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Dérivation chirurgicale du canal


de Wirsung dans la pancréatite
chronique
A. Sauvanet

Dans la pancréatite chronique compliquée de douleurs invalidantes, la dérivation chirurgicale du canal de


Wirsung par anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y constitue un traitement antalgique efficace et
bien validé par l’expérience puisque cette intervention a été décrite il y a 45 ans. L’existence d’une
dilatation du canal de Wirsung est, pour presque tous les auteurs, considérée comme nécessaire à sa
réalisation. D’autres complications de la pancréatite (sténose biliaire, pseudokyste, plus rarement sténose
duodénale) peuvent être traitées dans le même temps par une dérivation appropriée. L’efficacité
antalgique inconstante de la dérivation du canal de Wirsung a conduit à développer des variantes
techniques, dont la principale est l’extension du drainage à la tête du pancréas en associant un
évidement parenchymateux céphalique (ou intervention de Frey) qui est traitée dans ce chapitre. Par
rapport aux pancréatectomies, ces interventions de dérivation (les anastomoses faites après
pancréatectomie partielle sont exclues de cette étude) sont associées à une morbidité immédiate moindre
et à un meilleur résultat fonctionnel, notamment en termes de diabète. Enfin, la dérivation chirurgicale du
canal de Wirsung est actuellement « concurrencée » par la dérivation endoscopique (intubation
transpapillaire par endoprothèse) et les indications respectives de ces deux techniques doivent encore être
précisées.
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Mots clés : Pancréatite chronique ; Douleurs ; Dilatation du canal de Wirsung ;


Anastomose wirsungojéjunale ; Intervention de Frey

Plan douleurs, l’existence d’une hyperpression canalaire – et donc


parenchymateuse – est probable et un traitement visant à
¶ Principes généraux 1 « décomprimer » les canaux et le parenchyme apparaît logique.
Toutefois, ce mécanisme physiopathologique n’a jamais été
¶ Anastomose wirsungojéjunale latérolatérale sur anse en Y 2
parfaitement démontré, ce qui explique que la seule décom-
Technique 2
pression canalaire soit inconstamment efficace sur les douleurs.
Résultats 4
D’autre part, pour certains auteurs, l’hyperpression canalaire et
¶ Autres dérivations du canal de Wirsung 5 parenchymateuse pourrait exister même en l’absence de disten-
Intervention de Frey 5 sion canalaire, ce qui justifierait la réalisation d’une dérivation
Intervention d’Izbicki 6 portant sur la glande pancréatique elle-même incisée
Intervention de Beger 7 longitudinalement. [2]
¶ Dérivation du canal de Wirsung associée à d’autres dérivations 8 Au plan sémantique, les anastomoses pancréaticodigestives
Anastomose wirsungojéjunale associée à une dérivation biliaire portent sur la tranche pancréatique alors que les anastomoses
(ou double dérivation) 8 wirsungodigestives portent sur le canal de Wirsung lui-même.
Anastomose wirsungojéjunale associée à une dérivation biliaire Cette différence n’est que théorique car on ne fait jamais
et à une dérivation gastroduodénale (ou triple dérivation) 8 d’anastomose sur la seule paroi du canal, les points prenant
Anastomose wirsungojéjunale associée à la dérivation d’un toujours appui sur le parenchyme pancréatique adjacent. De
pseudokyste 9
plus, certaines anastomoses peuvent être mixtes : par exemple,
¶ Indications 9 au cours de l’intervention de Frey dans laquelle la partie
corporéocaudale de l’anastomose porte sur le canal alors que la
partie céphalique ne porte que sur le parenchyme pancréatique.
Enfin au plan technique, les interventions de drainage
■ Principes généraux « limitées » (sphinctéroplastie) et les anastomoses pancréatiques
après résection caudale du pancréas (intervention de Duval ou
Les principaux mécanismes proposés pour expliquer la de Puestow) ont été progressivement abandonnées en raison de
douleur dans la pancréatite chronique sont l’inflammation leurs mauvais résultats à long terme (en termes de douleurs ou
parenchymateuse, la fibrose périnerveuse, et l’hyperpression de diabète) et, pour la sphinctéroplastie, de l’apparition des
canalaire. [1] Lorsqu’il existe une distension du canal pancréati- traitements endoscopiques. Parmi les anastomoses canalaires
que principal (en amont d’une sténose ou de calculs) et des sans exérèse pancréatique, c’est la technique de Partington et

Techniques chirurgicales - Appareil digestif 1


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Rochelle décrite en 1960 [3] comme une variante de l’opération


de Puestow (modified Puestow procedure) qui s’est progressive-
ment imposée et qui est ici décrite.

