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I Isotopes stables, isotopes radioactifs

La géochimie isotopique est la branche de la géochimie qui étudie la composition isotopique des
éléments constitutifs des matériaux terrestres.

Rappelons que chaque élément chimique est caractérisé par un numéro atomique donné (Z, égal au
nombre de protons du noyau), mais que pour un même élément, il peut exister plusieurs isotopes,
qui diffèrent entre eux par leur masse atomique (A, égale au nombre de protons et de neutrons
du noyau, et définissant la masse molaire en g/mol).

Chacun des quelques 100 éléments du tableau de Mendeleiev possède plusieurs isotopes.
Certains sont naturels, c'est à dire qu'il ont été formés soit lors du Big Bang, soit lors de
la nucléosynthèse dans les étoiles, soit encore sous l'effet des rayonnements cosmiques
(isotopes dits cosmogéniques). D'autres ne sont connus que par leur synthèse dans les
laboratoires de physique nucléaire. On dénombre à ce jour plus de 3000 isotopes, mais la plupart
ne sont pas observables dans les échantillons naturels. En effet, la plupart des isotopes
sont radioactifs, et ont une durée de vie extrêmement courte. Seuls 158 isotopes radioactifs ont
une période de désintégration de plus de un an (c'est à dire une durée de vie de 10 ans environ).
Seuls 237 isotopes sont stables, c'est à dire qu'ils ne subissent aucune désintégration
radioactive spontanée.

Si on regarde la table des nucléides, on s'aperçoit qu'il existe une relation entre le nombre de
proton et le nombre de neutron. Il existe un domaine de stabilité correspondant à un rapport
proton/neutron égal à 1 pour les éléments légers, et à 1.5 pour les éléments lourds.

Les proportions entre les différents isotopes d'un même élément sont appelées abondances. Ces
abondances sont légèrement variables dans les matériaux terrestres, ce qui constitue la base de
la géochimie isotopique. En effet, les différences de composition isotopique observées entre les
différents réservoirs et matériaux terrestres nous renseignent sur les processus qui sont à
l'origine de cette variabilité. Ces processus étant différents pour les isotopes stables et les
isotopes radioactifs, on distingue deux grands domaines en géochimie isotopique: la géochimie
des isotopes stables, et la géochimie des isotopes radioactifs.

Liens:
Tableau de Mendeleiv
http://www.tableauperiodique.be/archi.htm
http://www.webelements.com/
Nucléosynthèse
http://www.astronomes.com/
http://www.astrosurf.com/lombry/cosmos-creation.htm

Table des nucléides


http://wwwndc.tokai.jaeri.go.jp/CN03/index.html

II Géochimie des isotopes stables

Les isotopes d'un même élément ont des propriétés chimiques comparables car ils ne différent
entre eux que par la composition de leur noyau, et pas par leur structure électronique. Mais
la différence de masse entre les isotopes induit des différences d'énergie des liaisons
moléculaires dans lesquelles les isotopes sont impliqués. Ces différences de masse et d'énergie
des liaisons moléculaires entre les isotopes induisent des fractionnements isotopiques, c'est à
dire des différences de composition isotopique, entre les matériaux terrestres.

La composition isotopique d'un élément donné dans un objet donné peut s'exprimer de plusieurs
manières:

 par les abondances isotopiques, c'est à dire les proportions atomiques entre les
différents isotopes de l'élément. Par exemple, pour les 3 isotopes de l'oxygène, les
abondances sont de 99.63% pour l'16O, 0.0375% pour l'17O et 0.1995% pour l'18O. Les
abondances servent généralement à exprimer la composition isotopique moyenne d'un
élément, mais pas les variations de composition isotopique.
 par les rapports isotopiques entre deux isotopes de l'élément (par convention, en
général, le moins abondant sur le plus abondant). Par exemple, pour l'oxygène, on utilise
les rapports 18O/16O et 17O/16O.
 par les "δ", c'est à dire les rapports isotopiques relatifs à un standard, exprimés en ‰.
Par exemple, pour l'oxygène:

δ18O=[(18O/16O)-(18O/16O)Std] / (18O/16O)Std x 1000

La notation en "δ" est la notation qui met les mieux en évidence les variations de composition
isotopiques, qui sont généralement très faibles.

