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I. Principe :
Le principe du choix licite de la voie la moins imposée, qui n’est pas consacré explicitement
dans un texte légal, implique que toute personne a le droit de se placer dans une situation qui
ne rend pas l’impôt exigible ou de tenter de réduire sa charge fiscale.
Le choix licite de la voie la moins imposée découle du principe de légalité prévu à l’article
170 de la Constitution. Dès lors que l’impôt ne peut être prévu que par la loi, toute situation,
toute personne et toute chose qui ne remplit pas toutes les conditions légales pour que l’impôt
soit dû, échappe à cet impôt.
La méthode la plus simple est celle de l’évitement, à savoir, s’abstenir de poser l’acte qui rend
l’impôt exigible (par exemple, un contribuable renonce à une affaire et, par conséquent, au
revenu que celle-ci devait lui procurer, qui aurait été imposable à titre de revenu
professionnel).
Il est également possible de se placer en-dehors du champ d’application de la loi qui prévoit
un impôt, en réalisant l’objectif recherché par un autre acte juridique que celui qui est visé par
la loi et qui donne lieu à l’application d’un impôt.
Par exemple, l’article 32 du CIR 1992 prévoit que les loyers perçus par un administrateur de
société qui loue son immeuble à la société dans laquelle il exerce ses fonctions, sont
imposables à titre de rémunérations d’administrateur au-delà d’un certain seuil.
Pour éviter cette imposition, l’administrateur qui veut consentir à sa société un droit de
jouissance sur son immeuble, peut lui accorder un droit d’usufruit. Cette disposition légale
vise les loyers provenant d’un contrat de location et pas l’usufruit. En consentant à sa société
un droit d’usufruit, l’administrateur se place en dehors du champ d’application de cette
disposition légale.
Le principe du choix licite de la voix la moins imposée l’autorise à agir de la sorte et
l’administration ne peut pas lui reprocher d’avoir consenti un droit d’usufruit plutôt que
d’avoir conclu un contrat de bail.
Le choix de la voie la moins imposée est une liberté reconnue au contribuable et les actes
posés dans le cadre de ce choix sont opposables à l’administration. Il en est ainsi pour autant
que le contribuable ne viole pas la loi fiscale et respecte toutes les conséquences des actes
juridiques qu’il a posés.
C’est pour cela que l’on parle du choix licite de la voie la moins imposée. La recherche d’une
méthode permettant de réduire sa charge fiscale est une liberté et donc un droit, pour autant
qu’elle ne viole pas la loi fiscale.
Le contribuable qui cherche à réduire sa charge fiscale en violant délibérément la loi fiscale
commet le délit de fraude fiscale. Il poursuit le même but que celui qui fait usage du principe
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du choix de la voie la moins imposée, à la différence que cette attitude est illicite puisque le
contribuable évite l’impôt qui serait dû par la violation de la loi qui rend cet impôt applicable.
Ne constitue pas davantage une méthode valable de recherche de la voie la moins imposée, le
fait de poser des actes juridiques (contrats,…) dont on sait à l’avance que l’on ne va pas en
respecter les effets. Ces actes ne sont là que pour créer une situation que l’on veut opposer à
l’administration fiscale, mais qui ne correspond pas à la réalité. Il s’agit dans ce cas de la
simulation qui si elle est avérée, rend les actes simulés inopposables à l’administration.
Les limites classiques au choix licite de la voie la moins imposée sont d’une part, la fraude
fiscale et, d’autre part, la simulation.
Nous verrons également que le Législateur a introduit une disposition anti-abus qui vise à
restreindre le principe du choix licite de la voie la moins imposée lorsqu’il n’y a pas de fraude
fiscale, ni de simulation.
A. Notion :
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Exemples :
L’absence de déclaration de revenus professionnels imposables (les bénéfices « au noir »),
les fausses factures de frais professionnels (ce sont des factures qui ne correspondent pas à
une prestation réelle mais qui ont pour but de créer artificiellement des frais professionnels
qui réduisent la base imposable. Généralement, le montant de ces fausses factures est payé à
un tiers –société ou homme de paille- que le contribuable contrôle).
Les carrousels TVA sont une fraude fiscale particulièrement dommageable pour les pays
membres de l’Union européenne. Il s’agit d’une fraude qui permet de créer artificiellement un
crédit de TVA remboursable par l’Etat, alors que les taxes dues ne sont pas payées. Ce
mécanisme repose sur la création artificielle d’une vente (livraison de biens) exemptée de
TVA, à savoir, soit une livraison intracommunautaire de biens à un assujetti établi dans un
autre Etat membre, soit une exportation hors Union européenne, étant entendu que les biens
ne font pas l’objet de cette livraison ou exportation mais restent en Belgique ou dans l’Union
européenne. Le carrousel permet donc à l’assujetti qui a réalisé la fausse livraison
intracommunautaire de déduire les taxes qu’il a supportées tout en ne devant pas payer la taxe
lors de la vente couverte par une fausse opération exemptée.
La fraude de type carrousel repose donc sur des fausses factures puisque le circuit
économique réel du bien (les ventes successives) diffère du circuit de facturation (le bien est
censé avoir été exporté et le fraudeur dispose d’une facture de vente à l’exportation, mais en
réalité, il est revendu en Belgique en évitant la TVA). En principe, les personnes qui émettent
ces fausses factures sont des sociétés coquille-vide dont les fondateurs sont introuvables et
insolvables. Le but du carrousel est de créer un crédit TVA le plus important possible. Il faut
donc que le circuit mis en place fonctionne le plus longtemps possible avant que les
administrations fiscales ne se rendent compte qu’il s’agit d’une fraude. Les fraudeurs vont
donc compliquer le circuit le plus possible en faisant intervenir de vrais opérateurs
économiques (qui sont les victimes si ils n’ont pas conscience de leur participation au
carrousel), des sociétés écrans et des biens qui existent vraiment (certains carrousels ont été
faits avec des biens qui n’existaient pas, si ce n’est sur les factures).
Les grands carrousels qui ont été mis à jour concernent essentiellement, les voitures, les GSM
et les logiciels informatiques, mais il est possible de réaliser cette fraude avec tout autre type
de bien.
D’un point de vue commercial, le carrousel porte également atteinte aux règles de la
concurrence puisqu’il permet de réduire (de manière illégale) le prix de vente du bien en
évitant de payer la TVA qui est due à un stade donné du circuit (par exemple, la voiture qui
est, sur facture, vendue à l’étranger sans TVA, alors qu’en réalité elle est revendue en
Belgique, ce qui permet d’éviter la taxe qui est normalement due).
La fraude fiscale implique deux conséquences, d’une part, des poursuites pénales et d’autre
part, des amendes fiscales élevées qui atteignent en principe, le double de l’impôt éludé.
Puisque la fraude fiscale est un délit, elle expose le fraudeur à une plainte pénale qui peut être
déposée par l’administration fiscale concernée. A la suite de cette plainte, le dossier est mis à
l’instruction et un juge d’instruction est chargé de mener l’enquête, c.à.d., de rechercher tous
les éléments qui tendent à établir l’existence de la fraude, la culpabilité ou l’innocence de la
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personne en cause. Le juge d’instruction dispose de pouvoirs importants dans le cadre de cette
mission, tels que la détention préventive, les perquisitions domiciliaires, les écoutes
téléphoniques, …
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B. Les sanctions pénales applicables en cas de fraude fiscale:
1) La fraude fiscale :
Le délit de fraude fiscale est défini à l’article 449 du CIR 1992 qui dispose :
« Sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 250 euros à
500.000 euros, ou de l’une de ces peines seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse
ou à dessein de nuire, contrevient aux dispositions du présent Code ou des arrêtés pris pour
son exécution.
Si les infractions visées à l'alinéa 1er ont été commises dans le cadre de la fraude fiscale
grave, organisée ou non, le coupable est puni d'un emprisonnement de huit jours à 5 ans et
d'une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de l'une de ces peines seulement ».
S’agissant d’un délit, la fraude fiscale requiert la preuve de l’existence de deux éléments :
- un élément matériel qui consiste en la violation du CIR 1992 ou des arrêtés
royaux pris pour son exécution ;
- un élément moral : la violation de la loi, sciemment, en connaissance de cause,
dans le but de se procurer un avantage illicite qui est, en principe, d’éluder
l’impôt qui serait dû si la loi avait été respectée ou l’intention de nuire.
L’intention frauduleuse requise ne se limite pas à l’évitement de l’impôt, une
autre intention suffit, telle que par exemple, le but de dissimuler ses revenus
pour échapper à un créancier, bien qu’en pratique, la fraude fiscale est
généralement motivée par l’intention d’éviter l’impôt.
La constatation de faits qui peuvent être constitutifs de fraude fiscale met l’action publique en
mouvement, selon les règles de procédure pénale de droit commun, sous réserve de règles
particulières spécifiques au droit fiscal et qui seront examinées ultérieurement.
L’action publique commence par la phase d’information par le parquet et/ou par une mise à
l’instruction dont le but est d’enquêter à charge et à décharge sur les faits litigieux pour
déterminer s’ils sont constitutifs d’infraction ou non. Lorsque la phase d’instruction est
clôturée, les juridictions d’instruction, soit la chambre du conseil en première instance et la
chambre des mises en accusation en degré d’appel, décident si l’instruction révèle des indices
suffisants de fraude fiscale. Dans l’affirmative les auteurs et complices présumés de la fraude
sont renvoyés devant le tribunal correctionnel qui décide si les éléments constitutifs de
l’infraction de fraude fiscale sont établis et si c’est le cas, de la peine applicable.
La fraude fiscale définie à l’article 449 du CIR 1992 a un champ d’application très large, dès
lors que toute violation de la loi fiscale commise dans une intention frauduleuse constitue un
tel délit passible de poursuites pénales. Dans la pratique, il n’est pas souhaitable d’entamer
des poursuites pénales pour tout délit de fraude qui serait constaté, dans la mesure où
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l’appareil judiciaire, déjà encombré, serait dans l’incapacité de traiter un tel nombre de
dossiers. En pratique, donnent lieu à des poursuites pénales, les fraudes fiscales importantes et
celles qui peuvent paraître choquantes, dès lors qu’elles portent atteinte à l’ordre public.
2) Le faux fiscal :
Le faux fiscal est un faux en écriture commis dans un but de fraude fiscale. La notion de faux
répond à la définition du droit commun, soit une altération de la vérité dans un écrit destiné à
faire preuve et auquel la société accorde une confiance probatoire dans les relations sociales
ou économiques.
Le faux peut être matériel ou intellectuel. Un faux matériel consiste en une altération du
document écrit lui-même, par exemple, par l’insertion d’une fausse clause, d’une fausse
signature, par la suppression de mentions qui figurent dans l’écrit d’origine, par la fabrication
d’un faux document, la reproduction modifiée de documents originaux,…
Le faux intellectuel est la modification des éléments que l’écrit a pour but de constater. La
relation des faits qui figurent dans l’écrit est contraire à la réalité.
Il n’est pas requis que toutes les mentions de l’écrit soient contraires à la réalité, l’altération
d’une seule d’entre elles suffit, tel que par exemple, la date de la signature du contrat ou
l’identité d’une personne présente à une réunion du conseil d’administration d’une société
dans le procès-verbal de celle-ci.
S’agissant d’un délit, le faux fiscal requiert la preuve de l’existence de l’élément moral, soit,
d’une intention frauduleuse ou d’un dessein de nuire.
Pour qu’il y faux en écriture, il est nécessaire que le faux porte préjudice ou soit susceptible
de porter préjudice.
Le faux fiscal est défini comme suit à l’article 450, alinéa 1 er , du CIR : « sera puni d’un
emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de 250 euros à 500.000 euros ou de
l’une de ces peines seulement, celui qui, en vue de commettre une des infractions visée à
l’article 449, aura commis un faux en écriture publique, de commerce ou privées, ou qui
aurait fait usage d’un tel faux ».
La loi punit de la même peine l’auteur du faux et celui qui utilise le faux, même s’il n’en est
pas l’auteur.
Le faux fiscal est un faux en écriture dont le but est de commettre une fraude fiscale telle que
définie à l’article 449 du CIR 1992.
Un faux commis dans la déclaration fiscale ne constitue pas un délit de faux parce que la
déclaration n’est pas un écrit destiné à faire preuve d’un fait auquel il est accordé une
confiance dans les relations sociales et économique. Bien que l’article 314 bis du CIR 1992
prévoit que la déclaration a force probante pour l’application des dispositions du CIR 1992,
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l’article 339, alinéa 1er, du CIR 1992 précise l’étendue de cette force probante. Suivant cette
dernière disposition, « la déclaration est vérifiée et la cotisation est établie par
l’administration des contributions directes. Celle-ci prend pour base de l’impôt les revenus et
les autres éléments déclarés, à moins qu’elle ne les reconnaisse inexacts ».
Dès lors que l’exactitude des éléments déclarés est soumise au contrôle de l’administration,
ces éléments ne sont pas destinés à faire preuve tels quels. La déclaration a pour effet de
dispenser l’administration de la charge de la preuve des éléments déclarés pour établir la base
imposable lorsqu’elle admet leur exactitude. Dans le cas contraire, elle doit prouver que la
base imposable ne correspond pas à la déclaration et qu’il y a lieu de la rectifier.
Par contre, l’altération de la vérité dans une annexe à la déclaration fiscale peut être
constitutive de faux. Tel est le cas par exemple, d’un faux bilan joint à la déclaration pour
faire preuve de la base imposable.
L’article 450, alinéa 2, du CIR 1992 vise une catégorie spécifique de faux en écriture qui sont
les faux certificats. D’après cette disposition, « celui qui, sciemment, établira un faux
certificat pouvant compromettre les intérêts du Trésor ou fera usage de pareil certificat, sera
puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 250 euros à 500.000
euros ou de l’une de ces peines seulement ».
Le certificat est un témoignage écrit qui atteste de la véracité d’un fait ou d’une appréciation
personnelle de son auteur. La notion de certificat est proche de l’écrit protégé qui peut donner
lieu à un faux en écriture. La différence entre ces deux notions réside dans le fait que le
certificat est un témoignage écrit susceptible de faire naître des conséquences de fait ou de
droit, alors que l’écrit protégé constitue comme tel, dans une certaine mesure, la preuve d’un
fait (Com. IR/1992, n° 450/21). Constituent par exemple de faux certificats, une attestation
écrite de résidence d’un contribuable à l’étranger, alors qu’elle ne correspond pas à la réalité,
une fausse attestation relative au montant des revenus ou de la valeur des avantages en nature
perçus par le contribuable.
Les éléments constitutifs de l’infraction de faux ou d’usage de faux certificat sont les mêmes
que ceux du faux fiscal, à savoir, l’altération de la vérité dans un écrit, la possibilité que cette
altération cause un préjudice et l’élément intentionnel.
