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Séquence sur la poésie (La boue et l’or) / Texte d’étude n°1 : « Une Charogne » À partir de la deuxième strophe le poème

e strophe le poème est consacré à la description de la charogne. La deuxième


strophe introduit des allusions sexuelles par la posture de la charogne qui, « les jambes en l’air »,
Forme du poème : suite de quatrains faisant alterner alexandrins et octosyllabes
« ouvrait son ventre » et la comparaison à une « femme lubrique ». Le texte s’éloigne donc du poème
Mettre au jour la structure du poème : d’amour. L’autre thème qui entre en dissonance avec le poème d’amour est celui de la putréfaction, mis
en évidence par la rime entre « poisons » et « exhalaisons ». Ce thème introduit aussi un autre sens,
Premier mouvement : strophes 1 et 2 : Une macabre découverte : vers 1 à 8 l’odorat, qui intervient particulièrement dans le processus de réminiscence (le poème convoquant un
souvenir commun, comme le montre le début avec « Rappelez-vous »). C’est aussi une façon de solliciter
Deuxième mouvement : Le travail de la décomposition : vers 9 à 36
l’imaginaire du lecteur et son écœurement.
Troisième mvt : Discours adressé à la femme aimée : formulation d’un Memento mori original : vers 37
Bilan sur le premier mvt : Ce premier mvt introduit donc un thème audacieux, la description d’un
à 48
cadavre, sujet peu poétique a priori, et se voit construit sur un jeu d’oppositions, s’annonçant comme un
Pbq : En quoi le poème, qui transfigure le laid en beau, joue-t-il avec les stéréotypes de la poésie lyrique poème d’amour pour mieux se détourner de ce genre conventionnel.
amoureuse ?
Deuxième mvt : La description du travail de la décomposition : vers 9 à 37 :
INTRODUCTION
Les deux strophes qui suivent sont unies par un début similaire, « Le soleil rayonnait » et « Le ciel
Charles Baudelaire est un poète de la modernité, il puise notamment dans de nouvelles sources regardait », revenant au thème poétique traditionnel de la nature, toujours associé au thème
d’inspiration dans Les Fleurs du Mal, dont la parution en 1857 a fait scandale. Le procès qui s’ensuit discordant du macabre, de la réalité sordide du corps en décomposition :
contraint Baudelaire à reprendre le recueil et supprimer certains poèmes pour la nouvelle édition du livre
Strophe 3 :
en 1861. Cet auteur s’éloigne des thèmes poétiques traditionnels comme le montre « Une Charogne », le
poème XXIX de la section « Spleen et Idéal ». Composé de quatrains qui font alterner alexandrins et Le poète revient sur le cadre champêtre en évoquant le soleil, mais en mettant de nouveau à distance ce
octosyllabes, ce texte est consacré à la peinture d’un cadavre. Il faudra se demander en quoi le poème, topos descriptif par l’évocation prosaïque : « Le soleil rayonnait sur cette pourriture, / Comme afin de la
qui transfigure le laid en beau, joue avec les stéréotypes de la poésie amoureuse. Le poème se compose cuire à point », le verbe « cuire » renvoyant la charogne sa matérialité (en tant que viande). Les deux vers
de trois mouvements. Le premier porte sur la macabre découverte faite lors d’une promenade (vers 1 à sont caractéristiques du vocabulaire du poème qui mêle des motifs poétiques « Le soleil rayonnait » et
8). Le second détaille le travail de la décomposition, une transformation naturelle qui devient prosaïques (« pourriture », « cuire »). Les deux derniers vers de la strophe renvoient à l’harmonie du cycle
métamorphose poétique (v. 9 à 36). Le dernier mouvement se constitue d’un discours adressé à la femme naturel dans lequel s’inscrit la décomposition du corps.
aimée, formulant un Memento mori rempli d’ironie (v. 37 à 48).
Strophe 4 :
Explication linéaire :
Après le soleil, le poète introduit un autre motif poétique traditionnel, le « ciel » personnifié puisqu’il est
Premier mouvement : L’évocation d’un souvenir et d’une macabre découverte : vers 1 à 8 sujet du verbe « regardait », image également convenue d’une nature souveraine, mais toujours dans un
décalage avec l’évocation en parallèle du cadavre qui fait l’objet d’une métamorphose poétique,
Strophe 1 : Le poète s’adresse à la femme aimée comme le montrent l’emploi de l’impératif, « Rappelez-
devenant « carcasse superbe ». Cette expression crée un oxymore car l’adjectif élogieux entre en
vous » et l’apostrophe lyrique « mon âme ». Il évoque le souvenir d’une promenade champêtre par le
contradiction avec le nom qu’il caractérise, mais le lien entre les deux est souligné par l’allitération
détail du « sentier » et le complément circonstanciel de temps « Ce beau matin d’été ». Ces éléments
harmonieuse en [s]. Le poème donne une vision paradoxale de la charogne en l’associant à la beauté et à
apparentent le texte à un poème d’amour. Pourtant dès la première strophe Baudelaire crée un contraste
des comparaisons poétiques usuelles qui relèvent également de l’éloge, ici celle de la « fleur ». Baudelaire
entre d’un côté ce cadre bucolique, le thème de l’amour et de l’autre la rencontre par le couple de
procède donc ici à l’alchimie poétique, le renversement du laid en beau. Les vers 15 et 16 reviennent sur
promeneurs d’une « charogne infâme » rimant de façon ironique avec le mot « âme » : l’ironie provient
l’odorat, ramenant le lecteur à la réalité sordide et écœurante du cadavre par le biais d’un terme concret,
de l’association entre la femme aimée et le cadavre. L’adjectif « beau » utilisé pour dépeindre le cadre
« puanteur », et s’adressent de nouveau à la femme aimée. Cette adresse souligne la dissonance, au lieu
forme également une antithèse avec celui qui caractérise le cadavre, « infâme ». On peut remarquer
d’inviter la jeune femme à se souvenir de l’odeur agréable d’une fleur, il s’agit de l’odeur putride d’un
l’audace de ce thème qui va à l’encontre des topoï poétiques et des conventions du poème lyrique
cadavre que le poète souligne par des procédés d’insistance, l’adverbe d’intensité « si » et la réaction de
amoureux. Cette opposition va structurer le poème tout entier.
l’interlocutrice « vous crûtes vous évanouir. »
La description du cadavre suit une organisation rigoureuse.
Strophe 5 :
Strophe 2 : description très crue de la charogne :
Les deux strophes suivantes font une description très précise de la charogne et de la vie qu’elle
engendre paradoxalement comme le montre l’expression « vivants haillons ». Les notations réalistes