■ Anastomose wirsungojéjunale
latérolatérale sur anse en Y
Technique
Abord de la face antérieure du pancréas
L’incision pariétale peut être transversale ou même médiane
sus-ombilicale, cette dernière étant rendue souvent possible par
l’amaigrissement préopératoire. Le pancréas est abordé par
ouverture du ligament gastrocolique ou, plus simplement, par un
large décollement coloépiploïque. L’existence d’une thrombose
de la veine splénique, rare dans ce contexte, doit faire utiliser
préférentiellement un décollement coloépiploïque qui préserve
mieux le grand épiploon qui constitue une voie de suppléance
pour le retour veineux splénique. L’arrière-cavité des épiploons
peut être partiellement symphysée du fait d’antécédents de
pancréatite aiguë et les adhérences alors présentes doivent être
levées jusqu’à visualiser le trajet de l’artère gastroduodénale et
celui de l’artère splénique. Dans l’intervention « habituelle », la
partie sus-mésocolique de la face antérieure de la tête et toute la
face antérieure du corps et de la queue du pancréas doivent être
apparentes. Il faut donc, si nécessaire, supprimer également les
adhérences qui pourraient rétracter le mésocolon transverse sur
la face antérieure du pancréas. L’estomac est récliné vers le haut
et peut être chargé par des écarteurs autostatiques en veillant à
ne pas exercer de traction trop importante sur les veines
gastroépiploïques et gastrique gauche (coronaire stomachique).
Aucune mobilisation pancréatique n’est nécessaire. Bien que ce
point soit discuté, notre habitude est de réaliser une cholécys-
tectomie systématique. Figure 2. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Imagerie pré-
opératoire du canal de Wirsung.
Repérage du canal de Wirsung A. Wirsungographie par résonance magnétique : il existe une dilatation
marquée des canaux pancréatiques, harmonieuse, en amont d’une sté-
Quand il est franchement dilaté, le canal de Wirsung est
nose céphalique.
facilement repéré au doigt. En palpant le corps pancréatique de
B. Cholangiographie rétrograde endoscopique : la sténose céphalique n’a
haut en bas, on sent une dépression avec un ressaut de part et
pas été cathétérisée et l’opacification d’amont est très incomplète. Il existe
d’autre. L’emplacement du canal est confirmé par une simple
des calcifications à proximité du canal de Wirsung céphalique. La flaque
ponction à l’aiguille fine et le suc pancréatique apparaît (Fig. 1).
de produit de contraste située en haut et à gauche correspond à une
opacification résiduelle de la vésicule biliaire.

Cette ponction permet de savoir si le canal de Wirsung est


superficiel ou profond. Le prélèvement de suc pancréatique pour
dosages enzymatiques n’a pas d’intérêt. Un prélèvement
bactériologique est préférable et surtout nécessaire en cas
d’antécédent de drainage endoscopique du canal de Wirsung,
celui-ci favorisant la survenue de complications septiques
postopératoires. [4] Ce prélèvement peut donc aider à adapter le
traitement antibiotique postopératoire en cas de complications
infectieuses.
Lorsque le canal pancréatique ne peut être repéré avec
certitude par la simple palpation, il faut s’aider de l’échographie
peropératoire. Habituellement, dans cette circonstance, le canal
pancréatique est peu dilaté ou le parenchyme pancréatique est
épais ou inflammatoire, en tout cas non atrophique. Le canal,
repéré en échographie, est ponctionné là où il est le plus
superficiel en donnant à l’aiguille un trajet oblique à environ
45°. Cette aiguille est laissée en place et servira de guide pour
l’incision pancréatique.
La wirsungographie peropératoire n’a plus qu’un intérêt
limité depuis l’apparition de la scanographie et surtout de la
cholangiopancréatographie par résonance magnétique (CPRM).
Cette dernière permet en effet d’obtenir un fidèle reflet de la
Figure 1. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Ponction à morphologie de la totalité du canal pancréatique, même s’il
l’aiguille fine du canal de Wirsung au niveau du corps. L’aiguille est existe un empierrement du canal qui peut gêner l’opacification
enfoncée à 45°, guidée par la palpation directe du canal ou par l’échogra- .
de celui-ci (qu’elle soit faite en préopératoire par voie endosco-
phie peropératoire. Un prélèvement bactériologique est nécessaire en cas pique ou en peropératoire par ponction du canal de Wirsung)
d’antécédent de traitement endoscopique endocanalaire. (Fig. 2).

