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Essai d'analyse quantitative de l'encadrement de l'EPS

entre 1945 et 1981


Michaël Attali, Jean Saint-Martin
Dans Movement & Sport Sciences 2006/1 (n o 57), pages 55 à 66
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1378-1863
ISBN 2-8041-5175-1
DOI 10.3917/sm.057.66
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Essai d’analyse quantitative
de l’encadrement de l’EPS
entre 1945 et 1981

Michaël Attali (1) et Jean Saint-Martin (2)

RÉSUMÉ

Entre 1945 et 1981, les gouvernements successifs mettent en œuvre des solutions multiples
pour permettre la diffusion de l’enseignement de l’éducation physique et sportive dans le
système éducatif français. Face à l’accroissement continu des effectifs scolaires, les ministres
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successifs de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et des Sports ne peuvent assurer les ho-
raires obligatoires, comme en témoigne l’étude du ratio national élèves-enseignant. Après
une période durant laquelle les cinq heures d’EPS sont un leurre et où cet enseignement est
pour certains supprimé, les années 1960 font apparaître une situation contrastée amenant à
faire des concessions face aux urgences. La démocratisation quantitative équitable ne se pro-
duira qu’à partir des années 1970 par l’intermédiaire de mesures drastiques reposant à la
fois sur des nécessités économiques et des choix éducatifs. Elle fera alors apparaître les limi-
tes d’une gestion administrative d’un enseignement dont on ne peut exclure les dimensions
qualitatives.

Mots-clés : éducation physique, démocratisation quantitative, sport optionnel,


explosion scolaire.

(1) Maître de conférences Grenoble 1, laboratoire SENS et chercheur associé au CRIS – UFRAPS
Grenoble, BP 53, 38041 Grenoble Cedex 9 – Tél. : 04 76 63 50 57 – Fax : 04 76 63 51 00 –
michael.attali@ujf-grenoble.fr
(2) Maître de conférences Université Lyon 1, laboratoire CRIS, EA-647 – UFRSTAPS Lyon,

27-29 Bd du 11 novembre 1918, 69622 Villeurbanne – Tél. : 06 89 10 54 40 – Fax : 04 72 43 38 46 –


j.saint-martin@wanadoo.fr

Science & Motricité n° 57 — 2006/1


56 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

A quantitative analysis of the management


of Physical Education between 1945 and 1981
ABSTRACT

Between 1945 and 1981, the successive governments implemented multiple solutions to in-
crease the diffusion of the teaching of physical education in the French education system. Fac-
ing the continuous increase in the enrolled pupils, the successive Ministers for National
Education and Youth and Sports could not ensure the obligatory schedules as testified by the
study of the pupil-teacher ratio. After a period during which the five hours of Physical Educa-
tion appeared as an illusion and during which these courses were sometimes omitted, the
1960’s revealed a contrasted situation leading to concessions for facing urgencies. The equita-
ble quantitative democratization will occur only as from the 1970’s by means of drastic mea-
sures based both on economic concerns and educational choices. It will then reveal the limits of
an administrative management of a teaching which one cannot exclude qualitative dimensions.

Key words: physical education, quantitative democratization, optional sport,


school explosion.

Introduction
L’analyse historique d’une discipline scolaire, en l’occurrence ici l’éduca-
tion physique et sportive (EPS), implique de porter son attention sur deux
dimensions indissociables. La plus communément retenue concerne les
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discours politiques ou pédagogiques qui la régissent en vue d’en justifier
l’intérêt (Arnaud, 1983) ou bien de la positionner sur l’échiquier éducatif
au regard des problématiques scolaires (Attali et Saint-Martin, 2004). Si
ces postures historiques, de nature qualitative, sont indispensables pour
circonscrire le champ d’action disciplinaire, elles restent partielles lors-
qu’elles ne s’enrichissent pas d’une analyse quantitative sur les conditions
faites de son enseignement (Grew et Harrigan, 2002). Pour en percevoir la
réalité, il apparaît nécessaire de mesurer la transcription des discours
dans les actes concernant en particulier les moyens disponibles. L’enca-
drement devient ainsi un élément essentiel en étant une condition indis-
pensable pour s’assurer de la mise en place effective d’un enseignement.
En effet, tous les discours péremptoires ne peuvent prendre du sens que
par la nomination concrète et en nombre suffisant d’enseignants d’EPS
dans les établissements scolaires. Le principe de son obligation, régulière-
ment rappelé par l’ensemble des textes officiels à travers notamment
l’évocation d’horaires officiels, traduit non seulement l’importance qui lui
est attribuée par le législateur mais aussi toute la difficulté de la mettre en