L’article 450, alinéa 2, du CIR 1992 a un large champ d’application parce qu’il vise tout
certificat susceptible de compromettre les intérêts du Trésor. Ainsi, la loi ne définit pas la
nature ou l’objet du certificat, mais s’applique aux certificats de toute nature dès qu’ils sont
susceptibles de porter préjudice aux intérêts du Trésor.
L’élément moral de l’infraction de faux certificat n’est pas un dol spécial (l’intention
frauduleuse ou le dessein de nuire), mais le fait d’agir « sciemment », c.à.d., d’établir un faux
certificat ou d’en faire usage en connaissance de cause. Le but recherché par le faux certificat
ou son usage doit être un avantage prévu par la loi fiscale, au détriment des intérêts du Trésor
(sans quoi, le faux certificat est une infraction de droit pénal commun, prévue à l’article 206
du Code pénal).
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2.3 La prescription du faux et de l’usage de faux fiscal :
En droit pénal commun, le délai de prescription de l’action publique des infractions de faux et
d’usage de faux prend cours lorsque le faut atteint son objectif ou lorsqu’il n’est plus en
mesure de l’atteindre, soit par la volonté du faussaire, soit indépendamment de celle-ci. En
effet, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « l’usage se continue même sans fait
nouveau de l’auteur du faux et sans intervention itérative de sa part, tant que le but qu’il
visait n’est pas entièrement atteint et tant que l’acte initial qui lui est reproché ne cesse pas
d’engendre, sans qu’il s’y oppose, l’effet utile qu’il en attendait » (Cass., 7 février 2007, R.G.
P.06.1491.F).
Dans les cas d’infractions de faux et d’usage de faux poursuivies pénalement, en principe,
deux procédures coexistent. Il s’agit d’une part, de l’action publique qui a pour objet de
déterminer si les infractions sont établies et dans l’affirmative, la peine applicable et, d’autre
part, de la procédure fiscale, qui vise à établir l’impôt légalement dû, soit celui qui résulte de
la situation réelle, que le faux et l’usage de faux ont pour but de modifier.
Se pose dès lors la question du point de départ de la prescription des infractions de faux et
d’usage de faux fiscal lorsque l’administration a dénoncé ces infractions au parquet et qu’elle
a rectifié la déclaration fiscale du contribuable afin d’établir l’impôt dû.
La chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles a considéré que le délai
de prescription de l’action publique commence à courir lorsque l’administration dénonce le
faux et l’usage de faux au parquet et procède aux rectifications fiscales des déclarations
fondées sur les faux. L’usage des pièces arguées de faux ne pouvaient plus dès ce moment,
continuer à tromper l’administration ou à lui nuire et à produire les effets voulus par l’auteur
du faux ou celui qui en fait usage. Dans le cas soumis à la Cour, les contribuables avaient
introduit des recours contre les rectifications fiscales (réclamations) et l’administration avait
décidé de ne pas statuer avant l’issue de la procédure pénale dont l’objet était d’établir le faux
et l’usage de faux. Plus de dix ans s’étaient écoulés depuis que l’usage des faux a pris fin par
la dénonciation de l’infraction au parquet et les rectifications fiscales (Bruxelles, ch. des mises
en accusation, 24 octobre 2007).
Par un arrêt du 21 mai 2008, la Cour de cassation a condamné cette jurisprudence au motif
que : « en punissant le faux en écritures publiques, de commerce ou privée, commis en vue de
contrevenir, dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire, aux dispositions du Code
des impôts sur les revenus 1992 ou des arrêtés pris pour son exécution, l’article 450 de ce
code ne tend pas à protéger la foi publique, mais vise, de manière spécifique, tant le faux qui
a pour but de tromper l’administration en vue du calcul de l’impôt sur les revenus que celui
qui tend à ne pas payer celui-ci ou à en retarder le payement » (R.G. P.07.1710.F).
Ainsi, la prescription du faux et de l’usage de faux fiscal ne commence pas à courir tant que le
contribuable n’a pas renoncé à sa réclamation contre l’impôt qui résulte de la rectification par
un désistement ou que les réclamations ne sont pas définitivement jugées. Tant que ces
conditions ne sont pas remplies, le but visé et l’effet utile du faux ne sont pas entièrement
atteints, dès lors que le contribuable continue à se prévaloir des pièces fausses à l’appui de sa
réclamation.
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Il est vrai que le faux ne peut plus tromper l’administration dès qu’elle dénonce les faits au
parquet. Toutefois, lorsque le faux est utilisé à l’appui de la procédure de réclamation contre
l’impôt établi, il continue à réaliser l’objet de ce faux fiscal, de sorte que l’usage se perpétue.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation est critiquée par la doctrine dans la mesure où elle
aboutit à retarder considérablement le point de départ du délai de prescription de l’infraction,
de manière dérogatoire au droit commun. Elle a été justifiée par la complexité des dossiers de
criminalité économico-financière et leur dimension internationale qui nécessite l’envoi de
commissions rogatoires à l’étranger et les lenteurs que cela implique (voy. les conclusions de
M. l’avocat général D. Vandermeersch, précédant Cass., 21 mai 2008, op. cit.).
Le Code des impôts sur les revenus prévoit trois catégories de sanctions administratives :
-les amendes proportionnelles (accroissements d’impôt) ;
-les amendes fixes ;
-l’interdiction de représenter le contribuable.
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lorsque le contribuable défend légitimement une interprétation de la loi différente de celle de
l’administration.
La bonne ou la mauvaise foi du contribuable intervient par contre pour déterminer le taux de
l’accroissement d’impôt. Les taux d’accroissements sont prévus aux articles 225 à 227 de
l’AR/CIR 1992.
L’article 225 de l’AR/CIR 1992 fixe l’échelle des accroissements en cas d’absence de
déclaration autre qu’en matière de précomptes mobilier et professionnel. Il n’y a pas
d’accroissement lorsque l’absence de déclaration est due à des circonstances indépendantes de
la volonté du contribuable. Lorsque le contribuable néglige de remettre sa déclaration sans
intention d’éluder l’impôt, l’accroissement est de 10 % pour une première infraction, puis
augmenté de 10 % à chaque nouvelle infraction jusqu’à la troisième infraction. A partir de la
quatrième infraction, l’absence de déclaration est considérée comme ayant été commise dans
l’intention d’éluder l’impôt et sanctionnée comme telle. Pour déterminer le taux
d’accroissement applicable en cas de récidive, les infractions antérieures sont négligées si
aucune infraction en matière de déclaration n’est sanctionnée pour les quatre exercices
d’imposition qui précèdent celui pour lequel la nouvelle infraction doit être pénalisée (article
227 AR/CIR 1992).
Le taux d’accroissement majoré pour une deuxième infraction ou une infraction subséquente,
n’est applicable que si, au moment où une nouvelle infraction a été commise, l’administration
a donné connaissance au contribuable de l’accroissement qui a sanctionné l’infraction
antérieure (article 229 AR/CIR 1992). Ainsi par exemple, le taux d’accroissement applicable
pour une première infraction est dû en cas d’absence de déclaration pour plusieurs exercices
d’imposition consécutifs, lorsque l’administration notifie au contribuable ces manquements au
même moment.
Lorsque l’absence de déclaration résulte d’une intention d’éluder l’impôt, la première
infraction donne lieu à un accroissement de 50 %. Le taux d’accroissement est de 100 % pour
une seconde infraction et de 200 % à partir de la troisième infraction. Si l’absence de
déclaration avec l’intention d’éluder l’impôt s’accompagne d’une inexactitude ou omission au
moyen d’un faux ou d’un usage de faux au cours de la vérification de la situation fiscale du
contribuable, ou d’une corruption ou d’une tentative de corruption de fonctionnaire,
l’accroissement est de 200 % dans tous les cas.
Pour pouvoir appliquer les taux d’accroissement prévus en cas d’intention frauduleuse,
l’administration doit prouver l’existence de cette intention, parce que cette intention est une
condition nécessaire pour les accroissements plus élevés prévus en cas d’intention
frauduleuse.
L’article 226 de l’AR/CIR 1992 prévoit les accroissements applicables en cas de déclaration
incomplète ou inexacte. Il s’agit d’une déclaration qui respecte les conditions de forme et de
délai, mais dont le contenu est inexact, ce qui nécessite une rectification par l’administration.
Les taux d’accroissement sont fixés de la même manière que pour l’absence de déclaration, en
fonction de l’absence ou de l’existence d’une intention frauduleuse et de la récidive.
L’article 228 du l’AR/CIR 1992 concerne les taux d’accroissement applicables à l’absence de
déclaration et à la déclaration incomplète ou inexacte en matière de précomptes mobilier et
professionnel.
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Lorsque l’administration entend appliquer un accroissement d’impôt, elle doit motiver tant les
motifs qui justifient l’accroissement que son taux. En principe, cette motivation se trouve dans
l’avis de rectification de la déclaration ou la notification d’imposition d’office (voy.infra).
L’obligation de motivation des accroissements d’impôt se fonde sur l’article 109 de la loi du
4 août 1986 portant des dispositions fiscales, suivant lequel, « chaque fois qu’une
administration fiscale adresse à un contribuable un avis par lequel il lui est réclamé une
amende administrative, cet avis mentionne les faits constitutifs de l’infraction et la référence
aux textes légaux ou réglementaires dont il a été fait application, et donne les motifs qui ont
servi à déterminer le montant de l’amende ». Cette disposition est applicable aux
accroissements d’impôt (C. const., n° 48/2001, 18 avril 2001).
L’article 444, alinéa 3, du CIR 1992 prévoit un plafond : « le total des impôts dus sur la
portion de revenus non déclarés et de l’accroissement d’impôt ne peut dépasser le montant
des revenus non déclarés ». Cette limite est applicable en cas d’intention frauduleuse, lorsque
le taux d’accroissement est d’au moins 50 %.
Lorsque le contribuable n’est pas de mauvaise foi, l’administration peut renoncer au minimum
de 10 % d’accroissement (article 444, alinéa 2, du CIR 1992). En pratique, l’administration
accepte souvent de renoncer à l’accroissement de 10 % lorsque le contribuable marque son
accord sur la rectification de sa déclaration.
L’accroissement d’impôt est enrôlé en même temps que le supplément d’impôt qui résulte de
la rectification de la déclaration fiscale. Il peut faire l’objet d’une réclamation auprès du
directeur régional compétent (voy. articles 366 et suivants du CIR 1992) et des recours
judiciaires, tout comme l’impôt lui-même.
Les amendes dites non proportionnelles ne consistent pas en un pourcentage de l’impôt dû,
mais en une somme d’argent, fixe dont le montant est compris entre 50 et 1250 euros. Cette
amende est applicable pour toute infraction aux dispositions di CIR 1992 et des arrêtés pris
pour leur exécution. Elle est établie par le fonctionnaire délégué par le conseiller général
(article 445 du CIR 1992).
Le champ d’application des amendes non proportionnelles est très large dès lors qu’elles sont
susceptibles de s’appliquer à toute infraction aux dispositions du Code des impôts sur les
revenus et aux arrêtés pris pour leur exécution. Contrairement aux accroissements d’impôt,
une amende proportionnelle peut être exigée même en l’absence de supplément d’impôt.
Ainsi par exemple, lorsque le contribuable néglige de remettre sa déclaration fiscale dans les
temps ou ne répond pas à une demande de renseignements que l’administration lui adresse, il
est passible d’une amende non proportionnelle.
Par ailleurs, le fonctionnaire délégué par le conseiller général applique une amende de
6.250 EUR en cas de non-respect de l'obligation prévue à l'article 307, § 1er/1, alinéa 1er, c,
§ 1er/3 et § 1er/4, c'est à dire de l'obligation de déclaration des constructions juridiques.
L'amende précitée est appliquée par année et par construction juridique non mentionnée.
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Enfin, le fonctionnaire délégué par le conseiller général compétent peut, pour une infraction
des dispositions des articles 321/1 à 321/6, ainsi que des arrêtés pris pour leur exécution,
appliquer une amende de 1.250 EUR à 25.000 EUR à partir de la deuxième infraction.. Pour
les infractions dues à la mauvaise foi ou avec intention d'éluder l'impôt, une amende de
12.500 EUR pourra être infligée pour la première infraction. À partir de la seconde infraction,
une amende de 25.000 EUR pourra être infligée. Ces dispositions sont relatives aux
obligations déclaratives en matière de prix de transfert.
L’application d’une amende non proportionnelle doit être notifiée par écrit au contribuable et
motivée. Elle est établie et recouvrée suivant les règles applicables à l’impôt des personnes
physiques (article 445, alinéa 2, du CIR 1992). L’amende non proportionnelle fait ainsi l’objet
d’un enrôlement. Elle peut être contestée par une réclamation introduite devant le directeur
régional des contributions dans le ressort duquel elle a été établie (article 366 du CIR 1992).
Le ministre des finances peut, par arrêté motivé, interdire à toute personne de représenter les
contribuables en qualité de mandataire, sauf pour les mandataires qui dépendent d’un ordre
professionnel légalement organisé ou qui exercent leur mandat en vertu de la loi ou d’une
décision judiciaire (article 446 du CIR 1992).
Le but de cette disposition est d’éviter que des personnes manifestement incompétentes ou
indélicates interviennent en qualité de mandataire dans la défense des intérêts des
contribuables. La compétence du ministre des finances est subsidiaire, dans la mesure où elle
ne s’exerce pas pour les professions qui dépendent d’un ordre professionnel prévu par la loi et
qui sont soumises à une discipline professionnelle. Il appartient à l’ordre professionnel de
veiller à la discipline de ses membres et de prendre les mesures disciplinaires nécessaires en
cas de violation des devoirs inhérents à la profession. Le ministre des finances n’est pas
davantage compétent lorsque le mandat résulte de la loi ou d’une décision judiciaire.
Le ministre des finances peut décider de la durée de l’interdiction en fonction des
circonstances, mais celle-ci ne peut excéder cinq ans. Dans le respect des droits de la défense,
le mandataire concerné doit, avant de faire l’objet d’une décision d’interdiction, être entendu
par un fonctionnaire du grade de conseiller au moins et peut se faire assister d’un conseil
(article 447 du CIR 1992).
L’arrêté ministériel ordonnant l’interdiction est publié au Moniteur belge, sauf si l’intéressé
exerce un recours devant le Conseil d’Etat. Dans ce dernier cas, la publication n’a lieu que si
l’arrêté n’est pas annulé par le Conseil d’Etat (article 448 du CIR 1992).
1. L’intérêt de la question :
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Si les amendes fiscales ont la nature d’une peine au sens de l’article 6 de la CEDH, elles
doivent pouvoir faire l’objet d’un recours devant un tribunal indépendant et impartial établi
par la loi.
