­ russe. » Il reste, souligne cet ex­ de la relation transatlantique.
geants otaniens. servi à rien. Pas plus que les rap­ toute façon « pas autorisé » à dis­ blait toutefois pas convaincue pert, que le rôle joué par la Tur­ M. Danforth met aussi en évi­
Le secrétaire général de l’Al­ pels à l’ordre réguliers sur le poser des deux équipements. que les dirigeants turcs iraient au quie, tant sur le plan sécuritaire, dence le risque que cette hostilité
liance, Jens Stoltenberg, soucieux thème de l’indispensable intero­ La Turquie projette d’acquérir bout de leur projet d’acquisition crucial pour les Etats­Unis – qui « transforme une alliance brisée en
de maintenir un canal de dialo­ pérabilité entre les équipements 116 exemplaires du F­35, et de du S­400, qui était pourtant un disposent de missiles et d’une une confrontation durable ». 
gue avec le président Recep de tous les alliés, condition sine contribuer à son développe­ vaste sujet de polémique depuis base OTAN pour leurs avions à jean­pierre stroobants
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 international | 3

Retraite du bourreau
en chef syrien
Jamil Hassan a joué un rôle central dans
la sanglante répression de l’insurrection
« L’armée s’est rapprochée des
valeurs conservatrices de l’AKP » beyrouth ­ correspondant ce n’est pas le plus important, mais
le plus élitiste. Un statut hérité de

La reprise en main de l’armée par le pouvoir civil s’est assortie


d’un changement idéologique, constate la chercheuse Sümbül Kaya
L e général Jamil Hassan,
bourreau en chef de l’oppo­
sition syrienne, a raccroché
à l’âge de 67 ans, après dix années
à la tête du service de renseigne­
son célèbre fondateur, Hafez Al­
Assad, le père du chef de l’Etat, qui
dirigeait les forces aériennes
syriennes dans les années 1960.
Dans les premiers mois de la ré­
ment de l’armée de l’air. A ce volution, ses agents se sont dis­
poste, ce fidèle du régime, placé tingués par leur ardeur à tirer sur
sous sanctions et mandat d’arrêt les manifestations pacifiques et à
ENTRETIEN « LES PURGES ONT LAISSÉ sus, avec des candidats au profil
idéologique plus conforme aux
internationaux, a déployé un zèle
répressif rare. La brutalité notoire
pourchasser leurs meneurs. Al­
Hassan prône la manière très
istanbul ­ correspondante
UN VIDE, OUVRANT idées de la droite conservatrice. de ses hommes fait que de tous forte, de façon à étouffer dans

P ensionnaire à l’Institut
français d’études anato­
liennes à Istanbul, Sümbül
Kaya a écrit une thèse sur la sociali­
sation militaire. Elle analyse les
LA VOIE À UNE NOUVELLE
POLITIQUE
Quinze jours après la tentative
de coup d’Etat, les écoles militai­
res ont été fermées. Les élèves mi­
litaires qui étaient en fin de cur­
sus et se préparaient à entrer en
les responsables sécuritaires sy­
riens, il est celui qui a probable­
ment le plus contribué à l’écrase­
ment du soulèvement de 2011.
« Le logiciel coercitif et sangui­
l’œuf le mouvement, comme le
régime chinois l’a fait avec les étu­
diants de la place Tiananmen
en 1989. Selon des propos rappor­
tés par l’opposition, il aurait dé­
changements au sein de l’armée
DE RECRUTEMENT » fonction n’ont pas pu le faire. Ils naire du régime, c’est lui », pointe claré en 2012 à Bachar Al­Assad :
turque, trois ans après la tentative ont dû retourner à la vie civile et le politologue libanais Joseph « Laissez­moi tuer un million de
de putsch du 15 juillet 2016. reprendre des études dans Bahout, spécialiste de la Syrie. protestataires, pour qu’on en fi­
dés avec les soldats. Par exemple, d’autres universités. L’annonce de son départ a sus­ nisse avec cette révolution et j’irai
Faire rentrer l’armée dans en février 2017, des photos de Avec le décret du 30 juillet 2016, cité un flot de spéculations, un à votre place à La Haye [siège de la
les casernes n’était­il pas Hulusi Akar, alors chef d’état­ma­ une réforme importante a vu le phénomène récurrent en Syrie, Cour pénale internationale]. »
le principal souhait des jor, en train de prier à La Mecque jour. Les élèves scolarisés dans les compte tenu de l’opacité du sys­
islamo­conservateurs au aux côtés du président Erdogan lycées religieux appelés imam tème politico­sécuritaire. Certai­ Poursuivi par la justice française
pouvoir, bien avant la tentative ont largement été publiées. hatip (là où les futurs imams sont nes sources présentent ce départ Dans les années qui suivent, des
de putsch du 15 juillet 2016 ? En février 2017, les normes vesti­ formés) sont dorénavant admis à comme une disgrâce et supputent centaines de Syriens périssent
La transformation des relations mentaires ont changé avec la levée présenter les concours pour inté­ que les jours du général seraient dans les geôles de ce service, de
entre le pouvoir civil et le pouvoir de l’interdiction du port du fou­ grer l’armée, chose impensable comptés, celui­ci détenant trop de faim, de maladie ou sous la tor­
militaire a commencé dès 2002­ lard islamique pour les femmes. jadis. Il y a quelques années de secrets pour être laissé en vie. La ture. En 2016, alors que le conflit a
2003, quand Recep Tayyip Erdo­ Enfin, certains rituels ont été mo­ cela, j’avais pour ma part en­ réalité, plus prosaïque, est que ce déjà fait autour de 300 000 morts,
gan et son Parti de la justice et du difiés, notamment ceux qui ac­ tendu pas mal de récits sur le fait baron de l’Etat policier syrien le natif de Homs se permet, dans
développement (AKP, islamo­ compagnent les repas ou les obsè­ que les nouvelles recrues militai­ souffre d’un cancer que l’on dit en une interview avec le site russe
conservateur) sont arrivés au ques. Jadis, au moment des repas, res devaient parfois subir un exa­ phase terminale et qu’il avait dé­ Sputnik, de regretter le supposé
pouvoir. Au nom de l’harmonisa­ une prière était prononcée en men des genoux, la présence de passé, depuis plusieurs années, manque de fermeté du régime au
tion avec la législation euro­ hommage à Dieu, appelé alors callosités à cet endroit étant cen­ l’âge réglementaire de mise à la re­ début du soulèvement
péenne, des lois ont alors été « Tanri » en turc, un terme plutôt sée révéler une pratique reli­ traite. La défaite de l’insurrection, Parmi les victimes de Jamil Has­
adoptées, qui ont affaibli les pré­ neutre, qui n’est pas réservé au gieuse développée et qu’il fallait qui ne contrôle plus que le bastion san, un père et son fils, tous deux
rogatives de l’armée. Le Conseil seul islam sunnite. En novem­ absolument cacher. Désormais, d’Idlib, dans le nord­ouest, a pro­ franco­syriens, Mazen et Patrick
de sécurité nationale a notam­ bre 2017, ce terme a été remplacé la tolérance est incomparable­ bablement convaincu le président Dabbagh. C’est ce dossier, entre
ment perdu son pouvoir d’impo­ par « Allah ». Ces changements ont ment plus grande. Bachar Al­Assad de l’inutilité de autres, qui a convaincu la justice
ser des décisions politiques au lieu au nom de la nécessité de pla­ Toutefois, l’armée n’est pas une prolonger une nouvelle fois le française d’ouvrir des poursuites
gouvernement civil qui, jusqu’ici, cer l’armée sous le contrôle du institution homogène, elle est mandat de son homme de main contre lui, en octobre 2018, pour
était contraint de les appliquer. pouvoir civil. D’ailleurs, le plus traversée par les différents cou­ numéro un, comme il l’avait fait complicité de crimes contre l’hu­
On peut voir là une forme de re­ souvent, ils sont annoncés par le rants de pensée représentés au ces dernières années. Il a été rem­ manité et de crimes de guerre. La
vanche de la part de Recep Tayyip biais de directives émanant du mi­ sein de la société. Le courant placé par l’un de ses adjoints, justice allemande avait fait de
Erdogan, qui est resté très marqué nistère de l’intérieur. conservateur religieux va­t­il Ghassan Ismaïl, lui aussi sous même quatre mois plus tôt, à la
par le coup d’Etat « mou » de fé­ prendre le dessus par rapport sanctions internationales. demande d’un collectif de Syriens
vrier 1997, quand le Conseil de sé­ Qu’est­ce qui a changé dans aux autres ? Il sera intéressant de C’est en 2009 que Jamil Hassan, réchappés des griffes des Jawiya,
devenu le mythe fondateur de la curité nationale a fait fermer le la politique de recrutement ? voir comment il va composer de confession alaouite, la minorité en invoquant le principe de com­
« nouvelle Turquie », débarrassée parti Refah, la formation de l’is­ Les purges ont laissé un vide, avec les cercles kémalistes, atlan­ dont est issu le clan Assad, a accédé pétence juridique universelle. Les
de la « laisse », selon l’expression lam politique dont il était mem­ ouvrant la voie à une nouvelle po­ tistes, ou encore eurasianistes, à la direction des redoutés plaignants rêvent de prendre le
des tenants de l’islam politique bre. Lui­même a ensuite été con­ litique de recrutement, laquelle c’est­à­dire adeptes du rappro­ Moukhabarat Jawiya, les rensei­ jeune retraité au mot : le faire ju­
turc, que l’Occident lui a passée au damné à 120 jours d’emprisonne­ traduit la volonté des gouvernants chement avec la Russie.  gnements de l’armée de l’air. Des ger, à La Haye ou ailleurs. 
cou dès la fondation de la Répu­ ment pour la lecture publique de contrôler davantage le proces­ propos recueillis par m. jé. quatre organes de sécurité syriens benjamin barthe
blique en 1923. La Turquie de d’un poème religieux.
M. Erdogan est tout autre, elle Le changement était progressif
tient tête. C’est ainsi que la vic­ jusqu’à la tentative de coup d’Etat
toire sur la tentative de putsch est de 2016. Il est alors devenu plus
comparée à la guerre d’indépen­ radical. Quinze jours après la ten­
dance (1919­1922) menée par tative de putsch, un décret­loi a
Mustafa Kemal dit « Atatürk », complètement bouleversé l’ana­
contre les puissances occidenta­ tomie de l’institution militaire. La
les résolues à se partager les res­ présence des militaires a diminué

« Un livre
tes de l’Empire ottoman. au sein des instances étatiques, ils
ont perdu, entre autres, leur mo­
PURGE PERMANENTE nopole au sein du YAS, l’instance
L’armée, depuis, reste en proie à
une purge permanente. Plus de
chargée des promotions des
hauts gradés au sein de l’armée.
bouleversant »
16 677 de ses membres, tous gra­
des confondus mais notamment L’armée est donc passée sous Ali Baddou, France Inter
à des postes de commandement, le contrôle du pouvoir civil ?
ont été mis à pied. Des procédu­ Dans le discours officiel, cette
res administratives et judiciaires
sont en cours contre 7 335 mem­
transformation est justifiée par la
nécessité de ramener l’armée
« Une manière
bres des forces armées. Elles sont
justifiées par la lutte contre le
sous le parapluie du pouvoir civil
et aussi par la volonté de la rendre absolument remarquable
mouvement du prédicateur plus professionnelle. Cette politi­
Fethullah Gülen, accusé d’avoir
infiltré l’institution et fomenté la
que volontariste, dont le maître
mot est modernisation, s’est as­
d’évoquer le passé »
tentative de putsch. Pas plus tard
que mardi 9 juillet, le parquet
sortie d’un changement idéologi­
que. Les forces armées turques se
François Busnel,
d’Istanbul a émis des mandats
d’arrêt contre 176 militaires en
sont éloignées de certaines des va­
leurs kémalistes, la laïcité, entre
La Grande Librairie, France 5
service actif, dont un colonel. autres, au profit d’un rapproche­

« Un récit vibrant
Le traumatisme est ravivé ment avec les valeurs conservatri­
aujourd’hui par l’élite islamo­ ces et religieuses de l’AKP. Ces
conservatrice au pouvoir. Le fait changements sont contestés par
que les Etats de l’Union euro­
péenne et les Etats unis n’aient pas
les partis d’opposition, notam­
ment par les sympathisants du
de sensibilité »
manifesté leur soutien à la Tur­ Parti républicain du peuple (CHP,
quie au moment du putsch nour­ kémaliste), qui défendent l’héri­ Yoann Duval, Alexis Lacroix,
rit le ressentiment. Les Etats occi­ tage de Mustafa Kemal, dit « Ata­
dentaux sont décrits comme des türk », le fondateur de la Turquie L’Express
puissances maléfiques qui n’ont moderne. Ils y voient une islami­
qu’un objectif, faire chuter la Tur­ sation de l’institution militaire,
quie. Ce récit sert de socle à l’élabo­ évoquent une attaque contre l’ar­

fayard
ration d’un mythe national cher mée, considérée par eux comme
au cœur du président Erdogan, qui le dernier rempart du kémalisme.
ambitionne de façonner une nou­
velle identité turque et de faire de Comment ce revirement
son pays une puissance militaire idéologique se manifeste­t­il ?
globale, le nouveau chef de file du A partir de 2017, les médias ont
monde musulman sunnite.  commencé à mettre en scène les
marie jégo prières collectives de hauts gra­
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4 | international DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

A Strasbourg, « Le Bundestag est en train de pro­


céder à des auditions après que le
cabinet de von der Leyen a été ac­
Mme von der Leyen était une at­
teinte aux « intérêts de l’Allema­
gne », Mme Merkel a, de son côté,
Un scandale de viols
sur mineures déstabilise
le SPD fait front
cusé de violer les règles d’attribu­ préféré jouer l’apaisement.
tion des emplois publics en propo­ « Cette situation au sein de la
sant des contrats très lucratifs à des
consultants externes », rappelle le
coalition n’est évidemment pas
simple. Il est important, et sur ce l’administration Trump
contre Ursula
document, qui pointe également point je suis d’accord avec la direc­
le « manque de soutien » de la mi­ tion du SPD, que l’on se comporte Le ministre du travail, accusé de clémence
nistre de la part de l’armée. convenablement avec Ursula von envers le magnat Jeffrey Epstein, a démissionné
D’autres éléments plaidant con­ der Leyen en tant que personne. De
tre la désignation de Mme von der ce point de vue, je ne rangerais pas

von der Leyen Leyen sont enfin mentionnés.


Parmi eux figurent notamment
les accusations de plagiat ayant
ce qui s’est passé hier à Bruxelles
dans cette catégorie », a com­
menté la chancelière allemande,
san francisco ­ correspondante
M. Epstein opérait
La fronde des eurodéputés sociaux­
démocrates allemands fragilise
visé la ministre concernant sa
thèse de doctorat, sa faible cote de
popularité dans les sondages, ou
encore le fait qu’elle soit « la candi­
date voulue par [le premier minis­
jeudi, lors d’un point presse aux
côtés de la nouvelle première mi­
nistre danoise, Mette Frederiksen.
Laquelle en a profité pour se dé­
marquer des eurodéputés SPD, af­
N ouvelle démission dans
l’administration Trump :
le partant est le secré­
taire au travail, Alexander Acosta,
qui était en poste depuis fé­
sur son île, Little
Saint James, que
les résidents
encore la coalition d’Angela Merkel tre hongrois] Viktor Orban ». firmant qu’« en tant que sociale­ vrier 2017. En deux ans et demi,
nommaient
Jeudi 11 juillet, la révélation par démocrate, [elle] apport[ait] son les deux tiers des portefeuil­ « Pedophile Island »
plusieurs médias allemands de ce soutien à Ursula von der Leyen les ministériels ont changé de ti­
document, destiné à rester confi­ pour la présidence de la Commis­ tulaire à Washington. Donald
ou « Orgy Island »
berlin ­ correspondant sein de ce groupe, qui comprend dentiel, a clairement mis dans sion européenne ». Trump a lui­même annoncé sur
154 élus, les sociaux­démocrates l’embarras la direction du SPD. Ou Twitter la démission offerte « gra­

A
Berlin, ils siègent à ses allemands sont au nombre de 16. plutôt sa direction provisoire, le Contrat de coalition cieusement », a­t­il dit, par son où il avait transféré ses sociétés.
côtés à la table du con­ Ils y constituent la troisième dé­ parti ayant à sa tête trois « prési­ Afin d’assurer la survie de sa coali­ secrétaire au travail. Il a rendu Jeffrey Epstein n’a aucun diplôme
seil des ministres. A légation nationale par ordre dents intérimaires » depuis la dé­ tion, la chancelière a tout intérêt à hommage à l’« énorme talent » universitaire et son ascension a
Bruxelles, ils semblent d’importance, après les Espa­ mission surprise de sa chef, An­ jouer des divisions qui traversent de M. Acosta. toujours suscité nombre d’inter­
prêts à tout pour l’empêcher de de­ gnols (20) et les Italiens (19). drea Nahles, après la débâcle des le SPD et à ménager la direction Le secrétaire au travail est une rogations. Professeur de maths de
venir présidente de la Commis­ Qu’est­il reproché à Mme von der sociaux­démocrates allemands provisoire du parti, qui a décidé victime collatérale de l’affaire de 1973 à 1975 dans une école privée
sion européenne. En prévision du Leyen ? D’abord, le fait que sa can­ aux élections européennes du de ne pas faire de la nomination mœurs à rebondissements qui a de Manhattan, il y a rencontré le
vote au Parlement européen sur la didature « porte atteinte à la démo­ 26 mai (15,8 % des voix, le pire de von der Leyen un motif de rup­ ressurgi le 6 juillet avec l’arresta­ fils du président de la banque d’in­
candidature d’Ursula von der cratie en Europe ». En ne choisis­ score de leur histoire). « Les trois ture du contrat de coalition. tion du milliardaire Jeffrey Eps­ vestissement Bear Stearns, Alan
Leyen, fixé au mardi 16 juillet, les sant pas le futur président de la présidents intérimaires ne donnent Afin d’obtenir les 376 voix néces­ tein, 66 ans, déjà poursuivi en Flo­ Greenberg, qui l’a recruté comme
eurodéputés du Parti social­dé­ Commission parmi les têtes de pas des consignes disant comment saires à la validation de sa candi­ ride en 2008 pour abus sexuels trader. M. Epstein est devenu en­
mocrate allemand (SPD) ont ré­ liste (Spitzenkandidaten) aux euro­ il faut se comporter. Ils n’ont pas dature, Mme von der Leyen sait que sur plusieurs dizaines de mineu­ suite associé de la firme – dont la
digé un argumentaire au vitriol péennes du mois de mai, les chefs commandé cet argumentaire et le soutien du PPE (auquel est affi­ res. Le dossier avait été jugé, mais faillite a entraîné la crise finan­
listant les raisons pour lesquelles d’Etat et de gouvernement euro­ n’ont pas l’intention d’en comman­ lié son parti, la CDU) et des libé­ de nouvelles accusations ont été cière de 2008. Sa carrière à Wall
la ministre de la défense d’Angela péens ont « flanqué une gifle au der d’autres du même type », a ainsi raux­centristes de Renew Europe portées à New York. Street lui a donné l’occasion de
Merkel ne mérite pas, selon eux, Parlement européen », estiment les assuré l’un d’eux, Thorsten Schä­ ne suffira pas. Or, les Verts ayant Alexander Acosta, qui était à nouer des liens avec nombre de
de succéder à Jean­Claude Juncker. eurodéputés SPD. Le SPD aurait fer­Gümbel, interrogé, jeudi, par la annoncé mercredi leur intention l’époque procureur du district personnalités du monde des affai­
Au risque de fragiliser un peu plus préféré soutenir le travailliste Frankfurter Allgemeine Zeitung. de voter contre sa nomination, la sud de Floride, est sur la sellette res et de la politique, dont Bill Clin­
la « grande coalition » de la chan­ néerlandais Frans Timmermans, Alors que plusieurs élus de la ministre allemande de la défense pour avoir négocié avec l’accusé ton et Donald Trump, son voisin à
celière allemande, au sein de la­ chef de file des sociaux­démocra­ CDU sont montés à la charge doit pouvoir compter sur le sou­ un accord jugé des plus accom­ New York et à Palm Beach.
quelle le SPD cohabite avec les tes proposé un temps par Berlin et pour fustiger vertement l’atti­ tien d’une partie des sociaux­dé­ modants par les victimes. Au Bill Clinton, attaqué par la presse
conservateurs de l’Union chré­ Paris, mais bloqué par de nom­ tude du SPD, expliquant que le mocrates (environ 90 voix) pour terme de ce marché, Jeffrey Eps­ conservatrice, a dû s’expliquer sur
tienne­démocrate et de l’Union breux dirigeants conservateurs torpillage de la candidature de obtenir une majorité. Certains, tein avait échappé aux poursui­ les quatre voyages effectués
chrétienne­sociale (CDU­CSU). et­ou d’Europe centrale. comme les Espagnols et les Scan­ tes fédérales. Seule la justice de en 2002­2003 dans l’avion privé
« Pourquoi Ursula von der dinaves, sont d’ores et déjà favora­ Floride l’avait condamné – à dix­ du milliardaire, dont l’un en Afri­
Leyen est une candidate inadé­ Merkel joue l’apaisement bles à sa nomination. huit mois de prison. Il n’y était que avec Kevin Spacey. Sa porte­
quate et inappropriée » : tel est le La suite de l’argumentaire vise la
La chancelière a S’il s’avère que le SPD a contri­ resté que treize mois et avait parole a souligné que ces déplace­
titre de ce document de deux pa­ personne même de Mme von der tout intérêt à jouer bué à l’échec d’une des ministres bénéficié de conditions de dé­ ments correspondaient à des mis­
ges, en anglais, que le chef des dé­ Leyen, et en particulier son bilan les plus proches de Mme Merkel, tention privilégiées. L’accord sions philanthropiques avec la
putés SPD au Parlement euro­ au ministère de la défense, où elle
des divisions qui les sociaux­démocrates pour­ n’avait pas été communiqué aux Fondation Clinton. Fox News a dé­
péen, Jens Geier, a diffusé, mer­ a été nommée en 2013. Est ici traversent le SPD ront­ils continuer à faire partie victimes. Il n’a été révélé qu’en busqué une vingtaine d’autres
credi 10 juillet, auprès de ses col­ d’abord mentionnée « l’affaire des de la « grande coalition » au pou­ novembre 2018 par le Miami He­ voyages dans le Boeing 727 de
lègues de l’Alliance progressiste consultants », qui agite les médias
et à ménager la voir à Berlin ?  rald. Juste après ces révélations, M. Epstein – appareil qui, selon la
des socialistes et démocrates. Au allemands depuis plusieurs mois. direction du parti thomas wieder Epstein a versé de l’argent chaîne conservatrice, avait été sur­
– un total de 350 000 dollars nommé le « Lolita Express ».
(310 000 euros) – à deux témoins Selon l’enquête de 2008, Jeffrey
susceptibles de le compromettre Epstein avait dans la mémoire de

UE : le cordon sanitaire contre les candidats en cas de procès, a affirmé ven­


dredi le New York Times.
son téléphone les numéros de Do­
nald Trump, de son épouse Mela­
nia et de leurs proches. En octo­

d’extrême droite reste solide au Parlement


Système bien rodé bre 2002, dans une interview au
Le 8 juillet, Jeffrey Epstein a été de New York Magazine, M. Trump
nouveau inculpé, cette fois à New avait fait l’éloge du financier, « un
York, et écroué pour exploitation type formidable avec qui on
Le RN et ses alliés n’ont pas réussi à prendre la tête de commissions parlementaires sexuelle de dizaines de mineures s’amuse bien ». « Il aime autant
entre 2002 et 2005. Il encourt jus­ que moi les belles femmes, avait
qu’à quarante­cinq ans de prison. ajouté le magnat de l’immobilier.
L’accusation a mis en lumière un Plutôt dans la catégorie jeunes. »
bruxelles ­ bureau européen La distribution des res juridiques. La première a été être tranché par la Cour de justice système bien rodé de recrute­ Au lendemain de l’arrestation
barrée par un élu allemand du de l’Union. A ce stade, la distribu­ ment de très jeunes femmes, sou­ du financier, le président améri­
postes a mis à mal
I ls menaçaient de renverser les
équilibres au sein du Parle­
ment européen, mais leur ca­
pacité de nuisance devrait être ré­
certains équilibres,
notamment
PPE, le second par une libérale dé­
mocrate britannique. Le RN visait
aussi deux vice­présidences mais
ses candidats ont aussi été reca­
tion des postes a mis à mal cer­
tains équilibres, notamment la
parité femmes­hommes, et con­
duit à un report, partiel ou total,
vent de milieux modestes, et d’in­
timidation pour les faire taire.
Les mineures étaient attirées
par la perspective d’une rétribu­
cain – qui vient lui­même d’être
accusé d’agression sexuelle par
une vingt­deuxième femme, ou
vingt­quatrième, selon les sour­
duite au maximum : les élus d’ex­ la parité lés. « C’est cocasse de voir une for­ de certains votes. Un tiers des tion de quelques centaines de ces – a affirmé qu’il ne le connais­
trême droite n’accéderont sans mation qui conteste toutes les rè­ commissions ne sont pas encore dollars, en échange, leur était­il sait que « comme tout le monde à
doute à aucun poste à responsabi­ femmes-hommes gles européennes se mettre à con­ dotées de leur bureau et chaque dit, de simples massages effec­ Palm Beach » et qu’il ne lui avait
lité au sein de l’Hémicycle stras­ sidérer que la règle qu’on utilise au groupe doit présenter de nou­ tués en sous­vêtements. Il leur pas parlé depuis une quinzaine
bourgeois. Les principaux partis plan européen ne doit pas être veaux candidats en vue de votes était aussi demandé de recruter d’années. « Ce que je peux vous
pro­européens se sont, en effet, formistes européens (CRE, 62 siè­ contestée », raille Sylvie dans les prochaines semaines. des camarades. Plusieurs ont af­ dire, c’est que je n’étais pas un de
unis, lors des premières séances de ges), dont sont également mem­ Guillaume, la présidente de la L’un d’eux sera suivi avec une at­ firmé avoir été violées. ses fans », a­t­il assuré.
la nouvelle assemblée, élue le bres Vox et les tories britanniques, délégation française du groupe tention particulière, celui pour Le financier opérait sur son île Rattrapé par le climat #metoo,
26 mai, pour empêcher le groupe d’ici au Brexit. Cette stratégie de social­démocrate. Les institu­ une vice­présidence de la com­ privée des Caraïbes, Little Saint Ja­ Jeffrey Epstein est incarcéré dans
Identité et démocratie (ID, 73 siè­ mise à l’écart des eurosceptiques tions européennes appliquent en mission des libertés civiles, de la mes, qu’il appelait « Little Saint la prison du sud de Manhattan,
ges), qui regroupe notamment les et des europhobes bénéficie aux effet une méthode de répartition justice et des affaires intérieures. Jeff » mais que les résidents locaux qui abrite Joaquin « El Chapo »
élus du Rassemblement national forces proeuropéennes : le PPE a des postes à la proportionnelle, Les Verts ont proposé un candidat avaient pris l’habitude de qualifier Guzman. Un juge doit statuer,
(RN) et de la Ligue italienne, d’accé­ récupéré 8 présidences de com­ qui permet aux partis de préten­ français, Damien Carême, pour de « Pedophile Island » ou « Orgy lundi 15 juillet, sur sa demande de
der à des postes de décision. mission, les sociaux­démocrates, dre aux postes à responsabilité au empêcher l’élection d’un membre Island ». Un paradis tropical – et libération conditionnelle. Son
Le « cordon sanitaire » a donc 5, le groupe centriste, 4, et les prorata de leurs résultats aux du Fidesz. Le PPE a obtenu un fiscal – de 30 hectares, acheté autre voisin de cellule est Paul
tenu et il a même été étendu, selon Verts, 2. Trois Français sont dési­ élections. Après quoi, ils procè­ ajournement du vote. Il devra se 7,95 millions de dollars en 1998, si­ Manafort, l’ancien directeur de
un traitement « au cas par cas », à gnés à ce jour à des postes clés : dent à un vote pour adouber ou déterminer le 24 juillet. tué à proximité de Saint­Thomas, campagne de Donald Trump. 
certains députés du Fidesz, la for­ Pascal Canfin, le numéro 2 de la non les candidats. « Rien n’empê­ Autre point chaud : l’Assemblée dans les îles Vierges américaines, corine lesnes
mation du premier ministre hon­ liste Rennaissance, à la présidence che d’avoir des regroupements po­ devra déterminer si Beata Szydlo,
grois Viktor Orban, à Vox, parti de la commission environne­ litiques qui dépassent la simple ap­ ex­première ministre de la Polo­
d’extrême droite espagnol, ainsi ment, la Verte Karima Delli, aux plication administrative d’une rè­ gne et membre du PiS, présidera,
qu’au parti Droit et justice (PiS) po­ transports, et Younous Omarjee gle », poursuit Mme Guillaume. ou non, la commission de l’emploi
lonais. Ce dernier a cependant ob­ (LFI), au développement régional. et des affaires sociales. L’un de ses S OMALIE hommes d’affaires et des
tenu deux premières vice­prési­ La macroniste Nathalie Loiseau Contradiction collègues, Ryszard Legutko, a indi­ Au moins douze morts politiques de passage en ville
dences (dont celle de la commis­ occupera elle la sous­commission Directeur des études politiques au qué que, faute de garanties avant le dans l’attaque d’un hôtel pour préparer l’élection
sion des affaires étrangères), tan­ de la défense. Collège d’Europe, à Bruges, Olivier vote, le PiS pourrait ne pas soute­ Au moins douze personnes présidentielle dans la région
dis que le Fidesz ne décrochait Le maintien et l’amplification Costa juge que la pratique du cor­ nir Ursula von der Leyen, la candi­ ont été tuées dans une atta­ semi­autonome du Jubaland,
qu’une deuxième vice­présidence du cordon sanitaire constituent­ don sanitaire – déjà d’usage date allemande et PPE à la prési­ que menée, vendredi 12 juillet, fin août. Plusieurs hommes
(sécurité et défense) et une qua­ ils une surprise ? Pas pour Nicolas en 1989 et en 2007 – illustre la con­ dence de la Commission de par les militants islamistes armés sont ensuite entrés
trième (contrôle budgétaire). Bay, eurodéputé RN. « En revan­ tradiction entre deux principes Bruxelles. Or, les voix des 27 élus chabab contre un hôtel de dans l’hôtel. Parmi les
Le parti de M. Orban est toujours che, c’est une anomalie !, s’insur­ fondamentaux de l’UE : d’un côté, du PiS pourraient peser lourd lors la ville portuaire de Kismayo, victimes, on compte
membre de la famille conserva­ ge­t­il. Il y a des règles et elles ont le refus de l’extrême droite, inscrit de ce scrutin – il aura finalement dans le sud de la Somalie. deux journalistes de médias
trice du Parti populaire européen été bafouées. » Deux députés RN dans le « code génétique » de l’As­ lieu mardi 16 juillet – qui s’an­ L’assaut a débuté en fin somaliens, selon une
(PPE, 182 sièges), même si sa parti­ prétendaient décrocher deux pré­ semblée, de l’autre, l’équité dans la nonce serré pour la prétendante d’après­midi, quand un association de reporters.
cipation y est officiellement sus­ sidences : Maxette Pirbakas, celle distribution des ressources entre proposée par le Conseil.  véhicule piégé a explosé Les Chabab ont revendiqué
pendue. Le PiS est rattaché au de la commission de l’agriculture, tous les députés. M. Costa n’exclut sophie petitjean à l’entrée du Medina, un hôtel l’assaut dans un communi­
groupe des Conservateurs et ré­ et Gilles Lebreton, celle des affai­ pas que ce conflit doive, un jour, et jean­pierre stroobants très fréquenté par des qué. – (AFP, Reuters)
0123
DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 planète | 5

La Nouvelle­Aquitaine accélère sa transition


La région, fortement exposée au changement climatique et à la montée des eaux, met en œuvre un plan ambitieux

bordeaux ­ correspondante du conseil régional à l’environne­ distribuer ces fonds à tous ceux Du côté des agriculteurs, ces en­
ment, mais c’est aussi rassurant
« On veut explorer qui y contribuent ». Il prend gagements régionaux ne feront LE CONTEXTE

A
vec ses 84 000 km2, la d’avoir la volonté de ne laisser Mars, mais on l’exemple des forêts centenaires, pas que des heureux. Pour Patrick
région Nouvelle­Aqui­ aucun sujet sur le côté. » Ces fiches dont « on ne peut pas se dire qu’el­ Vasseur, 4e vice­président de la
taine, plus vaste région s’accompagnent d’actions immé­
ne se rend pas les sont importantes tout en fi­ chambre d’agriculture de Gironde
de France, est déjà sou­ diates à mener sur le territoire. Par compte que l’on nançant des engins mécaniques et président de la commission Eco­ ACCLIMATERRA
mise à un réchauffement climati­ exemple, pour garantir l’implica­ pour les exploiter. » phyto, viticulteur en coopérative, Lancé en 2016 dans le prolon-
que significatif : d’intenses vagues tion des citoyens sur ces ques­
vit grâce aux Les conclusions rejoignent cel­ l’intention doit être saluée, mais gement de travaux engagés
de chaleur dans ses villes et une tions, il est préconisé de les « con­ vers de terre » les, dramatiques, publiées par la avec certaines réserves. « Ce projet en 2013, AcclimaTerra est un
hausse du niveau de la mer – jus­ sulter sur des sujets d’intérêts géné­ Plate­forme intergouvernemen­ est intéressant, mais suivant les fi­ comité d’experts scientifiques
NICOLAS THIERRY
qu’à 1 mètre d’ici à la fin du siècle – raux qui se traduiront dans les poli­ tale sur la biodiversité et les servi­ lières, il est plus ou moins bien res­ présidé par le climatologue
vice-président du conseil
qui affecte ses zones côtières. Au tiques publiques régionales ces écosystémiques, début mai. senti. Elles ne seront pas toutes éga­ Hervé Le Treut. Pluridiscipli-
régional à l’environnement
pied du mur, elle a décidé de met­ (transports, agriculture, indus­ « Les constats se multiplient, la vie les, car certaines sont aujourd’hui naire, il couvre quinze domaines,
tre en œuvre de nouvelles politi­ tries…) », grâce notamment à un est en train de déserter cette pla­ en difficulté financière, et doivent dont la santé environnementale,
ques publiques, plus vertueuses site Internet consacré à la transi­ nète, ce qui n’est pas sans consé­ faire face à une importante concur­ l’économie, l’histoire ou le droit
pour l’environnement et le climat. tion énergétique et écologique. des sciences humaines ou encore quences sur nous, humains », déve­ rence étrangère, comme le vin ou la de l’environnement.
La première étape marquante de de la gestion des territoires ont loppe Nicolas Thierry. Et d’ajou­ viande », contrairement aux pro­
ce processus est intervenue le « Zéro déchet à l’horizon 2030 » évalué plus de 500 publications ter : « Malgré la gravité de la situa­ ductions céréalières.
9 juillet, lors de la séance plénière Onze ambitions ont été votées à produites en Nouvelle­Aquitaine tion, le sujet de la biodiversité reste ECOBIOSE
du conseil régional de Nouvelle­ l’issue d’une séance plénière ces vingt dernières années dans trop souvent hors des questionne­ Changement « accompagné » La région Nouvelle-Aquitaine a
Aquitaine consacrée à la transi­ dense de plus de six heures, ponc­ les domaines de l’agriculture, de la ments politiques ». Autre sujet de préoccupation, les créé en 2017 ce comité scientifi-
tion environnementale et climati­ tuée de débats – parfois houleux – viticulture et de la sylviculture. Ce L’enjeu, pour Ecobiose, est d’être marchés de matières premières, que régional interdisciplinaire
que, avec tous les acteurs politi­ entre groupes politiques. Le Ras­ comité, piloté par Vincent Breta­ au cœur des prérogatives politi­ dont les prix, régis par la loi de l’of­ sur les enjeux économiques et
ques régionaux. semblement national (ex­FN) a ca­ gnolle, directeur de recherche du ques, de la même façon que le sont fre et la demande, ne tiennent pas socioculturels de la biodiversité,
Au programme, 86 « fiches d’ac­ tégoriquement refusé le projet. CNRS de Chizé, a présenté ses pre­ désormais, pour le vice­président, compte, d’après Patrick Vasseur, dirigé par Vincent Bretagnolle,
tions » pour « accompagner et ac­ Parmi les mesures votées figurent mières conclusions le 2 juillet, les problématiques climatiques. des enjeux environnementaux. directeur de recherches
célérer la transition ». Basées sur l’objectif de « faire de la Nouvelle­ avant la production d’un rapport « Tant que les décideurs politiques « Par exemple, le maïs non transgé­ du CNRS de Chizé (Deux-Sèvres).
les rapports de deux comités Aquitaine un territoire tendant vers complet prévu pour octobre. ne comprendront pas qu’un espace nique aujourd’hui produit en
scientifiques régionaux, l’un dé­ le “zéro déchet” à l’horizon 2030 » « Au­delà de l’expertise scientifi­ protégé est plus important qu’une France entre au même prix que ce­
nommé AcclimaTerra et axé sur le en favorisant la nourriture en vrac que, nous avons également étudié bretelle d’autoroute, nous n’avan­ lui, transgénique, qui arrive des tion avec ces outils chimiques, il
changement climatique, l’autre, ou le réemploi du mobilier et des les rendements, la production, et cerons pas, estime­t­il. On veut ex­ Etats­Unis ou du Mexique. » faut donc aujourd’hui revoir nos
Ecobiose, sur l’étude de la biodiver­ équipements, notamment dans les revenus de l’ensemble des ac­ plorer Mars, mais on ne se rend pas S’il considère que les agricul­ systèmes d’exploitation. »
sité, ces fiches balaient tout le ter­ les établissements scolaires, ou teurs agricoles de la région », ex­ compte que l’on vit grâce aux vers teurs n’ont d’autre choix que de Selon Vincent Bretagnolle, « les
ritoire régional, et l’ensemble des encore la volonté de « préserver et plique le chercheur. Ce « revire­ de terre ! » Lors de la présentation prendre le virage de la transition agriculteurs ne doivent pas se sentir
problématiques climatiques aux­ protéger la ressource en eau ». ment de politique régionale », se­ de ses premières conclusions, Eco­ écologique, il estime que certains seuls à porter le poids du change­
quelles il doit faire face. « Agir sur Pour construire son projet, la ré­ lon M. Bretagnolle, vise à rééva­ biose a également exposé ses pré­ ne sont pas encore prêts. « L’arrêt ment, il sera accompagné » grâce
les perturbateurs endocriniens », gion a lancé, en novembre 2017, le luer les politiques publiques à conisations en faveur de la biodi­ du Roundup [le désherbant de notamment à un système assu­
« faire de la Nouvelle­Aquitaine la projet Ecobiose, un comité scienti­ l’aune des mesures vertueuses versité. Comme la pollinisation Monsanto, dont le principe actif rantiel pour soutenir la transition.
première destination de tourisme fique interdisciplinaire dont le pour l’environnement. des abeilles dans les champs de est le glyphosate] risque d’être ca­ Pour Alain Rousset, le président de
durable », ou « développer l’usage rôle est d’étudier de près la dépen­ Pour Nicolas Thierry, « la ques­ colza, qui augmenterait les reve­ tastrophique pour des exploita­ la région, l’enjeu de cette muta­
du vélo », la volonté est inédite. dance entre la biodiversité et l’éco­ tion du budget va être posée. C’est nus de 119 euros par hectare en tions, car elles ne pourront pas sup­ tion est clair : « Il y va désormais de
« C’est ambitieux, bien sûr, rap­ nomie existante. Plus de 100 pourquoi nous devons arrêter les moyenne. Ou l’urgence de déve­ porter le coût qu’engendre le chan­ notre responsabilité individuelle,
porte Nicolas Thierry, vice­prési­ scientifiques bénévoles, spécialis­ politiques qui ne vont pas dans le lopper les formations dans les mé­ gement de pratique. Nous avons collective et politique. » 
dent (Europe Ecologie­Les Verts) tes de l’écologie, de l’économie, sens environnemental, pour re­ tiers liés à la transition écologique. construit des modèles d’exploita­ claire mayer

« J’ai 16 ans, je n’ai pas encore le droit


de vote, mais je peux me bouger » GAGNEZ DES M ! 2 LES PETITS
SECRETS
DES GRANDS
ESPACES
Réunis à Bordeaux, les jeunes mobilisés pour le climat regrettent
l’absence de résultats concrets après les manifestations

bordeaux ­ correspondante Youth for Climate dans la métro­ pare malgré tout une société, une La casa
intelligente
pole. Un talkie­walkie dans une génération qui sera prête à s’y

I ls s’appellent Amina, Tatiana,


Enora, ou Léo. Ils sont venus
du Pas­de­Calais, de Bretagne
ou du sud de la France pour parti­
ciper aux Assises nationales du
main, il veille, consciencieux, à
l’arrivée des jeunes et à leur ins­
tallation dans leur campement.
Virgile n’est nullement découragé
par une mobilisation en baisse
adapter », veut croire Virgile.
Outre des manifestations pré­
vues fin septembre, lors de la
« Week for the Future », il ne perd
pas de vue les municipales de
milan, New york,
Hong kong...
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mouvement Youth for Climate, lors des dernières marches pour mars 2020. « J’ai davantage con­
qui se déroulent jusqu’au 14 juillet le climat. « On se rend compte que fiance dans la politique locale et
à Bordeaux. Après Nancy en avril, les marches n’ont pas suffi pour les députés », explique le jeune
les jeunes mobilisés pour le climat obtenir des résultats, une partie du homme, qui a déjà rencontré,
N°1 mondial du Se détendre, travailler, dormir, cuisiner, recevoir... à chaque
ont élu domicile à la Manufacture mouvement souhaite multiplier avec d’autres militants bordelais, heure son intérieur ! Solutions créatives toutes pièces
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de Darwin, pour quatre jours de les actions plus tournées vers la dé­ le successeur d’Alain Juppé, Nico­
haut de gamme Agencements personnalisés, fabrication et design italiens
débats, de rencontres et de forma­ sobéissance civile, le blocage, las Florian. S’il a finalement
tion à la désobéissance civile. comme à l’Elysée, le 28 juin, une trouvé le nouveau maire « assez
Darwin, ancienne caserne mili­ opération à laquelle j’ai participé. » fermé » face aux propositions
taire réhabilitée en lieu écores­ Ce jour­là, alors que l’Hexagone portées par Youth for Climate, Consoles extensibles Tables basses/hautes
ponsable qui accueille des ac­ enregistrait des températures re­ comme la piétonnisation pro­
teurs de l’entreprenariat social, cords, près de 150 militants gressive du centre­ville ou la
un restaurant bio et le lycée ex­ s’étaient rassemblés devant le pa­ mise en veille de l’éclairage pu­
périmental Edgar­Morin, a im­ lais présidentiel pour dénoncer blic la nuit, il ne baisse pas les
médiatement répondu à la solli­ l’inaction climatique de l’exécutif. bras pour autant. Il a prévu, avec
citation du mouvement borde­ les jeunes du collectif bordelais,
lais. Dans la Manufacture, Un œil sur les municipales de rencontrer tous les candidats,
grande salle de 1 800 m2, les jeu­ Si les manifestations sont impor­ pour « les aider à construire un
nes ont installé leurs dortoirs tantes pour fédérer, les blocages programme, puis de continuer à
grâce à une cinquantaine de lits restent symboliques pour mar­ maintenir la pression une fois
de camp fournis par l’armée. Ve­ quer les esprits, estime le jeune qu’ils seront élus ».
nus de toute la France, quelque militant. « Le 15 mars, c’était la Continuer à agir dans le temps
130 jeunes étaient attendus pour première fois que beaucoup de fait également partie des préro­
prendre part à cette deuxième
édition des assises nationales. En
jeunes sortaient dans la rue. Ils
pensaient qu’on allait changer le
gatives des assises. Pour Tatiana,
20 ans, « on se remet en question,
OFFRES
échange d’une mise à disposi­ monde en une ou deux semaines. » on voit comment faire mieux la EXCEPTION
tion du lieu à titre gratuit, les mi­ A l’appel de la militante suédoise prochaine fois ». Amina, elle, a Dans le plus grand espace gain de place à
Paris
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litants ont participé à une grande Greta Thunberg, 170 000 jeunes fait le déplacement depuis Saint­
extensibles et de tables basses/hautes.
collecte de mégots oubliés sur le Français avaient défilé dans de Omer, dans le Pas­de­Calais. « J’ai

solutions
sol. Ils se sont également enga­ nombreuses villes du pays lors de 16 ans, je n’ai pas encore le droit de
gés à respecter le couvre­feu de cette première grève scolaire in­ vote, ni de signer de pétitions, ni
minuit et, bien sûr, à veiller à ce ternationale pour le climat. de faire grève. Mais je peux faire
qu’aucun mineur ne consomme Désillusionnés, certains ont des manifs et me bouger. » En fin pour reduire votre tour de table !
de drogue et ni d’alcool. quitté depuis le navire. L’heure de journée, toutes deux partent
Car la plupart n’ont pas atteint la est donc à la remobilisation géné­ rejoindre les autres militants,
majorité. La moyenne d’âge est de rale autour du mouvement. Ces dans leur dortoir collectif. L’occa­ ARMOIRES LITS MOBILIER GAIN DE PLACE
17 ans, comme l’explique Virgile assises bordelaises ont pour rôle sion d’échanger jusque tard dans Paris 15e • 7j/7 Paris 15e • 7j/7
Mouquet, l’un des porte­parole de rassembler les jeunes défen­ la nuit sur les problématiques en­ 58-60 rue de la Convention 143 / 147 rue Saint-Charles, 01 45 79 95 15 / 01 45 75 02 81
bordelais. Engagé depuis le début, seurs du climat, partout en vironnementales, sur un mouve­ 01 45 71 59 49 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40
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FRANCE
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6| DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Attentat de Nice : le traumatisme des enfants