2 Techniques chirurgicales - Appareil digestif


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Figure 3. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Ouverture du Figure 4. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Aspect du canal
canal de Wirsung. L’incision, faite au bistouri électrique, est à l’aplomb de de Wirsung ouvert dans son trajet corporéocaudal. Lors de l’ouverture du
l’aiguille qui ne doit pas avoir été mobilisée depuis la ponction. L’ouver- canal, les hémostases artériolaires sont faites au fil serti. À droite, l’ouver-
ture doit rester à distance de l’artère hépatique mais surtout de l’artère ture est « arrêtée » par l’artère gastroduodénale et la profondeur du trajet
splénique qui peut avoir un trajet sinueux. canalaire.

Lorsque l’on compare chez un même malade la wirsungogra- Désobstruction du canal de Wirsung
phie peropératoire à la CPRM, la wirsungographie permet de Les calculs présents dans le canal sont extraits avec des pinces
préciser le caractère obstructif ou non d’une sténose ou d’un et/ou des lavages sous pression. L’extraction des calculs siégeant
calcul, et le caractère communicant d’un pseudokyste s’il en dans le canal céphalique est souvent difficile car l’accès est
existe. Lorsqu’il coexiste une dilatation de la voie biliaire médiocre et les calculs sont bloqués et incrustés. Il est parfois
principale (VBP), il peut être intéressant de faire simultanément nécessaire de fragmenter les calculs et d’évacuer les fragments
.
une cholangiographie peropératoire. par des lavages, mais des manœuvres traumatisantes peuvent
aboutir à une hémorragie. Les calculs situés dans les canaux
Ouverture du canal de Wirsung secondaires, qui peuvent être visibles, sont souvent très incrus-
Pour cette ouverture, le pancréas est incisé longitudinalement
.
tés et impossibles à extraire.
en commençant au niveau du point de ponction, l’aiguille étant
conservée comme repère (Fig. 3). On fait d’abord une courte Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y
incision de façon à pénétrer dans le canal, puis l’incision est Même si la dérivation du canal de Wirsung dans la face
agrandie progressivement vers la droite et vers la gauche avec postérieure de l’estomac par anastomose latérolatérale a été
un instrument-guide (stylet, dissecteur fin, pince de Bingoléa) décrite, l’utilisation d’une anse jéjunale en Y est de loin le
situé à l’intérieur du canal. Le pancréas, qui est habituellement procédé le plus utilisé. L’anse en Y doit avoir une longueur
scléreux et peu hémorragique, peut être incisé au bistouri comprise entre 60 et 70 cm selon les auteurs. [5, 6] En cas de
électrique. Les hémorragies minimes ou veineuses sont traitées dérivation biliaire simultanée ou devenant nécessaire secondai-
par électrocoagulation. Les hémorragies artériolaires doivent, en rement, une anse de 70 cm est certainement préférable. Le pied
raison du risque d’hémorragie postopératoire intra-anasto- de l’anse est fait selon une technique classique par deux
motique (de diagnostic souvent tardif et de traitement difficile), hémisurjets de fil 4/0 tressé ou monobrin, résorbable ou non.
être contrôlées par ligature au fil monobrin serti 4/0 ou 5/0. L’anse est ascensionnée par voie transmésocolique et son
Vers la droite, l’artère gastroduodénale (ou plus exactement sa extrémité est orientée vers la queue du pancréas. L’anse est
collatérale pancréaticoduodénale antérieure) constitue une incisée longitudinalement sur son bord antimésentérique en
limite habituelle à l’extension de l’incision du canal, d’autant débutant l’incision à 2 ou 3 cm de son cul-de-sac. La longueur
plus que celui-ci prend une direction oblique arrière et devient de l’incision intestinale est égale à la longueur de l’incision
donc profond dans son trajet céphalique. Si le canal de Wirsung pancréatique (Fig. 5) ; en pratique, il peut être difficile de
est profond, la résection d’une mince bande longitudinale de repérer d’emblée la bonne longueur de l’incision sur l’anse qui
parenchyme favorise la réalisation ultérieure de l’anastomose. peut être spasmée et la solution la plus sûre consiste à réaliser
Vers la gauche, l’ouverture canalaire doit éviter trois écueils : une incision un peu « courte », quitte à l’agrandir secondaire-
• se rapprocher du trajet parfois sinueux de l’artère splénique ment au fur et à mesure de la confection de l’anastomose.
afin d’éviter toute blessure artérielle, aussi bien lors de L’anastomose est faite en un plan, par surjets de fil monobrin
l’incision qu’ultérieurement lors de la confection de l’anasto- non résorbable ou lentement résorbable 4/0 ou 3/0. Il est plus
mose ; simple de la commencer à son extrémité gauche en mettant en
• blesser le mésocolon transverse gauche et ses vaisseaux s’il place les deux fils d’angle noués en dehors puis, pour ne pas
s’est rétracté sur la face antérieure du pancréas à la faveur de compromettre l’exposition, de confectionner de la gauche vers
poussées antérieures de pancréatite aiguë ; la droite le plan inférieur et le plan supérieur de l’anastomose
• être prolongée au-delà de la limite permettant de réaliser de par alternance. La suture doit charger le parenchyme pancréa-
façon sûre une anastomose, c’est-à-dire lorsque le canal de tique afin d’en parfaire l’hémostase mais aussi affronter la
Wirsung redevient plus étroit et tortueux. Même si l’incision muqueuse jéjunale à celle du canal de Wirsung. Un travail
idéale est la plus longue possible, il faut en pratique s’adapter expérimental a montré que cet affrontement mucomuqueux
à chaque cas et l’incision fait habituellement 8 à 12 cm de améliorait la perméabilité de l’anastomose. [7] De plus, de notre
longueur (Fig. 4). point de vue, cet affrontement permet également d’exclure de