Science & Motricité n° 57 — 2006/1


Michaël Attali et Jean Saint-Martin 57

œuvre. Cette situation renvoie à la question de sa diffusion et aux pos-


sibilités d’accès de l’ensemble des élèves scolarisés, autrement dit à la
démocratisation de son enseignement. Si avant 1945, tout le monde s’ac-
corde pour affirmer l’important déficit d’enseignants pour en assurer
l’application (Saint-Martin, 1997), à la Libération les discours sont moins
unanimes et l’EPS semble enseignée à tous les élèves.
En réalité, derrière ces apparences, la démocratisation de l’EPS reste
une difficulté récurrente entre 1945 et 1981. En s’appuyant sur le nombre
d’enseignants d’EPS en exercice et non sur les postes budgétaires (Attali,
2004) et sur le nombre d’élèves scolarisés dans les établissements de l’en-
seignement secondaire public (3), nous tenterons de faire apparaître les
distorsions entre les volontés institutionnelles et leurs laborieuses mises
en œuvre. En outre, cette option méthodologique implique de développer
une démarche différenciée en fonction des statuts enseignants qui se mul-
tiplient entre 1945 et 1981 (Girault, 1996 ; Compagnon, Thévenin, 2001).
Entre 1945 et 1958, les effectifs de l’enseignement secondaire public
doublent quasiment. Cette situation traduit un désir important de scola-
risation. L’école représente un espace à investir pour espérer gravir les
échelons de la hiérarchie sociale (Robert, 1993). Alors que les structures
se modifient assez peu, le recrutement des enseignants s’accroît, notable-
ment pour assurer les horaires obligatoires de l’ensemble des disciplines
(Prost, 1981). En EPS, le nombre d’enseignants connaît, entre 1948 et
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1957, une augmentation de 19,8 %. Celle-ci est d’ailleurs irrégulière puis-
qu’en 1949-1950 on constate une diminution des effectifs enseignants (4)
tandis que le nombre d’élèves continue d’augmenter. Le décalage fla-
grant avec la croissance de la population scolaire montre aussi la faible
diffusion de l’EPS. Tous les enfants scolarisés ne profitent donc pas de cet
enseignement. Ce constat est confirmé lorsque l’on calcule le ratio natio-
nal d’élèves par enseignant. En effet, chacun d’entre eux doit prendre de
plus en plus d’élèves en charge (de 160,4 élèves en 1948/1949 à 202,1 en
1956/1957). Ainsi, entre 1948 et 1958, alors que le nombre absolu d’ensei-
gnants d’EPS augmente, le taux d’encadrement suit une progression in-
verse annihilant tout espoir de généralisation de cet enseignement.

(3) Durant notre période d’étude, les structures d’accueil évoluent dans des proportions
importantes. Elles regroupent en particulier les cours complémentaires ; les collèges d’ensei-
gnement général ; les lycées ; et les écoles professionnelles, techniques et agricoles. Les effec-
tifs bruts sont issus des études de l’INSEE publiées annuellement.
(4) Elle est due à des restrictions budgétaires et au contexte d’épuration qui touche les ensei-

gnants d’EPS (Attali, 2004).

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58 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

TABLEAU 1
Un encadrement déficitaire (1945-1958)

Nombre d’élèves
Nombre Nombre d’élèves
dans
Année d’enseignants par enseignant
l’enseignement
d’EPS 1 d’EPS
secondaire public
1945-1946 // 550 700 //
1946-1947 // 580 700 //
1947-1948 // 593 600 //
1948-1949 3 746 600 900 160,4
1949-1950 3 565 (-181) 630 100 176,7
1950-1951 // 665 900 //
1951-1952 3 886 674 200 173,5
1952-1953 4 098 (+212) 711 100 173,5
1953-1954 4 179 (+81) 738 300 176,7
1954-1955 4 281 (+102) 787 500 184
1955-1956 4 481 (+200) 839 100 187,3
1956-1957 4 672 (+191) 944 100 202,1
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1957-1958 // 1 035 400 //
1. Les chiffres entre parenthèses correspondent à la différence absolue par rapport à l’année précé-
dente.

