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Corrigé Commentaires de textes Oral Bac Français

Lycée Jean Macé

Nuit Rhénane
Analyse linéaire

I. L'univers fascinant des légendes - 1er quatrain

Le poème s'ouvre sur le thème de l'alcool : "Mon verre" (vers 1), "vin".

Puis le poème se met à l'écoute d'un autre poème ("Écoutez la chanson..." au vers 2 => mise en
abyme).
Cet autre poème raconte une hallucination (sans doute due à l'alcool, évoquée par les femmes aux
cheveux verts, à la troisième strophe, nommées "fées") prise comme une réalité. Ces 7 (chiffre
mystique) femmes "incantent l'été". Ces figures mystiques ont une véritable liaison avec le poète.

L'atmosphère est pleine de mystère : champ lexical de la nuit ("nuit", "flamme", "lune"), chiffre
mystique 7, cheveux verts, cheveux trop longs ("jusqu'à leurs pieds").

Ce premier quatrain a un rythme lent : allitération en [v] ("mon verre est plein d'un vin..."), les
voyelles nasalisées, "chanson lente" qui invite à ralentir la lecture. Ce rythme lent accentue le
caractère mystérieux de ce premier quatrain.

II. L'univers rassurant du réel - 2ème quatrain

Le premier mot du 2ème quatrain sonne comme un réveil : "Debout" -> valeur injonctive, puis
présence de verbes à l'impératif -> Appel à un univers protecteur et connu (donc rassurant) que
dessine la figure du cercle (ronde) et "près de moi" (vers 7) plus hyperbole "toutes les filles" : désir
de surpasser l'envoûtement par la force du réel.

La première strophe est rejetée par les sonorités : le rythme nerveux du vers 5 marque une rupture
avec la lenteur de la strophe précédente.

Il y a rejet du monde précédent ("Que je n'entende plus le chant du batelier" vers 6).

Apollinaire revient au monde du réel, qui s'oppose au monde fantastique principalement par les
femmes sages et stéréotypées ("les filles blondes / Au regard immobile et aux nattes repliées" vers
7-8, à opposer aux "cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds" du vers 4). De même "dansant une
ronde", terme aux connotations folkloriques et enfantines s'oppose à la "chanson lente du batelier"
du vers 2.

Les vers ont un rythme régulier avec coupe à l'hémistiche.

III. La victoire du surnaturel - 3ème quatrain

Le poème s'ouvre au premier vers sur le vin (son inspiration ?) ; ce thème n'est continué que dans la

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3ème strophe et le dernier vers.

L'ivresse s'étend à tout le paysage : "le Rhin est ivre" (vers 9). La répétition de "le Rhin" est un signe
de fascination, mais aussi d'ivresse (voire double, bégayer).

Le jeu d'écho sur les sonorités [r] [i] [v] au vers 8 dessine un chiasme sonore : "Le Rhin le Rhin
est ivre où les vignes se mirent" -> RIV / VIR -> illustration sonore du jeu des reflets.
Dans ce vers, on passe du réel "le Rhin" à l'irréel, puisqu'on ne voit que le reflet des vignes.

Le mot "tremblant" au vers 10 fait écho au "vin trembleur" du vers 1.

La troisième strophe est en fait un récapitulatif du poème et de la poésie d'Apollinaire en général ;


c'est un monde mystique où se mélangent les oxymores poétiques ("Le Rhin le Rhin est ivre...", la
répétition renforce cette idée), les "lieux-communs poétiques" ("l'or des nuits"), les figures
légendaires ("les fées") et les éléments bien réels ("Le Rhin... où les vignes se mirent", le Rhin est une
région viticole).

Cette strophe marque une victoire du surnaturel :


- on ne voit plus que les reflets,
- la chanson du batelier (vers 2) est maintenant une "voix [qui] chante toujours à en râle-mourir"
(vers 11) -> désincarnation,
- les femmes sont devenues des fées (vers 12),
- le chant est devenu incantation (chant à force magique qui peut modifier le temps "incantent
l'été").

IV. Du verre au vers - Vers 13

Le poème commence par "Mon verre" qui amène l'imagination, et se termine par ce verre qui se
brise, structure circulaire du poème. Le verre étant brisé, le poème se termine. L'ivresse peut être
vue comme une métaphore de l'inspiration poétique qui puise davantage dans l'irrationnel et
l'étrange que dans le réel.

L'allitération [r] de ce dernier vers évoque le bruit du verre qui se brise.

Il y a un jeu de mots : éclat de verre / "éclat de rire", cette comparaison repose aussi sur le bruit du
verre qui se brise qui peut rappeler un rire. Le poème se termine sur ce terme joyeux qui s'oppose
au terme "mourir" à la rime au vers 11.

Il y a un autre jeu de mot, jouant sur l'homophonie "verre" et "vers" : le verre se brise, mais le vers,
au sens poétique du terme se brise également puisque le poème se finit ici, alors que ce poème
semblait prendre la forme d'un sonnet élisabéthain (3 quatrains et un distique). Or ici la dernière
strophe est tronquée : il manque un vers pour faire un sonnet élisabéthain => c'est une marque de
la modernité poétique de Apollinaire qui se permet de ne pas respecter les formes fixes de la
poésie.

Ce poème libérateur, amenant le rire, se brise en même tant que celui-ci : le dernier rire, l'éclat,
brise le verre, l'alcool, l'inspiration du poème et donc le poème lui-même.

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Conclusion

"L'éclat de rire" brise le verre du poète mais aussi le poème lui-même. Les thèmes abordés par
Apollinaire dans le poème Nuit Rhénane sont récurrents dans le recueil : l'alcool, la vie, le
fantastique, les peurs...
Ce poème est une métaphore de la fonction poétique : l'inspiration doit être cherchée, au-delà de
l'expérience du réel, dans la rupture avec les formes anciennes et une certaine ivresse créatrice.

Explication de texte 2 : Apollinaire, Alcools, « Nuit rhénane »

Présentation et situation

Le poème « Nuit rhénane », sans ponctuation, comme tout le recueil auquel il appartient, ouvre la
section « Rhénanes » du recueil Alcools, publié en 1913. Comme dans “Les Femmes”, qui clôt cet
ensemble, on observe le motif du batelier et celui de la vigne. Tout en même temps, “Nuit rhénane”
est lié par un jeu de miroitements au poème qui le suit, le célèbre “Mai” : le motif du fleuve, que
l'on retrouve dans les deux textes, est ici associé aux thèmes du chant et de l’ivresse, en écho au titre
du recueil. Comme l’indique le titre du poème, posant un cadre nocturne, il semble que l’on assiste à
la mise en place d’une vision suscitée par l’ivresse, mêlant sensations concrètes et bribes de
légendes, dans un poème qui se fait chanson.

Lecture

Composition

Entremêlant les thèmes du chant et de l’ivresse, le poème se compose de deux mouvements


principaux.

Dans un premier temps, on observe un mouvement formé de trois strophes. Chacune est composée
de quatre alexandrins, et l’ensemble est fondé sur un principe de crescendo : s'entremêlent les
thèmes du chant et de l’ivresse du sujet lyrique, puis du fleuve même, à la faveur d’une
personnification. La montée de l’ivresse correspond à une amplification du chant et à un mélange de
sensations réelles et de souvenirs de légendes, dans une confusion quasi merveilleuse, mais où
affleurent discrètement quelques notes dysphoriques.

Le deuxième mouvement est constitué d’un alexandrin lapidaire, isolé typographiquement du reste
du poème ; celui-ci se clôt sur le motif placé à l’ouverture, celui du “verre”. Ainsi, le thème de la
brisure correspond à la fin du poème.

Projet de lecture

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Devant cette scission entre les deux mouvements, ce décrochage du dernier vers par rapport à ce qui
précède, on tentera de dégager le sens qu’il faut donner à la forme du poème ; en effet, on aurait
presque ici un sonnet, dont il manquerait le dernier vers. Comment interpréter cette cassure à la fois
formelle et thématique ?

Plan de l’explication

Nous montrerons que derrière l’apparente rupture entre les deux mouvements, on peut déceler des
éléments de continuité : après la mise en place musicale d’une vision mêlant les thèmes de la nuit et
de l’ivresse, les sensations concrètes et les bribes de légendes, le dernier vers la dissipe dans un éclat
de rire moqueur. Mais l’ensemble du poème est parcouru d’éléments négatifs et inquiétants qui ne
sont pas sans lien avec cette brisure énigmatique.