Un programme étudie les troubles psychiatriques chez les jeunes présents lors du drame du 14 juillet 2016

nice ­ correspondance

D
e la fenêtre du sep­
tième étage de l’hôpi­
tal Lenval pour en­
fants, à Nice, on pour­
rait ne voir que la mer. A perte de
vue. Mais, en s’approchant des vi­
tres, on aperçoit aussi la « Prom »,
comme l’on surnomme ici la pro­
menade des Anglais, ainsi que le
chemin qu’a emprunté Moha­
med Lahouaiej Bouhlel avec son
19­tonnes pour entamer sa
course folle, le 14 juillet 2016. Bi­
lan de cet attentat : 86 morts,
458 blessés et des centaines de fa­
milles traumatisées.
Dans la salle d’attente, un ado
avec ses écouteurs dans les
oreilles tourne en rond et finit par
sortir prendre l’air. Les espaces
confinés l’angoissent. Une petite
fille, d’habitude mutique, se met à
hurler quand sa mère tente d’aller
aux toilettes. C’est ici, parmi les
Playmobil de pompiers et de poli­
ciers, que se déroule depuis un an
et demi une étude épidémiologi­
que inédite en Europe : un pro­
gramme de recherche baptisé
« 14­7 », pour étudier les inciden­
ces et l’évolution des troubles psy­
chiatriques chez les enfants pré­
sents lors de l’attentat.
Les résultats provisoires sont
édifiants : sur les 378 enfants sui­
vis, plus de 60 % souffrent de
symptômes liés au stress post­
traumatique. Chez les plus jeunes, Sur la promenade des Anglais, à Nice,
plus de la moitié ont développé le 16 juillet 2016, deux jours après
des phobies et des troubles du l’attentat. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
sommeil. Pour les plus âgés, il
s’agit plutôt de pathologies ner­
veuses : tics, panique, anxiété de
séparation… scientifique », explique Michèle Ornella Zanca, 15 ans, a évité le même obtenu une mention à permet pas d’établir un syndrome
Battista, pédopsychiatre dans le camion de peu avec sa mère et l’examen du brevet.
« Il arrive souvent de stress post­traumatique.
Situation inédite service. « On ne trouvait presque son beau­père. Ce dernier est un Louise, elle, n’avait que 1 an le qu’une mère Beaucoup de parents, notam­
Jamais autant d’enfants n’avaient rien sur les enfants de moins de ancien pompier et a tenté, avec sa soir de l’attentat. Sa mère, Eva M., ment les mères, évoquent leur so­
été frappés par une attaque terro­ 6 ans, ça commençait à 10 ans. femme, de venir en aide aux victi­ 38 ans, se trouvait à 50 mètres du
vienne pour litude face aux institutions, aux
riste en France. « La population pé­ Comme si, avant 6 ans, ne pou­ mes. La jeune fille, alors âgée de Bataclan le 13 novembre 2015. son enfant, et profs, aux médecins. Asmae Ben­
diatrique touchée, la violence de vant pas parler, ils ne pensaient 12 ans, est restée seule sur la plage Le couple, éprouvé, avait fini par soltane, 32 ans, était ce 14­Juillet
l’attaque, avec l’intention de tuer, pas », poursuit­elle. « Dans les an­ pendant près de quatre heures, déménager à Nice. Le soir du
qu’elle s’effondre avec ses enfants : Aya et Adam,
dans un pays en paix, a rendu la nées 1980, on commençait tout terrifiée. Après les événements, 14­Juillet, Eva pousse sa fille dans en plein milieu de 3 ans et 4 ans. Aya a été légèrement
situation inédite », explique la pro­ juste à parler du fait que les bébés « ils étaient tout le temps tristes, ils sa poussette sur le terre­plein et heurtée par le camion. Depuis, ils
fesseure Florence Askenazy, res­ ressentaient la douleur, et qu’il avaient changé », dit­elle. « Je se jette sur le côté. Deux ans plus
la consultation » se cachent dès qu’ils entendent le
ponsable du programme. La re­ fallait les anesthésier, se souvient n’avais qu’une seule idée en tête, tard, Louise ne dort plus, sursaute MORGANE GINT bruit d’un aspirateur, refusent de
cherche comprend aussi des prélè­ la médecin. Après le 14­Juillet, j’ai c’était de leur rendre le sourire. à chaque bruit, ne joue pas avec psychologue dormir seuls et de parler aux adul­
vements salivaires pour observer eu l’impression que c’était la Mais je n’arrivais plus à prendre les autres. Quand elle arrive à Len­ tes. Adam se tape la tête par terre.
des modifications de l’expression même chose côté psy. » ma mère dans les bras et lui dire val, la première phrase qu’elle Pendant un an, sa mère n’a pas pu
des gènes. Et, fait complètement Cette étude permet aussi, sous que je l’aimais. C’était juste une prononce, c’est : « Pour Noël, je Fonds de garantie des victimes des le toucher. « Une infirmière m’a dit,
inédit, elle se penche également couvert de projet scientifique, de femme qui habitait dans ma mai­ veux un camion. » Mais le suivi l’a actes de terrorisme. Elle était pré­ une fois : il n’est pas traumatisé, il
sur les séquelles subies par les en­ ramener vers les soins ceux qui son que je devais guérir. » « métamorphosée », assure Eva. sente avec ses deux fils sur la est juste mal élevé », raconte la ma­
fants des femmes qui étaient en­ ont disparu après leur première D’autres progressent plus lente­ Prom ; elle et son aîné ont été re­ man, épuisée. « A l’école, c’est pa­
ceintes ce soir­là. consultation dans les cellules Adam se tape la tête par terre ment. Alissa, 13 ans, Ana, 10 ans, et connus comme victimes. Le plus reil, on me fait des reproches devant
Le service pédopsychiatrie de d’urgence médico­psychiatrique Aux repas de famille, on ques­ Sindi Ademi, 9 ans, « ne sortent jeune, lui, ne l’est pas. « J’ai fait l’er­ tous les autres parents. »
Lenval gérait déjà de nombreux (CUMP), explique Morgane Gint, tionne beaucoup les parents sur plus du tout », raconte leur père, Al­ reur, dans mon PV d’audition, Des réactions qui ne surpren­
traumatismes : enfants de djiha­ psychologue du programme leur état. Jamais Ornella. Jusqu’à tin Ademi, 47 ans. Les sœurs font 48 heures après, sous le choc, de nent pas les membres de
distes rentrant de Syrie, témoins « 14­7 ». D’autant que des parents un jour d’octobre 2016 où la des cauchemars après avoir vu dire que je pensais que sa trisomie l’équipe. « Tout cela est tellement
de meurtres, victimes de violen­ qui confient parfois leurs enfants jeune ado débarrasse la table « trop de cadavres ». Ana rêve de l’avait protégé », raconte Fatima. difficile que la société a envie de
ces sexuelles… Mais l’afflux de aux équipes sont parfois eux­mê­ pendant un reportage de BFM­TV zombies, et n’arrive plus à lire ou à Trois ans plus tard, Eylan, 6 ans, ne croire que c’est la résilience, sur­
patients après le 14­Juillet a sub­ mes en détresse. « Il arrive sou­ sur les attentats. Ornella « pète écrire. « Elle a fait un blocage », ex­ dort plus la nuit et ne supporte tout chez les enfants, qui va pren­
mergé le service. Un parcours de vent qu’une mère vienne pour son un plomb » et casse toute la vais­ plique Iris, leur mère, 38 ans, des plus le bruit. « Aujourd’hui, ils utili­ dre le pas très vite. Mais j’invite les
soins spécifique a été mis en enfant, et qu’elle s’effondre en plein selle. « C’est à ce moment­là que larmes dans la voix. Le couple s’est sent ça pour éviter de le reconnaî­ décideurs à venir voir ce qu’il se
place. Puis est venu le premier milieu de la consultation », expli­ ma maman m’a amenée à Len­ séparé depuis, « à cause des atta­ tre, alors qu’il était dans la pous­ passe », plaide la professeure As­
centre d’évaluation. « On voyait que­t­elle. La prise en charge des val », explique­t­elle. Aujour­ ques », assurent leurs enfants. sette avec nous », sanglote­t­elle. Le kenazy, dont l’étude dépend pour
des choses qui n’avaient jamais parents est essentielle, pour évi­ d’hui, elle a retrouvé le sommeil, Fatima Bertot, 47 ans, raconte Fonds assure que le certificat mé­ l’instant de fonds privés. 
été écrites dans la littérature ter toute transmission à l’enfant. a moins de crises d’angoisse, et a d’autres soucis. Elle lutte contre le dical établi en septembre 2017 ne sofia fischer

La Cour de cassation dépayse l’enquête de l’affaire Geneviève Legay


Le procureur de Nice, Jean­Michel Prêtre, a multiplié les erreurs. Le dossier est confié au tribunal de Lyon

nice ­ correspondance lémique, se félicite d’avoir finale­ plus qu’appeler une affaire d’Etat. » confier les investigations sur selon le site d’information, le pro­ [le commissaire de police en
ment obtenu cette décision, de­ Le procureur de la République les causes des blessures de la ma­ cureur de la République était pré­ charge ce jour­là] ni contre sa com­

L e parquet de Nice n’est pas


apte, dans l’état, à enquêter
sur les circonstances des
graves blessures subies par Gene­
viève Legay, une militante d’Attac,
mandée depuis plusieurs mois.
Une demande appuyée par le par­
quet général d’Aix­en­Provence
(Bouches­du­Rhône).
« C’est une excellente nouvelle,
de Nice, Jean­Michel Prêtre, a
multiplié les erreurs dans ce dos­
sier. Deux jours après les faits, le
magistrat avait assuré que la
chute de la septuagénaire n’avait
nifestante à la conjointe de
l’homme chargé des opérations
le jour de la manifestation.

« Souci de transparence »
sent au centre de supervision ur­
bain, et il a assisté à la charge de
police qui a heurté violemment la
septuagénaire. Il a donc été té­
moin non seulement de la scène,
pagne. Et surtout, aucune réaction
politique, alors qu’on est face à de
graves manquements de la part
d’un procureur. Je ne comprends
pas. » Début avril, la ministre de la
lors d’une manifestation des « gi­ qui va nous permettre d’avoir une pas été provoquée par un poli­ Un document, révélé par Media­ mais aussi du refus des gendar­ justice, Nicole Belloubet, avait évo­
lets jaunes », le 23 mars, à Nice. vraie instruction, assure Me Alimi, cier. Face aux révélations de plu­ part fin juin, jetait encore plus le mes d’obtempérer. Le magistrat qué devant le Sénat un « souci de
C’est ce que signifie, en creux, la contacté par Le Monde. Je ne pense sieurs médias, dont Le Monde, doute sur la conduite de l’enquête : n’a pas estimé bon de le signaler. transparence » et convoqué le pro­
décision de la Cour de cassation, pas que le policier qui l’a poussée qui avaient analysé les images à un rapport détaillant le refus d’un Jean­Michel Prêtre n’a pas sou­ cureur niçois pour lui demander
qui a confié le dossier au tribunal est le seul responsable. Les ordres leur disposition, il avait en­ escadron de gendarmes de partici­ haité faire de commentaire. des explications « dans les plus
de Lyon, mercredi 10 juillet. Me étaient illégaux. Cela va diluer sa suite changé de version et re­ per à la charge contre des mani­ « Il y a quand même quelque brefs délais ». Me Alimi, lui, s’apprê­
Arié Alimi, l’avocat de cette mili­ responsabilité, ce qui est une bonne connu, le 29 mars, que « c’est bien festants, le 23 mars, considérant chose d’incroyable dans cette his­ tait, vendredi, à saisir le Conseil su­
tante de 73 ans, qui craignait une chose. L’heure est à la responsabi­ le geste d’un policier qui est à l’ori­ l’action « disproportionnée ». Do­ toire, estime Me Alimi, c’est périeur de la magistrature sur la
trop forte proximité entre le pro­ lité des ordres, et à la responsabilité gine de la chute de Mme Legay ». Le cument qui ne figurait pas dans qu’aucune mesure conservatoire gestion du dossier par M. Prêtre. 
cureur de Nice et cette affaire po­ politique face à ce qu’on ne peut procureur avait aussi choisi de les pièces du dossier. Or, toujours n’a été prise, ni contre Rabah Souchi s. fi.
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 france | 7

Estrosi­Ciotti, la bataille finale aux municipales


Les deux figures de la droite niçoise pourraient s’affronter en mars 2020 dans une lutte fratricide

L
a bataille de Nice aura­t­ « Aujourd’hui, ma décision n’est les deux anciens alliés, les piques et appelant au rassemblement, et incompatible avec tout ce qui se
elle lieu ? Dans l’affronte­ absolument pas prise dans un sens sur les réseaux sociaux sont quasi avant de quitter la salle, qui s’est vi­
« Si on n’arrive pas fait de mal. Et je suis surtout com­
ment permanent entre le ou dans l’autre », assure Eric Ciotti, quotidiennes et chaque mois ap­ dée d’un coup d’une trentaine de à trouver patible avec les Niçois ! »
maire de la ville Christian qui promet de se décider d’ici quel­ porte son lot de confrontations. personnes. Eric Ciotti est arrivé Eric Ciotti prévoit, lui aussi, de
Estrosi et son ancien protégé Eric ques semaines. Face à lui, Chris­ En juin, un oubli sur le panneau juste après, à 17 h 30. « Il a tout fait
une entente, réunir ses amis à Nice. Ce sera
Ciotti, député des Alpes­Mariti­ tian Estrosi ne fait pas mystère de d’un projet d’hôtel des polices pour l’éviter. Il est même resté dans que les urnes lundi 15 juillet au château de Cré­
mes, les municipales de 2020 sa candidature et s’impatiente de avait mis le feu aux poudres. Eric sa voiture sur le parking pen­ mat, plutôt qu’aux Arènes de Ci­
pourraient bien déclencher le ne pas recevoir d’investiture de Ciotti a ainsi découvert lors du dant quarante minutes en atten­
tranchent » miez, comme c’est le cas habituel­
combat final. Le 15 juillet 2016, les Les Républicains (LR), au point de lancement du chantier avec le mi­ dant qu’Estrosi parte », lâche un JEAN LEONETTI lement. « La ville trouve toujours
deux hommes, en deuil, avaient menacer, mardi, de quitter le parti. nistre de l’intérieur Christophe conseiller LR, une version contes­ président par intérim de LR des prétextes pour qu’on n’y ait pas
communié ensemble le temps « Comment justifier que le parti in­ Castaner et Christian Estrosi que tée par l’entourage du député. accès », remarque son entourage.
d’une messe pour les 86 victimes vestisse tous les maires sortants la contribution financière de son Une fois sur l’estrade, ce dernier « Certains optimistes pensent que
de l’attentat. Aujourd’hui, il est de­ dans les grandes villes sauf celui de département avait été omise. n’a pas mâché ses mots. « Ici, il n’y de Nice s’offrait un bain de foule cela va finir par se calmer entre eux,
venu presque impossible de les Nice ? », s’interroge un conseiller a personne, du moins en ce mo­ sous les pins des Arènes de Ci­ comme pour les élections internes
réunir. Au fil d’invectives, la haine politique LR de la région. « Ils sont allés trop loin » ment, qui a prêté la main à nos ad­ miez, où il souhaite chaque année à la fédération, où Estrosi avait fait
entre les deux responsables me­ « Il y a un moment où on se perd Lundi, le président du Sénat, Gé­ versaires lors des dernières échéan­ de bonnes vacances à ses admi­ l’effort de s’écarter [en septem­
nace de rendre inéluctable leurs en arguments », regrette le prési­ rard Larcher, rassemblait à Anti­ ces », a­t­il lancé devant la chaise nistrés. « Je ferai tout, là où il veut bre 2018]. Personnellement, ça me
candidatures concurrentes. dent par intérim du parti, le maire bes la crème de la droite méridio­ vide de Christian Estrosi. « Ce ne faire du mal à notre ville, pour la paraît difficile, car ils sont allés très
En face, deux candidats déjà dé­ d’Antibes (Alpes­Maritimes) Jean nale, du président de région Re­ sont pas ceux qui ont aidé à l’élec­ sauver, la protéger, continuer à la loin », note le sénateur Bruno
clarés, le député (La République en Leonetti, qui a choisi de laisser son naud Muselier à Jean Leonetti en tion d’Emmanuel Macron avant le propulser en avant », a commenté Gilles, président de la fédération
marche, LRM) local Cédric Roussel, successeur à la tête de LR, élu en passant par la sénatrice Domini­ premier tour de l’élection présiden­ le fondateur de La France auda­ LR des Bouches­du­Rhône. « Leur
qui a sollicité l’investiture du parti octobre, statuer dans cette affaire. que Estrosi Sassone, dans un es­ tielle qui peuvent aujourd’hui nous cieuse, avant de répondre aux re­ gros avantage, c’est qu’à Nice, il n’y
présidentiel, et l’ex­leader identi­ « Si on n’arrive pas à trouver une prit d’unité qui n’a pas manqué donner des leçons de comporte­ proches en « Macron­compatibi­ a pas de risque de perdre la ville.
taire Philippe Vardon, investi par entente, un point d’équilibre, que d’être battu en brèche. ment », a­t­il ajouté, en référence lité » que lui assène son adver­ C’est un enjeu de personnalités,
le Rassemblement national, espè­ les urnes tranchent, ça ne me pa­ Christian Estrosi, participant au café partagé, en avril 2017, par saire, tenant d’une ligne droitière mais que ce soit Eric ou Christian, la
rent tirer profit de ces divisions raîtrait pas une si mauvaise solu­ d’une première table ronde, s’est le candidat En marche ! et Chris­ que les deux hommes ont long­ ville restera dans notre famille. » 
dans une ville dirigée par la droite tion », explique M. Leonetti. Dans levé, théâtral, pour un discours dé­ tian Estrosi, alors président de ré­ temps partagée. « Je suis compati­ julie carriat et gilles rof
depuis plus d’un demi­siècle. la chronique des hostilités entre nonçant les critiques à son égard gion. Pendant ce temps, le maire ble avec tout ce qui se fait de bien, (marseille, correspondant)

« Nice­Matin » : l’offre PUBLICITÉ

de Xavier Niel rejetée


Les salariés actionnaires préfèrent
l’hypothèse d’une reprise par Iskandar Safa

L e quotidien Nice­Matin se
déchire autour de son ra­
chat. Le feuilleton, dans le­
merie, celles de la CGT du livre, très
influente auprès des personnels
techniques et administratifs.
CRA de Rennes © François Lepage / Hans Lucas

quel s’opposent Xavier Niel, fon­ Pourra­t­il toutefois mener son


dateur de Free et actionnaire à projet sans le soutien de la rédac­
titre individuel du Monde, et
Iskandar Safa, propriétaire des
chantiers navals CMN et du maga­
tion ? Les journalistes, qui ne re­
présentent que 20 % de la coopéra­
tive, ont voté à 94 % pour l’offre de
MONSIEUR CASTANER,
LA SITUATION DANS LES CENTRES DE RÉTENTION
zine Valeurs actuelles, a connu un M. Niel, et ont décidé la non­paru­
nouveau rebondissement, ven­ tion du quotidien samedi 13 juillet.
dredi 12 juillet. Au terme d’une as­ Entré dans le jeu à la mi­juin, ce
semblée générale (AG) mouve­ dernier a pourtant placé ses pions
mentée, les 456 salariés actionnai­
res du groupe de presse régionale,
détenteurs de 66 % de son capital
ces derniers jours pour obtenir
l’adhésion de la coopérative.
Alors qu’une partie des salariés
EST LE RÉSULTAT D’UNE POLITIQUE INACCEPTABLE
par l’intermédiaire d’une coopéra­ lui reprochait de ne pas avoir suf­
tive, ont voté à 60 % en faveur du fisamment détaillé son offre, il a
rachat de leurs parts par M. Safa. commencé à le faire lundi, lors Chaque jour, des hommes et des femmes Les taux d’occupation des centres de rétention paranoïaques, dépressives, mutiques, prises
Or, M. Niel a déjà un pied bien d’une visite au siège du journal, s’automutilent, tentent de se suicider, se administrative ont explosé, générant des de crises de délire, d’angoisse, de jour comme
établi dans le quotidien azuréen. au cours de laquelle il en a profité révoltent ou expriment leur désespoir à tensions insupportables, notamment pour de nuit sont enfermées et placées dans des
L’industriel des télécoms s’est mis pour balayer certaines rumeurs. travers des grèves de la faim, des émeutes les personnes les plus vulnérables. Sont « chambres de mise à l’écart » qui constituent
d’accord avec le groupe belge ou des tentatives d’incendie dans les aujourd’hui enfermés des jeunes majeurs, des un traitement dégradant.
Nethys, actionnaire à 34 % du jour­ Atmosphère houleuse centres de rétention administrative (CRA). personnes gravement malades, des victimes de Nous dénonçons aujourd’hui une politique
nal, pour lui racheter la majorité A un an des municipales, ce sup­ Ces actes extrêmement alarmants se la traite des êtres humains, et des milliers de du tout enfermement et de discriminations :
de sa participation, puis la totalité, posé proche d’Emmanuel Ma­ multiplient à une fréquence inédite. personnes épuisées par les limites imposées au accès dégradé à la justice, privation de liberté
lui donnant de facto le droit d’ac­ cron a été soupçonné par une par­ Ils sont le résultat d’une politique droit d’asile et droit au séjour. disproportionnée voire systématisée, accès aux
quérir les 66 % de la coopérative tie des salariés d’intervenir pour inacceptable du tout enfermement des soins défaillant, protection des plus vulnérables
d’ici à février 2020, comme s’y protéger Christian Estrosi, le personnes réfugiées et migrantes. Mais aussi des enfants ! En 2018, en reléguée au second plan.
était engagé Nethys. En annon­ maire de Nice étiqueté « Macron­ métropole, 208 nourrissons, enfants
çant par un communiqué, alors compatible », d’une reprise par Une politique du tout enfermement et adolescents ont été enfermés, soit 8 fois plus Ces personnes enfermées que les associations
même que l’AG commençait, avoir M. Safa, ce dernier étant lié à des Le gouvernement fait le choix d’utiliser qu’en 2013. A Mayotte, 1 221 enfants ont subi le accompagnent dans les Centres de rétention
pris officiellement le contrôle de soutiens de son rival, Eric Ciotti. l’enfermement en rétention comme outil privilégié traumatisme de cet enfermement. Rien ne peut se trouvent dans une situation de détresse et
ces 34 %, le patron de Free a semblé « Je suis camarade des trois der­ d’une politique d’expulsion. La disproportion des justifier une telle pratique largement condamnée face à une violence institutionnelle démesurée
vouloir rappeler qu’il était le seul niers présidents de la République. moyens utilisés au service de cette politique de par le Comité des droits de l’enfant des Nations qui nie leur dignité.
repreneur envisageable. En vain. J’ai vu M. Estrosi trois fois dans ma plus en plus carcérale est inédite. unies et la Cour européenne des droits de l’homme.
Le choix fait par la coopérative vie. (…) C’est pas mes sujets, je m’en Monsieur le ministre, nous vous
implique de dénoncer ce pacte moque », a alors assuré M. Niel. Le nombre de places en rétention a ainsi Des pratiques illégales de l’administration demandons solennellement de :
d’actionnaires. Ce qui place le titre Face au risque grandissant que augmenté de 25 % depuis début 2018 et Les préfectures prononcent massivement
niçois au cœur d’une « bataille ju­ le vote ne lui échappe, le milliar­ vous prévoyez la construction de nouveaux des décisions d’enfermement et d’expulsion Faire cesser cette politique du
diciaire longue, périlleuse et à l’is­ daire a joué son va­tout dans un CRA. Un tel développement de l’enfermement illégales. Bien que l’accès au juge soit limité, tout enfermement qui conduit à la
sue très incertaine », s’est inquiété courrier envoyé la veille aux sala­ administratif ne s’était pas produit depuis la particulièrement en outre-mer, les juridictions maltraitance de personnes étrangères ;
Jean­François Roubaud, le prési­ riés. Dedans, une offre de 10 mil­ politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. métropolitaines annulent plus de 40 %
dent du conseil de surveillance. lions d’euros à la coopérative pour des procédures judiciaires ou des décisions Interdire tout enfermement d’enfants
Quelques jours avant le vote, l’ad­ ses parts – sur laquelle M. Safa Un traitement des personnes administratives, ce qui traduit l’ampleur des en rétention ;
ministrateur judiciaire a mis en s’est aligné pendant l’AG, alors inacceptable violations des droits perpétrées.
garde la coopérative sur le « lourd qu’il en proposait deux fois moins Depuis janvier, la durée maximale de Assurer la protection des personnes les
contentieux et les dégâts économi­ initialement – et un engagement rétention a doublé, atteignant trois mois, Comme l’ont dénoncé ces derniers mois la plus vulnérables, parmi lesquelles les
ques et sociaux très importants » à ne pas procéder à des licencie­ ce qu’aucun gouvernement français n’avait Contrôleure Générale des Lieux de Privation personnes malades ;
qui menacent. Comprendre : un ments contraints et à investir jamais jusqu’alors imposé. Cet enfermement de Liberté et le Défenseur des droits, des
redressement judiciaire, la tréso­ 20 millions d’euros dans l’entre­ traumatise et brise des vies. Or, les statistiques personnes étrangères voient leurs problèmes Mettre un terme aux pratiques illégales
rerie du journal étant tendue. prise, dont 12 millions d’euros sont formelles : enfermer plus longtemps ne psychiques s’aggraver en rétention. Des de l’administration.
Sur les rangs depuis décem­ pour l’apurement du passif. permet pas d’expulser plus. personnes bipolaires, schizophrènes,
bre 2018 pour mettre la main sur Cela n’aura pas suffi à convaincre
Nice­Matin, M. Safa a abattu une les salariés actionnaires. Signe des
nouvelle carte lundi, en s’enga­ tensions au sein du quotidien, le
Christophe DELTOMBE - Président La Cimade, Philippe de BOTTON - Président Médecins du Monde, Louis GALLOIS - Président
Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Cécile COUDRIOU - Présidente Amnesty International France, Vanina ROCHICCIO-
geant à assumer les frais de jus­ comité d’hygiène, de sécurité et
tice d’un tel contentieux. Présent des conditions de travail de Nice­
LI - Présidente GISTI, Sylvie BUKHARI-DE PONTUAL - Présidente CCFD-Terre Solidaire, Hubert TRAPET - Président Emmaüs France,
lors de l’AG, il a même promis de Matin a alerté vendredi la direc­
Laurence ROQUES - Présidente Syndicat des avocats de France (SAF), Malik SALEMKOUR - Président Ligue des droits de l’Homme,
soutenir la trésorerie du titre et tion dans un courriel que des sala­
Didier FASSIN - Président Comède, Rachid LAHLOU - Président Secours islamique, Flor TERCERO - Présidente ADDE, Jean-François
d’investir dans son développe­ riés avaient été « menacés et bous­
QUANTIN - Co-président MRAP, Bernadette FORHAN - Présidente ACAT, Katia DUBREUIL - Présidente Syndicat de la magistrature,
ment le temps de la procédure. culés sur leur lieu de travail (…) par
Véronique FAYET - Présidente Secours Catholique – Caritas France, Patrick DOUTRELIGNE - Président Uniopss, Prudence RIFF -
Co-présidente Fasti, Géraldine FRANCK, Présidente Le Collectif des morts de la rue, Bruno MOREL - Directeur Emmaüs Solidarité,
L’homme d’affaires franco­liba­ des élus CGT » avant l’AG. L’incerti­
nais s’est très tôt attiré les faveurs tude dans laquelle est plongé le
Alexandre MOREAU - Président Anafé, Antoine ERMAKOFF - Président Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau.
du PDG du quotidien, Jean­Marc journal n’est pas de nature à apai­ >>> La lettre ouverte est à retrouver, à signer et envoyer sur lacimade.org
Pastorino, et, par l’intermédiaire ser cette atmosphère houleuse. 
de cet ancien ouvrier de l’impri­ alexandre berteau
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8 | france DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

É D U C AT I O N

Une année derrière


les portes du
collège Doisneau
« Le Monde » a suivi pendant plusieurs mois
la vie de cet établissement de Clichy­sous­Bois,
en zone d’éducation prioritaire renforcée

L
e temps d’une année scolaire, pare, on assemble… On a testé les classes
Le Monde a décidé de pousser sans notes, sans renoncer à des approches
les portes d’un établissement plus classiques. On mène des projets inter­
de l’éducation prioritaire. Il fal­ disciplinaires… ou pas. Certains ne jurent
lait, pour ce projet, un chef que par le « collectif », quand d’autres préfè­
d’établissement volontaire, une rent travailler « à leur manière ».
équipe mobilisée… C’est ce que nous avons
découvert derrière les grilles du plus récent ACCOMPAGNER, ENCOURAGER, ÉCOUTER
des trois collèges de Clichy­sous­Bois (Sei­ Tous essaient d’accompagner, d’encourager,
ne­Saint­Denis). Un collège où l’on n’a pas d’être à l’écoute, souvent bien au­delà de
oublié Zyed et Bouna, deux anciens élèves leurs obligations de service. Des progrès, ils
dont les noms restent associés au quartier. en obtiennent – « même s’il faut parfois se ré­
Leur mort – électrocutés dans un transfor­ jouir de petits progrès », souligne Isabelle De­
mateur alors qu’ils tentaient d’échapper à byser, professeure de français. Mais le suc­
un contrôle de police – a été le déclencheur cès ? « Même en mettant tous les projets, tou­
des émeutes de 2005. tes les énergies bout à bout, on n’a pas tou­
Cet établissement nous a été proposé par jours les résultats qu’on estime mériter »,
le rectorat de Créteil, dont l’autorisation reconnaît la chef d’établissement.
était nécessaire. Mais, passé le sas d’entrée, A quelques jours de son départ à la retraite,
plus de parole bridée. Bien sûr, des ensei­ Mme Fougère se questionne encore : son col­
gnants, des surveillants et même une par­ lège est passé par tous les labels de l’éduca­
tie des élèves ont fait valoir leur droit à ne tion prioritaire – il est aujourd’hui REP + –, et
pas témoigner. Leur droit à pouvoir « tra­ cela pourrait encore changer si le gouverne­
vailler tranquille ». Mais beaucoup d’autres ment remet en chantier l’éducation priori­
nous ont ouvert toutes grandes les portes taire. Il ne manque pas (selon elle en tout
de leurs salles de classe, de leurs salles de cas) de moyens. Il bénéficie de temps de for­
réunion, d’activité, de repos, de sport… Ils mation « banalisés », il ne fait pas (ou en tout Devant les grilles Avec la commission
nous ont fait une place dans la cour de ré­ cas pas autant qu’ailleurs) les frais du « tur­ de l’établissement absentéisme
création, à la cantine ou à la bibliothèque, nover » des personnels. Et pourtant, si l’on
avec un enthousiasme qui nous a, au dé­ s’en tient aux statistiques officielles, le ta­ C’est devenu un rituel scolaire à part entière. Les tables ont été rassemblées en rectangle,
part, presque fait douter : faut­il tout dire, bleau s’assombrit : lors de la session 2018 du L’« accueil naturel du matin », explique-t-on dans la salle de réunion attenante au bureau
tout écrire, sur un établissement qui se dé­ brevet, le taux de réussite à Doisneau a pla­ devant les grilles du collège Doisneau. Qu’il de la direction. Ont pris place la principale et
bat avec autant de difficultés ? Sur des en­ fonné à 65,9 %, soit dix points de moins que pleuve, qu’il vente ou qu’il neige – et les trois son adjoint, les deux conseillers principaux
seignants que la société reconnaît si mal, et pour les trois collèges de la ville réunis. Et se vérifient, en ce lundi hivernal –, un trio d’éducation (CPE), les infirmières, l’assistante
qu’on aurait presque envie de protéger ? quinze points de moins que la moyenne du d’adultes veille sur l’arrivée en temps et en sociale. Objet de la séance : les absences.
Sur ces élèves qu’on a tôt fait d’enfermer – département. heure des collégiens. Dans ce collège de l’éducation prioritaire ren-
et ils sont les premiers à le dénoncer – dans Peut­être qu’ailleurs, là où les familles se Chacun a droit à son « bonjour » ; « montrer à forcée, on se retrouve ici, toutes les cinq à six
un rôle de « victimes » ? passionnent pour les palmarès et les classe­ ces élèves la considération que l’on a pour semaines, pour évoquer les « cas » d’élèves
ments, cela poserait davantage problème à eux vaut toutes les leçons de politesse », sou- dont l’assiduité « pose question ».
« ON A LES MAINS DANS LE CAMBOUIS… » l’équipe pédagogique. A Doisneau, les en­ ligne Ghania Baaziz, conseillère principale Au préalable, Hocine Bendjebbour et Ghania
« Des questions de journaliste », nous a souf­ seignants ne s’appesantissent pas sur les d’éducation. Quelques-uns doivent marquer Baaziz, les CPE, se sont réparti les classes et
flé Hocine Bendjebbour, conseiller principal chiffres. Pas sur ceux­là en tout cas. En cette l’arrêt, stoppés dans leur élan par Paola, as- ont identifié, dans chacune, ces jeunes que
d’éducation (CPE), lors de notre première veille de congés d’été, alors que le vaste bâ­ sistante d’éducation, qui leur demande l’éducation nationale définit comme « absen-
rencontre. « Des questions qu’on n’a pas le timent de béton et de verre a commencé à d’ôter écouteurs, casquettes, capuches et téistes » dès lors qu’ils ont manqué quatre de-
temps de se poser, a souri la chef d’établisse­ se vider, ils ont une « bonne nouvelle » à autres couvre-chefs ; d’enfiler « correcte- mi-journées de cours (ou plus) dans le mois,
ment, Solange Fougère. Ici, on a les mains partager : leurs 140 élèves de 3e ont obtenu ment » les baskets que certains garçons sans en être excusés. C’est le règlement.
dans le cambouis… » Le défi de l’école est tout 140 affectations en lycée. Dans huit cas sur aiment porter « comme des tongs » ; ou de « Dans les faits, on peut parfois être un peu
entier résumé dans un territoire comme ce­ dix, leur premier vœu a été exaucé. Elle est cracher le chewing-gum qu’ils ont dans la plus souple, glisse M. Boudjebbour. Sinon, on
lui­ci, où les inégalités sont criantes, la préca­ là, leur définition de la « réussite ». Avoir bouche. « Même à 15 ans, éduquer, c’est répé- passerait notre temps à faire des signale-
rité évidente, la mixité un vœu pieux… mené leurs élèves vers un point de chute ter », dit la jeune femme en souriant. ments… » Pour comprendre cette « sou-
« Mais où, chaque matin – ou presque –, ensei­ convenant à chacun. « Et transformer ce Tous doivent sortir leur carnet de correspon- plesse », il faut écouter les histoires de vie qui
gnants et élèves répondent présent, tempère point de chute en nouvelle ligne de départ », dance avec l’emploi du temps affiché en der- se racontent dans le secret de la salle de réu-
la principale. Un collège normal… » De cette souligne Lolita M’Gouni, enseignante nière page : le document vaut laissez-passer. nion. Ce ne sont pas – ou alors, exceptionnel-
envie d’être là, à mille lieues de l’image écor­ d’arts plastiques. « Il y a toujours des petits malins qui préfèrent lement – celles d’adolescents qui « sèchent »
née des « collèges de banlieue », on en a été On aurait aimé en raconter plus sur l’oublier à la maison plutôt que d’avoir à pour défier l’institution ou parce que les cours
témoin tout au long de l’année. Doisneau. Raconter le besoin accru de sécu­ nous rapporter un mot signé par la famille, les ennuient. Non. Les collégiens dont la pré-
En arpentant les couloirs de Doisneau, rité, quand le collège jouxte la cité. La façon explique Paola. Mais on les repère vite : à ce sence « en pointillé » justifie d’être débattue en
avec le privilège de pouvoir y revenir mois dont les problématiques sociales, l’isole­ jeu-là, ils sont rarement gagnants. » commission ont pour point commun de cu-
après mois, on a aussi touché du doigt le ment, les placements peuvent lester les sco­ C’est autre chose que repère la principale, muler les difficultés familiales, sociales, de
fossé, profond, entre les débats sur l’école larités. Le travail de titan des CPE, assistants Solange Fougère, en observant les grappes santé… en sus des problèmes scolaires.
qui agitent les cercles politico­médiatiques d’éducation, surveillants sur la discipline, le d’élèves passant les grilles de son établisse- Il y a ces élèves qui arrivent en retard le matin
(et ils ont résonné fort, en cette année mar­ climat scolaire… Raconter du bon, aussi : ces ment : « D’un regard, on peut deviner une nuit « du fait du rôle qu’ils tiennent dans leur fa-
quée par la loi Blanquer), et les priorités sur enseignantes femmes qui font naître des trop courte, les difficultés familiales ou les mille, explique David Corre, le principal ad-
le terrain. « L’urgence, c’est d’enseigner, d’étu­ vocations, quand on répète que le métier ne problématiques du quartier qui s’invitent à la joint. Les mamans sont seules, elles tra-
dier, pas de polémiquer sur telle ou telle mé­ fait plus rêver les jeunes générations. Ces porte du collège, alors qu’on voudrait croire vaillent… C’est aux aînés de déposer les plus
thode, tel ou tel programme », fait observer élèves étrangers qui arrivent sans parler un qu’elles restent à l’extérieur. » petits à l’école. » Il y a le cas d’élèves sur les-
Mathieu Noël, enseignant de technologie. mot de français, mais qui, grâce à un passage « Il ne s’agit pas de faire du collège un bun- quels leurs parents, qui ne parlent pas (ou
« On a quatre ans – et encore, si on a la chance dans une « unité pédagogique », rebondis­ ker, observe le principal adjoint, David mal) le français, s’appuient pour toutes les
de garder nos élèves tout au long du collège – sent plus haut qu’on ne l’aurait cru. Ces jeu­ Corre. Mais de montrer aux élèves qu’une démarches administratives.
pour transmettre un bagage commun. On n’a nes qui apprennent à se projeter. frontière, même symbolique, existe entre le L’équipe de direction cite aussi l’exemple de
pas de temps à perdre », pointe aussi Gaëlle « Quitter Doisneau, ça fait bizarre », glisse dehors et le dedans. » ces deux sœurs de la communauté des gens
Alcaïdé, enseignante de SVT. Moses, en ce début du mois de juillet. Le ma­ du voyage, dont les parents n’ont jamais ca-
Dans ce « laboratoire pédagogique », tin même, l’élève de 3e a passé la dernière ché qu’elles ne resteraient pas scolarisées
comme le qualifie le rectorat, l’éducation épreuve du brevet. Dans deux mois, il inté­ longtemps – pas après être « devenues des
n’est pas tant affaire de « conviction », de grera le lycée Alfred­Nobel, à vingt minutes à jeunes filles ». Ou de ce garçon qui travaille
« choix exclusif », que de « dosage » à partir vol d’oiseau. Avec une poignée de camara­ avec son père le samedi et le dimanche, mais
d’une multitude de paramètres que les en­ des, il traîne dans les couloirs. Il veut « dire aussi le vendredi ; « le lundi, il se repose ; ça ré-
seignants doivent prendre en compte : qui merci », confie­t­il pudiquement. « J’aurai duit le temps d’études d’autant », regrette la
sont leurs élèves ? D’où viennent­ils ? Com­ toujours de l’affection pour le collège. Je verrai chef d’établissement.
ment vivent­ils, dorment­ils, mangent­ils ? en septembre à quel point je suis triste… ou Ces « cas lourds » demeurent ultraminoritaires.
Comment apprennent­ils ?… Pas de « recette pas. Mais mes profs, je ne les oublierai pas. »  La direction n’en a pas compté plus de cinq
miracle ». Ici, on essaie, on tâtonne, on com­ mattea battaglia ou six cette année.
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 france | 9

Depuis le mois de
février, Nadège Abadie
a photographié,
pour « Le Monde »,
le quotidien des élèves
du collège Doisneau,
à Clichy­sous­Bois
(Seine­Saint­Denis).
NADÈGE ABADIE POUR « LE MONDE »

Dans la salle des profs


La plaque de métal fixée sur la porte a été
changée depuis peu. La salle des profes-
seurs, au rez-de-chaussée du collège
Doisneau, a été rebaptisée « salle du person-
nel ». Façon de souligner qu’elle est ouverte
à toute l’équipe de l’établissement, et pas
seulement aux 50 adultes qui portent, offi-
ciellement, la casquette de l’enseignant.
Il n’empêche : cette salle donnant sur un jar-
dinet où l’on peut s’échapper pour un tête-à-
tête ou avec sa vaporette, est d’abord celle
où les professeurs se retrouvent chaque jour
pour marquer une pause. « La salle des profs,
c’est un lieu où tu souffles, confie Isabelle De-
byser, professeure de français. Tu as une
heure compliquée, tu viens ici, tu en parles…
Et tu peux repartir en cours ressourcé. » « C’est
un lieu où tu peux relâcher la pression, souli-
gne aussi Marine Bantignies, qui enseigne la
même discipline. Dans un collège comme le
nôtre, on est hyperinvesti émotionnellement.
Un lieu où se confier, c’est capital, même si ce
n’est pas toujours facile, quand on arrive
jeune prof, de partager ses doutes… »
Justement, « quand arrive le jeune prof »,
cette salle du rez-de-chaussée est le « pas-
sage obligé, raconte Yasmina Brunet, secré-
taire de direction. On accueille les nouveaux
à l’administration avant de les amener direc-
tement ici pour leur attribuer leur casier. A
partir de là, ils sont un peu chez eux. Ils peu-
vent s’installer. »
« La salle des profs, c’est tout l’établissement
résumé en un seul lieu, reprend Marine Ban-
tignies. Tout ce qui se passe au collège s’y re-
joue. Il y a des choses qu’on montre et des
choses qu’on cache. Des liens qui se créent…
d’autres qui se délient. »

Dans le bureau du « CPE » Chez la principale Au dernier conseil de classe


Hocine Bendjebbour le répète : les établisse- Sur le tableau métallique qui occupe tout un « Bon courage ! » Les deux mots résonnent
ments scolaires du « 9-3 » sont, au même titre pan de mur de son bureau, la principale, dans la « salle des profs » du collège
que « tous les autres », le « point de départ » Solange Fougère, a affiché des centaines de Doisneau, en ce milieu du mois de juin.
de parcours de réussite. Il nous l’a martelé petits cartons colorés. On en compte Ici, comme dans les 7 100 collèges de France,
au fil des semaines de notre immersion au 571 exactement. Soit l’effectif total de son entre deux sessions de révision
collège Doisneau où il occupe, depuis bientôt établissement. du brevet, les derniers conseils de classe
dix ans, l’un des deux postes de conseiller Sarah, Cisse, David, Younès, Léa, Fatou- de l’année doivent trouver leur place.
principal d’éducation. Il l’explique à chaque mata… Les noms et prénoms des élèves y Les journées des enseignants s’allongent
élève qui pousse la porte de son bureau ont été inscrits à la main. « On ne dispose évi- bien au-delà des heures de cours. On en fait
après avoir été exclu de cours ou simplement demment pas de statistiques sur les nationa- l’expérience, ce mardi soir : il est 19 heures
pour y prendre conseil. A chaque enseignant lités. C’est un tabou, en France, nous faisait passées et, dans la salle polyvalente, les
qui vient lui rapporter un problème de disci- observer la principale lors de notre première professeurs de la classe de 3e 7 en sont en-
pline, un différend entre adolescents… rencontre, à l’automne 2018. Mais il suffit de core à discuter, au cas par cas, de ce qui se
A chaque couac de la vie scolaire, Hocine passer tous ces noms en revue pour mesurer jouera en septembre pour les vingt et un
Bendjebbour se le répète à lui-même : la richesse des origines de nos élèves. » La élèves dont ils ont la charge.
« Ici aussi, on a des pépites… » plupart parlent plusieurs langues ; la plu- Le conseil de classe a son cérémonial. Les
Cette conviction, il l’a tirée de sa formation, part, aussi, attendent « à tout prix » de l’école tables ont été rassemblées en « U ». Le pro-
certes, mais aussi de son parcours « peu qu’elle assure son rôle d’ascenseur social. fesseur principal, Stéphane Mathieu, et
linéaire » qu’il nous raconte une fois les por- Les trois quarts de l’effectif sont issus de ca- la chef d’établissement, Solange Fougère,
A la découverte tes de son bureau refermées. Une « orienta- tégories socioprofessionnelles défavorisées, ont pris place côte à côte ; les autres parti-
d’une classe relais tion précoce » dès la 5e, un BEP, un CAP, un selon les chiffres du rectorat. Un record, cipants, enseignants de sciences, de sport,
brevet de technicien… Vient le temps du même dans un réseau d’éducation priori- de langues, se sont assis un peu plus loin.
« La classe relais, tout le monde sait à quoi elle service militaire. « Je l’ai fait en tant que sur- taire comme celui-ci. Les parents délégués manquent à l’appel.
sert, personne ne sait où la trouver », déclare veillant dans un collège du Blanc-Mesnil [Sei- « Nos élèves sont pourtant bien moins nom- Les élèves déléguées sont, elles, arrivées
Rose-Marie Colucci, enseignante, au volant de ne-Saint-Denis]. Ma vocation est née à ce breux que ne le laisseraient présager les chif- avec une demi-heure de retard. « Il est tard,
sa Fiat 500. A l’arrière, hésitant, le jeune B., moment-là. » Le voilà entré dans l’éducation fres à faire valoir leur droit à une bourse ou à la grille était déjà fermée », font valoir les
14 ans, a pris place. Il sait pourquoi il est là : nationale « par la petite porte », dans le « 9-3 » des fonds sociaux, observe la gestionnaire de deux jeunes filles.
passé en conseil de discipline, exclu de son dont il est originaire. Il s’y enracine. l’établissement, Aurélie Rateau. Je dois les « La classe est sympathique, il y a des élé-
établissement d’origine, il intègre ce lundi de « J’ai passé un an dans le “9-4”, un an aussi relancer pour leur faire comprendre qu’ils ments dynamiques, mais elle n’a pas beau-
janvier la classe relais rattachée au collège en lycée, mais je m’y ennuyais, raconte pourraient être aidés davantage… » coup évolué », résume le professeur princi-
Doisneau pour réfléchir à sa sanction mais le quadragénaire. Au collège, on peut encore L’article possessif est de rigueur quand les pal. Voilà le « cadre » posé.
surtout pour ne pas perdre le fil avec l’école. changer les choses… » personnels du collège parlent de « leurs » Sur son écran d’ordinateur, la chef d’éta-
Il ne sait pas, en revanche, où il va, et le fait Durant quinze ans, il exerce comme contrac- élèves. Il l’est aussi dans la bouche de ces blissement fait défiler, élève par élève,
savoir d’un ton bravache : « Si vous me dites tuel, changeant régulièrement d’établisse- derniers : « notre » collège, disent les adoles- un tableau rassemblant les moyennes obte-
pas où c’est, j’irai pas. » Rose-Marie Colucci ment. Il prend goût à cette fonction de « gar- cents rencontrés au fil des journées. Exacte- nues dans chaque discipline et les appré-
s’amuse de son inquiétude. « Laisse-toi faire, dien des règles », à ces « journées qui ne se ment comme ils peuvent dire « notre » quar- ciations qui vont avec. On passe vite
aie confiance », lui répète-t-elle, en garant sa ressemblent jamais »… Longtemps, il dit ne tier en parlant du Chêne-Pointu, point de sur les élèves qui ne posent pas de pro-
voiture sur le parking du groupe scolaire pas avoir « osé penser » au concours. « J’étais départ des émeutes qui embrasèrent la blème. A eux les félicitations ou le tableau
Jean-Jaurès. C’est là, à seulement quelques bien comme ça… » L’avoir décroché il y a France en octobre 2005, après la mort de d’honneur. Les échanges se concentrent sur
centaines de mètres du collège, dans un an- quatre ans a-t-il changé quelque chose ? Zyed Benna et Bouna Traoré. L’allée « tous les autres ». « Des jeunes qui s’accro-
cien appartement de fonction situé au cœur « Je suis peut-être un peu plus confiant en qu’empruntent, matin et soir, les collégiens chent, mais dont les efforts tiennent à peu,
de la cité du Chêne-Pointu, que la classe re- l’avenir… et plus confiant en moi. » pour accéder à leur établissement porte glisse un enseignant. Ils fonctionnent encore
lais a pris ses quartiers après les émeutes de C’est cette confiance qu’Hocine Bendjebbour aujourd’hui leurs noms. souvent à l’affect, même s’ils n’en ont plus
2005. Près de quinze ans ont passé, et l’ex- voudrait voir grandir chez « ses » collégiens. l’âge ; ils n’ont pas beaucoup de soutien
institutrice reconvertie en professeure multi- « Ils ont, tous, une valeur ajoutée. Peut-être à la maison, et dès qu’on leur accorde moins
tâche a le sentiment que les élèves qu’elle ac- qu’ici, elle met juste un peu plus de temps d’attention, ils plongent. » Les dispositifs
cueille sont « plus abîmés » que par le passé. à se révéler. » de soutien scolaire que déploie, en nombre,
« Plus éruptifs », aussi. ce collège de l’éducation prioritaire sont
« Pour ces jeunes en mal de repères, aucune pensés pour eux.
institution n’échappe à la critique, témoigne
Françoise Tardy, assistante d’éducation affec-
tée au dispositif il y a deux ans. Ici, on raccro-
che, on resocialise. On redonne confiance à
des collégiens qui ont perdu l’envie d’appren-
dre autant que l’estime de soi. »
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10 | france DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Fonctionnaires :
Bercy renonce
à supprimer
50 000 postes
Le nombre d’agents de l’Etat
ne devrait baisser que de 15 000
sur la durée du quinquennat