En outre, en croisant les obligations de service des deux principales


catégories enseignantes à partir de 1950 (5) et les horaires obligatoires
d’enseignement (5 heures), la capacité d’encadrement d’un professeur
d’EPS et d’un maître d’EPS s’élève respectivement à 105 élèves et
135 élèves. Or les chiffres sur l’ensemble de cette période (tableau 1)
sont nettement supérieurs à ces estimations, et il paraît impossible de
proposer un enseignement équitable sur tout le territoire français. De
plus, l’affectation prioritaire des enseignants dans les zones urbaines ag-
grave ce phénomène. Le plus souvent, faute d’enseignant dans les éta-
blissements ruraux, l’EPS n’est pas inscrite dans les emplois du temps.

(5) Le décret du 25 mai 1950 fixe le temps de travail des professeurs d’EPS à 17 h d’enseigne-

ment obligatoire et 3 h au sein de l’association sportive ; les maîtres assurant pour leur part
un total de 25 h (22 h + 3 h).

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Enfin, la nature des établissements influe également sur l’offre d’ensei-


gnement d’EPS proposée. La situation dans le premier cycle est plurielle.
Alors que les cours complémentaires offrent un temps d’enseignement
moyen réduit en deçà des deux heures hebdomadaires par classe, les
collèges tendent à se rapprocher de l’horaire obligatoire. Quant aux ly-
cées, ils ne proposent souvent aucun cours d’EPS. En définitive, on perçoit
un enseignement à plusieurs vitesses en fonction des établissements (6) et de
la gestion d’un personnel dont le nombre s’avère nettement insuffisant au
regard des nouveaux besoins scolaires.

TABLEAU 2
Des apparences trompeuses (1958-1968)

Nombre d’élèves
Nombre Nombre d’élèves
dans
Année d’enseignants par enseignant
l’enseignement
d’EPS d’EPS
secondaire public
1958-1959 // 1 147 600 //
1959-1960 6 059 1 268 800 209,4
1960-1961 6 674 (+615) 1 531 600 229,5
1961-1962 7 395 (+721) 1 688 900 228,4
1962-1963 8 140 (+745) 1 859 300 228,4
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1963-1964 9 194 (+1024) 2 039 100 221,8
1964-1965 10 014 (+850) 2 278 700 227,6
1965-1966 10 905 (+891) 2 461 500 225,7
1966-1967 11 767 (+862) 2 557 700 217,4
1967-1968 13 030 (+1 263) 2 721 600 208,9

Le début du premier mandat du général de Gaulle est marqué par


les réformes scolaires engagées par son ministre de l’Éducation nationa-
le. Le 6 janvier 1959, J. Berthoin prolonge par ordonnance la scolarité
obligatoire à 16 ans et porte réforme de l’enseignement public par décret.
Ces mesures engendrent une « explosion scolaire » (Cros, 1961) dont les
chiffres du tableau 2 traduisent l’ampleur. Alors que, durant les années

(6) En effet, les élèves issus des catégories populaires suivent leur scolarité secondaire dans

les cours complémentaires, alors que ceux issus des catégories plus aisées sont inscrits dans
les collèges puis les lycées (Prost, 1981).

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60 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

