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En quoi consiste l’arrêt Bowater

du 20 mai 1986 de la Cour de


cassation ?

L’arrêt Bowater du 20 mai 1986 rendu par la Cour de

cassation traite des conditions d’admission de la clause

léonine dans le cadre d’une promesse de vente en droit

des sociétés entrant dans la catégorie des cas fixés par

l’article 1844-1 du Code civil.

Selon les faits de l’espèce, monsieur du Vivier a opéré

une cession à plus des deux tiers des actions de la

Société anonyme A. de Luz fils à la société Iéna

Industrie, une filiale de la société Bowater Corporation

Limited, par acte du 20 avril 1973 et ce, en son nom

personnel ainsi qu’au nom d’autres actionnaires. Par la


suite, monsieur du Vivier a déchargé la société Iéna

Industrie de ses obligations.

Se fondant sur cet accord, la société Bowater a alors

souscrit une promesse d’achat par lettre en date du 11

novembre 1975. Cette lettre stipulait clairement que la

valeur nette de l’actif tangible et corporel de la

société LUZ de Monsieur du Vivier serait celle au jour de

la cession effective ou à défaut les parties devaient se

soumettre à un expert. Toutefois, la valeur ne pouvait

être inférieure à cinq millions tout en prévoyant un

délai d’option jusqu’en 1982.

C’est fort de ces accords qu’en 1976, la société Bowater

est devenue associée de la société Luz. C’est alors que

Monsieur du Vivier a introduit une requête aux fins de

paiement du prix minimum retenu par la société Bowater.

Contre toute attente, la société Bowater a refusé de

payer au motif que la clause contractuelle qui

garantissait un prix minimum violait les dispositions de

l’article 1844-1 du Code civil en vigueur.

C’est ainsi qu’elle a assigné en justice Monsieur du

Vivier. Après un jugement rendu en première instance,

appel a été interjeté. La Cour d’appel a donné raison à


ce dernier en condamnant la société Bowater à payer la

somme due et réclamée par Monsieur du Vivier.

C’est à l’encontre de cet arrêt de la Cour d’appel que la

société Bowater a formé un pourvoi en cassation en

développant trois moyens au soutien de ses prétentions.

En effet, la société Bowater reprochait à la Cour d’appel

de ne pas avoir vérifié si la cession future qui était

soumise à un prix minimum ne poursuivait pas le but

d’affranchir l’un des associés des pertes de la société

pour les faire supporter à d’autres associés.

Ce faisant, cette clause devait être déclarée nulle et de

nul effet. Elle a ainsi démontré en instance d’appel cet

élément qui n’a pas pu décider la Cour d’appel a prononcé

la nullité de ladite clause malgré les éléments de preuve

qui avaient été rapportés. Selon elle, la société LUZ

visait, en suivant cette clause estimée léonine, la

garantie d’un prix minimum afin de couvrir la perte de la

valeur de la société au moment de la cession effective.

Toutefois, la Cour d’appel a estimé que la promesse de

vente souscrite par la société Bowater ne lui causait pas

de préjudice. En conséquence, cette clause ne

contrevenait pas à l’article 1844-1 du Code civil.


Après analyse des prétentions des parties, le problème de

droit présenté à la Cour de cassation était de savoir si

l’on pouvait considérer comme une clause léonine au sens

de l’art. 1844-1 du Code civil, une promesse de vente de

droits sociaux pour un prix minimum consenti auparavant

et qui avait pour effet d’exonérer le cédant en le

protégeant de toute contribution aux pertes depuis le

jour de ladite promesse jusqu’à la levée de l’option ?

À cette question de droit, la Cour de cassation a répondu

par la négative. En conséquence, elle a rejeté le pourvoi

en cassation.

À travers l’arrêt Bowater, la Cour de cassation a ainsi

exclu du champ d’application de l’art. 1844 -1 du Code

civil, la cession des parts sociales en droits des

sociétés. Toutefois, l’unicité de la position de la haute

juridiction sur les effets léonins de la promesse

subsiste indubitablement.
ARRÊT BOWATER : L’EXCLUSION DE LA
PROMESSE DE CESSION DES PARTS DU
CHAMP D’APPLICATION DE L’ARTICLE
1844-1 DU CODE CIVIL
L’arrêt Bowater soulève la caractérisation d’une telle

clause en droit des sociétés. C’est le juge qui est

souvent saisi pour apprécier si une construction


juridique cherchant à prendre la forme ou à atteindre les

effets d’une clause léonine peut être retenue comme

telle. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont été

rendus sur la question, tel est le cas de l’arrêt

Bowater.