E
mmanuel Macron l’avait précise, ce sera dans le projet de loi Olivier
remis en cause mais, à de finances [pour 2020] », minimi­ Dussopt
Bercy, on continuait se­t­on dans l’entourage du minis­ (à gauche)
d’y croire. Alors que tre de l’action et des comptes pu­ et Gérald
se dessinent les arbitrages pour blics, Gérald Darmanin. Darmanin,
le budget 2020, l’objectif de Jeudi matin déjà, dans son dis­ à l’Elysée,
50 000 suppressions de postes de cours à l’Assemblée nationale le 3 juillet.
fonctionnaires d’Etat sur le quin­ dans le cadre du débat d’orienta­ LUDOVIC MARIN/AFP
quennat n’est plus d’actualité : de tion des finances publiques, ce
sources concordantes, l’exécutif dernier avait laissé entendre que
table désormais sur 15 000 sup­ les lignes avaient bougé. « Les de cette sortie du grand débat, il Tout en reconnaissant que « s’il l’objectif aurait demandé d’in­
pressions d’ici à 2022 – confir­ choix que nous faisons dans ce faut qu’on soit réalistes, avait­il faut pour atteindre cet objectif
Personne à Bercy tensifier l’effort sur la seconde
mant une information des Echos budget – baisser massivement les justifié. Et donc je demanderai attendre 2023 ou 2024, c’est au ne s’avance à moitié du quinquennat.
du vendredi 12 juillet. impôts, répondre à l’urgence éco­ d’ici à l’été au gouvernement de premier ministre de regarder et de Pour l’heure, personne à Bercy
« Nous fixerons les quanta précis nomique et sociale, financer nos me donner son analyse et de voir le décider ».
préciser l’impact ne s’avance à préciser l’impact
plus tard. Ce n’est rien de plus que priorités – ont un coût, et nous l’as­ si c’est tenable. J’assume totale­ budgétaire budgétaire de l’abandon de l’ob­
l’application des engagements du sumons pleinement. Cela nous ment, si ce n’est pas tenable, Stabilisation des dépenses jectif pour la fonction publique
président de la République du conduit à réviser le calendrier de d’abandonner cet objectif. (…) Un mois et demi plus tard, le
de l’abandon d’Etat entre 2020 et 2022. Début
25 avril sur les écoles et les hôpi­ certains objectifs d’équilibre des Quand on doit réinvestir dans la 16 juin, le ton semblait moins vo­ de l’objectif mai, Albéric de Montgolfier, le
taux [l’annonce d’un moratoire comptes, de diminution de l’endet­ sécurité, l’éducation, la justice, lontariste. « On va d’abord trans­ rapporteur général (LR) de la com­
sur les fermetures d’écoles et tement, ou encore de réduction du je ne vais pas donner des in­ former le pays et on verra. (…) La mission des finances du Sénat,
d’hôpitaux jusqu’en 2022]. Ils nombre d’agents publics », avait jonctions contradictoires au gou­ tendance doit être à la baisse de Dans les collectivités locales, avait estimé que les économies
nous amènent à réviser nos objec­ précisé M. Darmanin. vernement », avait déclaré Em­ l’emploi public, mais on verra on observe en effet une quasi­ attendues des 120 000 suppres­
tifs de réduction des effectifs », ex­ manuel Macron. Manière de en 2022 le montant exact de sup­ stabilisation des dépenses de sions sur le quinquennat étaient
plique au Monde Olivier Dussopt, « Il faut qu’on soit réalistes » montrer qu’il avait écouté les pressions », répondait le locataire personnels en 2018, sans qu’il « légèrement supérieures à
le secrétaire d’Etat chargé de la C’est le chef de l’Etat qui, le revendications des Français et de Bercy au « Grand Jury » orga­ soit encore possible de quanti­ trois milliards d’euros ». « Nous
fonction publique. 25 avril, lors de sa conférence de de la majorité des « gilets jau­ nisé par Le Figaro, LCI et RTL. « Les fier les baisses d’effectifs qui y se­ cherchons évidemment toujours à
« Nous avons toujours dit que presse post­grand débat, avait nes », qui demandaient plus de 70 000 suppressions dans la fonc­ raient liées, selon un rapport de réaliser des économies et, à chaque
nous ne sommes pas dans une logi­ commencé à lâcher du lest sur services publics. tion publique territoriale de postes la Cour des comptes sur ce sec­ fois que c’est possible, à diminuer
que de rabot. L’idée n’est pas de l’un de ses objectifs de campa­ Mais à Bercy la musique de­ seront tenues. Les 50 000, c’est plus teur publié en juin. le nombre d’équivalents temps
faire de la compatibilité de sup­ gne : supprimer 120 000 postes meurait sensiblement diffé­ compliqué. Mais notre objectif est Parmi les agents d’Etat, compte plein, sans remettre en cause la
pression de postes, mais de trans­ de fonctionnaires en cinq ans, rente. Dès le lendemain des pro­ toujours d’atteindre ce chiffre, tenu du rythme de suppressions qualité des services et en tenant les
former le pays. Nous avons en­ soit 70 000 dans les collectivités pos présidentiels, Gérald Dar­ même si ce n’est pas prioritaire », de postes actuel – 6 000 seule­ engagements présidentiels », pré­
tendu aussi les demandes des Fran­ territoriales et 50 000 dans la manin avait estimé que le chiffre assurait pourtant une source à ment sur les deux premières an­ cise encore M. Dussopt. 
çais. Pour le chiffre et la trajectoire fonction publique d’Etat. « Au vu de 120 000 « paraît atteignable ». Bercy quelques jours plus tard. nées du mandat Macron –, tenir audrey tonnelier

Affaire Sarah Halimi : le suspect É DUC ATI ON


86,5 % de réussite
au brevet des collèges
François de Rugy
pourrait échapper au procès
Un peu plus de 703 300 col­
légiens ont été admis au di­
plôme national du brevet
en poste, mais affaibli
en 2019, soit un taux de réus­ Pour plusieurs sources dans la majorité,
Les juges d’instruction estiment qu’il y a des « raisons plausibles » de site de 86,5 %, en baisse de
0,6 point par rapport à la question du départ du ministre reste posée
penser que le discernement du meurtrier était aboli au moment des faits l’année passée, selon les ré­
sultats provisoires publiés

C’ est le dernier épisode


en date d’un doulou­
reux feuilleton judi­
ciaire. Vendredi 12 juillet, les juges
une « décision absurde en confor­
mité avec une procédure errati­
que » et annonce son intention de
faire appel devant la chambre de
par une forte consommation de
cannabis, conclut à un discerne­
ment « altéré ». Le second collège
d’experts (ils étaient trois) af­
vendredi 12 juillet par l’édu­
cation nationale. Dans le dé­
tail, 20,5 % des candidats ont
obtenu la mention très bien,
21,1 % la mention bien, 21,8 %
A lors que l’opposition ré­
clame son départ, le mi­
nistre de la transition éco­
logique et solidaire, François de
Rugy, mis en cause pour des dîners
a assuré que M. de Rugy a organisé
en mars un dîner avec des « lob­
byistes » de l’énergie, en deman­
dant que ce dîner « informel » n’ap­
paraisse pas « dans l’agenda pu­
d’instruction en charge de l’af­ l’instruction, qui réexaminera le firme, lui, que « l’entrée dans la assez bien et 23,1 % ont été fastueux et des travaux aux blic ». Nouveau démenti.
faire Sarah Halimi, retraitée sexa­ fond du débat et procédera à des schizophrénie » du meurtrier pré­ reçus sans mention. La série frais du contribuable, a contre­at­ Selon nos informations, l’exécu­
génaire de confession juive battue auditions. De son côté, le parquet sumé est sans lien avec sa con­ générale, qui concerne 90 % taqué vendredi, en assurant tif n’aurait pas apprécié son atti­
puis défenestrée au cri d’« Allahou de Paris, qui avait demandé le sommation de cannabis et con­ des inscrits, affiche le taux qu’il ne démissionnerait pas. tude après les révélations de Me­
Akbar » par son voisin de religion 17 juin le renvoi du suspect devant clut à une abolition du discerne­ de réussite le plus élevé, avec « Non, je ne lâcherai pas », a­t­il dé­ diapart. « Il a tapé comme un
musulmane alors âgé de 27 ans, la cour d’assises, dit « analyser ment. Quant au troisième, il es­ 87,8 % de lauréats, en recul claré sur BFM­TV/RMC, après avoir sourd, ça n’était pas la meilleure fa­
ont rendu une ordonnance dans cette ordonnance afin de détermi­ time que la « bouffée délirante » a de 0,2 point par rapport à été maintenu à son poste la çon de calmer les choses », souffle
laquelle elles estiment qu’il existe ner s’il va faire ou non appel ». été provoquée par une cause exté­ 2018. Chez les candidats de la veille par le premier ministre, tout un conseiller. Le chef de l’Etat « se
des « raisons plausibles » de pen­ rieure – les nombreux joints fu­ série professionnelle, 73,2 % en étant sommé de s’expliquer sur serait bien passé de cela », confie
ser que le discernement du sus­ « Bouffée délirante » més – mais il reste flou sur l’état ont décroché l’examen, un ses dépenses. un proche, déplorant que les dî­
pect était « aboli » au moment des La question du discernement du du discernement de Kobili Traoré. taux en repli de 4,9 points. Depuis ce rappel à l’ordre, les res­ ners de son ministre « lui retom­
faits, selon une source judi­ suspect est au cœur de cette affaire Le meurtre de l’ancienne direc­ Le taux de réussite des filles ponsables de la Macronie font tous bent dessus indirectement ». En vi­
ciaire, confirmant une informa­ depuis les faits, qui se sont dérou­ trice de crèche continue de susci­ (90,2 %) est nettement supé­ le même constat : l’ex­écologiste, site à Cherbourg, vendredi, M. Ma­
tion du Parisien. lés dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 ter une vive émotion au sein de rieur à celui des garçons qui dispose de peu d’appuis à l’Ely­ cron a évoqué le « pays de temps
L’auteur présumé des faits, Ko­ dans une résidence HLM du 11e ar­ la communauté juive. L’affaire (82,9 %). – (AFP.) sée et à l’Assemblée, peut se main­ long » que serait la France, comme
bili Traoré, mis en examen pour rondissement de Paris. Kobili Tra­ avait pris un tour politique en tenir, à condition que l’affaire s’il voulait se tenir à distance des
« homicide volontaire à caractère oré a fait l’objet de trois expertises juillet 2017 lorsque le président de JUST I CE s’éteigne vite. Si cela devient un vicissitudes du quotidien.
antisémite », serait dès lors consi­ psychiatriques afin de déterminer la République, Emmanuel Ma­ Deux mois avec sursis feuilleton, comme il y a un an avec De même, Edouard Philippe
déré comme « pénalement irres­ si son jugement était « aboli » cron, avait demandé que « la jus­ pour l’homme qui avait l’affaire Benalla, beaucoup jugent aurait été agacé que M. de Rugy
ponsable » et pourrait donc échap­ (inapte à être jugé) ou « altéré » tice [fasse] toute la clarté sur la insulté M. Finkielkraut sa position « intenable ». Selon plu­ n’exfiltre pas lui­même sa direc­
per au procès. « A ce stade, les ma­ (apte à être jugé) lorsqu’il s’est in­ mort de Sarah Halimi » lors de la L’homme jugé pour avoir sieurs sources, l’éventualité de son trice de cabinet, mise en cause
gistrates décident de ne pas le met­ troduit chez Sarah Halimi – Lucie cérémonie de commémoration proféré des injures antisémi­ départ reste posée. « S’il y a encore pour avoir profité indûment d’un
tre en accusation devant une cour Attal de son nom de jeune fille – de la rafle du Vél’d’Hiv, en pré­ tes contre le philosophe Alain un truc, il dégage. On n’a pas besoin logement HLM. « Son cabinet a ap­
d’assises, précise une source pro­ par le balcon d’une famille voisine sence du premier ministre israé­ Finkielkraut, en marge d’une de se faire un été meurtrier tous les pelé Matignon pour leur demander
che du dossier. Mais elles saisis­ (qui s’était retranchée dans une lien, Benyamin Nétanyahou. manifestation parisienne du ans », s’agace un poids lourd de la de s’en occuper, ils n’ont pas eu le
sent la chambre de l’instruction, chambre, terrifiée face à l’attitude Onze mois après les faits, au mouvement des « gilets jau­ majorité. Or, le « feuilleton » tant cran de le faire eux­mêmes »,
composée de trois magistrats de la inquiétante du jeune homme), terme d’un long bras de fer avec le nes », en février, a été con­ redouté par l’exécutif continue. s’étonne un conseiller. Résultat :
cour d’appel, pour se prononcer sur avant de la rouer de coups puis de parquet, la juge d’instruction damné à deux mois de pri­ Vendredi, de nouveaux épisodes nouveau coup dur pour le minis­
les suites juridiques et médicales à la jeter du troisième étage. avait fini par retenir la circons­ son avec sursis, vendredi. sont venus affaiblir le successeur tre vendredi. « Il a voulu sauver sa
donner à cette affaire. » En clair, Sans antécédents psychiatri­ tance aggravante d’antisémi­ Il était poursuivi par le seul de Nicolas Hulot : Le Parisien a af­ tête en offrant la mienne », l’a ac­
cette ordonnance ne signe pas la ques, le suspect a été unanime­ tisme. Selon une source proche ministère public. Le philoso­ firmé que son épouse aurait « ac­ cusé Nicole Klein dans Ouest­
fin de la procédure ni l’abandon ment déclaré atteint d’une « bouf­ du dossier, dans leur ordonnance, phe avait été violemment in­ quis, sur l’argent de l’Assemblée, un France. Une liberté de ton inhabi­
définitif des poursuites. fée délirante aiguë » au moment les magistrates ont également vectivé par des manifestants sèche­cheveux, doré à la feuille d’or, tuelle pour une préfète, qui en dit
D’autant que les parties civiles des faits. Mais les psychiatres qui « remis en cause » le caractère an­ en marge de l’acte XIV du pour la somme de 499 euros », lors­ long sur le malaise provoqué par la
n’ont pas dit leur dernier mot. Me ont fourni des expertises diver­ tisémite du crime. « Ça a dis­ mouvement, le 16 février. La que M. de Rugy présidait l’institu­ ligne de défense de M. de Rugy. 
Gilles­William Goldnadel, avocat gent sur le reste. Le premier, qui paru », déplore Me Goldnadel.  scène avait suscité une vague tion. Accusation réfutée par ce alexandre lemarié
de la sœur de la défunte, dénonce évoque un comportement induit louise couvelaire de condamnations. – (AFP.) dernier. De son côté, Ouest­France et cédric pietralunga
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 | 11

Le filtrage du porno tourne au fiasco


Le Royaume­Uni peine à mettre en place les mesures pour protéger les enfants de la pornographie en ligne

T
out le monde, ou pres­ très différents, note M. Killock.
que, était pour, à gauche Parmi les principaux groupes, on
comme à droite. Fin 2017, trouvait les associations de pro­
le Parlement britanni­ tection de l’enfance ou de lutte
que adoptait un projet de loi qui contre la pornographie, mais
constituait « une première mon­ aussi l’industrie du porno. Cette
diale », selon ses architectes : pour étrange alliance aurait probable­
protéger les enfants de la porno­ ment dû soulever quelques in­
graphie en ligne, le Royaume­Uni quiétudes – il est clair qu’une en­
allait mettre en place un système treprise comme MindGeek a
obligatoire de vérification de l’âge. beaucoup à gagner dans ce dos­
Deux ans après, le projet qui de­ sier, en renforçant sa position do­
vait empêcher les mineurs de minante sur le marché. » Le
consulter des sites X a tourné groupe se défend de vouloir créer
court. Le gouvernement a an­ un monopole de fait : « certains
noncé le quatrième report de sa sites appartenant à MindGeek
mise en place effective, qui était choisiront de proposer plusieurs
prévue pour la mi­juillet : il a re­ solutions de vérification de l’âge ».
connu, jeudi 20 juin, avoir oublié
de notifier la Commission euro­ Des blocages contournables
péenne dans les délais prévus par Malgré ce nouveau retard dans le
la loi, et devoir donc repousser le filtrage des sites pornographi­
projet de six mois. Un bug admi­ ques, et en dépit des change­
nistratif qui s’ajoute à une longue ments successifs de gouverne­
liste de problèmes techniques, po­ ment au Royaume­Uni, la déter­
litiques et juridiques. mination à le mettre en place de­
Sur le papier, le système de fil­ meure intacte. « Nous sommes
trage adopté par les Britanniques désolés pour ce retard, mais notre
est pourtant simple. Tous les sites politique n’a pas changé. La vérifi­
pornographiques accessibles au cation de l’âge doit être mise en
Royaume­Uni doivent disposer place, dans l’intérêt des enfants »,
d’un module permettant de s’as­ affirmait le ministre de la culture,
surer de l’âge des internautes sous Jeremy Wright, le 20 juin.
peine d’être bloqués sur le terri­ « Le principal problème de ce
toire britannique. projet, c’est que le gouvernement a
refusé d’écouter les critiques, re­
Un standard « inutile » grette Jim Killock, de l’ORG. Il n’a
Et c’est cette fameuse solution qui pas vraiment prêté attention au
concentre la quasi­totalité des respect de la vie privée et de la li­
problèmes. Le gouvernement a berté d’expression, ni même vrai­
laissé le champ libre au secteur « Le gouvernement a voulu alors se rendre sur un site réservé s’acquitter d’une « somme forfai­ ment cherché à savoir si cette loi
privé pour « inventer » une procé­ avoir un résultat rapide. Mais dé­
MindGeek, plus aux adultes, se connecter à son taire mensuelle basée sur une esti­ allait être efficace. » Les blocages
dure qui serait à la fois respec­ velopper un standard prend du grand éditeur au compte AgeID, et accéder au con­ mation de leur nombre de visites ». qu’elle se propose d’instaurer
tueuse de la vie privée, efficace, et temps, analyse Jim Killock, le pré­ tenu. Il sera aussi possible d’ache­ Mais les ambitions d’AgeID ne sont, ainsi, facilement contour­
gratuite. Pour prouver son âge en sident de l’ORG. Du coup, c’est un
monde de sites X ter, en supermarché ou chez les s’arrêtent pas au seul domaine du nables. Par l’utilisation d’un ré­
ligne, l’hypothèse de devoir en­ texte très facile à appliquer, mais gratuits, a poussé marchands de journaux, une porno. Depuis deux ans, Mind­ seau privé virtuel (VPN), par
trer un numéro de carte bancaire cela se fait au détriment de la sé­ carte comportant un code d’iden­ Geek milite également pour que exemple, qui permet de ma­
posait des problèmes importants curité des internautes. » Entre­
ses pions tification. A charge alors pour les certains grands réseaux sociaux, quiller une connexion pour faire
pour les sites gratuits : la carte temps, plusieurs entreprises ont pour établir le revendeurs de vérifier que la per­ dont Twitter, soient soumis au croire qu’elle ne vient pas du
bancaire contenant l’identité de développé des technologies dont sonne est bien majeure. même régime de vérification de Royaume­Uni. Une possibilité
son porteur, elle permettrait, po­ elles assurent qu’elles protègent
nouveau système Les assurances d’AgeID sur la sé­ l’âge que les sites pornographi­ bien connue de MindGeek : l’en­
tentiellement, d’identifier les vi­ la vie privée. Avec des approches de référence curité de sa plate­forme et le fait ques, au motif que ces plates­for­ treprise édite, en effet, avec sa fi­
siteurs et visiteuses de sites por­ très différentes : la société britan­ qu’elle ne stocke aucun élément mes hébergent aussi des images liale VPNhub, un logiciel de VPN
nographiques, ainsi que leurs pré­ nique Yoti propose par exemple
du contrôle d’identité n’ont cependant pas pour adultes. Une position défen­ pour mobiles dont le nom rap­
férences sexuelles. de scanner votre visage pour dé­ de l’âge en ligne suffi à rassurer les ONG de dé­ due notamment par la Digital Po­ pelle discrètement celui du plus
Au fil des mois, un consensus a terminer si vous avez bien plus fense de la vie privée. Mais les cri­ licy Alliance, un groupe d’in­ grand site pornographique du
fini par émerger des discussions de 18 ans, ou de photographier tiques les plus vives sont venues fluence britannique qui regroupe groupe, Pornhub, et qui promet
entre les éditeurs de sites, les as­ un passeport afin de prouver vo­ et de ses équipes techniques à d’autres membres de l’industrie plusieurs entreprises des nouvel­ ainsi de vous « aider à contourner
sociations, les entreprises tra­ tre date de naissance. Montréal, une galaxie de sites du X. Car MindGeek n’a pas les technologies dont… MindGeek. la censure et vous fournit un accès
vaillant sur les technologies de En coulisses, un acteur majeur gratuits et de studios, l’entreprise bonne presse dans la profession. « Il y a eu beaucoup de lobbying privé et sûr à Internet ». 
vérification de l’âge, et le régula­ du secteur de la pornographie a aussi lancé sa propre solution La holding, qui est le plus puis­ sur ce dossier, de la part d’acteurs damien leloup
teur – le British Board of Film s’est beaucoup investi dans les de vérification de l’âge, AgeID, sant groupe de l’industrie du X au
Classification (BBFC), l’équivalent discussions : MindGeek, le plus dont le développement avait dé­ monde, a été accusée, à de multi­
britannique du CSA. En avril, le grand éditeur au monde de sites buté pour répondre à des pres­ ples reprises, de pratiques anti­
BBFC a rendu public un standard pornographiques gratuits (Porn­ sions similaires en Allemagne. concurrentielles, de fermer les
de certification (en PDF), un ca­
hier des charges qui prévoit no­
hub, YouPorn, etc.), a poussé ses
pions pour établir le nouveau sys­
Son mode de fonctionnement
est assez classique. Une fois un
yeux sur le piratage de vidéos sur
ses plates­formes, et d’optimisa­ Fauteuils & Canapés Club
tamment que « l’identité des utili­ tème de référence du contrôle de compte AgeID créé, l’utilisateur tion fiscale agressive.
sateurs ne doit pas être vérifiée » et l’âge en ligne. doit fournir un document d’iden­ Or une généralisation du sys­ Haut de Gamme
que l’historique de navigation Des documents rendus publics tité ou un numéro de téléphone, tème AgeID mettrait MindGeek
« ne doit pas être collecté ». Mais ce montrent que, dès 2016, des re­ qui servira à recevoir un SMS dans une position de force face

SOLDES D’ÉTÉ
texte ne fixe que des principes : il présentants de l’entreprise ont – c’est alors l’opérateur téléphoni­ aux autres studios et éditeurs, qui
n’impose aucune mesure con­ effectué au moins quatre réu­ que qui vérifie si le titulaire de la auront du mal à imposer un autre
crète, et son application n’est pas nions avec les responsables du ligne est bien majeur. Une fois la système à leurs visiteurs. Le ser­
légalement obligatoire. « Ce stan­
dard est inutile, trompeur et po­
ministère de la culture et des
communications. L’implication
vérification faite, AgeID « sait »
que la personne est majeure, et
vice est gratuit pour les internau­
tes, et le sera aussi « pour les stu­ de - 40 % à - 60 %
tentiellement dangereux », s’aga­ de la société dans ce dossier ré­ stocke l’information de manière dios et producteurs britanniques suivant les dates
çait l’Open Rights Group (ORG), pond à une véritable logique : en chiffrée dans sa base de données, indépendants, comme pour les en vigueur
l’association britannique de dé­ plus de contrôler, par le biais sans conserver les informations blogueurs », a annoncé AgeID. Les
fense des libertés, le 14 juin. d’une holding luxembourgeoise personnelles. L’utilisateur peut sociétés étrangères, eux, devront

En France, un « plan d’action » d’ici à la fin de l’année


faut­il durcir les conditions d’accès aux Mais comme le montre l’exemple britan­ seigner un numéro de carte bleue pour
sites pornographiques en France ? En sep­ nique, aller plus loin est complexe. Fin pouvoir accéder à un site X – la proposi­
tembre 2018, Marlène Schiappa, secrétaire 2018, Mounir Mahjoubi, alors secrétaire tion, difficilement applicable, n’avait ja­
d’Etat à l’égalité entre les femmes et les d’Etat au numérique, évoquait dans un en­ mais été mise en place.
hommes, semblait pencher pour le « oui ». tretien au Monde un dispositif similaire à Comme le notent par ailleurs éduca­
« Aujourd’hui, il n’y a pas de filtre, mais celui qui doit être mis en place au Royau­ teurs et psychologues, le sujet est loin de
nous allons exiger de la part de celles et me­Uni. Un « tiers de confiance » – vrai­ se limiter à des mesures techniques d’ac­
ceux qui mettent en ligne ces contenus qu’il semblablement une entreprise privée – se­ cès, mais touche aussi et avant tout à la
y ait des filtres très importants », disait­elle rait chargé de confirmer la majorité d’un question de l’éducation sexuelle. En
à l’antenne de France Info. « Nous sommes internaute avant de le laisser accéder à un France, ces cours sont encadrés par une loi
prêts, avec tous les ministres concernés, site pornographique. de 2001, qui prévoit trois séances annuel­
nous sommes prêts à aller très loin, à être les, une obligation loin d’être respectée
très fermes. » La question de l’éducation sexuelle dans tous les établissements faute de L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et
En pratique, la loi française interdit déjà Depuis, une mission interministérielle a moyens ou de temps. toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli,
de mettre à disposition des mineurs des commencé à travailler sur le sujet. Elle de­ Fin 2018, une directive rappelant aux éta­
suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition.
contenus pornographiques, mais la régle­ vrait pouvoir « rendre d’ici à la fin de l’an­ blissements qu’ils devaient organiser ces
mentation n’oblige pas les sites X à vérifier née à la fois un diagnostic et un plan d’ac­ sessions avait déclenché la publication de
que l’internaute a plus de 18 ans. Ces sites tion », explique­t­on au secrétariat d’Etat très nombreux messages alarmistes évo­
se contentent d’afficher un message de­ au numérique. En 2017, sous François Hol­ quant à tort un « apprentissage de la mas­ 80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS
mandant à leurs visiteurs de confirmer lande, la ministre de la famille et des turbation à l’école », émanant, pour une Tél. : 01.45.35.08.69
qu’ils sont bien majeurs, et aucun contrôle droits des femmes, Laurence Rossignol, part, des milieux ultraconservateurs.  www.decoractuel.com
réel de l’âge n’est effectué. s’était dite favorable à l’obligation de ren­ da. l.
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12 | économie & entreprise DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Accord majeur entre Volkswagen et Amende record mais


indolore pour Facebook
Ford dans l’autonome et l’électrique Le groupe est condamné à verser 5 milliards
de dollars pour une fuite de données
Les deux géants s’unissent dans un secteur où les alliances battent leur plein

C’
est une nouvelle al­
liance automobile
globale qui, par peti­
tes touches, est en
Ford produira
pour le marché
d’une conférence de presse com­
mune, à New York, Herbert Diess
et Jim Hackett, respectivement
PDG du Groupe Volkswagen et de
des groupes auto fonctionnant
en 2018, dont 138 entre construc­
teurs (les autres associant des en­
treprises technologiques non
U ne amende d’un mon­
tant historique, mais un
cours de Bourse qui
monte… Voilà le paradoxe de la dé­
cision prise cette semaine contre
chés avaient accueilli favorable­
ment cette ponction qui aurait fait
frémir d’autres entreprises, parce
que sa rentabilité reste impres­
sionnante : un chiffre d’affaires tri­
train de se dessiner. Une sorte
européen Ford. Ce partenariat électrique automobiles ou des équipemen­ Facebook par la Federal Trade mestriel en hausse de 26 % à
d’union libre et sélective entre un premier pourrait d’ailleurs s’élargir à tiers). Sur ces 543 partenariats, 423 Commission (FTC) : l’autorité de 15 milliards de dollars et un béné­
deux géants de la voiture totali­ d’autres marchés prometteurs concernent la voiture du futur la concurrence américaine a con­ fice attendu en 2019 de 22 mil­
sant à eux deux presque 17 mil­
véhicule électrique (comme la Chine) et à d’autres ty­ (autonome, électrifiée, connectée, damné le réseau social à payer liards de dollars.
lions de véhicules vendus en 2018. qui sortira en 2023 pes de gamme, ont laissé entendre partagée), un chiffre en hausse de cinq milliards de dollars (4,43 mil­ Un des enjeux de la décision de
Vendredi 12 juillet, les groupes les patrons. 56 % par rapport à 2016. liards d’euros) pour avoir mal pro­ la FTC concerne les restrictions
Volkswagen et Ford ont annoncé Même s’il n’est peut­être pas en­ Outre Renault, Nissan, FCA, on a tégé les données de ses utilisa­ dont elle a assorti l’amende : selon
une accélération de leur partena­ siège de Munich devient le quar­ core achevé, le rapprochement est vu ces derniers mois se construire teurs et laissé Cambridge Analy­ le New York Times et le Wall Street
riat automobile, aujourd’hui can­ tier général pour l’Europe de la donc important. Pourtant, les une fascinante et complexe géo­ tica, un prestataire de la campagne Journal, Facebook devra se plier à
tonné aux pick­up et camionnet­ nouvelle entité. Les firmes auto­ deux géants n’ont pas souhaité politique des alliances automobi­ présidentielle de Donald Trump, un contrôle plus strict de ses prati­
tes, par une nouvelle double mobiles, actionnaires à parts éga­ franchir le pas de l’entrée au capi­ les. Honda a investi en novem­ aspirer des millions de profils de ques en matière de respect de la
union : d’une part dans la voiture les d’Argo AI, seront majoritaires tal du partenaire. « Nous pensons bre 2018 2,8 milliards de dollars membres, ont révélé le New York vie privée mais les remèdes impo­
autonome, et d’autre part dans le dans le capital à elles deux. que la “coopétition” – des partena­ dans Cruise, la prometteuse filiale Times et le Wall Street Journal, sés par l’autorité ne remettent
véhicule électrique. L’autre terrain de jeu sur lequel riats sur certains sujets, de la con­ véhicules autonomes de General vendredi 12 juillet. L’action de Fa­ pas en cause la façon dont l’entre­
Le groupe allemand aux 12 mar­ Ford et Volkswagen AG ont décidé currence sur d’autres – est la bonne Motors, qui ressemble à s’y mé­ cebook a, elle, grimpé de 1,8 %, à prise collecte les données. C’est
ques et aux 10,8 millions de véhi­ de s’ébattre ensemble est le véhi­ solution », explique M. Hackett. prendre à Argo. Et on peut aussi ci­ près de 205 dollars, atteignant son parce que ces sanctions ne sont
cules va d’abord investir 2,6 mil­ cule électrique en Europe. Ford va Pas question d’une alliance, avec ter une kyrielle de coopérations plus haut niveau depuis un an. pas assez fortes que deux démo­
liards de dollars (2,3 milliards utiliser la nouvelle plate­forme échanges capitalistiques croisés électriques annoncées entre la fin A l’annonce de cette sanction at­ crates ont voté contre la décision
d’euros) dans Argo AI, une toute MEB conçue par Volkswagen et comme dans le cas de Renault et de 2018 et ce début d’été : BMW tendue depuis l’ouverture de l’en­ au sein de la FTC, trois républi­
jeune filiale de Ford spécialisée destinée à la fabrication de masse Nissan, encore moins d’une fu­ avec Jaguar Land Rover, Daimler quête en 2018, le sentiment géné­ cains votant pour.
dans le véhicule autonome. La de véhicules électriques compacts sion comme celle qu’avait propo­ avec le Chinois Geely ou un pacte ral est qu’elle se révèle assez indo­ La partie n’est pas terminée, ont
start­up, qui teste des véhicules du format de la Golf. L’américain sée Fiat Chrysler à Renault. nippon Toyota­Suzuki­Subaru­ lore pour l’entreprise de Mark Zuc­ rappelé des démocrates : « La FTC a
sans conducteur dans cinq villes devient ainsi le premier construc­ Mazda. Fin juin, c’était au tour de kerberg. Ce n’est qu’une « tape sur donné à Facebook un cadeau de
américaines (Pittsburgh, Detroit, teur extérieur à partager cet outil Pression environnementale Renault et Nissan d’annoncer un la main », ont écrit le représentant Noël avec cinq mois d’avance (…)
Miami, Washington et Palo Alto) industriel, dans lequel Volkswa­ Ce qui est certain, c’est que l’ère des accord avec Waymo, la filiale véhi­ démocrate David N. Cicilline et Cette sanction ne les fera pas réflé­
se trouve ainsi valorisée à 7 mil­ gen a investi 7 milliards d’euros de­ partenariats bat son plein dans cule autonome de Google. certains médias américains, repre­ chir sur leur responsabilité dans la
liards de dollars (6,2 milliards puis 2016, destiné à « cracher » l’industrie automobile, les im­ La pression environnementale nant une expression déjà utilisée protection des données de leurs uti­
d’euros) au total. 15 millions de véhicules à batterie menses besoins en investisse­ et climatique n’est pas étrangère à par Elisabeth Warren, la sénatrice lisateurs », a écrit M. Cicilline,
Une partie de l’apport de Volk­ ces dix prochaines années. ment du secteur favorisant ce ces mouvements. La baisse volon­ candidate à l’investiture démo­ avant de menacer : « Si la FTC ne
swagen – 1,6 milliard de dollars – Ford produira donc pour le mar­ vaste mouvement. « Nous sommes tariste imposée par l’Union euro­ crate à la présidentielle et favora­ protège pas les consommateurs,
consiste en une intégration dans ché européen, à partir de l’archi­ aussi devenus des producteurs de péenne de la quantité de CO2 ble au « démantèlement » de Face­ c’est au Congrès de le faire. » En ef­
Argo d’AID (Autonomous Intelli­ tecture MEB, un premier véhicule logiciels, affirme Herbert Diess. émise par les constructeurs en Eu­ book, Google, Apple et Amazon. fet, le démocrate fait partie du co­
gent Driving), la filiale véhicules électrique qui verra le jour en 2023, Cela nécessite des moyens considé­ rope fait planer la menace de for­ Le groupe a déjà anticipé, en an­ mité antitrust de la Chambre des
autonomes du constructeur ger­ et sera fabriqué à 600 000 exem­ rables. » Le cabinet de conseil Alix­ tes amendes sur ceux qui n’auront nonçant le 24 avril, avec ses der­ représentants qui a convoqué en
manique. Les 200 salariés d’AID re­ plaires d’ici à 2030. Il sera peut­être Partners a recensé 543 formes de pas vendu assez de véhicules élec­ niers résultats, une provision de audition, mardi 17 juillet, des re­
joindront les 500 d’Argo AI, et le suivi d’un second, ont précisé lors coopération mises en œuvre par triques à partir de 2020. Et les deux « trois milliards de dollars », en vue présentants des GAFA. 
alliés du jour sont parmi les plus de la sanction. A l’époque, les mar­ alexandre piquard
exposés. Selon le cabinet AlixPar­
tners, Ford est menacé d’une pé­
nalité de 448 millions d’euros, et
Vollkswagen pourrait perdre po­
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(Cognac, Armagnac, Rhum, Chartreuse, Whisky...). fusils de chasse, médailles… 1,5 milliard d’euros, ont an­ réaliers. Mais il n’a finalement Rien de comparable à 2018, où la
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noncé les propriétaires, ven­ pas trop brûlé les espoirs de ré­ sécheresse avait fortement réduit
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dredi 12 juillet. – (AFP.) colte. Même si dans certaines ré­ les récoltes de nos voisins alors
Vieux vins et champagnes. gions, comme en Auvergne, tou­ que la France limitait la casse. La
N’hésitez pas à me contacter A ÉR OP ORT chée par le manque de pluie, les canicule faisait flamber le cours
pour tout renseignement Eiffage futur épis sont plus rabougris. « La ré­ des céréales, jusqu’à 220 euros la
MAISON CHARLES HEITZMANN concessionnaire colte de blé devrait être correcte tonne. Un alignement de planètes
06.19.89.55.28 RUBRIQUE de Lille-Lesquin cette année, tant en rendement qui s’est traduit par un excédent
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Paiement comptant immédiat l’actionnaire majoritaire, a grains dans la balance en ta­ sens pour les céréaliers.
charlesheitzmann@free.fr été désignée, le 12 juillet, con­ blant, pour sa part, sur un total Cette année, les yeux des spécu­
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cessionnaire de l’aéroport de compris entre « 37,2 et 37,8 mil­ lateurs se tournent vers les Etats­
Rachat de cave complète ou à l’unité. Déplacements Lille­Lesquin pour vingt ans à lions de tonnes ». Unis. Le printemps exécrable a
et estimations gratuits dans toutes la France. partir de 2020. L’exploitant été un véritable cauchemar pour
Paiement immédiat. était jusque­là la chambre de Chacun épie le voisin les farmers américains. Les inon­
06 74 16 07 78 commerce et d’industrie Bien évidemment, toutes les in­ dations dans le Midwest ont per­
Hauts­de­France. – (AFP.) certitudes ne sont pas encore le­ turbé les semis. « Nous aurons
vées. « On a une bonne idée du une vision plus claire en août de
DI ST R I BU TIO N nombre d’épis, du nombre de ce qu’ils ont réellement planté »,
PHOTO ART Conforama : la grains par épis, il faut encore con­ affirme M. Portier. L’incertitude
RARE VENDS appareil photo GALERIE D’ART ACHÈTE : procédure est lancée naître le poids des mille grains. concerne surtout les champs de
Leicaflex TBE de 1965 numéroté Le comité central d’entreprise Cela peut faire une différence de maïs. Et soutient le cours des
avec facture, cartes de garantie tableaux, lithographies, de Conforama convoqué ven­ 10 % », tempère Rémi Haquin, grains d’or. Une valorisation dont
et mode d’emploi d’origine & ses sérigraphies, gravures, livres VIENT DE PARAÎTRE de Alain Fliti, dredi 12 juillet s’est tenu sans président du conseil spécialisé bénéficie le blé, les deux céréales
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jcentralpark@aol.com et « La sauvagerie mondiale ». cédure devant conduire à sup­ n’empêche. Pour l’heure, le blé granger au mieux le bénéfice de
Contact : 06 86 30 42 79 Tél. : 06 40 15 33 23 primer 1 900 postes. – (AFP.) est bel et bon. la récolte de blé… 
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 économie & entreprise | 13

REPORTAGE
arizona, nouveau­mexique,
utah ­ envoyée spéciale La créatrice
de bijoux
Nanibaa

U
ne start­up dans Beck a
un hogan. Ce installé son
soir de mai, à atelier dans
Tuba City (Ari­ l’espace de
zona), Heather coworking
Fleming, une Change
pionnière du design humanitaire Labs. Ce
à San Francisco, inaugure Change dernier a été
Labs, le premier espace de cowor­ inauguré
king de la réserve navajo. Le mobi­ à Tuba City,
lier ne déparerait pas dans la Sili­ dans
con Valley : chaises de bois clair, l’Arizona,
iPad dans les casiers, canapés. en mai.
Mais l’open space a la forme hexa­ CHANGE LABS
gonale des anciennes maisons
navajo, et le logo rappelle les pein­
tures de sable des guérisseurs tra­
ditionnels.
Heather Fleming a grandi dans
les années 1980 à la lisière du pays
navajo, dans l’une de ces border
towns, les « localités frontalières »
de la réserve, qui prospèrent alors
que les infrastructures manquent
sur le territoire de la tribu amérin­
dienne. Quand elle allait chez ses
cousins, à quelques kilomètres,
elle était frappée par la différence.
PLEIN CADRE
Chez elle, l’eau courante. Chez ses
grands­parents, il fallait aller au
puits en camionnette. Maintenir
le couvercle des bidons, au milieu
des soubresauts du véhicule sur la
piste. Encore aujourd’hui, près de
Les Indiens Navajo Depuis, Nonabah Lane rêve de
donner aux tribus qui vivent le
long du fleuve la maîtrise de
l’analyse de leur environnement.
40 % des habitations n’ont pas
l’eau courante dans une réserve
qui couvre une étendue vaste
comme l’Irlande, à cheval entre
trois Etats (Arizona, Utah et Nou­
en quête de solutions Son projet : un laboratoire navajo
d’analyse de l’eau. La jeune
femme a été sélectionnée pour la
bourse 2019 du Media Lab du
Massachusetts Institute of Tech­
veau­Mexique).

SOUS-ÉQUIPEMENT TÉLÉCOM
Le père d’Heather dirigeait le ser­
vice de santé indien ; sa mère a
de développement nology. Vu de Boston, le défi est
jouable. Un investissement de
3 millions à 5 millions de dollars
pour l’équipement et le person­
nel n’effraie pas les responsables
été la première de sa famille à
« épouser un Blanc », raconte­t­
La fermeture annoncée de la centrale à charbon va entraîner la perte d’incubateurs de la Côte est. Vu de
Farmington, c’est plus compli­
elle. Elle a réussi à être admise à
l’université californienne de
de nombreux emplois et de millions de dollars pour la tribu, à cheval qué. Pour emprunter, il faut des
garanties bancaires. Les habi­
Stanford. En dernière année,
quand elle a proposé un projet
entre Arizona, Utah et Nouveau­Mexique. Les jeunes reviennent créer tants des réserves n’en ont géné­
ralement pas. La terre, dans le
sur l’eau en pays navajo, le sujet a
été refusé. Le marché n’est pas as­
des start­up, mais la bureaucratie est un frein majeur à l’innovation monde indien, reste propriété de
l’Etat fédéral. Les tribus en ont la
sez vaste, a reproché un profes­ jouissance en fiducie (trust land).
seur. Qui n’a pas d’eau courante Résultat : les particuliers ne peu­
aux Etats­Unis ? L’étudiante avait vent pas la vendre ni s’endetter.
buté sur la dictature du scaling, la « Cela limite l’accès au capital »,
« montée en puissance », sans la­ Terres navajo « Avec moins de 10 % de la réserve vité. La tribu hopi, enclavée en vière San Juan, mais les parcelles souligne Jessica Stago, la codirec­
quelle il n’y a pas de success story équipée en Internet à haut débit, il territoire navajo, va perdre sont petites, et les équipements trice de Change Labs.
dans la Silicon Valley. ÉTATS-UNIS fallait dix heures pour téléchar­ 400 emplois et 20 millions de « collectivisés ». Quand ils ont be­ Pour développer l’économie,
Heather Fleming s’est tournée ger » les contenus, explique­t­elle. dollars (17,8 millions d’euros) de soin d’un tracteur, les paysans certains ont émis une idée : « pri­
vers l’Afrique. Elle a fondé Cata­ NEVADA Le taux de pénétration des télé­ royalties, soit 80 % de son budget. doivent s’inscrire pour emprun­ vatiser » les réserves. Le débat a
UTAH COLORADO
pult Design, en 2008, à San Fran­ phones cellulaires n’est que de Les Navajo, 500 emplois, et quel­ ter celui de leur « chapitre » et at­ été lancé par l’économiste Terry
cisco, une start­up d’entrepre­ Tuba City Farmington 20 %. Là encore, c’est une ques­ que 40 millions de dollars (pour tendre leur tour. Anderson, de la Hoover Institu­
neuriat social, dont les projets de CALIF. tion de taille du marché. Les four­ un budget de fonctionnement de Le 5 août 2015, les fermiers na­ tion, un think tank conservateur
Design for Good ont été mis en Albuquerque nisseurs ne se battent pas pour 167 millions). En prévision de la vajo ont vu le cours d’eau prendre de Palo Alto (Californie). Il prône
Flagstaff
œuvre dans dix­sept pays. Au Ke­ NOUVEAU- installer des tours, et l’habitat est « transition », le grand sujet de dé­ une couleur jaune des plus sus­ « un mouvement de droits civiques
ARIZONA
nya, elle a compris que la terre MEXIQUE trop dispersé pour rentabiliser la bat sur la réserve, la tribu a cons­ pectes. A 150 km en amont, un ac­ économiques », qui débarrasserait
OCÉAN PACIFIQUE

rouge – et le sous­développe­ mise en place des équipements. truit deux fermes solaires. Une cident industriel avait laissé les Indiens de la tutelle du gouver­
ment chronique – lui rappelait le MEXIQUE Pour la nation navajo, il y a troisième est en chantier, mais échapper des eaux contaminées nement fédéral. « Les ressources
pays navajo. Elle est revenue à pourtant urgence. L’emploi tra­ cette énergie ne génère que peu provenant du nettoyage de la énergétiques encore non dévelop­
Tuba City pour favoriser la créa­ ditionnel dans le secteur de d’emplois. Le 15 avril, le président mine d’or Gold King, dans le Co­ pées sur les réserves pourraient gé­
tion de petites entreprises. « La 400 km l’énergie est menacé. Le 21 mars, de la nation navajo, Jonathan lorado. « Ce n’est ni le gouverne­ nérer près de 1 000 milliards de
tribu ne jure que par les casinos ou le gouvernement tribal (une as­ Nez, a lancé une campagne ment fédéral ni celui du Colorado dollars », fait­il miroiter.
le charbon. C’est sûr, cela repré­ semblée qui représente les « Achetez navajo » pour inciter les qui nous ont prévenus, critique D’autres estiment qu’une telle
sente beaucoup d’emplois. Mais 24 districts) a décidé – après des habitants à cesser d’aller dépen­ Nonabah Lane. Mais la tribu des solution remettrait en question le
cela ne fait rien pour empêcher la n’est pas revendiqué par une mois de débats – de ne pas rache­ ser leurs dollars dans les border Southern Ute du Colorado. » Il a système collectif de propriété,
fuite des cerveaux », déplore­t­ autre famille au nom des tradi­ ter la centrale à charbon Navajo towns. A la chambre de com­ fallu quatre jours pour que les autrement dit l’essence de la cul­
elle. La réserve ne compte, par tionnels droits de pâturage. Et Generating Station, la plus im­ merce, Jeff Begay a ironisé : « Il autorités américaines se préoc­ ture amérindienne. Dans un arti­
exemple, qu’une agence ban­ l’approbation du président de la portante de l’Ouest américain. faudrait peut­être créer des entre­ cupent de la pollution déversée cle publié, début juin, par la Stan­
caire, alors que six autres sont nation navajo en personne. Dans Celle­ci va donc fermer fin 2019. prises navajo avant d’encourager en pays navajo. ford Law Review, les deux univer­
établies à la périphérie. un entretien au Navajo Times, Les élus ont pris cette décision, les gens à acheter navajo ! » sitaires Kristen Carpenter et An­
Change Labs se heurte à un obs­ Jeff Begay, le président de la moins par souci écologique, que gela Riley s’inquiètent de voir
tacle : la bureaucratie navajo. chambre de commerce, a résumé parce qu’ils n’ont pas réussi à ob­ « PRIVATISER » LES RÉSERVES monter, notamment dans le dis­
Pour créer une entreprise sur la la situation : « Nous vivons dans tenir du propriétaire actuel – un A l’autre bout de la réserve, Nona­ Pour créer une cours de l’administration Trump,
réserve, il faut compter un an de
démarches. « C’est trois cent
un système socialiste depuis cent
ans. Nous ne comprenons même
consortium de plusieurs compa­
gnies d’électricité de l’Arizona –
bah Lane, 39 ans, est arrivée à la
même conclusion qu’Heather
entreprise sur la ce « désir de privatiser les terres in­
diennes ». Le président américain,
soixante jours de plus pas ce que c’est que d’avoir un sec­ qu’il s’engage à s’acquitter inté­ Fleming. Pour créer des emplois, réserve, il faut Donald Trump, lui­même ancien
qu’ailleurs », tempête Mme Fle­
ming. Pour obtenir un bail com­
teur privé. »
Autre obstacle au développe­
gralement de sa responsabilité fi­
nancière dans la décontamina­
il faut bousculer les structures
traditionnelles. Après plus de dix
compter un an de patron de casinos, ne passe pas
pour un ami des tribus. « Il y a
mercial, c’est un parcours de ment : le sous­équipement en té­ tion et le nettoyage des lieux. ans à New York, la jeune femme, démarches. Pour quelques raisons de se demander
163 étapes. Pour ouvrir ne se­
rait­ce qu’un petit commerce de
lécommunications. Cherylee
Francis, lunettes rectangulaires,
La fermeture de la centrale va
avoir des conséquences dramati­
consultante dans le secteur de
l’énergie et de l’environnement,
obtenir un bail si cette approche free market de la
propriété foncière est fondée sur
bijoux en turquoise, il faut l’ac­ longues boucles d’oreilles tur­ ques sur l’emploi, d’autant que la est revenue s’installer sur la terre commercial, c’est une vraie préoccupation pour le
cord de son « chapitre » local –
l’un des 110 conseils communau­
quoise, a délocalisé son studio de
production vidéo à Flagstaff, à
mine de charbon de Kayenta de la
compagnie Peabody Energy va,
familiale, près de Farmington
(Nouveau­Mexique). Une com­
un parcours bien­être des Indiens », s’interro­
gent les juristes. 
taires ; la preuve que le terrain une heure de route, en Arizona. parallèlement, cesser son acti­ munauté agricole, le long de la ri­ de 163 étapes corine lesnes
GÉOPOLITIQUE
0123
14 | DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Golfe Persique
Le détroit
d’Ormuz,
au centre
du monde
Le couloir situé entre l’Iran et les Emirats arabes unis revêt
une importance stratégique pour le trafic maritime pétrolier
mondial. Il est aussi le théâtre de multiples affrontements,
depuis la guerre Iran­Irak dans les années 1980 jusqu’aux
tensions actuelles entre Téhéran et Washington