Or, l’article 9 de l’arrêté du Régent n° 78 du 18 mars 1831 prévoit que : « le ministre des
finances statue sur les réclamations ayant pour objet la remise d’amendes et d’augmentation
de droits à titre d’amendes, autres que celles prononcées par le juge, et arrête les
transactions entre l’administration et les contribuables, dans les cas où elles sont autorisées
par la loi ».
Ainsi, seul le ministre des finances ou, en pratique, le directeur régional territorialement
compétent, peut connaître d’un recours dont l’objet est la remise ou la réduction d’une
amende fiscale.
Les cours et tribunaux ne peuvent connaître que de la légalité d’une amende fiscale et ne sont
pas compétent pour examiner le fond et accorder une réduction ou la remise d’une amende
fiscale. Par exemple, le contribuable peut contester devant le tribunal la légalité d’un
accroissement de 50 % au motif que l’administration ne démontre pas l’existence d’une
intention frauduleuse, parce que cette intention constitue une condition d’application d’un tel
taux d’accroissement. Le tribunal n’est par contre pas compétent pour connaître d’une
demande de réduction de cet accroissement fondée sur des circonstances de fait, dès lors que
cette demande porte sur l’appréciation du bien-fondé de l’accroissement.
Ces règles de procédure de droit interne posent problème quant à leur conformité avec
l’article 6 de la CEDH. En effet, le ministre des finances ou le directeur régional qui statue sur
une demande de remise ou de réduction d’une amende fiscale n’est pas « tribunal
indépendant et impartial » au sens de l’article 6 de la CEDH. En effet, il est à la fois l’autorité
hiérarchique du fonctionnaire qui a décidé de l’application de l’amende et l’instance chargée
de trancher le recours contre cette amende.
Si les amendes fiscales ont la nature d’une peine au sens de l’article 6 de la CEDH, les cours
et tribunaux sont compétents pour connaître d’une demande de remise ou de réduction de
celles-ci et doivent exercer une compétence de pleine juridiction, à savoir, disposer du même
pouvoir d’appréciation que le ministre des finances ou le directeur régional chargé de trancher
un recours contre une amende fiscale.
Les principes applicables aux peines, tels que la règle non bis in idem, le sursis à l’exécution
doivent être transposés aux amendes fiscales si elles ont la nature d’une peine.
Ces questions font l’objet de développements récents dans la jurisprudence interne.
13
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et
dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera soit, des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, soit du bien-
fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu
publiquement, mais l’accès à la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public
pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou
de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée
strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité
serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2.Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa
culpabilité ait été légalement établie », (…).
14
Les deux derniers critères sont alternatifs et non cumulatifs. L’article 6 de la Convention est
applicable lorsque l’infraction en cause est par nature « pénale » au sens de la Convention, ou
expose l’intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, relève, en général,
de la « matière pénale ». Si l’analyse séparée de chacun de ces critères ne permet pas
d’aboutir à une qualification claire quant à l’existence d’une « accusation en matière
pénale », il y a lieu d’adopter une approche cumulative de ces deux critères (C.E.D.H.,
Oztürk, 21 février 1984, Série A, n° 73, p. 18 ; C.E.D.H., JANOSEVIC, 21 mai 2003, n° 65 et
suivants).
La Cour européenne des droits de l’homme a décidé que les garanties de l’article 6 de la
Convention sont applicables aux amendes et sanctions administratives qui peuvent, dans
certaines conditions, constituer une peine de nature pénale. A ce titre, les garanties attachées
au procès équitable sont applicables à une telle sanction administrative.
En droit interne, la Cour constitutionnelle et les juridictions de fond considèrent que les
garanties prévues par l’article 6 de la CEDH sont applicables aux amendes fiscales.
La Cour de cassation a récemment confirmé que les garanties de l'article 6 pouvaient être
applicables aux sanctions fiscales. L'amende était relative à l'eurovignette.
L'eurovignette avait en l'espèce expiré depuis plus d'un mois. Conformément aux dispositions
légales et réglementaires, une amende administrative était réclamée pour cette infraction.
Cette amende est égale à 100 % du montant impayé, étant entendu que l'amende ne peut
jamais être inférieure à 250 EUR ni supérieure à 1.550 EUR.
La Cour d'appel de Gand avait décidé que cette amende revêtait un caractère pénal. Faisant
usage du pouvoir de contrôle dont le juge dispose en pareil cas en vertu de l'art. 6 de la
CEDH, elle estima qu'une amende de 100 % est disproportionnée par rapport à l'infraction
commise. La Cour avait constaté, en effet, que l'entreprise n'avait encore jamais enfreint la
réglementation relative à l'eurovignette. Elle fit par ailleurs observer que l'entreprise s'était
immédiatement mise en règle après la constatation de l'infraction, avant même que l'amende
ne soit infligée. Selon la Cour, une amende de 250 EUR aurait suffi pour inciter l'entreprise à
respecter plus scrupuleusement ses obligations fiscales à l'avenir (Gand, 12 mai 2015).
La Cour de cassation rejette le pourvoi introduit par la Région flamande. Celle-ci estimait
apparemment que l'amende n'était pas exagérément lourde et qu'elle devait être qualifiée
d'amende purement administrative. Mais la Cour de cassation rappelle que la circonstance
qu'une sanction fiscale n'ait pas de qualification pénale en droit interne n'exclut pas qu'elle
puisse avoir un caractère pénal au sens de l'article 6 de la CEDH. Tel est le cas, notamment,
lorsque la disposition violée s'adresse à tous les citoyens en leur qualité de contribuables et
que la mesure ne vise pas à réparer un préjudice pécuniaire, mais poursuit en substance un but
préventif et punitif. La Cour ajoute que la circonstance que la sanction fiscale soit légère n'a
pas pour conséquence qu'elle soit soustraite à l'application de l'article 6.1. de la CEDH. Dès
lors qu'en l'espèce, l'amende n'a pas une fonction indemnitaire, mais vise en substance à punir
et à éviter la répétition d'infractions, la Cour de cassation estime qu'elle a indubitablement un
caractère pénal.
15
Selon la Cour de cassation, le juge pouvait donc examiner si la peine n'était pas
disproportionnée par rapport à l'infraction et si l'Administration pouvait raisonnablement
infliger une amende administrative d'une telle ampleur. La Cour rappelle à cet égard que le
juge peut particulièrement tenir compte de la gravité de l'infraction, de l'importance des
sanctions déjà infligées, de la manière dont il a été statué dans des causes similaires et de
l'impact de la sanction pour la personne concernée, mais qu'il doit, ce faisant, "tenir compte de
la mesure dans laquelle l'Administration était elle-même liée par la sanction". Une remise ou
réduction de l'amende qui va à l'encontre de la loi et qui est basée sur une appréciation
subjective de ce qui est raisonnable ne saurait être admise. En l'espèce, la Cour de cassation
décide que l'arrêt de la Cour d'appel relève suffisamment d'éléments objectifs qui justifient la
réduction de l'amende sur base du principe de proportionnalité (Cass., 21 septembre 2018,
F.17.0141.N, www.cass.be).
Dans les cas de fraude fiscale, le redevable d’impôt peut se voir infliger à la fois l’amende
fiscale prévue par les Codes fiscaux et une peine pénale décidée par le tribunal correctionnel
si l’infraction de fraude fiscale est établie.
Dès lors qu’une amende fiscale est une peine au sens de l’article 6 de la CEDH, le cumul des
amendes fiscales et des peines pénales est-il encore possible en raison de l’adage non bis in
idem ?
Depuis la loi du 5 mai 2019, l'article 450bis du CIR prévoit que:
"Afin d'éviter qu'un condamné soit soumis à une peine déraisonnablement lourde, le juge
tient compte, dans la fixation de la peine, des amendes administratives et accroissements
d'impôt dus" (cette disposition entre en vigueur à une date qui sera fixée par le Roi et au plus
tard le 1er janvier 2020 en vertu de son art. 200, al. 3).
Par ailleurs, depuis la même loi du 5 mai 2019, l'article 29 bis du Code d'instruction
criminelle dispose, en son alinéa 2:
« Lorsque l'administration fiscale établit des impôts incluant les centimes et décimes
16
additionnels, les accroissements et les amendes administratives et fiscales pour des
infractions visées à l'alinéa 1er, cela ne constitue pas une entrave à l'action publique dans la
mesure où le traitement fiscal et pénal des faits font partie d'un tout cohérent d'un point de
vue temporel et matériel." (EEV 1/1/20).
Le principe non bis in idem implique qu’une deuxième condamnation pénale de la même
personne pour les mêmes faits soit exclu s’il y a déjà eu une première condamnation définitive
à caractère pénal. Différentes conventions internationales consacrent ce principe : l’article
14.7. du Pacte international relatif au droit civil et politique, la Convention européenne des
droits de l’Homme (article 6 et, l’article 4.1. du Protocole n°7) et l’article 50 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne.
Le législateur fédéral belge avait tenté d’inclure ce principe dans le droit belge : il s’agissait
de la loi Una Via du 20 septembre 2012. La Cour constitutionnelle a toutefois censuré ce texte
estimant que le législateur ne réglait pas la situation dans laquelle un contribuable était
d’abord sanctionné administrativement (amendes ou accroissements d’impôts) et faisait
ensuite l’objet de poursuites judiciaires. La Cour constitutionnelle avait donc annulé la loi sur
cet aspect (arrêt n°61/2014 du 3 avril 2014).
Ainsi que précisé ci-dessus, la Cour européenne des droits de l’Homme a nuancé le principe
non bis in idem dans un arrêt dans un arrêt du 15 novembre 2016 (n°24130/11 et 29758/11).
Les faits soumis à la CEDH étaient relatifs à une procédure impliquant une fraude fiscale pour
lesquels une amende fiscale à caractère pénal était réclamée ainsi qu’une sanction pénale.
La Cour y décide que des procédures parallèles peuvent être entamées et terminées à charge
d’une seule et même personne et pour les mêmes faits, sans que les sanctions résultant de ces
procédures ne constituent une violation du principe non bis in idem.
17
Dans ce cas, la Cour européenne a admis qu’il n’y avait pas de double sanction interdite si les
procédures menées en parallèle formaient des composantes d’un système de sanction intégré
et cohérent.
Cela signifiait selon la Cour que les procédures devaient être unies par un lien matériel et
temporel suffisamment étroit.
1/les procédures doivent viser des buts complémentaires (elles doivent concerner des aspects
différents de l’acte préjudiciable).
2/La mixité des procédures doit être une conséquence prévisible pour la personne sanctionnée.
3/Il faut éviter autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l’appréciation des
éléments de preuve.
4/Enfin, la sanction qui est imposée dans l’une des procédures (la première qui arrive à son
terme) doit être prise en compte lors de la fixation de la sanction dans l’autre procédure.
Le lien temporel implique enfin que l’espace temps entre les procédures soit suffisamment
court pour que le justiciable ne soit pas en proie à l’incertitude et à des lenteurs, et que les
procédures ne s’étalent trop dans le temps.
La Cour européenne de justice a statué dans le même sens (20 mars 2018, Affaire C-524/15)
(C.J.C.E., 26 février 2013)
III. La simulation :
La simulation consiste à faire semblant de conclure un acte juridique tout en sachant d’emblée
que cet acte ne sera pas respecté. Les parties signent vraiment le contrat dans le but de créer
une apparence et de tromper les tiers (l’administration fiscale) et conviennent immédiatement
que ce contrat ne sera pas respecté.
D’une manière plus formelle, il y a simulation lorsque les parties font un acte apparent dont
elles conviennent simultanément de modifier ou de détruire les effets par un autre acte,
18
destiné à rester secret (H. De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », 3ème édition, T.
II, n° 618).
La simulation peut être établie lorsqu’il apparaît que les parties ne respectent pas tous les
effets de l’acte qu’elles ont conclu. Cet acte ne correspond donc pas à leur volonté réelle, ce
qui signifie qu’elles ont convenu d’un autre acte qui lui reflète leur volonté.
Cet autre acte est secret et est conclu en même temps que l’acte apparent. Cette simultanéité
est importante parce qu’elle permet de distinguer la simulation de la simple modification d’un
acte juridique.
Il n’y a pas simulation lorsque les parties concluent un contrat (par exemple une vente) puis
décident de modifier un élément de ce contrat (par exemple le prix et les conditions de
livraison) par un avenant au contrat. Deux éléments distinguent ce cas de figure de la
simulation :
-d’une part, le contrat et sa modification ne sont pas simultanés : les parties concluent d’abord
une vente, puis dans un second temps, généralement en raison de la survenance d’un
événement, elles modifient un élément de ce contrat de vente ;
-d’autre part, il n’y a pas d’acte secret, mais deux actes successifs qui peuvent être montrés
aux tiers et dont les parties acceptent toutes les conséquences.
Lorsque l’administration prouve qu’un acte est simulé (c.à.d., lorsque les parties n’en
respectent pas tous les effets), cet acte n’est pas opposable à l’administration, ce qui signifie
qu’elle peut faire comme si l’acte n’existait pas.
La simulation peut porter sur tous les éléments constitutifs de l’acte et même sur l’acte tout
entier.
-Un élément de la convention : par exemple, le contrat de vente d’un immeuble prévoit un
prix, alors qu’en réalité les parties ont convenu d’un prix supérieur. La différence (le dessous
de table) constitue l’élément simulé.
-La nature juridique de la convention : les parties concluent un contrat de vente qui implique
nécessairement, le transfert de la propriété d’une chose et le payement d’un prix équivalent.
En réalité, les parties conviennent que le prix ne sera pas dû par l’acheteur. Cet acte, qui
correspond à la volonté réelle des parties est une donation et il détruit un des éléments
19
constitutifs du contrat de vente, soit le prix. L’administration pourra prouver que le contrat de
vente est simulé et considérer que les parties ont conclu une donation si par exemple, elle
établit que le prix prévu dans le contrat n’est pas réellement payé par l’acheteur, parce que le
vendeur le lui a restitué ou parce que le vendeur a donné à l’acheteur une somme équivalente
au prix peu avant la signature du contrat de vente et que cette somme sert à payer le prix.
-Les parties à la convention : c’est le mécanisme du prête-nom (homme de paille) ou encore
de la convention conclue par interposition de personnes. Par exemple, une personne souhaite
acheter les actions d’une société mais ne dispose pas officiellement des moyens nécessaires au
payement du prix (le montant du prix risque d’être taxé dans son chef à titre de signes ou
indices d’aisance supérieure à celle que permettent les revenus déclarés). Elle va donc charger
une autre personne de conclure le contrat à sa place. Cette autre personne n’est pas le véritable
acheteur mais elle agit pour le compte de l’autre et selon ses instructions. L’identité de
l’acheteur dans la convention est simulée.
