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La valeur
L’objet de ce chapitre est de développer les concepts et les théories qui président aux
grandes décisions financières et en particulier de comprendre leurs conséquences sur
la valeur, tout en gardant à l’esprit que maximiser une valeur, c’est minimiser un coût.
1. L’INVESTISSEMENT ET LA VALEUR
En effet, nous verrons que l’élément important dans la théorie des marchés en
équilibre est la valeur. Cette théorie souligne le lien direct qui existe entre la rentabilité
des investissements de l’entreprise et la rentabilité exigée par les investisseurs (à
travers les titres financiers émis).
La décision d’investissement est de ce fait une décision cruciale. Elle peut avoir trois
types de conséquences :
• si la rentabilité anticipée de l’investissement est supérieure à la rentabilité
exigée par les investisseurs, la valeur des capitaux propres augmente
instantanément. Un investissement de 100 rapportant 13 % éternellement alors
que le marché exige 10 % vaut 130 (100 × 13 %/10 %). La valeur s’accroît
immédiatement de 30 ;
• si la rentabilité anticipée de l’investissement est égale à la rentabilité exigée par
les investisseurs, il n’y a ni enrichissement ni appauvrissement. Les
pourvoyeurs de fonds ont investi 100, l’investissement vaut 100 ; il n’y a pas de
création de valeur instantanée ;
• si, enfin, la rentabilité anticipée de l’investissement est inférieure à la rentabilité
exigée par les investisseurs, il y a appauvrissement. Ces derniers ont en effet
investi 100 dans un projet qui rapporte, par exemple, 6 %, n’accroissant la
valeur des capitaux propres que de 60 (100 × 6 % / 10 %) ; la perte de valeur
(40) est alors instantanée.
D’un point de vue financier, l’entreprise est constituée d’un portefeuille d’actifs
financés par un ensemble de titres émis sur le marché des capitaux au sens large (cotés
ou non). Le passif de l’entreprise n’est donc qu’un écran — que le financier d’entreprise
doit rendre le moins opaque possible — entre les actifs industriels et leur
transformation en actifs financiers que sont les titres émis et placés auprès des
investisseurs.
Comme nous le verrons, cette sanction ultime est souvent trop tardive. Mais le
système financier dispose d’une sanction beaucoup plus immédiate et beaucoup plus
efficace : la valorisation des titres déjà émis par l’entreprise.
Le monde financier apprécie en effet la valeur des titres émis, et ce à tout moment.
Dans le cas des titres de dette, les agences de notation financière notent l’entreprise et
affectent ainsi la valeur de la dette actuelle et les conditions de ses prêts futurs. De
même, le marché estime les actions émises, et par là même, la valeur des capitaux
propres.
1 Cette hypothèse forte a pour objectif de simplifier les calculs et ne modifie en rien le raisonnement.
On pourrait penser qu’il reviendrait au même de dire que toute bonne décision
financière tend à faire croître les bénéfices ou à réduire les coûts. Mais, attention, ce
n’est pas vrai !
Cette règle est aussi vérifiée en termes de risque : ainsi, si l’entreprise s’endette,
l’investisseur financier pourra stabiliser son portefeuille en y ajoutant des titres moins
risqués ; il pourra, à l’inverse, s’endetter lui-même pour acquérir des titres peu risqués.
Pourquoi, dès lors, paierait-il ce qu’il peut réaliser lui-même sans frais ?
2. UNE ILLUSTRATION
Existe-t-il des combinaisons d’actifs dont la valeur globale est supérieure à la valeur de
chacun d’eux pris séparément, indépendamment des cas de synergies
industrielles où une partie des processus d’exploitation est commune à plusieurs
Le lecteur avisé ne se laissera pas tenter par l’idée qu’à un plus faible niveau de
risque doit correspondre un plus faible taux de rentabilité exigé.