beyrouth, téhéran ­ correspondants

A
ux confins de l’Arabie et aux
portes de la Perse, nimbé
d’exotisme et de danger, le
détroit d’Ormuz est à la fois
bout et centre du monde, pas­
sage obligé et coupe­gorge.
Cette image saturée de soleil, d’embruns et
d’or noir, façonnée par la fameuse guerre des
tankers des années 1980, à l’époque du conflit
Iran­Irak, a été ranimée, depuis le mois de
mai, par la soudaine escalade des tensions
entre Washington et Téhéran. Six navires
mystérieusement sabotés à l’entrée du golfe
Persique, un drone américain abattu par un
missile iranien, une avalanche de déclara­
tions belliqueuses : Ormuz, le « cap Horn » des
capitaines de pétrolier, est repassé en rouge
sur la carte des points géopolitiques à risque.
En 2018, 21 millions de barils de brut ont
transité chaque jour par ce couloir, soit un
cinquième de la consommation mondiale
d’or noir et un tiers du pétrole acheminé par sépare le couloir entrant du couloir sortant. occidentaux. En avril 1984, plusieurs navires L’Iran, qui dispose de chasseurs Phantom
voie maritime sur la planète. Un quart de la « Quand on entre dans le détroit, il faut pren­ faisant le plein de brut au terminal de l’île de et Tomcat datant de l’époque du chah (1941­
consommation mondiale de gaz naturel dre un virage à gauche à 90 degrés, explique Kharg, par lequel transitent 90 % des ventes 1979), réplique en attaquant les pétroliers qui
liquéfié a aussi circulé par cet étroit goulet. En le Français Bertrand Derennes, commandant de pétrole iraniennes, sont attaqués, à coups viennent s’approvisionner au Koweït, au
plus d’être l’épine dorsale du système énergé­ de tanker à la retraite. On prend alors le rail de de missiles Exocet, par les Super­Etendard de Qatar et aux Emirats, trois monarchies soli­
tique international, Ormuz se trouve sur la navigation obligatoire et, surtout, on ne doit l’armée irakienne. Le président Saddam Hus­ daires de l’Irak. La République islamique
ligne de faille entre l’Iran et l’Arabie saoudite, pas dévier, un peu comme quand on passe au sein, confronté à l’échec répété des offensives pose aussi des mines, plante des batteries de
deux puissances à couteaux tirés, qui se dis­ large de Calais, il y a un rail et on le suit. » Une « SI NOTRE PÉTROLE terrestres lancées par ses troupes, a décidé de missiles antinavires le long de ses côtes et
putent la suprématie régionale. fois le détroit effacé, le chenal s’élargit à 3 mil­ NE PEUT PAS porter le conflit dans les eaux du Golfe. élabore une stratégie de harcèlement du tra­
les nautiques (5,5 km) mais passe entre trois L’ambition du despote irakien est double : fic maritime confiée aux pasdarans, les gar­
UNE BOÎTE DE PANDORE GÉOSTRATÉGIQUE îles (Grande Tomb, Petite Tomb et Abou PASSER PAR saper l’effort de guerre iranien en affaiblis­ diens de la révolution. Le 16 septembre 1986,
La guerre économique décrétée par les Etats­ Moussa) occupées depuis 1971 par l’Iran, au sant l’économie du pays, très dépendante des des membres de cette force naissante et dé­
Unis contre la République islamique, menée grand dam des EAU, qui les revendiquent. CE DÉTROIT, exportations d’hydrocarbures d’une part ; et sordonnée, mêlant patriotes et fanatiques
à coups de sanctions contre son industrie « La zone est extrêmement étroite et, en plus, pousser le régime de Téhéran à la faute, en du régime, mitraillent un tanker koweïtien
pétrolière, et les rituelles menaces de ferme­ elle est sillonnée par des petites embarcations
LE PÉTROLE l’incitant à bloquer le détroit d’Ormuz, ce qui depuis des vedettes ultrarapides parties des
ture du détroit, proférées en riposte par les de pêcheurs ou de contrebandiers, raconte DES AUTRES PAYS provoquerait une intervention occidentale îles Tomb et Abou Moussa. C’est le premier
dirigeants de Téhéran, ont redonné au lieu Hubert Ardillon, un autre ancien de la ma­ immédiate, d’autre part. Le 16 mai 1984, d’une longue série de raids maritimes menés
son cachet sulfureux. Ultrasurveillé, ultra­ rine marchande française. Le passage est N’Y PASSERA PAS Akbar Hachémi Rafsandjani, le président du par la future garde prétorienne du régime.
militarisé, Ormuz est une boîte de Pandore compliqué en raison de la brume de chaleur Parlement iranien et futur président de la Ré­
géostratégique. qui restreint la visibilité. J’ai beaucoup joué de NON PLUS » publique (1989­1997), a en effet lancé : « Nous OPÉRATION « FERME VOLONTÉ »
Cette autoroute maritime, en forme de chi­ la corne de brume sur le détroit. » MOHAMMAD BAGHERI ne tolérerons pas qu’il soit difficile d’exporter En réaction, les Etats­Unis lancent en
cane, est dessinée par la péninsule de Mus­ Longtemps méconnu, Ormuz émerge sur la chef d’état-major iranien notre pétrole par l’île de Kharg, tandis que juillet 1987 l’opération « Earnest Will »
sandam, une enclave omanaise à l’intérieur carte du fret maritime mondial durant la se­ d’autres pays continuent d’exporter le leur fa­ (« ferme volonté »). Les pétroliers koweïtiens
des Emirats arabes unis (EAU), et la baie de conde moitié du XXe siècle, en raison de trois cilement. Le golfe Persique sera accessible à sont rebaptisés et placés sous pavillon améri­
Bandar­e­Abbas, un port iranien entouré événements successifs : le début de l’exploita­ tous ou à personne. » cain. Un croiseur, un destroyer et deux fréga­
d’îles. Parmi celles­ci, Ormuz, qui a donné son tion, en 1951, de Ghawar, le plus vaste gisement Pour tenter de mettre les clients de son in­ tes de l’US Navy les accompagnent toutes les
nom au détroit. Ce territoire volcanique fut, d’or noir du globe, découvert trois ans plus tôt, dustrie pétrolière à l’abri, Téhéran aménage deux semaines, jusqu’à la sortie d’Ormuz. « Il
aux XIVe et XVe siècles, un important comp­ sur la côte est de l’Arabie saoudite ; le choc pé­ des terminaux flottants, plus au sud du s’agit de la plus importante opération d’es­
toir sur la route des Indes et la capitale d’un trolier de 1973, conséquence de la guerre Golfe, donc plus loin de la frontière ira­ corte navale depuis la fin de la seconde guerre
petit royaume, rayonnant sur le Golfe et la israélo­arabe du Kippour, qui multiplie le prix kienne, qui sont ravitaillés par navettes. mondiale », rappelle Pierre Razoux, directeur
côte d’Oman. du baril par trois et ébranle les économies Mais grâce à l’aide de la France, qui l’équipe de recherche à l’Institut de recherche stratégi­
Long de 45 km, le passage fait 38 km de occidentales ; et la révolution khomeyniste de en Mirage F1, le rayon d’action de l’aviation que de l’Ecole militaire, à Paris, dans La
large à l’endroit le plus resserré. Les eaux ter­ 1979, qui propulse au pouvoir à Téhéran un ré­ irakienne s’étend, ce qui lui permet de pour­ Guerre Iran­Irak (Perrin, 2013).
ritoriales iraniennes étant peu profondes, les gime islamiste prosélyte, dans un pays chiite, suivre ses raids jusqu’à l’île de Larak, en face La confrontation, inéluctable, éclate en trois
navires sont obligés de circuler dans des suscitant l’inquiétude des Etats sunnites du de Bandar­e­Abbas. Des dizaines de tankers temps : dans la nuit du 21 septembre 1987, un
chenaux très étroits, de 2 milles nautiques Golfe, notamment l’Irak, qui entre en guerre sont coulés ou irrémédiablement endom­ hélicoptère américain surprend le navire Iran­
(3,7 km), passant entre les îlots omanais de contre son voisin l’année suivante. magés. En mai 1987, des missiles irakiens Ajr en flagrant délit de pose de mines sur les
Quoin et Ras Dobbah. Un espace interdit à la Ormuz devient cinq ans plus tard un mot touchent même une frégate américaine, très voies commerciales. La scène est filmée à la
navigation d’une distance équivalente familier dans les bulletins d’information probablement par erreur, tuant 37 marins. caméra infrarouge. Les soldats américains
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 géopolitique | 15

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au large de la frontière irako­iranienne, sont « Les sabotages de tankers en mer d’Oman,
arrêtés par les gardiens de la révolution, au en mai et juin, obéissent à la même logique,
motif qu’ils se trouvent dans les eaux de leur estime l’historien Pierre Razoux. Il n’y a pas
pays. Ils sont libérés deux semaines plus tard. eu de morts, les dégâts matériels sont limités.
En juillet 2010, une vedette suicide endom­ Les Iraniens se contentent de signaler que si les
mage un tanker japonais, une opération attri­ sanctions américaines les empêchent d’expor­
buée aux Brigades Abdallah Azzam, un groupe ter leur pétrole, c’est tout le trafic dans la
affilié à Al­Qaida. En janvier 2016, les pasda­ région qui souffrira avec eux. »
rans interceptent deux bateaux américains Téhéran sait qu’il n’a pas les moyens de
qui s’étaient égarés dans les eaux iraniennes verrouiller Ormuz. La disproportion des for­
et retiennent leurs dix marins pendant quel­ ces est encore plus nette que dans les an­
ques heures. Les images des militaires, age­ nées 1980. Les Etats­Unis ont ouvert,
nouillés, les mains sur la tête, tournent en en 1995, une base navale permanente, à
boucle dans les médias iraniens et américains. Bahreïn, où stationne leur Ve flotte, et démé­
En mai 2018, la décision de la Maison Blan­ nagé le quartier général de leur commande­
che de se retirer de l’accord sur le nucléaire ira­ ment central au Qatar, au début des an­
nien, signé trois ans plus tôt, renvoie Ormuz, nées 2000. L’armée française s’est installée à
vieille connaissance occidentale, au premier Abou Dhabi en 2009. La Royal Navy britanni­
Photos prises sur l’île plan de l’actualité. A la politique de « pression que est présente à Oman et à Bahreïn. Ces
d’Ormuz, le 29 avril. maximale » mise en œuvre par Donald Trump marines effectuent des exercices conjoints
D’une superficie de 42 km2, pour l’obliger à accepter un accord plus con­ de déminage du détroit tous les deux ans,
la petite île, qui a donné traignant, l’Iran répond par de nouvelles me­ pour la dernière fois en mai 2019, et demeu­
son nom au détroit, est naces de fermeture du corridor maritime. « Si rent convaincues qu’un minage d’Ormuz
située à l’entrée de celui­ci, notre pétrole ne peut pas passer par ce détroit, n’est pas à l’ordre du jour.
entre le golfe Persique sans doute le pétrole des autres pays n’y
et la mer d’Oman. Ses plages passera pas non plus », clame, en mai 2019, le FACE À L’ARMADA AMÉRICAINE ET À RIYAD
attirent des touristes venus général Mohammad Bagheri, le chef d’état­ A supposer que l’Iran parvienne à damer le
du continent. major iranien. Le remake de la déclaration de pion à toutes ces marines et à paralyser
PHOTOS : ATTA KENARE/AFP Rafsandjani, trente­cinq ans plus tard. Ormuz pendant quelques jours, cela ne suffi­
Entre ces deux dates, la planète pétrole a rait pas à créer une pénurie dommageable
Ci­dessous, au centre : changé, et Ormuz aussi. Grâce à l’huile de sur le plan financier. La plupart des pays dis­
Le chantier d’un futur schiste, les Américains sont devenus les posent en effet de réserves stratégiques de
complexe hôtelier. premiers producteurs mondiaux d’or noir, pétrole pour affronter ce genre de situation.
Ci­dessous, à droite, devant les Saoudiens et les Russes. En 2019, Face à l’armada américaine, et à Riyad, qui
des touristes étrangers les Etats­Unis n’importent plus que 16 % de s’est doté de la première force maritime régu­
en visite sur l’île. leur pétrole du Proche­Orient – contre 26 % lière de la région, Téhéran ne peut miser que
PHOTOS : MORTEZA NIKOUBAZL/SIPA six ans plus tôt. sur ses capacités de nuisance et de dissua­
Les plus gros acheteurs de pétrole sont sion, testées durant la guerre des tankers.
désormais asiatiques. Selon l’Agence d’infor­ La marine iranienne s’est bien équipée de
mation sur l’énergie du ministère de l’énergie « sous­marins de poche » auprès de la Russie et
américain (EIA), 76 % des exportations de de la Corée du Nord. Mais elle n’a pas cherché à
brut ayant transité par Ormuz en 2018 étaient acquérir de bâtiments de surface de gros ton­
destinées à l’Inde et aux puissances extrême­ nage. La fierté des gardiens et du régime reste
orientales, surtout la Chine, le Japon et la leur flotte de vedettes rapides, équipées pour
Corée du Sud. Intimement lié à l’essor indus­ certaines de missiles, et pour d’autres d’une
triel des grands pays occidentaux dans la se­ simple mine prête à glisser sur son rail. Les
conde moitié du XXe siècle, le détroit est de­ jeunes gardiens embarqués sur ces coquilles
venu l’auxiliaire de la modernisation de l’Asie. de noix s’entraînent sur des simulateurs à se
Autre constat : malgré les attaques de tan­ lancer à l’assaut de bâtiments américains.
kers au mois de juin, la destruction d’un « Nous n’avons pas les moyens de la marine
drone américain par un missile iranien et américaine, c’est évident. Mais, en cas de conflit,
les imprécations de Téhéran, le cours du ba­ il est certain que nous coulerons quelques­uns
ril n’a pas flambé. La guerre commerciale de ses navires, et peut­être un porte­avions »,
entre Donald Trump et son homologue chi­ veut croire un responsable iranien.
nois, Xi Jinping, suscite tellement plus d’in­ C’était l’objectif d’un exercice militaire ira­
quiétude qu’elle a relégué au second plan nien très médiatisé, en 2015, durant lequel les
sur les marchés pétroliers le « vieux » risque gardiens avaient fait exploser une maquette
géopolitique d’Ormuz. flottante de l’USS Nimitz, mastodonte des
mers. A Téhéran, on garde aussi en tête un
ALTERNATIVES AU PASSAGE PAR ORMUZ autre exercice militaire, américain celui­ci,
Le détroit compte d’ailleurs quelques concur­ organisé dans les eaux du Golfe en 2002 : une
rents, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. puissance armée « à l’iranienne » avait ficti­
Soucieux de garantir l’écoulement de leur vement « détruit » 16 bâtiments américains,
production en toutes circonstances, les Etats dont un porte­avions.
du Golfe se sont offert des alternatives au Dans son bras de fer asymétrique avec les
passage par Ormuz. Le pipeline Est­Ouest, qui Etats­Unis et leurs alliés, l’Iran s’appuie aussi
traverse l’Arabie saoudite pour déboucher au sur l’effet dissuasif de son arsenal balistique.
port de Yanbu sur la mer Rouge, a une capa­ Par temps clair, depuis les gratte­ciel d’Abou
cité de 5 millions de barils par jour. Les EAU Dhabi, la vue porte sur la petite île d’Abou
disposent d’un oléoduc qui mène à Foujeyra, Moussa, équipée par Téhéran de batteries de
dans le golfe d’Oman, d’une capacité de missiles capables de frapper toute la côte des
1,5 million de barils. Enfin, l’Irak possède une Emirats. Parmi les cibles probables en cas de
voie vers le nord, à travers le Kurdistan ira­ conflit : des usines de dessalement, des aéro­
kien vers le port turc de Ceyhan, d’une capa­ ports, des installations pétrolières et gaziè­
cité théorique de 1,4 million de barils par jour. res. De quoi mettre ces micro­monarchies à
L’Iran, lui, cherche à développer, malgré les genoux en quelques frappes.
sanctions américaines, son port de Chabahar, Pour l’heure, la stratégie de Téhéran est da­
donnent ensuite l’assaut au bateau – une opé­ qu’il a confondu avec un avion de chasse ouvert à l’océan Indien, et à le relier à Bandar­ vantage économique que militaire. « Créer
ration qui coûte la vie à cinq marins iraniens – hostile. Le tir provoque la mort des 290 passa­ e­Abbas par un pipeline. des troubles dans le détroit, avec des mines par
avant de l’envoyer par le fond. gers, dont 66 enfants, qui se rendaient au Mais ces réseaux de contournement ne exemple, ou faire peur aux transporteurs, ça
Téhéran crie aussitôt à l’agression. Depuis le pèlerinage de La Mecque. Huit ans plus tard, sont pas aussi efficaces qu’espéré. Une grosse fait monter le prix des assurances, et donc, in
podium de l’Assemblée générale des Nations les Etats­Unis se résolvent à verser 132 millions partie du pétrole qui circule dans l’oléoduc fine, le prix du baril », expose un bon connais­
unies, où il est le premier dirigeant iranien à se de dollars (117 millions d’euros) de dommages saoudien est en fait destiné aux raffineries seur du marché pétrolier. Exsangue du fait
rendre depuis la révolution, Ali Khamenei, au gouvernement iranien, dont 62 millions de situées dans l’ouest du royaume. Le mauvais des sanctions américaines, qui entravent ses
alors président, soutient que l’Iran­Ajr était un « NOUS N’AVONS dollars destinés aux familles des victimes, état du pipeline irakien ne permet pas d’ex­ exportations d’hydrocarbures, l’Iran a besoin
navire commercial. Mais, dans ses Mémoires, PAS LES MOYENS mais refusent de présenter leurs excuses. porter plus de la moitié du volume promis. A de vendre le peu de barils qu’il arrive encore à
son successeur Akbar Hachémi Rafsandjani Téhéran considère encore à ce jour ce tir l’heure actuelle, les monarchies du Golfe écouler au prix le plus élevé possible.
confesse la faute du régime. « Notre navire DE LA MARINE comme volontaire. n’exportent qu’environ 3,2 millions de barils L’impact sur les coûts de transport est déjà
commercial emportait deux mines à destina­ En tout, entre 1984 et 1988, plus de 500 vais­ par jour par oléoduc. Si toutes ces voies ter­ sensible. Selon l’agence Bloomberg, les
tion de Bushehr, écrit­il. Nous étions convenus AMÉRICAINE, MAIS, seaux ont été détruits et endommagés, pour restres fonctionnaient à plein régime, le total primes de risque dans le Golfe peuvent
de rejeter l’accusation [américaine] (…) et de ne la grande majorité du fait de tirs irakiens. Le pourrait passer à 7 millions ou 8 millions. Ce maintenant s’élever à 500 000 dollars,
rien dire sur l’existence de ces deux mines. »
EN CAS DE CONFLIT, trafic n’a jamais cessé à travers le détroit, les qui laisserait tout de même plus de 12 mil­ contre 50 000 dollars en début d’année.
Le deuxième affrontement intervient le IL EST CERTAIN QUE Iraniens n’ayant pas voulu prendre le risque lions de barils sans autre option qu’Ormuz. Cette hausse ne se reflète que timidement
19 octobre 1987, peu après qu’un missile anti­ de le fermer complètement et n’ayant de Ces oléoducs ne sont d’ailleurs pas sans ris­ dans les cours actuels, elle ne représente pas
navire a percuté un supertanker récemment NOUS COULERONS toute façon pas les moyens de le faire dura­ que : le pipeline irakien a été attaqué à plu­ plus de 25 cents par baril. Mais, si la tendance
passé sous la bannière étoilée, blessant griève­ blement. Davantage que les dommages sieurs reprises et, en mai, des drones s’en s’accentue, l’effet se fera sentir. Pour les Ira­
ment le commandant et plusieurs officiers, QUELQUES­UNS causés à son industrie pétrolière, c’est la sont pris à la route Est­Ouest, endomma­ niens, cette stratégie haussière est aussi une
tous américains. En représailles, des des­ DE SES NAVIRES, baisse du dollar et du prix du baril qui a mis geant deux stations de pompage. Au même manière de mettre les Américains sous pres­
troyers pilonnent deux plates­formes offs­ l’économie de l’Iran à terre. L’opération moment, quatre navires au mouillage à Fou­ sion : les premiers à souffrir d’un pétrole
hore qui servaient de repaire aux pasdarans, à ET PEUT­ÊTRE « Praying Mantis » a aussi accéléré la fin du jeyra étaient la cible de mystérieux sabota­ cher seraient les Asiatiques et les Européens,
proximité du terminal de Lavan. La troisième conflit, survenue le 20 août 1988, en convain­ ges. L’auteur de ces attaques n’a pas été for­ qui seraient alors incités à se retourner con­
confrontation, une bataille aéronavale de UN PORTE­AVIONS » quant l’ayatollah Khomeyni (guide de la révo­ mellement identifié. Mais celles­ci s’apparen­ tre la politique de Donald Trump, espèrent
grande ampleur, baptisée « Praying Mantis » UN RESPONSABLE lution de 1979 à 1989) qu’il ne pouvait pas tent aux provocations soigneusement calcu­ les dirigeants de Téhéran.
(« mante religieuse »), survient en avril 1988, IRANIEN mener deux guerres en même temps. lées dont l’Iran a fait sa spécialité, à l’image de A ses capitaines qui croisent dans la zone,
après l’explosion d’une mine au passage d’un la destruction du drone américain, le 20 juin, l’un des acteurs majeurs du secteur donne la
navire américain. En réaction, l’US Navy DES CENTAINES DE MINES revendiquée, elle, par Téhéran. consigne suivante : « Elever sa vitesse lors du
anéantit deux frégates iraniennes et des bases Le Golfe retrouve alors son calme, mais des in­ L’appareil d’observation a été abattu de passage dans le chenal iranien afin d’effacer le
des pasdarans situées dans les champs pétro­ cidents se produisent à intervalles réguliers, nuit, à haute altitude, alors qu’il évoluait sur détroit le plus rapidement possible tout en
liers de Sirri et Sassan. signe que la tension couve. En 1991, pour éviter un parcours régulier et éminemment prévi­ assurant une veille visuelle et radar très atten­
Trois mois plus tard, le 3 juillet 1988, c’est que la coalition internationale venue libérer le sible. Téhéran soutient que l’appareil avait tive. Et, une fois le détroit passé, naviguer en
l’épilogue tragique de la guerre des tankers : Koweït n’envahisse son territoire par la mer, pénétré dans son espace aérien. Les autorités priorité au large des côtes des Emirats arabes
un croiseur américain, l’USS Vincennes, qui l’Irak mouille des centaines de mines. L’opéra­ iraniennes ont aussi pris soin de souligner unis et d’Oman, de façon à laisser les côtes ira­
pourchassait, au mépris des consignes de sa tion de nettoyage par des dragueurs alle­ qu’un avion de reconnaissance américain niennes le plus loin possible. » 
hiérarchie, des vedettes de pasdarans dans les mands, italiens, français, belges et néerlandais qui volait à proximité, avec 35 personnes à benjamin barthe, ghazal golshiri
eaux iraniennes, ouvre le feu sur un Airbus durera plusieurs mois. En mars 2007, des ma­ bord, a été épargné, afin de ne pas provoquer et louis imbert (à paris),
d’Iran Air, reliant Bandar­e­Abbas à Dubaï, rins britanniques occupés à fouiller un boutre, de pertes irréparables. avec philippe jacqué et nabil wakim
0123
16 | géopolitique DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Manama
BAHREÏN Quartier général
de la Ve flotte
américaine
Ormuz, verrou stratégique
Face aux crispations entre l’Iran et l’Occident dans
ce corridor, les Etats du golfe Persique ont cherché
QATAR
Quartier général des alternatives de contournement pour assurer
de l’armée américaine
au Proche-Orient l’écoulement de leur production de pétrole et de gaz
Doha

Golfe
Arabo-Persique POINT DE PASSAGE ÉTROIT
ET VULNÉRABLE
Ile Forour Axe du commerce maritime mondial
Dispositif de séparation du trafic, contraignant
la navigation dans des chenaux à sens
unique de 2 milles nautiques (3,7 km)
IRAN
Ile Sirri Limite du plateau continental définie
par un accord bilatéral
Al-Rouwaïs Petite Tomb Limite d’équidistance des côtes
Bandar-e-Abbas
Ile Qechm Iles disputées entre l’Iran
Grande Tomb
Abou Moussa et les Emirats arabes unis
Ile Hengam Ile d’Ormuz Incidents contre des pétroliers
Ile de Larak depuis mai 2019
Voir coupe
ci-dessous
Détroit (91 km)
d’Ormuz
Abou Dhabi Ile Quoin ENJEU PÉTROLIER
Habchan Gisement d’hydrocarbures
OMAN
Dubaï Terminal pétrolier
Ras Al-Khaïma Péninsule
de Musandam
21 dechaque
barils de pétrole transitaient
jour, en moyenne,
millions par le détroit d’Ormuz
en 2018.

1/3 du commerce maritime


mondial de pétrole transite
ÉMIRATS ARABES UNIS par le détroit
Foujeyra Juin 2019

ZONE SURMILITARISÉE
Mai 2019 Base permanente ou présence militaire régulière :
américaine
OMAN française
britannique
iranienne

Méditerranée Golfe
d’Oman
SYRIE
as 60 mètres JORDANIE
Juillet 2019

Navires de commerce faisant route ( )


ÉGYPTE ou au mouillage ( ), mercredi 10 juillet,
IRAK LIGNE DE FRACTURE à 15 h 30 (Marinetraffic.com).
ARABIE XX Pays à majorité chiite
Yanbou SAOUDITE Forte minorité chiite
Al-Bahr
Pays membres du Conseil
Oléoduc Est- KOWEÏT de coopération du Golfe
SOUDAN (pétromonarchies sunnites sous
Ouest
protection américaine)
Mer
Rouge Gazoduc
Abqaïq-Yanbou
Riyad Abqaïq IRAN CONTOURNER ORMUZ ?
ÉRYTHRÉE
Oléoducs et gazoducs dont
QATAR
BAHREÏN la vocation est d’offrir N
une alternative au détroit.
3 millions de barils y transitent 25 km
Oléoduc Bandar-e-Abbas chaque jour, contre 21 millions de
Habchan
d’Abou Dhabi barils en moyenne par le détroit
E.A.U Cartographie :
Foujeyra Contournement d’Ormuz, Flavie Holzinger
YÉMEN et Véronique Malécot
en millions de barils par jour
Oléoduc Est- Sources : Marine Traffic ;
OMAN Ouest 2,1 D. Ortolland, Atlas géopolitique
des espaces maritimes ; EIA ;
Golfe d’Aden Oléoduc d’Abou Dhabi 0,6 M. Izady, Gulf/2000 Project -
Columbia University ; Energy
Gazoduc Abqaiq-Yanku 0,3 intelligence ; Le Monde
250 km

LE DÉTROIT D’ORMUZ : UN PASSAGE PEU PROFOND Frontière


maritime
OMAN IRAN
Presqu’île Ile Tawakkul Ile Quoin Dispositif
50 m
de Musandam de séparation Région de
du trafic du détroit Bandar-e-Abbas
0
Eaux Eaux territoriales omanaises Eaux territoriales iraniennes
intérieures
– 50 m omanaises Chenal Chenal
de sortie d’entrée
50 m
80 m 75 m de profondeur
– 100 m
de profondeur

– 150 m 15 km 30 km 45 km 60 km 75 km 90 km
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 géopolitique | 17

La montée des
Clément tensions avec
Washington place
le débat en Iran
Therme sur le seul terrain
de la sécurité
« La crise et de la loyauté.
Outre qu’elle
irano­ conduit Téhéran
à relancer ses
américaine activités
nucléaires,
renforce la politique
américaine
les “durs” affaiblit
le processus de
à Téhéran » démocratisation
du pays, estime
ce spécialiste
du Moyen­Orient

ENTRETIEN Téhéran, s’accompagne désormais d’une


capacité de redistribution amoindrie de l’Etat
de l’idéologie khomeyniste à l’intérieur des
frontières iraniennes. Ses principes, l’isla­
Pour l’Iran, il y a deux choix possibles : négo­
cier directement avec le président Trump
iranien à ses clients, en raison de la chute des misme d’Etat, l’idéologisation de la religion afin de trouver une solution aux problèmes

C
lément Therme est chercheur exportations pétrolières. Ces dernières sont chiite et la tutelle du juriste théologien, économiques du pays, ou bien se tourner
pour le programme Moyen­ tombées à moins de 500 000 barils par jour demeurent surtout prégnants parmi les vers la Chine, l’Inde et la Russie. Mais ces
Orient de l’International Insti­ au mois de juin, sous l’effet des sanctions obligés du système. choix mènent l’un comme l’autre à des im­
tute for Strategic Studies (IISS) américaines. passes : des négociations publiques avec les
de Londres. Ce fin connais­ « Coca Shahnameh » Comment cette crise influence­t­elle Etats­Unis demeurent impossibles pour le
seur de l’Iran rejoindra le pro­ Au­delà de la reprise de l’enrichissement (collage numérique sur toile, les rivalités internes dans l’appareil Guide suprême, Ali Khamenei, et les bénéfi­
gramme Nuclear Knowledges de Sciences d’uranium, quels leviers la République 2019) de Rabee Baghshani. d’Etat iranien ? ces économiques à attendre d’un rapproche­
Po en septembre comme chercheur post­ islamique peut­elle enclencher pour RABEE BAGHSHANI, COURTESY A l’intérieur de l’Etat, les divisions entre fac­ ment avec les économies russe, chinoise et
doctorant. réagir aux pressions ? GALERIE EMERGEAST tions apparaissent à la fois comme une force indienne sont limités. La politique étrangère
Sur le plan diplomatique, pour contourner et comme une faiblesse. Depuis la fin de la de la République islamique est bloquée. La
Comment expliquer la stratégie suivie par les sanctions, l’Iran entend diviser la com­ Rabee Baghshani guerre froide, elles canalisent les méconten­ surenchère nucléaire et les menaces sécuri­
Téhéran depuis le retour des sanctions munauté internationale en jouant la carte Née en 1982, en Iran, la jeune tements à l’intérieur du pays, en organisant taires contre la puissance militaire améri­
américaines et le retrait de Washington asiatique. Il renforce ses relations avec la femme réside et travaille une alternative entre « modérés » et « conser­ caine dans le voisinage de l’Iran sont les deux
de l’accord nucléaire en mai 2018 ? Chine mais aussi avec la Russie, qui est à Mechhed, deuxième plus vateurs ». Cette division apparaît de plus en seules options qui restent à sa portée.
La République islamique entend mettre en intégrée dans cette stratégie orientale de la grande ville iranienne, dans plus artificielle pour les questions de politi­
œuvre une double stratégie fondée sur la dis­ République islamique. Au niveau régional, le nord-est du pays. que intérieure, en raison de l’incapacité des Aucune des parties ne semble souhaiter
suasion et le contournement des sanctions. Téhéran s’efforce également d’empêcher le Utilisant des techniques premiers à réformer. Il n’en reste pas moins une escalade. Pourtant, celle­ci paraît
Pour dissuader le président Trump de pour­ projet de l’administration Trump de consti­ numériques, Rabee que, sur le plan de la stratégie internationale, inéluctable. La médiation française que le
suivre l’escalade guerrière voulue, planifiée tuer un front anti­iranien dans le golfe Baghshani jouit d’une il existe de véritables différences de méthode. président Emmanuel Macron veut mettre
et peut­être même rêvée par certains mem­ Persique. Pour ce faire, Téhéran s’appuie sur renommée récente. Ses Les modérés souhaitent donner la priorité à en place a­t­elle une chance de réussir ?
bres de son entourage politique comme le le sultanat d’Oman, le Koweït et le Qatar, qui œuvres sont créées grâce la survie de la République islamique, en insis­ Le scénario de l’escalade militaire condui­
conseiller à la sécurité nationale John Bolton ont des positions plus équilibrées par rap­ à la juxtaposition et tant sur le développement économique. Face rait à l’effacement rapide de la diplomatie
ou le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, Téhéran port à leur voisin iranien. au détournement des codes à eux, les plus conservateurs préfèrent défen­ européenne, qui ne parvient pas à s’affran­
essaie de démontrer le caractère contre­pro­ Depuis le mois de mai 2019 et l’accroisse­ persans et occidentaux dre la dimension révolutionnaire de la politi­ chir de son alignement stratégique avec les
ductif de la politique de « pression maxi­ ment des tensions militaires irano­américai­ pour composer des images que internationale du pays inspirée par Etats­Unis. Bruxelles a investi son capital di­
male » de Washington, en reprenant ses acti­ nes, les Emirats arabes unis ont également satiriques. Elle fait référence Khomeyni, et ce à n’importe quel prix écono­ plomatique dans le processus de négocia­
vités nucléaires volontairement suspendues changé leur stratégie vis­à­vis de Téhéran : aux figures traditionnelles mique avec pour repères le rejet de l’existence tion sur le nucléaire, mais c’est bien sous
après l’accord international de 2015. De plus, Abou Dhabi craint désormais plus la menace des enluminures, qu’elle place d’Israël et la volonté de renverser la dynastie l’impulsion diplomatique de l’administra­
Téhéran menace Donald Trump d’une guerre d’une guerre ouverte irano­américaine que dans un contexte occidental au pouvoir en Arabie saoudite. tion Obama que les négociations ont pu
régionale s’il décide de recourir à l’option mi­ les réseaux d’influence de l’Iran au Moyen­ inattendu et déroutant. Le problème pour la population est que le aboutir, d’abord à Genève en 2013, puis à
litaire contre la République islamique. Orient. Ces pays vont jouer un rôle de modé­ La première exposition régime présente comme un jeu à somme Vienne en 2015. Le retour des Etats­Unis à
Vu de Téhéran, les préoccupations de politi­ rateur auprès de l’administration Trump afin personnelle consacrée nulle l’alternative entre un Etat garant de la une diplomatie iranienne plus idéologique
que intérieure américaine finiront par l’em­ d’éviter une déstabilisation régionale. Ils à l’artiste s’est déroulée sécurité d’une part, et le développement éco­ et visant au moins implicitement au change­
porter, dans la stratégie de Washington, jus­ sont proches des positions de la France et du à la galerie Farzad, nomique du pays d’autre part. L’opinion pu­ ment de régime montre les limites de
qu’à l’élection présidentielle prévue en 2020. Japon, qui travaillent aussi à une désescalade. à Mechhed, en 2015. Son blique souhaite majoritairement un gouver­ Bruxelles en tant qu’acteur diplomatique si­
Selon cette vision, M. Trump ne peut pas se L’Iran peut aussi riposter en utilisant ses travail a aussi été montré nement capable de poursuivre les deux ob­ non indépendant, du moins autonome, sur
permettre une guerre ouverte avec l’Iran. réseaux d’influence au Moyen­Orient, même à Dubaï, en 2016 et 2017. jectifs de concert et non un gouvernement la scène internationale.
Néanmoins, malgré le caractère erratique des s’ils ne constituent pas l’ensemble homo­ qui pourrait les conduire à un effondrement La médiation diplomatique française ini­
décisions du président Trump, il n’en reste gène souvent comparé de manière caricatu­ économique pour des motifs sécuritaires. tiée par le président Macron et mise en
pas moins que la guerre économique menée rale à un « Hezbollah régional ». Dans un Mais de fait, la crise irano­américaine ren­ œuvre par Emmanuel Bonne en visite à
par les Etats­Unis constitue un nouveau défi contexte de guerre économique américaine force les « durs » à Téhéran. En effet, le choix Téhéran pour la deuxième fois, mercredi
pour la stabilité politique intérieure de l’Iran. contre l’Iran, ces réseaux ont une double ne s’impose plus aujourd’hui entre défen­ 10 juillet, s’inscrit dans la tradition diploma­
Le risque d’un effondrement économique est fonction : contourner les sanctions économi­ seurs et opposants de la République islami­ tique française de tendance gaullo­mit­
réel – une récession d’au moins 6 % est an­ ques américaines et servir de leviers pour que, mais entre « loyaux » à l’Iran ou « ven­ terrandienne. Jacques Chirac, entre 2003 et
noncée pour 2019 – ; la perte de légitimité po­ dissuader les Etats­Unis de lancer une action dus » à l’administration Trump. La politique 2005, avait proposé une action diplomatique
pulaire des institutions de la théocratie, qui militaire contre l’Iran. de changement de régime voulue par pour trouver une solution politique à la crise
est apparue dans l’espace public à partir de Au­delà de cette dimension défensive, ils Washington affaiblit donc le processus de du nucléaire iranien. Celle­ci avait échoué
1999, date des manifestations étudiantes de ont également la fonction de diffuser l’idéo­ démocratisation du pays, à l’intérieur des faute de soutien américain et en raison de
logie de la révolution islamique. Depuis l’in­ frontières iraniennes. l’élection de Mahmoud Ahmadinejad à la
vasion américaine de l’Irak en 2003 et les présidence de la République islamique,
« printemps arabes » de 2011, qui ont con­ Dans quelle mesure l’Iran peut­il compter en 2005. Pour réussir, l’initiative diplomati­
duit à un affaiblissement de certains Etats sur le soutien de la Russie et de la Chine que française doit obtenir des concessions
dans le monde arabe, la République islami­ dans la crise actuelle ? diplomatiques américaines et conjurer le
que a pu construire un réseau d’influence Face à l’escalade américaine, Téhéran fait spectre de l’élection d’un président ultracon­
dont la dimension idéologique est structu­ l’expérience des limites de l’action euro­ servateur en Iran en 2021. En effet, l’évolution
rante. L’un des paradoxes de cette influence péenne, notamment dans la sphère écono­ du rapport de force au sein des élites politico­
idéologique à l’extérieur des frontières ira­ mique, comme on le voit avec l’échec du mé­ religieuses à Téhéran ne plaide pas en faveur
niennes, au Pakistan, en Afghanistan, en canisme de troc Instex [l’acronyme anglais de la recherche d’un compromis avec une
Irak et au Liban par exemple, est qu’elle ap­ pour « instrument de soutien aux échanges puissance occidentale. 
IISS paraît aujourd’hui plus forte que l’emprise commerciaux »], qui est une coquille vide. propos recueillis par allan kaval
CULTURE
0123
18 | DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

« A Picturesque
Voyage Through
Brazil #37 » (2015),
de Cassio
Vasconcellos.
GALERIA NARA ROESLER, SÃO
PAULO/CÁSSIO VASCONCELLOS

« Rien n’est plus beau


qu’une forêt primaire »
Entretien avec le botaniste Francis Il y a un coupable : les Grecs an­ Parmi les découvertes figure qualités des arbres et nous don­ ce soit parfois le cas en Amazo­
ciens, Aristote, Platon et les aussi la longévité des arbres. Nous nent une leçon de vie. D’abord, ils nie –, on détruit leur lieu de vie.
Hallé, dont les carnets sont exposés autres… Ils ont établi une hiérar­ en sommes parvenus à l’idée qu’il sont d’une grande discrétion. En­
chie entre les formes de vie, avec existe des arbres potentiellement suite, ils sont d’une totale non­ Les forêts survivront­elles
dans l’exposition « Nous les arbres », l’homme au sommet, en dessous immortels. Cette faculté est liée violence, à la différence de l’être aux hommes ?
les animaux, en dessous encore au fait que les arbres sont des humain. Au sein de la colonie, ils Les forêts primaires, celles qui
à la Fondation Cartiere les plantes et en bas les pierres. êtres collectifs formant une colo­ veillent les uns sur les autres. n’ont pas été dénaturées par
Comme les plantes ne bougent nie, et qu’une colonie peut être l’homme, sûrement pas. Il n’en
pas, ne font pas de bruit, ils en ont immortelle même si ses indivi­ Si les arbres ne nous parlent reste presque plus. En Europe, il y
déduit que c’était une forme de dus constitutifs disparaissent, pas, la déforestation massive en avait une, celle de Bialowieza
ENTRETIEN cale, qui abrite des espèces par
millions, avec des interactions en­
vie sans intérêt. Cet héritage intel­
lectuel est resté très prégnant.
comme c’est aussi le cas pour les
polypes des récifs de corail.
en cours n’en dit­elle pas long
sur notre « civilisation » ?
(Pologne), magnifique, une splen­
deur. Mais le gouvernement polo­

S
pécialiste des forêts tropi­ tre toutes ces espèces. A côté, nos Je suis scandalisé. Ces gens – les nais est en train de l’exploiter. Avec
cales, initiateur du « ra­ constructions, comme nos systè­ Les connaissances sur la Peut­être aurait­il fallu coupeurs de bois, les exploitants un groupe d’amis, nous avons le
deau des cimes » et auteur mes financiers qui nous semblent biologie végétale ont pourtant commencer par cette question : forestiers,… – mettent en péril le projet de réinstaller une forêt pri­
de nombreux ouvrages, compliqués, sont assez frustes. considérablement progressé… qu’est­ce qu’un arbre ? patrimoine commun de l’huma­ maire en Europe de l’Ouest, vierge
Francis Hallé, botaniste et biolo­ Complexité, extrême ancienneté Depuis une petite vingtaine J’ai renoncé à en donner une dé­ nité, au profit d’intérêts finan­ de toute intervention humaine.
giste, participe à l’exposition aussi – les premiers grands arbres d’années, en effet, nous assis­ finition. J’en ai proposé de multi­ ciers privés. Les gouvernements, Nous souhaitons en faire une ini­
« Nous les arbres » de la Fondation sont apparus au milieu du dévo­ tons, dans le monde entier, à une ples et, chaque fois, je suis tombé sous les tropiques comme ici, sont tiative européenne, pouvant inté­
Cartier. Il défend la nécessité, nien, il y a 380 millions d’années –, avalanche de résultats passion­ sur une exception qui les mettait complices ou passifs. Cela devrait resser la Belgique, le Luxembourg,
pour l’humanité, de préserver un et surtout beauté. C’est ce qui me nants. La communication entre à bas. Certains prennent comme tomber sous le coup de la loi. l’Allemagne, la France et la Suisse.
bien collectif dont la destruction touche le plus. Rien n’est plus beau les arbres en est un exemple. Elle critère la hauteur d’une espèce vé­ La déforestation est aussi un gé­ Ce projet est peut­être utopique,
est aussi un génocide des popula­ qu’une forêt primaire : c’est se fait d’une quantité de maniè­ gétale, mais j’ai découvert, en Afri­ nocide. La forêt, ce ne sont pas mais fédérateur, car nous som­
tions autochtones. d’abord un sommet de la biodiver­ res différentes. La première à que du Sud, des arbres aux troncs seulement des arbres, c’est égale­ mes nombreux à en avoir assez
sité, mais c’est aussi le sommet de avoir été mise en évidence est et aux branches souterrains… ment la faune qui y vit et, dans la du court terme. Il est aussi trans­
Par l’intitulé même de l’expo­ l’esthétique. l’émission de molécules volatiles Nous connaissons aujourd’hui faune, il y a les êtres humains qui générationnel : ceux qui le lance­
sition, « Nous les arbres », – des parfums – en réaction à environ 100 000 espèces d’arbres, s’en considèrent eux­mêmes ront ne le verront pas fini, ni leurs
ceux­ci semblent prendre Pendant longtemps, les unstress ou à une blessure : por­ mais, chaque année, une centaine comme une partie. Les Indiens enfants ni leurs petits­enfants. Ce
la parole. Que nous disent­ils ? scientifiques ont surtout étudié tées par le vent, ces molécules ar­ de nouvelles sont décrites. d’Amazonie ou les Pygmées Baka pourrait être une façon de récon­
Ils ne nous disent rien. A mon le règne animal, alors même rivent sur les autres arbres de la Je préfère mettre en avant des d’Afrique sont bel et bien victimes cilier l’homme avec la forêt. 
sens, l’essentiel est leur totale al­ que les végétaux représentent même espèce et les avertissent caractéristiques qui, à mes yeux, d’un génocide. Même si on ne les propos recueillis par
térité par rapport à l’être humain. 99 % de la biomasse. Pourquoi ? d’un danger. comptent parmi les plus grandes tue pas directement – encore que pierre le hir
On ne peut imaginer deux êtres
vivants plus différents qu’un
homme et un arbre. L’un bouge,
l’autre pas, l’un parle, l’autre pas,
Artistes, scientifiques et citoyens réunis pour une exposition politique et actuelle
l’un absorbe de l’énergie par sa
surface interne, l’autre par sa sur­ « nous les arbres » n’est pas une expo­ d’artistes actuels et de populations ama­ actuel. Or, que peint­il ? Des composi­ ou à peine suggérée. C’est plutôt de pan­
face externe… L’arbre fonctionne sition d’histoire de l’art sur la représenta­ zoniennes. Or, il apparaît aussitôt que tions de grand format où le quadrillage théisme tendre qu’il s’agit. Franca Stagi et
à l’inverse de l’être humain. Je suis tion des arbres dans les arts, depuis le tous ont les mêmes émotions, les mêmes de l’architecture, des grillages, des barriè­ Cesare Lombardi ont ainsi, des décennies
très attaché à cette altérité. Moyen Age ou Dürer jusqu’à nos jours. angoisses. Que rappellent les dessins au res, des tuyauteries, est combattu par les durant, photographié des arbres et trans­
C’est une manifestation politique et ac­ feutre envoyés par des Indiens Yano­ sinuosités enlacées des lianes, des fleurs posé leurs clichés à l’encre de Chine sur
A vous qui leur avez consacré tuelle où l’arbre est considéré de deux mami pour l’exposition ? Moins la splen­ ou des palmes. La langue des lignes est calque avec une minutie amoureuse.
votre vie, qu’ont­ils appris ? manières, aussi clairement affirmées deur de la flore que ce constat : abattre la sans équivoque : le végétal souple et l’in­ Non moins épris de leur chêne ou de leur
Les arbres, les plantes en général, l’une que l’autre. Il y est dessiné, photo­ forêt condamne les espèces animales qui dustriel dur s’affrontent. platane sont ceux et celles que Claudine
ont de plus en plus de place dans graphié, caressé, ausculté et étudié en vivent, et donc l’écosystème tout en­ Parce qu’ils l’éprouvent quotidienne­ Nougaret et Raymond Depardon filment
ma vie. Je suis maintenant profon­ comme un organisme vivant complexe. tier, humains compris. ment, les artistes brésiliens sont les plus et interrogent dans Mon arbre, réalisé
dément convaincu de la très Simultanément, tout arbre devient le convaincants de l’exposition. Ainsi en pour l’exposition.
grande nécessité, pour l’huma­ symbole universel de la destruction de la Une minutie amoureuse est­il du mur où Afonso Tostes accroche Fabrice Hybert, dans ses grands sché­
nité, de les conserver. Sans les ar­ nature vierge. Il est le martyr de la mo­ De même, les Guarani du Paraguay tien­ les dizaines d’outils qu’il a fabriqués. mas rehaussés de couleur, célèbre la
bres, qui absorbent du gaz carbo­ dernité industrielle et du progrès. nent­ils en noir et blanc la chronique de Ainsi en est­il aussi de Cassio Vasconcel­ croissance des végétaux, êtres vivants et
nique, rejettent de l’oxygène et pu­ Le cas de l’Amazonie vient au premier l’avancée des bulldozers. Leurs œuvres los, qui reprend les vues de jungle gravées actifs. Dans le jardin de la fondation, Hy­
rifient l’atmosphère, nous ne plan, aggravé par le comportement de inscrivent leur peur et leur colère dans par le comte de Clarac, dans les années bert a dressé, au centre d’un cercle de dal­
pourrions pas respirer. Ce n’est l’actuel gouvernement brésilien. Mais, un style particulier, géométrique, syn­ 1820, pour en exaspérer la densité de la les, une sculpture en forme d’arbre dont
qu’un exemple des services vitaux comme le rappelle la vidéo Exit de Diller thétique et sévère. Mais elles expriment végétation et la rendre plus étouffante les feuilles ont toutes les nuances de cou­
qu’ils nous rendent, et je passe sur Scofidio + Renfro, le Cameroun et Suma­ aussi le respect de leurs auteurs pour encore, en mémoire de ce qui a disparu leur de la peau humaine, belle allégorie
les ressources qu’ils nous procu­ tra sacrifient tout autant leurs forêts pri­ leurs arbres, le sentiment qu’ils sont pris depuis l’époque de Clarac. de l’harmonie et de l’unité, les racines
rent, aliments, matériaux ou maires de palmiers à huile à la pâte à pa­ dans la même communauté et qu’elle Les artistes européens sont moins tra­ dans la terre, le sommet dans le ciel. On
moyens de chauffage. Mais il y a pier ou au soja. Le dire et le redire est une doit être préservée et, avec elle, l’unité de giques et plus contemplatifs, ce qu’expli­ aimerait y croire, mais ce n’est plus guère
plus que cela. Nous avons besoin nécessité vitale. La Fondation Cartier est l’homme et de la nature. Ces œuvres in­ que peut­être le fait que les paysages occi­ possible aujourd’hui. 
de complexité et il n’y a rien de déjà plusieurs fois intervenue en ce sens. diennes sont aux murs de la salle dont le dentaux sont depuis si longtemps des philippe dagen
plus complexe qu’une forêt tropi­ L’autre principe de l’exposition est de centre est occupé par l’installation et les créations humaines que l’on ne se sou­
cale. Sur cette planète, tout est réunir des travaux de trois origines : de peintures de l’artiste brésilien Luiz Zer­ vient plus des forêts médiévales par « Nous les arbres », à la Fondation
simple comparé à une forêt tropi­ spécialistes en botanique et en écologie, bini, qui appartient, lui, au monde de l’art exemple. L’idée de menace est absente Cartier (Paris 14e), jusqu’au 10 novembre.
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 culture | 19

Au festival
de Montpellier,
on dirait le Nord
Le chef estonien Neeme Järvi et
le violoniste prodige suédois Daniel
Lozakovitch ont ouvert le bal

MUSIQUE ment du poignet, bras tendus de


chaque côté à mi­corps, comme
montpellier ­ envoyée spéciale
les ailes d’un manchot Adélie.