-La totalité de l’acte : l’acte tout entier peut être simulé, c’est le cas du contrat qui ne
correspond à aucune réalité. Par exemple, un contribuable conclut une convention de
prestation de services avec un tiers et paie les factures prévues par ce contrat dans le seul but
de déduire des frais professionnels, alors que les prestations n’existent pas. Tout est faux dans
ce cas.
-La cause de la convention : la cause est un élément constitutif d’un contrat et constitue le
mobile déterminant qui a incité une partie à conclure ce contrat (par exemple dans le cas d’un
contrat de vente, l’acheteur contracte dans le but de devenir propriétaire de la chose vendue,
telle est la cause du contrat). Récemment, la jurisprudence a admis que la simulation pouvait
porter sur la cause de la convention. Tel est le cas par exemple lorsqu’une partie du bénéfice
d’un contrat est transféré sur un autre contrat de manière artificielle. Une personne physique
peut céder son activité professionnelle dont sa clientèle, à une société dans le but d’alléger la
pression fiscale (choix licite de la voie la moins imposée), mais la cause du contrat de vente
de ses actifs professionnels, dont la clientèle peut être simulée lorsque le prix de la cession est
manifestement excessif par rapport à la valeur des éléments d’actif et que la société ne paie
pas après la cession, de rémunérations de dirigeant d’entreprise à la personne physique. Une
partie du prix de vente des éléments d’actif déguise en réalité la rémunération de l’activité
exercée par la personne physique au sein de la société. Si la simulation est établie, la partie
excessive du prix de cession peut être considérée comme une rémunération de dirigeant
d’entreprise.
La simulation suppose le non-respect de tout ou partie des effets juridiques d’un acte. En
conséquence, dès que les parties respectent tous les effets juridiques des actes qu’elles ont
conclus ces actes sont opposables aux tiers, dont l’administration fiscale, même si ces actes ne
sont pas normaux d’un point de vue économique.
L’administration a essayé de restreindre le champ d’application du choix licite de la voie la
moins imposée en tentant d’étendre la notion de simulation.
Une première tentative résulte de la notion de fraude à la loi.
LA FRAUDE A LA LOI :
20
Il y a fraude à la loi lorsque les parties utilisent un procédé juridique qui n’est ni simulé, ni
illicite, mais qui est anormal pour échapper à une loi qui normalement aurait été applicable.
Par exemple, l’arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 1961, dit arrêt Brépols :
Une société avait fait l’apport de ses actifs à une autre société et lui avait ensuite consenti un
prêt important avec un taux d’intérêt variable en fonction des bénéfices de cette société, de
manière à ce que les charges financières du prêt neutralisent ses bénéfices. La Cour d’appel de
Bruxelles a assimilé le prêt à un apport parce que selon elle, les conventions concluent entre
les sociétés trahissent une volonté de fraude à la loi en ce qu’elles ont été réalisées dans le but
de réduire de la manière la plus large possible les bénéfices de la société en en augmentant les
charges.
La théorie de la fraude à la loi a été condamnée par la Cour de cassation dans le célèbre arrêt
Brépols en ces termes : « il n’y a ni simulation prohibée à l’égard du fisc, ni, partant, fraude
fiscale, lorsque, en vue de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable, les parties, usant de la
liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes
dont elles acceptent toutes les conséquences, même si la forme qu’elles leur donne n’est pas
la plus normale ».
D’après cet arrêt, il n’y a ni simulation, ni fraude fiscale lorsque les parties acceptent toutes
les conséquences des actes qu’elles posent, même si ces actes ne sont pas les plus normaux et
ont pour but de réduire la charge fiscale.
LA REALITE ECONOMIQUE :
21
toutes les conséquences, « même si ces actes sont accomplis à seule fin de réduire la charge
fiscale ».
Suivant cette jurisprudence, on peut donc conclure des actes juridiques dont les parties
respectent toutes les conséquences, même si ces actes ne sont pas normaux d’un point de vue
économique et ont été établis dans le seul but de réduire la charge fiscale. Ces actes sont
opposables à l’administration fiscale.
EVOLUTION POSSIBLE ?
La Cour de cassation a considéré dans un arrêt isolé, qu’un acte dont les parties acceptent
toutes les conséquences est non simulé mais n’est pas opposable à l’administration fiscale
lorsqu’il viole une disposition d’ordre public autre que fiscale.
Il s’agissait de la vente d’une officine de pharmacie à une société pour un prix qui excédait le
prix maximum autorisé selon une réglementation relative à la cession des officines
pharmaceutiques, d’ordre public. Les parties ont respecté la convention de vente, mais cette
convention violait la réglementation précitée.
Le pharmacien a été taxé sur la plus-value réalisée lors de la cession, calculée sur base du prix
prévu par la convention (et réellement payé), tandis que l’administration a considéré que la
société ne pouvait pas déduire l’amortissement calculé sur la partie du prix des éléments
d’actif qui excède le maximum autorisé par la réglementation.
La Cour de cassation a admis la thèse de l’administration dans un arrêt du 5 mars 1999. Elle a
d’abord précisé que la convention de vente n’était pas simulée parce que les parties en ont
accepté toutes les conséquences, mais que l’administration pouvait demander que cette
convention ne lui soit pas opposable parce qu’elle est contraire à une disposition d’ordre
public.
Cet arrêt consacre la conception de l’ « école de Gand » à propos du choix licite de la voie la
moins imposée. Suivant cette conception, le choix licite de la voie la moins imposée est
applicable à la condition que les conventions conclues par les parties soient conformes à la
loi, à savoir toutes les lois et pas seulement la loi fiscale. Si ce n’est pas le cas, la convention
dont les parties acceptent toutes les conséquences, ne sera pas opposable à l’administration (le
principal représentant de l’école de Gand est le professeur S. Van Crombrugge).
L’administration a soutenu qu’une dépense qui ne s’inscrit pas dans l’objet social d’une
société n’est pas déductible au sens de l’article 49 du CIR 1992 parce qu’elle n’a pas été
exposé pour acquérir ou sauvegarder des revenus professionnels.
Elle s’est fondée sur le principe de la spécialité statutaire suivant lequel une société ne peut
agir en-dehors des limites de son objet social.
En poussant cette logique jusqu’au bout, il faudrait alors considérer que les bénéfices réalisés
en-dehors de l’objet social d’une société ne sont pas imposables. Mais ceci est contraire au
principe suivant lequel le droit fiscal se fonde sur la réalité.
23
Cette conception a été développée dans le cadre des opérations dites QFIE.
Il s’agit d’un mécanisme de destruction de base imposable suivant lequel une société achète
des obligations étrangères peu de temps avant l’échéance du coupon en recourant à l’emprunt.
A l’échéance, la société encaisse les intérêts avec une retenue à la source à l’étranger, puis
revend les obligations peu de temps après. Les obligations sont revendues moins chers que le
prix d’achat puisque le coupon a été encaissé, de sorte que la société réalise une perte.
Ce mécanisme permet de déduire de la base imposable les intérêts de l’emprunt contracté
pour acheter les obligations, la perte réalisée lors de la revente de ces obligations et d’imputer
sur l’impôt belge relatif aux intérêts, une quotité forfaitaire de l’impôt retenu à la source à
l’étranger sur ces intérêts, prévue par les Conventions préventives de la double imposition
(QFIE).
Ce mécanisme a été proposé massivement par les banques à leurs clients à la fin des années
1980 et au début des années 1990. Les banques calculaient le nombre d’obligations à acheter
et le montant de l’emprunt pour cette acquisition qui étaient nécessaire pour anéantir la base
imposable du client.
Sauf si ces sociétés avaient pour activité statutaire l’achat et la vente de titres, cette opération
ne s’inscrivait pas dans l’objet social des sociétés concernées.
L’administration a ainsi soutenu que les intérêts et pertes ne sont pas déductibles parce qu’ils
proviennent d’une activité étrangère à l’objet social de la société et qu’ils n’ont dès lors pas
été exposés pour acquérir ou conserver des revenus imposables.
La Cour de cassation a suivi l’administration et a décidé que les dépenses d’une société
commerciale sont des frais professionnels déductibles à la condition qu’elles soient inhérentes
à l’exercice de la profession, c.à.d., qu’elles se rattachent nécessairement à l’activité sociale
(Cass., 19 juin 2003).
Suivant cette jurisprudence, les dépenses et les pertes générées par les montages QFIE ne sont
pas déductibles.
La Cour de Cassation vient de procéder à un revirement de sa jurisprudence.
La Cour considère désormais qu’il ne ressort pas de l’article 49 du CIR 1992 que la déduction
des dépenses d’une société serait subordonnée à la condition qu’elles soient inhérentes à son
activité sociale, telle qu’elle résulte de son objet statutaire.
Dans le cadre des opérations QFIE, l’administration avait soutenu avec succès que les
dépenses et pertes générées par ces opérations ne sont pas déductibles parce qu’elles relèvent
de la simulation.
Il est en effet établi que le but de l’opération n’est pas de réaliser un bénéfice, mais qu’elle
aboutit à une perte délibérée dont le montant est connu à l’avance, dans le seul but d’anéantir
la base imposable.
La Cour de Cassation vient de condamner cette conception également.
La Cour constate que dans les opérations QFIE, les sociétés perçoivent des intérêts produits
par les obligations, qui constituent des revenus imposables. Dès lors, les intérêts de l’emprunt
contracté pour acquérir ces obligations et la perte réalisée lors de la revente de ces obligations
ont été exposés dans le but d’acquérir un revenu professionnel.
24
La condition de l’article 49 du CIR suivant laquelle la dépense doit être exposée en vue
d’acquérir ou de sauvegarder des revenus professionnel est bien remplie, indépendamment du
fait que le but de l’opération n’était pas tirer un bénéfice de l’opération, mais d’obtenir un
avantage fiscal (Cass., 11 septembre 2014, F.13.0053.F ; Cass., 4 juin 2015, F.14.0165.F et
F.14.0185.F/F.14.0189.F).
Tout récemment, la Cour de cassation a confirmé que la circonstance qu'il n'y a pas de rapport
entre une opération réalisée par une société et son activité sociale ou son objet statutaire
n'exclut pas en tant que telle que les frais relatifs à de telles opérations puissent être qualifiés
de frais professionnels déductibles (Cass., 21 juin 2019, F.15.0067).
EXEMPLES DE SIMULATION :
Une société est mise en liquidation en décembre 2002. Quelques jours plus tard, les
mêmes actionnaires constituent une nouvelle société qui reprend tous les actifs et
passifs de la société liquidée et poursuit exactement la même activité.
L’administration considère que la liquidation est simulée parce qu’elle n’est justifiée
par aucun motif économique ni par l’existence d’une mésentente entre les actionnaires.
25
Le seul but de l’opération était d’éviter le précompte mobilier sur la distribution des
réserves taxées de la société liquidée à titre de dividendes, avant l’entrée en vigueur de
la loi du 24 décembre 2002 qui a instauré cette taxation.
La Cour de cassation a décidé qu’il n’y pas de simulation en l’espèce parce que les
parties ont respecté tous les effets juridiques des actes qu’elles ont posés, même s’ils
ont pour seul but d’éviter l’impôt. Voilà encore une condamnation de la théorie de la
réalité économique par la Cour de cassation.
Un médecin qui exerçait ses activités en personne physique constitue une société dont il
devient gérant, qui a pour objet l’exercice d’une activité médicale. Il loue sa clientèle à
cette société en contrepartie d’une redevance égale à 40 % des bénéfices de la société. Il
perçoit de la sorte des revenus mobiliers dont le régime d’imposition est plus favorable
que celui des revenus professionnels.
26
Cette disposition s’applique lorsqu’il n’y a ni fraude fiscale, ni simulation, sans quoi elle
serait inutile.
Il s’agit de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 qui a été modifié récemment. Pour les opérations
survenues avant l’exercice d’imposition 2013, il faut donc appliquer l’ancienne version de la
disposition anti-abus. La nouvelle version de cette disposition est applicable à partir de
l’exercice d’imposition 2013 (nous verrons comment). C’est pourquoi, il est nécessaire
d’examiner les deux versions de la disposition anti-abus.
L’article 344, § 1er, du CIR 1992 (ancien) prévoyait que : « n’est pas opposable à
l’administration des contributions directes, la qualification juridique donnée par les parties à
un acte ainsi qu’à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l’administration
constate, par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés à l’article 340, que cette
qualification a pour but d’éviter l’impôt, à moins que le contribuable ne prouve que cette
qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique ».
Cette disposition instaure une inopposabilité à l’égard de l’administration, ce qui implique que
l’administration peut faire comme si la qualification choisie par les parties n’existait pas.
L’objet de l’inopposabilité n’est pas l’acte lui-même, mais la qualification de cet acte. Si
c’était l’acte qui était inopposable à l’administration, cette disposition se confondrait avec la
notion de simulation (les parties ne respectent pas les effets de l’acte, cet acte est inopposable
à l’administration. Par exemple, elles concluent un contrat de vente dont le prix n’est pas dû,
l’acte de vente est inopposable à l’administration qui peut considérer que les parties ont
conclu une donation).
La qualification de l’acte, c’est l’habit juridique de l’acte ou la catégorie définie par la loi à
laquelle l’acte appartient. On qualifie un acte (c.à.d., on le classe parmi les types d’actes
définis par la loi) en fonction des effets juridiques de cet acte.
Par exemple, si le contrat prévoit le transfert de la propriété d’un bien contre le payement d’un
prix, ce contrat doit être qualifié de contrat de vente, parce qu’il a pour effet le transfert de
propriété d’une chose moyennant le payement d’un prix, ce qui constitue les deux éléments
essentiels d’un contrat de vente.
Si le contrat prévoit qu’une personne dispose de la jouissance d’un bien pendant une période
limitée, avec obligation de le restituer, contre le payement d’une somme d’argent, ce contrat
ne peut pas être qualifié de vente parce qu’il n’a pas pour effet, un transfert de propriété. Ce
contrat est soit un bail, soit un usufruit en fonction des obligations respectives des parties,
telles que prévues par le contrat.
Comme seule la qualification de l’acte est inopposable à l’administration, elle doit respecter
les effets juridiques de cet acte (parce qu’il n’est pas simulé). L’administration doit donc, pour
pouvoir écarter la qualification choisie par les parties, donner à l’acte une autre qualification
qui respecte les effets juridiques de l’acte parce que ces effets juridiques sont opposables à
l’administration.
27
Ainsi, seuls les actes susceptibles d’au moins deux qualifications juridiques peuvent être
requalifiés sur base de l’article 344, § 1er, du CIR 1992, ce qui en réduit le champ
d’application.
Exemples :
Si l’administrateur d’une société loue l’immeuble dont il est propriétaire à sa société pour un
loyer qui excède les 5/3 du revenu cadastral revalorisé, l’excédent sera taxé comme une
rémunération d’administrateur et non comme un revenu immobilier (article 32 du CIR 1992).