Les compositions isotopiques sont mesurées par spectrométrie de masse (voir fiche
"Spectrométrie de masse") . On obtient par spectrométrie de masse des rapports isotopiques.

Les différences de composition isotopique entre deux objets s'expriment de deux manières:

 par le "Δ", différence de composition isotopique exprimée en notation "δ" entre deux
objets. Par exemple, pour exprimer la différence de composition isotopique de l'oxygène
entre l'eau liquide et l'eau vapeur, on écrira:

Δliq-vap = δ18Oliq-δ18Ovap
 par le fractionnement isotopique α, c'est à dire le rapport entre les compositions
isotopiques de deux objets exprimés par leurs rapports isotopiques . Par exemple, pour
exprimer la différence de composition isotopique de l'oxygène entre l'eau liquide et l'eau
vapeur, on écrira:

αliq-vap = (18O/16O)liq/(18O/16O)vap

Pour les notations en Δ et α, attention à l'ordre d'écriture!

Noter qu'à condition qu'α soit voisin de 1 (c'est le cas pour l'oxygène en particulier), il existe une
relation fort utile entre les α et les Δ: Δa-b=1000lnαa-b

On distingue deux types de fractionnements entre les isotopes stables: les fractionnements à
l'équilibre et les fractionnements cinétiques.

 Les fractionnements à l'équilibre sont des fractionnements dûs à la différence


d'énergie entre les molécules impliquant des isotopes différents. Prenons l'exemple de
l'équilibre isotopique entre les carbonates et l'eau exprimé pour l'oxygène. On peut
écrire une réaction d'échange entre les 18O et les 16O de l'eau et du carbonate, comme on
le fait en thermodynamique pour les réactions chimiques.

H218O + 1/3 Ca C16O3 = H216O + 1/3 CaC18O3

A cause des différences de masse, l'énergie des produits de la réaction d'échange est
différente de celle des réactifs. Les différences sont de quelques centaines de J seulement,
contre quelques centaines de kJ pour les réaction chimiques.

On introduit la constant K, comme en thermodynamique

soit encore

Le rapport entre la composition isotopique de l'eau et celle de la calcite est fixé par cette
constante d'équilibre, qui dépend de la température.

 Les fractionnements cinétiques sont dus au fait que les réactions impliquant les isotopes
légers sont en général plus rapides que celle impliquant les isotopes lourds. Prenons
l'exemple de l'évaporation de l'eau. L'évaporation d'H 218O est plus lente que celle
d'H216O. Si l'évaporation est continue, la vapeur sera donc enrichie en H216O par rapport
à l'eau liquide.
Les fractionnements isotopiques dépendent pour les isotopes stables de la différence
relative de masse entre les isotopes. Plus la différence relative de masse est importante,
plus les fractionnements isotopiques seront importants. Ainsi, les fractionnements entre
les isotopes de l'hydrogène (dM/M=1/1=1 entre l'1H et l'2H) seront plus forts que les
fractionnements entre les isotopes du Sr (dM/M=2/86=1/43 entre 86Sr et le 88Sr). En
pratique, les fractionnements isotopiques ne sont mesurables à l'heure actuelle que pour
les éléments les plus légers (grosso modo, les 4 premières lignes du tableau de
Mendeleiev). Les isotopes les plus couramment utilisés en sciences de la Terre sont ceux
de l'oxygène, du carbone, et de l'hydrogène, mais la géochimie des isotopes stables
concerne des éléments de plus en plus variés (N, S, Ca, Si, Fe, ....). (voir fiche "Principaux
systèmes des isotopes stables").

On peut distinguer deux grands types d'utilisation des isotopes stables.