P
oétiquement baptisée La soirée a commencé avec des
« Soleil de nuit », la extraits de la Suite pour orchestre
35e édition du Festival op. 46, de Jean Sibelius, Pelléas et
de Radio France Occita­ Mélisande, une musique à la fois
nie Montpellier accueille cette élégiaque et sombrement ex­
année les musiques du Nord que pressive, qui emprunte à l’inspi­
berce la mer Baltique. Un pro­ ration populaire rythme de
gramme riche et éclectique, mê­ danse et simplicité mélodique.
lant jazz et musiques urbaines, Densité des sonorités de cordes,
éparpillé dans toute la métropole vents agrestes ou chantants, dans
ainsi que dans toute l’Occitanie, La Mort de Mélisande, l’orchestre
soit 153 concerts dans quelque expirera dans un souffle aussi lé­ Neeme Järvi, à la tête de l’Orchestre symphonique national d’Estonie, le 11 juillet, à Montpellier. LUC JENNEPIN
70 lieux (contre 190 en 2018 avec ger qu’un voile symboliste.
deux jours de plus au compteur).
Après l’Orient en 2016, les révo­ Complice et paternel élancée. Impossible de ne pas avec la musique. Aux petits soins Trois mouvements à l’écriture Festival de Radio France
lutions en 2017, et la « Douce C’est au violoniste suédois, le louer derechef la perfection de ce pour le jeune garçon de soixan­ enlevée, où passent les ombres Montpellier Occitanie.
France » en 2018, Jean­Pierre prodige Daniel Lozakovitch, violon apollinien, justesse in­ te­trois ans son cadet, Neeme portées de Prokofiev (le moto­ Opéra Berlioz Le Corum.
Rousseau a sans doute pensé qu’appartient le Concerto pour faillible, archet ultra­virtuose, Järvi lui mitonnera un accompa­ risme), Stravinski (dynamiques Jusqu’au 26 juillet.
qu’il était temps de tenir compte violon de Beethoven. Le jeune phrasés raffinés, de noter à nou­ gnement à la fois complice et et couleurs), et effectivement De 6 € à 49 €.
du réchauffement climatique. homme avait 16 ans et demi lors­ veau la concentration extrême paternel. Chostakovitch (expression­ Diffusion sur France Musique
C’est pourtant le charismatique que nous l’avons entendu dans le de ce musicien fin et racé. La soirée se terminera avec l’un nisme), mais aussi et plus curieu­ le 16 juillet à 20 heures.
et généreux Neeme Järvi, 82 ans même programme lors d’un con­ Si son Beethoven n’a rien perdu des dadas du grand maestro : la sement Ravel (L’Enfant et les Sor­ Prochain concert
tout juste fêtés le 7 juin (il est né cert à la Maison de la radio, à Pa­ de tout cela, il a gagné cependant musique symphonique de son tilèges), dirigés par un Neeme de Daniel Lozakovitch
en 1937 à Tallinn, en Estonie), qui ris, en décembre 2017, avec l’Or­ en décontraction, en assurance compatriote Eduard Tubin (1905­ Järvi prosélyte et passionné, au festival Les Nuits du
ouvre la soirée du 11 juillet à la chestre philharmonique de Ra­ et en prise de risques, donnant 1982), pour lui le « Chostakovitch pour qui la question « Tubin or château de la Moutte,
tête de l’Orchestre symphonique dio France sous la direction de même parfois la sensation d’un estonien », dont il a gravé l’inté­ not Tubin » n’a pas même lieu à Saint­Tropez (Var).
national d’Estonie (Eesti Riiklik Krzysztof Urbanski. En un an et petit côté improvisé dans le jeu grale, y compris cette Symphonie d’être posée.  Le 9 août à 21 heures.
Sümfooniaorkester). Une forma­ demi, nul doute qu’il a gagné en inventif et presque funambule n° 5 composée en Suède en 1944. marie­aude roux De 30 € à 60 €.
tion qu’il dirigea sous le nom maturité, sans parler des quel­ de coups d’archet variant à l’in­
d’Orchestre symphonique de la ques centimètres supplémentai­ fini les relations entre liés et dé­
radio estonienne de 1963 à 1979, res qu’accuse sa silhouette fine et tachés. Ainsi les époustouflantes
jusqu’à son émigration aux cadences des premier et troi­
Etats­Unis, avant de la retrouver sième mouvements, où il n’hé­
PYRAMIDE présente
à son retour, au début des années site pas à jouer le jeu d’un violon
1990, une fois la nouvelle Répu­
Impossible de ne empanaché.
pas louer la
UN
blique d’Estonie débarrassée du Seul le « Larghetto » central, en­
joug soviétique. core entaché d’un certain manié­
perfection de ce
Carrure de géant nordique,
l’élève du grand Evgueni Mra­ violon apollinien,
risme expressif, manque encore
de chair et de voix, ce chant ENVOÛTANT
vinski a la gestuelle sobre, la bat­
tue précise de son mentor. Là où
justesse beethovénien qui monte aux lè­
vres comme un Hymne à la joie.
BIOPIC
la plupart lèveraient ostensible­ infaillible, archet Dans le « Rondo » final, d’une lé­ TROIS COULEURS
ment la baguette pour reprendre gèreté caprine et taquine, non
ultra-virtuose,
le tempo après une respiration,
lui imprime un simple mouve­ phrasés raffinés
dénué d’humour, Lozakovitch
prouvera qu’il sait aussi jouer VITA & VIRGINIA
SAISIT L’ESPRIT
D’UNE ÉPOQUE
LIRE
Biréli Lagrène et Chris Minh Doky
DEUX FEMMES AUX
entourloupent les sons à Sète ÉMOTIONS UNIVERSELLES
Le guitariste et le contrebassiste ont joué leur album « Storyteller » CINEMA TEASER HHHH

GEMMA ARTERTON
JAZZ armada souriante de bénévoles, à
commencer par Violette, son
En scène comme à la maison, Bi­
réli, Mino et Chris captent des airs EST
sète (hérault)
épouse. Tout sent l’éducation po­ de deux airs, suscitent cent ha­ VITA SACKVILLE-WEST
F lamboyante ouverture du
festival Jazz à Sète, 24e édi­
tion, fondé et dirigé par
Louis Martinez. Professeur au
conservatoire, Louis Martinez,
pulaire et la transe.
Lors de l’interprétation du Mas,
Louis Martinez se retire de son
quartet et laisse chanter Agnès.
Contrepoint de luxe ? Stéphane
sards objectifs, sans même se
concerter. Ils entourloupent sons
et rythmes tout en se jouant, ca­
pables au moindre instant de dé­
gainer un putain de vieux tube
ELIZABETH DEBICKI
EST
guitariste de catégorie, n’aime pas
particulièrement se programmer
Belmondo au bugle. Moment poi­
gnant : générosité, expressivité,
qu’ils changent en Webern, en
Berg, en Hendricks, Django ou
VIRGINIA WOOLF
lui­même. Le 12 juillet, il prend génie de l’écoute. Derechef, un Pastorius. Capables surtout d’en
pourtant le manche de sa Gibson nouvel invité, Mino Cinelu. faire une affaire personnelle. Bi­
3­35 à deux mains. Qui s’en plain­ Mino ? Percussionniste histori­ réli Lagrène dans son rôle de Mar­
drait ? Le Collectif Orchestré, for­ que (de Miles Davis à Sting en pas­ tien aléatoire. Fantastique musi­
mation de musiques actuelles, sant par Weather Report, Peter cien jusqu’au bout.
ouvre la soirée. Ils ou elles ont Gabriel, Sarah Vaughan, Lou Ecoutez : j’imagine, je souhaite,
quinze ans. Georges Di Isernia à la Reed, tous l’ont voulu), athlète en que vous avez votre idée de la gui­
baguette. Ça chante en huit lan­ dreadlocks, finesse et justesse, tare, celle de la percussion, et
gues. Ça sonne, ça groove, ça joue poète yogi. peut­être, à la fin, l’idée de la con­
formidable ? OK… Message reçu. trebasse (c’est moins sûr). De­
Faudra changer de logiciel. Martien aléatoire mandez­vous pourquoi ce trio ne
Entre alors en scène le Louis Mino que l’on retrouve (quelle figure pas au programme de tous
Martinez Quartet (Gérard Poncin, soirée, messeigneurs !) avec Biréli les grands festivals. Biréli Lagrène,
piano, Philippe Panel, basse, Tho­ Lagrène et Chris Minh Doky (con­ on devrait finir par le savoir, a
mas Domene, drums). Deux trebasse), pour leur album Sto­ joué avec les plus grands guitaris­
chanteuses (Agnès Som, Elvira ryteller (Naïve). La différence en­ tes du siècle. Le plus libre de tous UN FILM DE CHANYA BUTTON
Skovsang), concert parfait. Sa mo­ tre un album et sa prestation, c’est les successeurs de Django, Biréli
destie dût­elle en souffrir, Louis
Martinez a le phrasé, les idées, la
ce qu’on appelle, faute de mieux,
le « jazz ». Les jeunes du Collectif
joue avec l’impossible comme
Louis Matinez joue avec sa pro­
AVEC ISABELLA ROSSELLINI
présence. Etranges, cette passion Orchestré ou Louis Martinez, sil­ grammation à Sète. Ça fuse, ça dé­
durable, ce feu communicatif, houette d’adolescent, sourire poi­ range, il y faut des partenaires
chez lui. Louis Martinez va jus­ vre et sel, n’en doutent pas. C’est exacts, Mino, Chris et Biréli. Cela ACTUELLEMENT AU CINÉMA
qu’à l’organisation, un festival, ce bien pour ça qu’ils continuent à s’appelle Jazz à Sète. 
n’est pas rien. Autour de lui, une jouer. En doutiez­vous ? francis marmande
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20 | culture DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

La succession
au CNC inquiète
les cinéastes
Pressenti, Dominique Boutonnat
est l’auteur d’un rapport controversé

F
rédérique Bredin, l’ac­ la principale mesure préconisée
tuelle présidente du Cen­ par le document rendu public en
tre national de la cinéma­ mai n’était autre qu’un appel mas­
tographie et de l’image sif à l’argent public, par la mise en
animée (CNC) termine son place d’un fonds d’investissement
deuxième mandat, dimanche en capital géré par Bpifrance.
14 juillet à minuit, sans qu’aucun Ce rapport avait été violemment
successeur soit nommé. Ni elle critiqué, tout comme celui remis
– ce qu’elle avait un temps espéré – début juin par la députée LRM Ma­
ni un autre. Mme Bredin a indiqué à rie­Ange Magne, qui proposait de
ses équipes qu’elle n’assurerait pas contrôler davantage le CNC et de
l’intérim. Et donc, pour la pre­ « plafonner l’ensemble des taxes af­
mière fois de son histoire, cette fectées au CNC » qui sont redistri­
institution créée par une loi de buées sous forme d’aides à la créa­
1946 pour réglementer, soutenir tion. Mme Bredin y était farouche­
et promouvoir le cinéma, sera con­ ment opposée. Plus de 800 profes­
frontée à une vacance du pouvoir. sionnels du cinéma ont fait savoir,
Depuis le dernier Festival de Can­ le 3 juillet dans une tribune au
nes, la liste des prétendants à la Monde, leur hostilité à ces deux
tête du CNC s’est allongée. Les rapports qui, selon eux, privilé­ matographique et de l’audiovisuel béralisation du financement des où il se fait, il rapporte beaucoup de l’intérim. Le Palais de Tokyo n’a
noms d’Isabelle Falque­Pierrotin, gient une logique commerciale au (Sofica) dont il est cofondateur ». films, est de fait partial », dit­il. Il TVA, fait travailler beaucoup de toujours pas de président depuis
ex­présidente de la CNIL (Commis­ détriment de la créativité. Ils dé­ Ils notent que dans son rapport poursuit : « Nous aurons (…) vite secteurs et de personnes », dit­il. que Jean de Loisy a pris les rênes de
sion nationale de l’informatique noncent une « idéologie mortifère M. Boutonnat préconise « de fait de saborder tout l’édifice d’aide Nommer Dominique Boutonnat l’Ecole nationale supérieure des
et des libertés), de Claudia Ferrazzi, pour la diversité du cinéma ». maintenir et améliorer le disposi­ au cinéma, basé sur la diversité des serait à ses yeux ne prendre en beaux­arts de Paris. La Villa Médi­
conseillère culture et communica­ tif des Sofica ». Ils évoquent à la films, car l’argent ira naturelle­ compte que l’industrie, pas l’art. cis fonctionne avec une direction
tion à l’Elysée, d’Olivier Courson, Proximité avec Macron fois « le clientélisme » qui sous­ ment aux projets supposés les plus « Un tel choix s’inscrirait dans la par intérim depuis bientôt un an.
ex­conseiller culture à Matignon, Dans Le Film français et dans Libé­ tendrait une telle nomination et rentables. La rentabilité ne doit pas politique globale d’Emmanuel Ma­ A l’Opéra de Paris, personne n’a
Christophe Tardieu, ancien nu­ ration jeudi 11 juillet, plus de 70 ci­ « les conflits d’intérêts » qui pour­ devenir le seul critère sauf à tuer cron, qui semble s’attaquer à tout tranché entre les trois candidats à
méro deux du CNC, et surtout de néastes veulent empêcher Domi­ raient en découler. l’art. » « Quand j’ai appris que M. ce qui marche. Ensuite il pourra la succession de Stéphane Lissner
Dominique Boutonnat étaient le nique Boutonnat de prendre la Mais certains producteurs Boutonnat, pressenti pour prendre aussi s’attaquer aux intermittents – qui pourrait du coup rester un an
plus fréquemment cités. Ce der­ tête du CNC. Ils soulignent sa s’alarment aussi. Saïd Ben Saïd la tête du CNC, avait été un grand du spectacle… », raille­t­il. de plus. Au Château de Versailles,
nier, producteur, semblait tenir la proximité avec Emmanuel Ma­ (qui finance les films d’André Té­ donateur de la campagne d’Em­ La vacance du pouvoir au CNC ne Catherine Pégard atteindra la li­
corde cette semaine, ce qui a dé­ cron et son aide pendant la cam­ chiné, de David Cronenberg et de manuel Macron, j’ai été scandalisé. constitue en rien un cas isolé. Ra­ mite d’âge de 65 ans en août mais
clenché un tollé. M. Boutonnat a pagne présidentielle, jugeant que Paul Verhoeven), est de ceux­ci : C’est la dignité de l’Etat qui est ba­ rement autant d’institutions cul­ il ne semble pas impossible qu’elle
signé un rapport à la demande du le producteur a été « récompensé « Le rapport Boutonnat m’a cho­ fouée », ajoute le producteur. turelles sont restées en panne de soit prorogée, coupant court à la
ministère de la culture et de Bercy pour ses services ». M. Boutonnat qué. On ne confie pas un rapport Un sentiment partagé par le réa­ présidents. Depuis des mois, Vin­ valse des prétendants au trône. 
sur le financement privé dans la a obtenu « l’agrément en octo­ sur la production à un producteur lisateur Xavier Beauvois. « Penser cent Monadé, dont le mandat de véronique cauhapé,
production et la distribution ciné­ bre 2018 de Ciné Axe, une société sans qu’il y ait conflit d’intérêts. qu’un film doit marcher ou pas est président du Centre national du li­ jacques mandelbaum
matographique. Paradoxalement, de financement de l’industrie ciné­ Son point de vue, qui prône une li­ complètement con. Dès l’instant vre n’a pas été renouvelé, assure et nicole vulser

Le récit d’émancipation Avec « Näss », la danse passe


de la transe à l’extase
bouleversant d’Elise Noiraud
La comédienne présente son seule­en­scène,
« Le Champ des possibles », dans le « off » d’Avignon
U ne fête arrachée au quotidien par
surprise, une folle pulsation qui n’en
finit pas de monter. Le spectacle
Näss (« les gens » en arabe), du chorégraphe
Fouad Boussouf, jette sept interprètes mas­
jours, au bord de l’épuisement. La transe
frôle l’extase. Jusqu’aux tee­shirts des inter­
prètes qui scandent le tempo en éventant les
corps en sueur !
Les danses ancestrales marocaines, qui ont
culins dans une virée tempétueuse, chauffée nourri Fouad Boussouf, né au Maroc, installé
à blanc par la musique rock tradi du fameux en France à l’âge de 7 ans, en 1984, et le hip­
groupe marocain des années 1970 Nass El hop, sa formation de base, font copain­co­
SPECTACLE priori banale – les premiers pas
d’une provinciale débarquant à
dans le giron familial chaque
week­end (même si sa fille a
Ghiwane. Le jour court vers la nuit qui voit
l’aube se lever, et ça danse encore, ça secoue
pain dans Näss. Fouad Boussouf ravive ici ses
souvenirs d’enfant grandi dans un petit vil­
avignon ­ envoyée spéciale
Paris – mais qui se transforme en prévu autre chose), qui lui dit « tu plus fort, ça ne sait plus s’arrêter. lage près de Moulay Driss, « la Mecque du

E
st­ce que tout le monde a comédie humaine universelle, où fais ce que tu veux mais réfléchis Näss, créé en 2018, programmé le 5 juin au pauvre ». Il assiste à des célébrations religieu­
pu déposer son cœur sur se mêlent névroses familiales, es­ bien, on n’est pas tout seul dans la festival June Events, piloté par l’Atelier de Pa­ ses, aux lila, ces cérémonies gnaouas qui du­
le plateau ? » A la ques­ poirs déçus, désirs enfouis, lectu­ vie », qui cache sa dépression sous ris, est à l’affiche, jusqu’au 20 juillet, des Hi­ rent parfois des semaines. Pour Näss, il a pro­
tion posée à ses élèves res (tout Simone de Beauvoir) et une fatigue constante et lui ré­ vernales d’Avignon. Avec plus de 60 dates de fité, en 2017, de deux résidences au Maroc,
par la professeure de l’atelier théâ­ rencontres déterminantes. pète « je ne crois quand même pas représentation d’ici à la fin 2019, dont 50 % à l’une à Marrakech et l’autre à Salé, durant les­
tre auquel Elise Noiraud, alors étu­ avoir été la pire des mères ». l’étranger – la production part en tournée en quelles il a travaillé avec des musiciens et in­
diante à Paris, participait, la jeune Sensibilité et subtilité Comment, dans ces conditions, Chine –, ce sixième opus de Fouad Boussouf, terprètes traditionnels. Il a pris en pleine tête
femme de 36 ans peut désormais Près de 400 km séparent La Mo­ prendre son envol ? Comment à la tête depuis 2010 de la la vigueur dévastatrice de ces fêtes sacrées et
répondre oui. Car la prestation the­Saint­Héray, village des Deux­ supporter ces remarques à compagnie Massala, est profanes. Il a replongé dans la danse berbère
qu’offre cette comédienne sur la Sèvres, de Paris. Quitter le Poitou­ l’heure où la découverte de la lit­ LE CHORÉGRAPHE l’un des succès chorégra­ ahidous et ses rondes festives, ainsi que dans
scène du Théâtre Transversal, Charentes pour la capitale, Elise térature et du théâtre donne à phiques de la saison. Les la taskiwin, proche d’un art martial et origi­
dans le « off » d’Avignon, dégage Noiraud en rêve. Quand elle ar­ l’étudiante des envies puissantes FOUAD BOUSSOUF paliers de la transe sont naire du Haut Atlas occidental. Il a tout re­
une sincérité bouleversante. rive dans son studio, une carte de liberté ? Comment rompre tellement bien gérés dans trouvé, tout réappris.
Avec Le Champ des possibles, d’étudiante en lettres à la Sorbo­ sans blesser ?
JOUE COMME Näss qu’ils laissent le pu­ Parallèlement, Fouad Boussouf a immergé
troisième et dernier volet d’une ne­Nouvelle en poche, elle se sent Cette relation fille­mère, racon­ À LA PÂTE blic haletant, répondant son mouvement dans les chansons envoû­
épopée autofictionnelle, Elise à la fois libre et un peu perdue. tée avec sensibilité et subtilité, ne par une standing ovation tantes de Nass El Ghiwane, mais aussi les
Noiraud propose un seule­en­ Tout de noire vêtue, la comé­ tourne pas au règlement de À MODELER immédiate à la fin de la rythmes traditionnels composés par Roman
scène sur les affres du passage à dienne passe, avec une aisance comptes, mais dessine une pièce. Bestion, spécialiste de la musique nord­afri­
l’âge adulte. Après l’enfance (La bluffante, d’un personnage à liaison faite d’amour et de non­ AVEC SON Fouad Boussouf joue caine et sous influence, ici, des ambiances
Banane américaine) puis l’adoles­
cence (Pour que tu m’aimes en­
l’autre : de la secrétaire de faculté
sans égard pour cette petite pro­
dits. Un matin de Noël paroxysti­
que prendra l’allure, pour la jeune
GROUPE comme à la pâte à mode­
ler avec son groupe d’in­
que l’on entend place Jemaa el­Fna, à
Marrakech. Ensemble avec Fouad Boussouf,
core), ce récit sur « la pulsation de vinciale à la bourgeoise snob qui Elise, du premier jour du reste de D’INTERPRÈTES terprètes. Il fait grimper ils collectent des sons partout où ils séjour­
[ses] 19 ans » déploie une force l’engage pour du baby­sitting ou sa vie. Et restera, pour le specta­ puis descendre l’énergie, nent, comme les appels à la prière captés à
émotionnelle et une drôlerie irré­ au jeune président idéaliste de teur, une scène mémorable. équilibre les accès de fou­ 4 heures du matin sur les toits de Salé ou les
sistibles. La comédienne, auteure l’association humanitaire Les Pourquoi les adultes ont­ils à ce gue et les plages de répit pour recharger la slogans des manifestants dans les rues de
et metteuse en scène (elle a égale­ Etudiants en sandales, Elise Noi­ point oublié leur jeunesse ? C’est à machine. Il détache une figure solitaire, ex­ Tunis, au lendemain de la « révolution du
ment adapté la tragédie rurale Les raud déploie son talent d’inter­ cette interrogation et à nos souve­ trait un duo, noue une guirlande, sépare les jasmin », en 2012.
Fils de la terre, d’après le documen­ prétation avec un sens aigu des nirs de premiers pas dans l’âge danseurs, les recolle, en électrisant le plateau Ces différentes sources musicales et choré­
taire d’Edouard Bergeon), signe là ruptures. Elle ne s’épargne pas en des possibles que renvoie ce seu­ vide d’un flux permanent. Les percussions graphiques sortent tamisées, épurées, dans
sa plus belle réussite. Son périple tant qu’étudiante un peu gauche, le­en­scène jubilatoire.  métalliques crépitent, les pieds nus cla­ Näss, qui en conserve surtout la charge éner­
intérieur résonne avec justesse. qui s’excuse de ses origines cam­ sandrine blanchard quent. Epaule contre épaule, collé­serré, en gétique et émotionnelle dans une écriture
A 19 ans, on n’est plus une en­ pagnardes ou s’extasie devant file indienne, la troupe, montée sur ressorts, inspirée et brûlante. 
fant, pas tout à fait une adulte, on l’aisance de Tiphaine, sa nouvelle Le Champ des possibles, de et enclenche une chorégraphie non­stop de rosita boisseau
respire la jeunesse, on s’imagine copine parisienne. par Elise Noiraud, au Théâtre tremblements, chutes et rebonds, pas glis­ (avignon, envoyée spéciale)
une vie. Ecrit au cordeau et joué Surtout, il y a sa mère, fil rouge Transversal, 10, rue d’Amphoux à sés, tricotés vite… Soudain, des joutes tour­
avec une incroyable énergie, son du spectacle. Une mère aimante Avignon, tous les jours à 18 h 50 noyantes explosent en acrobaties sèches Näss, de Fouad Boussouf. Jusqu’au 20 juillet,
spectacle nous embarque dans mais étouffante et culpabilisante. jusqu’au 28 juillet (relâche les 16 qui s’apaisent dans une ronde bras dessus, à 17 h 30. Les Hivernales, 18, rue Guillaume­
une histoire d’émancipation a Une mère qui attend son retour et 23 juillet). Durée : 1 h 25. bras dessous. Sauter encore, plus haut tou­ Puy, à Avignon. De 5 à 19 euros.
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 culture | 21

Les hauts et les bas de Woodstock en CD


Un coffret de 10 disques réunit des extraits de tous les concerts qui ont marqué le festival, il y a cinquante ans

MUSIQUE

L’
objet, un coffret en con­
treplaqué imprimé, en­
touré d’une sangle de
guitare aux motifs géo­
métriques. A l’intérieur, un épais
livre avec des centaines de photo­
graphies et de reproductions de
documents, un fac­similé du pro­
gramme original et celui d’un car­
net de souvenirs, des boîtiers re­
couverts de tissu… Lesquels ren­
ferment 38 CD et 1 Blu­ray. Soit,
sous le nom de Woodstock 50 –
Back to the Garden : the Definitive
Anniversary Archive, une publica­
tion d’envergure pour les 50 ans
du célèbre festival qui a eu lieu, du
15 au 18 août 1969, non pas à
Woodstock, comme initialement
prévu, mais à White Lake, près de
la commune rurale de Bethel (Etat
de New York).
Il s’agit d’une intégrale – à l’ex­
ception de trois morceaux – de ce
qui a été joué par les trente­deux
groupes durant le festival, dans
l’ordre de leur passage, agrémen­
tée de nombreuses interventions
des présentateurs et de sons
d’ambiance. Ce « retour au jar­
din », terrain herbeux devenu un
champ boueux en raison d’ora­
ges, sera commercialisé, vendredi
2 août, par Rhino, spécialiste de
rééditions phonographiques con­
çues avec soin, division de la ma­
jor du disque Warner Music. Le ti­
rage a été limité à… 1 969 exem­
plaires, numérotés, au prix uni­
taire de 799,98 dollars (715 euros),
déjà un succès en précommande.

Un passage devenu mythique Au festival de Woodstock, en août 1969, à Bethel (Etat de New York). BARON WOLMAN
Si ce document pour collection­
neurs, historiens du rock et festi­
valiers nostalgiques de leur jeu­ coffret commémoratif de 6 CD, film documentaire réalisé par plus intenses des concerts de gie de Canned Heat. Et des mo­
nesse devrait être quasi épuisé en 2009, pour les 40 ans du festi­
En juin 1970, un Michael Wadleigh, avait pris la Country Joe McDonald, Santana, ments d’inspiration, d’accomplis­
dès sa sortie, sont déjà disponi­ val, et ses équipes. Bandes multi­ premier souvenir forme d’un triple album vinyle, Sly & The Family Stone (I Want to sement musicien, avec Bert Som­
bles, en lot de consolation, une pistes, sorties de consoles en avec une vingtaine de titres. Sur Take You Higher), Joe Cocker, Ten mer, voix rêveuse et aérienne,
réduction à 3 CD, dite Anniversary mono, documents privés de festi­
phonographique sa pochette, un couple de­ Years After (le solo de I’m Going Melanie, Joan Baez, Creedence
Collection, avec un ou deux mor­ valiers, pour aboutir à un ensem­ avait pris la forme bout, enveloppé dans un dessus­ Home), Jimi Hendrix… Mais, et Clearwater Revival – dont le con­
ceaux d’une vingtaine de grou­ ble de trente­six heures. de­lit bicolore, près d’un cerf­vo­ c’est son principal intérêt, elle cert à Woodstock bénéficiera
pes, et une à 10 CD, dont le prix va­ Des 433 plages du gros coffret,
d’un triple album lant. En 2019, le visuel de ce cof­ permet de se faire une idée des d’une sortie individuelle, fin
rie selon les magasins et les sites la version à 10 CD en conserve vinyle, avec fret en forme de livre avec textes prestations de tous les autres. août –, Blood, Sweat & Tears, ici en
de 130 à 140 euros environ. Cel­ 162, y compris quelques annon­ de présentation et photogra­ A Woodstock, il y eut donc du pleine puissance avec des parties
le­là, intitulée 50th Anniversary ces pour faire comme si on y
une vingtaine phies consiste en un montage brouillon avec Sweetwater, The de vents restaurées. 
Experience, propose des extraits était. Ce qui est déjà un pano­ de titres d’images de la foule en sépia de Incredible String Band, Grateful sylvain siclier
plus nombreux de tous les con­ rama assez complet, dépassant jaune, de vert ou de violet. Dead ou The Band. Des improvi­
certs. Dans tous les cas, les sour­ une durée de douze heures et Cette sélection n’oublie pas un sations avec des hauts et des bas, Woodstock 50 – Back to the
ces sonores sont celles auxquel­ trente minutes. En juin 1970, un passage devenu mythique, dont comme durant Halfbreed Medley Garden : 50th Anniversary
les ont eu accès le producteur premier souvenir phonographi­ Freedom, de Richie Havens, au dé­ de Keef Hartley Band ou les vingt­ Experience, 1 coffret de 10 CD
Andy Zax, déjà responsable d’un que de Woodstock, bande­son du but du festival, les moments les neuf minutes de Woodstock Boo­ Cotillion­Rhino/Warner Music.

Milton Nascimento, l’ami brésilien


Un hommage est rendu au chanteur le 14 juillet, au Festival
d’Avignon, par l’un de ses héritiers, Tigana Santana

MUSIQUES DU MONDE Une musique et juvénile, qui s’enracine en


même temps qu’elle croît, toute

V ers qui les amis des musi­


ques brésiliennes, à la
mort de Joao Gilberto, le
6 juillet, se sont­ils tournés ? Ils
furent quelques­uns à fredonner
arborescente
qui s’enracine
en même temps
de vitalité partagée.

Deux galopins
La photo qui orne la pochette de
Clube da Esquina montre deux ga­
Pra Ninguem (« Pour personne »),
qu’elle croît lopins, souriants malgré la mi­
le tribut que paya Caetano Veloso sère. « Lo et moi nous sommes re­
aux maîtres chanteurs de son connus en eux », confie Milton. Sur
pays, en 1997. Le couplet énumère joint par téléphone durant sa un drap blanc déployé lors du con­
des prénoms chéris : Chico, Gil­ tournée européenne. cert, à Paris, un dessin d’écolier
berto, Milton… « Au­dessus d’eux, Orphelin à 2 ans, il est adopté montrait les deux chanteurs dans

Dubuffet Mucem
il n’y a que le silence/Et au­dessus par l’un des couples qui em­ une chaleureuse accolade. « Sou­
du silence, il n’y a que Joao », fré­ ployaient sa grand­mère, une vent, de jeunes artistes brésiliens
mit le refrain. femme de ménage carioca. Ses viennent me raconter combien ma
Le soir même où Joao s’est tu, nouveaux parents – lui employé musique les a bercés. Rien ne me
l’une de ces figures tutélaires, de banque, elle professeure de touche davantage ! », vibre Milton,
Milton Nascimento, 76 ans, fai­
sait résonner sa voix d’ange au
chant – sont aussi blancs que Mil­
ton est noir, peu importe : il les
à l’autre bout du téléphone.
Le 14 juillet, à Avignon, l’un de
Exposition Marseille Jusqu’au 2 septembre 2019
Casino de Paris. « Bituca », suit dans l’Etat du Minas Gerais. ses héritiers, Tigana Santana, Jean Dubuffet, un barbare en Europe
comme le surnomment affec­ S’y nouent d’essentielles affinités 36 ans, reprendra l’album maudit
tueusement les Brésiliens, a joué adolescentes, le temps d’un café, de Nascimento, Milagre dos
trois gemmes de sa discographie, d’une séance de ciné ou d’une ré­ Peixes, censuré par les militaires
Clube da Esquina (1972), Clube da pétition. Au côté de Beto Guedes, en 1973. Peut­être le suave Bahia­
Esquina 2 (1978) et Angelus (1993). des frères Lo, Marcio, Marilton et nais inclura­t­il à son tour de
Pour dire la vérité, on hésite à Telo Borges, et de quelques chant Mon’ami (2015), l’une des
user de pronoms possessifs à son autres, Nascimento trousse trou­ perles de son répertoire. Face aux Avec le mécénat de Avec la collaboration de : Avec le concours de : Exposition conçue et réalisée par le Mucem Image : Jean Dubuffet, Lion dans la
en coproduction avec : jungle, 20 mai 1944, encre de Chine et
endroit, tant cette musique n’est vaille sur trouvaille, souveraine­ pouvoirs haineux, l’amitié reste grattages sur papier, 25 × 20 cm.
Collection privée, Europe © Vincent
Everarts © Adagp, Paris 2019
et
que jeu collectif, voyages de ment traversières. Ni tout à fait ce que les Brésiliens, ce peuple si
groupe, vie en société. « Ces dis­ pop, ni tout à fait jazz, ni même féru d’offrandes, ont de plus beau En partenariat avec :

ques parlent d’amour et d’amitié, brésilienne au sens usuel du mot, à opposer. 


voilà tout », convient le chanteur, c’est une musique arborescente aureliano tonet
22 | télévision DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019
0123

Comprendre l’œuvre VOS


SOIRÉES
TÉLÉ
littéraire de Céline
France Culture consacre cinq épisodes de plume le prénom d’une
grand­mère aimée.
à cet écrivain français controversé Pour mesurer sans aveugle­ DIMANCHE 14 JUILLET
ment partisan le sens de l’enga­ TF1
gement ignoble de Céline, il faut 21.05 Marseille
suivre les épisodes intermédiai­ Film de et avec Kad Merad. Avec
FRANCE CULTURE dité par Hanns­Erich Kaminski, res (« Le Voyage » et « Une double Patrick Bosso (Fr., 2016, 120 min).
LUNDI 15 - 9 H 00 un juif allemand réfugié en vie »), qui apportent leur lot d’in­ 23.05 Esprits criminels
MAGAZINE France (Céline en chemise brune, formations et de subtiles analy­ Série. Avec Joe Mantegna,
1938), tient à sa verve bouffonne, ses sur le jeune homme, qui Paget Brewster (EU, 2011).

L
orsque la commémora­ rageuse et délirante, qui conserve, s’ouvre par des séjours linguisti­ FRANCE 2
tion du cinquantenaire même bâclée, la marque du génie ques, en Allemagne et surtout en 21.00 Le Concert de Paris
de sa mort a été écartée langagier de l’auteur. Angleterre, le soldat de la Grande Avec l’Orchestre national de France
des célébrations nationa­ Guerre, le praticien missionné et le Chœur de la maîtrise de Radio
les prévues pour 2011, il était clair Une formidable clarté par la Société des nations en Afri­ France, dirigés par Alain Altinoglu.
que la figure de Louis­Ferdinand Il faut donc saluer à sa juste valeur que et aux Etats­Unis, le médecin FRANCE 3
Céline restait un hapax dans la – un monument de rigueur et des pauvres enfin qu’il fut dans 21.00 Grandchester
culture française. Formidable d’intelligence critique – le travail un Paris où ses allures de dandy Série. Avec James Norton, Robson
écrivain qui révolutionne la lan­ de Christine Lecerf et Franck Lilin au tournant des années 1930 en Green, Tom Brittney (2019 et 2017).
gue dès son premier roman, pour envisager le cas Céline autre­ font un jeune écrivain fascinant. CANAL+
Voyage au bout de la nuit (1932), ment que dans la caricature et les D’autant qu’il tient alors encore 21.00 Runaway
dont l’échec au prix Goncourt as­ simplismes souvent de mise. Si le l’antisémitisme de son père à Film de Khaled Kaissar.
sure la notoriété et le succès com­ premier volet (« Un génie mons­ distance. Avec Lisa Vicari (All., 2017, 85 min).
mercial, Céline est aussi l’auteur trueux ») convoque une bonne Composée avec le souci de FRANCE 5
d’abjects pamphlets. part de ceux, historiens, écri­ n’écarter aucune des voix qui 20.50 Les 100 lieux qu’il faut voir
Parmi eux, le fameux Bagatelles vains, médecins, sociologues, édi­ s’élèvent et s’échauffent quand Documentaires de Katia Chapoutier
pour un massacre (1937) flatte teurs et psychiatres, qui inter­ on parle de Céline, cette traversée (Fr., 2019) et Florent Quet (Fr., 2017).
avec un opportunisme qui n’a viendront au fil de la semaine et nourrit autant l’esprit qu’elle in­ ARTE
rien de courageux la haine antisé­ précise comment chacun a « ren­ cite à revenir à l’œuvre. Moins 20.55 Le Cercle
mite qui se déchaîne depuis l’avè­ contré Céline », on y entend déjà pour y conclure son procès que des poètes disparus
nement au pouvoir de Léon Blum l’impact d’une création pour Louis­Ferdinand Céline en 1951. AFP pour en percer le génie littéraire Film de Peter Weir. Avec Robin
l’année précédente, tandis que la beaucoup décisive : la parole des résolument unique.  Williams (EU, 1989, 125 min).
fascination pour le totalitarisme écrivain(e)s est essentielle, d’An­ philippe­jean catinchi M6
hitlérien et son idéologie raciale nie Ernaux à Marie­Hélène Lafon, 21.05 Capital
gagne les esprits. Le pire étant que toujours juste. trième émission (« Bagatelles niste qui conduit à la déshuma­ Louis­Ferdinand Céline, Magazine présenté par
le danger de ce brûlot, qui s’arra­ Mais si plane déjà le spectre des pour un massacre ») pour que la nisation du juif convenant par­ au fond de la nuit, de Franck Lilin. Julien Courbet.
che en librairie bien plus que Mort pamphlets, dont le public singu­ dissection de la pensée authenti­ faitement au médecin de dispen­ Du 15 au 19 juillet sur France
à crédit (1936), autre chef­d’œuvre lier, naguère très politisé, est dé­ quement nazie de Céline soit saire qu’est le docteur Culture, de 9 heures à 10 heures.
célinien, et pourtant dénoncé sormais moins marqué idéologi­ menée à terme avec une formi­ Destouches, nom officiel de Disponible ensuite à la demande LUNDI 15 JUILLET
aussitôt avec une implacable luci­ quement, il faut attendre la qua­ dable clarté. Le discours hygié­ l’écrivain, qui adopta pour nom sur franceculture.fr. TF1
21.05 Camping Paradis
Série. Avec Laurent Ournac,
Thierry Heckendorn (Fr., 2016).
FRANCE 2

Un autre regard sur le Mexique 21.05 Major Crimes


Série. Avec Mary McDonnell,
GW Bailey (EU, 2016, 2017, 2012).
Angeles Alonso Espinosa et Benjamin Lalande racontent ce pays à travers le regard de sept photographes locaux FRANCE 3
21.05 Pour une poignée de dollars
Film de Sergio Leone. Avec Clint
Eastwood (It.-Esp.-All., 1964, 100 min).
ARTE les acteurs », font valoir les réalisa­ avec le photojournaliste Francisco Nous arrivons déjà à Mexico. Fe­ pays sur lequel les Etats­Unis CANAL+
DIMANCHE 14 - 17 H 35 teurs de la série « Dans l’objectif ». Mata Rosas et son projet « La derico Gama y photographie une continuent d’exercer une forte at­ 21.00 Gomorra
DOCUMENTAIRE Le principe ? « Découvrir et com­ Linea » sur la frontière, qu’il ap­ jeunesse éparpillée entre exclu­ traction : l’élite se conforme au Série. Avec Salvatore Esposito,
prendre, de l’intérieur, les secrets pelle « la cicatrice », avec les Etats­ sion, contre­culture identitaire et goût étatsunien, tandis que les Cristiana Dell’Anna (It., 2019).

V iolence » et « corrup­
tion » sont trop souvent
les premiers mots qui
viennent à l’esprit pour évoquer le
Mexique. Le taux d’homicides an­
d’un pays en pleine mutation », ex­
pliquent ses producteurs, comme
en écho au travail de la photogra­
phe mexicaine Graciela Iturbide.
« Je dis toujours que mon appareil
Unis. Escale ensuite à Ciudad
Juarez, auprès de Mayra Martell,
qui a risqué sa peau pour docu­
menter la disparition et l’assassi­
nat de centaines de femmes dans
religion. Puis ce sont les paysages
de l’Etat d’Oaxaca qui défilent.
Edgardo Aragon rend compte des
violences « générées par l’installa­
tion d’entreprises nationales ou
plus pauvres rêvent d’une vie
meilleure de l’autre côté de la
frontière. Un film qui rappelle à
quel point la photographie reste
un art puissant pour éclairer les
FRANCE 5
20.50 Nicolas Le Floch
Série. Avec Jérôme Robart,
Mathias Mlekuz (Fr., 2010).
ARTE
nuel, 21 pour 100 000 habitants, y photo a été un prétexte pour con­ les années 2000. Un petit crochet multinationales ». Enfin, au Chia­ zones d’ombre d’une société.  20.50 Coup de foudre
est l’un des plus élevés au monde, naître la culture de mon pays », par San Pedro Garza Garcia, ban­ pas, le travail de Pedro Valtierra mouna el mokhtari Film de Diane Kurys. Avec Isabelle
selon les chiffres des Nations répète celle qui influence la lieue chic de la ville de Monterrey, ranime la mémoire du massacre Huppert (Fr., 1983, 110 min).
unies. Mais le « Mexique est aussi photographie latino­américaine le temps de poser un regard sur la d’Acteal (1997), perpétré en repré­ Le Mexique dans l’objectif, M6
un grand réservoir de créativité et depuis plusieurs décennies. façon dont se met en scène l’élite sailles au soulèvement zapatiste. d’Angeles Alonso Espinosa 21.05 Le Roi Lion
de résistance dont les photogra­ Le voyage commence dans le économique mexicaine avec la Au fil des projets photographi­ et Benjamin Lalande Film. Dessin animé de Roger Allers
phes sont autant les témoins que nord­ouest du pays, à Tijuana, photographe Yvonne Venegas. ques se dessine le portrait d’un (France, 2018, 52 minutes). et Rob Minkoff (EU, 1984, 110 min).