Pour éviter cette taxation, plutôt que de conclure un contrat de bail avec sa société, il peut
conclure un contrat d’usufruit. Si les parties dérogent aux dispositions légales relatives à
l’usufruit (dispositions supplétives) pour convenir que le contrat aura des effets semblables à
ceux d’un contrat de bail, l’administration pourra requalifier le contrat d’usufruit en contrat de
bail, parce que cette nouvelle qualification respecte les effets juridiques du contrat que les
parties ont conclu (tel serait le cas si le contrat d’usufruit prévoit par exemple, que le
propriétaire supportera les réparations du bien dues à l’usure ou à la vétusté et que le contrat
est de courte durée. Le contrat d’usufruit est en effet, un contrat de longue durée et le
propriétaire ne supporte que les grosses réparations).
Si les parties concluent un contrat de vente des actions d’une société immobilière,
l’administration ne pourra pas le requalifier en contrat de vente de l’immeuble (pour percevoir
les droits d’enregistrement et éventuellement, taxer la plus-value réalisée). En effet, si le
contrat prévoit le transfert de la propriété d’une chose contre le payement d’un prix, il s’agit
nécessairement d’un contrat de vente. Comme l’administration doit respecter les effets
juridiques de l’acte, elle ne peut pas, sur base de l’article 344, § 1 er, du CIR 1992, considérer
que le contrat a pour objet l’immeuble et non les actions de la société immobilière. S’il s’agit
d’une vente d’actions la société est toujours propriétaire de l’immeuble et seuls les
actionnaires changent. S’il s’agit d’une vente de l’immeuble, la société n’en est plus
propriétaire.
La requalification prévue par l’article 344, § 1 er, du CIR 1992 peut porter sur un acte unique
ou sur plusieurs actes qui réalisent une même opération.
Plusieurs actes réalisent une même opération s’ils sont liés entre eux par une unité d’intention,
ce qui veut dire que dès le départ, les parties avaient l’intention de réaliser l’opération dont les
différents actes sont les éléments constitutifs. Ces actes constituent une chaîne indivisible,
c.à.d., que dès que le premier acte est posé, les parties avaient nécessairement l’intention de
poser les autres.
Si la qualification donnée à ces actes a pour but d’éviter l’impôt, l’administration pourra
requalifier l’opération. Elle ne doit pas nécessairement donner à chacun des actes de
l’opération une autre qualification, mais elle peut requalifier l’opération dans son ensemble à
la condition que la nouvelle qualification respecte les effets juridiques qui subsistent à l’issue
de l’opération dans son ensemble.
28
Exemples :
Plutôt que de distribuer son bénéfice sous la forme de dividendes, une société procède à la
réduction de son capital par remboursement aux actionnaires, puis lors d’une seconde
assemblée générale, décide de l’incorporation des bénéfices mis en réserve à son capital. Pour
autant que le remboursement de capital s’impute sur du capital libéré, ni la société, ni les
actionnaires ne subiront d’impôt sur les revenus (précompte mobilier pour les actionnaires).
Si ces deux actes distincts sont liés (ce qui sera indiscutablement le cas lorsque le montant de
la réduction de capital est équivalent à celui de l’incorporation des réserves. Il est peu
vraisemblable en effet, qu’au moment de la réduction de capital, les parties n’avaient pas
l’intention de procéder ensuite à l’augmentation du capital par incorporation des réserves),
l’administration pourra requalifier l’ensemble de l’opération en distribution de dividendes.
Les effets de la requalification en distribution de dividendes sont les mêmes que ceux de
l’opération choisie par les parties. Les actionnaires ont obtenus les bénéfices de la société et le
capital n’a pas changé (après l’augmentation par incorporation des réserves).
Plutôt que de louer l’immeuble dont il est propriétaire à sa société, un administrateur le loue à
son fils qui le sous-loue à la société. Il y a deux contrats de bail distincts : le bail principal
conclu entre l’administrateur et son fils, et le second contrat de bail conclu entre le fils
(locataire principal) et le sous-locataire (la société).
Si le montant du loyer est identique dans les 2 contrats et que le contrat conclu entre le fils et
la société prévoie que le propriétaire (l’administrateur) pourra réclamer le loyer directement à
la société, l’opération pourra être requalifiée en un seul contrat de bail conclu entre
l’administrateur et la société.
Cette nouvelle requalification respecte les effets de l’opération telle qu’elle a été réalisée par
les parties. L’administrateur n’est pas partie au second contrat de bail conclu entre son fils et
la société et il ne peut donc pas réclamer à la société le payement du loyer qu’elle doit payer
au fils (le bailleur). L’administrateur a seulement le droit d’obtenir le payement du loyer de
son locataire en vertu du premier contrat de bail, c.à.d., son fils.
Si une clause du second contrat de bail prévoit que la société (sous-locataire) payera le loyer à
l’administrateur plutôt qu’à son bailleur (le fils), l’opération a les mêmes effets juridiques que
ceux d’un seul contrat de bail conclu entre l’administrateur et la société.
(Ce cas de figure se distingue de celui dans lequel le second contrat de bail ne prévoit pas une
telle clause mais que, en pratique, la société paie directement le loyer à l’administrateur. Dans
ce cas, les parties ne respectent pas les effets des deux contrats de bail qu’elles ont conclus.
Alors que l’administrateur n’est pas partie au second contrat de bail et que ce contrat ne lui
octroie aucun droit sur le loyer, la société ne paie pas le loyer à son bailleur –le fils-, mais à
un tiers, l’administrateur. L’existence de deux contrats de bail distincts est simulée dans cette
hypothèse, puisque dans l’exécution des contrats, les parties font comme si il n’existait qu’un
seul contrat de bail conclu entre l’administrateur et sa société. L’administration pourra donc
écarter les deux contrats de bail qui sont simulés et appliquer l’acte qui correspond à la réalité,
à savoir un contrat unique entre l’administrateur et la société).
29
Pour pouvoir appliquer l’article 344, § 1er, du CIR 1992, l’administration doit prouver que la
qualification juridique choisie par les parties a pour but d’éviter l’impôt. Cette preuve peut
être rapportée par tous les moyens admis par le droit commun, dont les présomptions.
En pratique, cette preuve résultera de la constatation que le même but aurait pu être atteint en
posant un autre ou des autres actes juridiques, mais que l’acte ou l’opération, tels qu’ils ont
été qualifiés par les parties permet d’éviter ou de réduire l’impôt. Sur base de cette
constatation, l’administration pourra présumer que la qualification adoptée par les parties a été
choisie dans le but d’éviter l’impôt.
Lorsque les conditions d’application de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 sont remplies, le
contribuable peut échapper à la requalification en prouvant que la qualification choisie répond
à des besoins légitimes de caractère financier ou économique. Il doit donc prouver que la
qualification n’a pas été choisie dans un but purement fiscal, mais qu’elle est justifiée par des
motifs autres que fiscaux, de nature économique ou financière. Le cumul des motifs est
possible. Le contribuable peut poursuivre un but fiscal mais à la condition que le choix de la
qualification soit aussi justifié par des motifs économiques ou financiers sérieux.
La disposition anti-abus prévue à l’article 344, § 1 er, du CIR 1992 pour les impôts sur les
revenus existe aussi pour les droits d’enregistrement (article 18, § 2, C.Enr.) et pour les droits
de succession (article 106, alinéa 2, C.Succ.).
EXEMPLES DE JURISPRUDENCE :
Un médecin louait son cabinet médical à la société dont il était gérant. En 1993, pour
échapper à la taxation du montant du loyer qui excède les 5/3 du revenu cadastral
revalorisé de l’immeuble, avant l’entrée en vigueur de la disposition de l’article 32 du CIR
1992 qui instaure cette nouvelle imposition, les trois actes suivants sont posés:
-La résiliation du contrat de bail ;
-La location du cabinet médical à une société immobilière ;
-La sous-location du cabinet médical par la société immobilière à la société du médecin.
30
supporte dès lors pas le risque de l’insolvabilité de son locataire, soit la société
immobilière.
L’administration requalifie le rachat de ses propres actions par une société en distribution
de dividendes pour la partie qui excède le capital libéré représenté par ces actions.
La Cour de cassation décide que dans le cadre de l’article 344, § 1 er, du CIR 1992, seule la
qualification d’un acte est inopposable à l’administration. En conséquence, requalifier
l’acte, à savoir, lui donner une autre qualification, n’est possible que si cette
requalification respecte les effets juridiques de l’acte.
Il faut dès lors vérifier si les effets de l’opération telle que qualifiée par les parties et ceux
de la requalification de cette opération par l’administration sont similaires.
Dans cette affaire, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel parce qu’elle n’a
pas vérifié que les effets juridiques de la requalification de l’opération en distribution de
dividendes sont similaires à ceux du rachat d’actions propres.
Ces effets ne sont pas similaires lorsque les actions sont immédiatement détruites après
leur rachat par la société émettrice puisqu’à l’issue de l’opération de rachat d’actions
propres, le capital de la société n’est plus représenté par le même nombre de parts
sociales.
Dans cet important arrêt, la Cour de cassation précise que la requalification doit avoir des
effets similaires à ceux de la qualification de l’opération choisie par les parties. Similaire
ne veut pas dire identique, mais il faut que la requalification respecte les principaux effets
de la qualification choisie par les parties.
La mesure anti-abus a donc bien un effet limité puisqu’elle est applicable pour autant qu’il
soit établi que la requalification de l’opération par l’administration respecte les effets
juridiques essentiels, principaux, de la qualification choisie par les parties.
Cette affaire concerne une opération comportant deux actes juridiques simultanés : d’une
part, l’achat par le gérant d’une société de la nue-propriété d’un immeuble et d’autre part,
l’achat par cette société de l’usufruit du même immeuble.
Le contrat d’usufruit prévoit une durée de 10 ans, l’obligation pour la société de faire des
travaux dans l’immeuble, le transfert de la propriété des améliorations apportées par les
travaux au nu-propriétaire (le gérant) à l’expiration du contrat d’usufruit sans indemnité et
l’obligation pour l’usufruitier (la société) de faire les grosses réparations de l’immeuble.
L’administration requalifie l’opération en deux actes : d’une part, l’achat de la pleine
propriété de l’immeuble par le gérant et d’autre part, la location de l’immeuble par le
gérant à sa société. Elle taxe les loyers (la somme payée par la société pour acquérir
31
l’usufruit de l’immeuble) et les avantages locatifs (la valeur des travaux) dans le chef du
gérant, à titre de rémunérations de dirigeant d’entreprises.
La cour d’appel de Gand décide que cette requalification n’est pas possible parce qu’elle
n’a pas des effets juridiques similaires à ceux de la qualification choisie par les parties. En
effet, le contrat de bail n’a pas les mêmes effets que ceux d’un droit d’usufruit, parce que
l’usufruit est un droit réel qui comporte un démembrement du droit de propriété. Dans la
qualification retenue par l’administration, la relation avec le vendeur est modifiée parce
que dans la qualification choisie par les parties, il est créancier du prix de l’usufruit à
l’égard de la société, alors que dans la qualification de l’administration, le vendeur est
créancier de la totalité du prix de l’usufruit et de la nue-propriété à l’égard du gérant.
Enfin, la cour d’appel constate que l’usufruit et le bail comportent des droits et des
obligations différents, qui ne sont pas similaires.
Sur un pourvoi de l’Etat belge, la Cour de cassation décide que l’administration peut
« requalifier dans son ensemble l’opération qui a été artificiellement décomposée en
actes distincts et modifier ainsi la qualification qui a été donnée par les parties à chaque
acte distinct lorsqu’elle constate que les actes visent la même opération d’un point de vue
économique, (…).
L’administration ne peut toutefois procéder à la requalification de l’opération que si la
nouvelle qualification a des effets juridiques non fiscaux similaires au résultat final des
actes juridiques posés par les parties ».
En l’espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi parce que la cour d’appel a constaté
que les actes contestés ne sont pas susceptibles de faire l’objet de différentes
qualifications, de sorte que l’article 344, § 1er, du CIR 1992 n’est pas applicable.
Le champ d’application de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 est assez restreint, puisque
l’administration ne peut requalifier une opération qu’à la condition que cette requalification
ait des effets juridiques similaires à ceux de la qualification choisie par les parties.
La disposition anti-abus a dès lors été modifiée par la loi-programme du 29 mars 2012.
L’intention du Législateur est de viser les actes juridiques exécutés dans le seul but d’éviter
l’impôt, à savoir, les constructions purement artificielles. Il s’agit, d’après l’exposé des motifs
de la loi, d’opérations qui ne poursuivent pas « les objectifs économiques que sous-tend la
législation fiscale », ou qui sont contraires à la réalité économique (Exposé des motifs, Doc.
parl., Chambre, 2011-2012, n° 53-2081/001, p. 114).
Le texte de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 est désormais rédigé comme suit :
« N’est pas opposable à l’administration, l’acte juridique ni l’ensemble d’actes juridiques
réalisant une même opération lorsque l’administration démontre par présomptions ou par
32
d’autres moyens de preuve visés à l’article 340 et à la lumière de circonstances objectives,
qu’il y a abus fiscal.
Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l’acte juridique ou l’ensemble d’actes
juridiques qu’il a posé, l’une des opérations suivantes :
1° une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d’une disposition du
présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d’application
de cette disposition ; ou
2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du
présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l’octroi serait contraire aux
objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.
Il appartient au contribuable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble
d’actes juridiques se justifient pas d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les
revenus.
Lorsque le contribuable ne fournit pas la preuve contraire, la base imposable et le calcul de
l’impôt sont rétablis en manière telle que l’opération est soumise à un prélèvement conforme
à l’objectif de la loi, comme si l’abus n’avait pas eu lieu ».
Il ne suffit pas de constater qu’une opération est purement artificielle pour faire application de
la disposition anti-abus. L’administration doit rapporter la preuve des éléments suivants :
La disposition porte sur un acte juridique ou un ensemble d’actes juridiques qui forment une
même opération. La notion d’opération existait déjà dans l’ancienne version de l’article 344, §
33
1er du CIR 1992. Il s’agit d’actes juridiques reliés entre eux par une unité d’intention, à savoir
que l’opération a été voulue dans son ensemble dès le départ. Dès que le contribuable a posé
le premier acte, il avait déjà l’intention de poser les actes juridiques suivants.
L’inopposabilité prévue par la première partie de l’article 344, § 1 er, du CIR 1992 porte sur un
acte juridique ou un ensemble d’actes juridiques et non pas sur les faits que ces actes réalisent.
En l’absence de fraude fiscale et de simulation, l’administration doit respecter la situation que
crée l’acte juridique posé. Cette disposition ne permet pas à l’administration de modifier la
réalité en considérant que d’autres faits que ceux résultant des actes juridiques posés existent.