1950, les effectifs augmentaient en moyenne de 5,1 % par an (tableau 1),


entre 1958 et 1968 l’accroissement atteint une moyenne de 9,3 % avec un
pic de 17,2 % en 1960-1961 (tableau 2). Pour faire face à ce bouleverse-
ment, les recrutements d’enseignants s’accélèrent. De nouveaux statuts
sont créés afin d’engager des personnels n’ayant pas obtenu les diplô-
mes jusque-là nécessaires (7) et réduire les temps de formation (Girault,
1996). L’EPS ne fait pas exception et le Haut commissaire à la Jeunesse et
aux Sports, M. Herzog, profite de cette situation pour augmenter son
budget (Martin, 1999). Au début de la décennie 1960, les effectifs connais-
sent un accroissement brutal avec l’arrivée chaque année d’une cohorte
de nouveaux enseignants. En près de dix ans, la capacité d’encadrement
double presque ; l’accroissement annuel oscille régulièrement entre 8 et
10 % (tableau 2). Chaque année, il est recruté quasiment autant d’ensei-
gnants que sur l’ensemble de la période précédente (tableau 1). On pour-
rait penser que ces mesures comblent les déficits horaires. Or le calcul du
ratio national élèves-enseignant montre que la réalité est plus complexe
et nettement moins à l’avantage de l’EPS. Si l’effort est manifeste, il ne
compense pas la déferlante démographique qui s’abat sur l’école. Bien
plus, la situation s’aggrave puisque le nombre d’élèves par enseignant
atteint des sommets en 1960-1961, interdisant l’application de l’horaire
obligatoire d’EPS (8). L’analyse locale confirme le paradoxe de cet extra-
ordinaire effort de recrutement, malgré tout nettement insuffisant face
aux effectifs des élèves scolarisés (Combeau-Mari, 1996).
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Alors que, dans la période précédente, l’EPS était supprimée dans
certains cas, sous l’effet de son obligation au baccalauréat (5 octobre
1959), l’État doit désormais assurer dans le second cycle un minimum
d’enseignement pour tous les élèves. La circulaire du 14 juin 1960, ren-
dant indispensable au moins deux heures hebdomadaires d’EPS, parti-
cipe de cette réduction des horaires, certes non officielle, mais effective
face à l’urgence. La moyenne nationale d’EPS s’établit ainsi au cours de
cette décennie aux environs de 2 h 30. Au-delà de ce chiffre qui ne reflète
pas la diversité des situations, les horaires apparaissent dépendants du
type d’établissement. Soumis aux contraintes du baccalauréat, les lycées
et les collèges d’enseignement technique proposent les temps d’ensei-

(7) En particulier, les statuts de professeurs adjoints, de chargés d’enseignement et de maî-


tres auxiliaires.
(8) Pour assurer cet horaire, le Ve Plan estime nécessaire de recruter 2800 enseignants d’EPS

en 1968, 1969 et 1970 pour ensuite maintenir le rythme à 2000 enseignants par an. Or les
recrutements entre 1968 et 1972 seront de 2860 enseignants.

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gnement les plus longs (plus de 2 h 30). Les collèges d’enseignement se-
condaire, qui accueillent les enfants issus des couches moyennes et
aisées de la population, offrent une plage de 2 h d’EPS. Enfin, les collè-
ges d’enseignement général, regroupant les catégories populaires, su-
bissent une réduction horaire importante avec parfois moins d’une
heure d’EPS par classe. En fin de compte, durant les années 1960, la dé-
mocratisation de l’EPS semble acquise sur des bases inégales. Le dyna-
misme des enseignants (9), l’incitation administrative (Martin, 1999) ou
les expériences de rénovation (10) de l’enseignement ne résistent pas face
à l’évidence d’une situation qui ne permet pas de proposer à tous les
enfants scolarisés des conditions d’enseignement équivalentes. Les 5 h
officielles d’EPS restent un leurre dans le système éducatif français. Les
planifications pédagogiques proposées sur cette base demeurent utopi-
ques au regard de la réalité vécue par les élèves et les enseignants.

Une adaptation à la réalité (1968-1981)


À partir de 1968, le ministère de la Jeunesse et des Sports instaure plu-
sieurs mesures concernant les enseignants d’EPS pour qu’ils participent
mieux au procès éducatif sans nécessairement inscrire leur discipline
dans l’emploi du temps hebdomadaire des enseignements obligatoires.
F. Missoffe, qui succède à M. Herzog en janvier 1966, envisage l’inter-
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vention de personnels non reconnus par le ministère de l’Éducation
nationale pour collaborer à l’éducation des élèves. La solution ultime
prévoit une EPS dispensée par des éducateurs sportifs dans des structu-
res annexes aux établissements scolaires. Sous-tendu par une volonté de
démocratisation et piloté par une logique libérale, l’avenir des ensei-
gnants d’EPS semble se situer au côté de l’école, à l’instar de leur disci-
pline qui, entre 1966 et 1981, est rattachée au ministère de la Jeunesse et
des Sports (Arnaud et Saint-Martin, 1998). Les nouvelles contingences
économiques, beaucoup moins favorables, et les doutes sur les liens en-
tre sport et éducation physique imposent une reconfiguration qui passe
par les aspects quantitatifs.

(9) Dans certains établissements, les enseignants regroupent par exemple les classes ou
développent le travail en équipes pour réduite les coûts horaires.
(10) L’analyse de la revue professionnelle E.P.S. en témoigne (pour exemple : Collectif, 1965).