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telles que « ventre putride » et les « noirs bataillons / De larves » comparés à un « épais liquide » sont de la modalité exclamative, absente dans les autres mouvements. Le contraste entre les topoï de la
propres à provoquer l’écœurement du lecteur. Le poète crée ici une forme d’hypotypose, c’est-à-dire une poésie lyrique amoureuse et le vocabulaire réaliste de la décomposition associé à celui de la mort est
description saisissante, semblable à un tableau vivant. La décomposition s’offre comme un spectacle qui encore plus marqué. Chaque strophe comporte une apostrophe élogieuse caractérisant la femme aimée à
sollicite à nouveau les sens, celui de l’ouïe par les mouches qui « bourdonnaient », de la vue par l’image l’aide d’hyperboles : « Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, / Vous, mon ange et ma passion » ; « ô la
du ballet des mouches et des larves sur le cadavre. reine des grâces » et « ô ma beauté », dans les deux dernières l’interjection lyrique « ô » souligne
l’intensité du sentiment amoureux. Mais ce vocabulaire amoureux crée une dissonance ironique avec
Strophe 6 :
l’évocation brutale de la mort, celle de la femme aimée qui doit voir dans la charogne un avertissement,
La vision de la charogne que donnent les verbes de mouvement « descendait, montait » puis « s’élançait l’analogie étant explicite et répétée : « vous serez semblable à cette ordure/ À cette horrible infection »,
en pétillant » (la forme au gérondif introduit une image gracieuse qui poursuit le paradoxe de la beauté « telle vous serez […]/ Quand vous irez moisir sous les ossements ». Le poème constitue donc un
de la laideur), de même que la comparaison à « une vague » contribuent à embellir cet objet repoussant Memento mori original, qui se distingue par son caractère réaliste et cruel. L’ironie est très marquée dans
ici associé paradoxalement à la vie et à la beauté par l’harmonie du mouvement d’autant plus que le ce mouvement, notamment dans certaines rimes qui réunissent les deux thématiques, comme entre
poète dans cette strophe n’utilise plus le vocabulaire de la décomposition « infection » et « passion », mots soulignés par la diérèse.
La dernière strophe est particulièrement ironique car elle met en scène un baiser amoureux, mais
Strophe 7 : dans un décalage savoureux : c’est la « vermine » et non le poète qui la « mangera de baisers ». Le
souvenir partagé du début devient celui du seul poète qui termine son texte par une sorte d’éclat de rire
Les strophes 7 et 8 développent des idées plus insolites encore et confortent l’embellissement de la
avec la formule finale : « j’ai gardé la forme et l’essence divine / De mes amours décomposés ! ». Cette
charogne. Cette dernière se voit associée à des formes artistiques par l’évocation d’« une étrange
fois l’amour et la décomposition sont étroitement liés.
musique » produite par la vie qui se développe en son sein. Les comparaisons des derniers vers, d’abord à
des éléments naturels « l’eau et le vent » puis au « grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique/
Bilan sur le troisième mvt : Le dernier mvt revient donc à la poésie amoureuse, mais dans un jeu
Agite et tourne dans son van » contribuent à la métamorphose de la charogne qui dégage un son
parodique qui transforme le genre du Memento mori, ici formulé de façon cruelle et ironique par la mise
harmonieux.
en relation de l’éloge amoureux et des évocations macabres.