Cette conséquence découle également des effets de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 prévus
dans la seconde partie de cette disposition.
34
1.2. La notion d’abus fiscal :
L’abus fiscal consiste en une opération que réalise le ou les actes juridiques posés et qui
permet au contribuable, soit :
- de se placer en-dehors du champ d’application d’une disposition du CIR 1992
ou des arrêtés royaux pris pour son exécution, en violation des objectifs de
cette disposition ;
- d’obtenir un avantage fiscal prévu par une disposition du CIR 1992 ou des
arrêtés royaux pris pour son exécution, en violation des objectifs de cette
disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.
Le texte légal contient des conditions d’application strictes qui doivent être remplies et ne
permet pas d’écarter une opération dès qu’il est constaté qu’elle a pour but d’éviter l’impôt ou
d’obtenir un avantage fiscal prévu par la loi.
Cette disposition ne met pas un terme au principe du choix licite de la voie la moins imposée.
En effet, l’article 344, § 1er, du CIR 1992 ne concerne pas la violation de l’objectif du Code
des impôts sur les revenus dans son ensemble, qui est le but d’intérêt général de permettre à
l’Etat de percevoir l’impôt, mais la violation de l’objectif d’une disposition particulière de ce
Code et des arrêtés royaux pris pour l’exécution de celui-ci.
La mesure anti-abus n’est dès lors applicable qu’aux dispositions prévues par le Code des
impôts sur les revenus (1992) et par les arrêtés royaux pris en exécution de celui-ci. Elle ne
s’applique pas aux autres normes fiscales, comme par exemple, les conventions préventives
de la double imposition. L’administration ne peut en conséquence, pas faire usage de l’article
344, § 1er, du CIR 1992, lorsqu’une opération est accomplie en violation de l’objectif d’une
disposition d’une telle convention.
La notion fondamentale qui permet de retenir l’abus fiscal est l’objectif poursuivi par la
disposition en cause du CIR 1992 ou des arrêtés royaux pris pour son exécution. L’objectif est
le but poursuivi par le Législateur dans l’adoption de cette disposition.
L’objectif de la disposition fiscale en cause ne peut être défini ni par l’administration ni par le
juge mais doit l’être par le Législateur lui-même. Il faut dès lors que cet objectif résulte de la
volonté du Législateur et qu’il soit défini dans les travaux préparatoires de la disposition
légale visée.
Cette condition résulte du principe constitutionnel de la légalité de l’impôt, suivant lequel
seule la loi peut établir un impôt, à savoir que la loi doit définir les éléments constitutifs de
l’impôt, l’assiette imposable et le taux d’imposition. Dès lors que l’article 344, § 1 er, du CIR
1992 permet à l’administration d’établir un impôt qui n’est pas expressément visé par le texte
légal lui-même lorsque l’opération permet au contribuable de violer l’objectif poursuivi par
cette disposition, il faut nécessairement que cet objectif soit clairement défini par le
Législateur. Si tel n’était pas le cas, il appartiendrait à l’administration puis au juge de définir
l’objectif de la disposition légale en cause, ce qui constitue une condition d’application de
l’impôt visé. Ainsi, l’administration et le juge devrait définir un élément constitutif de l’impôt
à la place du Législateur, ce qui est contraire à l’article 170 de la Constitution.
35
En conséquence, lorsque l’objectif poursuivi par le Législateur n’est pas certain ou s’il existe
un doute quant à cet objectif, la disposition anti-abus n’est pas applicable.
La condition suivant laquelle l’article 344, § 1 er, du CIR 1992 ne s’applique que si l’objectif
de la disposition en cause a été clairement défini par le Législateur lui-même se fonde
également sur le droit européen directement applicable en droit interne.
Ainsi, l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de
l’homme protège le droit de propriété et définit l’impôt comme une atteinte à ce droit de
propriété qui est permise (bien entendu) pour autant que certaines conditions soient
respectées. Il faut notamment que l’atteinte au droit de propriété soit prévue par la loi de
manière suffisamment précise et prévisible.
La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser cette notion dans
l’arrêt Serkov c/ Ukraine du 7 juillet 2011 (voy. supra).
La Cour européenne des droits de l’homme a décidé que la TVA constitue une ingérence dans
le droit de propriété qui est conforme à l’article 1er du Premier Protocole à la CEDH, à la
condition qu’elle soit prévue par le droit interne qui doit être une règle de droit accessible aux
personnes concernées, précise et prévisible dans son application.
La Cour a estimé que le revirement de jurisprudence de la Cour suprême d’Ukraine résulte
d’un manque de clarté du texte légal. Ce manque de clarté viole la légitime confiance que le
public est en droit d’attendre des règles de droit qui doivent répondre à la condition de
prévisibilité du droit. En outre, dans le doute quant à la portée du texte légal, les autorités
nationales ont appliqué l’interprétation la moins favorable à l’assujetti.
En conséquence, la Cour européenne des droits de l’homme décide qu’en l’espèce la TVA
établie à l’encontre de l’entrepreneur viole l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la
Convention.
La Cour de justice de l’Union européenne estime également qu’une règle de droit doit être
claire et prévisible dans ses effets. Dans l’arrêt Siat c/ Etat belge du 5 juillet 2012 (n° C-
318/10, voy. supra), la Cour s’est prononcée sur l’article 54 du CIR 1992 suivant lequel, les
rémunérations versées par une entreprise résidente à une société non résidente ne sont pas
considérées comme des frais professionnels déductibles lorsque cette dernière n’est pas
soumise, dans l’Etat membre où elle est établie, à un impôt sur les revenus ou est soumise,
pour les revenus concernés, à un régime de taxation notablement plus avantageux que celui
dont relèvent ces revenus en Belgique, à moins que le contribuable ne prouve que ces
rémunérations correspondent à des opérations réelles et sincères et qu’elles ne dépassent pas
les limites normales, tandis que, suivant la règle de droit commun, de telles rémunérations
sont déductibles au titre de frais professionnels dès lors qu’elle permettent d’acquérir ou de
conserver des revenus professionnels.
La CJUE constate que l’article 54 du CIR 1992 constitue une atteinte à la libre prestation de
services. Une telle restriction peut être justifiée par des motifs de lutte contre la fraude et
l’évasion fiscale, lorsque le but spécifique de cette restriction est de faire obstacle à des
comportement consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité
économique, dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des
activités générées sur le territoire national.
En l’espèce, l’article 54 du CIR 1992 impose au contribuable belge de justifier
systématiquement la réalité et la sincérité de toutes les prestations, ainsi que de prouver le
36
caractère normal de toutes les rémunérations qu’il paie à des non-résidents, sans que
l’administration ne doivent fournir le moindre commencement de preuve de fraude ou
d’évasion fiscale.
« La règle spéciale peut être appliquée en l’absence de tout critère objectif et vérifiable par
des tiers et pouvant servir d’indice de l’existence d’un montage purement artificiel, dépourvu
de réalité économique, dans le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés
par des activités réalisées sur le territoire national, (…).
Une telle règle ne permet pas de déterminer au préalable et avec la précision suffisante le
champ d’application de celle-ci et laisse subsister des incertitudes quant à son applicabilité.
Une telle règle ne satisfait pas, par conséquent, aux exigences de la sécurité juridique qui
exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en
particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences
défavorables.
Or, une règle ne satisfaisant pas aux exigences du principe de la sécurité juridique ne saurait
être considéré comme proportionnée aux objectifs poursuivis ».
En conséquence, l’article 54 du CIR 1992 est contraire au principe de la libre prestation de
services prévu à l’article 49 CE.
La Cour constitutionnelle estime également que la loi doit être claire et précise. Elle a décidé
que les éléments constitutifs de l’impôt doivent être «définis en des termes suffisamment
clairs et précis pour permettre au contribuable de déterminer le montant de l’impôt dû »
(C.C., 30 mars 2010, n° 32/2010).
L’application de l’article 344, § 1er, du CIR 1992 impose encore que l’acte juridique ou
l’opération ait été réalisé par le contribuable dans le but d’éviter l’impôt ou de bénéficier d’un
avantage fiscal.
Cet élément moral résulte des termes de la loi lorsqu’elle définit les deux types d’opérations
qui constituent un abus fiscal.
D’une part, l’opération par laquelle le contribuable « se place » en-dehors du champ
d’application de la disposition fiscale concernée.
D’autre part, l’opération qui permet au contribuable d’obtenir un avantage fiscal en violation
des objectifs de la disposition concernée et « dont le but essentiel est l’obtention de cet
avantage ».
En conclusion, pour qu’il y ait abus fiscal, l’administration doit établir l’existence de trois
éléments :
37
- L’opération choisie permet au contribuable de se placer en-dehors du champ
d’application de la disposition en cause telle qu’elle découle de la volonté
précise du Législateur, soit en évitant l’impôt prévu par cette disposition, soit
en obtenant un avantage fiscal en violation de l’objectif poursuivi par la
disposition qui prévoit cet avantage fiscal ;
Lorsque l’abus fiscal est démontré, l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques qui
constituent une même opération, est inopposable à l’administration. L’article 344, § 1er, alinéa
4, du CIR 1992 définit ce qu’il y a lieu d’entendre par inopposabilité dans la cadre de cette
disposition. La base imposable et l’impôt sont établis en conformité avec l’objectif de la
disposition en cause, comme si l’abus n’avait pas eu lieu.
Dès lors qu’en l’absence de simulation et de fraude fiscale, la réalité de fait qui résulte des
opérations posées par le contribuable sont opposable à l’administration, elle ne peut pas
substituer une autre réalité de fait à celle de l’opération choisie par le contribuable. Ce que
l’administration peut faire, c’est taxer l’opération conformément à l’objectif clairement défini
par le Législateur.
Ainsi, la mesure anti-abus est applicable lorsque le champ d’application de la disposition
légale en cause tel qu’il résulte des termes de cette disposition, ne correspond pas à la volonté
clairement exprimée par le législateur. Soit, le champ d’application de la disposition en cause
est plus restreint que celui visé par l’objectif du Législateur, ce qui permet au contribuable
d’échapper au champ d’application de la disposition légale alors que, suivant la volonté
exprimée par le Législateur, l’opération doit rentrer dans le champ d’application de la loi.
Soit, la disposition en cause permet l’octroi d’un avantage fiscal alors que selon la volonté
exprimée par le Législateur, l’opération en cause ne devait pas bénéficier de l’avantage.
La mesure anti-abus concerne les situations dans lesquelles le champ d’application de la
disposition en cause est différent de la volonté clairement exprimée par le Législateur et que
le contribuable profite de cette discordance pour éviter l’impôt ou obtenir un avantage fiscal
en violation de l’objectif de la disposition en cause.
38
L’article 344, § 1er, du CIR 1992 a pour effet de taxer une situation conformément à l’objectif
clair de la loi, s’il est exprimé par le Législateur, même si les termes de la disposition en cause
ne permettent pas cette taxation.
La différence entre l’ancienne version de l’article 344, § 1 er, du CIR 1992 et la nouvelle est
que dans le cadre de cette dernière, l’administration n’est plus obligée de donner à l’opération
une autre qualification juridique qui présente des effets juridiques similaires à ceux qui
résultent de la qualification juridique choisie par les parties. Nous avons vu qu’en raison des
difficultés de donner aux actes une autre qualification juridique qui présente des effets
similaires à ceux de la qualification choisie par les parties, le champ d’application de
l’ancienne mesure anti-abus était assez restreint.
Dans la nouvelle disposition anti-abus c’est toujours la qualification juridique de l’acte ou des
actes juridiques qui forment une même opération qui est inopposable à l’administration, mais
elle ne doit plus donner à l’opération une autre qualification juridique. Elle peut appliquer
l’impôt sur la base de la volonté clairement exprimée par le Législateur lorsqu’il a adopté la
législation en cause.
3° La preuve contraire :
4° Entrée en vigueur :
La nouvelle version de l’article 344, § 1er, du CIR 1992, introduite par l’article 167 de la loi-
programme du 29 mars 2012, est applicable à partir de l’exercice d’imposition 2013, ainsi
qu’aux actes ou ensembles d’actes juridiques posés au cours d’une période imposable clôturée
au plus tôt le 6 avril 2012 et se rattachant à l’exercice d’imposition 2012. Cette dernière
disposition vise les sociétés qui clôturent leur exercice social à partir du 6 avril 2012, qui est
la date de publication de la nouvelle loi au Moniteur belge.
La loi précise encore que la modification apportée à partir du 28 novembre 2011 à la date de
clôture des comptes annuels reste sans incidence sur l’application de la nouvelle mesure anti-
abus.
39
D’après la circulaire administrative qui commente la nouvelle disposition, la mesure anti-abus
peut s’appliquer si « le dernier acte juridique qui fait partie d’un ensemble d’actes juridiques
réalisant une même opération a été posé ou est posé dans le courant de l’année 2012 » (Circ.
AAF3/2012 du 4 mai 2012).
L’administration estime que la nouvelle mesure anti-abus peut s’appliquer à une opération
dont le premier acte a été réalisé avant l’année 2012 lorsqu’il fait partie d’un ensemble d’actes
juridiques qui constituent une même opération, du moment que le dernier acte soit posé dans
le courant de l’année 2012.
A mon avis, cette interprétation n’est pas conforme à la loi. En effet, celle-ci vise les
opérations qui constituent un abus fiscal. Ces opérations peuvent être un acte juridique isolé
ou un ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération. S’il s’agit d’actes juridiques
réalisant une même opération, c’est celle-ci dans son ensemble qui permet de violer les
objectifs de la disposition fiscale en cause, à savoir, l’ensemble des actes juridiques qui
composent cette même opération. Dès lors que l’administration doit démontrer que tous les
actes juridiques font partie d’une même opération pour appliquer la mesure anti-abus et
qu’elle peut soumettre cette opération à l’impôt qui résulte de la volonté du Législateur, c’est
l’ensemble des actes qui réalisent cette même opération qui doit entrer dans le champ
d’application de la nouvelle version de l’article 344, § 1er, du CIR 1992.
Cette disposition s’applique aux opérations constituées par plusieurs actes juridiques si le
premier de cet acte a eu lieu au cours de l’exercice d’imposition 2013 ou au cours d’une
période imposable clôturée à partir du 6 avril 2012, mais pas avant (En ce sens, voy. Gand, 20
février 2019, Gand, 3 décembre 2019, Fisc., nr. 1644 , p. 10, Gand, 28 avril 2020 ; Gand 6
octobre 2020, Fisc., 1677).
.
5° Exemple :
L’article 32, alinéa 2, 3°, du CIR 1992 taxe à titre de rémunération de dirigeant d’entreprises,
les loyers dans la mesure où ils excèdent les 5/3 du revenu cadastral revalorisé d’un
immeuble, lorsqu’un dirigeant d’entreprises donne un immeuble en location à la société dans
laquelle il exerce ses fonctions.