♦ 1er mouvement

Le titre, “Nuit rhénane”, pose un cadre – le Rhin – et une temporalité, la nuit, moment où tout est
possible, lié à la fois au rêve et à l’amour : il annonce ainsi les figures féminines qui parcourent le
poème, et renvoie, plus largement, au recueil dans son ensemble où s’élabore le mythe personnel du
Mal-Aimé. En effet, le Rhin est lié dans l’histoire d’Apollinaire à un séjour en Allemagne en 1901-
1902, au cours duquel il connaît un échec amoureux douloureux, puisqu’il est éconduit par l’Anglaise
Annie Playden. Enfin, le Rhin suggère aussi l’espace des légendes germaniques, comme celle de
l’Ondine ou de Siegfried : se trouve ainsi ouverte la possibilité d’une tonalité merveilleuse.

La 1ère strophe : 4 alexandrins, un système de rimes croisées.

Conformément au titre du poème et à celui du recueil, on observe la mise en place du thème de


l’ivresse avec le substantif « verre », placé sous l’accent et décliné dans les sonorités [v] et [r]
(“verre”, “vin”, à la césure, “trembleur”) et dans le jeu sonore sur les voyelles (“verre”, “est”). Le
possessif indique la présence du sujet lyrique, affirmée au cœur de la scène qui se développe : il en
est à la fois spectateur et acteur.

Puis, l’évocation du « vin trembleur » fait surgir l’image de la flamme, confirmée par la comparaison :
le poème apparaît déjà du côté de la vision, de la transfiguration, qui en laisse attendre une autre. En
effet, on note la proximité sonore entre “flamme” et “femme”, termes unis à la rime. Enfin, l’adjectif
“trembleur” peut peut-être aussi être lu comme un début de personnification ; “trembleur” pourrait
ainsi renvoyer à la main du poète qui tremble d’ivresse, et également constituer l'indice d’un trouble
émotionnel.

Le deuxième vers introduit un second thème, sur le mode musical : celui de la chanson. S’ouvre ainsi
dans le poème un espace de dialogue problématique, avec l’injonction “écoutez” : on se demande à
qui s’adresse l’impératif. Après la vue, sollicitée dans le premier vers, l’ouïe est convoquée dans le
deuxième : on note ainsi l’importance des sensations. Se mélangent ici le thème de la musique et
celui de la nuit rhénane avec l’apparition d’”un batelier” : l’article indéfini dit l’imprécision de
l’identification (peut-être en raison du contexte nocturne) et contribue de manière discrète à la
suggestion d’un mystère. Enfin, la lenteur de sa chanson est sensible dans le rythme de
l’alexandrin (3/3, puis rupture, 2/4), qui peut fonctionner comme l’indice d’un trébuchement.

Au troisième vers, à la faveur d’un enjambement, le contenu de la chanson du batelier est évoqué. Le
verbe “raconte” semble rapprocher le batelier de la figure du poète, dans un jeu de double : le poète

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lui-même se fait ici chanteur, et reproduit la parole du batelier à la faveur du discours indirect. Tout
en même temps, le sujet lyrique met à distance la parole du batelier : « raconte avoir vu ». A la rime
est introduite l’image des “femmes”. Le cadre est propice, comme l’indique le complément
circonstanciel de lieu, « sous la lune », en écho au titre : on note la proximité de l’histoire enchâssée
(la chanson du batelier) et du cadre enchâssant du poème, ce qui produit un effet troublant. Ce
trouble est augmenté par la précision numérique des « sept femmes » : le nombre, symbolique,
rappelle la légende : la tonalité merveilleuse se confirme.

Au quatrième vers, le verbe « tordre » est mis en valeur à l’initiale, par un nouvel enjambement. On
note aussi l’allitération en [r] qui parcourt le troisième et le quatrième vers, comme pour amplifier le
mouvement sensuel (on sait que le motif des cheveux dénoués possède une valeur érotique), mais
qui se révèle aussi inquiétante. En effet, on entend l’adjectif « trembleur » en filigrane, en écho au
premier vers. Semble ainsi se dessiner le motif de la femme sorcière, en écho à Mélusine ou à la
Loreley : après le chiffre sept intervient la couleur verte, mise en valeur à la césure. Enfin, la
précision, « jusqu’à leurs pieds », donne l’image d’une sensualité débordante, peut-être menaçante.
En effet, elle correspond à tout un premier ensemble de figures féminines qui domine le recueil : la
femme fatale, qui menace la virilité, voire l’existence des figures masculines (par exemple, dans la
même section, « Loreley », « sorcière blonde / qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la
ronde » ; ou encore la femme-« voyou » qui provoque les souffrances amoureuses du sujet dans la
« Chanson du Mal-Aimé », et la figure de Viviane, meurtrière de Merlin, à la fin de « Merlin et la
vieille femme »). Cette figure féminine menaçante, étrange, est encore renforcée par ce que
présuppose le verbe “tordre” : si les cheveux sont tordus, c’est qu’ils sont mouillés, dans un souvenir
d’une autre femme fatale, Ondine, Loreley ou sirène. En effet, la thématique du chant accentue le
souvenir de ces deux dernières figures, empruntées à la mythologie germanique et à l’épopée
homérique.

La deuxième strophe : 4 alexandrins aux rimes croisées, construisant un système antithétique avec
ce qui précède.

La deuxième strophe s’inscrit toujours dans un espace de dialogue problématique et mystérieux :


une nouvelle injonction, “chantez”, développe le même champ lexical de l’ouïe que dans la strophe
précédente. On note cependant le passage de « écoutez » à « chantez », s’opposant au « chant du
batelier ». Le thème de la danse introduit un mouvement qui semble quant à lui s’opposer à la
torsion des cheveux ; l’accent est mis sur l’absence de limites temporelles de ce mouvement de
danse, reconduit à l’infini, avec le participe présent, ce qui est encore amplifié par la mention de la
« ronde » : tout se passe comme s’il s’agissait de construire un cercle magique protégeant le sujet
lyrique.

De fait, dans une stratégie conjuratoire, la rime entre “ronde” et “blondes” met l’accent sur la
construction d’une figure féminine antithétique : le mouvement rassurant de la ronde, qui rappelle
l’enfance, s’oppose à la torsion ; la blondeur, aux “cheveux verts” ; les nattes sagement “repliées”,
aux cheveux dénoués ; on note encore la mention du “regard immobile”, celui de la poupée mais
aussi celui qu’on peut sonder, qui est sans mystère. La strophe construit ainsi la figure topique de la
jeune fille pure et bonne des légendes germaniques : il s’agit ici de “filles” et non plus de “femmes”,
elles sont situées du côté de l’enfance et de la pureté contrairement à la femme fatale qui amenait la
menace de la tentation charnelle.

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Or, cette antithèse vise une surenchère, comme le révèle la comparaison « plus haut » : le sujet vise à
la fois une saturation sonore, et une saturation spatiale (aux "sept femmes” s’opposent “toutes les
filles blondes”). La visée est exposée au vers 6, au subjonctif présent : “Que je n’entende plus le
chant du batelier”. On note ici l’introduction explicite, avec la reprise du lexique de l’ouïe, d’une
dimension dysphorique : le batelier et les sept femmes sont caractérisés comme des figures
maléfiques.

Ainsi, les deux premières strophes opposent à la fois deux types de figures féminines et deux types
de chants : l’enfance et le jeu sont opposés au merveilleux et au maléfique. Mais cette opposition
contrastée semble d’une grande ambiguïté si l’on replace ce poème dans l’économie du recueil : « La
Loreley », appartenant au même ensemble, développe précisément l’image d’une sorcière blonde,
qui a ensorcelé le sujet lyrique, et fait aussi rimer “ronde” et “blonde”… La section instaure ainsi un
jeu d’échos ironique qui fait vaciller les certitudes du lecteur, et fait planer le doute même sur ces
figures censées être rassurantes.

3ème strophe : 4 alexandrins, rimes croisées, avec reprise en écho d’une rime de la strophe
précédente.