0123 est édité par la Société éditrice


HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
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Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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butor. III. Approche maritime, parfois 5 7 2 6 9 1 3 4 8
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cavalière. Oppose dans le texte. 4 8 1 2 3 5 7 6 9 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger :
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DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019
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Devils Tower,
un immense
cône de lave
haut de
265 mètres.
GETTY IMAGES

CANADA

mémoires du far west

MINNESOTA
DAKOTA
DU NORD
MONTANA

VOYAGE Explorer les Black Hills, c’est partir sur les traces de Calamity Badlands
black hills, deadwood, badlands Devils Deadwood
(dakota du sud) ­ envoyé spécial Jane, Buffalo Bill ou Sitting Bull. Une plongée au cœur de Tower Rapid City
DAKOTA
DU SUD
WYOMING Black Hills

T l’Amérique mythique, sa ruée vers l’or et ses guerres indiennes


ous les cinéphiles en rêvent, se

IOWA
rendre sur les lieux où Alfred 200 km NEBRASKA
Hitchcock situa, à défaut d’y
filmer, l’épilogue de La Mort
aux trousses (1959) : le mont Rushmore, C A R N E T
où sont sculptées dans la montagne les avec l’homme blanc mourut tué à l’âge poker. Calamity Jane demanda à être en­ comme « mauvaises terres », car lors­
têtes géantes des présidents américains de 36 ans, en 1877. terrée aux côtés de son amant éphémère, qu’on arrivait en chariot après des cen­ D E R O U T E
et d’où risquèrent d’être précipités dans Rares sont ceux qui atteignent les et on peut voir leur tombe dans le cime­ taines de kilomètres de prairie, ces con­
le vide par des espions soviétiques Black Hills. Les touristes européens tière qui surplombe la ville. trées étaient inhospitalières.
l’étourdi Cary Grant et la platine agent choisissent en priorité l’époustouflant A Deadwood, Main Street a conservé Ce parc national abrite en effet de cu­ Y AL LER
double Eva Marie Saint. Grand Canyon du Colorado, via Las Ve­ ses bâtiments et son atmosphère d’an­ rieuses concrétions, datant de 75 à Vol depuis la France jusqu’à
Las, on ne s’y rend pas par hasard. Cary gas, ou les geysers et les grizzlis du tan. On peut entrer dans le bar histori­ 25 millions d’années, érodées par le Rapid City (Dakota du Sud)
Grant avait pris l’avion pour Rapid City, Yellowstone, dans le Wyoming. Et que de l’assassinat, boire un verre dans vent. Rien à voir avec le Grand Canyon avec United ou Delta Airli­
il faudra faire de même pour rejoindre pourtant, visiter ces collines noires, le bar­saloon, où des photos remontant (entre 1,8 milliard et 270 millions d’an­ nes, à partir de 1 000 euros.
les Black Hills (« les collines noires », en c’est plonger dans les guerres indien­ au XIXe siècle retracent la légende. Lé­ nées pour les couches les plus jeunes). Il Une ou deux escales.
français), dans le Dakota du Sud. Le lieu nes et la conquête du Far West, avec ses gende faite de souffrance dans un pays s’agit d’érosion récente, entamée de­ Sur place, louer une voiture
est un hymne à la nation américaine. mines d’or, ses bandits et ses bisons, au climat rugueux – en choisissant de puis 500 000 ans « seulement ». Et dans à l’aéroport de Rapid City.
Quatre présidents en granite qui incar­ dont on avait oublié qu’elles n’exis­ voyager début mai, on voulait éviter la 500 000 ans, celle­ci aura fini son Préférer un SUV pour pou­
nent le rêve américain. George taient pas qu’au cinéma. foule, on a aussi trouvé la pluie, le œuvre et les Badlands auront disparu. voir emprunter les routes
Washington, le père de la nation. Tho­ Tout a commencé en 1874 par une ex­ brouillard et la neige – et au labeur Le temps presse. Comme aux Black non bitumées. Mieux vaut
mas Jefferson, qui rédigea la Déclaration pédition dans ces fameuses collines du épouvantable. On le comprend en visi­ Hills, l’Ouest américain est ici à échelle faire la location, assurance
d’indépendance et ouvrit l’Ouest à la co­ colonel Custer – qui finira tué à la bataille tant la mine d’or de Lead, à quelques ki­ humaine. Superbe, coloré avec des incluse, depuis la France,
lonisation en achetant pour une bou­ de Little Bighorn, dans le Montana, lomètres de là. Elle fut longtemps la pre­ ocres et des beiges qui se détachent de moins coûteuse que sur
chée de pain la Louisiane à Napoléon, en 1876. Il cherchait de l’or, et le malheur, mière mine d’or de l’hémisphère Nord l’herbe verte. Pas d’ours ici, mais des bi­ place. Le site Oui.sncf offre
en 1803. Abraham Lincoln, qui maintint c’est qu’il en a trouvé. L’affaire a provo­ (1 200 tonnes de métal jaune extraites) sons, des chiens de prairie et des pan­ des tarifs avantageux.
l’unité du pays, au prix d’une guerre ci­ qué une ruée des prospecteurs et une ex­ – exploitée en sous­sol puis à ciel ouvert neaux invitant à se méfier des serpents
vile (1861­1865), et abolit l’esclavage. Et, propriation illégale des Indiens, en dépit jusqu’en 2001. Elle abrite désormais un à sonnette. Pas de danger normale­ S E LO G ER
enfin, Theodore Roosevelt, inventeur de du traité de Fort Laramie, signé en 1868, accélérateur de particules. ment, les rattlesnakes se nichent dans Dans les Badlands, le Cedar
l’impérialisme américain (il conquit qui faisait des Black Hills un sanctuaire. les herbes folles de la prairie ou les an­ Pass Lodge (Cedarpass­
Cuba, creusa le canal de Panama) et des Le voyage permet de revivre l’épopée, Bisons et serpents à sonnette fractuosités et vous alertent avec leur lodge.com) permet d’être
parcs nationaux américains. Une glori­ dans des lieux et des bâtiments souvent Les Américains ont des opinions miti­ cascabelle. On peut aussi y observer des au cœur du parc national.
fication de l’Amérique triomphante, d’époque qui tranchent avec les habituel­ gées envers Custer – il est surtout repro­ combats de mouflons, aller camper à Cabine à partir de 150 euros
mais aussi une œuvre d’art, conçue par les reconstitutions de pacotille à la ché à cette brute d’avoir fait massacrer l’aventure entre monts et prairies. En la nuit. Sinon, loger à Wall,
le sculpteur Gutzon Borglum, qui dyna­ Disney. En longeant la rivière French ses hommes par les Sioux en refusant revanche, l’aventure culinaire attendra, à l’entrée nord du parc.
mita, mina, piqua la roche pendant Creek, où passa l’expédition de Custer, et des renforts et des armes automatiques avec un restaurant dans le parc qui ne A Devils Tower, Devils
quinze ans, jusqu’à sa mort en 1941, et en remontant au nord à Deadwood, ville­ et en sous­estimant grandement les for­ sert plus après 18 h 30. Tower Lodge offre une ex­
laissa l’œuvre inachevée. champignon de chercheurs d’or, de mi­ ces rassemblées par son adversaire, Sit­ Il faut enfin quitter le Dakota du Sud périence de bed and break­
neurs et de bandits accourus de l’Est. Ca­ ting Bull. Ils ont baptisé de son nom le pour faire une incursion dans le Wyo­ fast intéressante, une vue
Un verre au saloon lamity Jane en faisait partie. Prostituée parc d’Etat, qui abrite quelque 1 500 bi­ ming. Direction Devils Tower, im­ éblouissante et permettra à
Objectif, laisser aux générations futures occasionnelle qui accompagna la cons­ sons (ils étaient quasi éteints au début mense cône de lave, haut de 265 mè­ ceux qui le souhaitent de
un monument explicite, plus que ne fu­ truction du chemin de fer, elle se lia avec du XXe siècle). On en aperçoit un au loin, tres, mystérieusement dégagé par faire de l’escalade. A partir
rent les pyramides d’Egypte. Il avait été Wild Bill Hickok, gâchette légendaire du massif. Puis trois en contrebas de la l’érosion. Le lieu a servi au tournage du de 120 euros la nuit.
question de sculpter des figures emblé­ Far West, qui mourut en 1876 tué d’une route, que l’on filme en sortant de la voi­ film de science­fiction Rencontres du Dans les Black Hills, le
matiques de la conquête de l’Ouest, tel balle dans la nuque alors qu’il jouait au ture, alors qu’il est interdit de s’appro­ troisième type (1977), de Steven Spiel­ Bavarian Inn, à Custer, dis­
Buffalo Bill, mais il fut décidé d’avoir une cher à moins de trente mètres. Puis, au berg. Il est sacré pour les Indiens, mais pose de deux piscines,
incarnation plus large de l’Amérique. Cu­ détour d’une colline, l’immensité d’un les grimpeurs n’en ont cure. « Devils extérieure et intérieure,
rieux paradoxe que de consacrer les va­ troupeau de plus de deux cents bêtes Tower est sacré pour moi aussi », expli­ chambre double à partir
leurs américaines dans ces « collines CALAMITY JANE avec leurs petits qui traversent la route. que Frank Sanders, qui tient un bed and de 150 euros.
noires », sur un territoire volé aux Sioux A Wounded Knee, un cimetière avec breakfast avec vue imprenable sur la
Lakota, en dépit de tous les traités – la DEMANDA À ÊTRE ENTERRÉE fosse commune surplombe la plaine tour. Si vous y logez, ce redneck vous DÉJ EU N ER ET DÎ NER
Cour suprême des Etats­Unis l’a con­ désolée et détrempée. Ici a eu lieu le gratifiera, sans vous laisser le choix, Expérience culinaire sou­
firmé en 1980, jugeant que les tribus
AUX CÔTÉS DE SON AMANT, dernier massacre par l’armée améri­ d’un long bénédicité avant de partager vent limitée… aux burgers.
avaient droit à compensation financière. WILD BILL HICKOK, GÂCHETTE caine, en décembre 1890, d’un campe­ le repas et emmènera les amateurs Deux exceptions, dans les
Ce conflit des mémoires est percepti­ ment de guerriers, de femmes et d’en­ faire l’ascension mythique – il existe Black Hills : à Custer, la
ble en se rendant à 25 kilomètres de là. LÉGENDAIRE DU FAR WEST. fants à la mitrailleuse, juste après le autant de voies que de colonnes de Skogen Kitchen (Skogenkit­
Un projet concurrent n’en finit pas de meurtre du chef légendaire Sitting Bull. lave. Il n’y a pas d’âge pour tenter l’esca­ chen.com), et à Keystone,
sortir de la montagne, la statue ON PEUT VOIR LEUR TOMBE Le lieu est glauque ; cinq Amérindiens, à lade, mais la simple montée prend au pied du mont Rushmore,
géante du chef indien Crazy Horse, à DANS LE CIMETIÈRE QUI tour de rôle, demandent avec insistance quand même plus de cinq heures. D’en la Powder House (Powder­
cheval, scrutant l’horizon. Celui qui un ou deux dollars. Mieux vaut prendre bas, la vue est superbe aussi.  houselodge.com) offrent
n’avait jamais signé le moindre traité SURPLOMBE DEADWOOD la direction des Badlands. Badlands arnaud leparmentier une cuisine de qualité.
IDÉES
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24 | DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

LES HOMMES, LES FEMMES ET L’ARGENT


La nomination de Christine Lagarde, première femme à la tête de la Banque centrale
européenne, incite à s’interroger sur les stéréotypes et les pratiques de genre dans
une industrie financière devenue le cœur du pouvoir et de la richesse économique

La banque et la finance restent


un univers machiste et sexiste
Gunther Capelle-Blancard, Jézabel Couppey-Soubeyran et Antoine Rebérioux
ont passé en revue 200 études comparant les comportements, les pratiques, les métiers
et les carrières des femmes et des hommes dans les entreprises du secteur bancaire
et financier. Les progrès de la parité ne garantissent pas l’effacement des stéréotypes PART DES FEMMES DANS LES EMPLOIS DU SECTEUR BANCAIRE FRANÇAIS

Ensemble des emplois 57 %

D
Emplois cadres 48 %
epuis 2018, dans le quartier de la effectivement des décisions financières.
Bourse de Wall Street à New York, Les études académiques qui testent l’inci­ Ressources humaines 90 %
une statue de fillette à l’attitude dence du genre dans le domaine financier
Secrétariat
frondeuse, réalisée par la sculptrice tendent aussi à confirmer ces stéréotypes. et gestion administrative 86 %
Kristen Visbal, fait face à l’emblé­ Les études qui croisent finance et neuro­
matique taureau du sculpteur sciences, domaine en plein essor, orientent Back-office 71 %
Arturo Di Modica, qui trônait là depuis 1989. l’explication vers des différences biologiques Service informatique 27 %
Un signe des temps ? Les femmes auraient­el­ (le taux de testostérone, par exemple). Eter­
les fait leur place dans l’univers de la fi­ nel débat entre l’inné et l’acquis, que la « neu­
nance ? Ont­elles des préférences et des atti­ rofinance » tend à trancher grossièrement Chargés d’accueil 75 %
tudes financières différentes de celles des quand elle écarte les phénomènes socio­
Chargés de clientèle particuliers 71 %
hommes ? Si différences il y a, sont­elles d’or­ culturels d’identification et d’apprentissage,
dre biologique, ou social ? En pâtissent­elles dont les différences observées résultent tout Chargés de clientèle 58 %
en matière d’épargne, de placement, d’accès autant, sinon davantage. professionnels
au crédit ? Qu’en est­il de leurs carrières dans Chargés de clientèle entreprises 50 %
le secteur financier ? Comment font celles Affichage d’une diversité de surface Direction d’agence 44 %
qui brisent le « plafond de verre » ? Dirigent­ Dès lors qu’on tient compte du contexte, de
elles alors différemment ? l’expérience passée et de l’éducation, en par­
Pour répondre à ces questions, nous avons ticulier de l’éducation financière, les études Concepteur produits financiers 34 %
passé en revue les résultats de quelque de genre appliquées à la finance ne nous ren­
200 études académiques qui testent l’inci­ seignent pas seulement sur les différences Opérateur de marché 22 %
dence du genre dans le domaine de la ban­ observées, mais aussi sur ce qui permet de les SOURCE : ASSOCIATION FRANÇAISE DES BANQUES
que, de la finance de marché et de la gouver­ réduire. Les enquêtes sur l’éducation finan­
nance d’entreprise (« Vers un nouveau genre cière montrent que le niveau de celle­ci est
de finance ? », Revue de la régulation n° 25, faible partout et pour tout le monde, mais
premier semestre 2019). plus encore pour les femmes. Or, cette éduca­
Plus prudentes, moins audacieuses, moins tion a une forte incidence sur les comporte­
matheuses, moins agressives, etc., les fem­ ments : par exemple, les femmes planifient promues, tenues à l’écart des meilleurs pour 70 % d’entre elles au moins une femme
mes ne seraient guère « faites » pour l’univers moins bien leur retraite ou participent clients et ont de bien moindres bonus. parmi leurs auteurs, alors que les femmes
des banquiers et tradeurs audacieux, virils, moins aux marchés boursiers, ce qui réduit Quand vient une promotion, il leur faut s’as­ représentent le quart à peine des chercheurs
rigoureux, compétiteurs et performants… la part des revenus qui en résultent. La bonne surer que c’en est bien une, et non l’affichage en économie. Si les femmes investissent ce
Ces clichés de genre sont de plus en plus nouvelle, cependant, est qu’un peu d’éduca­ d’une diversité de surface. Certaines confient domaine moins valorisé par les éditeurs,
examinés et débattus. Mais pas encore tion financière permet non seulement d’aug­ aussi que, une fois en responsabilité, mieux c’est aussi parce que les hommes le leur
déconstruits. menter le niveau général, mais également de vaut éviter la machine à café, de peur d’être laissent volontiers…
Les données d’enquête, comme l’enquête combler l’écart de comportement entre prise pour une assistante ! Un jour, peut­être, le secteur financier, la
Pater de l’Insee en France, font bien apparaî­ hommes et femmes. Bref, la finance reste un univers machiste et direction des entreprises et l’enseignement­
tre des différences de préférences et de com­ Lorsque les femmes participent aux mar­ sexiste. Pour s’intégrer dans cet environne­ recherche en finance deviendront véritable­
portements entre hommes et femmes. Les chés financiers en gérant un portefeuille de ment hostile, les femmes doivent le plus sou­ ment paritaires. Les femmes, alors moins
femmes déclarent une aversion à l’égard du titres, leur prudence limite certes leurs gains, vent adopter les codes masculins. Celles qui contraintes de se conformer aux codes mas­
risque plus prononcée que les hommes ; elles mais aussi leurs pertes. Au final, le rende­ arrivent à tirer avantage des progrès d’une culins, pourraient exprimer plus largement
se disent moins optimistes, plus généreuses, ment net de leur portefeuille n’est pas forcé­ plus grande parité ou celles cooptées par des leurs différences. A moins que ces différen­
moins ambitieuses, moins confiantes, plus ment plus faible. En revanche, cette pru­ réseaux de femmes sont, dans leur immense ces ne soient que l’expression de stéréotypes
respectueuses des règles, plus altruistes ; dence, avérée ou supposée, rend leur accès au majorité, blanches, issues de classes sociales dans lesquels elles étaient enfermées et dont
elles ont une culture financière encore plus marché du crédit traditionnel plus difficile privilégiées et plutôt du genre consensuel. la parité fera céder le carcan ?
mauvaise que celles des hommes ; elles choi­ que pour les hommes, en partie parce que, si Forcer la barrière du genre semble obliger à Il n’est donc pas si simple de prévoir l’inci­
sissent des placements plus sûrs, etc. le chargé de clientèle est un homme, il va accepter celle de l’ordre établi… dence d’une plus grande parité : certains
L’erreur serait toutefois d’y voir une sim­ avoir tendance à réserver de meilleures con­ écarts de salaire, de traitement, de considéra­
ple révélation de préférences, alors que les ditions de crédit aux hommes. Différences en tout genre tion se resserreront, mais les écarts de com­
personnes interrogées ont tendance dans Il en va un peu différemment pour le mi­ C’est sans doute aussi parce qu’il leur faut portements, de préférences, de styles de ges­
leurs réponses à se conformer à (l’idée qu’ils crocrédit ou le financement participatif. Les épouser les codes masculins et se faire plus tion, etc., pourraient tout autant s’accroître
ou elles se font de) ce que la société attend femmes sont, en effet, les principales bénéfi­ conservatrices lorsqu’elles accèdent aux que diminuer. Si, par leur plus forte présence,
d’eux. Plus les stéréotypes sont prégnants et ciaires du microcrédit, mais le biais de genre commandes que les femmes n’impriment les femmes parviennent à défaire les stéréo­
plus on s’y enferme, que ce soit en s’y manifeste plus subtilement, par une guère un style de gestion très différent de ce­ types, il y aura dans le domaine financier,
répondant à une enquête ou en prenant limitation du montant des prêts obtenus. Et, lui des hommes. C’est ce que suggèrent les comme dans d’autres, tout autant de diffé­
sur les plates­formes de crowdlending, études lorsque les chercheurs se demandent rences entre les femmes qu’entre hommes et
l’usage de photos avantagerait particulière­ si les femmes orientent la gestion des entre­ femmes. Et c’est bien d’ailleurs avec une plus
Un dossier de la « Revue de la ment les femmes…
Lorsque les femmes travaillent dans le
prises dans un sens plus favorable à l’envi­
ronnement ou au social, si elles gouvernent
grande diversité de femmes et d’hommes
que la finance gagnerait à fonctionner. Les
régulation » sur le genre en économie secteur bancaire et financier, c’est le plus sou­ plus prudemment les banques, si elles se différences en tout genre valent mieux que
La version complète de l’étude de Gunther Capelle-Blancard, vent dans les ressources humaines, le secré­ montrent plus attentives à la stabilité finan­ les différences de genre. 
Jézabel Couppey-Soubeyran et Antoine Rebérioux est parue, sous tariat et la gestion administrative, ou le back­ cière lorsqu’elles sont superviseuses, ou plus
le titre « Vers un nouveau genre de finance ? », dans le n° 25 office. Dans les métiers en lien avec la clien­ attachées à la croissance qu’à l’inflation lors­
de la Revue de la régulation, dans un dossier en accès libre tèle, au cœur de l’activité de détail des qu’elles sont dans les comités directeurs de
intitulé « Déployer les études de genre en économie politique », banques, les femmes sont aussi majoritaires, banques centrales. Il est vrai qu’elles y sont
sous la direction de Thomas Lamarche et Cécile Lefèvre. mais leur part baisse à mesure que la clien­ encore fort peu nombreuses et que les échan­
Ce dossier propose des articles de Carole Brunet et Esther Jeffers tèle monte en gamme. De manière générale, tillons testés sont donc souvent étroits. Gunther Capelle-Blancard
(« L’évolution des inégalités de genre pendant la Grande Récession leur proportion diminue avec le niveau de En va­t­il différemment lorsque les femmes et Jézabel Couppey-Soubeyran
en Europe »), Guillaume Vallet (« This is an Man’s World : autorité et qualification, de prestige et de salaire. enseignent ou font de la recherche en fi­ sont chercheurs au Centre d’économie
pouvoir genrés dans le milieu des banques centrales »), Irène Ber- Elles sont minoritaires dans les activités les nance, domaine où leur sous­représentation de la Sorbonne (université Paris-I-
themond et Clémence Clos (« Intégrer la division sexuelle mieux rémunérées liées aux marchés finan­ est patente ? Un peu, mais guère. S’il est en Panthéon-Sorbonne ;
du travail au rapport social de travail »), etc., complétés ciers, et fort peu nombreuses dans les salles revanche un domaine que les femmes inves­ Antoine Rebérioux est chercheur
par un entretien entre Sylvie Morel, Esther Jeffers, de marché. A Wall Street, à la City ou à la tissent beaucoup plus que les hommes, c’est au laboratoire Dynamiques sociales
Thomas Lamarche et Cécile Lefèvre (« Pour une économie Défense, elles gagnent de 25 % à 60 % de précisément celui… des études de genre ! et recomposition des espaces (Ladyss,
féministe radicalement hétérodoxe »). moins que les hommes, sont souvent moins Celles que nous avons recensées comptent université de Paris)
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LA CHRONIQUE

Ariell Reshef centrales de pays développés gouvernement, 35 % au ministère DEDOMINIQUE MÉDA


étaient économistes de forma­ des finances ou de l’économie. Et
tion, 56 % avaient été chercheurs 41 % ont travaillé dans des insti­

Christine Lagarde, Combattre


en économie ; seuls 7 % avaient tutions internationales (FMI,
un diplôme de droit (les parcours Banque mondiale, etc.).
pouvant inclure des doubles for­ Près de 30 % des présidents de
mations ou des postes dans plu­ banques centrales ont travaillé
la « fausse science »
une exception de
sieurs secteurs, les sommes peu­ auparavant dans le secteur fi­
vent dépasser 100 %). nancier privé, mais 26 % d’entre

L’
Certains outils et concepts de la eux ont eu des postes dans
« science » économique font­ils d’autres activités (l’intermédia­ enquête récente consacrée par

genre et de parcours
défaut à Mme Lagarde ? Les ternes tion juridique, entre autres). No­ Le Monde aux méthodes em­
performances des macroécono­ tre étude montre que le passage ployées par Coca­Cola pour Dominique Méda
mistes quant à l’anticipation et à par la finance privée ou le FMI s’exonérer de toute responsabi­ est professeure
la gestion de la crise de 2007­ induit une attitude plus favora­ lité dans la pandémie mondiale d’obé­ de sociologie
2008 tendent à relativiser l’idée ble à la dérégulation. Mais il se sité et de diabète a pleinement con­ à l’université
qu’il est nécessaire d’avoir de tels pourrait que l’expérience de firmé ce que les sociologues de sciences Paris-Dauphine,
spécialistes aux postes en ques­ Mme Lagarde plaide pour une at­ ont établi de manière rigoureuse de­ directrice de l’Institut
Le chercheur compare le profil de la future tion. Mais, d’un autre côté, les titude différente et pour une puis plusieurs années : les procédures de recherche
travaux académiques de Ben Ber­ sensibilité plus grande à la stabi­ nécessaires pour contrôler et réguler interdisciplinaire
présidente de la Banque centrale européenne nanke, qui ont contribué à une lité financière. D’autant que le les pratiques des grandes entreprises, en sciences sociales
avec celui de ses collègues à la tête des meilleure compréhension de la FMI n’est plus l’institution du mais plus généralement pour protéger
grande dépression des années « consensus de Washington » des les consommateurs et les citoyens d’in­
institutions monétaires des pays développés 1930, lui ont certainement été années 1980­1990, partisan de la formations fausses ou biaisées, font encore cruellement défaut.
utiles à la tête de la Fed. dérégulation. La crise de 2008 a Un livre publié en 2010 par Naomi Oreskes et Erik M. Conway,
considérablement modifié – traduit en 2012 sous le titre Les Marchands de doute (éditions Le

L
Elle a géré des crises financières peut­être même renversé – ses Pommier), a magistralement démontré, au terme de plusieurs
a désignation de Christine 2­3), en retenant uniquement les A sa suite, Janet Yellen – première positions à ce sujet. années d’enquête, comment de grandes entreprises, souvent sou­
Lagarde à la présidence de données sur les banques centra­ femme à occuper ce poste – s’est Christine Lagarde cumule donc tenues par des groupes d’intérêt et des organisations farouche­
la Banque centrale euro­ les des économies développées également appuyée sur une une carrière atypique et un par­ ment hostiles à l’idée même de régulation, étaient parvenues à
péenne (BCE) a surpris cer­ pour l’année 2011. réelle expérience scientifique et cours récent plus classique : au to­ mettre massivement en doute les résultats scientifiques les
tains et suscité de nombreuses Le parcours de Christine La­ de nombreuses années passées tal, elle n’est pas si différente des mieux établis, qu’il s’agisse des méfaits du tabagisme, des agents
interrogations : son expérience garde est connu : avocate durant dans le système des banques de autres présidents de banques cen­ chimiques (CFC) responsables du trou dans la couche d’ozone ou
passée l’a­t­elle correctement près de vingt­cinq ans, elle n’a pas réserves fédérales. Environ 62 % trales. Mais à travers son rôle au des émissions de CO2. De nombreux travaux ont depuis été con­
préparée à cette fonction stratégi­ travaillé dans le secteur bancaire des présidents de banques cen­ sein du gouvernement français et sacrés à la mise en évidence de ces pratiques, par exemple celle
que ? Il convient de se demander ou financier, et sa formation ini­ trales ont d’ailleurs eu une fonc­ du FMI, elle a été un témoin privi­ des industriels de l’amiante dans Ignorance scientifique & inac­
si, toutes choses égales par tiale n’est pas celle d’une écono­ tion au sein de ce type d’institu­ légié et a géré des crises financiè­ tion publique (Emmanuel Henry, Les Presses de Sciences Po, 2017).
ailleurs, ces questions auraient miste. Son prédécesseur, Mario tion. L’expérience de Mme La­ res, ce qui a sans doute influencé Dans tous les cas, les méthodes des semeurs de doute sont les
émergé en cas de nomination Draghi, avait été notamment pro­ garde au Fonds monétaire et marqué son rapport à l’instabi­ mêmes : profiter du fait qu’il n’est scientifiquement pas toujours
d’un homme… fesseur en économie, cadre chez international (FMI) pendant une lité financière en général. Elle a su possible d’affirmer qu’un fait A est de manière absolument cer­
En tant que première femme à Goldman Sachs, président de la période agitée, si importante écouter et prendre en compte les taine, exclusivement et à 100 %, la cause d’un fait B (le soda de
occuper ce poste, Christine La­ Banque d’Italie. En 2011, près de soit­elle, est de nature différente, opinions d’économistes de qua­ l’obésité, le tabac du cancer, l’activité humaine du réchauffement
garde est une exception : depuis 75 % des présidents de banques puisque le FMI ne conduit pas de lité, tout en prenant des décisions climatique…), c’est­à­dire profiter de ce qui caractérise précisé­
1970, moins de 1 % de tous les politique monétaire. selon des considérations pragma­ ment l’éthique scientifique pour remettre massivement en
mandats à la tête des banques Cela étant, la carrière de Mme La­ tiques. Face aux défis qui atten­ cause les résultats de la science. Il suffit alors de disposer des
centrales ont été effectués par des garde lui a permis de se forger dent la BCE, son parcours pour­ voix de quelques scientifiques égarés, non spécialistes de la dis­
femmes. Mais cette nomination une culture de prudence macrofi­ rait tout à fait tourner à son avan­ cipline, aveuglés par une idéologie ou plus rarement corrompus,
était­elle si peu probable ? Je m’ap­ nancière. Elle a en effet été minis­ tage, et à l’avantage de l’Europe qui soutiendront des positions contraires immédiatement sur­
puierai pour répondre à cette tre déléguée au commerce exté­ dans son ensemble.  médiatisées, de requalifier l’ensemble en « controverse » au sein
question sur une étude académi­
LA CARRIÈRE rieur en 2005, puis ministre de de laquelle les différentes positions apparaîtront pourvues de la
que dans laquelle nous avons col­ DE MME LAGARDE l’économie de 2007 à 2011. A ce même légitimité, puis de focaliser l’attention, grâce au finance­
lecté et analysé des centaines de poste, notamment à travers le G8, ment de chercheurs embarqués dans ces croisades, sur d’autres
données relatives aux parcours et LUI A PERMIS elle a fait face aux conséquences causes probables des problèmes (l’absence d’activité physique, la
mandats des présidents de ban­ de la crise de 2008. Cette expé­ teneur en goudron, le soleil…).
ques centrales (« Do Central Bank DE SE FORGER rience l’a propulsée à la direction Ariell Reshef est professeur
Governors Matter ? Macroecono­ UNE CULTURE générale du FMI. Un chemin associé à l’Ecole d’économie Empêcher les producteurs de « fake news » d’agir
mic Policy, Regulation and the Fi­ d’ailleurs statistiquement plus de Paris, directeur de recher- Le chapitre VI des Marchands de doute, intitulé « Le déni du chan­
nancial Sector », Ariell Reshef and DE PRUDENCE « classique » : 76 % des présidents che au CNRS à l’université gement climatique », devrait devenir une lecture obligée pour
Prachi Mishra, Journal of Money, de banques centrales font état Paris-I-Panthéon-Sorbonne et tous les étudiants : il explique de façon extrêmement précise
Banking and Credit, Vol. 51, Nos. MACROFINANCIÈRE d’une expérience au sein d’un conseiller scientifique au CEPII comment le rapport publié en 1983 par un comité constitué (ha­
bilement) au sein de l’Académie nationale des sciences améri­
caine, dénommé Changement climatique : rapport du comité
d’évaluation sur le dioxyde de carbone, a vu les conclusions des

Hélène Langinier Au Luxembourg,


spécialistes du climat considérablement amoindries par deux
parties rédigées par des économis­
DE GRANDES tes, dont le futur Prix Nobel d’écono­
mie William Nordhaus. L’usage du
ENTREPRISES SONT

des femmes immigrées au comité exécutif


raisonnement probabiliste permet­
tait, en effet, à ces derniers d’affir­
PARVENUES À mer que les changements majeurs se
METTRE EN DOUTE produiraient sans doute dans très
longtemps, et qu’il était donc urgent,
LES RÉSULTATS sinon de ne rien faire, au mieux de
Dans des pays multiculturels Au Luxembourg, le vivier local est insuffi­ importantes pour faire évoluer les pratiques. s’adapter, le temps venu, à un
sant pour répondre aux besoins du secteur. Et Désacraliser les filières d’études franco­ SCIENTIFIQUES monde à haute température.
comme le Luxembourg, il n’est pas rare que des femmes « de couleur », françaises sélectives en connaissant et en re­ Les mesures prises à la suite de la
les femmes d’origine africaine, d’origine mauricienne ou philippine, par connaissant mieux les diplômes étrangers de
LES MIEUX ÉTABLIS série de scandales récents (« diesel­
arabe ou asiatique accèdent exemple, soient membres de comités exécu­ bon niveau semble à cet égard une nécessité, gate », Monsanto…) révélant des pra­
tifs. Ce qui est impensable dans l’Hexagone. tout en développant une offre de mise à ni­ tiques qui mettent en grand danger non seulement la santé des
à des postes à responsabilités Dans des contextes multiculturels de ce veau rapide en langue française. Favoriser humains, mais plus gravement le caractère habitable de régions
sans commune mesure avec type, nos recherches mettent en évidence l’émergence de réseaux thématiques in­ de la planète, n’ont pas été à la hauteur. Nous devons agir pour
que le genre, les caractéristiques ethniques cluant des femmes, notamment d’origine empêcher les producteurs de « fake news » d’agir mais surtout,
ce que l’on observe en France et la nationalité comptent beaucoup moins étrangère, pourrait aussi aider celles­ci à en amont, pour rendre inopérante la production de fausse
dans le potentiel de réussite professionnelle trouver des appuis. science ou d’ignorance scientifique.

L
que la maîtrise de plusieurs langues étrangè­ Certes, des progrès ont été réalisés ces der­ D’abord, il est essentiel que les entreprises publient la liste des
a trop faible diversité des élites fran­ res, l’aisance à se mouvoir hors de son mi­ nières années en matière de diversité. En chercheurs et des institutions qu’elles financent (c’est parce que
çaises est un sujet de préoccupation lieu d’origine grâce au développement de signant des chartes, en se faisant labelliser, cela a été le cas que Le Monde a pu réaliser son enquête sur Coca­
récurrent. Dans une période où le mar­ compétences interculturelles et, bien sûr, le beaucoup d’entreprises se sont engagées os­ Cola), qu’une véritable traçabilité des fonds soit organisée et que
ché des cadres se tend (moins de 4 % de niveau d’expertise. tensiblement dans des démarches favorisant les scientifiques rendent publics le nom de leurs financeurs, les
chômage actuellement), les entreprises fran­ l’inclusion. Le rapport de l’Institut Montaigne montants obtenus et la nature des travaux réalisés. Le contrôle
çaises vont devoir, elles aussi, modifier leurs Les stéréotypes ont la vie dure Dix ans de politiques de diversité : quel bilan ? de l’ensemble de ce processus doit être renforcé.
pratiques de recrutement et de promotion si Dans de tels univers professionnels, de haut (septembre 2014) témoigne des avancées réa­ Mais cela est loin de suffire. Car ces affaires mettent en évi­
elles veulent éviter de se priver de nom­ niveau et très internationalisés, les réseaux, si lisées. L’exigence légale pour les entreprises dence, plus généralement, le problème de l’indépendance et des
breux talents. utiles aux carrières, apparaissent comme par­ du CAC 40 d’atteindre un quota de 40 % de moyens accordés aux chercheurs et aux institutions scientifi­
Notre recherche menée au Luxembourg ticulièrement diversifiés. Les femmes origi­ femmes au sein de leur conseil d’administra­ ques. La seule manière d’empêcher la production de « fausse
montre que les diplômées de l’enseignement naires de pays en développement, venues vo­ tion a contribué à l’amélioration de la parité. science » est de disposer d’institutions scientifiques puissantes,
supérieur issues de minorités visibles accè­ lontairement faire carrière au Luxembourg et Même si l’interdiction de collecte des don­ totalement indépendantes, dotées d’importants moyens de
dent à des responsabilités sans commune ayant accédé à des postes de premier plan, ont nées ethniques rend les mesures très diffici­ financement et de scientifiques indépendants et bien payés,
mesure avec ce que l’on peut observer en une conscience claire qu’elles ont bénéficié de les, un mouvement s’est amorcé aussi à capables de répondre aux questions des gouvernements, des
France (« Understanding Shapers of Success of cette ouverture. Elles ont le sentiment de l’égard des immigrés et des minorités visibles. parlementaires et des citoyens – comme le suggère le dernier
Female Self­Initiated Expatriates From Emer­ jouer à armes égales avec leurs homologues Mais l’accès de femmes d’origine étrangère à rapport de France Stratégie consacré à l’expertise –, mais égale­
ging Countries », Hélène Langinier, Aline Pe­ occidentaux et masculins. des postes à responsabilités reste aujourd’hui ment susceptibles d’autosaisine.
reira Pündrich et Akram Al­Ariss, communi­ Les freins traditionnels aux carrières fémi­ pour le moins anecdotique, alors même que Or, comme l’ont unanimement souligné les lauréats du prix
cation à la conférence annuelle de l’European nines, le stéréotype de la mère de famille nos grandes entreprises opèrent désormais à Nobel présents à l’Elysée lors du débat organisé par le président
Academy of Management, 26­28 juin 2019). non investie à fond dans sa carrière, ont cer­ l’échelle du monde. A quand des femmes de la République avec des intellectuels le 18 mars, l’attractivité
Dans les cabinets d’audit, par exemple, les tes la vie dure, mais ces femmes « de cou­ d’origine africaine, arabe ou asiatique dans les des carrières scientifiques est en France de plus en plus faible,
postes d’associés ou de directeurs sont, en leur », issues de pays souvent assez machis­ états­majors du CAC 40 ?  et les moyens destinés à la recherche, censés atteindre 3 % du
France, quasi monopolisés par des anciens tes, montrent que ces obstacles peuvent être PIB, n’ont jamais dépassé 2,3 % depuis trente ans. La seule re­
élèves de quelques grandes écoles, hommes surmontés. cherche publique atteint péniblement 0,8 %, et les recrute­
pour la plupart et Blancs pour l’immense ma­ La France pourrait­elle s’inspirer de ce ments y sont en forte baisse.
jorité. Alors que l’on compte, par exemple, modèle pour donner, elle aussi, leur chance à Le 1er février, à l’occasion des 80 ans du CNRS, le premier minis­
27 % de femmes parmi les associés des filiales des profils différents et enrichir ainsi ses équi­ tre a annoncé la préparation pour 2021 d’une loi de programma­
luxembourgeoises des Big 4 (les quatre plus pes managériales ? La France ne deviendra pas Hélène Langinier est chercheuse tion pluriannuelle pour l’enseignement supérieur et la recherche.
grands cabinets d’audit mondiaux, tous amé­ le Luxembourg, mais l’expérience luxem­ au laboratoire Humanis de l’EM Strasbourg Mais l’urgence est là : nul besoin d’attendre 2021 pour engager les
ricains) pour une moyenne mondiale de 19 %. bourgeoise montre qu’il y a des marges Business School profondes réorientations que cette loi devrait promouvoir. 
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26 | idées DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

Colette
« La fin
d’un Tour
de France »
En juillet 1913,
dans « Le Matin »,
la romancière
publie un reportage
dans lequel elle relate
Colette, romancière la dernière étape
et journaliste de l’édition
La 106e édition du Tour de France de la Grande Boucle
a débuté le 6 juillet à Bruxelles, en
Belgique, une terre de cyclisme qui remportée par le Belge
a vu naître nombre de vainqueurs
de la Grande Boucle : Eddy Merckx, Philippe Thys La « une » du journal « Le Matin » daté du lundi 28 juillet 1913. BNF
cinq fois victorieux (de 1969 à
1972, puis en 1974), Lucien Van
Impe (1976) ou encore le Bruxellois

E
Philippe Thys, qui fut le premier
coureur à remporter trois fois
l’épreuve (en 1913, 1914 et 1920). n allez­vous de d’là, bon Dieu ! Ils Il parle encore qu’un nuage bas blanchit fait chaud. Un soleil orageux couve toute
En 1913, à l’orée de la première viennent, ils viennent ! » au détour de la route et roule sur nous. cette férocité anonyme.
victoire de ce cycliste aujourd’hui Nous ne bougeons pas. Nous Nous sommes aveuglés, suffoqués ; nous La foule cordiale, joviale, attend, tout le
oublié, le quotidien Le Matin restons muets et dédaigneux démarrons à tâtons ; une voiture­pilote long de Poissy, les coureurs que nous rat­
dépêche, lors de l’ultime étape dans l’automobile, rangée au hurle à nos trousses comme la sirène IL Y A EN NOUS, trapons. Un bon gros père, un peu saoul,
qui s’achève au Parc des Princes, à bord de la route près du passage d’un navire perdu, une autre nous frôle et veut témoigner son enthousiasme en
Paris, la romancière Colette (1873- à niveau de Villennes. Une heure d’at­ nous dépasse, d’un élan hardi et ondu­
ET PARTOUT AUTOUR étreignant l’un des automates noir et
1954). Après avoir fait ses débuts tente nous a édifiés sur la valeur de cet leux de poisson géant ; un fretin affolé de DE NOUS, LE GOÛT jaune, qui passe ralenti : l’automate sans
journalistiques sous la houlette avertissement, jeté en passant par des cyclistes aux lèvres terreuses, entrevus visage détache soudain, sur la trogne du
de son premier mari, c’est au Ma- bicyclistes. Ils sont rouges, excités, dans la poussière, s’agrippe aux ailes des DÉMONIAQUE gros père, un poing terrible, et rentre
tin, à partir de 1910, qu’elle fait son suants ; ils arborent de petits drapeaux à automobiles, dérape, s’écrase… dans son nuage comme un dieu vengé…
apprentissage avec Henry de Jou- leur guidon et pédalent très vite, en Nous suivons, engrenés dans la course. DE LA VITESSE POUR Avenue de la Reine, à Boulogne. La
venel, qui est à la fois le rédacteur criant des choses péremptoires. Ce ne J’ai vu passer devant nous, tout de suite LA VITESSE, L’IMBÉCILE foule, de plus en plus dense, a envahi le
en chef du journal et son second sont pas des éclaireurs, ce sont des petits avalés par des tourbillons lourds, trois milieu de la chaussée, et, dans son zèle
époux. Reportage, compte rendu jeunes gens du dimanche, qui jouent à coureurs minces : dos noir et jaune, chif­ ET INVINCIBLE ENVIE incommode, s’ouvre tout juste devant le
de procès, chronique, billet, conte : troubler le calme du paysage maraîcher frés de rouge, trois êtres qu’on dirait sans gagnant, qui maintenant relève la tête,
quel que soit le genre auquel elle et n’y arrivent pas. visage, l’échine en arceau, la tête vers les D’ÊTRE « LE PREMIER »… montre ses yeux exaspérés et sa bouche
s’adonne, l’auteure des « Claudine » De Poissy à Villennes, les marges pous­ genoux, sous une coiffe blanche… Ils ont ouverte, qui peut­être crie de fureur… On
fait montre d’un don aigu de siéreuses de la route servent de tapis à disparu très vite, eux seuls muets dans le lui fait place, mais la foule se referme
l’observation, d’un souci du détail des familles paisibles, à des cyclistes sans tumulte ; leur hâte à foncer en avant, leur devant nous qui le suivons, comme un
et d’un sens de la formule qui font prétention guêtrés de ficelles, à quelques silence semblent les isoler de ce qui se min de fer, où la barrière fermée immo­ champ d’épis serrés se remêle après une
le sel de ses articles. poivrots dominicaux. Il y en a qui déjeu­ passe ici. On ne dirait pas qu’ils rivalisent bilise un instant la course. Une foule rafale. Un second coureur nous frôle,
Dans l’article consacré au Tour nent en attendant, comme nous, le re­ entre eux, mais qu’ils nous fuient et claire, endimanchée, attend et acclame ; pareillement entravé par la multitude qui
de France de 1913, le regard de la tour des « Tour de France ». qu’ils sont le gibier de cette escorte où se là encore, les petits hommes noir et le fête, et sa blonde figure, pareillement
romancière se pose moins sur Le vent léger balance les graines d’as­ mêlent, dans la poussière opaque, des jaune, chiffrés de rouge, se faufilent par furieuse, vise follement un point devant
l’événement proprement dit que perges, les fleurs d’oignons et les épis en­ cris, des coups de trompe, des vivats et la porte des piétons, franchissent la voie lui : l’entrée du vélodrome…
sur le spectacle populaire qu’il core debout, portant avec lui l’abomina­ des roulements de foudre. et s’éclipsent. Nous restons parqués der­ C’est fini. Il n’y a plus maintenant que la
suscite. Que ce spectacle ait lieu ble odeur des épandages nourriciers. De Nous suivons, nourris de fin silex cro­ rière les grilles, furieux et comme frus­ piste immense du Parc des Princes,
sur la route, où les coureurs temps en temps, un adolescent dévale sur quant, les narines brûlées. Il y a devant trés. Le nuage de poussière, un instant emplie d’une foule étale. Les cris, les bat­
pédalent « dos noir et jaune chiffrés, deux roues, les basques au vent, et crie, nous, dans le nuage, l’ombre basse et va­ abattu, me laisse voir une triple file d’im­ tements de mains, les musiques, ne sont
l’échine en arceau, la tête dans les les yeux hors de la tête, des nouvelles dra­ gue d’une automobile invisible, proche patientes et puissantes voitures, couleur que brise au prix de la bourrasque. Mais
genoux » et où les « petits jeunes du matiques, inventées, tout exprès : pourtant à la toucher du capot ; nous de route, couleur de boue – des chauf­ je vois encore, là­bas, très loin, de l’autre
dimanche » à bicyclette s’amusent « Y en a un qui vient de se tuer !… grimpons sur le siège pour regarder, der­ feurs couleur de muraille et masqués, côté du cirque, je vois se lever, s’abaisser,
à lancer des nouvelles alarmantes – I’ sont plus que trois de l’équipe rière, un autre fantôme de voiture, et qui guettent, prêts à dépasser, d’une em­ comme les deux bielles minuscules et in­
sur le peloton ; au milieu du ballet Peugeot ! Tout le restant a crevé !… » d’autres derrière celui­là ; on devine des bardée peut­être mortelle, le voisin de fatigables qui suffisaient à émouvoir
chaotique des voitures suiveuses, Mais voici d’autres gens, également bras agités, on entend des cris qui nous devant… A ma droite, deux hommes cette tempête mécanique, les deux jam­
auquel elle assiste juchée sur le montés sur deux roues ; non plus rouges, maudissent et réclament le passage. Il y a sont debout dans leur voiture, tendus en bes menues du triomphateur. 
siège de l’une d’entre elles ; ou mais d’un jaune étrange, ils semblent ap­ partout, autour de nous, le danger, la suf­ gargouilles par­dessus la tête de leur colette
dans la foule « claire, endiman- partenir à une autre race. Un maquillage focante odeur grasse et brûlée des incen­ conducteur. Dans la voiture de gauche,
chée », « cordiale », « joviale », qui de sueur et de poussière les masque, em­ dies commençants ; il y a en nous, et par­ un autre, noir, de graisse et d’huile, se
est de plus en plus dense à mesure pâte leurs moustaches ; leurs yeux caves tout autour de nous, le goût démoniaque tient, à croppetons [sic], les pieds sur les
que l’arrivée approche. Colette entre des cils plâtreux leur donnent un de la vitesse pour la vitesse, l’imbécile et coussins, et darde sur la route le regard
excelle à dépeindre cette foule air de puisatiers rescapés. invincible envie d’être « le premier »… de ses lunettes bombées. Tous ont l’air Ensemble réalisé en partenariat
– au risque de s’y fondre et de « Ça, c’est les amateurs sérieux, dit mon Cependant les coureurs muets – tête prêts à bondir, à frapper, et l’objectif de avec Retronews, le site de presse
n’apercevoir du « triomphateur » compagnon. Les coureurs ne sont pas modeste du cortège assourdissant – maint appareil photographique in­ de la Bibliothèque nationale
que « ces deux jambes menues ». loin… » nous ont menés jusqu’à la voie du che­ quiète, braqué, comme un canon noir… Il de France (BNF). Retronews.fr
0123
DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019 carnet | 27
Nous avons le chagrin de faire part

Richard Herlin Le Carnet


Vous pouvez nous envoyer
du décès, le 5 juillet 2019, de

Hanna MALEWSKA-PEYRE,
directrice de recherche du CNRS,
professeur à l’Académie de sciences
Prix de l’association
#StopCorruption
Prix

en vente
vos annonces par mail : actuellement
Correcteur au « Monde » carnet@mpublicite.fr
en précisant vos coordonnées
de Pologne,
engagé professionnellement
et associativement
Fondée en avril 2018,
l’association #StopCorruption
(nom, adresse, téléphone et votre éventuel
numéro d’abonné ou membre de la SDL)
pour la protection de l’enfance
et des migrants.
décerne un Prix destiné à distinguer K En kiosque
tous les deux ans
Réception de vos annonces :
du lundi au vendredi La cérémonie aura lieu le jeudi des publications scientifiques
jusqu’à 16 heures
le samedi et les jours fériés
18 juillet, à 10 heures, au
crématorium du cimetière du Père-
et des travaux universitaires 0123
hors-série

Lachaise, 71, rue des Rondeaux, apportant une réflexion approfondie Géopolitique
jusqu’à 12 h 30 des
Paris 20e. sur l’état de la corruption îles en
Pour toute information dans le monde ou développant 40 cartes
complémentaire Carnet :
Jan et Maïki Malewski, des propositions en matière
01 57 28 28 28 70, avenue Faidherbe, de bonne gouvernance et d’éthique.
93100 Montreuil.
AU CARNET DU «MONDE» janmalewski@free.fr
Les travaux éligibles - thèses,
Pierre Parizet, ouvrages (ou chapitres d’ouvrages),
Décès son frère, mémoires de recherche de
Hors-série
Sa famille 2e année de Master, revues et articles
Bellefond (Côte-d’Or). Et ses amis,
Angers (Maine-et-Loire). scientifiques - peuvent être rédigés
Châtillon (Hauts-de-Seine). ont la tristesse d’annoncer le décès en français ou en anglais HORS-SÉRIE
de et doivent avoir été publiés UNE VIE, UNE ŒUVRE

Mme Marie-Claude Delorme- ou réalisés au cours des deux années ÉDITION

Saulnier, Marie-Josèphe PARIZET, 2019

sociologue au CNRS, précédant la remise des prix,


son épouse,
Le docteur Thierry Delorme, jusqu’à la date limite de dépôt
survenu le 9 juillet 2019,
son épouse, Corinne, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. des candidatures Marcel
Proust
son fils et sa belle-fille, (entre le 1er janvier 2017 À l’ombre
de l’imaginaire
Quentin, Ses obsèques ont eu lieu et le 15 octobre 2019).
son petit-fils le 12 juillet, dans l’intimité, à Le Toutes les lectures de la Recherche, par Jean-Paul et RaphaëlEnthoven

En 2017. Ainsi que toute sa famille Noyer (Cher).


LUCAS BARIOULET POUR « LE MONDE » Et ses amis, Le règlement du Prix et le dossier Hors-série
« Je suis du côté de l’espérance. » de candidature peuvent être
ont la douleur de faire part du décès Aimé Césaire.
consultés et téléchargés sur le site
de de l’association :
Remerciements www.stop-corruption.fr
HORS-SÉRIE

M. Jean DELORME,

I
l ne faut pas pleurer pour ce 30 NOVEMBRE 1959 Nais- Au moment où
docteur en droit,
qui n’est plus, mais être heu­ sance à Neuf-Mesnil (Nord) ancien agent comptable de la CRAM Retrouvez également davantage L’HISTOIRE
reux pour ce qui a été. C’est 1990-2003 Bibliothécaire- Bourgogne Franche-Comté, Jacques AUDOLLENT d’informations sur les missions,
DE LA

sans doute ce que nous rap­ documentaliste à l’Ecole supé- MÉDITERRANÉE


vient d’entrer dans l’invisible, réalisations et membres fondateurs
pellerait « Richie » s’il voyait nos rieure de journalisme de Lille survenu le 10 juillet 2019, le 27 juin 2019, votre témoignage, de l’association sur le site.
yeux rougis et nos mines inconso­ 2005 Diplôme national de à l’âge de soixante-seize ans. votre présence, l’envoi de fleurs, de
lables. Richard Herlin, correcteur lecteur-correcteur-réviseur messages d’amitié ou de sympathie
La cérémonie civile sera célébrée nous ont beaucoup touchés. Les candidats devront transmettre
au Monde, est mort le 10 juillet 2005 Entrée au « Monde »
le lundi 15 juillet, à 14 h 30, en la salle leurs travaux, au format PDF,
d’une leucémie. Il avait 59 ans. 10 JUILLET 2019 Mort Nous vous en remercions
de cérémonie du crématorium à l’adresse électronique suivante : Hors-série
Né le 30 novembre 1959 à Neuf­ à Martel (Lot) de Dijon Mirande. chaleureusement !
Mesnil, petite commune proche prix@stop-corruption.fr
de Maubeuge (Nord), il parlait Philippe et Michel,
Condoléances sur registres. ses frères
parfois de son enfance de peu de Date limite de dépôt des candidatures :
Ses enfants
chose. Issu d’une famille de cinq met chaque jour d’apprendre quel­ Pas de plaques pas de fleurs. et leurs familles. mardi 15 octobre 2019, à minuit. LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE # 12 - ÉTÉ 2019

enfants, fils d’un contremaître que chose de nouveau ». Pour Réveillez la


CAHIER NEUROSCIENCES

nature
L E C E R V E A U C R É AT I F
DE NOS RÊVERIES

Cet avis tient lieu de faire-part « Toujours avancer vers la vie… »


AV EC NOTRE PROGR A MME
GRE ATER GOOD SCIENCE

d’usine mort durant son adoles­ nous, il n’y avait pas de doute, on
D E L’ U N I V E R S I T É
BERKELE Y EN CALIFORNIE

et de remerciements. Jacques Audollent, janvier 2018.