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Figure 5. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Ouverture de Figure 7. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Ouverture com-
l’anse jéjunale en Y sur son bord antimésentérique, en regard de l’ouver- plète du canal de Wirsung ; au niveau céphalique, celle-ci n’est possible
ture du Wirsung. Il est important de positionner le cul-de-sac de l’anse en qu’en cas de coexistence d’une dilatation importante et d’une atrophie
Y à gauche, ce qui permet une ouverture progressive de l’anse afin d’éviter parenchymateuse et nécessite la ligature de l’artère gastroduodénale en
de réaliser d’emblée une ouverture trop longue. regard du pancréas.

blesser l’artère gastroduodénale, et liés ensuite. La traversée


transmésocolique de l’anse est ensuite péritonisée ainsi que le
mésentère (Fig. 8).
En cas de pancréatite chronique alcoolique, une biopsie
hépatique chirurgicale est faite, même en l’absence d’anomalies
biologiques ou morphologiques hépatobiliaires. Un drainage
péripancréatique est superflu, sauf si le parenchyme pancréati-
que semble peu ferme de façon diffuse, ce qui est exceptionnel,
ou de façon localisée en cas de lésions inflammatoires au
décours d’une poussée de pancréatite aiguë. Pour les mêmes
raisons, l’utilisation systématique de la somatostatine ou de ses
analogues pour prévenir une fistule pancréatique ne semble pas
justifiée.