 Traçage isotopique

Les différents réservoirs terrestres ont acquis des caractéristiques isotopiques au cours
des processus magmatiques, sédimentaires, atmosphériques, biologiques, ou même
anthropiques... On peut ainsi déterminer la source des matériaux par leur composition
isotopique. Ainsi, une eau douce n'aura pas la même composition isotopique de l'oxygène
qu'une eau de mer, ou que l'eau constitutrice des silicates hydratés (voir fiche
"L'oxygène de l'eau"), ce qui permet d'identifier l'origine des eaux d'altération, des
eaux hydrothermales, etc... La géochimie des isotopes stables s'avère également utile
dans le traçage des pollutions: par exemple, les nitrates naturels des acquifères n'auront
pas la même composition isotopique que les nitrates apportés par les engrais. On peut
même utiliser la composition isotopique des composés organiques pour tracer les fraudes
alimentaires. Les isotopes stables sont également fort utiles en cosmochimie où ils
donnent des indications sur l'origine des matériaux extra-terrestres.

 Thermométrie

La constante d'équilibre K dépendant de la température, les fractionnements isotopiques


dépendent de la température. On détermine généralement des relations de la forme

1000 ln α =A/T+B, ou 1000 ln α =A/T2+B

où A et B dépendent du système isotopique considéré et des matériaux entre lesquels on estime


le fractionnement.
On voit que le fractionnement dépend inversement de la température, autrement dit, les
fractionnements sont plus forts à basse température qu'à haute température. Si on connaît
précisément la relation entre la constante d'équilibre et la température, alors, la mesure des
fractionnements isotopiques peut être utilisée comme thermomètre.
Ainsi, les fractionnements isotopiques de l'oxygène entre l'eau et les carbonates sont à la base
de la paléothermométrie et de la reconstitution des paléoclimats ou des paléoaltitudes (voir
fiche "Thermométrie oxygène et paléoclimats"). Les fractionnements isotopiques de l'oxygène
sont également des thermomètres utilisés en pétrologie magmatique et métamorphique.

III Géochimie des isotopes radioactifs et radiogéniques

Les isotopes se désintégrant par radioactivité s'appellent des isotopes radioactifs, et ils
génèrent des isotopes dits radiogéniques. On parle aussi d'isotopes pères et d'isotopesfils des
réactions de désintégration radioactive (voir fiche "Les différents types de radioactivité").

Les principaux couples de désintégration radioactives et leurs applications sont présentés dans la
fiche "Principaux systèmes des isotopes radioactifs".

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Par exemple, dans le système Sm-Nd, l'isotope père, radioactif, est le Sm, et l'isotope fils,
radiogénique, est le 143Nd.

 Du point de vue du père...

La vitesse de désintégration d'un isotope père P en isotope fils F est proportionnelle à la


quantité d'isotope père. On a donc:

dP/dt = -λ P, soit pour le système Sm/Nd d147Sm/dt = - 147λ147Sm (Eq III.1)

La constante de proportionalité,λ, s'appelle la constante de désintégration. Sa valeur dépend de


l'isotope considéré, et représente la vitesse de la désintégration. Elle s'exprime généralement en
an-1. Par exemple, 147&lambda=6.54x10-12 an-1

L'équation ci-dessus s'intègre en:

P=P0exp(-λt ), soit pour le système Sm/Nd 147Sm=147Sm0 exp(-147λ t ), (Eq III.2)

où P0 est la quantité d'isotope père à t=0. La quantité d'isotope père diminue donc
exponentiellement au cours du temps.

nb Cette équation est valable quelle que soit l'origine prise pour l'axe des temps (par exemple
l'origine du système solaire, ou la formation d'une roche magmatique), et exprime la diminution
de la quantité d'élément père depuis cet instant.

On peut définir la période T1/2, appelée aussi demi-vie, comme le temps au bout duquel la
quantité initiale d'élément père a été divisée par deux. T1/2 s'exprime donc en années. Au bout de
10 périodes, la quantité d'élément père aura donc été divisée par 2 10=1024!
On peut montrer que T1/2=ln(2)/λ. Les systèmes à longue période de désintégration radioactive
ont donc une faible constante de désintégration. Par exemple, 147λ est petit et correspond à une
longue période de 105 Ga.