LA BELLE RENCONTRE
FRÉDÉRIC LOPEZ
MES HÉROS
qui est en vous
cence et d’une mère devenue gra­ avait la chance d’avoir le meilleur DU BOUT DU MONDE

vement malade par la suite, il gar­ correcteur de sa catégorie. Il ne dé­ Vaugelas,


La direction 26400 Montclar-sur-Gervanne.
LE VERT, VITAMINE

dera toute sa vie un profond res­ sarmait jamais dans la chasse aux D’UN MORAL AU BEAU FIXE

Et l’ensemble des collaborateurs OSEZ LIBÉRER


VOS INSTINCTS SAUVAGES

pect pour les « petites gens ». « députés­maires », à la construc­ du cabinet Rise conseil,
LE POUVOIR BIENFAISANT
DES PLANTES ET DES ANIMAUX

Après un bac littéraire, il est le tion de logements « neufs », aux Très touchés par les marques de
sympathie et de soutien qui leur ont
Michelle Obama
« Mon combat de femme pour la santé des enfants »
premier de sa famille à entrer à lettres capitales non justifiées et à ont la tristesse d’annoncer la été témoignées lors du décès, à l’âge
l’université, où il obtient, en 1983, tout ce qui pouvait être « typogra­ disparition prématurée des suites de quatre-vingt-dix-sept ans, de Prix de la découverte poétique Trimestriel
une licence d’anglais. Les petits phiquement contrevenant ». d’une longue maladie de leur Simone de Carfort 2019
boulots accompagnent sa ving­ Richard militait pour une langue président et fondateur, M me
Andrée POTHERAT.
Fondation
taine, un peu d’usine, un peu de moderne, évolutive et n’aimait
théâtre. Il est amoureux aussi, de­
puis le lycée, de Christine, qui de­
rien tant que redorer des locu­
tions méprisées, faire briller les
Dominique DESAILLY,
Anne-Marie, Pierre-Henri,
Dominique et Elisabeth,
ses enfants,
Frédéric et Simone de Carfort,
sous l’égide Collections
école normale supérieure
viendra sa « compagne de vie ». autrices et les patronnes. Certains Ses petits-enfants de la Fondation de France.
de Saint-Cloud 81, Et ses arrière-petits-enfants,
Avec elle, il ébauche un projet sujets ne souffraient guère de dé­ chevalier présente
communautaire en Ardèche et bat pour lui, sur la laïcité, l’égalité, de l’ordre national du Mérite, remercient sincèrement les personnes Ce prix a pour objet la découverte
s’initie à la lutte contre les discri­ ou sur la place des femmes dans la qui se sont associées à leur peine. d’un poète d’expression française,
minations, en particulier celles société et dans notre langue, qu’il inconnu ou méconnu.
que subissent les femmes. essayait continuellement d’ame­ survenu le 10 juillet 2019. Elle repose à Lirac (Gard), près de
sa fille, Adresser
En 1990, il s’engage dans une ner vers plus d’inclusivité.
Ses obsèques auront lieu en soit quatre jeux identiques
formation de bibliothécaire et Passionné de documentaires, Françoise
Normandie, dans la stricte intimité de 30 à 50 poèmes inédits,
auprès de l’Ecole supérieure de membre régulier du Festival familiale.
journalisme de Lille (ESJ), où il oc­ audiovisuel régional de l’Achar­ et de son fils, soit quatre exemplaires
cupera le poste de bibliothécaire­ nière, à Lille, il avait contribué à Ils présentent leurs condoléances Jean-Louis. d’un ouvrage de poésie édité
documentaliste pendant treize mettre en place à l’ESJ un ate­ à sa famille et à ses proches. au cours des cinq dernières années,
ans. Soizic Bouju, directrice des lier de documentaire, persu­ Anniversaire de décès jamais primé,
études entre 1998 et 2003, deve­ adé que c’était en étudiant le Alak, Dès mercredi 10 juillet,
accompagnés d’une notice
nue l’une de ses plus proches contrepoint du journalisme que son épouse, Le 15 juillet 2018 - 15 juillet 2019. le volume n° 18
amies, se souvient d’avoir ren­ les élèves apprendraient le Aline et Laurent, biographique LES ENFANTS
ses enfants, Déjà un an que
contré un garçon aux « cheveux mieux leur métier. avant le 25 octobre 2019 DU CAPITAINE GRANT TOME 3
longs jusqu’aux fesses et qui a tout Curieux, cultivé, il s’épanouissait Octave PARANT en pli non recommandé à :
ont la tristesse d’annoncer le décès
de suite été un point de surprise, de tout autant au théâtre que dans de
fraîcheur, tendre et loufoque ». des fictions radiophoniques dont nous a quittés.
Fondation de France
la dernière, diffusée sur France François DURIAUD, « Tu n’es plus là où tu étais, Prix Simone de Carfort, LES GRANDS PERSONNAGES
DE L’HISTOIRE EN BANDES DESSINÉES
Un « obsédé textuel » Culture, s’appelait singulièrement journaliste à l’agence Reuters mais tu es partout là où je suis. »
40, avenue Hoche, 75008 Paris.
En 2005, il intègre l’école des cor­ Vivre ma mort. Richard haïssait la de 1962 à 2000,
recteurs Formacom, à Pantin précipitation et n’était pas friand chef de bureau Léo Parant,
à Kinshasa, Alger, Delhi, Charlotte Parant. Le montant du prix
(Seine­Saint­Denis), et se consa­ du mouvement d’une manière gé­
cre enfin à ce qui lui plaît vrai­ nérale. Il avait horreur de se dépla­ directeur du service français, est de 2 500 euros.
ment : les anacoluthes et les am­ cer, sauf pour rejoindre son para­
rédacteur en chef Souvenirs Aucun retour des manuscrits
pour le Moyen-Orient, la France,
phibologies. Diplômé, il colla­ dis du Lot, qu’il a choisi comme Il y a vingt ans, je te perdais, ne sera fait.
bore avec Le Monde, Le Point, Li­ dernière demeure. survenu le 8 juillet 2019, je croyais avoir fait mon deuil avant
vres Hebdo, La Revue dessinée, Personne ne peut dire qu’il a en­ à l’âge de soixante-dix-huit ans. ce 15 juillet 1999, il s’achève
corrige les questions SMS de tendu une fois Richard se plain­ maintenant.
Société éditrice du « Monde » SA
l’émission « C’est dans l’air ». dre, et le sale diagnostic, tombé Les obsèques auront lieu à Président du directoire, directeur de la publication
Regrets éternels mais apaisés. Louis Dreyfus
En 2011, il se range et entre dans en octobre 2018, n’y a rien Londres, dans l’intimité. Directeur du « Monde », directeur délégué de la Actuellement en kiosque,
une relation monogame avec le changé. Ces derniers temps, sa Pour et de
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio le volume n° 13
Directeur de la rédaction Luc Bronner
« journal vespéral de référence ». plus grande douleur était de Vitry-en-Perthois (Marne). Directrice déléguée à l’organisation des rédactions CHURCHILL TOME 1
Richard n’était pas correcteur, il provoquer du chagrin chez les Emmanuel(le) BOCHET. Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction
Ses enfants, Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
était rédacteur­réviseur­correc­ autres. Pour lui, il ne s’en fai­
teur. « Un obsédé textuel du genre
voyeur [qui] a fait de son vice un
sait pas, « quelle chance j’ai eu
d’en être arrivé là », disait­il en­
Ses petits-enfants
Et toute la famille, Il y a treize ans, le 15 juillet 2006,
Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue,
Caroline Monnot, Cécile Prieur
Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon,
Sylvie Kauffmann
Nos services
Rédaction en chef numérique
Lecteurs
métier honnête », c’est lui qui le di­ core à ses proches. Il se trompait. ont la tristesse de faire part du décès Yves BOUVIER, Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
sait. Drôle, volubile, provocateur, La chance, c’est nous qui l’avons de principal de collège (e.r.) Rédaction en chef quotidien
doux, avec son inoubliable dé­ eue. Merci Richie.  à Neuilly-sur-Marne et Paris, Michel Guerrin, Christian Massol

M. Pierre LAMORT,
Directeur délégué au développement du groupe K Abonnements
gaine de grand adolescent, por­ hélène bekmezian mourait à Nantes d’un cancer
Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
tant beau, il attirait la lumière combattu avec courage. Rédacteur en chef chargé des diversifications
sans jamais la prendre. Au [Correcteur au « Monde » depuis 2005, survenu à l’âge de quatre-vingt- éditoriales Emmanuel Davidenkoff
Richard Herlin était unanimement quatorze ans. Son épouse demande à ceux Chef d’édition Sabine Ledoux www.lemonde.fr/abojournal
Monde, où il était devenu l’un des apprécié pour son amour rigoureux Directrice du design Mélina Zerbib
qui l’ont connu et estimé d’avoir
plus estimés membres de la ré­ de la langue, son humour et son goût La cérémonie religieuse est une pensée pour lui.
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez K Le Carnet du Monde
daction numérique, ses gestes, pour la transmission. « Le Monde » célébrée ce samedi 13 juillet 2019, Infographie Delphine Papin Tél. : 01-57-28-28-28
adresse ses pensées à sa famille, Médiateur Franck Nouchi
ses mots, tout était empreint de à 14 heures, en l’église Saint-Memmie In memoriam. Directrice des ressources humaines du groupe
à ses proches, et à toutes celles et ceux,
légèreté et de délicatesse. au site et au journal, qui ont aimé sa per- de Vitry-en-Perthois. Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Ce qu’il aimait dans son métier, sonnalité profondément libre. Jean-Pierre GUINDON, Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
disait­il, c’est le doute, qui « per­ Jérôme Fenoglio, directeur du « Monde »] Cet avis tient lieu de faire-part. 5 septembre 1937 - 14 juillet 2009. Sébastien Carganico, vice-président
0123
28 | 0123 DIMANCHE 14 ­ LUNDI 15 JUILLET 2019

L’AIR DU TEMPS | CHRONIQUE LA TURQUIE


par fr é dér ic p ote t
DEVANT dant l’été 2016. Depuis, il n’a fait que s’ac­ agressive. Il fait en outre le jeu de Vladimir
centuer. Le « nouveau tzar » et le « nouveau Poutine, qui se sert de ces missiles et du
UN CHOIX
Poésie des GÉOSTRATÉGIQUE
sultan » ont beaucoup en commun, leur
conservatisme comme leur autoritarisme,
leur goût de l’histoire comme leur volonté
dossier turc pour enfoncer un coin dans les
divisions au sein de l’OTAN.
L’administration Trump a donné jus­
communes nouvelles de rendre à leurs pays respectifs ce qu’ils
considèrent être le rang qui lui revient. Les
S­400 sont le symbole de cette très inédite
qu’au 31 juillet à Ankara pour renoncer à
cette acquisition, sous peine de sanctions
économiques qui pourraient être fatales à
alliance russo­turque. une économie turque déjà affaiblie.
L’achat par la Turquie, en septembre 2017, Washington menace également d’écarter la

S
ur la route des vacances, LA LOI DU 16 MARS 2015 de ces missiles de défense aérienne, pour Turquie du programme de construction
les toponymistes sont à la 2,2 milliards d’euros, avait semé la conster­ des F­35, les chasseurs furtifs américains de
fête, depuis quelques an­ A ÉCRIT DE NOUVEAUX nation parmi ses alliés. Pilier du flanc sud­ dernière génération, auquel participent
nées. Les dispositifs favo­ est de l’Alliance atlantique depuis 1952 et des entreprises turques. Le programme
risant les fusions de communes NOMS SUR LA CARTE deuxième armée de l’OTAN par le nombre d’entraînement des pilotes turcs sur ces
offrent une matière première iné­ de soldats, la Turquie n’a certes jamais été avions a déjà été gelé.
DE FRANCE
dite aux linguistes spécialisés
dans l’étude étymologique des
noms de lieux. En engendrant
785 municipalités nouvelles de­
puis son adoption, la loi du
Revermont. Dans l’Eure, c’est un
« Saint­Chesnarts » qui faillit voir
T rois ans presque jour pour jour
après la tentative de coup d’Etat mi­
litaire qu’elle avait contribué à faire
échouer, la Russie a commencé à livrer,
vendredi 12 juillet, son système de missiles
un partenaire facile, surtout depuis l’arri­
vée au pouvoir en 2002 des islamistes de
l’AKP (Parti de la justice et du développe­
ment). Réticente à l’engagement en Afgha­
nistan, hostile à l’intervention en Libye et
Si Donald Trump donne de la voix, les
autres membres de l’Alliance semblent
pour le moment hésiter sur l’attitude à
adopter, au­delà de l’expression de leur
« préoccupation », et espèrent que les récen­
16 mars 2015 relative « à l’améliora­ le jour en 2016 en lieu et place des S­400 à la Turquie. Vladimir Poutine avait longtemps ambiguë vis­à­vis des djihadis­ tes déconvenues du parti de M. Erdogan
tion du régime de la commune communes du Chesne et des Es­ été le premier chef d’Etat à téléphoner à Re­ tes de l’organisation Etat islamique, la Tur­ aux élections municipales aboutiront à sa
nouvelle, pour des communes for­ sarts. Las : le diocèse s’étant ému cep Tayyip Erdogan pour souhaiter « un re­ quie d’Erdogan inquiétait déjà de plus en défaite à la prochaine élection présiden­
tes et vivantes » a ainsi écrit autant qu’aucun saint ne déclinait une tour rapide à la stabilité ». Le président plus ses partenaires. tielle… en 2023. Les statuts de l’OTAN ne
de nouveaux noms sur la carte de telle identité, la préfecture s’y est turc ne l’a pas oublié – pas plus qu’il n’a Le défi lancé à l’OTAN par l’installation prévoient pas la possibilité d’exclure un
France. Des noms parfois cocas­ opposée ; l’appellation de Marbois oublié la retenue de ses partenaires occi­ des S­400 – si toutefois elle est réellement Etat membre, ni même de le suspendre. La
ses, poétiques, fruit de consensus fut alors choisie par défaut. dentaux, ni leurs critiques, justifiées, de la menée à son terme – est sans précédent. Turquie était déjà en voie de marginalisa­
complexes pour d’autres. Des Car le dernier mot revient bien à répression qui n’a jamais cessé, avec quel­ Ces missiles vont compliquer les opéra­ tion, notamment en raison des purges opé­
noms originaux à tout le moins, l’Etat, comme a cru nécessaire de que 50 000 arrestations et le limogeage de tions militaires occidentales. Leur déploie­ rées dans l’armée après le putsch raté de
qui esquissent l’aménagement le rappeler une directive du minis­ plus de 150 000 fonctionnaires. ment pose la question de leur compatibi­ 2016. A elle, à présent, de faire en toute luci­
territorial de demain. tère de l’aménagement du terri­ Le réchauffement des relations entre lité avec le reste de l’équipement des ar­ dité le choix géostratégique qu’impose l’af­
Exemple à Cherré­Au. « Cherré toire adressée aux préfets en Moscou et Ankara, jusque­là adversaires mées de l’OTAN et de la sécurité de faire des S­400. Mais jouer sur les deux ta­
quoi ? », s’étoufferont peut­être les avril 2017. Le document revient dans le conflit syrien, avait commencé pen­ l’Alliance face à une Russie toujours plus bleaux ne sera pas longtemps possible. 
géographes amateurs de la Sarthe. sur un certain nombre de règles
Créée le 1er janvier 2019, cette com­ destinées à éviter des « dénomina­
mune nouvelle est née de la fu­ tions dénuées de tout lien avec la
sion de Cherré (1 700 habitants) et toponymie ». Il invite les élus lo­
Cherreau (900 habitants), deux caux à consulter les archives dé­
villages limitrophes à l’appella­ partementales et précise que le
tion voisine (Cherreau signifiant Conseil d’Etat n’admet pas les
« le petit Cherré », selon l’histoire noms fondés sur « des considéra­
locale). Après avoir décidé de ne tions de simple publicité touristi­
faire qu’un, les deux conseils mu­ que ou économique ».
nicipaux ont longtemps phos­ Ce cadre n’empêche pas une cer­
phoré afin d’adopter un nom taine liberté. Stéphane Gendron a HORS-SÉRIE
commun ; une commission ad recensé plusieurs cas de commu­
hoc a même été créée, avant que la nes nouvelles baptisées à partir de
population soit invitée à donner noms de rivières ou de simples
son avis par un référendum. cours d’eau, comme l’Evel et l’Illys,
Le résultat est cette bizarrerie deux ruisseaux du Morbihan utili­
pour l’œil, avec un trait d’union in­ sés pour la création d’Evellys (fu­
tercalé entre le nom du chef­lieu et sion de Naizin, Moustoir­Remun­
un suffixe inconnu. La dissonance gol et Remungol). Les montagnes

L’HISTOIRE
le serait toutefois moins à l’oreille, peuvent également être convo­
selon Michel Landais, le maire de quées, ou même la géologie : en
Cherré­Au (et ancien maire de Maine­et­Loire, une énigmatique
Cherré) : « On s’y fait facilement, as­ Tuffalun regroupe depuis 2016
sure­t­il. Nous ne voulions pas d’un trois communes dont les sous­
nom artificiel qui aurait consisté à sols sont composés de tuffeau et

DE LA
ajouter “au­Perche” à la fin de la de falun. Que penser, enfin, de
commune la plus importante, vu Boischampré, agrégation de qua­
que nous ne sommes pas dans le tre communes de l’Orne entou­
Perche, ou “sur­Huisne”, la rivière rées – on vous laisse deviner – de

MÉDITERRANÉE
qui coule chez nous. Il fallait que ce bois, de champs et de prés ? « Un
soit à la fois innovant et respec­ peu de poésie dans ce monde de
tueux du passé. » brutes ne fait pas de mal », justifiait
son maire, Michel Lerat, en 2015.
L’Etat a le dernier mot Stimulé par la loi, qui garantit le
La chance de Cherré­Au est d’être niveau des dotations de l’Etat pen­
la combinaison de seulement dant trois ans aux communes qui
deux communes. La recherche se regroupent, le mouvement va
lexicale devient plus complexe, en s’interrompre en 2020, année
revanche, quand trois, quatre, d’élections municipales. Il repar­
voire davantage de clochers déci­ tira l’année suivante. Les mots­va­
dent de s’unir sous une même lises ont de l’avenir, assure Sté­
bannière, comme l’a observé Sté­ phane Gendron. Idem des traits
phane Gendron, membre de la So­ d’union qu’il est conseillé de ne
ciété française d’onomastique pas oublier dans l’inévitable addi­
(branche de la lexicologie ayant tion d’éléments d’un nom com­
pour objet l’étude des noms pro­ posé. Mixtion de cinq villages, la
pres) : « Depuis 2015, on assiste à la commune nouvelle de Gennes­
création de noms reposant sur des Val de Loire (Maine­et­Loire) est
modes de formation pour le moins ainsi devenue Gennes­Val­de­
déroutants, en particulier ceux qui Loire en 2018 après une deuxième
consistent à former des topony­ fusion qui a vu arriver deux nou­
mes­valises ou des toponymes for­ veaux venus. Précisons que l’une
més d’abréviations syllabiques. » de ses anciennes communes, Chê­
Pour les besoins d’un livre à pa­ nehutte­Trèves­Cunault, est elle­
raître, le toponymiste a relevé plu­ même née, en 1973, du rapproche­
sieurs exemples croustillants de ment de deux bourgs existants,
néologismes communaux. Ainsi Chênehutte­les­Tuffeaux et Trè­
Montlainsia (Jura), commune ves­Cunault. Georges Perec aurait À l’échelle de la planète, la Méditerranée n’est qu’un confetti. C’est pourtant sur
nouvelle créée en 2017 à partir de adoré ce jeu langagier à tiroirs. ses rives que les grandes pages de l’Histoire universelle se sont écrites. Passerelle
morceaux de ses trois compo­ Il se serait également régalé des
santes : Montagna­le­Templier, gentilés, terme qualifiant les habi­
entre l’Orient et l’Occident, la Grande Bleue fut une mer d’aventure, celle des
Lains et Dessia. L’année précé­ tants d’un lieu. Leur désignation marins et pirates grecs, phéniciens ou étrusques, des conquérants romains et
dente, dans l’Ain, les villages de dépend, cette fois­ci, des conseils musulmans… Elle a vu s’affronter des empires, connu les bouleversements
Treffort­Cuisiat et Pressiat avaient municipaux concernés. Retour à
pensé utiliser le même procédé Cherré­Au, où la population se de­ coloniaux, et reste au cœur de l’actualité avec les drames des migrations.
linguistique et se regrouper sous mande bien comment elle se Les meilleurs spécialistes vous embarquent dans une extraordinaire odyssée
le diminutif bucolique de « Trepre­ nomme désormais. « Les habi­
cui », avant de préférer une dési­ tants de Cherré s’appelaient les
méditerranéenne, avec des cartes originales et des documents exceptionnels.
gnation plus passe­partout : Val­ Cherréens et ceux de Cherreau les
Cherreausiens. Tous sont des Cher­
réausiens désormais », éclaire le
maire Michel Landais. Un vrai
GEORGES PEREC poème, oui. 
AURAIT ADORÉ Les chroniques s’interrompent L’HISTOIRE DE LA MÉDITERRANÉE
CE JEU LANGAGIER pour l’été et reprendront
à partir du lundi 26 août, Un hors-série - 188 pages - 12 €
À TIROIRS dans le numéro daté 27 août.
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Tirage du Monde daté samedi 13 juillet : 199 941 exemplaires
ENQ UÊ TE

Et je roule, roule, roule


Anse de Buguélès, dans les Côtes-d’Armor. ALEXIS ARMANET

Prendre le volant
et partir sans
itinéraire précis.
Rencontre avec
ces automobilistes
pour qui la route
est un voyage
en soi

À NOS LE C TE URS
La parution du cahier s’interrompt pendant cinq semaines. Cet été, retrouvez « L’Epoque » dans les pages du quotidien daté dimanche­lundi.

D I MANCH E 1 4 - LU ND I 1 5 J U IL L ET 20 1 9 C AHI ER DU « MO N D E » N O 23 174 - NE PEU T Ê T R E V END U SÉPA R ÉM EN T


2 0123
D IMA NCH E 14 - LU ND I 15 J U I LL E T 20 19

ENQUÊTE

Les fondus de l’asphalte


Le voyage est leur credo, la voiture
leur unique moyen de locomotion.
Rencontre avec ces hommes et ces
femmes pour qui l’important n’est pas
la destination, mais le parcours. Sans
autre horizon que la ligne blanche
Par Michel Dalloni breux que vous le croyez. Le voyage est terrasse. Je regarde ma voiture. Je repars.
leur credo. La voiture, l’unique moyen Je recommence. Ça peut durer trois heu­

Ç
a démarre comme un ro­ de leur locomotion. res. Je n’ai pas d’itinéraire. » « Dès que je
man noir de Jean­Patrick « Il m’arrive de partir sans but, monte en voiture, j’ai envie de partir », ré­
Manchette, Le Petit Bleu confie Régis Courtial, 62 ans, spécialiste sume son ami Jean­Pierre Ploué, 57 ans,
de la côte Ouest (Galli­ de la communication sportive, enraciné designer, responsable du style du groupe > LES MOULINS
mard, 1976), par exemple. en Normandie. Je veux savoir ce qu’il y a PSA, grand rouleur devant l’éternel, lui DE MON CŒUR
Il est 2 h 30 ou peut­être au bout de la route. » Comme un naviga­ aussi amateur de voitures d’époque. Un chef d’œuvre de Michel
3 h 15. Ce matin, Louis teur, il parle de « traversée ». En 2018, il a L’improvisation est la règle. La Legrand, version française
Retiers, 50 ans, ne travaille pas. Alors, il parcouru près de 45 000 km. Un peu voix métallique du GPS, son ton péremp­ signée Eddy Marnay
conduit. Comme souvent, après un ou plus que la circonférence de la Terre toire et son rappel incessant au droit che­ d’un des airs composés
deux tours de périphérique parisien, à (40 075 km à l’équateur). Mais il n’a pas min sont autant d’entraves. « Je préfère pour L’Affaire Thomas
allure réglementaire, il va emprunter fait le tour de monde, simplement des les cartes routières, explique Régis Cour­ Crown (Norman Jewison,
l’une des quatorze nationales qui s’of­ détours en France. « J’aime me perdre, tial. Elles permettent de voir “plus large”. 1968), long-métrage culte
frent à lui. Cette fois, ce sera la N19 ou ce reconnaît­il. Ça me rend heureux. » Anne Elles racontent des histoires. Il n’y a rien où Steve McQueen par-
qu’il en reste. Sortie porte d’Ivry. Louis Blériot, 56 ans, publicitaire, installée de mieux qu’une carte pour se perdre. » Et, tage son temps entre sa
Retiers va rouler longtemps. Sûrement dans le Pas­de­Calais, approuve : « En ren­ en cas de doute, on s’en remet à son pif, Rolls-Royce Silver Shadow
jusqu’à Fayl­Billot (Haute­Marne). Six trant du travail, il m’arrive de prendre une on se fie aux impulsions de ses goûts, Mulliner Park Ward, Faye
cent vingt­six kilomètres aller­retour. départementale que je ne connais pas ou aux élans de son cœur. Dunaway et un buggy
« Je sais où je vais, mais je ne sais de m’arrêter en bord de mer, vers Le Cro­ Meyers Manks puissam-
jamais quand je vais y arriver, dit­il. Le toy. La voiture, c’est un sas. Quand j’en ment motorisé.
trajet m’intéresse plus que la destination. sors, je suis cool. » BANDE-SON
Je traverse des paysages. » Comme Louis Pour Hermidas Atabeyki, 54 ans, « ON THE ROAD > PARIS MAI
Retiers, ils sont nombreux à circuler au PDG du bureau de design D3, qui a déjà AGAIN » Si d’aventure vous cher-
gré des voies, livrés à eux­mêmes, gui­ signé 125 concept cars pour les plus gran­ chez encore votre place
dés par des lignes blanches plus ou des marques, et collectionneur d’auto­ > DRIVE MY CAR dans les rapports de pro-
moins continues, à la poursuite d’un mobiles, le bonheur ne dépend pas de la Pourquoi ne pas débuter duction, faites un détour
horizon sans borne, le jour, la nuit, avec distance : « Mon plaisir, c’est de rouler votre périple en écoutant par Claude Nougaro (Paris
le vent pour compagnon et la mélanco­ dans Paris désert, un peu avant 6 heures, ce morceau des Beatles Mai. 1968), certains cou-
lie pour carburant, emplis d’un puissant au volant d’une ancienne. J’admire la ville. (Rubber soul, 1965) ? Chic, plets éclaireront votre par-
sentiment de liberté. Bien plus nom­ Je m’arrête devant un café. Je m’assois en entraînant et, comme sou- cours à défaut de l’enchan-
vent, un poil ésotérique. ter : « Le casque des pavés
ne bouge plus d’un cil/La
> FORD MUSTANG Seine de nouveau ruisselle
A moins que, pour conjurer d’eau bénite/Le vent a
le sort et conjuguer les dispersé les cendres de
mythes, vous n’optiez pour Bendit/Et chacun est rentré
Serge Gainsbourg. 2 min 42 chez son automobile. »
de rimes riches. Contenu
dans Initial B.B. (1968). > HIGHWAY TO HELL
La mauvaise humeur
> ON AVANCE consécutive à Paris Mai
Exercice de lucidité pourra être apaisée
postmoderne de 4 min avec ce morceau d’AC/DC
par Alain Souchon : « C’est de 1979. Radical.
une évidence/On a pas
assez d’essence/Pour faire > MY FAVORITE THINGS
la route dans l’autre sens. » John Coltrane (saxophone
Une ode au coup soprano) avec McCoy
de la panne ? Tyner au piano, Steve
Davis, à la contrebasse et
> À LA PORTE DU GARAGE Elvin Jones à la batterie
En cas de joint de culasse (1961). Lors d’une traversée
pété, Charles Trenet vous Paris-Nice (931 km), accom-
dépannera avec ce titre plie en un temps record
enregistré en 1956 (Chan- au volant d’une Ford Escort
sons claires). La même Ghia gris métallisé,
année que Nationale 7. je l’ai écoutée en boucle
(13 min 46), de la porte
> YOUR DADDY’S CAR de Saint-Mandé (Paris, 12e)
Au rayon mélancolie, cette au boulevard Victor-Hugo
ballade chantée par Neil (Nice centre). Au départ,
Hannon dans Liberation, j’étais triste. A l’arrivée,
le deuxième album de The je pleurais.
Divine Comedy, se pose là :
« Nous n’avions plus envie
Autoroute du Soleil, dernière de conduire/C’était si bon
courbe avant les Alpilles. que nous nous sommes
ALEXIS ARMANET ennuyés/Et nous roulons
depuis le jour de notre
naissance. »
0123
DI MANCHE 1 4 - LU NDI 1 5 J U I LLET 20 19 3

Raymond Depardon :
« Au volant, je me laisse aller »
J’ai connu un peintre en bâtiment Atabeyki, c’est poste de radio avec gré­ Pour le photographe et cinéaste plat. Pas trop de photos à faire. A quoi pensez-vous au volant ?
parisien qui, en compagnie de sa douce, sillement d’époque. Cassettes vintage En route, on est livré à soi-même.
d’origine roumaine, a pris la route un pour Jean­Pierre Ploué, généralement de 77 ans, la voiture est l’auxiliaire Je me souviens aussi d’une route
vendredi soir pour Bucarest avec un litre accordées au millésime de l’auto choisie. du regard et l’accessoire des éthiopienne, au nord d’Addis- On est indépendant, assez libre.
de Volvic et un paquet de barquettes « Very Good Trip », de Michka Assayas, moments de réflexion. Précision : Abeba, viabilisée par les Italiens Je pense à mes projets. Toutes
Trois Chatons à la fraise. Deux mille trois sur France Inter (de 21 heures à 22 heu­ les idées me sont venues dans ces
cent dix­huit kilomètres multipliés par res) pour Régis Courtial. Jazz dixieland
à Paris, il recourt au tramway pendant la colonisation, toujours
deux. Il est revenu le mardi matin pour pour Louis Retiers. Radio Nostalgie ou au vélo électrique. en service. Une route de piétons. moments où je roule. J’oublie
embaucher, avec la pépie et les reins en pour Anne Blériot. Ça tombe bien. Parce Très fréquentée. Une photo beaucoup de choses. Je me vide.
compote. « Je ne savais pas que c’était que, justement, il va falloir se pencher La voiture est votre instrument Le voyage, c’est une petite mort.
de voyage préféré. Est-elle à faire toutes les deux minutes.
aussi loin, confesse­t­il. Mais c’était bien. » sur les ressorts de la mécanique intime On remet les compteurs à zéro.
Julien Clerc et Jean­Loup Dabadie de l’autosoliste. indispensable à votre travail ? Le contraire de la Ruta 40.
font fausse route : le temps ne nous Jean­Pierre Ploué se souvient des Emprunter le bus ou le train, c’est J’avais un chauffeur, car seuls A quel âge avez-vous appris
prend pas « trop de temps » (Partir, in odyssées familiales vers la Corse ou le le meilleur moyen de ne pas faire les Ethiopiens peuvent conduire. à conduire ?
Pantin, 1983). Il prend son temps et nous Maroc : « Papa roulait jour et nuit. Nous,
le nôtre. Au volant, personne ne décide à les enfants, nous dormions sur un mate­ de photo. Impossible de s’arrêter, Nous sommes tombés en panne. J’ai eu mon permis en 1959. J’avais
la place de nos conducteurs. Maîtres à las gonflable posé sur la banquette arrière. de revenir sur ses pas, de poser Le chauffeur était calme, résigné. appris sur la Renault Juvaquatre
bord à une époque où le moindre désir L’habitacle était traversé par la lumière son regard, d’attendre… La voiture Seule chose à faire : attendre. de mon père. Nous roulions sur un
est anticipé, standardisé et promulgué des phares. Ça sentait l’huile chaude, l’es­
par une inquiétante tripotée d’algorith­ sence, un peu, le cuir patiné des sièges… offre la possibilité du détour, J’étais fou de rage. Et puis, j’ai chemin en terre situé derrière la
mes. Question : c’est comment qu’on C’était magique. » Hermidas Atabeyki de la maîtrise du trajet. Elle donne regardé autour de moi. Les gens ferme de mes parents à Villefran-
freine ? Réponse : en appuyant sur l’accé­ utilise toujours une des autos paternel­ le choix. Alors, au volant, je me s’approchaient pour voir. Il y che-sur-Saône (Rhône). Le diman-
lérateur de l’évasion. les. Anne Blériot revoit son père s’arrêter avait beaucoup d’enfants. C’était
Et pourtant, la vitesse ne les eni­ sur la route des gorges du Tarn parce
laisse aller. Je roule à l’instinct. Je che, ma mère refusait que mon
vre pas. Au contraire, elle les saoule. Ils qu’il avait deviné « un coin de pêche » et fais souvent demi-tour. Les routes magnifique, ces rencontres spon- père travaille, alors nous sortions
ont abandonné le fantasme de l’homme Rachid Ilmane, le sien filant vers Mar­ sont sans fin. Mais il ne faut pas tanées. J’ai fait plein de photos. en voiture. Nous allions au cime-
pressé aux zélotes de Paul Morand pour seille, dernière étape avant l’Algérie, se perdre dans ses rêves parce que L’avarie a été salutaire. Il faut se tière ou chez des cousins, de l’autre
faire l’éloge de la lenteur avec Pierre San­ lampe de poche dans la boîte à gants
sot. « Aller vite, c’est fatigant », estime pour mieux lire la carte au cas où. alors on ne voit plus les choses, désintoxiquer de la vitesse. côté du pont, dans l’Ain. Au bout
Rachid Ilmane, 59 ans, employé de mes­ Face à cette singulière passion qui se répètent sans arrêt. Je reste d’un moment, ma mère disait :
sagerie, qui vit à Rosny­sous­Bois (Seine­ automobile, Mère Nature et ses défen­ Vous y êtes parvenu ?
disponible, attentif à la lumière, « C’est pas tout ça mais on n’est pas
Saint­Denis), QG du défunt Centre natio­ seurs font le museau. Pas vraiment éco­ Je roule tranquillement. La limita-
nal d’information routière (CNIR). « Je ne responsable. Et même si le calculateur aux couleurs, au cadre. On doit d’ici. » Et nous reprenions la voiture.
tion à 80 km/h me va très bien.
cherche pas à rattraper le temps perdu », d’émissions de gaz à effet de serre de la accepter que chaque photo
explique Régis Courtial. De toute façon, direction générale de l’aviation civile
Arriver au bout le plus vite Que voyez-vous dans votre
annule la précédente. Je suis rétroviseur ?
le code de la route les a à l’œil : 80 km/h réhabilite la voiture face à l’avion, la possible, ça ne sert à rien. Il faut
dans l’errance. Moi-même, peut-être. Je me suis
sur route (jusqu’à plus ample informé), bagnole n’a définitivement plus bonne rouler pour s’enivrer et s’arrêter
130 km/h sur autoroute (110 km/h en cas presse. Pour autant, nos conducteurs pour travailler. accepté comme je suis. J’ai subi
Pour le projet « Journal de France »,
de pluie). « Pas un PV en trente­sept ans ont­ils mauvaise conscience ? « Si demain
de permis », se flatte Anne Blériot. Vitre on me propose un moteur à énergie
présenté en 2011 à Cannes, beaucoup d’influences : Henri
vous avez sillonné le pays au volant Cartier-Bresson, Paul Strand…
baissée, coude à la portière, seul le souf­ solaire ou à eau, je prends ! Ça ne chan­
d’un camping-car…
fle de la liberté les ébouriffe. gera rien à mon voyage », insiste Régis Quand je vois les photos
Désolé, mais de tels moments ne Courtial. « Toutes ces remarques sont sen­ Un fourgon Trigano, tout équipé
de Walker Evans sur la Grande
se partagent pas. Ce qui vaut à ces sujets sées. Elles vont dans le sens de l’histoire, et aménagé. Je roulais par tous les
d’être affligés d’un mot­valise : « autoso­ admet Jean­Pierre Ploué. Le moteur hy­ Dépression américaine, où appa-
temps. Je dormais où je voulais.
liste ». L’autosoliste pratique l’autoso­ bride offre une alternative très efficace et raissent des Ford T, je pense à la
lisme. Pour de multiples raisons. « Je pars dans les années à venir d’autres solutions Six années de travail. C’était une
Citroën B14 Torpédo de mon père.
seul, je circule seul et je reviens seul, confie techniques apparaîtront. » jouissance. Et parfois, c’était usant.
Louis Retiers. Depuis 1996, je vis seul. Je En attendant, sur le périphérique Mais je vois toujours plus loin.
Je saturais. Je ne voyais plus rien.
m’emmerde comme un rat. Sans voiture, parisien, il est 2 h 30 ou 3 h 15. Louis J’ai encore plein de routes à faire.
ce serait encore pire. » Jean­Patrick Man­ Retiers est au volant de sa voiture Ça m’est arrivé dans le nord-est.
Ou à refaire. Je retournerai
chette dirait qu’il est en proie à « une es­ comme on est au bercail. Il tourne Alors, j’ai décidé de changer de
pèce de mélancolie vaguement tchékho­ autour de Paris, à allure réglementaire,
en Patagonie et en Ethiopie.
secteur, direction le sud-ouest.
vienne et principalement amère ». Mais avant de choisir, au hasard, l’une des qua­ En voiture. C’est ma vie.
lui préfère citer une réplique de Sueurs torze nationales qui s’offrent à lui et à ses
Une diagonale. Un jour et demi
froides, d’Alfred Hitchcock (1958) : « Pour semblables. Après quelques centaines de de route. J’ai constaté qu’il y avait
rouler au hasard, il faut être seul. Dès kilomètres, il fera demi­tour. Il aura des points communs entre ces
qu’on est deux, on va toujours quelque roulé longtemps. Loin. Seul. Mais accom­ régions, des similitudes dans
part. » On croit comprendre. pagné par le cornettiste Bix Beiderbecke,
On croit aussi entendre, s’échap­ son musicien préféré. « Sans ma voiture, l’état du territoire : des activités
pant de l’habitacle, quelques notes de ce serait encore pire », pense­t­il de nou­ industrielles comparables, une
musique. En 2017, un sondage de l’insti­ veau. Ce qui indique que, contre toute désertification des zones rurales,
tut YouGov pour Ford révélait qu’elle attente, malgré lui et selon Jean­Patrick
adoucissait les mœurs de 73 % des auto­ Manchette, Louis Retiers est « de son la désaffection des services. Le
mobilistes interrogés. Pour Hermidas temps, et aussi de son espace ». voyage automobile m’a permis de
mesurer tout ça avec beaucoup de
précision. Malgré tous ses défauts, LA C HANS O N
la voiture reste un outil indispen-
sable à mon travail.
Vous voyagez seul ?
« Je regarde un
Le plus souvent possible. C’est
mieux. Sinon, on papote et on ne
instant vers toi/
regarde pas. On ne se laisse plus
entraîner par le voyage, par la Tu es presque
route. Le pare-brise, c’est un écran
scope. La solitude ne me fait pas
peur. Elle crée de la mélancolie.
appuyée sur moi/
Un retour vers l’enfance.
Elle m’aide à revenir aux raisons
Un virage à droite,
de mon choix. C’est un peu
mystérieux. Errer. Rouler. un peu sec, qui
Quel type de routes
empruntez-vous ? te plaque à moi/
Lors de mes voyages français,
j’évite les autoroutes et les natio-
nales. Ailleurs, j’ai emprunté
Je voudrais
des routes mythiques. Je me
souviens de la Ruta 40, en
que ce virage
Argentine, qui conduit vers la
Patagonie. Un village toutes les n’en finisse pas »
50 bornes et encore. Personne. « Virages », par Yves Duteil (« L’Ecritoire », 1974)
Lumière magnifique. L’impres-
sion que le ciel vous tombe sur
la tête. Les kilomètres défilent.
Rien pour vous arrêter. Tout est
4 0123
DIMA NC HE 14 - LU N D I 15 J U I LLE T 20 19

LE BLOC-NOTES
PARENTOLOGIE
L’éducation est une science (moyennement) exacte. Sur la route des vacances,
Nicolas Santolaria évoque ces moments de joie en famille qu’offre le trajet en voiture

CRY BABY « C’est quand qu’on arrive ? »


UN GROUPE DE CHERCHEURS de la
Northern Illinois University a mis au point
un outil de décryptage de pleurs des bébés.
Après avoir compilé 48 enregistrements
de nouveau-nés, les scientifiques ont conçu
un algorithme qui analyse la durée, le ton et
l’intensité des cris et les classe en différentes
catégories : faim, sommeil, douleur, couche
sale… Allô allô, Monsieur l’ordinateur ?

68 %
C’est la part des Français qui
pensent être le responsable LASSE RUSSE
ET MES FESSES ? principal de la gestion du
linge au sein du foyer, selon

S
Les Françaises ont une un sondage OpinionWay. i gérer ses enfants durant l’année n’est pas forcément chose phère que, de la banquette arrière, commencent à monter les premiè­
piètre opinion de leur Ils ne sont que 23 % à penser aisée, il est une perspective largement plus angoissante sur res plaintes : « C’est quand qu’on arrive ? »
apparence physique. que leur conjoint en fait l’échelle aux barreaux savonneux de l’épuisement parental : Généralement, face à ce début de rébellion rituelle, je me réfugie
Elles ne sont que 22 % à davantage qu’eux. Heureu- les vacances. Du jour au lendemain, vous vous retrouvez en mon fort Boyard intérieur, mutique, arborant le sourire crispé du
se trouver « assez jolie » sement, ils sont 38 % à juger alors nez à nez avec votre progéniture, sans le cordon sani­ VRP qui a fait un mauvais mois. Là, histoire de vous remonter le moral,
ou « très jolie », tandis que cette tâche ménagère taire que constituaient l’école, les activités diverses et les Autoroute FM annonce que Bison futé s’est planté. Non, la journée n’est
que 18 % des femmes est avant tout source de virées chez les copains. Même votre travail, qui se pas orange, mais rouge écarlate. Vous tentez
interrogées par l’IFOP « satisfaction » – le premier dressait jusque­là comme un rempart infranchis­ alors de slalomer habillement entre les véhicu­
se jugent « pas vraiment
jolie » ou « pas jolie
sentiment évoqué devant
« appréhension », « détente »
sable (« Moins de bruit, les enfants, papa doit bou­
cler un dossier important »), s’écroule en période Dans l’habitacle, les, mais cette gymnastique exigeante en ma­
tière de concentration est rendue presque im­
du tout ». Bien loin
des Italiennes, qui sont
ou même « plaisir ». estivale sous les coups de boutoir de votre entrée
dans les congés payés. Vous voilà nu (métaphori­ une fois que vous possible par vos enfants qui hurlent à l’arrière. Ils
ont faim, ils ont soif, ils ont envie de faire pipi, ils
39 % à apprécier leur
physique, ou même
quement, bien sûr, car en vrai vous êtes en panta­
court multipoche) face à cette horde hurlante qui avez chanté s’ennuient, ils se battent… Lancé à 140 km/h,
vous devez désormais tourner la tête pour vous
de la moyenne des
sondées dans cinq pays LE CHÂTEAU crame autant d’énergie à la journée qu’un paque­
bot Costa Croisières. Même si vous avez sué sang « Le lion est mort transformer en arbitre de catch. D’après une
étude de l’association Attitude Prévention da­
européens. Notons que
le degré d’indulgence DE MA MÈRE et eau pour en arriver là, la période qui s’annonce
ne sera pas de tout repos. ce soir » et réalisé tant de 2018, 64 % des enfants ont déjà vu leurs
parents avoir une attitude risquée au volant.
augmente avec la tem­
pérature : en Occitanie Plus de la moitié (58 %) des
Le premier gros écueil sur votre route de
vacancier ne tarde pas à apparaître lorsque vient votre quiz Grâce à ce mouvement giratoire furtif, vous
constatez que la banquette, que vous aviez
et Provence­Alpes­Côte
d’Azur, les femmes se
Français âgés de 28 à 45 ans
partent encore seuls en
le moment fatidique (juste avant le départ, c’est
mieux) de remplir les valises. Comme vous avez éducatif sur consciencieusement aspirée avant le départ, res­
semble maintenant à une déchetterie roulante.
trouvent bien plus bel­
les que dans les Hauts­
vacances avec leurs parents,
selon une enquête conduite
désormais la même mentalité qu’une pré­
voyance santé, vous enfournez dans les bagages « la capitale Soudain, face à ce spectacle cataclysmi­
que et au niveau de décibels qui vous empêche
de­France, le Grand­Est
et l’Ile­de­France.
par Toluna Insights pour
Abritel, un site de réserva-
de quoi répondre potentiellement à toute situa­
tion : des Méduse pour ne pas se couper les pieds de la France », d’écouter tranquillement Angèle (Balance ton
quoi), la porte de votre fort Boyard intérieur pète
tion de logements entre
particuliers. 30 % d’entre eux
sur les rochers ; des bottes pour s’il pleut et qu’il
fait froid ; des tee­shirts hyper légers pour s’il fait vous avez d’un coup sec. « Putain mais bordel, fermez vos
gueules, les mioches !!! » Oups. Vous vous étiez
invoquent des raisons finan-
cières, 28 % préfèrent cette
chaud ; des marinières pour si vous décidez de
faire une journée pêche aux moules ; des pulls pour ainsi dire pourtant juré de ne jamais parler comme ça,
mais c’est plus fort que vous. Les enfants ont
formule à des vacances
en solitaire et 20 % espèrent
pour s’il tombe deux mètres de grêlons (regardez
ce qui s’est passé à Guadalajara) ; des palmes pour cramé toutes cette capacité inouïe à vous user les nerfs au
quotidien sans – et c’est là le miracle – que vous
bien se faire chouchouter
comme au bon vieux temps.
propulser le Bodyboard et échapper aux requins ;
des maillots amples pour la plage et des slips de vos cartouches réussissiez à leur en vouloir durablement. Ce
pouvoir de susciter à la fois l’hystérie et l’amné­
bain moulants pour la piscine ; une trousse de sie explique le fameux surnom que leur don­
secours avec l’Aspivenin qui ne vous a jamais nent certains grands­parents : les « chicoufs »
servi à rien « mais on ne sait jamais » ; des cas­ (« chic, ils arrivent ; ouf, ils repartent »).
quettes et des bobs (au cas où vous perdriez les Paradoxe suprême, tous ces horribles
LE MOT DE L A S E MA I N E casquettes) ; des chaussettes pour ne pas que les enfants transpirent moments qui, comparativement, feront facilement passer votre an­
directement dans leurs chaussures, et des claquettes pour s’ils transpi­ née de labeur pour un hobby sympathique contribueront en réalité à

Compote rent trop dans leurs chaussettes ; des coupe­vent parce qu’il y a souvent
une petite brise fraîche le soir ; du spray solaire indice 50 ; des granules
d’arnica ; de la crème antibobos ; de la citronnelle ; des compotes en
fabriquer des super souvenirs. « Ah, tu te rappelles quand tu nous hur­
lais dessus sur l’A 10 ? », vous diront peut­être un jour vos enfants avec
nostalgie. J’espère en tout cas que les miens se souviendront de mes
N. fém. gourde… La liste est interminable, et le chargement du véhicule ressem­ coups de gueule totalement improductifs, généralement balancés
ble au départ de la Croisière jaune. avant l’arrivée au péage de Saint­Arnoult. Ce que ne savent pas ces
La seule personne qui voyage avec plus de bagages que vous, petits Gremlins, c’est que peut­être, un jour, comme ce couple de pa­
Produit industrialisé à la c’est peut­être Kim Kardashian. Généralement, c’est ce moment à fort
coefficient de stress, celui où vous tentez de faire entrer les derniers
rents avec qui je discutais récemment, vous opterez pour les grands
moyens : un club de vacances all inclusive avec système de garderie
composition incertaine, se mètres cubes dans votre coffre à coups de talon, que choisit le doudou
pour disparaître. « Mais je l’avais posé là ! » pleurniche votre fils face à
illimité. Mais, à coup sûr, après avoir siroté tranquillou vos mojitos au
bord de la piscine en regardant du coin de l’œil les enfants s’éclater au
consommant parfois en gourde, l’évidence de l’absence. Si vous ne retrouvez pas vite ce bout de tissu
baveux, c’en est fini de votre projet de vacances. Dans l’habitacle, une
Club Pirate, vous regretterez vite vos journées d’avant, celles où vous
aviez le luxe extrême de ne plus vous appartenir.
provoquant une addiction fois que vous avez chanté Le lion est mort ce soir et réalisé votre quiz
éducatif sur « la capitale de la France » (« Paris, oui, c’est ça ! »), vous avez
immédiate et durable chez ses pour ainsi dire cramé toutes vos cartouches. Votre diesel a tout juste
eu le temps de cracher ses premières particules fines dans l’atmos­
clients cibles, généralement
âgés de moins de 5 ans.
De par sa rentabilité, objet de L E S MOTS DU S EX E Ce conte est constam- rouge à dents métalliques
convoitise pour les fabricants, ment réactualisé : par la judicieusement placées (imaginez

récemment visés par enquête


pour « soupçon de cartel ».
Vagin denté théorie psychanalytique
(où il traduit l’angoisse
de la castration),
une braguette géante), dans la vidéo
de sa chanson Mother’s Daughter.
Malgré cette persistance imaginaire,
par le cinéma (dans les vous pouvez coucher tranquilles : les
Syn. : cocaïne. Par Maïa Mazaurette comédies, dans le rape vagins dentés n’existent pas (encore),
and revenge), par des et le penis captivus (quand le mâle
Le sexe, d’accord, mais sans les dents ! faits divers (Lorena Bobbitt tranchant « reste coincé » lors d’une pénétration)
Le soupçon que quelque chose le sexe de son époux en 1993), par des serait, selon les sources, soit rarissime,
PL AN TE R de sauvage puisse se tapir dans les innovations techniques (en 2005, le soit une pure légende urbaine. Sauf
DES CH O UX entrailles féminines remonte à la nuit
des temps : on le retrouve jusque dans
préservatif Rapex, rebaptisé ensuite chez les chiens, qui, effectivement,
Rape-aXe, comportait une surface peuvent avoir du mal à se détacher.
Après une longue bataille judiciaire, les habi- les mythologies hindoue, japonaise, interne à barbelés pour piéger le Morale de l’histoire : sexuellement,
tants de Miami Shores sont autorisés, depuis le maorie ou sud-américaines. Rien pénis des violeurs potentiels – inventé vous pouvez mordre la vie, mais pas
1er juillet, à jardiner selon leur bon plaisir, et sur-
d’étonnant à cela, puisque le vagin en Afrique du Sud, il n’a jamais été le vit, à pleines canines, sauf si vous
tout à cultiver des légumes là où ils le souhai-
tent, y compris devant leur maison. Un arrêté denté fait partie d’un folklore permet- commercialisé). L’occurrence la plus êtes canins. Compris ?
municipal datant de 2013 interdisait en effet tant la survie de l’espèce. Il rappelle récente nous vient de la culture pop
aux résidents d’avoir un potager à l’avant de à l’ordre : coucher avec n’importe qui, américaine : depuis le 2 juillet, on peut
leur habitation, afin de « protéger le caractère
distinctif » de la commune située à quelques c’est prendre un risque. Et pas seule- voir la star Miley Cyrus se déhancher
kilomètres au nord de Miami, en Floride. ment quand on est une femme. dans une combinaison de vinyle
0123
DI M AN CHE 14 - LU N DI 15 JU I LLET 2019 5

DÉNIVELÉ
moi. Je décide alors de finir la descente à pied en m’appuyant sur le
vélo. J’apprendrai plus tard qu’Anthony, venu du Pas­de­Calais – avec
qui on plaisantait auparavant sur notre entraînement effectué à à
peine plus de 0 mètre d’altitude –, est lui aussi tombé dans cette des­
cente, devant abandonner au bout de 90 kilomètres d’efforts.
Arrivés au ravitaillement des 100 kilomètres, on est lessivés.