Résultats
Figure 6. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Les complications postopératoires sont très rares. Le risque de
A. Coupe sagittale montrant le passage de l’aiguille chargeant la paroi du fistule pancréatique est de l’ordre de 1 % [6] malgré la longueur
jéjunum en extramuqueux et la paroi du Wirsung avec le parenchyme de l’anastomose car celle-ci porte sur un pancréas habituelle-
adjacent. ment ferme. Les hémorragies anastomotiques doivent être
B. Coupe sagittale montrant l’aspect de l’anastomose avec un affronte- prévenues par une hémostase rigoureuse de la tranche pancréa-
ment mucomuqueux ; cet affrontement permet également d’exclure les tique et de l’anse montée ; le diagnostic précoce et le traitement
vaisseaux du parenchyme pancréatique de la lumière de l’anastomose afin de ces hémorragies sont difficiles, ce qui justifie une prévention
de limiter le risque d’hémorragie postopératoire. rigoureuse. La mortalité opératoire est de l’ordre de 1 %,
comprise entre 0 % et 4 % dans des séries récentes. [5, 6, 8-14]
À distance, la douleur disparaît (ou devient modérée, autori-
sant une reprise de poids, la suppression des antalgiques
la lumière de l’anastomose les vaisseaux parenchymateux majeurs, voire la reprise des activités normales et notamment
sectionnés lors de l’ouverture du canal de Wirsung, ceci afin de du travail) dans 70 % à 95 % des cas. [5, 8-10, 12, 13] Le type de
limiter le risque d’hémorragie postopératoire Au niveau du corps symptômes (douleurs permanentes ou poussées répétées) ne
pancréatique, une telle suture est possible. La suture s’appuie sur semble pas modifier significativement ce résultat. [12] Cet effet
le parenchyme pancréatique scléreux et l’extrémité de l’aiguille antalgique se traduit par une prise de poids chez 55 % à 80 %
sort à la jonction du tissu pancréatique et du canal de Wirsung des malades. [5, 12]
(Fig. 6A, B). Plus le canal est dilaté, plus facile est la dérivation. Dans certaines séries, ces résultats se détériorent avec le temps
À proximité de la tête pancréatique, le canal est plus profond, alors qu’il est par ailleurs démontré que l’histoire naturelle de
ce qui rend difficile l’affrontement mucomuqueux. Si la tête du la pancréatite chronique évolue spontanément vers la dispari-
pancréas est atrophique, le canal de Wirsung céphalique peut tion des douleurs ; [1] toutefois, il est souhaitable de viser
être ouvert après section de l’artère et de la veine gastroépiploï- d’emblée le meilleur résultat antalgique afin de diminuer la
ques droites, respectivement au contact de l’artère gastroduodé- durée de la phase douloureuse et d’améliorer la qualité de vie.
nale et du tronc veineux gastrocolique, puis ligature-section de Les échecs de l’intervention peuvent être liés à :
l’artère gastroduodénale à l’aplomb de l’incision pancréatique, • une sténose anastomotique ;
ce qui améliorera l’effet antalgique de l’intervention (Fig. 7). [5] • absence de décompression du canal de Wirsung céphalique ;
Dans l’angle droit de l’incision pancréatique, des points séparés • des lésions de dystrophie kystique de la paroi duodénale
peuvent être utiles ; ils sont passés à l’avance, en évitant de continuant à évoluer pour leur propre compte ;

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Figure 9. Intervention de Frey. Ouverture du canal de Wirsung corpo-


réocaudal et évidement parenchymateux céphalique. Ce dernier nécessite
la section des vaisseaux gastroépiploïques droits, ainsi que la section de
l’artère gastroduodénale en regard du pancréas.

