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Le capital humain crée un avantage

compétitif

"Quelle serait votre définition du Capital Humain ? Pour vous, y-a-t-


il plusieurs niveaux de capital humain tant dans l’entreprise
(individuel, collectif) qu’au sein de la collectivité économique
(sectoriel, territorial…) ?
« La définition du capital humain de l’entreprise a de tout temps été un
sujet de débat. Tous collectivement, théoriciens de l’entreprise comme
praticiens, nous avons émis des hypothèses et des propositions mais il
n’existe pas de consensus général, même si quelques points de vue font
l’unanimité. De façon globale et partagée, le capital humain d’une
entreprise représente l’ensemble des talents individuels et collectifs de
ses collaborateurs ainsi que le modèle organisationnel et managérial qui
permet de les articuler.
Parmi ces éléments d’actifs, certains peuvent être appréhendés de façon
universelle. Ils concernent la qualification des collaborateurs, leurs
expériences dans les métiers qu’ils exercent et leur aptitude à participer
de manière collective aux projets de l’entreprise. Fonction par fonction,
au sein des entreprises des niveaux d’engagement technique ou
politique peuvent être appréhendés. Ces éléments renvoient à la
dimension individuelle ou collective de la valeur du capital humain.
D’autres aspects, ayant trait à l’organisation sont déterminants. Il s’agit
des éléments culturels propres aux politiques d’entreprises qui peuvent
faciliter la bonne coordination de l’ensemble des compétences
disponibles dans le but d’une mobilisation générale et d’une saine
adhésion de tous aux activités de l’entreprise. Il existe des entreprises
dont on mesure intuitivement la qualité du climat général et les atouts
dont elle dispose pour son développement.
D’autres éléments du capital humain renvoient plus spécifiquement à
certains secteurs d’activité. La variété des actifs immatériels et des
éléments de capital humain est très large. La place des NTIC, le niveau
de couverture géographique, la force de la réglementation en vigueur
dans les métiers sont autant de variables qui pondèrent, sinon dictent,
les caractéristiques du capital humain en interne. Le savoir-faire d’un
management interculturel est plus important dans une multinationale
active sur les cinq continents que dans une entreprise publique aux
activités uniquement nationales, évidemment. La valeur du capital
humain d’une entreprise est également influencée par la place
stratégique qu’occupe le facteur innovation dans son développement.
L’équilibre des parts d’activités B to B et B to C influence également le
type du capital humain de l’entreprise.
Le modèle organisationnel et managérial, autre facteur déterminant, est
quant à lui plus spécifiquement attaché au type d’organisation (au sens
Mintzberg du terme). Le statut de l’entreprise, sa taille, son antériorité ou
son modèle hiérarchique définissent un type d’organisation qui
nécessitera des compétences, des savoirs et des savoir-faire variables.
En vertu de ces quelques règles, on voit bien la difficulté à aboutir à un
modèle standard et déterministe de performance du capital humain.
Pour autant, on ne peut se résoudre à adopter une définition par défaut
qui consisterait à présenter le capital humain comme le capital qui ne
serait pas matériel, économique ou financier. Il est donc nécessaire de
poursuivre les travaux qui sont engagés. Et il n’y pas de motif non plus
suffisant à abdiquer devant la tâche, ces préoccupations de recherche et
de définition étant finalement récentes, elles sont donc forcément et
naturellement non encore abouties. »
Le capital humain est-il un levier majeur de compétitivité ? Dans ce
cas, quelles bonnes pratiques de gouvernance du capital humain
vous paraissent contribuer au business model de croissance et in
fine à la valorisation de l’entreprise?
« Oui, absolument. Il est clair, ceteris paribus, qu’une entreprise dont le
capital humain est de qualité dispose d’un moyen d’action plus important
qu’une autre entreprise ne disposant pas des mêmes atouts bien
qu’ayant des actifs économiques ou financier identiques. Il existe
plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la valeur d’un capital humain
constitue un avantage évident en termes d’attractivité sociale. Avant de
disposer d’un capital humain de valeur, l’entreprise doit être capable
d’attirer et de garder les talents. Les talents sont ceux qui assurent un
développement de l’entreprise à coût et investissement raisonnable.
L’attractivité sociale que véhicule l’image de l’entreprise est un atout
important.