Après le mélange des sensations concrètes et des bribes de légende, dans une tonalité quasi
merveilleuse, voire fantastique, on assiste à une apothéose : la personnification du Rhin, comme
dans un paysage état d’âme. La répétition, “le Rhin, le Rhin”, peut être interprétée comme un effet
d’ivresse, un trébuchement de la parole du sujet lyrique ; mais elle traduit aussi un paroxysme.
L’adjectif « ivre » est en effet placé à la césure, et ses sonorités reprises dans un effet de germination
sonore. Le lexique souligne encore le thème de l’ivresse : “ivre”, “vignes”, “incantent” (dont on note
la proximité sonore avec « décanter »). Enfin, à la rime apparaît l’image du miroir : elle peut être
prise dans un sens concret (le reflet des vignes dans le Rhin, illuminé pendant la nuit) mais l’image
peut aussi contribuer à la suggestion, à nouveau, d’un ailleurs, dans un effet de confusion entre la
réalité et les légendes merveilleuses. De fait, les deux termes mis à la rime aux vers 9 et 10, “mirent”
et “refléter “, contribuent à l’élaboration d’un tableau en profondeur, suggérant encore un ailleurs,
un autre monde, sous la surface de l’eau.

Au vers 10, l’effet de paroxysme est appuyé par l’adjectif « tout ». On note le travail sonore
particulier de ce vers, particulièrement ouvragé : les allitérations en [r] et [t] ainsi que les assonances
(“ou”, “om”, “en”) contribuent à le mettre en valeur, ainsi que le rythme. La gradation se lit encore
dans le jeu des couleurs, le « blond » du vers 7 étant métamorphosé en « or ». Il y a peut-être ici un
jeu sur la légende de l’or du Rhin, à la faveur d’une mise en parallèle entre “le Rhin” au vers 9, et “l’or
des nuits” au vers suivant. Enfin, « tremblant » fait écho au vin « trembleur de la première strophe :
le participe rend ici un mouvement, mais suggère aussi à nouveau une inquiétude, d'autant qu’il fait
écho au verbe « tombe », dont les sonorités rappellent encore « tordre ».

Au vers 11, la mention de « la voix » témoigne de la reprise du lexique du chant, avec une
progression dans l’intériorité, dans le singulier, puisque l’on est passé de « chanson » à « voix ». On
note l’absence de précision : s’agit-il du batelier ? D’une voix impersonnelle, dans une tonalité quasi
fantastique ? Ou de la voix du poète ? L’adverbe « toujours », associé au présent, indique à la fois une
continuité et une gradation, jusqu’à l’expression « à en râle mourir ». Le néologisme est signifiant : il
indique une tonalité (le râle) et confirme l’idée d’une inquiétude, liée à une dimension dysphorique,
avec le redoublement des deux termes appartenant au champ lexical de la mort. Peut-être ce râle
renvoie-t-il à l’angoisse du sujet lyrique, qui ne supportait pas la voix du batelier dans la deuxième

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strophe ; peut-être est-ce une indication des sentiments du sujet lyrique (frappé au cœur par une
déception sentimentale) ; peut-être aussi ce râle est-il celui d’une voix d’ivrogne…

A la fin de la strophe, on assiste au retour, lancinant, cyclique, des fées que le poète avait voulu
écarter. Le lecteur est ici confronté à un problème de construction syntaxique : le vers 12 présente-t-
il le complément d’objet du verbe « chanter » ? Ou a-t-on affaire à une rupture de construction,
indiquant le trouble extrême du sujet ? On note le passage de « femmes » (vers 3) à « fées »,
confirmant la dimension merveilleuse et magique de ces figures féminines, et soulignant l’idée de
femmes fatales, dans la lignée de la meurtrière de Merlin. Le démonstratif, « ces », est peut-être un
déictique, indiquant la proximité spatiale, et signifiant l’échec de la tentation de mise à l’écart. Le
retour de l’adjectif « verts » renvoie peut-être à la couleur de l’absinthe ou du vin, celle du vin du
Rhin, blanc, à la lueur de la lune. Enfin, on observe le néologisme « incanter » : les sonorités sont
proches du verbe « décanter », dans une même isotopie de l’ivresse ; il est formé à partir du
substantif « incantation », désignant des paroles magiques servant à mettre en œuvre un sortilège,
appuyant encore la dimension merveilleuse et fatale. A la fin du vers, le lecteur est encore en proie à
l’hésitation face à la syntaxe de la phrase : “l’été” est-il complément d'objet direct de “incanter”, ou
complément circonstanciel de temps ? L’incertitude est liée à l’absence de ponctuation, que l’on
retrouve dans l’ensemble du recueil, et qui constitue un signe de modernité poétique. En tout cas,
« l’été » complète le cadre de la scène, de la vision : la “nuit rhénane” est une nuit d’été, propice aux
amours mais aussi aux transfigurations, à la magie (on pense au titre de la pièce de Shakespeare, Le
Songe d’une nuit d’été).

 En crescendo, le premier mouvement met ainsi en place une vision mêlant les sensations
concrètes du sujet et la convocation de personnages légendaires, dans une confusion
merveilleuse, en lien avec le thème de l’ivresse et du rêve, mais mêlée d’éléments négatifs.

♦ 2ème mouvement

On note d’emblée la rupture formelle (on passe de strophes de quatre alexandrins à un seul vers),
thématique (le verbe “briser”), temporelle (du présent au passé composé). Mais des éléments de
continuité sont aussi sensibles : la reprise du motif du verre avec le possessif fait écho au premier
vers, dans un mouvement de ronde, d’enchevêtrement qui parcourt le poème.

La reprise est également observable au niveau de la rime : « rire » rime avec « mirent » et surtout
avec « mourir ». Il y a ainsi continuité dans la dimension dysphorique, avec la thématique de la fin.
Tout en même temps, ce dernier vers est extrêmement ambigu, comme le montre la comparaison :
la vision s’est brisée avec l’ivresse et le verre. En effet, "verre” est l’anagramme de rêve : le rêve
nocturne cesserait-il au moment du réveil du poète ? Et comment interpréter ce rire ? S’agit-il d’une
moquerie ? Mais alors, qui en est la cible : le sujet, les fées, la voix impersonnelle, le batelier ? L’un
des autres occupants de la taverne où boit le sujet ? Ou s’agit-il encore d’un rire de soulagement ou
d’autodérision du sujet lui-même ?

Conclusion

Ainsi, derrière l’apparente coupure assez nette entre les trois premières strophes, développant une
vision en lien avec l’ivresse, mêlant les sensations du sujet et des bribes de légendes dans une
chanson poétique d’une part, et le dernier alexandrin présentant une rupture de la vision d’autre
part, il y a également des éléments de continuité : on note la même énigme, le même mystère d’une

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ivresse dont la cause n’est pas dévoilée de manière explicite (peut-être une déception amoureuse…),
on observe l’affleurement d’une angoisse et d’une inquiétude indéfinies, enveloppées dans une
musicalité souple et singulière. “Nuit rhénane”, de manière musicale, annonce ainsi les thèmes de la
section qu’il inaugure, tout en poursuivant la construction de la figure mythique du Mal-Aimé placée
au cœur du recueil.
Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité Parmi les Hommes

Analyse linéaire

Nous sommes en 1755, en plein cœur du siècle des Lumières, Jean Jacques Rousseau est déjà
célèbre dans toute l’Europe grâce à son discours sur les Sciences et les Arts (1750) pour lequel il
avait obtenu le premier prix de l’académie de Dijon. A l’époque son sujet était : « Si le
rétablissement des sciences et des arts avait contribué à corrompre ou épurer les mœurs. » La
réponse attendue était « bien sûr que oui », Rousseau prendra tout le monde de court et répondra
« bien sûr que non ». Quelques années plus tard il récidive et tente de faire passer ses idées lors
d’un autre concours de l’académie de Dijon, à savoir, « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les
hommes et si la loi de nature le permet ». Cette fois ci il ne gagnera pas de prix mais il s’en moque, le
but était de faire connaître ses idées dans l’Europe entière, plus que de gagner un prix dont il n’avait
rien à faire. Ce second discours, comme l’appellent les puristes, traite littérairement et
philosophiquement des inégalités de conventions inhérentes à la vie en société, c’est-à-dire les
inégalités qui découlent d’accords, presque de contrats entre les hommes, à contrario des inégalités
naturelles (santé, beauté, force, rapidité etc…). Toute son argumentation tente de résoudre la
problématique suivante : comment se fait il que malgré des inégalités naturelles extrêmement
faibles nous ayons des inégalités de convention gigantesques ? C’est de cette question que traite le
texte que nous avons à étudier.

Problématique : Comment les inégalités sont apparues et comment prospèrent-elles dans les
sociétés civiles ?

Trois mouvements sont à l’œuvre.