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62 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

TABLEAU 3

Nombre d’élèves
Nombre Nombre d’élèves
dans
Année d’enseignants par enseignant
l’enseignement
d’EPS d’EPS
secondaire public
1968-1969 14 340 (+ 1 310) 2 984 700 208,1
1969-1970 15 459 (+ 1 119) 3 255 800 210,6
1970-1971 16 536 (+ 1 077) 3 432 300 207,5
1971-1972 17 616 (+ 1 080) 3 618 500 205,4
1972-1973 18 925 (+ 1 209) 3 793 900 200,4
1973-1974 20 134 (+ 1 209) 3 850 900 191,2
1974-1975 22 088 (+ 1 954) 3 916 200 177,3
1975-1976 23 140 (+ 1 052) 3 995 900 172,6
1976-1977 23 992 (+ 852) 4 066 600 169,5
1977-1978 // 4 072 300 //
1978-1979 25 524 4 100 600 160,6
1979-1980 // 4 113 800 //
1980-1981 27 100 4 107 300 151,5
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Même si, entre 1968-1969 et 1980-1981, on perçoit la rapide réduc-
tion du nombre d’élèves par enseignant d’EPS (-27 %), pouvant être in-
terprétée comme l’existence de meilleures conditions d’enseignement,
les chiffres présentés (tableau 3) illustrent un choix politique marqué par
la rigueur budgétaire. Face au tassement progressif de l’accroissement
scolaire annuel, les responsables successifs privilégient la gestion quan-
titative aux mesures qualitatives. Peu importe finalement la nature des
contenus d’enseignement ; seule la présence d’un enseignant face à une
classe d’élèves oriente les politiques éducatives (11). Tous les moyens sont
utilisés pour parvenir aux normes d’encadrement jugées indispensables.
Déjà à l’automne 1969, J. Comiti, qui succède à F. Missoffe, propose aux
maîtres d’EPS une augmentation de salaire de 50 % en contrepartie d’un
service hebdomadaire de 27-28 heures (Martin, 1999). Face à leur refus,
il opte finalement pour la diminution pure et simple de l’horaire obliga-
toire d’EPS (circulaire du 9 septembre 1971). Cette réduction drastique

(11) La multiplication des statuts en témoigne, comme celui des professeurs bivalents.

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des horaires sème le doute quant à la légitimité institutionnelle de l’EPS


(Attali et Saint-Martin, 2004).
Devant cette situation vécue par les enseignants d’EPS comme un
déni de leur utilité scolaire, le gouvernement persévère, réaménage au
besoin la carte scolaire et se livre à leur redéploiement. Avec la mise en
œuvre de cette politique, le ratio élèves-enseignant tombe sous la barre
des 200 à partir de l’année 1973-1974. Mais ce résultat est obtenu au prix
d’importantes concessions ; le gouvernement estime par exemple que
chaque enseignant peut effectuer en moyenne deux heures supplémen-
taires de cours par semaine (12).
L’année 1975-1976 marque une étape importante de cette politique
d’austérité. Au mitan des années 1970, le sport optionnel (13) devient le
modèle d’organisation privilégié, même s’il stigmatise les débats autour
du contenu de l’EPS à enseigner à tous (Attali, 2004). Avec la mise en
place des Centres d’Animation Sportive (circulaire du 1er juillet 1972)
puis, l’année suivante, celle des Sections Sport Études (SSE) (14), la logi-
que économique et libérale bouscule les positions des professionnels de
l’EPS (Goujeon, 2000 ; Attali, 2005). Cette stratégie structure finalement la
démographisation de l’EPS qui flirte désormais avec le champ extra-sco-
laire. Véritable cordon ombilical entre les associations sportives civiles et
l’EPS scolaire, le CAS représente la première étape de l’extra-scolarisation
de l’EPS.
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En devenant optionnel, le temps de l’initiation sportive comble appa-
remment le déficit des horaires d’EPS. La circulaire du 25 novembre 1971
mentionne que les heures passées par les élèves dans les CAS représentent
les « heures de sport complémentaires des heures d’EPS pratiquées dans
le cadre de l’établissement » (15). Habile sur le plan administratif (16) pour
rendre le sport accessible à tous, cette solution arithmétique défendue par

(12) Légalement autorisées depuis 1950, ces deux heures supplémentaires permettent de

résorber le déficit de personnel de 8,7 %.