Le capital humain est également, selon la définition citée plus haut, un
moyen d’articuler l’ensemble des actifs de l’entreprise de façon
optimisée. Si on accepte l’idée que toute décision en entreprise est le
fruit d’un acte managérial ou individuel, rien ne se décide ni ne s’exécute
sans l’action d’un collaborateur ou d’un groupe de collaborateurs. Ainsi,
un corps social éclairé et mobilisé agira de façon plus efficiente.
Le capital humain est aussi un des meilleurs moyens d’accroitre la
contribution des actifs immatériels dans leur ensemble à la marche des
affaires et de favoriser son développement. Parmi les actifs immatériels,
la réputation de l’entreprise, sa culture interne, la qualité de sa
gouvernance, sa politique RSE lucide et courageuse que porte chaque
collaborateur sont autant de moyens qui contribuent à améliorer la
marche économique et le développement. »
Comment mesurer l’investissement sur capital humain et son ROI ?
Quels sont les indicateurs-clés qui seraient pertinents pour la
notation extra financière?
« Le sujet de la mesure est crucial, et le chantier de la réflexion
méthodologique est ouvert pour longtemps encore. Deux écoles
s’opposent qui, pour la première, défend l’idée d’un travail de
quantification comptable élaboré sur la base des techniques aujourd’hui
adoptées, et pour la seconde, propose une rupture de méthode en
considérant le capital humain comme un facteur contributeur de
performance et non pas objet de performance. Dans le premier cas, on
cherche à intégrer les informations du capital humain dans des
processus quantitatifs de mesure et d’évaluation. Le chiffre est
l’indicateur de la performance en valeur en absolue. La limite de
l’exercice vient du fait que l’ensemble de la boite à outil utilisée a été
élaborée avec une matière qui se prête aux calculs de quantification,
c'est-à-dire les données comptables et budgétaires, mais qui n’a pas
intégré les données qualitatives. A l’opposée, les travaux menés sur les
facteurs de contribution, qui d’ailleurs peuvent être également évalués
sur une échelle métrique, place le capital humain comme un élément
facilitateur de développement et de performance, et non pas comme une
fin en soi. Ce qui compte c’est la qualité des conditions préalables à
l’exercice des activités.
Tout cela rend évidemment difficile le calcul du retour sur investissement
des dépenses engagées. Il me semble, là également, que ce qui est
important c’est le calcul de la dérivée à un instant t d’un investissement
supplémentaire au profit du capital humain. L’exemple le plus illustratif
est celui de la formation. Je crois peu utile et peu pertinent de comparer
les valeurs du capital humain de deux entreprises sur les seuls montants
des dépenses de formation, même ramenées à des ratios par chiffre
d’affaires généré ou par résultats obtenu. Il est probablement plus
intéressant de prendre la situation de l’entreprise à l’instant t et d’évaluer
ce que rapporte le supplément d’investissement. Les ressources de
l’entreprise étant à périmètre fini, ce qui compte c’est le bon arbitrage de
la ventilation des montants alloués. Un supplément de dépense en
formation n’est pas synonyme obligatoirement d’accroissement de
performance d’entreprise, même en intégrant l’hypothétique facteur de
satisfaction sociale qu’il est censé générer.
Pour la notation extra-financière les indicateurs utiles sont liés à deux
niveaux de lecture différents selon que l’on travaille à une évaluation
éthique, sociale et environnementale au sens strict ou bien à une
évaluation RSE intégrée. Au sein de l’agence ESG Score, nous
défendons une certaine idée des critères de notation du capital humain.
Dans un monde complexe comme jamais auparavant, mondialisé et
globalisé, la notion de responsabilisation est devenue cruciale. Les
modèles Global Value© et DEEPP model© ont recours à des critères qui
évaluent la capacité de l’entreprise à favoriser l’entrepreneuriat de soi,
l’ouverture aux parties prenantes, la mobilité physique et intellectuelle, la
prise d’initiative et l’innovation, notamment. Ces critères se déclinent en
indicateurs de mesure de la mise en place des conditions de réalisation.
Il s’agit d’un modèle de notation ex ante (et non pas ex post) qui ne se
perd pas en conjecture sur l’appréciation des résultats. »
Avez-vous le sentiment qu’il existerait un « value gap » entre la
valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Pourrait-il
être diminué par une meilleure prise en compte de la valeur des
actifs immatériels, tel que le capital humain, et par une
communication spécifique sur cet aspect de la valeur ?