Premier mouvement : Le paraître faisant la loi, les individus se retrouvent asservis en société de par
le jeu des inégalités (ligne 1 à 6).

Deuxième mouvement : Les inégalités ont aussi pour effet de développer les ambitions et les désirs
de gloire qui donne naissance à des maux sociaux ravageurs (ligne 6 à 16)

Troisième mouvement : (ligne 16 à 26) L’avènement des grands corps politiques couplé à une hausse
des inégalités entrainent guerres et massacres.

Premier mouvement

« Tous les maux sociaux viennent de la comparaison » disait Rousseau lui-même. En société on ne
peut pas être soi-même, on ne peut pas être authentique, chacun porte un masque, chacun veut
apparaître tel qu’il souhaiterait être et non tel qu’il est. C’est à partir de cette dissociation première
entre l’être et le paraître qu’apparaissent bien des troubles et bien des vices. Le paradis qu’était la
nature dans lequel chacun était libre et sincère est définitivement perdu. Chacun ayant besoin de
tous, tout le monde se retrouve asservi à tout le monde. Même les riches ne peuvent pas se passer

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des pauvres. L’inégalité entre riches et pauvres est manifeste en société, la dépendance mutuelle
indépassable. L’homme s’aliène en société, il devient étranger à lui-même, méconnaissable
tellement la vie en société et les inégalités l’ont transformé. De cette regrettable dichotomie entre
être et paraître apparurent tous les vices sociaux les plus pervers et les plus dangereux. L’homme se
dégrade volontairement en vivant de façon civile et civilisé, il s’asservit volontairement en étant
« assujetti » à des nouveaux besoins artificiels. Les êtres humains deviennent les esclaves de désirs
transformés en besoin dont ils ne peuvent plus se passer. La société ne produit plus des hommes
autonomes, sûrs d’eux et bien réglés comme l’étaient les romains antique de la République mais des
chiffes molles artificieux et dépendants les uns des autres. L’hétéronomie règne en maître, l’idéal
des lumières tel que l’avait si bien vu Emmanuel Kant (Sapere Aude : aie le courage de te servir de
ton propre entendement » est foulé au pied par une foule d’artificieux malfaisants. Mais les choses
ne s’arrêtent pas là il y a encore bien des étapes avant d’arriver à la catastrophe finale.

Second mouvement

Les inégalités inspirent mal les hommes, elles les poussent à mal se comporter et à haïr leurs
prochains. Puisque la société est pyramidale et que chacun veut arriver au sommet, non pas
tellement par besoin ou même par envie égoïste mais bien plutôt pour être au-dessus de son voisin.
Il s’ensuit de cela que chacun fait tout son possible pour nuire à son prochain. En société les hommes
se voient au mieux comme des concurrents, au pire comme des ennemis à abattre. Cela fut le
premier effet de l’inégalité naissante. Lorsque le premier homme compris qu’il pouvait stocker des
céréales et autres cultures et ainsi avoir pour un la réserve de 10, 100, 1000 voire 10000 à ce
moment le mécanisme de l’inégalité se mit en route. Et le pire, c’est que l’on fait tout cela
jovialement et avec le sourire. Comme s’il était normal, voire souhaitable de le faire. Méfiez-vous
des gens qui sourient et de ceux qui sont aimables, s’ils le sont c’est uniquement par pur intérêt.
C’est dans ce contexte psychique que les pauvres et les faibles le devinrent encore plus, que
l’inégalité et la propriété privée devinrent les normes et que d’une adroite usurpation on fit un droit
irrévocable à jamais. L’homme civilisé est menteur, trompeur, bonimenteur, il est sans foi ni loi, tout
ce qui compte est le fait de devenir supérieur à son prochain. Mais la fortune ne sourit jamais qu’à
quelque uns. Pour l’immense majorité des hommes ce nouvel état civilisé et inégalitaire les rend
misérables et souffrants. Paradoxalement c’est la société qui déshumanise en sophistiquant, en
aliénant et en défigurant l’être humain. Mais quelque chose de plus funeste encore est en
préparation.

Troisième Mouvement

Les sociétés humaines ne tardèrent pas à se transformer en grands corps politiques et les mêmes
problèmes qui étaient arrivés individuellement aux hommes se reproduirent à l’échelle
macroscopique de ces grands corps politiques. Les inégalités entre nations, la volonté de toutes à
vouloir se positionner les unes par-dessus les autres conduisirent les hommes tout droit vers les
guerres et les massacres de masses. C’est le stade ultime du mal social. Les moyens modernes de
tuer s’étant incroyablement améliorés, il suffit de se laisser au combat avec le désir farouche de
remporter les victoire à tout prix pour que toutes les valeurs et toutes les vertus humaines soient
oubliées. On en arriva à mettre en branle des mécanismes si extrêmes que les massacres devinrent
quasiment industriels. Il ne faut pas oublier que les souvenirs de la guerre de Trente ans étaient

9
encore vifs dans les esprits. Pour ne citer qu’un chiffre 1/3 de la population allemande trépassa, tuée
soit à l’arme à feu soit carrément à l’arme blanche.

Conclusion

Il n’est pas interdit de laisser la parole à Rousseau lui-même :

« « J’ai tâché d’exposer l’origine et le progrès de l’inégalité, l’établissement et l’abus des sociétés
politiques, autant que ces choses peuvent se déduire de la nature de l’homme par les seules
lumières de la raison, et indépendamment des dogmes sacrés qui donnent à l’autorité souveraine la
sanction du droit divin. Il suit de cet exposé que l’inégalité, étant presque nulle dans l’état de nature,
tire sa force et son accroissement du développement de nos facultés et des progrès de l’esprit
humain et devient enfin stable et légitime par l’établissement de la propriété et des lois. Il suit
encore que l’inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est contraire au droit naturel, toutes
les fois qu’elle ne concourt pas en même proportion avec l’inégalité physique ; distinction qui
détermine suffisamment ce qu’on doit penser à cet égard de la sorte d’inégalité qui règne parmi tous
les peuples policés ; puisqu’il est manifestement contre la Loi de Nature, de quelque manière qu’on
la définisse, qu’un enfant commande à un vieillard, qu’un imbécile conduise un homme sage, et
qu’une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du
nécessaire.»

La Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne

Analyse linéaire

Introduction

Nous sommes en 1791, la révolution française bat son plein, à priori tous les esprits raisonnables
pensent que l’on se dirige vers une monarchie à l’anglaise, c’est-à-dire une monarchie
constitutionnelle mais la fuite du Roi à Varennes sonnent le glas d’un tel compromis. C’est dans ce
contexte historique que va apparaître Olympe de Gouges née Marie Gouze, femme de lettres
appartenant aux lumières françaises elle va faire entendre sa voix pour que les femmes aient, enfin,
leur mot à dire. Soyons lucides les grands leaders de la révolution, Robespierre, Danton, Marat ou
encore Camille Desmoulins sont franchement misogynes. Ils ont pour modèle absolu la république
romaine qui n’était pas tendre avec les femmes et qui était de fait un patriarcat. Malgré cela,
Olympe de Gouges fait paraître en 1791 sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne en
réponse à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Problématique : Quel rôle doit avoir la femme politiquement pour exister ?

Premier mouvement : Ligne 1 à 6 l’appel lancé aux femmes

10
Second mouvement : Ligne 7 à 22 en quoi la révolution a-t-elle changé la situation des femmes

Troisième mouvement : Ligne 23 à 31 le trouble jeu des femmes

Premier mouvement

Il est temps que les femmes prennent leur destin en main ! L’égalité n’est pas faite que pour les
hommes. Le sexe faible doit cesser de l’être ! Olympe de Gouges se fait presque prophétesse en ce
début de texte. Elle use d’un ton impérieux pour mieux faire passer son message. Elle est affirmative
et directive, n’hésite pas à employer l’hyperbole « le tocsin de la raison se fait entendre dans tout
l'univers ». Il est impossible pour elle de laisser passer l’occasion formidable que représente la
révolution française pour ne pas faire avancer la cause des femmes. Il est temps que les femmes
sortent de l’état de tutelle dans lequel les hommes les ont mises ou parfois dans lequel elles se
sont mises toutes seules. Partout la déesse raison triomphe, partout les prouesses formidables de
l’entendement humain se font entendre. Olympe de Gouges fait un constat impartial de la
situation et énumère les bienfaits des lumières qui contrastent avec l’obscurité de l’inégalité.
L’inégalité homme/femme n’a rien de naturel ni de scientifique, alors pourquoi dure-t-elle
encore ? Les lumières comportent de grandes zones d’ombre. Il faut lever le voile, prendre son
destin en main ! L’épanalepse « Ö femmes ! Femmes » insiste bien sur le fait que ce sont les
femmes elles-mêmes qui doivent prendre leur destin en main. Olympe de Gouges est totalement
désespérée de la situation, elle en appelle à la nature presqu’à Dieu. La fin de l’esclavage pour les
hommes permet à ces derniers de devenir injuste et tyrannique envers leurs épouses. Libérés ils
deviennent esclavagistes à leur tour et envers les femmes qu’ils sont supposés aimer.