En effet, ceci est faux car le marché ne rémunère que le risque non
diversifiable (le risque de marché). Nous avons vu que sur un marché, le risque
diversifiable ou spécifique que chaque investisseur peut éliminer en diversifiant son
portefeuille, n’est pas rémunéré. Seul est rémunéré le risque non diversifiable lié aux
fluctuations du marché. Que le lecteur nous permette de le renvoyer au Chapitre 16 où
ce point a été traité.
Dès lors que le risque diversifiable n’est pas rémunéré, la valeur d’une
entreprise est la même qu’elle reste indépendante ou qu’elle soit intégrée
dans un groupe. La diversification purement financière n’a donc aucun intérêt
puisqu’elle ne crée pas de valeur.
Il ne peut y avoir création de valeur que si la somme des flux des deux
investissements est supérieure parce que ces deux investissements sont entrepris
conjointement. C’est le résultat d’un processus de synergies industrielles (2 + 2
= 5). En revanche, la synergie financière n’existe pas !
En d’autres termes, l’entrepreneur doit travailler sur les flux ; il ne peut pas
réduire les taux d’actualisation, sauf à réduire le risque de son groupe.
3. UNE MORALE
La valeur des titres émis par l’entreprise ne résulte donc pas de constructions
financières ; elle traduit simplement la sanction, par le marché, de la rentabilité et du
risque de l’activité industrielle et commerciale de l’entreprise perçus par l’investisseur.
La théorie des marchés en équilibre conduit à la règle simple et évidente, mais très
souvent oubliée dans la pratique, de l’additivité des valeurs. Quelle que soit l’évolution
des critères financiers, en particulier le bénéfice par action, il ne peut y avoir création
de valeur lorsqu’on se contente d’ajouter des valeurs (diversification) ou de soustraire
des valeurs (endettement) qui sont elles-mêmes à l’équilibre.
Comme la théorie des marchés en équilibre démontre que la finance ne peut pas
modifier la taille du gâteau (la valeur de l’actif économique), mais seulement son
partage, il en résulte que bon nombre de problèmes financiers naissent de la lutte entre
les différentes parties prenantes2 de la sphère financière.
Selon la théorie des marchés en équilibre, investir des fonds au taux de rentabilité
exigé ne modifie pas la valeur de l’actif économique. Mais si cet investissement est très
risqué (et donc potentiellement très rentable), les créanciers dont la rémunération est
fixe ne verront que l’accroissement du risque alors que leur rentabilité sera identique.
La valeur de leurs créances diminuera donc au profit des actionnaires qui verront la
valeur de leurs actions augmenter du même montant (la valeur de l’actif économique
n’ayant pas changé) ; et pourtant cet investissement a été réalisé à son prix d’équilibre.
Nous retrouvons ici un rôle pour le directeur financier ! Celui de répartir la valeur
entre les différentes parties prenantes. C’est un négociateur dans l’âme.
Parmi les parties prenantes, il ne faut pas oublier les dirigeants d’entreprises. En
effet, comme la finance de marché suppose des portefeuilles bien diversifiés, il y a une
distinction entre les investisseurs et les dirigeants, et donc par là même, des intérêts
divergents auxquels s’ajoutent des informations différentes (informations internes et
Il n’est donc pas raisonnable de croire que l’information est à tout instant
équitablement partagée, c’est-à-dire symétrique. Bien au contraire, l’asymétrie de
l’information est une règle générale.
Ceci n’est pas sans poser problème. L’asymétrie d’information peut en effet conduire
à ce que les investisseurs sous-évaluent une entreprise qui, de ce fait, hésitera à faire
une augmentation de capital car les dirigeants percevront son cours comme trop faible.
Dès lors, des opportunités d’investissements très rentables seront peut-être perdues
faute de financement, ou les actionnaires actuels seront dilués dans de mauvaises
conditions financières si l’entreprise procède malgré tout à l’augmentation de capital.