« De fait, l’asymétrie d’information existe. Elle s’explique par le fait que
les données prioritairement et majoritairement prises en compte par les
marchés sont économiques, budgétaires et financières. Ces données ne
peuvent expliquer et démontrer à elles-seules l’entièreté du
fonctionnement de l’entreprise. Cela étant, une partie des entreprises
cotées sont l’objet d’une surveillance telle que ce gap value se trouve
souvent réduit.
Par conséquent, ce sont les actifs immatériels et eux seuls qui peuvent
expliquer ces différences de valorisation sur les marchés d’entreprises
aux résultats économiques comparables. Et parmi ces actifs immatériels,
le capital humain est un élément essentiel. La communication qui
accompagne l’analyse des actifs immatériels est également un facteur
explicatif des valorisations. »
Selon vous, pour une reconnaissance et une valorisation par les
marchés, quelle serait la bonne stratégie de communication des
actions relatives au capital humain ? Faut-il aller vers une
communication financière et extra financière plus intégrée?
« Le problème de la reconnaissance et de la prise en compte par les
marchés des éléments du capital humain, et des actifs immatériels en
général, est celui de la stabilité et de l’absence d’unanimité dont ces
actifs sont l’objet. Aujourd’hui, les marchés agissent et arbitrent sur la
base d’information partagées et validées. Les données de rentabilité, de
solvabilité ou simplement de développement sont des données
acceptées par tous les acteurs économiques. Il n’en est pas de même
pour les données extra-financières. Pour autant, l’essentiel du travail des
analystes et des investisseurs consiste à essayer d’appréhender les
aléas associés aux données qualitatives de l’entreprise. Une grande
partie de leurs anticipations et de leurs spéculations s’appuie sur des
données qui sont déjà intégrées par les modèles financiers et boursiers.
Cet état de fait souligne le potentiel d’intérêt que présentent les données
sur le capital immatériel.
Une bonne stratégie de communication consiste à adopter quelques
principes de gestion, pour certains en rupture avec les pratiques
anciennes. En premier lieu la transparence contribue à améliorer
grandement la prise en compte des actifs non financiers. Une entreprise
qui joue la transparence et qui fait la démonstration de son pilotage
éclairé et lucide de ses responsabilités extra-financières présente des
garanties de succès supérieures, toute chose égale par ailleurs. Une
politique de concertation avec les parties prenantes est un autre élément
déterminant de cette performance garantie. Dans un monde toujours
plus ouvert et imbriqué, une bonne connaissance et une bonne maitrise
des acteurs de son environnement permettent à l’entreprise une
meilleure maitrise de ses risques. Cet ensemble de bonnes pratiques
constitue ce qu’il convient d’appeler les conditions préalables à la bonne
marche des affaires. Ainsi, un reporting intégré, et son lot d’usages et de
pratiques internes qui l’accompagnent, sont un bon moyen d’accroitre la
prise en compte des informations extra-financières par les marchés. Le
reporting intégré n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste de
modalités de gestion mais en constitue l’élément le plus visible. »
Pensez-vous qu’un référentiel international de l’immatériel serait
utile avec un focus capital humain ou vaudrait-il mieux que les
entreprises s’organisent en adaptant les systèmes de reporting déjà
existants (référentiels internationaux de l’extra financier comme le
GRI, systèmes nationaux comme l’art. 225 de la loi Grenelle II,...) ?
A cet égard, quel est l’apport du projet de Directive Européenne sur
le « non financial and diversity disclosure » ?
« L’intérêt d’un référentiel international de l’immatériel est réel. Le succès
rencontré par les travaux du GRI en témoigne, comme le révèle la
récente présentation des versions G4. Mais dans ce cas également je
crois qu’il convient de distinguer ce qui relève des informations
universelles des données spécifiques. Je reste sceptique quant à la
possibilité de tout régenter dans un seul et même référentiel. Il est
nécessaire de raison garder. »
Pascal Bello dirige le cabinet ESG Score spécialisé dans
l’accompagnement des stratégies RSE et de développement durable des
entreprises. Il a auparavant dirigé l’agence de notation BMJ Ratings
pendant 15 ans, pour laquelle il a audité plus de 200 entreprises à
travers le monde. Docteur ès Sciences de gestion, il est un conférencier
réputé des problématiques RSE et enseigne le management et la
stratégie dans diverses business schools et universités.

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