Deuxième mouvement

La révolution française n’a pas arrangé la situation des femmes, elle l’a au contraire empiré.
Contrairement à tous les espoirs qui étaient permis c’est la douche froide. Il est même intéressant
de noter que les grands meneurs de la révolution détestaient en partie l’ancien régime car
c’étaient les favorites du Roi qui gouvernaient à sa place. Pour des admirateurs de la République
romaine c’était une hérésie, les femmes étant par essence hystériques il ne fallait surtout pas leur
donner le pouvoir. Durant les siècles d’ancien régime les femmes profitaient de la faiblesse des
hommes pour avoir un ascendant sur eux maintenant que cette période est révolue que leur reste
t’il ? Rien, sinon la conviction que les hommes sont vils et injustes. Voilà une bien maigre
consolation. Olympe de Gouges va jusqu’à mobiliser la Bible elle-même et le Christ en personne
pour lutter contre cette injustice. Dans cet épisode célèbre que sont les Noces de Cana, Jésus
change de l’eau en vin et demande à sa mère « Femme que me veux-tu ? », ce n’est pas pour
marquer une différence hiérarchique entre les hommes et les femmes qu’il fait cela mais bien
plutôt pour marquer leur ressemblance. Les législateurs français ont trahi l’esprit du Christ en
faisant de cette interpellation un acte de misogynie. Or qui y’a-t-il de commun entre les hommes
et les femmes : « tout » répond Olympe de Gouges. Elle procède ensuite à une réfutation logique et
rationnelle de l’inégalité homme/femme. Car le principe d’égalité est au cœur de la révolution, le
bafouer revient à piétiner l’un des acquis les plus fantastiques de la révolution française. Notre
auteur en appelle ensuite à la raison et à la philosophie pour remettre les hommes et les femmes à
égalité. En effet, jamais Olympe de Gouges ne souhaite que les femmes deviennent les supérieurs
des hommes mais bien plutôt que tous soient égaux sous les bons auspices de l’être suprême
(nouveau Dieu d’une religion nouvelle créée par Robespierre se basant sur le Contrat Social de

11
Rousseau et de l’avènement d’une religion civile que ce dernier souhaitait). Les femmes doivent
être fortes car le défi qui leur est imposé est immense mais Olympe de Gouges se veut optimiste.
Sa foi est quasi religieuse, elle pense qu’à la force de sa simple volonté on peut déplacer des
montagnes, à l’image du petit grain de foi qui peut faire bouger des montagnes. Il suffit de vouloir
pour pouvoir. Elle intime l’ordre aux législateurs de mettre en place une éducation nationale. C’est
une visionnaire qui imagine les filles et les garçons assis sur les bancs de l’école et apprenant le
savoir, les lettres et les sciences.

Troisième mouvement

Ce dernier passage est pour le moins surprenant. Olympe de Gouges accuse les femmes d’être les
premières responsables de leur situation « Les femmes ont fait plus de mal que de bien. » Elles ont
été retorses, manipulatrices et ont joué un jeu trouble en étant dangereuses et moralement
basses. Elles se sont servies de leur ruse et de leurs charmes pour avoir du pouvoir sur les hommes
et régner en maitresse par derrière. Grâce à l’incurable bêtise des hommes les femmes ont pu
avoir un pouvoir quasi-total sur les grandes décisions politiques, les grandes nominations et
l’avenir du pays. Mais le fait d’accepter et même d’encourager une telle situation a eu pour effet de
mettre les femmes à l’ombre et surtout ne laissait du pouvoir qu’à une petite élite de favorites.

Conclusion

Le temps de l’égalité hommes/femmes est arrivé. Olympe de Gouges défend la cause des femmes
comme personne mais elle ne les épargne pas pour autant. Cette égalité n’adviendra que si les
hommes et les femmes se donnent la main et marchent de concert vers ce noble but.

12
COMMENTAIRE LINÉAIRE – LE MALADE IMAGINAIRE, I,5

INTRODUCTION (2-3 MINUTES)

[Amorce]
[Présentation de l'auteur] Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, est un des plus célèbres
dramaturges du XVIIème siècle. Également acteur et directeur de troupe, cet homme de théâtre est
la figure de proue de la comédie classique qu'il hausse au rang de la tragédie. S'il se fait connaître
avec la farce (ex. : Le Médecin volant, 1659 [premier texte connu de Molière]), c'est dans la comédie
plus profonde, plus psychologique ou politique, qu'il se distinguera (ex : Le Misanthrope, 1666).
[Présentation de l’œuvre] Le Malade imaginaire, dernière pièce de Molière (1673), s'inscrit
dans une thématique fréquente chez Molière, celle de la satire de la médecine, qui symbolise la
prétention scientifique à maîtriser la nature. Mais au-delà, elle offre une satire féroce de toutes les
formes de folies qui peuvent s'emparer des hommes. Le Malade imaginaire est une comédie ballet,
un divertissement qui intègre la musique, le chant et la danse. [transition] Ce spectacle total permet
une synthèse des divers genres théâtraux qui ont accompagné la carrière de l'auteur, singulièrement
dans la scène 5 de l'acte I, dialogue qui mêle farce et comédie de mœurs.
[Présentation du texte] Cette scène s'ouvre sur un quiproquo entre Argan et sa fille Angélique
à propos de l'homme qu'elle doit épouser. Angélique aime Cléante, mais Argan, obéissant à sa
marotte et pour réduire ses frais médicaux, veut marier sa fille à un médecin, Thomas Diafoirus. Dans
cette deuxième partie de la scène, la servante Toinette entre dans le jeu et oppose une résistance
comique à ce mariage forcé.
[Lecture du passage]
[Mouvements du texte] I – De 1.1 à 1.35 (« vous ne songez pas que vous êtes malade ») :
L'autorité paternelle est mise à nue et moquée par la servante.
De l.36 (« Je lui commande ») jusqu'à la fin de la scène : On assiste à une inversion des rôles et
à la prise de pouvoir de Toinette.

13
[Problématique] Nous allons montrer que cette prise de pouvoir constitue une victoire du rire
et de la raison sur l'obsession tyrannique et ridicule du père 1

1
Je présente à dessein la problématique sous une forme affirmative pour vous donner un exemple de projet de
lecture non formulé sous la forme d'une question.

14
DÉVELOPPEMENT (7-8 MINUTES)

PREMIÈRE PARTIE: 1.1 À 35: LA TYRANNIE DU PÈRE TOURNÉE EN RIDICULE

La dispute entre Argan et Toinette a pour sujet l'obsession du père hypocondriaque à voir sa
fille mariée avec un médecin. La servante a recours à toute une série d'arguments qui ont pour
objectif de dénoncer la tyrannie d'Argan et de le ramener à une forme de lucidité, tandis que le
maître, voulant affirmer son pouvoir, ne fait que se ridiculiser.

1. l.1-17 Toinette oppose à son maître une résistance raisonnable mais effrontée

Le comique de situation de la scène est construit sur une tension dramatique entre l'autorité
sociale du maître et la résistance de la servante qui l'expose dans tout son ridicule.
a. La tyrannie ridicule d'Argan2 :
– Saturation du pronom personnel : « je », présence de verbes de volonté vouloir (l.1) ou
forcer (l.3) ; futur à portée jussive (= qui donne un ordre) « elle le fera » (l. 5). Cette phrase [à
relire] montre que l'autorité d'Argan passe par la menace. C'est sa fille qui en subit les
conséquence3.
– La menace du « couvent » (l. 5) comme alternative au mariage forcé piège Angélique entre
deux alternatives tragiques : mariage ou enfermement.
– Réification4 d'Angélique réduite au pronom personnel « elle » (ll. 1, 4, 5) , « la » (C.O.D, ll. 10-
11) => Angélique devient un objet passif du discours, ce qui montre à quel point Argan
semble disposer de sa fille comme bon lui semble, comme si elle n'avait pas de volonté
propre.
b. Le bon sens comique de Toinette :
– Le comique de situation vient du refus de Toinette d'adhérer au discours de son maître. La
scène joue constamment avec les attentes sociales et les clichés (la servante devrait être
soumise et idiote, elle est combative et rationnelle).
– Comique de mots, par la répétition des « non» catégoriques sans plus d'explication.(ll. 12,
14). => Toinette n'éprouve pas le besoin de se justifier, comme si la réflexion allait d'elle
même, relevait du bon sens. Elle fait déjà preuve d'une indifférence aristocratique qui
anticipe sa prise de pouvoir à la fin du texte.