À l’examen de l’arrêt Bowater, on s’en rend compte assez

rapidement qu’a été consacré un revirement

jurisprudentiel, en ce sens que cette décision exclut du

champ d’application de l’article 1844-1 du Code civil, la

promesse de cession des droits sociaux.

Consécration d’un revirement


jurisprudentielle

Pendant longtemps et avant ce revirement de jurisprudence

spectaculaire avec l’arrêt Bowater en 1986, la Cour de

cassation, notamment la Chambre commerciale, consacrait

un refus catégorique d’admission de la clause léonine

dans la cession des parts sociales en droit des sociétés.

Toutefois, à partir de l’arrêt Bowater, elle a enfin

admis la clause léonine sous des conditions restrictives.

En effet, avant 1986, les juridictions adoptaient un

refus catégorique d’admettre les pactes léonins dans les

accords. Elles se prononçaient ainsi pendant longtemps en


faveur de la nullité des promesses convenues à un prix

fixé avant la réalisation effective de la cession.

C’est ainsi que dans un arrêt de 1941, la Cour de

cassation reprochait aux juridictions de fonds qui

avaient validé ces clauses de ne pas avoir recherché si

elles n’avaient pas pour but ou l’effet de garantir

l’associé cédant contre les risques de contribution aux

pertes, dès lors qu’il demeurait actionnaire.

Dans un autre arrêt du 16 janvier 1967, le juge ayant

donné raison à l’acquéreur pour avoir invoqué l’article

1844-1 du Code civil, lors de la cession des titres d’une

société, le vendeur se retrouvait dans l’impossibilité de

céder le reliquat des actions refusé par celui -ci au

motif que le vendeur ne courait aucun risque.

Or, il était informé que l’acquéreur ne souhaitait plus

acheter les reliquats d’actions. Il arguait en l’espèce

de l’article 1844-1 du Code civil. La juridiction de fond

lui donna raison. Cet article est ainsi devenu un texte

qui menaçait la sécurité juridique. Mieux, le

consensualisme retenu en théorie des contrats semblait

être remis en cause en raison de cette position des

juridictions.
C’est pourquoi la Cour de cassation a pris la décision

d’opérer un revirement de jurisprudence dans l’arrêt

Bowater pour exclure du champ d’application l’article

1844-1 du Code civil.

Ainsi, la haute juridiction a soutenu que chaque fois

qu’une promesse de vente de parts sociales à un prix

minimum n’avait pas pour effet de libérer le cédant de

toute contribution aux pertes sociales, alors les

dispositions de l’article 1844-1 du Code civil ne sont

pas violées. De plus, la Cour de cassation a estimé que

le prix n’était pas règlementé par l’article 1844 -1 du

Code civil, mais par l’objet.

Finalement, l’effet principal qui résulte de l’arrêt

Bowater consiste à exclure la promesse de cession des

actions en droit des sociétés du champ d’application de

cet article 1844-1 du Code civil.

Une affirmation de l’exclusion de la


promesse de cession des parts sociales de
l’article 1844-1

À travers l’arrêt Bowater, la Cour de cassation a énoncé

que pour exclure l’effet léonin, il convient de vérifier

l’objet de la convention et de relever ensuite la

différence entre la cession proprement dite et l’acte


constituant le pacte social. L’effet léonin inopérant

dans une clause en matière sociale permet de ne pas le

retenir.

La haute juridiction a justifié cette décision en raison

de la nature même de la promesse de cession. Elle a ainsi

rappelé que la vente de parts sociales n’a pas d’effet

translatif de propriété, celui-ci n’intervient qu’au

moment de la levée de l’option par l’acquéreur.

Entre la promesse et la levée de l’option, il peut dès

lors se produire un délai plus ou moins long au cours

duquel les aléas de la vie peuve nt faire effondrer ou

dévaluer la valeur des parts sociales. Ce qui aura bien

évidemment pour conséquence de ne pas faire participer le

cédant ni les associés des pertes que la société aura

subies.

Cette situation soulève une question importante :

pourquoi un associé devrait-il fixer à l’avance le prix

de cession des parts sociales alors même que cela

pourrait se produire dans plusieurs années ? Différentes

thèses de la doctrine sont venues donner des réponses à

cette question épineuse. En effet, selon le P rofesseur

LUCAS, c’est l’affectio societatis qui constitue le


véritable mobile de la cession, puisqu’il constitue le

fondement véritable de la création de la société.

Ainsi, chaque fois qu’un associé souhaite se retirer en

raison de ce qu’il n’approuve plu s la volonté commune de

mettre en place une société, il doit avoir la possibilité

de céder ses actions. Mais cette conception n’est pas

celle retenue par l’arrêt Bowater qui soutient que céder

une société dont on sait que les actions perdront de la

valeur est une clause léonine.