 Du point de vue du fils...

La quantité F d'isotope fils observée aujourd'hui (au temps t ) est égale à la quantité d'isotopes
initiale F0 présente à t=0 dans la roche, augmentée de la quantité d'isotopes
radiogéniques créés par désintégration de l'isotope père en un temps t.

On peut donc, en utilisant l'équation donnant la quantité d'isotope père disparu, démontrer
l'équation suivante:

143
F= F0 + P [exp(λt)-1] soit pour le système Sm/Nd Nd=143Nd0+147Sm exp[(147λt )-1]

(Eq III.3)

On mesure en spectrométrie de masse les compositions isotopiques, c'est à dire les proportions
entre les isotopes, et non pas la concentration vraie de chacun. On utilisera donc une notation en
" rapport isotopique " avec au numérateur l'isotope radiogénique ou radioactif, et au
dénominateur un isotope non radioactif et non radiogénique du fils, Fs. On obtient alors (Eq
III.4):

143
soit pour le Sm/Nd Nd/144Nd=(143Nd/144Nd)0+(147Sm/144Nd) exp[(147λt)-1]
 Le rapport isotopique du fils mesuré aujourd'hui (au temps t ) est égal au rapport
isotopique du fils présent à t=0 (le rapport initial) augmenté du rapport isotopique
correspondant aux isotopes radiogéniques créés en un temps t par désintégration de
l'élément père. Ce rapport isotopique radiogénique dépend à la fois du rapport
père/fils mesuré aujourd'hui et du temps t.
 Des quatre variables de l'équation ci-dessus, deux correspondent à des valeurs actuelles
donc mesurables (le rapport isotopique F/Fs et le rapport P/Fs) , et deux sont a priori
inconnues (le temps et le rapport initial (F/Fs)0).
 On voit se dégager ici les deux grands champs d'application de la géochimie des
radioisotopes: la géochronologie par l'estimation du temps t et le traçage isotopique par
la mesure des rapports initiaux

Géochronologie

L'équation décrivant la décroissance de la quantité d'isotope père (III.2) et celle décrivant


l'augmentation de la quantité d'isotopes fils (III.4) ont chacune deux inconnues: le temps, et la
quantité initiale. Pour faire de la géochronologie, il faut donc faire des hypothèses sur le rapport
initial.

 Dans certains cas, la quantité initiale est connue. L'exemple classique est celui de la
datation au 14C. Le 14C est le père d'un système de désintégration radioactive dont le fils
est l'14N. Le 14C est cosmogénique, c'est à dire qu'il se forme en continu dans
l'atmosphère sous l'effet des rayons cosmiques. L'évolution du rapport 14C/12C
atmosphérique dans le passé est connue sur toute la période d'utilisation de la méthode.
C'est ce rapport qui sera pris comme rapport initial de l'élément père, pour tous les
objets formés en équilibre avec l'atmosphère. On appliquera alors l'équation III.2
(14C/12C)= (14C/12C)0 exp (-λt).

 Un cas particulier où la quantité initiale est connue est celui où cette quantité est
nulle. Ceci ne concerne évidemment que les cas où l'on utilise pour la datation l'évolution
du rapport isotopique de l'élément fils (Eq III.4), car si la quantité initiale d'élémént
père est nulle, il n'y a pas non plus d'isotopes radiogéniques. L'exemple classique est celui
du système 40K-40Ar. Dans ce système, l'élément fils est un gaz rare. Au moment de la
formation des matériaux terrestres, il n'y a en général pas de gaz piégé, et tout le gaz
mesuré après un temps t correspondra donc à la quantité radiogénique.

 Sans être complétement nulle, la quantité d'élément fils initiale pourra être tenue
pour négligeable par rapport à la composante radiogénique si le rapport père/fils est
grand. C'est parfois le cas pour les systèmes U-Pb, car il existe des minéraux uranifères
pour lesquels le rapport père/fils est suffisamment élevé (uraninite, zircon, sphène...).