2
Observez comment le propos qui suit, tout respectant l'ordre du texte, n'est pas soumis au ligne par ligne. Le
but est moins d'être exhaustif que clair et précis.
3
Voyez comme l'on peut chercher à faire de micro transitions entre nos idées même dans le cadre d'un
commentaire linéaire à l'oral.
4
Inverse d'une personnification, la réification donne des caractéristiques d'objets à des êtres animés.

15
– Reprises sur le mot et répétitions comiques qui font ressortir le caractère d'Argan et
entraînent sa stupeur, sa colère, révèlent sa manie (analyser les enchaînements suivants :
ll. 5, 10-11 ; ll. 22-23 ; ll. 24-25 => observez comment, dans un premier temps, c'est Toinette
qui reprend Argan et dans un second temps l'inverse, ce qui montre que la servante prend
l'ascendant sur la discussion).
– Enchaînement rapide des stichomythies (ll. 5-9, 12-14...) qui augmentent la tension
dramatique pour le plus grand plaisir du spectateur.
– L'interrogation de Toinette («vous ?», l. 6) souligne la surprise de la servante devant les excès
de cette tyrannie paternelle. Cette réplique cherche aussi à faire perdre à Argan sa crédibilité
et à le piquer au vif. Toinette fait preuve de stratégie dans sa prise de pouvoir rhétorique.
– Les phrases monosyllabiques composées d'un adverbe « oui », « non » ou d'un pronom
personnel « moi » vident le langage de sa substance. La scène repose sur le comique de
répétition et l'exagération jusqu'à la caricature. La scène devient farcesque, dévoilant
progressivement le caractère d'Argan.

2. l.18 à 35 Toinette a alors recours à un argument affectif qui pousse Argan dans ses
retranchements.

A partir de la 1.18 Toinette fait appel à la sensibilité d'Argan, à sa fibre paternelle à son
« cœur ». Registre comique et tension dramatique se mêlent. L'échange se poursuit par des reprises
sur le mot, où Argan s'entête dans son insensibilité.
Au terme d'une gradation, Toinette fait appel à l'argument affectif de la « tendresse », 1.24, et
à la corde sensible d'Argan par l'évocation d'une petite saynète familiale, 1. 26-27 [à relire].
L'ingéniosité verbale et les talents de metteur en scène de la servante 5 font d'elle un double de
l'auteur, ce qui finit de conforter la sympathie que le public a pour elle.
La réplique: « La tendresse paternelle vous prendra » apparaît comme un piège, car elle
amène Argan à clamer son insensibilité (« elle ne me prendra pas »), ce qui fait de lui un personnage
moliéresque excessif, comme l'est Alceste dans Le Misanthrope.
Malgré cela, la servante insiste: «Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon naturellement ».
L'invitation à la clémence suscite l'effet inverse, puisqu'Argan affirme « avec emportement. Je ne suis
pas bon, et je suis méchant quand je veux ! ». Cet éclat de vérité est franchement comique, le
comique de caractère atteint son paroxysme.

5
À développer en analysant la phrase, en fonction du temps qu'il vous reste à l'oral.

16
DEUXIÈME PARTIE : UNE INVERSION SOCIALE DES RÔLES, I. 37 À LA FIN6.

Jusque-la, Argan prenait la peine de converser avec Toinette, ce qui relève déjà du comique de
situation, puisqu'elle n'est qu'une servante lui devant obéissance.
Ce n'est qu'au terme de cette longue dispute qui a presqu'une valeur cathartique de purge
qu'Argan s'insurge enfin contre l'insolence de son employée de maison: « Où est- ce que nous
sommes, et qu'elle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler de la sorte à son maître ? »
A ces deux questions rhétoriques, Toinette répond habilement par un sage aphorisme au
présent de vérité générale, l. 40 « Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien
sensée est en droit de le redresser. » Cet aphorisme qui tient du persiflage propre aux valets
(persiflage mis en valeur par l'allitération en « ss »), montre aussi l'inversion des rôles qui s'opère
entre Toinette et Argan.
Inversion qui se poursuit quand la scène bascule dans la farce à la réplique suivante. C'est le
maître qui s'empare d'un bâton pour rouer de coups sa servante (On est à l'opposé de Scapin) :«
court après Toinette. Ah ! insolente ! il faut que je t'assomme ! »
Les didascalies font état d'une agitation extrême qui ne peut que donner lieu à une scène
plaisante pour le spectateur répétition du verbe courir. La chaise et le bâton sont des objets
scéniques qui accentuent le comique de gestes.
La violence et les injures du maître (« chienne » ; « pendarde »; « carogne ! ») créent par
antithèse un contraste comique avec le discours moralisateur et protecteur de Toinette qui s'exprime
par une tournure impersonnelle : « Il est de mon devoir... ».
Comique encore de situation dans la gradation de l'inversion des rôles.
Toinette finit par s'affirmer comiquement comme une autorité concurrente face à Argan:
parallélisme et reprise au compte de la servante des futurs jussifs du début de l'extrait : « je ne
consentirai jamais » ; « je ne veux point » ; « elle m'obéira ».
Argan vaincu par l'endurance de Toinette, appelle à l'aide sa fille, ce qui est paradoxal car il lui
impose son mariage. On est bien au cœur de la folie d'Argan.
Par l'intervention de Toinette: « moi, je la déshériterai, si elle vous obéit», le comique atteint
son paroxysme car cette réplique exprime une inversion sociale complète. Toinette prend
littéralement la place d'Argan pour affirmer déshériter Angélique. Elle se substitue au père.
Le personnage d'Argan capitule et s'écroule sur sa chaise, la « purge » verbale est achevée. Sa
dernière réplique permet de revenir au thème principal de la pièce : l'hypocondrie du personnage
qui craint la mort : « Voilà pour me faire mourir ».

6
Seconde partie entièrement reprise des cours de ma collègue Anne Baron.

17
CONCLUSION (30 SECONDES- 1 MINUTE)

[résumé] Nous avons vu que le projet de mariage décidé par le tyrannique Argan provoque au
début de la scène la tristesse de sa fille Angélique, et la résistance comique de sa servante Toinette.
Cette longue scène 5 dans le premier acte de la pièce est capitale car elle pose le nœud de l'intrigue.
Si Angélique se soumet à son père, Toinette s'insurge malgré les hiérarchies sociales,
provoquant une dispute comique permettant de déployer tous les procédés comique de la farce
populaire : quiproquo, stichomythie, bastonnade.
Cependant, Molière met habilement le comique farcesque au service d'une féroce satire
sociale : l'hypocondrie d'argan, malade imaginaire, est une véritable maladie sociale qui menace de
détruire sa famille.
[ouverture] En ce sens, la prise de pouvoir de Toinette n'est que symbolique à ce stade du
récit, puisqu'Argan n'abandonne pas sa décision de marier Angélique. La victoire du rire sur
l'obsession tyrannique et ridicule du père anticipe, sur le plan du discours, la victoire finale de la
raison sur l'obscurantisme.

PISTES POUR LA QUESTION DE GRAMMAIRE (1-2 MINUTES)

Vu le nombre de négations dans le texte, il est vraisemblable que la question de grammaire


porte sur le sujet. On peut soit vous demander de transformer une négation en affirmation (« Vous
ne la mettrez point dans un couvent » → « vous la mettrez dans un couvent »), soit vous demander
d'analyser la forme de la négation. En ce cas, il faut rappeler que :
– La négation peut être syntaxique (= c'est la forme de la phrase, négative, qui porte la
négation) ou lexicale (= c'est un mot qui porte le contenu négatif → ex : « il est immobile »
[lexical] = « il n'est pas mobile » [syntaxique]).
[exemple du texte : deshériter, l. 56 [lexical] qu'on pourrait vous demander de passer sous
une forme syntaxique → « elle n'héritera pas »]
– La négation peut être totale (= portant sur toute la phrase) ou partielle (= portant sur un seul
élément)
– La négation syntaxique est fondée soit sur un système corrélatif (= composé de deux
éléments) s'appuyant sur un adverbe de négation (« ne ») et un forclusif (« pas » / « point »),
soit sur un seul élément (par exemple l'adverbe tonique « non », l. 12).
Au XVIIe, c'est encore l'adverbe de négation qui porte l'essentiel de la charge de négation.
Aujourd'hui, c'est davantage le forclusif.