canalaire et parenchymateuse sur la tête du pancréas. Du fait de


la situation profonde du canal de Wirsung céphalique, d’une
fréquente dilatation associée des canaux secondaires, et du rôle
parfois obstructif des calcifications canalaires, la décompression
céphalique est obtenue par un évidement céphalique associé à
une dérivation wirsungojéjunale prolongée sur les berges de la
cavité d’évidement. Cette intervention est surtout justifiée
Figure 8. Anastomose wirsungojéjunale sur anse en Y. Aspect en fin lorsqu’il existe une hypertrophie inflammatoire de la tête du
d’intervention : l’anse en Y mesure 60 à 70 cm. pancréas car l’évidement traite cette hypertrophie.
Cet évidement doit respecter la capsule postérieure de la tête
du pancréas et rester légèrement à distance du cadre duodénal,
• une sténose biliaire méconnue et responsable de symptômes
de la VBP et des vaisseaux mésentériques supérieurs (Fig. 9).
biliaires ou de complications ;
• ou un cancer du pancréas méconnu lors de la dérivation. [5, 8] Technique opératoire
Cette anastomose reste perméable dans plus de 90 % des cas,
et l’absence de perméabilité n’explique donc qu’une partie des Par rapport à l’anastomose wirsungojéjunale telle qu’elle a été
échecs sur la douleur. [8] Le rôle de la décompression du canal décrite plus haut, l’intervention de Frey nécessite une exposi-
de Wirsung céphalique est probablement très important : dans tion complète de la face antérieure de la tête du pancréas, qui
une étude rétrospective portant sur 37 patients ayant une est obtenue par un décollement coloépiploïque complet avec
pancréatite chronique calcifiante avec dilatation du canal de abaissement de l’angle colique droit et de la racine du mésoco-
Wirsung, Paye et al. ont décrit 30 % (11 patients) de récidive lon transverse. Il faut également sectionner l’artère et la veine
douloureuse après une anastomose wirsungojéjunale, avec un gastroépiploïques droites, respectivement au contact de l’artère
suivi moyen de 52 mois ; le seul paramètre qui influait sur le gastroduodénale et du tronc veineux gastrocolique. En regard de
résultat était l’absence de désobstruction et de décompression la tête du pancréas, il faut repérer le bord droit de la veine
des canaux céphaliques. [5] mésentérique supérieure (VMS) jusqu’au bord inférieur du
En cas de pancréatite alcoolique, le rôle de la poursuite de crochet. Il est parfois nécessaire de sectionner quelques veines
l’alcoolisme est discuté : il favoriserait la persistance des pancréatiques antérieures à leur abouchement avec la VMS pour
douleurs pour certains [6] mais pas pour d’autres. [5] Certains bien exposer le crochet. Il est inutile et dangereux de vouloir
échecs restent totalement inexpliqués au plan lésionnel et exposer la veine porte en arrière de l’isthme. L’existence d’une
seraient donc liés à une fibrose périnerveuse. [8] Le traitement hypertension portale segmentaire par thrombose de la veine
des récidives douloureuses est fonction de leur mécanisme splénique ou compression du confluent splénomésaraïque ne
supposé et peut consister en une nouvelle dérivation, [14] une contre-indique pas l’intervention mais la rend techniquement
extension de la dérivation préalablement réalisée, [5] ou une plus difficile ; en revanche, une occlusion du confluent spléno-
résection. [8] mésaraïque avec cavernome péricéphalique doit faire contre-
indiquer l’intervention.
L’évidement nécessite une bonne appréciation des limites de
■ Autres dérivations du canal la tête du pancréas, mais un décollement duodénopancréatique,
de Wirsung décrit par les promoteurs de cette technique, ne nous apparaît
cependant pas indispensable. En effet, un décollement duodé-
nopancréatique et la palpation qu’il permet facilitent le repérage
Intervention de Frey de la face postérieure de la tête du pancréas mais, si une
perforation de la capsule postérieure du pancréas se produit, elle
Principe nécessitera une suture de réalisation parfois difficile et dont
Le but de cette intervention, décrite par Frey, [15] est d’amé- l’absence de cicatrisation aboutira à une fistule pancréaticodi-
liorer le contrôle des douleurs en prolongeant la décompression gestive une fois l’anastomose wirsungojéjunale réalisée. À

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Figure 10. Intervention de Frey. Vue peropératoire montrant la traction