Une manière d’échapper au champ d’application de cette disposition légale est de recourir à la
sous-location. Le dirigeant loue son immeuble à un tiers qui sous-loue le même bien à la
société dans laquelle le dirigeant exerce ses fonctions. L’article 32 du CIR 1992 n’est pas
applicable dans ce cas, puisque suivant les termes de cette disposition, l’excédent de loyer est
taxé à titre de rémunération lorsque le dirigeant loue l’immeuble à sa société. Dans le cas de
l’opération précitée, ce n’est pas le dirigeant qui loue l’immeuble à sa société, mais un tiers.
L’objectif du Législateur exposé dans les travaux préparatoires de cette disposition légale, est
de viser les procédés d’évasion fiscale qui consistent à transformer un revenu professionnel en
loyers qui bénéficient d’un régime d’imposition plus favorable. Le montage consiste à
transformer une partie de la rémunération du dirigeant en loyer anormalement élevé (Exposé
des motifs, Doc., parl., Chambre 1991-1992, n° 444/9, p. 9-12).
40
L’opération qui se compose d’un contrat de location d’un immeuble par un dirigeant
d’entreprise à un tiers qui sous-loue l’immeuble à la société dans laquelle le dirigeant exerce
ses fonctions entre dans l’objectif de la disposition légale en cause, telle que le législateur l’a
clairement exprimé. Elle entre désormais dans le champ d’application de l’article 32 précité
par application de la nouvelle disposition anti-abus.
L’administration ne doit plus comme auparavant requalifier l’opération en donnant à celle-ci
une qualification qui a des effets juridiques similaires à ceux de la qualification choisie par les
parties. Cette qualification est inopposable à l’administration et elle peut désormais appliquer
l’impôt conformément aux objectifs clairs du Législateur, à savoir, taxer l’excédent de loyer à
titre de rémunération de dirigeant, comme si celui-ci avait donné directement son immeuble
en location à la société dans laquelle il exerce ses fonctions.
La Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation des dispositions légales qui ont
introduit la nouvelle mesure anti-abus (C.C., 13 octobre 2013, n° 141/2013).
Elle était notamment saisie des questions suivantes :
- La violation du principe de la légalité de l’impôt prévu à l’article 170, § 1 er, de la
Constitution, en ce que la nouvelle disposition anti-abus opérerait un renversement de
la charge de la preuve au détriment du contribuable et en ce que cette disposition
permettrait à l’administration de requalifier des actes juridiques, alors qu’il appartient
exclusivement au Législateur de déterminer les opérations imposables et la base
imposable ;
- La violation du principe de légalité en matière fiscale en ce que la nouvelle disposition
anti-abus attribuerait à l’administration ou au juge un pouvoir d’appréciation
discrétionnaire pour décider de manière autonome s’il y a lieu ou non de percevoir un
impôt ;
- La violation du principe d’égalité en ce que la nouvelle disposition anti-abus ne serait
pas appliquée de la même manière à tous les contribuables : l’application concrète
dépendrait de l’appréciation par l’administration d’un acte juridique précis ou d’un
ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération. En outre, la violation du
principe de légalité en matière fiscale impliquerait automatiquement la violation du
principe d’égalité et de non-discrimination.
42
7°Jurisprudence
a) Tantièmes
L’administration rejetait un tantième distribué par une société comme dépense non admise,
estimant que la construction par laquelle des tantièmes ont été distribués par la société à sa
société de management ne lui était pas opposable sur la base de l’article 344, § 1er, du
C.I.R. 1992 au motif qu’il s’agissait d’un abus fiscal.
Les tantièmes versés à la société de management entrent dans le cadre d’une technique de
planification fiscale. La société d’exploitation faisait des bénéfices, mais la société de
management enregistrait d’importantes pertes entre autres à cause d’amortissements. Via les
tantièmes pour des tâches de management jugées vagues et non réelles, les bénéfices de la
société d'exploitation étaient transférés vers cette société de management. Les deux sociétés
n'étaient donc quasi pas imposées.
Le tribunal estime qu'il ressort des documents et éléments produits par l’administration que le
tantième versé par la société d'exploitation était artificiel et ne correspondait pas à la réalité
économique.
Le tribunal estime être en présence d'une construction purement fictive qui n’aurait jamais pu
se produire entre des acteurs économiques qui fonctionnent indépendamment l’un de l’autre
("Uit deze feitelijke elementen blijkt een puur fictieve constructie die nooit tot stand zou
gekomen zijn tussen onafhankelijk van elkaar functionerende economische actoren").
Des tantièmes sont versés à une société qui ne fournit de facto aucune prestation de
management, alors que l’administrateur lui-même ne perçoit rien de ces tantièmes.
Le tribunal juge donc que ces opérations sont fictives et qu’elles ne résultent que de
considérations fiscales ("Aangezien de handelingen fictief zijn en enkel ingegeven vanuit
fiscale overwegingen, kan er geen sprake zijn van een rechtmatige keuze voor de minst
belastbare weg").
Il ne peut s’agir selon le tribunal d’un choix légitime de la voie la moins imposée. Comme
l'Etat belge fournit la preuve suffisante de l’abus fiscal au sens de l’article 344, § 1er, alinéa
premier, 2°, du C.I.R. 1992 lors de la distribution du tantième de la société, celui-ci est
inopposable et l'Etat peut en refuser la déduction comme dépense, selon le tribunal.
On peut se demander si la mise en cause de l’opération sur la base de l’article 344, § 1er, était
la voie la plus adéquate sur le plan juridique.
43
Le tribunal considère manifestement qu’il est en présence d’opérations fictives et d’une
construction fictive. Le tribunal considère qu’aucune prestation de management n’a été
prestée.
Dans ce contexte, il semble que l’outil juridique qui aurait été le plus adéquat était en réalité
la simulation qui, comme nous l’avons vu précédemment, est l’arme juridique qui permet à
l’administration fiscale de taxer des opérations fictives qui ne reflètent pas la réalité juridique.
L’abus fiscal n’implique en effet en soi aucun élément de falsification ou d’éléments fictifs,
cette notion étant réservée à la notion de simulation.
b) Réduction de capital
44
premier, 2°, du C.I.R. 1992 est soumise à la condition que la société n’ait pas de bénéfices
réservés.
La Cour rappelle que rien n’empêche un contribuable de choisir librement la voie la moins
imposée. Sous l’empire de l’article 18, alinéa premier, 2°, du C.I.R. 1992 de l’époque, un
contribuable pouvait en effet opter, lorsqu’il y avait des réserves, pour l’imputation du
remboursement de capital totalement sur le capital libéré sur le plan fiscal (le « bon capital »)
afin de pouvoir effectuer un remboursement de capital en exemption d’impôt.
Le législateur permettait légalement ce choix à l’époque, de sorte que l’administration ne peut
soutenir que faire application de ce choix fût considéré par le législateur comme un abus.
C’est donc à tort que l’administration a fait application de la disposition anti-abus (Gand, 1er
octobre 2019, 2018/AR/925).
Cette jurisprudence est importante et la bienvenue car elle rappelle que pour pouvoir qualifier
une opération d’abusive, le fisc doit démontrer que celle-ci est contraire à l’objectif du
législateur ayant édicté la disposition légale concernée par l’abus.
Or, le texte de l’article 18, tel qu’applicable à l’époque, était clair : il exonérait expressément
les réductions de capital opérées en exécution du Code des sociétés.
Tel fut bien le cas en l’espèce.
Dès lors, la volonté du législateur ne pourrait être considérée comme étant transgressée
puisque le législateur exonérait expressément et volontairement de telles réductions de capital.
Rappelons toutefois que le texte de l’article 18 a été modifié par la suite, mais d’une part cette
version est inapplicable à l’espèce envisagée, et d’autre part, la modification législative de
l’article 18 est en réalité de nature à démontrer que les opérations réalisées avant la
modification était bien légale et non abusive, puisque le législateur précédent n’a jamais émis
la volonté de taxer de telles opérations.
2. Liquidation interne
Lors d'une assemblée générale du 16 juin 2014, une SPRL a, dans le cadre de l'application de
l'article 537, CIR 1992, décidé de l'attribution et de la mise en paiement d'un dividende de
1.317.000 EUR puisé dans les réserves taxées telles qu'elles avaient été approuvées au plus
tard le 31 mars 2013 par l'assemblée générale, et de l'incorporation immédiate de ce dividende
dans le capital. Elle a ensuite introduit la déclaration au précompte mobilier, en appliquant le
taux de 10 %.
Lors d'une assemblée générale extraordinaire du 27 juin 2014, à 11h30, elle a décidé de
réduire le capital social de 1.729.200 EUR, avec imputation sur le capital réellement libéré.
Cette réduction de capital s'effectuerait par remboursement en nature, plus précisément par
l'attribution d'un bien immobilier.
45
Par assemblée générale extraordinaire du 27 juin 2014, à 12 heures, elle a ensuite décidé, en
vertu des conditions et dispositions de l'article 537, CIR 1992, d'augmenter le capital social du
montant net du dividende précité, soit 1.185.300 EUR (1.317.000 - 10 % de précompte
mobilier).
La question principale pour la Cour était de savoir si l'ensemble d'opérations contesté était
contraire à l'objectif de l'article 537, CIR 1992. Pour y répondre, la Cour analyse le texte de
loi et les travaux préparatoires.
Il ressort des conditions de délais reprises à l'article 537, CIR 1992 que le législateur
envisageait que le capital constitué en application de l'article 537, CIR 1992 serait maintenu
dans la société pendant une période minimale déterminée. Il ne ressort nullement du texte de
l'article 537, CIR 1992 que le législateur avait pour objectif de bloquer également, pendant la
période visée à l'article 537, CIR 1992, le capital (fiscalement libéré) qui se trouvait déjà dans
la société. La règle qui a été insérée dans l'article 537, alinéas 5 et 6, CIR 1992 à propos des
réductions de capital ultérieures, est une mesure anti-abus spécifique qui assure le maintien du
capital constitué en application de l'article 537, CIR 1992. Il ne ressort pas davantage de cette
règle, qui vise les seules réductions de capital ultérieures, que le législateur ait eu pour
objectif de bloquer également, pendant un délai déterminé, le capital qui se trouvait déjà dans
la société avant l'application de l'article 537 CIR 1992. Les travaux préparatoires confirment
que les conditions de délais visées à l'article 537, CIR 1992 ne concernent pas le capital qui se
trouvait déjà dans la société. Ils énoncent que : "Les réserves taxées existantes au 31 mars
2013 peuvent être distribuées avec l'application d'un précompte mobilier de seulement 10 p.c.
(et d'un impôt des personnes physiques correspondant) à condition que l'actionnaire ou
l'associé utilise immédiatement les dividendes ainsi acquis pour augmenter le capital social de
la société concernée et conserve cette augmentation de capital au moins pour une durée
déterminée" (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, n° 53-2853/001, p. 8).
Il ne ressort pas davantage de l'article 537, CIR 1992 ni des travaux préparatoires que le
législateur ait eu pour objectif d'encourager (et de n'encourager que) les augmentations
durables des fonds propres dans le sens de constitutions de capital complémentaires (et ce
contrairement aux objectifs du législateur lors de l'instauration du régime dit VVPRbis de
l'art. 269, § 2, CIR 1992). Le fait que le capital constitué en application de l'article 537, CIR
1992 devait augmenter de façon durable les fonds propres de la société n'est pas en cause.
Mais l'on ne peut déduire de la loi ni des travaux préparatoires que ce capital devait être
constitué en complément au capital existant. Au contraire, la mesure anti-abus spécifique
46
figurant dans les alinéas 5 et 6 de l'article 537, CIR 1992 contredit un tel objectif, puisqu'elle
concerne explicitement les seules réductions de capital ultérieures.
La Cour décide dès lors qu'en procédant à une réduction de capital préalable à l'augmentation
de capital réalisée dans le cadre de l'article 537, CIR 1992, le contribuable n'a nullement porté
atteinte à l'objectif du législateur de privilégier et de stimuler l'augmentation durable des
fonds propres de la société. Le capital constitué par application de l'article 537, CIR 1992
accroît de façon durable les fonds propres du contribuable. Alors que le législateur souhaitait
clairement encourager la nouvelle constitution de capital, à l'article 537, CIR 1992, il n'a pas
imposé de restrictions quant au capital existant.
En réalisant l'ensemble des opérations, le contribuable a fait usage des possibilités offertes par
l'article 537, CIR 1992. L'Administration ne démontre pas que la conséquence de ces
opérations serait contraire aux objectifs que le législateur poursuivait par l'article 537, CIR
1992 (Gand, 8 septembre 2020).
La Cour d’appel de Gand suit donc l’arrêt de la Cour constitutionnelle quant à la charge de la
preuve par l’administration de la violation des objectifs du législateur (voy. toutefoi contra,
mais manifestement à tort, Gand, 24 novembre 2020).
1) Introduction :
47
La notion d’abus fiscal en TVA diffère de celle applicable en impôts directs et en droits
d’enregistrement. Cette différence résulte du fait que la TVA est un impôt communautaire
développé par l’Union européenne et qui doit être transposé dans le droit interne des Etats
membres.
La notion d’abus fiscal en TVA n’est pas prévue en tant que telle dans les directives de
l’union européenne mais est apparue dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union
européenne, à la fin des années 1990 et surtout dans les années 2000.
Il s’agit donc d’une règle jurisprudentielle qui est apparue dans le Code de la TVA belge à la
suite de la loi-programme du 20 septembre 2006. Cette loi a retenu les conditions qui étaient
celles de la jurisprudence de la Cour de justice à l’époque. Mais ces critères ont évolué depuis
lors, ce qui signifie que la loi belge relative à l’abus fiscal en matière de TVA doit être
interprétée conformément à l’évolution de la jurisprudence de la Cour de justice.
Il est donc logique de commencer par l’examen de cette jurisprudence avant d’étudier la
disposition de droit belge.
L’abus fiscal en TVA repose sur une approche davantage économique que juridique, comme
c’est le cas de l’abus fiscal en impôts directs et en droits d’enregistrement.
Halifax est une banque anglaise dont la plupart des activités économiques sont exemptées de
TVA. En conséquence, elle bénéficie d’un droit de déduction de la taxe supportée en amont
qu’à concurrence de 5 %.
Cette banque dispose de quatre terrains sur lesquels elle veut construire d’importants
complexes immobiliers affectés à son activité économique. Si elle fait construire elle-même
ces immeubles, elle ne pourra déduire que 5 % de la TVA ayant grevé le prix de la
construction.
Elle procède dès lors à l’opération suivante :
- Halifax constitue 2 sociétés de promotion immobilières à laquelle elle concède un
droit de jouissance sur les terrains dont elle est propriétaire. Les contrats conclus avec
Halifax autorisent les sociétés de promotion immobilière à construire des immeubles
sur les terrains.