18
COMMENTAIRE LINÉAIRE – LE MALADE IMAGINAIRE, III, 10

INTRODUCTION (2-3 MINUTES)

[Amorce]
[Présentation de l'auteur] Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, est un des plus célèbres
dramaturges du XVIIème siècle. Également acteur et directeur de troupe, cet homme de théâtre est
la figure de proue de la comédie classique qu'il hausse au rang de la tragédie. S'il se fait connaître
avec la farce (ex. : Le Médecin volant, 1659 [premier texte connu de Molière]), c'est dans la comédie
plus profonde, plus psychologique ou politique, qu'il se distinguera (ex : Le Misanthrope, 1666).
[Présentation de l’œuvre] Le Malade imaginaire, dernière pièce de Molière (1673), est une
comédie ballet, un divertissement qui intègre la musique, le chant et la danse. Elle s'inscrit dans une
thématique fréquente chez Molière, celle de la satire de la médecine, déjà explorée dans L’Amour
médecin (1665), Le Médecin malgré lui (1666) ou encore Monsieur de Pourceaugnac (1669).
[transition] Cette satire est justement au centre de la scène 10 de l'acte III.
[Présentation du texte] Le texte, que la postérité a retenu comme « la scène du poumon »,
représente l'ingénieuse Toinette, qui s'est déguisée en médecin pour exposer à Argan, son maître
hypocondriaque, la supercherie de la médecine de l'époque.
[Lecture du passage]
[Problématique] Comment cette scène de théâtre dans le théâtre permet-elle une satire drôle
et féroce de la médecine ?
[Mouvements du texte] I – De 1.1 à l.12 : Autoportrait satirique de Toinette en médecin plus
sensible à sa gloire qu'à l'intérêt de ses patients.
II – l.13 à l.40 (« vous dis-je ») : Diagnostique parodique faisant du poumon la cause de tous les
maux d'Argan.
III – l. 40 (« que vous ordonne ») à l.58 : Le médecin joué par Toinette s'oppose au traitement
ordonné par Purgon et propose un contre-traitement irrationnel.

19
DÉVELOPPEMENT (7-8 MINUTES)

PREMIÈRE PARTIE : L.1 À L.12 : AUTOPORTRAIT SATIRIQUE DE TOINETTE EN MÉDECIN

« Toinette, en médecin » [indication du début de la scène] se présente à Argan. Le texte invite


à jouer sur le déguisement et sur le travestissement de la voix de l'actrice : le contraste doit être
outré, presque invraisemblable comme semble en témoigner la didascalie de la scène précédente :
« TOINETTE quitte son habit de médecin si promptement qu’il est difficile de croire que ce soit elle
qui a paru en médecin » (III, 9). Ce lieu commun de la farce joue sur un contraste entre la crédulité
d'Argan et la facilité avec laquelle le public reconnaît Toinette sous le vêtement grotesque et le jeu
caricatural.
Le travestissement participe des multiples retournements des hiérarchies et convenances dans
la scène. La tirade de Toinette repose sur une inversion du rapport traditionnel entre médecin et
patient. En effet, le médecin incarné par Toinette refuse de s'occuper de patients souffrant de «
maladies ordinaires » (l. 4-5) et c'est le malade qui doit se montrer « digne » d'être soigné. Le malade
n'est alors qu'un faire-valoir qui permet au médecin « d'exercer les grands et beau secrets » (l. 3) de
la médecine. Les adjectifs grand et beau déplacent l'ordre des valeurs : il n'est plus question d'utilité
publique mais de prouesse et d'esthétique.
La médecine est donc vidée de son sens il ne s'agit plus pour le médecin de soigner mais de se
mettre en valeur et satisfaire son égo, ce que montre la gradation ternaire qui ouvre le texte « de
ville en ville, de province en province, de royaume en royaume ». L'emphase de la formule témoigne
d'une volonté ridicule d'impressionner qui rapproche le médecin d'un bonimenteur ou d'un bateleur.
La mégalomanie du docteur s'accompagne d'une condescendance à l'égard des maladies
ordinaires. L'énumération des lignes 4 à 6 (« je dédaigne […] à ces migraines ») multiplie les termes
dévalorisants (« menu fatras », « bagatelles », « fièvrotte » dont on notera le suffixe dépréciatif -otte)
et l'utilisation de quasi synonymes (fièvre, vapeur, migraine) mime, dans le langage, la banalité
desdites maladies.
Ce dédain pousse le médecin à ce souhait paradoxal : que ses patients souffrent de maladies
rares (« je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire », l. 9-10).
L'énumération des lignes 6-8 s'amuse à multiplier les termes techniques (bien moins connus que
ceux de l'énumération précédente), ce qui témoigne d'un vrai plaisir du mot rare, du pastiche de
diagnostic médical.

20
Ces termes démontrent qu’il suffit d’un habit et d’un jargon pour paraître médecin aux yeux
des crédules. Toinette illustre donc en chair et en os la thèse soutenue par Béralde à la scène 3 7. De
fait, l’habit fait le moine
L'adjectif « bonne », relevant du comique de mot, révèle la perversité du médecin. « C'est là
que je me plais, c'est là que je triomphe » mêle tournure emphatique (« c'est là que »), parallélisme
de construction avec gradation (« je me plais » / « je triomphe) et vocabulaire hyperbolique
(« triomphe »), autant d'effets stylistiques qui soulignent la mégalomanie ridicule du personnage.
La politesse qui conclue la tirade de Toinette (« l'envie que j'aurais de vous rendre service »)
amuse en ce qu'elle est contredite par tous les maux que le médecin souhaite à son patient, maux
dont la violence est renforcée par la gradation ternaire : « que vous fussiez abandonné de tous les
médecins, désespéré, à l’agonie » (l. 10)
La réplique d'Argan ligne 12 pose problème et doit être résolue par la mise en scène. En effet,
la méfiance du personnage est actée à la fin de la scène quand il s'oppose à la volonté du faux
médecin de l'amputer. Néanmoins, il revient à l'acteur et au metteur en scène de décider si la
révélation des mensonges de la médecine est soudaine ou progressive. Si elle est progressive, la
phrase d'Argan peut d'ores et déjà être imprégnée de doute, voire d'ironie. Si elle est soudaine, la
crédulité et la soumission du personnage qui remercie le charlatan pour ses « bontés » (l.12) prête à
rire.

DEUXIÈME PARTIE : L.13 À L.40 (« VOUS DIS-JE ») : LE DIAGNOSTIQUE PARODIQUE

Dans un second temps du texte, le faux médecin joué par Toinette commence par examiner
son patient : « donnez-moi votre pouls » (l.13). On notera l'usage de l'impératif qui témoigne de
l'autorité du médecin. Or, cette autorité participe du comique de situation puisque le public sait qu'il
s'agit de Toinette8 et donc que le maître est en train de se soumettre à sa servante.
Cette autorité est à la fois grandiloquente et ridicule, tout particulièrement quand Toinette
réprimande le cœur de ne pas bien battre (« Allons donc, que l'on batte comme il faut », l. 13) et
entend le forcer à adopter le bon rythme (« je vous ferai bien aller comme vous devez », l. 14).
L'autorité intellectuelle de Toinette devient une autorité corporelle : le corps doit, par respect et non
à l'aide d'un traitement, se plier à la volonté du médecin (« je vois bien que vous ne me connaissez
pas encore », l. 14-15). Le ridicule de la scène est renforcé par le contraste entre la posture
autoritaire et les interjections (« Ahy » l. 13, « Hoy » l. 14), qui relève presque du cri animal (ahin =>
équivalent au XVIIe de hi-han, cri de l'âne).
Après l'auscultation, Toinette demande à Argan le nom de son médecin, ce qui, du point de
vue du public, est compris comme une question rhétorique car la servante connaît la réponse. Le
7
Par exemple : « Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en
grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent
point du tout. »
8
Vous pourrez, en conclusion, faire le lien avec la prise de pouvoir de Toinette de la scène I,5.