C’est d’ailleurs ce que le professeur Le Cannue nous

démontre avec brio, en matière sociale, lorsque

l’incertitude gagne la société, on a plus d’autres

options que la cession de cette dernière.

Il dira qu’on quitte les rivages inhos pitaliers du droit

des sociétés pour attirer le problème vers le droit de la

vente. Par ailleurs, la Cour de cassation a adopté dans

l’arrêt Bowater l’exclusion de la promesse de cession des

parts au motif que le pacte social était étranger aux

dispositions de l’article 1844 -1 du Code civil.

Elle a retenu que cette clause échappait au droit des

sociétés. Précisément, elle énonçait qu’il y existe une

différence entre un pacte ayant dans effets léonins qui


se trouvent dans le contrat de société et celui qui e st

en dehors dudit contrat.

Or, la convention qui a pour objet d’assurer la

transmission de droits sociaux ne porte pas atteinte au

contrat de société. La clause de cession se trouve distincte

du pacte social. Comme tel, on se retrouve dans une

situation permettant aux associés et aux tierces

personnes de convenir librement de leur accord.

Toutefois, quand bien même la promesse de cession de

parts sociales n’est pas considérée comme une clause

léonine au sens de l’article 1844-1 du Code civil par la

Cour de cassation, il faut néanmoins admettre que cette

clause peut produire des effets de fait.


ARRÊT BOWATER : L’ADMISSION DE FAIT
DES EFFETS DE LA CLAUSE LÉONINE
Même si la Cour de cassation a opéré un revirement par

exclusion de la promesse de cession de parts sociales du

champ d’application de l’article 1844-1 du Code civil, il

faut reconnaître que cette clause peut produire de fait

une exonération des pertes sociales et produire une

inconstance des décisions de la Cour de cassation.

L’admission sous condition de facto de


l’exonération des pertes sociales
L’arrêt Bowater a créé une situation de fait qui par

moment produit un effet léonin. Ainsi, lors de la levée

de l’option relative à la promesse de cession, un aléa

comme une perte peut être supporté par l’acquéreur.

L’arrêt Bowater n’admet pourtant pas du tout que la

promesse de cession de vente n’a d’effet translatif de

propriété contrairement au pacte social.

Ainsi, bien que la promesse de cession puisse produire un

effet léonin, celui -ci n’existe pas au moment de la

conclusion de ladite promesse ; et de ce fait, on ne peut

pas le classer d’office dans la catégorie des clauses

léonines au sens de l’article 1844-1 du Code civil.

Il est donc clair qu’à certain moment, notamment lors la

levée d’option, des pertes peuvent être constatées.

Toutefois, elles n’affectent pas cette clause ni lui fait

changer sa nature initiale ; c’est-à-dire que la clause

léonine s’apprécie au moment de la conclusion de la

promesse de cession. C’est pourquoi elle échappe à

l’article 1844-1.

L’arrêt Bowater a néanmoins éprouvé le besoin de

rechercher si cette clause ne visait pas la fraude. En

effet, il est important de remettre cette question en

perspective chaque fois qu’il faut apprécier la nature


d’une promesse de cession de parts sociales. Il convient

ainsi de se demander si le but poursuivi par le cédant

est d’échapper aux pertes en élaborant cette clause

future avec un prix minimum au momen t de la levée de

l’option.

En dehors de cette analyse, il est nécessaire d’examiner

la certitude de la convergence des décisions de la Cour

de cassation sur la question.

L’incertitude sur la constance de la Cour


de cassation

Il est assez simple de constater à priori que la Cour de

cassation a rendu des arrêts qui semblent être divergents

suscitant l’inconstance de celle-ci sur la promesse de

cession des parts sociales avec un prix minimum fixé à

l’avance. Mais, il convient aussi de nuancer la position

de la Cour de cassation sur le revirement constaté dans

l’arrêt Bowater.

En effet, dans l’arrêt Bowater, la Cour a estimé que la

validité de cette promesse était subordonnée à la

validité de son objet au moment de sa conclusion.

D’ailleurs, la doctrine renvoie à l’appréciation de la

Cour sur la validité des actes de promesse de cession.


Or, il se trouve que la première et la deuxième chambre

de cette Cour n’adoptent souvent pas la même position.

C’est le cas par exemple dans un arrêt du 7 mai 1987,

juste après l’arrêt Bowater où la chambre commerciale a

affirmé, en conformité avec cet arrêt de 1986, que

l’objet de la convention détermine sa validité.

Néanmoins, la première chambre civile quant à elle n’a

pas adopté cette position. Elle a annulé simplement une

clause contractuelle ayant pour effet d’affranchir le

cédant de toute contribution aux pertes.

Finalement, la clause léonine n’a pas fini de faire

parler d’elle …

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