 Dans le cas le plus général, on utilisera la méthode de l'isochrone (voir


fiche "Méthode des isochrones"). Elle consiste à trouver au moins deux échantillons de
l'objet à dater ayant le même âge et le même rapport initial (échantillons dits
"cogénétiques"), mais des rapports père/fils différents. On peut donc écrire l'équation
décrivant le rapport isotopique du fils pour chacun des échantillons (Eq III.4), et on a
alors au moins deux équations et deux inconnues, ce qui permet de trouver à la fois le
rapport initial et l'âge. Il est plus prudent d'analyser plus de deux échantillons, car cela
permet de vérifier qu'ils sont cogénétiques. En effet, ils s'alignent dans ce cas sur une
droite dite "isochrone" dans un diagramme où l'on reporte le rapport isotopique de
l'élément fils en fonction de l'élément père, ainsi que le montre l'équation III.4. La pente
de cette droite vaut alors [exp(λt)-1] ce qui permet de calculer t. Cette méthode est
généralement utilisée pour les systèmes Rb-Sr, Sm-Nd et Lu-Hf, mais aussi si nécessaire
pour les systèmes U-Pb et K-Ar.

Mais que date t'on au juste? Cette question est essentielle à l'interprétation des données
géochronologiques! On ne date pas un objet, mais un événement se rapportant à cet objet. On
date le dernier moment où le rapport initial correspondait à l'une des hypothèses faites plus haut
(égal à une valeur connue, égal à zéro, ou similaire pour tous les échantillons étudiés).

 Dans le cas du 14C, on date le dernier instant où l'objet a été en équilibre avec le carbone
atmosphérique (par exemple, la mort d'un organisme vivant).
 Dans le cas du système 40K-40Ar, on date l'événement qui a permis au gaz Ar de
s'échapper de l'objet, par exemple un événement métamorphique dans une roche.
 Dans le cas du système U-Pb, on date le moment où le Pb radiogénique a commencé à
s'accumuler, en général la formation du minéral
 Dans le cas des isochrones, on date le dernier moment où tous les échantillons avaient le
même rapport initial, c'est à dire le moment où l'objet que l'on cherche à dater avait une
composition isotopique homogène pour l'élément fils.

Pour résumer, on date donc la clôture de l'objet que l'on cherche à dater vis à vis de
l'isotope fils, c'est à dire le moment où l'isotope fils commence à s'accumuler sans
échange avec le milieu extérieur. Ceci ne correspond par toujours à la croissance ou à la
formation de l'objet. Dans certains cas, ce sont des événements postérieurs à cette
formation qui viennent "remettre le chronomètre à zéro". On peut citer comme exemple
la mort de l'organisme vivant pour le 14C, où le réchauffement des roches
métamorphiques pour le système K-Ar. (voir fiche "Thermochronologie").

Traçage isotopique

Les isotopes radiogéniques des éléments lourds ont une particularité: ils ne sont pas fractionnés
par les processus physico-chimiques tels que fusion, cristallisation ou réactions métamorphiques,
alors que les éléments pères et fils le sont.
Lors d'un évenement de fusion ou de cristallisation ayant lieu à t=0, le rapport isotopique de
l'élément fils est donc le même dans la source et dans le produit de la réaction. Si on peut
calculer le rapport isotopique de l'élément fils dans le produit au temps t =0, on connait donc
aussi le rapport isotopique de la source. On peut donc faire du traçage isotopique grâce aux
isotopes radiogéniques.

Reprenons l'équation III.4. C'est le rapport initial qui nous intéresse et il faut donc faire des
hypothèse sur le temps.
 Le cas le plus simple est celui où le temps est nul, c'est à dire où l'événement de fusion
ou de cristallisation a eu lieu au moment de l'observation. Le cas classique est celui
des basaltes actuels. Un basalte se forme dans le manteau par fusion d'une péridotite.
Cette péridotite est la source du basalte, et la composition isotopique de cette péridotite
est la même que celle du basalte. Les isotopes radiogéniques des basaltes actuels sont
donc des traceurs de la composition isotopique du manteau, ce qui est essentiel car le
manteau est largement inaccessible à l'observation directe.