21
nom de « Monsieur Purgon » (l. 16) joue sur le contraste entre le titre de politesse « Monsieur » et
l'étymologie de « Purgon » qui sous-tend un humour corporel, peut-être scatologique (la purge
pouvant toucher le sang ou les selles).
Le déictique présentatif (« cet homme-là », l. 17) a une visée critique : il vise à décrédibiliser
Monsieur Purgon en le mettant grammaticalement à distance avant de le discréditer à l'aide d'un
registre imaginaire (et absurde) des grands médecins (« n'est point écrit sur mes tablettes entre les
grands médecins », l. 17-18).
Quand Toinette demande le diagnostic, la réponse d'Argan souligne les l'indécision des
médecin : « Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate » (l. 19). Le parallélisme de
la formule met les deux avis médicaux sur le même plan et l'utilisation du verbe dire (au lieu de
*prouver ou *démontrer) montre que ces diagnostics relèvent de l'intuition, non de la démonstration
scientifique.
Néanmoins, les deux organes ont des fonctions corporelles proches liées à la purification du
sang. Or, le faux médecin joué par Toinette propose un diagnostic tout à fait différent et relègue ses
concurrents au statut d'« ignorants » (l. 20). La posture du médecin sûr de lui est renforcée par la
tournure emphatique « c'est du poumon que » (l. 20) qui exclue grammaticalement toute autre
hypothèse.
Le comique de situation repose alors sur deux principes : d'une part l'absence de
connaissances médicales de Toinette (qui joue encore sur un contraste entre les perceptions du
public et celles d'Argan) et d'autre part l'absence totale de lien entre le poumon, organe de
respiration, et le foie et la rate, organes de digestion.
L'explication du diagnostic va justement jouer sur l'absence de corrélation évidente entre les
symptômes évoqués par Argan (« douleurs de tête », l. 23, « voile devant les yeux », l. 25, « maux de
cœur », l. 27, etc.) et la certitude absurde de l'explication, réduite à deux mots : « le poumon ».
L'utilisation de la phrase nominale et de l'anaphore renforce l'impression d'une répétition mécanique
d'une explication détachée de l'expérience concrète du patient. Ceci permet de montrer que le
discours médical relève moins de la déduction rationnelle que l'argument d'autorité.
Il faut surtout mettre en avant le potentiel comique et spectaculaire de la scène. La pauvreté
du diagnostic inlassablement répété participe d'un comique de répétition. Il faut imaginer que ce
passage laisse la place à des jeux de scène et variations dans la manière de dire ces trois syllabes. Le
passage laisse aussi l'espace aux acteurs pour improviser des pantomimes comiques que l'on nomme
lazzi9.
On notera aussi une gradation dans l'absurde de la scène. Si les premières questions de
Toinette renvoient à des symptômes concrets, la fin de son interrogatoire multiplie les habitudes
communes qu'on ne saurait traiter comme des signes de maladie (avoir fin à l'heure de manger, l. 33,
aimer boire du vin, l. 35, avoir envie de dormir à l'heure de la digestion, l. 37-38). La façon dont Argan

9
Vocabulaire d'improvisation tiré du théâtre italien à la mode et notamment de la comedia dell arte.

22
acquiesce (« Oui, Monsieur ») souligne de nouveau son rapport puéril et soumis à l’autorité
médicale.

TROISIÈME PARTIE : L. 40 (« QUE VOUS ORDONNE ») À L.58 : TRAITEMENT ET CONTRE-TRAITEMENT

Le rapport de domination entre le médecin et son patient continue lorsque Toinette se


renseigne sur le traitement préconisé par Purgon. On notera l'étrange circonstancielle de but (« pour
votre nourriture », l. 41) qui porte l'accent sur le traitement, non sur la guérison (Toinette ne dit pas
*« Que vous ordonne votre médecin pour vous soigner ») ; ainsi que le verbe employé (ordonner au
lieu de *conseiller) qui est encore plus dérisoire et comique quand on apprend la nature de l'ordre :
« Il m'ordonne du potage » (l. 42).
La suite du dialogue s'appuie à nouveau sur le comique de répétition, mais la dynamique
s'accélère (ce qui nous permet de parler de gradation ou de crescendo comique de la scène). En
effet, là où les répliques précédentes jouaient sur le contraste entre la longueur des symptômes
d'Argan et le laconisme du médecin, il y a ici une véritable accélération des répliques (relevant de la
stichomythie) : toutes les phrases sont nominales, réduite à un groupe nominal pour Argan (« de la
volaille », « du veau », etc.) et à un seul mot pour Toinette (« ignorant »).
Ici encore, il faut imaginer des jeux scéniques et vocaux pour incarner ces répétitions, ainsi que
des lazzi. Pour accompagner la gradation textuelle, on peut imaginer une gradation dans le jeu des
acteurs. C'est le choix fait par la compagnie Molière Sorbonne dans leur récente mise en scène de la
pièce (mise en scène historiquement informée par Georges Forestier et Mickaël Bouffard).
Les viandes blanches (poulet, veau), les potages et les bouillons sont des nourritures de
malade. Le fait de couper son vin avec de l’eau est utilisé à l’époque comme un moyen de se purger.
Les deux dernières répliques d'Argan sont plus longues ce qui permet de souligner les deux
traitements destinés à soigner sa constipation. Ceci participe de l'humour scatologique de la scène.
Molière est capable de mêler l'humour le plus gras à un comique de mot plus intellectuel, dans
la lignée des termes techniques du début de la scène. Ainsi, Toinette pastiche le discours médical en
employant un latin macaronique10 « Ignorantus, ignoranta, ignorantum » (l. 55) qui parodie la
déclinaison des adjectifs en latin (ex : Inscius, a, um : ignorant). Ce mélange d'humour gras et
intellectuels montre la capacité de Molière à s'adresser aussi bien aux balcons (= spectateurs riches)
qu'au parterre (= places les moins chères).
Le contre-traitement proposé par Toinette relève justement de l'humour populaire
carnavalesque, la pièce ayant été créée pendant les fêtes du carnaval pour célébrer Mardi gras. Il
s'agit d'un retournement des valeurs savantes : au lieu de la diète, Toinette propose un régime riche
relevant du bon sens populaire, ce qui laisse entendre que les faiblesses d’Argan sont en réalité dues
à un régime contre nature imposé par les médecins.

10
C'est à dire un latin inventé sur les bases du lexique français.

23
On peut, en ce sens, observer un double sens au mot subtil (l. 56) : à la fois le sens courant de
l'époque (= léger), mais aussi le sens moderne (= sophistiqué, intellectuel). Les problèmes de santé
d'Argan viennent de sa soumission au pédantisme des médecins. Il faut donc donner tout son poids à
la répétition de « bon gros » (l. 56-57), qui m'apparaît comme un plaidoyer en faveur du bon sens
populaire.
La dernière phrase achève ce retournement des valeurs : là où Thomas Diafoirus s'exprimait à
l'aide de formules ampoulées et creuses (II,5), le verdict de Toinette est direct et vif : « votre médecin
est une bête »11 (l. 58).

CONCLUSION (30 SECONDES- 1 MINUTE)

[résumé] Le travestissement de Toinette permet une satire efficace de la médecine, d'abord


par l'auto-portrait de Toinette en médecin égotique, puis par un diagnostic et un traitement
parodiques. La seconde partie de la scène [après le texte commenté] pousse encore plus loin la
caricature : Toinette va proposer l'amputation du bras et la crevaison de l’œil d'Argan… L’élimination
des organes est l'apogée du discours contre-nature de la médecine.
[ouverture] Vous pouvez ouvrir sur d'autres scènes de satire de la médecine, comme l'acte II
scène 5 (présentation de Thomas Diafoirus) et l'acte III, scène 5 (l'indignation de Monsieur Purgon).
Vous pouvez aussi ouvrir sur la scène I,5, déjà étudiée, qui mettait aussi en scène un retournement
du pouvoir au profit de Toinette et qui jouait, comme ce texte, avec des influences populaires (la
bastonnade imitée de la farce)

11
S'il vous reste du temps, vous pouvez aussi remarquer que le procès en bestialité (« est une bête ») retourne le
stigmate porté d'habitude sur les classes populaires : celui qui se croit fin, intellectuel, n'est en fait qu'un animal.

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