Mollets durs
Jean­Christophe et Johan s’arrêtent là. Trop de douleurs. J’ai mal au dos
moi aussi, à un genou et au bras gauche à cause de ma chute. Je ne
réfléchis pas, je décide de continuer. Je suis là pour ça. Mais à partir de
là, tout devient flou. Les orages annoncés n’arriveront que plus tard
dans la soirée mais, quand je pense aux quarante derniers kilomètres
effectués, j’ai l’impression d’avoir de la buée devant les yeux.

et cuisses
Je garde tant bien que mal mon sang­froid. Je me retrouve
quelque part avec un gars qui participe à des coupes du monde de
triathlon mais qui cale dans une montée ; un autre qui dit que
l’Ultra­trail du Mont­Blanc (UTMB) « c’est du pipi de chat à côté de ce
qu’on est en train de faire ».
A un autre moment – je ne sais plus bien où nous étions –, j’ai

tremblantes
presque eu envie de pleurer et d’embrasser le bénévole qui a ouvert un
ravitaillement qui n’était pas indiqué sur le plan officiel de la course,
perdu dans les alpages. « Tout est décuplé lors d’une telle épreuve. Le ni­
veau d’entraînement, mais aussi les émotions », explique la psychologue
Aurélia Chrétien. Sous son petit abri installé devant sa ferme, un
homme propose du fromage et du saucisson. Ce n’est pas très « nourri­
ture diététique » mais ça change des barres et boissons énergétiques
trop sucrées qu’on ne
peut plus digérer. Et ça

C’est l’une des courses de VTT fait du bien d’être là et de


manger des bonnes cho­

les plus difficiles au monde. ses, simplement, dans


un tel cadre. On se re­
trouve à trois ou quatre.
Notre journaliste a testé la MB Race On ne parle presque pas.
L’un d’entre nous s’al­
Philippe Euzen longe sur le sol. Il a be­
soin de reprendre des
forces. Puis chacun re­

L
e réveil sonne à 4 h 30. Ça fait déjà une bonne demi­heure que part quand il se sent prêt.
je tourne dans mon lit. Il fait trop chaud et je ne suis vraiment Il reste du chemin :
pas serein. J’ai dû m’endormir vers minuit. Et je me demande « 500 mètres avant d’arri­
déjà ce qui m’a pris. Pourquoi faire ça ? Pourquoi tenter de ver au sommet », dit l’éle­
relever ce défi ? J’évite de me poser les questions qui fâchent si veur. J’ai l’impression
tôt le matin. Je me lève, je me prépare. J’aurai largement le qu’ils ont duré une
temps de m’en vouloir pendant les onze, douze, treize, peut­être qua­ heure, ces 500 mètres.
torze heures que je vais passer sur un vélo pour tenter d’aller au bout de Puis, pour chan­
la MB Race version ultra, la course de VTT sur une journée réputée pour ger, des montées et en­
être la plus difficile au monde. 140 kilomètres et 7 000 mètres de déni­ core des montées. Un
velé positif pour gravir des cols autour du Mont­Blanc… local m’a dit le matin
Il y aura les meilleurs mondiaux, des amateurs un peu fêlés, qu’« ici on n’est jamais en
des vaches avec des grosses cloches, et surtout des montées de plu­ haut ». Je vois très exacte­
sieurs kilomètres et des descentes casse­gueule… et moi perdu dans les ment ce qu’il voulait
montagnes. A part ça, je ne sais pas à quoi m’attendre. Mais j’y vais. Je dire. Heureusement que
n’ai plus le choix. Mais pourquoi ? 450 bénévoles se sont ré­
Les « amateurs fêlés » de ce genre de défis hors normes sont de partis tout au long des
plus en plus nombreux. Pour Aurélia Chrétien, psychologue clinicienne 140 kilomètres, formant
spécialisée en psychologie du sport et en préparation mentale, une une chaîne humaine ras­
grande majorité des participants à des épreuves « ultras » ont entre 40 et surante et bienveillante.
50 ans. Elle parle de « crise de la quarantaine ». « Ils se disent : j’ai une On ne peut pas
femme, des enfants, un travail et une maison. Mais qu’est­ce que je fais s’arrêter là. Après toutes
maintenant ? Il y a une quête de sens, un besoin de réponse aux questions les concessions que nous
existentielles : pourquoi suis­je sur terre ? Qu’est­ce que la vie ? » avons faites, nous et no­
A 5 h 15, samedi 6 juillet, 1 340 quêteurs de sensations s’alignent tre entourage. Le temps
pour entrer dans les sas matérialisés au centre de Combloux (Haute­ passé quotidiennement
Savoie), à quelques kilomètres de Megève. Je patiente devant le nu­ sur le vélo pour s’entraî­
méro 3, d’où s’élanceront les dossards 181 à 435, répartis en fonction du ner. L’argent dépensé
palmarès de chacun. Je retrouve des connaissances. On s’est croisés Un participant pour acheter le matériel,
lors de randonnées en Bretagne. On échange tranquillement. « En à la MB Race, l’entretenir, le réparer. Le
général, la première fois, c’est juste pour voir, un ballon d’essai », dit l’un. le 6 juillet. casser. Le réparer. Le cas­
Je me sens un peu moins calme. « J’ai fait les dix premiers kilomètres AMANDINE ELIE ser à nouveau le jour du
hier ; eh bien, du coup, je serai content si je fais 100 kilomètres. Je ne pour­ départ vers le Mont­
rai pas faire les 140 », dit Anthony, un compétiteur bien meilleur que Blanc. Je pense à ma fa­
moi. Je commence à trembler, et ce n’est pas le froid. mille qui a adhéré à ce
On s’approche des 6 heures et il fait déjà bon, trop, sans doute. projet fou, aussi indivi­
C’est ce que confirme le speaker, qui nous fait un point météo : les dualiste soit­il. A mes
conditions ne vont « pas dans le bon sens. Il y a de gros risques d’orages enfants qui admirent ce
et de vents forts à partir de 16 heures »… Merde, je ne serai pas arrivé à que je fais. Dans un col, je
cette heure­là ! Comment je vais faire ? Et là, pour couronner le tout, ils pense à la photo d’eux
montent le son à fond pour passer la bande originale flippante du film tours de pédales en plus. Je me retourne et découvre une longue file que ma femme m’a envoyée la veille, accompagnée de la chanson d’Al­
Requiem for a Dream, dans lequel il est question de junkies et de para­ d’hommes et de femmes qui avancent tête baissée dans un sillon de debert Mon père il est tellement fort. C’est de l’humour. C’est exagéré.
dis artificiels. Respirons… cailloux gris tracé dans les herbes vertes. Plusieurs sommets se super­ Mais ils sont là tous les trois avec moi dans cette ascension. Ils me pous­
C’est parti. On roule doucement, tous à la même allure. Dans la posent derrière eux. Le ciel est bleu et gris. sent, ils me tirent. Grâce à eux, je trouve un rythme acceptable.
première montée, je roule avec Lucas, un Occitan. On parle de la pluie, Après avoir gravi d’autres cols, je rejoins, au 70e kilomètre, « Quand on n’en peut plus, qu’on n’a plus la motivation de termi­
du beau temps et de notre préparation. On découvre ensemble les pre­ Max, un boute­en­train de Haute­Savoie. Beaucoup s’arrêtent là. ner pour soi, on termine pour les autres, qui se sont aussi beaucoup
miers lacets. On est tranquilles. Le soleil se lève derrière le Mont­Blanc. Nous, on continue. On monte en direction du col du Mont­Joux. C’est investis », explique Aurélia Chrétien. Car, quand vous vous préparez
Le rêve. J’y suis. Je fais partie de cette meute de fous furieux qui vont se la jubilation. On avance à un bon rythme. On dépasse d’autres concur­ pour ce genre d’épreuves, « votre famille aussi s’y prépare ». Dans le
taper des côtes caillouteuses de plus de 10 kilomètres de long et rents. Je sens que mon corps fonctionne bien. Ce n’était pourtant pas cadre de ses recherches, elle suit des participants aux courses à pied les
1 000 mètres de dénivelé pour sentir la douleur de leurs jambes en gagné. Il y a deux ans, j’étais encore un sédentaire parisien – fumeur, plus difficiles, dont la Diagonale des fous sur l’île de la Réunion ou
action et les haut­le­cœur de leurs émotions explosives. « Mollets durs bouffeur de McDo – bloqué devant un écran. Alors que dix ans aupara­ l’UTMB. Elle y voit des participants pleurer lors des courses, et parfois
et cuisses tremblantes », comme le dit Nicolas, des Pays de la Loire, qui vant j’étais très sportif. Il a alors fallu redécouvrir mon corps et leurs femmes et leurs enfants se mettre à courir avec eux pour les
n’ira malheureusement pas au bout, victime d’une déshydratation. reprendre les activités sportives à la faveur d’un déménagement en­ encourager et se mettre eux aussi à pleurer.
Yeux grands ouverts et cerveau en ébullition, aussi. tre la mer et la campagne. Quitter Paris pour retourner à la maison. J’entame une descente plutôt tranquille. Je ressors de ma bulle.
Arrive un gros col. On pose le pied à terre. Impossible de le Avec le VTT sont revenues des émotions de jeunesse. Des sensations Je m’ouvre à nouveau sur mon environnement, sur mes compagnons
monter sur son vélo. L’ambiance reste bonne. On discute. On blague. intenses. Tout semble coïncider autour du vélo. Une vie plus simple, de chemin, qui se font vraiment rares depuis quelques heures. Je
On encourage les plus téméraires qui tentent de faire dix ou quinze plus écolo et en meilleure santé. C’est un tout. retrouve une forme de bien­être. Un sentiment de bonheur com­
Le sociologue David Le Breton, auteur mence à émerger à nouveau dans ce chaos douloureux du bout des
d’Eloge de la marche (Métailié, 2000), voit dans orteils au bout de mes neurones.
de tels défis une « dimension du sacré, une quête Dans l’une des dernières ascensions, je dépasse un gars du
J’Y SUIS. JE FAIS d’un au­delà ». Il explique cet engouement par la coin, puis il me rattrape dans la descente. Je propose de lui laisser la
nécessité de « s’arracher de l’ordinaire », de re­ place pour qu’il puisse me dépasser. Mais il veut rester derrière moi, ça
PARTIE DE CETTE trouver son corps oublié dans le quotidien, blo­ l’empêche de faire n’importe quoi, d’aller trop vite malgré la fatigue et
MEUTE DE FOUS qué dans les embouteillages ou devant les le manque de lucidité. On approche de l’arrivée, à Combloux. J’ai les
écrans. Le besoin d’intensité, de se sentir vivant. larmes aux yeux. Je déraille. Je répare. Je repars, rejoint par deux Espa­
FURIEUX QUI Alors, dit­il, les trentenaires et quadragénaires gnols. On arrive au bout un peu avant 20 heures. Treize heures cin­
VONT SE TAPER s’orientent vers les défis « ultras » quand les quin­ quante d’efforts ! Je suis soulagé et fier d’être allé jusqu’au bout. Et je
DES CÔTES quas et plus se mettent à la marche. découvre la longue liste de messages que mes potes se sont échangés
Dans la descente, je me sens moins lu­ sur WhatsApp. Eux aussi ont l’air d’être fiers de ma performance. Ils
CAILLOUTEUSES cide. Je tombe en douceur dans des hautes her­ ont suivi en live mon avancée sur Internet. Ils trinquent à ma santé sur
DE PLUS DE bes et des fleurs. Ça fait rire mes compagnons de une plage ou dans un jardin, et moi je tente de rassembler mes souve­
route du moment. Et moi aussi je ris. Puis je nirs déjà vagues de cette folle journée hors du temps.
10 KILOMÈTRES manque de chuter quelques kilomètres plus loin Pendant quelques heures encore, les derniers « finishers » arri­
DE LONG ET alors que je suis sur un petit chemin étroit pro­ veront un par un ou deux par deux, au bout de seize heures d’efforts
1 000 MÈTRES che d’un ravin. Je m’arrête deux minutes. Je tente pour certains. Des larmes. Des bisous. 262 valeureux sur les 1 340 du
de me calmer et de retrouver un peu mes esprits. départ sont allés au bout de l’épreuve. Chacun a relevé son propre défi
DE DÉNIVELÉ Je respire. Mais ça ne suffira pas. Quelques kilo­ dans un fabuleux « jeu de vivre » vraiment pas ordinaire. Est­ce que j’y
mètres plus bas, je me prends un arbre, je tombe retournerai ? Sûrement pas, c’est trop dur. Enfin, on verra l’année pro­
sur le dos alors que mon VTT passe au­dessus de chaine. Il y a peut­être possibilité d’arriver dans les 100 premiers…
6 0123
DIMANC HE 1 4 - LU N D I 1 5 J U I L LE T 20 1 9

A la fortune du pot FACE


Ventilateur ou climatiseur ? Espadrilles ou nu-pieds ? ADP ou
À
RIP ? En cet été 2019, les débats abondent. Mais il est une
question qu’il faut trancher (sic) d’urgence sous peine de FACE
cochonner (re-sic) vos pique-niques et, donc, vos vacances :
rillettes ou pâté ? Vous allez devoir prendre position.
Pour les rillettes, ce sera assis. A l’ombre. Sur une couverture,
au pied d’un érable champêtre. A la table (pliante) d’un
bungalow de la côte Atlantique. Ou dans l’arrière-cuisine de
la boucherie-charcuterie Berthier, à Chantenay-Villedieu
(Sarthe), fief de Laurent Berthier, 47 ans, maître artisan Tranche de vie
ès rillettes. A son palmarès : un chapelet de grands prix Le pâté se mange debout. En sandwich. Accoudé au zinc
d’excellence du Concours national de Connerré (Sarthe) et de du bar-tabac le plus proche. Dans la tribune couverte
médailles d’or du Concours national de Mamers (Sarthe), du stade Jacques-Fould d’Alençon, à la mi-temps d’un bon
où il fut même classé hors concours entre 2007 et 2009. vieux match de football de National 3. Ou à la sortie
Pour rallier l’échoppe, il suffit de suivre le parfum suave, du Cochon blanc, la charcuterie que Jean Fardoit, 60 ans,
presque sucré, qui nappe le cœur du bourg les jours de tient à Moulins-la-Marche (Orne) depuis trente-sept années
cuisson. « Je travaille encore au feu de bois, explique Laurent et des poussières. Sur son présentoir réfrigéré trône,
Berthier. Je cuis trois fois par semaine dans des marmites entre autres, son diplôme de Champion de France 2018
de 90 litres, vieilles de soixante ans. J’utilise uniquement du pâté de lapin, décerné par la Confrérie des fins gourmets
des cochons labellisés porc fermier de la Sarthe. Nos de Longny-au-Perche (Orne).
rillettes sont traditionnelles, artisanales, locales. » Ici, au cœur de la Normandie, on pratique l’art
La recette, Laurent Berthier la tient de son de la charcuterie depuis le Moyen Age avec la foi
prédécesseur. Transmise avec les clés de la des bâtisseurs de cathédrale, les morceaux gras
boutique, il y a vingt-cinq ans. Le gras est du cochon (poitrine, gorge) et, en l’occurrence,
gentiment rissolé, deux heures durant. Les un lapin entier désossé. « Je n’ai pas cessé
morceaux maigres – jambons et filets –, taillés d’affiner la recette, dit Jean Fardoit. Un tiers
en pièces de 500 g, le rejoignent, escortés
d’une chaussette emplie de vertèbres, pour
un bouillon léger d’une demi-journée.
RILLETTES de porc local élevé au grain, deux tiers de
lapin fermier de la Sarthe. Hachage à cru.
Echalotes. Persil. Muscade. Pas d’ail. Deux

OU PÂTÉ ?
Nuage de gros sel de Guérande. Pincées de œufs entiers pour lier. Sel. Poivre. Cognac.
poivre blanc. Interdiction de remuer. Tout le Vingt-quatre heures de repos, trois au four.
canton embaume. Une louche de jus de cuisson de couenne
Quand l’ensemble prend une jolie couleur Michel Dalloni pour la tenue et le moelleux. »
miel de thym, on égoutte la viande (en Laisser rassir. Puis tailler en tranches mafflues
récupérant la graisse fondue) avant de pour mieux garnir le pain. Et avec ça ? Un vin
l’émietter d’un geste doux mais rythmé, puis de tout simple. « Du rosé », suggère Jean Fardoit.
réintroduire ladite graisse jusqu’à saturation. Voilà. Il Allez savoir pourquoi, on conçoit volontiers que le
n’y a plus qu’à mettre en terrine ou en pots. Treize euros pâté, à défaut d’être le meilleur ami de la basse-cour, est
le kilo. Evidemment, il y a un secret. « Je le confierai à mon celui de l’homme, dont il accompagne à merveille la solitude
successeur », assure Laurent Berthier. contemporaine telle que décrite par Jean-Pierre Martinet
Si les rillettes s’accompagnent d’une belle tranche de pain dans Jérôme (Le Sagittaire, 1978, réédition 2018 chez Finitude)
de campagne et, selon les connoisseurs, de petits radis roses, et Michel Houellebecq dans Sérotonine (Flammarion, 352 p.,
elles sont également indissociables d’une certaine idée 22 euros). Mais il est aussi l’aliment du héros. Ainsi, lors de leur
de la générosité. Version débordante. Elles se consomment manœuvre annuelle, les sapeurs-pompiers du centre de
entre amis (choisis parmi les meilleurs) et sur tartine, secours de Moulins-la-Marche éteignent leur faim de loup
où on les déposera en monticules contigus. On n’étale pas. avec les terrines de lapin du Cochon blanc (17,80 euros le kilo).
De toute façon, c’est à volonté. Et quand on veut. Chez les On aurait tort de réduire le face-à-face rillettes-pâté
Berthier, on s’y attaque dès le petit déjeuner. à une différenciation sociologique (la tribu-l’individu),
Et sinon, plutôt du Mans ou plutôt de Tours ? Les deux ! à une distinction sémantique (la gourmandise-l’appétit),
La Touraine, où, selon Rabelais, la spécialité a vu le jour à une querelle ergonomique (assis-debout), voire à un
au XVe siècle, a gagné son indication géographique contentieux multi-départemental (Sarthe/Indre-et-Loire-
protégée (IGP) en 2013. La Sarthe, elle, rame encore. Mais, Orne/Calvados). Ces produits du terroir racontent la même
depuis le 17 mars, elle détient le record de la plus longue histoire : celle du savoir-faire. Il leur arrive d’ailleurs, entre
tartine de rillettes du monde : 72,12 m, 40 kg de matière pots et terrines, d’échanger des clins d’œil aussi gourmands
première, 150 baguettes. Y en a un peu plus, j’vous le mets que malicieux. Lors du 2e Printemps des rillettes en Sarthe
quand même ? (16-24 mars), les organisateurs avaient imaginé une chasse
au trésor ouverte à tous. Objectif : retrouver Rillet’girl, la
compagne de Rillet’man, enlevée par un rival. Parmi les prix,
deux places de cinéma. Offertes par Pathé.

C’ E ST L E PIED

L’année de la Méduse
Venezia Avenue. Cependant, 80 % des ventes se font encore en France.
L’actrice Marion Cotillard les préfère parfois à ses talons plus ou moins
compensés de star. Tandis que l’humoriste Elie Semoun les a exhibées
salle Pleyel, à l’occasion de la 44e cérémonie des Césars, en février, où il
s’est pointé en peignoir, slip de bain et bonnet de water­polo. Porter des
Méduse, c’est opter pour la cool attitude. Mais pas seulement.
Pour rejoindre l’Atlantique à partir de Beaupréau­en­Mauges (Maine­et­ san, qui se met alors à injecter force PVC dans des moules sur mesure. Ce soulier de crise, limite arte povera, évidemment récupéré
Loire) – prononcer « Bôprô », sous peine de passer pour un touriste –, il Le succès est immédiat. Pas chères, pratiques, amphibies, 100 % recy­ par la mode, est une invite à l’égalité et au mélange des genres. Il
faut prendre la direction de Pornic (Loire­Atlantique) et compter une clables : les Méduse médusent. place tous les baigneurs sur le même pied. Il rend modeste et nous
centaine de kilomètres. Il vous faut aussi prendre un costume de bain, « Nous avons repris la fabrication en 2003 quand la société renvoie à l’enfance, celle des congés en famille, de la pêche à la cre­
de la crème solaire, des lunettes noires, une serviette­éponge, un bob, Plastic Auvergne, acteur historique, a été liquidée, explique Anne­Céline vette et des glaces à l’eau. « Il a un charme intemporel et vintage. Il
un gros bouquin, voire un Jokari. Sans compter une paire de Méduse. Humeau, PDG du groupe Humeau Beaupréau. Sept ans plus tard, nous parle à toutes les générations, aux filles comme aux garçons, se plie à
Une paire de ? Méduse ! Ces sandales en plastique translucide et se­ avons choisi de développer le modèle. » Depuis, les bords de mer toutes les situations », souligne Anne­Céline Humeau. Notez ainsi
melle à picots bien de chez nous, qui permettent d’entrer dans l’eau voient débarquer chaque année 400 000 paires de Méduse en 31 tailles l’existence d’un modèle phosphorescent (corail, vert, bleuté). Idéal
sans se déchausser et d’en sortir sans perdre pied. (du 18 au 48) et 25 coloris. Prix : de 12 à 21 euros. Mais, lassés du cabotage, pour les bains de minuit.
Et, comme par hasard, c’est ici, à Beaupréau, dans le Choletais, voilà que les nu­pieds gélatineux marchent sur la grand­ville. Récem­ M. Da.
bastion de l’industrie française du soulier, que les Méduse sont ment, une investigatrice de « L’Epoque » a repéré l’ensemble Méduse­
aujourd’hui fabriquées. Mais c’est en Auvergne, en 1946, qu’elles sont chaussettes à Belleville (Paris, 20e).
nées. Une idée de Jean Dauphant, coutelier aux Sarraix (Puy­de­Dôme), La voie avait été montrée dès 1998, à Los Angeles, par Jeffrey
aux portes de Thiers. La guerre est finie, le cuir manque. Pourquoi pas Lebowski himself (The Big Lebowski, des frères Coen) qui mariait ses
des chaussures en plastique souple ?, s’interroge, en substance, l’arti­ Méduse à des pantalons informes et des gilets avachis pour glander sur
0123
DI MAN CHE 14 - LUN DI 15 J UI LLE T 201 9 7
Salade
multicolore
aux pois
chiches
— pour 6 personnes —
CUISINE
Préchauffez le four
à 220 °C. Rincez 400 g
de pois chiches cuits ;
mélangez-les avec

La salade,
1 cuil. à c. de curry fort,
1 cuil. à s. de graines
de sésame et 2 cuil. à s.
d’huile d’olive.

tu maîtriseras Répartissez-les sur


une plaque garnie de
papier cuisson, enfour-
nez-les 20 min env.,
en remuant, jusqu’à ce
qu’ils aient une belle
couleur ; réservez.
Equeutez 500 g de
C’est le plat incontournable de l’été haricots verts, faites-
les cuire al dente à
et de ses grandes tablées. A deux l’eau bouillante salée ;
plongez-les dans de
ou entouré d’apôtres, voici les dix l’eau froide, égouttez-
les et coupez-les
commandements d’une composition en tronçons.
Préparez la sauce en
réussie. Sans ananas, merci mélangeant 1 cuil. à s.
de tahini (pâte de
Stéphanie Noblet sésame), 2 cuil. à s.
d’huile de sésame,
2 cuil. à s. d’huile
d’olive, 2 cuil. à s.

T
u ne dérogeras pas à la saisonnalité. Les meilleurs ingré­ de jus de citron vert,
dients ? Toujours les plus frais, les plus fraîchement 2 cuil. à c. de miel et
cueillis, à pleine maturité, les plus locaux, les plus saine­ 3 cm de gingembre
ment cultivés. On peste assez sur l’omniprésence des râpé ; réservez.
tomates hors saison pour leur réserver la place majeure Pelez et râpez 4 carot-
qu’elles méritent quand c’est enfin leur heure. En compa­ tes primeur. Rincez
gnie des aubergines, courgettes, haricots verts, poivrons, fenouils et et taillez une vingtaine
artichauts, elles forment l’ossature des salades estivales. Sans bannir le de radis en bâtonnets.
recours à une poignée de trésors du placard, qui sauvent la mise à l’im­ Emincez 3 oignons-
proviste : conserves de poissons, légumes confits, olives, pois chiches, tiges en conservant
cornichons et pickles… une partie de la tige.
CHANG-KI CHUNG Ciselez 5 branches
La composition tu soigneras. Une salade composée est un mets POUR « LE MONDE » de coriandre et
dégusté froid (ou tiède) fait de légumes, crus ou cuits, éventuellement 5 branches de menthe.
de viande, d’œufs ou de poisson, parfois de féculents, le tout assai­ Tu recycleras les restes avec discernement. Le pain rassis se fait une Au dernier moment,
sonné d’une vinaigrette. Sa réussite tient à l’équilibre des textures (de place naturelle dans la populaire panzanella florentine (avec des toma­ pelez 4 pêches plates
la fermeté, du moelleux et du croquant) et à la justesse des saveurs tes, là encore) ou, transformé en croûtons, dans une variété de recettes mûres mais fermes
assemblées : point trop n’en faut. Le nombre d’ingrédients principaux (césar, au chèvre, aux lardons…). Les restes effilochés de poulet ou de et coupez-les en quar-
ne devrait pas excéder celui des doigts d’une main. raie s’insèrent aisément en salade, tels quels ou transformés en boulet­ tiers. Et juste avant
tes. Du côté légumier, on ne sauve que ce qui a de la tenue – mieux vaut de servir, mélangez
Tu banniras la banalité, pas la simplicité. On a tous en mémoire de poêler et servir à chaud les haricots ramollos, ou mixer les courgettes tous les ingrédients
tristes buffets aux saladiers repoussoirs – piémontaise gorgée de mayo, en soupe froide. avec la sauce.
conglomérat de macaronis refroidis façon sticky rice, archipel de
crudités mollassonnes. La simplicité de bon goût ne compte que des Tu pratiqueras modérément le sucré­salé. Le terrain est glissant : qui
atouts : une batavia croquante et vigoureuse taquinée par un duo n’a jamais goûté des salades plombées par d’intruses rondelles de jeunes pousses, herbes et crudités à la dernière minute, pour préser­
échalote­ciboulette ou une salade de tomates mûres servie à tempéra­ banane ou des cubes d’ananas incongrus ? Les fruits les plus sucrés ver leur précieux croquant.
ture ambiante avec une pointe d’ail frais, de la fleur de sel et une ex­ (cerises, raisins) peinent à rester discrets, tandis que les plus aqueux
quise huile d’olive offrent une base sûre et réconfortante, sans risque (melon, pastèque) détrempent tout l’entourage. Il est bon de miser sur Tu peaufineras le décor et les costumes. Oui, car une bonne salade,
de fadeur. Pour les féculents, on oublie volontiers les banales salades de l’acide et l’acidulé apportés par les agrumes (segments, zestes et jus), cela commence par le plaisir des yeux. Un grand plat évasé ou un sala­
pâtes ou de riz blanc au profit d’une poignée de quinoa, d’orge perlé ou la grenade en hiver, mais aussi par des abricots et pêches fermes. dier transparent élégant mettent en valeur le travail de composition.
de sarrasin kasha, mêlés à des légumes rôtis, par exemple. Bonnes compagnes des fromages, framboises et figues fraîches On dressera les éléments dans l’ordre, du plus consistant au plus fra­
apportent une vivacité bienvenue, mais en finition seulement, du fait gile, en soignant les détails de finition : des herbes émincées à profu­
Tu ne dénatureras pas les classiques. Du riz dans la salade niçoise, des de leur texture fragile. sion, des graines (courge, tournesol…) ou céréales (sarrasin, chanvre…)
tomates dans la César, du maïs dans la lyonnaise (frisée­lardons) : et torréfiées et des jeunes pousses ébouriffées.
puis quoi encore ? Les grands classiques du répertoire bistrotier ne Tu opteras pour un métissage éclairé. S’il trompe la monotonie en
gagnent jamais à être malmenés. Une pointe d’originalité peut aller se plein hiver, le recours à des ingrédients d’origine exotique (ananas, Toujours généreux tu te montreras. Servir une salade ne signifie
nicher dans le choix d’un vinaigre, d’une huile ou d’un condiment. mangue, pamplemousse, avocat, cœur de palmier…) se justifie moins à pas mettre tout le monde au régime. On prévoit une large quantité
la belle saison. On pioche néanmoins avec bonheur dans les condi­ (quitte à n’en assaisonner qu’une partie), d’autant que les tablées
ments et sauces venus d’ailleurs : tahini et huile de sésame, gingembre, estivales sont souvent extensibles. Et l’on choisit avec soin les pains
sauce soja, mirin, vinaigre de riz, lait de coco, paprika fumé, etc. d’accompagnement, qui combleront les appétits féroces et permet­
tront de ne pas perdre une goutte de cette petite sauce inoubliable
Tu assaisonneras au moment opportun. Une étape­clé de la réussite. que vous avez concoctée…
On peut préparer la sauce à l’avance (pendant une cuisson), surtout si
elle doit être incorporée rapidement. C’est le cas pour les pommes de
terre, les aubergines rôties et les légumineuses (haricots blancs,
lentilles…), qui absorbent bien mieux une vinaigrette administrée
quand elles sont encore tièdes : incomparablement meilleur ! En
revanche, mieux vaut assaisonner et mélanger les salades vertes,

L ’ AG ENDA DE L A S EMA INE

A Ibiza, belle île en mer


Vicky Chahine

Fête de la Vierge del Carmen Cas Gasi La Paloma Casi Todo


A Ibiza, il n’y a pas que les soirées de David Guetta > Près de Santa Gertrudis, sur un > Ouvert en 2004 par une fa- > C’est une curiosité de la zone
où l’on fait la fête. Tous les 16 juillet, les habitants terrain de quatre hectares ponc- mille italienne installée sur l’île, piétonne du village bohème de
célèbrent, dans les différentes parties de l’île, la tués d’oliviers, cette ancienne ce restaurant du petit village Santa Gertrudis – qui vaut le dé-
Vierge del Carmen, la patronne des marins. Messe ferme est devenue un hôtel où tranquille de San Lorenzo est tour, par ailleurs. Entre caverne
de campagne, procession pour conduire la Ma- reviennent inlassablement les l’un des lieux les plus charmants d’Ali Baba et cabinet de curiosi-
done vers la mer, sortie des bateaux de pêcheurs… habitués. Dix-sept chambres à la décoration d’Ibiza. On dîne l’hiver dans un canapé au coin tés, cette échoppe ouverte en 1973 porte bien
Bouquet final avec un concert donné devant soignée dans l’esprit bohème chic, piscine avec du feu, comme on déjeune l’été sous les citron- son nom (« presque tout » en espagnol). On y
l’église de Sant Elm. L’occasion de se balader sur vue sur la verdure, un restaurant de spécialités niers du jardin. Au menu : une cuisine italienne trouve des portes balinaises, de vieilles horlo-
CAS GASI. LA PALOMA. CASI TODO.

l’île avant l’arrivée des aoûtiens. locales et cours de yoga tous les matins. maison qui change au gré des saisons, avec ges, des clubs de golf, un piano, des chaises
Le 16 juillet. Camino Viejo de Sant Mateu, s/n, pain fait sur place et légumes du potager. signées… En haute saison, ne pas manquer les
07814 Santa Gertrudis de Fruitera. Casgasi.com Réservation conseillée. ventes aux enchères (« subastas » en VO), avec
Carrer Can Pou, 4, 07812 Sant Llorenç de Balafia. catalogue en ligne. La prochaine est prévue le
Palomaibiza.com 19 juillet à 20 h 30.
Passeig de Santa Gertrudis, 14, Santa Gertrudis.
Casitodo.com
8 0123
D IMANC HE 1 4 - LU N D I 1 5 J U I L LE T 20 1 9

UN APÉRO AVEC…
MAXIME LE FORESTIER
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. A 70 ans, l’auteur
de « Parachutiste » parle d’anarchie, de Brassens et de la notoriété

P EN DA NT C E T EMPS -LÀ …
À Y VRÉ-L’ ÉVÊQU E

Questions pour
un champion
Frédéric Potet

En septembre, la vie ne sera plus tout à


fait la même pour ceux qui ont l’habi-
tude d’allumer leur poste chaque matin
à 10 h 50, du lundi au samedi. Après
vingt-neuf ans d’existence, « Motus »
s’arrête, avec le départ de son anima-
teur, Thierry Beccaro. La direction de
France Télévisions a annoncé, il y a
deux mois, la mort prochaine du troi-
sième jeu le plus ancien du PAF, derrière
« Des chiffres et des lettres » (1965) et
« Questions pour un champion » (1988).
L’émission va laisser orphelins
des régiments d’aficionados. Parmi
eux, Sébastien Huart, trois fois vain-
queur de ce divertissement bien connu
des cruciverbistes et autres amoureux
des mots. Ce prof d’anglais de 32 ans,
originaire du Mans (Sarthe), avait prévu
de participer aux sélections de la ren-
trée, avant d’être invité à rester chez lui.
Sébastien Huart appartient à une cote-
rie enviée dans le petit monde des jeux
télévisés : celle des superchampions.
L’homme a gagné sur quasiment tous
les plateaux : « Questions pour un
champion », « Pyramide », « Mot de
passe », « Tout le monde a son mot à
dire »… Le cumul de ses gains s’élève, en
Au Select, à Montparnasse, le 21 juin. ROBERTO FRANKENBERG POUR « LE MONDE » six ans, à 170 000 euros, « soit davan-
tage que ce que j’ai touché au sein de
l’éducation nationale pendant la

« Chanteur, c’est bien. même période », confie ce spécialiste


des jeux d’esprit et de culture générale.
Ses succès répétés lui ont permis
de remplacer sa vieille Mégane par

Vieux chanteur, c’est mieux »


une Toyota Auris neuve en 2014, ou,
plus récemment, de solder l’emprunt
contracté pour l’achat de sa maison :
« J’avais prévu la chose en négociant
l’absence d’intérêts en cas de rembour-

L’
Laurent Carpentier
sement anticipé. » Ne parlons pas de
ses séjours en Irlande, en Croatie, à
œil complice, le patron du Select – institution porte toujours la tendresse en étendard. Dans la jungle de Ca­ Cuba, Londres… « France Télévisions
parnassienne où se croisent écrivains en go­ lais, un artiste africain, Alfa, avait construit une cahute peinte est le sponsor de mes vacances », se
guette et artistes argentés – s’est mis à fredon­ en bleu qui était devenue « la maison bleue ». Maxime Le Fo­ rengorge-t-il.
ner en lui tendant la main. « Toi le frère que je n’ai restier est intervenu pour qu’on ne la détruise pas. « J’avais dit Sébastien Huart a toujours re-
jamais eu… Mon frère : une chanson que j’adorais ! un peu imprudemment que j’étais prêt à la mettre chez moi, gardé des jeux télévisés. « J’ai quasi-
Et puis il y avait Education sentimentale : je con­ dans le Loir­et­Cher. Il a préféré l’exposer à Londres. Le plus ment appris à lire et à écrire grâce à
naissais les paroles par cœur. C’était il y a combien de marrant, c’est qu’Alfa ne connaissait pas du tout la chanson. » “Motus” », dit-il. L’enfant a très tôt « le
temps ? » Quarante­sept ans. « Ah oui, tout de même… » A quoi ça tient, cet amour du prochain ? Un vieux nez plongé dans les livres » et obtient
1972. Cette année­là, en dix tubes (San Francisco, reste catho chez cet athée viscéral ? Quelque chose à réparer ? son bac à l’âge de 16 ans. Trois ans plus
Parachutiste, Fontenay­aux­Roses…) et 1,5 million d’albums Il s’étonne : « Je n’ai pas envie de blesser, c’est tout. Surtout, c’est tôt, au collège, un prof de français l’a
vendus, Maxime Le Forestier devient le plus populaire des inefficace. » Les « gilets jaunes » ? « Franchement, je ne sais pas poussé à se présenter aux Dicos d’or, le
chanteurs français ; et son premier 33­tours, la bande­son qui c’est. Aux Restos du cœur, les mecs nous alertaient depuis championnat d’orthographe créé par
d’une génération qui mariera l’héritage de Brassens, Brel ou un moment. Mais il m’est venu l’idée saugrenue que c’est la li­ Bernard Pivot. Il terminera premier de
Léo Ferré avec les sonorités folk du protest song américain. mite de l’anarchie. Laquelle n’est belle que quand on en rêve… » la finale régionale et sixième de la
Le chanteur a commandé un verre de chablis. A Il raconte comment, lorsque Brassens chantait Hécatombe finale nationale. C’est en 2013, alors
70 ans, il trinque à son seizième album, Paraître ou ne pas (« Au marché de Brive­la­Gaillarde, à propos de bottes qu’il est devenu enseignant à Villeta-
être, dans les bacs depuis un mois. « Mes artères sont plus d’oignons… »), les gens applaudissaient systématiquement neuse (Saint-Saint-Denis), non loin du
vieilles que moi, ricane­t­il. Mais c’est le cas de tous ceux qui après « Frénétique l’une d’elles attache/Le vieux maréchal des complexe de studios de télévision de
ont aimé la vie. Pour son 90e anniversaire, Marcel Amont – je logis/Et lui fait crier “mort aux vaches/Mort aux lois, vive La Plaine-Saint-Denis, qu’il va commen-
l’aime beaucoup – nous a fait un spectacle à l’Alhambra en l’anarchie !” », et à chaque fois, à la fin du morceau, Brassens cer sa « carrière » de champion de l’an-
PLAYLIST avril. Certes, il ne fait plus le truc de monter sur les chaises… J’ai glissait à Pierre Nicolas, son contrebassiste : « Ces cons­là, tenne. Sa plus belle série ? Quarante
râlé qu’il ne le fasse pas, mais bon… Y a guère que Brel et Gold­ l’anarchie, ils ne savent pas ce que c’est. » victoires d’affilée à « Tout le monde a
> DERNIER LIVRE LU man qui ont volontairement décidé d’arrêter. » En un demi­ Du boulevard Montparnasse nous arrivent les échos son mot à dire », en 2018.
« Réflexions sur la siècle et 400 chansons, sa voix a baissé d’une tierce, mais elle du groupe de musiciens quadragénaires aperçus en arrivant, « Pas mauvais perdant mais
question antisémite », a gardé le même moelleux : « On vit de plus en plus vieux. Tant qui, sur le trottoir, massacrent avec enthousiasme un mor­ compétiteur dans l’âme », Sébastien
de Delphine Horvilleur qu’on ne se décide pas à nous euthanasier, c’est ingérable. La ceau de Dire Straits. « Pour qu’une chanson soit populaire, il Huart est doté d’une mémoire phéno-
(Grasset, 162 p., 16 €) terre gouvernée par des vieux, chantée par des vieux. » faut qu’elle soit jolie, qu’elle raconte une histoire et que ce ne ménale qui le rend incollable sur un
Sa vie ? « Une promenade, avec des moments noirs et soit pas trop difficile à jouer », résume­t­il. Ces jours­ci, il grand nombre de sujets. Pas tous,
> DERNIÈRE RECHERCHE d’autres sublimes. » Un père anglais qui retraverse la Manche écoute Orelsan. « C’est vachement bien. Bon, le gars, il se pose cependant. S’il sait prononcer le verbe
FAITE SUR GOOGLE sans se retourner ; une mère qui écrit des doublages de séries des questions sur la notoriété : il faudrait qu’on se parle… La associé au chant de la mésange (« zinzi-
L’horaire des trains télévisées ; deux sœurs – dont l’aînée, Anne, a l’oreille abso­ notoriété est un traumatisme. Il faut le traiter comme tel. nuler »), le Teddy Riner de l’anagramme
pour Bruxelles lue – donnent le tempo d’une fratrie musicienne. La famille Reconnaître qu’on a été agressé. » Rictus. Tête du Joker dans butera sur une question aussi basique
maternelle est de droite, conservatrice et maurrassienne. Le Batman, un trait horizontal entre ses incisives : « Chanteur, que : « Quelle céréale compose la
> DERNIÈRE SÉRIE gamin habite Saint­Ouen mais est scolarisé à Paris, au collège c’est bien. Vieux chanteur, c’est mieux. » tortilla ? » (réponse : le maïs). Ce sont
« Osmosis », sur Netflix Fénelon Sainte­Marie – « la messe tous les jours » – puis au Il reprend un verre de chablis, boit comme il parle, toutefois les dates qu’il retient sans
lycée Condorcet, dont il se fait virer en première : « Indisci­ comme il chante : sans se presser, sans énervement. « Ce coup férir. « Quel film allemand sorti
> DERNIÈRE INFO LUE pline… Enfin, plein de trucs : un examen d’allemand que j’avais pouvoir que donne la scène sur une foule… Pour en faire quoi, en 1987… », commencera-t-on. « Bagdad
Scène de ménage passé assis sur un dictionnaire, un prof d’anglais qui voulait au fond ? », soupire l’homme qui aimait les chevaux. Et se re­ Café », coupera-t-il du tac au tac.
chez Boris Johnson me virer et que j’ai tapé… En fait, je n’étais plus dans le moule. connaît deux maîtres : Nuno Oliveira (1925­1989), écuyer por­ Au collège Pasteur d’Yvré-l’Evê-
Deux ans que je chantais du Brassens. » La faute à l’achat tugais de légende, et Georges Brassens (1921­1981). « J’avais que, ses élèves arrivent parfois à le col-
> DERNIÈRE APPLI d’une guitare, à Bastille, à 14 ans. 23 ans. Je rencontre le premier en juillet, le second en octobre. ler sur les capitales de certains micro-
TÉLÉCHARGÉE Sa mère le pousse au cours Florent : mime, danse. Lui Un point commun : le minimalisme. Oliveira faisait faire des Etats du Pacifique (par exemple Palaos,
Deezer préfère chanter dans les cabarets avec sa sœur, la cadette, Ca­ choses insensées à ses chevaux mais on n’en voyait rien. Bras­ capitale Melekeok). Ses amis, eux, ont
therine. « C’était elle la baba cool, pas moi », sourit­il. Elle qui sens, un quart de seconde avant la vanne, tu pouvais juste renoncé à le défier au Trivial Pursuit.
l’emmène à San Francisco, la « maison bleue sur la colline », noter un petit pli de la moustache. » Licencié dans trois clubs de « Pyra-
après son service militaire. Pour le coup, un mauvais souve­ Veste grise, assis droit sur sa banquette, sagement mide » et de « Questions pour un cham-
nir. 13e régiment de dragon. Des bérets rouges. Unité d’élite rasé, cinquante ans après, il a retenu la leçon. Ou bien c’est pion », il fut l’un des premiers signatai-
où il est resté deux mois avant d’être envoyé dans un bureau, la maturité ? Il rit de bon cœur. Qu’est­ce qui fait qu’à 70 ans res d’une pétition en ligne réclamant le
mais dont il a tiré l’un de ses premiers tubes : Parachutiste. on continue ? « L’envie de chanter. C’est ce qui fait que j’écris maintien de « Motus ». Lui qui n’a jamais
Toute sa vie est dans ses chansons. Celle­là, pourtant, il ne la de nouvelles chansons. » Un soir, dans un bourg de la Loire­ candidaté au moindre jeu sur TF1
chante plus. « C’est l’armée qui m’a rendu antimilitariste. Atlantique, alors qu’il fait salle comble dans un lieu flambant – « parce qu’il faut avoir un profil extra-
Depuis, j’ai nuancé mes propos. Le “A bas toutes les armées”, la neuf, il demande au maire ce qui l’a poussé à une telle verti et aimer faire le show » – se de-
vie m’a montré que ce n’était pas possible. » La vérité, c’est que dépense. Réponse : mes administrés ne vont plus à la messe mande s’il ne va pas tenter sa chance,
le « chanteur contestataire » a rapidement contesté qu’il et font leurs courses dans des supermarchés éloignés, j’ai finalement, à « Qui veut gagner des mil-
l’était. « Ça m’emmerdait d’être réduit à ça. » Lui l’abonné des besoin d’un spectacle qui réunit tout le monde une fois par lions » ? Histoire, dit-il, de « sortir de [sa]
concerts de soutien, l’éternel électeur de gauche, tendance semaine. « En l’écoutant, j’ai eu l’impression d’avoir un rôle zone de confort ». Et de zinzinuler au
socialo, vote aujourd’hui La République en marche, mais social. Je tiens beaucoup à participer à ça. » soleil, quand la bise sera venue.

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