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L’entreprise

et le marché

Peut-on calculer les coûts


d’une entreprise ?
Tous les entrepreneurs veulent limiter les coûts de leurs produits ou
de leurs services. Or connaître ces coûts est en réalité assez complexe,
car ces derniers sont tout d’abord un concept, une convention.

1  Connaître les coûts


Maximiser ses recettes et minimiser ses dépenses, c’est l’objectif de
tout entrepreneur. Pour ce faire, celui-ci jongle en permanence avec trois
variables : les prix, les quantités et les coûts. Du côté des prix, sa marge
de manœuvre est généralement faible. Il n’est relativement libre de les
fixer que s’il est en position de monopole ou s’il vend des biens atypiques
comme des objets d’art ou des vêtements de haute
couture. Le plus souvent, il ne peut pas s’écarter CALCULER EN SEPTEMBRE 2014
des limites étroites imposées par le marché sur UN COÛT MOYEN POUR 2013
lequel il se positionne. EST POSSIBLE.
Quant aux quantités, elles entretiennent une EVALUER À LA MÊME DATE CELUI
relation directe avec les prix, puisque sur un marché DE L’ANNÉE 2014 EST PLUS DÉLICAT
ordinaire, en offrant un prix moindre que celui de
ses concurrents, on peut espérer vendre plus de produits. En fabriquant
des quantités plus importantes, l’entrepreneur peut réduire ses coûts et
maintenir ses marges, à condition de réussir à augmenter sa production
sans avoir à investir dans de nouveaux équipements et de maintenir la
qualité de ses produits. C’est ce que les économistes appellent des éco-
nomies d’échelle. Mais pour avoir une chance d’être vraiment gagnant
à ce jeu, encore faut-il connaître ses coûts et être capable d’en suivre
précisément les évolutions.
Estimer un coût, cela consiste à rapporter un ensemble de charges à
un seul élément. Une compagnie d’aviation peut par exemple calculer
son coût à l’heure de vol ou par type d’avion. Elle peut aussi utiliser

Les différentes méthodes de calcul des coûts


– Coût de revient complet : le coût est calculé pour l’ensemble des processus de l’entreprise, les
en divisant le total des charges par la quantité « activités » qui les composent (par exemple,
produite. Quand il existe plusieurs produits, cela « scanner la commande », « vérifier et compléter
implique d’établir des clés pour répartir les charges le dossier ») et on calcule le coût de chacune de
fixes, communes à plusieurs produits. ces activités. Chaque activité étant simple et facile
– Coût variable (direct costing) : pour éviter à analyser, ce coût est fiable. Chaque produit final
l’arbitraire inhérent à la répartition des charges est considéré comme « consommant » des activi-
fixes, on ne prend en considération que le coût tés. Il suffit donc de faire la somme de ses « consom-
variable. Les coûts fixes doivent être couverts par mations » pour obtenir son coût. Il est ensuite aisé
la marge sur les coûts variables. de suivre l’évolution des coûts des différentes
– Coût par activité (activity based costing, ABC) : ressources utilisées et de valoriser le produit pour
la méthode ABC permet de calculer le coût complet lequel on a établi une fois pour toutes la « consom-
de chaque produit. On commence par déterminer, mation » de chacune de ces ressources.

Alternatives Economiques - Hors-série poche n° 70 - novembre 2014 - 13


L’économie en 30 questions

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un indice synthétique comme le coût au siège-kilomètre offert (SKO).


Calculer en septembre 2014 un coût moyen pour l’année 2013 est pos-
sible. Evaluer à la même date celui de l’année 2014 est plus délicat, car
on connaît le montant des dépenses déjà engagées, mais les charges
à venir sont incertaines et sujettes à variations : personne n’est à l’abri
de pertes (produits défectueux, vols, accidents divers), d’incidents
d’exploitation (panne de machine, pénurie de pièces parce que l’usine
du fournisseur est bloquée), de fluctuations des taux de change, etc.

