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Epicure, La lettre à Ménécée – Extrait 1 

- Préambule - § 122 et début § 123 - p. 1 jusqu’à


« les éléments d’une vie bonne »

Épicure à Ménécée, salut.

Quand on est jeune, il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux, il ne faut
pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt, ni trop tard, pour travailler à la
santé de l’âme. Or, celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée, ou est
passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas
encore venue pour lui, ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc
philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les
jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en
face de l’avenir. Par conséquent, il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le
bonheur, puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous
faisons tout pour l’avoir.
Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te
répéter ; mets-les en pratique et médite-les, en comprenant que ce sont là les éléments
d’une vie bonne.

Objet de ce préambule, idées-clés de l’extrait


Epicure soutient ici que le bonheur est notre but, et qu’il faut nécessairement philosopher
pour atteindre ce but.
Il explique et illustre aussi en quoi consiste le bonheur, en prenant l’homme âgé comme
modèle possible de sérénité.

Analyse du premier axe : notre but est le bonheur et la philosophie est une condition du
bonheur

- Pour Epicure, le bonheur est un but majeur des hommes. Ce serait même le but de notre
existence. Cette idée apparaît ici comme une évidence qui n’a pas besoin d’être
démontrée. Epicure l’affirme, sans vraiment l’argumenter car cela ne fait pas débat pour lui :
tous les hommes souhaitent obtenir et garder un état durable d’équilibre. Epicure est donc
un penseur eudémoniste, comme beaucoup de philosophes grecs. L’eudémonisme place le
bonheur au centre de nos préoccupations et considère que c’est la finalité majeure de
l’existence. Epicure annonce d’emblée l’idéal à atteindre, la « santé de l’âme » (ligne 3). Il
présente donc le bonheur sous un terme concret (santé), compréhensible par tous. C’est un
idéal d’équilibre, de bien-être et de tranquillité avant tout psychologique  (âme). Mais dans
la suite de la Lettre, on verra que cela concerne aussi la santé du corps.

- Il s’explique surtout sur une condition essentielle du bonheur : la pratique de la


philosophie. Pour être heureux, il ne suffit pas de se laisser aller au hasard des circonstances
et d’attendre la chance. Epicure commence sa Lettre en conseillant vivement de se mettre à
philosopher, sans attendre, et sans s’arrêter. Refuser ou différer de philosopher, ce serait
refuser d’être heureux, ce qui serait absurde, impensable. Il n’y a donc pas d’âge pour
philosopher. C’est inutile d’attendre un âgé avancé pour philosopher, et il ne faut pas
s’arrêter une fois qu’on est âgé, car la philosophie est une activité constamment nécessaire
pour se procurer une vie heureuse. Epicure se démarque ici d’autres philosophes, qui
considèrent qu’il faut de la maturité, beaucoup de connaissances, pour philosopher. Platon,
dans la République, explique que la formation des philosophes doit durer pendant des
années, un travail propédeutique est nécessaire avant d’être en mesure de pouvoir
philosopher. Pour Epicure au contraire c’est une activité plus simple, où il faut acquérir
quelques grands principes et surtout penser à les appliquer. S’il est évident que le but de
l’existence est d’être heureux, alors il y a urgence et nécessité à philosopher, car il n’y a pas
de bonheur possible sans réflexion sur la manière de conduire sa vie. La philosophie est par
définition ou étymologie une « recherche de la sagesse » (philo : aimer-désirer-rechercher /
sophia : sagesse, savoir). Donc elle contribue à l’obtention du bonheur car le bonheur
implique la sagesse. L’homme en effet ne se contente pas de vivre comme l’animal,
l’organisme vivant, programmé par des instincts. Il doit déterminer par lui-même les moyens
de bien vivre, ce qui suppose de réfléchir, de raisonner. La philosophie est aussi et surtout
une mise en pratique des principes de sagesse. Ce n’est pas une activité simplement
théorique, visant la connaissance pure ; elle a aussi et surtout une finalité pratique, visant
l’existence concrète, l’action au quotidien, pour une vie de qualité. A la fin du
Préambule (début du § 123 : « Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te
donner… ; mets-les en pratique et médite-les… les éléments d’une vie bonne »), Epicure
souligne que la philosophie est un art de vivre, une éthique pour « bien vivre ». Il s’agit de
penser juste pour vivre bien : déterminer les causes de nos malheurs, pour mieux les
contrer, et connaître les moyens du bonheur, pour mieux les mettre en oeuvre. Par ce côté
pratique, la philosophie s’apparente à une médecine. Le but étant la « santé de l’âme », la
philosophie a un aspect thérapeutique. Elle est utile pour faire passer d’un état malade à
un état sain : il s’agit de guérir de maux, de maladies, qui sont les troubles de l’esprit, de se
délivrer de craintes ou espoirs sans fondement, de désirs vains, de passions excessives…

Analyse du deuxième axe : l’homme âgé comme modèle de sérénité  ; le bon rapport à
l’avenir

L’application des principes permet d’accéder au bonheur : l’ataraxie. Ce terme vient plus
loin dans la Lettre à Ménécée, et signifie  absence de troubles de l’âme, une paix intérieure.
Mais dès le début Epicure expose un exemple d’ataraxie, avec l’état d’esprit de l’homme
âgé. Cet exemple peut servir de modèle : il s’agirait pour chacun, surtout pour l’homme
jeune, de devenir « tranquille comme un ancien en face de l’avenir » (ligne 9-10), en se
libérant des peurs créées par les anticipations de l’avenir. Quand on est jeune, on est
facilement inquiet face à l’avenir, car on en attend beaucoup, or tout est incertain,
imprévisible, d’où un risque de troubles de l’âme. Soit on imagine le pire par une vision
catastrophiste, par peur, manque de confiance. L’angoisse perturbe et empêche alors de
profiter du bonheur présent. Il faut donc essayer de contenir l’imagination, de contrôler les
projections d’un avenir sombre (jamais certain), pour être aussi calme que l’homme âgé qui
ne craint plus l’avenir. Soit on imagine un avenir merveilleux, sous l’effet des désirs : on se
forge des illusions, des espoirs démesurés. Le risque est d’être déçu plus tard si la réalité
n’est pas à la hauteur des rêves. Il faut donc aussi réduire les emballements de l’imagination
créatrice de rêves trop beaux. L’ancien, l’homme âgé, dont la vie à venir est réduite, peut
être heureux, car il évite ces espoirs fous. Cet homme pourrait être malheureux parce qu’il
n’a plus beaucoup de rêves ou projets. Mais Epicure pense qu’on peut être heureux aussi
par un bon rapport au passé : chez l’ancien, le souvenir des jours agréables du passé fait
retrouver du bonheur. Etablir ce rapport au passé, suppose un travail sur soi, pour se
décharger des souvenirs pénibles (échecs…). Mais par cet effort pour sélectionner les
souvenirs, le bonheur est possible : l’homme âgé n’est plus dans l’intensité de la vie, mais
par la mémoire, en revivant grâce à elle les moments agréables, il peut être heureux.

Bilan : philosopher n’est pas seulement un moyen du bonheur, c’est une condition
indispensable pour y parvenir. Il faut à la fois réfléchir pour trouver les bons principes et les
mettre constamment en pratique. Après le Préambule, Epicure va entrer dans le détail des 4
« remèdes » essentiels à suivre pour atteindre la « santé », se rendre heureux. Le
tétrapharmakon (en grec), le quadruple remède.

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