CONCLUSION
Strophe 8 :
En définitive, Baudelaire dans ce poème nous invite à modifier notre regard sur une réalité perçue
La huitième strophe confirme l’assimilation de la charogne à une forme artistique, cette fois la peinture.
comme sordide, écœurante, la description d’un cadavre. Il souligne d’ailleurs le caractère répugnant de la
Par rapport aux autres strophes, l’évocation devient plus abstraite, le cadavre se dématérialise en étant
charogne mais, poète alchimiste, nous dévoile la beauté poétique du cadavre par la vie qui jaillit de la
comparé à « un rêve », « une ébauche lente à venir », « une toile ». La vision de la charogne suscite ainsi
mort offrant le spectacle du mouvement perpétuel de la nature et par les images qui métamorphosent la
l’imaginaire artistique du poète et présente l’art comme une façon de fixer ce qui est fugitif, éphémère,
charogne. Ainsi s’opère la transmutation de la boue en or. Ce poème qui va à l’encontre des thèmes
de dépasser la mort.
poétiques convenus tourne également en dérision les stéréotypes amoureux au moyen de l’ironie.
Strophe 9 : Retour à la réalité prosaïque :
Ouverture : Georges de la Tour, La Madeleine à la veilleuse
La strophe 9 revient à la réalité prosaïque en évoquant des détails réalistes, par la mention de la
« chienne inquiète » qui attend de « reprendre au squelette / Le morceau qu’elle avait lâché. » Il s’agit
donc d’un retour à la banalité de la situation et le cadavre retrouve ici sa matérialité avec les mots
« squelette » et « morceau ».
Cf. commentaire proposé dans le Livre de Poche : Dble niveau de lecture :
Bilan sur le deuxième mvt : Le jeu d’oppositions se poursuit dans le deuxième mvt, ici plus
 niveau littéral : renversement provocant d’une position idéalisante (ou pétrarquisante : cf. Sainte-
particulièrement entre beau et laid, vie et mort de même que le poète approfondit la métamorphose de
Beuve : louait B d’avoir « pétrarquisé sur l’horrible »), consistant à célébrer la femme aimée contre les
la charogne cette fois comparée à des formes artistiques.
réalités aussi incontestables que répugnantes que la finitude. Surenchère d’expressions empruntées à
l’amour courtois : « étoile de mes yeux » ; « soleil de la nature » ; « mon ange et ma passion » ; « la
Troisième mvt : Discours adressé à la femme aimée : formulation d’un Memento mori original :
reine des grâces » ressort de façon d’autant plus ironique, pour ne pas dire cynique, de son contraste
Ce mouvement se distingue clairement des autres par une rupture énonciative avec le précédent, avec le monde de l’« ordure » et de l’« horrible infection » de la charogne. Un tel rapport à l’ordre,
il ne s’agit plus de la remémoration du souvenir mais d’un discours adressé à la femme qui accompagnait pour brutal qu’il soit, a le sens d’un memento mori qui contraste avec l’aveuglement coutumier au
genre de l’éloge.
le poète. Cette partie du poème a un caractère nettement lyrique, par l’expression du sentiment
amoureux, l’adresse à la destinataire (avec l’utilisation d’apostrophes et du pronom « vous ») et l’emploi
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 niveau plus réflexif : méditation sur la poésie elle-même. L’interlocutrice, plus qu’une femme : une
figure de la poésie lyrique, sa sensibilité exaltée et presque hystérique : le refus su lyrisme de prendre
en compte la réalité de la finitude. Sens corroboré par le fait que les images qui décrivent la
métamorphose de la charogne st empruntées au monde de la musique : « étrange musique » ; « mvt
rythmique » ; ou de la peinture : « formes » ; « ébauche » ; « toile oubliée » ; « artiste ». Ce sens
tendrait à définir le devoir que le jeune Baudelaire sent être celui de la poésie à venir.

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