2  Coûts variables et coûts fixes


De plus, dès qu’une entreprise commercialise plusieurs produits, la
manière de répartir les coûts entre ces différentes productions devient
un casse-tête. Pour y parvenir, les entreprises distinguent tout d’abord
les coûts variables. Ce sont les charges qui augmentent strictement
en fonction des quantités produites : achat des matières premières,
consommation d’énergie, salaire des intérimaires, prix du transport.
Par ailleurs, on enregistre des coûts fixes. Ce sont les dépenses sans
rapport direct avec le niveau de la production : les loyers des bureaux,
les primes d’assurance, l’amortissement des machines ou les salaires du
personnel permanent. Autant les coûts variables
DIMINUER LES COÛTS FIXES posent généralement peu de problèmes de mesure
RÉPOND À UN ENJEU STRATÉGIQUE et d’affectation, autant les coûts fixes sont délicats
ESSENTIEL : ÊTRE CAPABLE DE à répartir entre les différents produits ou services
S’ADAPTER EN CAS DE BAISSE vendus. Cela donne d’ailleurs souvent lieu à des
TEMPORAIRE DE LA PRODUCTION jeux politiques au sein des entreprises : pour
« tuer » un produit ou au contraire le valoriser
face à d’autres, en prenant comme critère les marges dégagées, il suffit
de jouer sur la clé de répartition des mètres carrés de bureaux ou du
coût du service marketing… L’enjeu est d’autant plus central que, dans
toutes les activités, la tendance est plutôt à la hausse du poids des coûts
fixes par rapport aux coûts variables.
Abaisser les coûts s’applique aussi bien aux coûts variables que fixes.
Mais diminuer les coûts fixes répond de surcroît à un enjeu stratégique
essentiel : être capable de s’adapter en cas de baisse temporaire de la
production. En effet, une entreprise dont les charges fixes sont élevées est
très vulnérable aux variations de ses recettes, puisqu’elle met beaucoup
de temps à ajuster ses dépenses dans les mêmes proportions. La solution
retenue consiste souvent à externaliser des activités dont l’entreprise
considère qu’elles ne constituent pas son « cœur de métier », ce qui lui
permet de n’acheter que les services dont elle a strictement besoin. Le
remplacement d’une partie du personnel permanent par des intérimaires
est aussi pratiqué dans ce but par certains secteurs comme la construction
automobile. Les plus radicaux vont très loin dans la compression des
frais généraux : le patron de la compagnie d’aviation low cost Ryanair se
vante de ne même pas avoir de bureau.

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3  Produire plus pour dépenser moins


Un industriel a intérêt à produire plus, tant que cela ne l’oblige pas à
acheter des machines ou à recruter du personnel d’encadrement. En effet,
les charges fixes, indépendantes de la quantité produite, sont ainsi réparties
sur un plus grand nombre de produits. Les compagnies d’aviation low cost
ont poussé cette logique au maximum. Elles mettent plus de sièges dans
leurs appareils et font tout pour maximiser leur coefficient d’occupation.
Des compagnies comme EasyJet équipent un Airbus 319 de 156 sièges, au
lieu de 142 chez un transporteur traditionnel. Et pour augmenter la quantité
de sièges au kilomètre offerts, les avions ne passent que 20 minutes au sol
entre deux trajets, contre 45 minutes pour ceux des grandes compagnies.
Gagner ainsi une rotation dans la journée permet de transporter (avec un
taux de remplissage de 70 %) plus de 200 personnes supplémentaires avec
un coût marginal (le coût variable par passager de
la rotation ajoutée) particulièrement bas, puisqu’il UN INDUSTRIEL A INTÉRÊT
se limite à la consommation de kérosène ramenée À PRODUIRE PLUS, TANT QUE CELA
au passager. NE L’OBLIGE PAS À ACHETER
Au-delà de la recherche de fournisseurs moins DES MACHINES OU À RECRUTER
chers et de salariés moins bien payés, il existe d’autres DU PERSONNEL D’ENCADREMENT
moyens d’abaisser les coûts. A la fin des années 1990,
certains constructeurs automobiles ont ainsi pratiqué le decontenting (dés-
habillage) : cette opération consiste à ôter de la voiture des équipements
superflus. Les clients n’ont pas toujours apprécié : Toyota a ainsi perdu des
parts de marché avec sa Corolla de 1995 discrètement « déshabillée ». Le
japonais avait le tort d’avoir raison trop tôt. Dix ans plus tard, Renault a
connu un succès, qui ne s’est pas démenti depuis, avec un véhicule impi-
toyablement simplifié, la Logan, saluée comme « bien pensée, pratique
et pas chère ». C’est la victoire du design to cost (*) ou « conception à coût
objectif » (CCO), une méthode inspirée de l’analyse de la valeur, qui avait
permis à Renault, quelques années plus tôt, de construire la Twingo, un
projet que les bureaux d’études bloquaient depuis longtemps, considérant
qu’il était impossible de rentabiliser une petite voiture.
Un autre concept, dérivé du CCO, le design to life cycle cost (conception Design to cost :
pour un coût objectif durant le cycle de vie), présente un intérêt écono- méthode qui consiste
mique, mais aussi environnemental. Il globalise le coût de fabrication àobjectiffixer comme
aux services
du produit et ceux qu’il entraînera pendant toute sa durée de vie. Il a de production
un coût unitaire
été utilisé avec succès pour l’Airbus en tenant compte du carburant, de pour le produit,
la maintenance, des pièces de rechange, etc. en même temps
que des fonctions et
Ces exemples montrent la richesse du concept de coût, sur lequel ges- un niveau de qualité.
tionnaires et ingénieurs travaillent sans relâche. Marc Mousli

Pour en savoir plus


• Le partage de la valeur ajoutée, par Philippe Askenazy, Gilbert Cette et Arnaud Sylvain,
coll. Repères, La Découverte, 2012.
• Analyse économique de la firme, par Magali Chaudey, Armand Colin, 2014.

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