 Dans les autres cas, il faut pouvoir estimer le temps pour pouvoir soustraire la
composante radiogénique au rapport isotopique du fils et remonter ainsi au rapport
initial. C'est possible si l'âge est connu par une méthode indépendante, ou si on peut
l'estimer par exemple par la méthode des isochrones. Parmi les applications classiques du
traçage isotopique par les isotopes radiogéniques sur les roches anciennes, on peut citer
la recherche des sources (mantellique ou crustale) des granites ou encore la recherche
des protolithes (roches sources sédimentairs ou magmatiques) des roches
métamorphiques.

Mais au fait, pourquoi les différents réservoirs terrestres n'ont pas tous la même composition
isotopique, puisque les isotopes lourds ne fractionnent pas? Pour expliquer cela, prenons deux
exemples appliqués au système 87Rb-87Sr.

 Le premier exemple est celui d'un granite qui contient à la fois des micas noirs et
des plagioclases. Les micas noirs sont riches en alcalins (K) et donc en Rb. Les
plagioclases sont riches en alcalino-terreux (Ca) et donc en Sr. Le rapport père/fils
(Rb/Sr) sera donc élevé dans les micas, mais faible dans les plagioclases. Lors de la
formation du granite, la composition isotopique du Sr (l'élément fils) est la même pour les
micas et les plagioclases, car la composition isotopique d'un liquide magmatique
s'homogénéise facilement. Mais après la cristallisation du granite, le rapport isotopique
du Sr du plagioclase ne sera presque pas modifiée car il est pauvre en élément père, alors
que celle du mica augmentera très fortement par désintégration du 87Rb. Plus le temps
passera, plus la composition isotopique des micas s'éloignera de celle des plagioclases.

On voit donc qu'il y a bien fractionnement isotopique entre les minéraux, mais ce fractionnement
n'a pas la même signification que pour les isotopes stables: il est dû ici aux fractionnements
élémentaires suivis par une phase de décroissance radioactive, et ne se développe qu'avec le
temps.

 Le deuxième exemple est celui d'un ensemble de roches magmatiques cogénétiques


qui contient à la fois des roches basiques et des roches acides, formées à partir
d'une même source mais plus ou moins différenciées en fonction du taux de fusion
partielle et de cristallisation fractionnée qu'elles ont subi. Les roches basiques sont
pauvres en éléments incompatibles, alors que les roches acides sont riches en éléments
incompatibles. Le Rb étant plus incompatible que le Sr, le rapport père/fils (Rb/Sr) sera
donc élevé dans les roches acides, mais faible dans roches basiques. Lors de la formation
des roches magmatiques, la composition isotopique du Sr (l'élément fils) est la même pour
tous les magmas si leur source est la même. Mais après la cristallisation des roches, le
rapport isotopique du Sr des roches basiques évoluera moins vite que celui des roches
acides par désintégration du 87Rb. Plus le temps passera, plus la composition isotopique
des roches acides s'éloignera de celle des roches basiques.

On peut globalement expliquer ainsi les rapports les écarts de composition isotopique
entre la croûte continentale et le manteau supérieur: la croûte, enrichie en éléments
incompatibles, a un rapport Rb/Sr élevé, et donc un rapport 87Sr/86Sr élevé (environ
0.720); au contraire, le manteau supérieur, appauvri en éléments incompatibles, a un
rapport Rb/Sr faible, et donc un rapport 87Sr/86Sr faible (environ 0.703). Le manteau
supérieur apparaît donc comme un résidu de fusion partielle et la croûte comme un
produit de fusion partielle. La croûte continentale semble avoir été, d'une manière plus ou
moins directe, produite par la fusion partielle du manteau dans le passé.

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