(13) La circulaire du 5 octobre 1973 définit le sport optionnel comme « la forme d’options (spor-

tives) pratiquées en sus des heures d’EPS déjà dispensées dans l’établissement (scolaire) ».
(14) La circulaire du 15 novembre 1973, qui précise l’objectif et l’organisation de nouvelles

sections « sports-études », accroît l’intégration officielle d’éducateurs sportifs dans l’institu-


tion scolaire.
(15) Cinq mois plus tard, la circulaire du 24 mars 1972 prévoit même des transferts entre le

lycée et le collège d’une même localité, n’entraînant de ce fait aucun changement de rési-
dence pour les enseignants dont les postes sont ainsi transférés.
(16) Tous les textes publiés après le 9 septembre 1971 font encore référence aux 5 heures obli-

gatoires d’EPS au moins jusqu’en 1975.

Science & Motricité n° 57 — 2006/1


64 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

J. Chaban-Delmas ne résout pas la crise de l’EPS et remet en question les


missions des enseignants d’EPS du second degré.
Progrès pour les uns, le passage en force de ces mesures ne favorise
pas la sérénité et l’unanimité des enseignants. Alors que cette « victoire
à la Pyrrhus » (Martin, 2002) participe bon an mal an à la démocratisation
quantitative de l’EPS à l’école (tableau 3), cette propagande pro-sportive
met en évidence une stratégie politique de plus en plus discutée par les
organisations professionnelles des enseignants d’EPS (Attali, 2004).
En transformant progressivement les CAS en Service d’Animation
Sportive (SAS (17)) en 1977, P. Mazeaud puis J.-P. Soisson poursuivent ce
processus. Le plan de relance du 31 août 1978 représente l’expression la
plus aboutie de cette logique privilégiant les données quantitatives aux
exigences qualitatives. Le tableau 3 l’illustre par la baisse continue du
ratio élèves-enseignant, une première fois de 5 % en 1978-1979, puis de
nouveau de 5 % en 1980-1981, pour atteindre le chiffre de 151,5 élèves
par enseignant d’EPS (18). Tous les élèves ont désormais accès à un ensei-
gnement équitable sans toutefois préjuger de l’accessibilité de son con-
tenu dont la définition a été réduite à sa plus simple expression. À la
démocratisation quantitative de l’EPS doivent désormais être associées
des conditions qualitatives sans lesquelles tout enseignement de masse
se révèle voué à l’échec (Prost, 1992 ; Robert, 1993).
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Conclusion
Entre 1945 et 1981, les solutions gouvernementales pour démocratiser
l’EPS dans le système éducatif français se révèlent essentiellement quanti-
tatives. L’explosion des effectifs scolaires contrarie les prévisions optimis-
tes en matière d’horaires obligatoires et aboutit en EPS à la mise en
évidence d’un paradoxe. L’amélioration lente et progressive du ratio élè-
ves-enseignant d’EPS se produit au prix de concessions lourdes de consé-
quences en matière d’organisation de l’EPS et de légitimité scolaire. La
présente analyse met en évidence une politique fondée sur l’augmentation

(17) Les SAS, définis par les circulaires du 20 mars et du 10 mai 1977, poursuivent l’œuvre
des CAS d’une façon plus subtile car ils incitent les personnels enseignant l’EPS à élaborer
des projets à leurs convenances.
(18) Le plan Soisson prévoit notamment une réduction du forfait AS des enseignants d’EPS

de trois à deux heures et un accroissement de la durée d’enseignement obligatoire par ensei-


gnant. Les aspects économiques dominent en limitant le recrutement des professeurs et en
privilégiant celui des professeurs adjoints moins rémunérés.

Science & Motricité n° 57 — 2006/1


Michaël Attali et Jean Saint-Martin 65

des recrutements et sur le redéploiement des personnels qui semble ne pas


pouvoir se passer d’une baisse généralisée des horaires officiels d’éduca-
tion physique. Le contexte économique joue ainsi un rôle non négligeable
en interdisant une explosion des effectifs enseignants trop coûteuse, sur-
tout pour une discipline dont on émet des doutes sur sa pertinence éduca-
tive. À une période où l’école laisse de plus en plus place à l’initiative
individuelle, la démocratisation quantitative de l’EPS se traduit dans les
pratiques quotidiennes par une politique optionnelle marquée du sceau de
l’idéologie libérale et du pragmatisme gestionnaire. Cette situation illustre
finalement les analyses de P. Bourdieu (1993) selon lesquelles la démocra-
tisation rime avec mystification.

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66 Essai d’analyse quantitative de l’encadrement de l’EPS entre 1945 et 1981

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