Le signal n’est pas une déclaration ou une confidence comme le croient de nombreux
directeurs financiers ou présidents d’entreprise mais une véritable décision
financière, librement prise, porteuse de conséquences financièrement
négatives pour son initiateur au cas où le signal se révélerait faux.
En effet, l’investisseur est loin d’être naïf et accueille tout signal avec le degré de
scepticisme qui convient.
La théorie des mandats analyse les conséquences des décisions financières en termes
de risque, de rentabilité et, d’une manière plus générale, en termes d’intérêt pour les
différentes parties prenantes dans l’entreprise. Elle permet de mettre en évidence que
certaines décisions peuvent être prises à l’encontre des critères simples de
maximisation de richesse des différentes parties, au profit d’un seul des pourvoyeurs
de fonds.
De façon plus schématique, on parlera de relation de mandat entre deux personnes
dès lors que l’une d’entre elles, appelée mandataire (ou agent) exerce une activité pour
le compte du mandant (principle en anglais). Le mandataire détenant un mandat ou
une procuration pour agir au nom du mandant, toute relation d’agence implique donc
nécessairement une délégation de la prise de décision au mandataire.
Ainsi, les actionnaires mandatent les dirigeants pour gérer au mieux les fonds qu’ils
leur ont confiés. Or, la crainte des actionnaires est que ces gestionnaires aient d’autres
objectifs que la maximisation de la valeur des capitaux propres qui leur ont été confiés :
accroître la taille du groupe au détriment de sa rentabilité, minimiser le risque de l’actif
économique en refusant certains investissements créateurs de valeur mais qui
pourraient mettre en difficulté l’entreprise s’ils échouaient, etc.
L’endettement joue aussi un rôle puisqu’il agit comme une contrainte sur les
dirigeants, les poussant à maximiser les flux de trésorerie de l’entreprise afin de lui
permettre de faire face aux intérêts à payer et aux échéances de remboursement, faute
de quoi l’entreprise fait faillite et les dirigeants perdent leur travail. Cette maximisation
des flux de trésorerie est tout à fait dans l’intérêt des actionnaires puisqu’elle conduit
à des valeurs élevées des capitaux propres. L’intérêt des dirigeants et celui des
actionnaires sont ainsi convergents.
Le lecteur devra bien avoir à l’esprit qu’un projet, un investissement, une entreprise ne
peuvent avoir une rentabilité extraordinaire que si celle-ci est fondée sur un avantage
stratégique. La théorie des marchés en équilibre nous dit que, normalement, la valeur
actuelle d’un projet doit être nulle si tous les mécanismes de la concurrence jouent. Si
un financier veut donner des conseils en matière de choix d’investissements, il doit
sans doute « pousser le crayon » et traduire en termes prévisionnels la véritable
rentabilité de l’investissement. Mais il doit également se faire stratège et appliquer tous
les raisonnements économiques qu’il a appris.
La rentabilité véritable d’un projet ne s’explique que par une rente économique,
c’est-à-dire une position qui permet d’obtenir un taux de rentabilité des
investissements supérieur au taux de rentabilité exigé compte tenu du
risque. La rente économique est l’essence de la stratégie de l’entreprise : créer des
imperfections dans les marchés de produits et/ou des facteurs de production et
constituer ainsi des barrières à l’entrée que tout dirigeant d’entreprise doit s’efforcer
d’exploiter et de défendre.
Mais que notre lecteur ne se leurre pas. Une rente économique est faite pour
s’éroder. Un taux de rentabilité plus fort que le taux de rentabilité exigé compte tenu
du risque va naturellement attirer des concurrents ou l’attention des autorités de la
concurrence (voir Microsoft). Tôt ou tard, la déréglementation et les progrès
technologiques aidant, la rente économique disparaît. Ou, comme le dit l’adage
populaire, « il n’y a pas de forteresse imprenable, il n’y a que des forteresses mal
assiégées ! ».