48
- Comme ces sociétés de promotion immobilières n’ont pas de moyens financiers pour
payer la construction des immeubles, Halifax leur consent un prêt qui couvre tous les
frais de la construction des immeubles.
- Lorsque les immeubles sont construits, les sociétés de promotion immobilière les
louent à d’autres sociétés qui font partie du groupe Halifax. La location est soumise à
la TVA, parce qu’en Angleterre, il était permis d’opter pour l’assujettissement de la
location immobilière à la TVA. Dès lors que les immeubles sont affectés à une activité
soumise à la TVA, la location, les sociétés de promotion immobilière peuvent déduire
la totalité de la taxe qu’elles ont supportée pour la construction des immeubles.
- Les sociétés qui ont pris les immeubles en location les sous-louent à Halifax.
49
l’interdiction de pratiques abusives n’est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont
susceptibles d’avoir une justification autre que la simple obtention d’avantages fiscaux3.
L’existence d’une opération abusive requiert la preuve de l’existence des deux conditions
suivantes :
- Une opération respecte toutes les conditions légales pour obtenir un avantage, mais a
pour résultat l’obtention de cet avantage en violation de l’objectif poursuivi par ces
dispositions, et,
- Le but essentiel de cette opération est l’obtention de cet avantage, ce qui doit résulter
d’élément objectifs.
Le Cour de justice précise que l’objectif du droit à déduction est de parvenir à la neutralité de
la TVA pour les opérateurs économiques. La TVA ne peut pas représenter une charge
financière pour les opérations économiques. Il doit ainsi exister un lien direct entre le droit à
la déduction de la TVA et des activités soumises à la TVA.
Ainsi, l’opération qui permet à un assujetti de déduire la totalité de la TVA, alors que dans le
cadre de ses activités économiques normales, il ne peut pas déduire la totalité de la TVA, est
contraire au principe de la neutralité de la TVA et est dès lors contraire à l’objectif du droit à
la déduction de la taxe.
La Cour de justice décide que l’opération en cause a pour but essentiel de permettre à Halifax
de déduire la totalité de la TVA ayant grevé la construction des immeubles, alors que ses
activités économiques ne lui permettent de déduire que 5 % de la TVA. Par conséquent, cette
opération est une opération abusive parce qu’elle permet d’obtenir le droit de déduire la
totalité de la TVA, ce qui est contraire à l’objectif du droit à déduction.
La conséquence de la constatation qu’une opération est abusive est de permettre à
l’administration de traiter fiscalement cette opération comme si l’abus n’avait pas eu lieu.
La Cour de justice précise que la conséquence d’une pratique abusive est l’obligation de
rembourser la TVA déduite abusivement, mais ne peut donner lieu à l’application d’une
sanction.
En l’espèce, l’administration a refusé la déduction de la TVA due sur la construction des
immeubles dans le chef des sociétés de promotion immobilière.
RBSD est une société établie en Allemagne qui exerce notamment une activité de leasing. Un
importante société anglaise décide de renouveler sa flotte de voitures et conclut des contrats
de leasing avec RBSD ayant pour objet les voitures qu’elle souhaite obtenir.
RBSD achète les voitures destinées à être données en leasing auprès d’un vendeur établi en
Angleterre et obtient la déduction de la TVA supportée sur ces achats. Le vendeur concède
50
une option de vente à RBSD qui permet à cette dernière d’obliger le vendeur à racheter les
voitures qu’il a livrées.
Aucune TVA n’est perçue en Angleterre sur les redevances de leasing, parce qu’en droit
anglais, le leasing est une prestation de services soumise à la TVA à l’endroit où est établi le
prestataire de services, soit en Allemagne.
La TVA sur les redevances de leasing n’est pas davantage perçue en Allemagne, parce qu’en
droit allemand, le leasing mobilier est une livraison de bien, soumise à la TVA à l’endroit où
la livraison a lieu, soit en l’espèce, en Angleterre.
RBSD cède les contrats de leasing conclus avec la société anglaise à sa filiale allemande.
Celle-ci perçoit les redevances de leasing de la société anglaise, mais sans que la TVA ne soit
due ni en Allemagne, ni en Angleterre.
A l’expiration de ces contrats, la filiale allemande de RBSD exerce l’option de vente et
revend les voitures au vendeur anglais.
L’administration fiscale anglaise refuse à RBSD le droit de déduire la TVA qu’elle a
supportée lors de l’achat des voitures au motif que les redevances de leasing n’ont pas été
soumises à la TVA.
La Cour de justice constate que l’absence de perception de la TVA sur les redevances de
leasing résulte de la différence de qualification de cette opération dans les deux Etats
concernés. Le leasing est une prestation de services en droit anglais et une livraison de bien en
droit allemand.
La Cour décide ensuite que cette différence de qualification de l’opération ne peut priver
RBSD du droit de déduire la TVA supportée lors de l’achat des voitures, même si aucune
TVA n’a été perçue sur les redevances de leasing.
Dans cet arrêt, la Cour de justice assouplit sa définition de l’opération abusive. Une telle
opération est « un montage artificiel, dépourvu de réalité économique et effectué dans le seul
but d’obtenir une avantage fiscal ».
Ainsi, pour être abusive, l’opération permettant d’obtenir un avantage fiscal ne doit plus être
réalisée dans le but essentiel d’obtenir cet avantage fiscal, mais dans le seul but d’atteindre cet
avantage.
Dans le cas d’espèce, l’activité économique habituelle de RBSD est le leasing, l’opération de
leasing est réalisée entre sociétés indépendantes et aux conditions normales du marché. Il ne
peut dès lors y avoir abus fiscal suivant la Cour de justice, puisque RBSD a fourni les services
dans le cadre d’une activité économique réelle.
Même si cette opération a pour effet d’éviter la TVA sur les redevances de leasing, alors que
la TVA sur l’achat des voitures peut être déduite, elle correspond à une activité économique
réelle dans le chef de RBSD.
51
3) Le droit belge :
a) Un avantage :
L’opération doit avoir pour effet l’obtention d’un avantage. Il s’agit évidemment du droit de
déduire la TVA supportée en amont.
Peut-on inclure dans la notion d’opération abusive en TVA, les comportements d’évitement
de l’impôt ?
Dans l’article 344, § 1er du CIR 1992, l’abus fiscal vise deux situations, d’une part, l’obtention
d’un avantage fiscal et d’autre part, les opérations qui permettent de se placer en-dehors du
champ d’application de la loi pour éviter l’impôt.
Echapper au champ d’application de la loi pour éviter un impôt n’est pas prévu par l’article
1, § 10, CTVA qui ne vise que la notion d’avantage fiscal.
On peut à mon avis considérer que se placer en-dehors du champ d’application de la loi pour
éviter la TVA constitue un avantage.
L’administration doit démontrer que l’opération permet d’obtenir un avantage qui est
contraire à l’objectif du Code de la TVA et les arrêtés royaux pris pour l’exécution de ce
code.
Contrairement à ce que prévoit l’article 344, § 1 er, du CIR 1992, l’avantage ne doit pas être
contraire à une disposition légale précise et déterminée, mais à l’ensemble du Code de la
TVA.
52
Cela signifie que l’administration ne doit pas identifier précisément quelle est la disposition
légale dont l’objectif a été violé, mais seulement que l’avantage est contraire à l’objectif de la
TVA.
Il ne faut pas davantage que l’objectif de la disposition légale en cause soit clairement
exprimé par le Législateur comme c’est le cas pour l’application de l’article 344, § 1er, CTVA.
c) Le but de l’opération :
L’article 1, § 10, CTVA dispose que le but essentiel de l’opération doit être l’obtention de
l’avantage. La loi applique la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne telle
qu’elle résulte de l’arrêt Halifax de 2006.
Depuis lors, cette jurisprudence a évolué, puisque la Cour de justice considère, dans l’arrêt
RBSD de 2010, que l’opération doit avoir pour seul but d’obtenir l’avantage fiscal.
La notion de pratique abusive définie à l’article 1, § 10, CTVA, doit être interprétée
conformément à la jurisprudence de la Cour de justice. Pour qu’il y ait pratique abusive en
matière de TVA, il faut que l’opération soit motivée par le seul but d’obtenir l’avantage fiscal.
Ainsi, lorsque les opérations sont normales d’un point de vue économique, il ne peut y avoir
d’abus fiscal, même si ces opérations permettent d’obtenir un avantage fiscal.
Tel est le cas lorsque l’opération est réalisée aux conditions normales du marché par des
opérateurs qui ont une activité économique réelle.
L’article 1, § 10, CTVA ne prévoit pas les conséquences de la constatation d’une pratique
abusive.
Une des conséquences d’une telle pratique est prévue à l’article 79, § 2, CTVA, suivant
lequel, « en cas de pratique abusive, la personne qui a opéré la déduction de la taxe sur les
opérations en cause, doit reverser à l’Etat les sommes ainsi déduites à titre de TVA ».
Cette disposition concerne les cas dans lesquels l’avantage résultant de l’abus fiscal consiste
en la déduction de la TVA.
Si l’avantage n’est pas la déduction de la TVA, il faut appliquer la jurisprudence de la Cour
de justice de l’Union européenne. D’après la Cour européenne, lorsqu’une opération est
abusive, il faut la traiter, pour l’application de la TVA, comme si l’abus n’avait pas eu lieu.
3.4. Amende :
53
Suivant l’article 70, § 1er bis, du CTVA, « quiconque a déduit indûment ou abusivement la
taxe, encourt une amende égale au double du montant de cette taxe, dans la mesure où cette
infraction n’est pas déjà réprimée par le § 1er, alinéa 1er ».
Cette disposition traite de la même manière les déductions de la TVA qui résultent de la
fraude fiscale et celles qui résultent d’une pratique abusive. Or, la fraude fiscale diffère
complètement de la pratique abusive.
Dans le cas de la fraude, l’avantage résulte de la violation frauduleuse de la loi, alors que tel
n’est pas le cas d’une pratique abusive, puisque toutes les conditions prévues par la loi sont
respectées.
Il ne se justifie pas du point de vue de principe de l’égalité, de traiter de la même manière des
situations qui sont différentes.
La loi qui prévoit l’application d’une amende égale au double du montant de la taxe en cas de
pratique abusive ne se justifie dès lors pas.
Par ailleurs, la Cour de justice considère que la constatation d’une pratique abusive ne peut
pas donner lieu à l’application d’une amende, mais a seulement pour conséquence le
remboursement de la TVA déduite abusivement.
A mon avis, l’application d’une amende an cas d’opération abusive est contestable et
contraire à la jurisprudence européenne.
3.5. Jurisprudence :
Une société achète un bateau de plaisance et déduit la totalité de la TVA établie sur le prix
d’achat. Le bateau est utilisé essentiellement à titre privé par le gérant et sa famille,
notamment, pour faire le tour du monde. Il est aussi donné en location à des tiers et la TVA
est perçue sur les loyers.
54
Administration rejette la déduction de la TVA sur l’achat du bateau, car celui-ci est utilisé à
titre privé et que la société n’a pas pour activité la location de bateau et n’en a pas
l’infrastructure.
La cour d’appel de Gand considère que l’administration ne peut pas rejeter la déduction de la
TVA supportée lors de l’achat du bateau, parce que celui-ci est utilisé pour une activité
économique taxée, la location.
Par contre la cour considère que l’achat du bateau par la société est une pratique abusive. En
effet, le bateau est principalement utilisé à titre privé par le gérant et si le gérant avait acheté
lui-même ce bateau, il n’aurait pas pu déduire la TVA.
L’acquisition du bateau par la société et sa mise en location permet au gérant de faire
l’économie de la TVA due sur le prix d’achat, alors que le bateau est principalement utilisé
par lui à titre privé.
La cour admet l’application d’une amende de 10 % du montant de la TVA déduite parce que
la pratique abusive constitue un comportement répréhensible qu’il est souhaitable d’éviter.
Pour rappel, la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’une opération abusive ne
peut pas donner lieu à une sanction, mais seulement au payement de la TVA.
Une société de promotion immobilière constitue une filiale à laquelle elle fait apport d’un
terrain sur lequel se trouve un immeuble. Le but économique de l’opération était de démolir
cet immeuble, de construire un immeuble de bureau et de le donner en location.
La filiale confie à un agent immobilier la mission de trouver un amateur pour la location des
bureaux. Comme cette société n’a ni les moyens ni l’infrastructure pour réaliser l’opération,
elle confie à la société de promotion immobilière la mission de faire construire l’immeuble de
bureaux par des entrepreneurs et de lui livrer un immeuble fini, clé sur porte.
Lorsque l’amateur pour l’immeuble est trouvé, tous les actionnaires de la société filiale, soit
principalement la société de promotion immobilière, signent avec celui-ci un contrat par
lequel ils lui cèdent 90 % des actions de la société filiale.
D’autres conventions sont signées entre l’amateur et les actionnaires de la société filiale, afin
que l’amateur puisse acquérir le solde des actions de la filiale.
Lorsque la construction de l’immeuble est achevée, l’amateur le prend en location par un
contrat de bail conclu avec la société filiale.
L’administration considère que la vente porte non par sur les actions de la société filiale, mais
sur l’immeuble. Elle demande le payement de la TVA due pour la livraison de cet immeuble
neuf. Pour l’administration, la société de promotion immobilière n’a jamais eu l’intention de
constituer la société filiale pour qu’elle exerce une activité économique normale. Cette société
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n’a d’ailleurs pas de personnel, pas de moyens financiers et pas de personnel pour exercer une
activité immobilière. Elle confie d’ailleurs la réalisation de toute l’opération de construction
de l’immeuble de bureaux à la société de promotion immobilière. Le seul but de l’opération
pour l’administration, est d’éviter le payement de la TVA sur la vente de l’immeuble neuf à
l’amateur.
Le tribunal estime que le motif essentiel de l’opération n’est pas d’obtenir un avantage fiscal
contraire à l’objectif du système de la TVA. En effet, la société de promotion immobilière
justifie que la plupart de ses gros clients qui sont intéressés par l’acquisition d’immeubles de
bureaux préfèrent acheter les actions d’une société propriétaire de l’immeuble, plutôt que
l’immeuble lui-même, afin de rendre leur investissement plus liquide.
Le tribunal décide que l’opération s’inscrit dans la pratique normale du marché dans lequel la
société de promotion immobilière exerce son activité économique. L’opération telle qu’elle a
été réalisée, se justifie par la nécessité de s’adapter aux exigences de ce marché.
L’opération se justifie par un motif économique normal, de sorte qu’elle ne constitue pas une
pratique abusive et l’administration ne peut pas exiger le payement de la TVA sur la mise à
disposition de l’immeuble comme s’il s’agissant de la vente d’un immeuble neuf.
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