exercée sur la portion de parenchyme céphalique à réséquer pour l’évi-
dement ; l’incision parenchymateuse est à 5 mm du bord interne du
duodénum et du bord droit de la veine mésentérique supérieure.
Figure 11. Intervention de Frey. Vue peropératoire montrant l’ouver-
ture du canal de Wirsung et l’évidement céphalique réalisés, en continuité
l’un avec l’autre. Au fond de la cavité d’évidement, les hémostases ont
l’inverse, en l’absence de décollement, une perforation de la été faites au fil monobrin serti.
capsule postérieure ne nécessite aucun geste du fait du cloison-
nement du rétropéritoine lié à l’inflammation péripancréatique.
Le premier temps est l’ouverture du canal de Wirsung corpo- papille ; ce temps, qui permet en théorie de lever une éventuelle
réocaudal. Le repérage et l’ouverture du Wirsung n’ont ici sténose liée à la pancréatite, peut être difficile du fait des
aucune particularité. L’ouverture est faite au bistouri électrique phénomènes inflammatoires, et peut aboutir à une plaie ou à
à l’endroit où le canal est le plus superficiel, puis prolongée vers une sténose du cholédoque. Une alternative consiste à ne pas
la gauche puis vers la droite jusqu’à l’artère gastroduodénale, et repérer le cholédoque et à réaliser systématiquement une
l’hémostase des artérioles de la tranche pancréatique est faite cholangiographie en fin d’évidement ; en cas de sténose (due à
par des ligatures serties. la pancréatite ou secondaire aux manœuvres opératoires) ou de
Pour prolonger l’ouverture du Wirsung dans la tête, il faut lier plaie du cholédoque rétropancréatique, une anastomose biliodi-
l’artère gastroduodénale aux bords supérieur et inférieur du gestive terminolatérale est nécessaire.
pancréas (Fig. 9). Cette ligature est faite au fil monobrin serti. La cavité créée par la wirsungotomie et l’évidement a une
La section de l’artère gastroduodénale dans l’axe de la wirsun- forme de raquette dont le manche serait corporéocaudal et le
gotomie peut être hémorragique du fait de l’existence de tamis céphalique (Fig. 11). Les bords de cette cavité sont
collatérales et nécessite alors quelques ligatures supplémentaires. anastomosés à une anse jéjunale en Y ascensionnée en transmé-
Au-delà de l’artère gastroduodénale, le trajet du canal de socolique en avant de la tête du pancréas. Le cul-de-sac de
Wirsung devient profond et l’incision du canal de Wirsung doit l’anse est placé vers la gauche, et l’anse est ouverte progressive-
être remplacée par un évidement ménageant une couronne de ment sur son bord antimésentérique au fur et à mesure de la
parenchyme pancréatique au contact du duodénum et de la confection de l’anastomose « wirsungo-céphalo-jéjunale »
veine mésentérique supérieure, permettant ensuite le prolonge- (Fig. 12). Celle-ci est faite par surjets de fil monobrin 4/0 ou
ment de l’anastomose wirsungojéjunale sur les berges de cet 3/0 selon la texture du parenchyme pancréatique. Il nous paraît
évidement. La wirsungotomie est prolongée par deux incisions : plus facile de faire l’anastomose sur la totalité de la capsule
une située environ 5 mm sous le bord inférieur de D1 et en céphalique avant de terminer l’anastomose en regard du bord
dedans du bord interne de D2, et une autre verticale située 5 à supérieur de l’isthme (Fig. 13). L’anastomose peut être drainée
10 mm à droite de la VMS. En cas d’inflammation importante, par une lame multitubulée.
la VMS est repérée par palpation, visualisation du tronc veineux
gastrocolique, et/ou échographie peropératoire. Les deux Résultats
incisions se rejoignent en regard du genu inferius et de D3. Ces La mortalité de cette intervention est de l’ordre de 2 %. [2, 4]
incisions sont faites au bistouri électrique mais peuvent être À long terme, une disparition des phénomènes douloureux est
hémorragiques : les hémostases sont faites pas à pas au fil serti observée dans 90 % des cas. [4, 16] Le taux de fistule pancréati-
monobrin 4/0. Un fois les incisions capsulaires antérieures que est faible – inférieur à 5 % – du fait de la fibrose pancréa-
réalisées, le parenchyme à réséquer est tracté vers le haut par tique. [4] Dans notre expérience, nous avons également observé
une pince à préhension (Fig. 10). Les calcifications situées sur le des fistules pancréatiques, toujours très bien tolérées et d’évolu-
trajet de l’incision sont extraites. L’évidement de la profondeur tion spontanément favorable. Ces fistules sont peut-être
de la tête nécessite un repérage du canal de Wirsung (avec un favorisées par la longueur de l’anastomose qui peut atteindre
dissecteur) afin que la limite postérieure de résection ne passe 20 cm. Les autres complications sont septiques et hémorragi-
pas trop en arrière du plan emprunté par la face postérieure du ques, ces dernières étant les plus graves. [4]
Wirsung. De même, il faut veiller à ne pas évider la totalité du
crochet en passant en arrière de la VMS (au risque de blesser
cette dernière sur sa face postérieure ou les artères pancréatico-
Intervention d’Izbicki
duodénales inférieures à proximité de leur origine), et à ne pas Cette technique a pour but de supprimer les douleurs liées à
blesser en profondeur la paroi duodénale. En arrière, la face l’hyperpression parenchymateuse en l’absence de dilatation
antérieure du cholédoque peut être exposée à proximité de canalaire. Le canal de Wirsung étant fin et surtout profond au
l’artère gastroduodénale puis disséquée vers le bas jusqu’à la sein d’une glande pancréatique non atrophique, la dérivation

6 Techniques chirurgicales - Appareil digestif


Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique ¶ 40-881

Figure 12. Intervention de Frey. Vue peropératoire montrant l’anasto-


mose en cours de réalisation. L’anse, ouverte sur son bord antimésentéri-
que, a été anastomosée au canal de Wirsung corporéocaudal et va l’être
au parenchyme pancréatique présent sur les bords de la cavité d’évide-
ment céphalique.

Figure 14. Intervention d’Izbicki.


A. Réalisation d’un sillon en forme de
V à la face antérieure du corps et de la
queue du pancréas, ainsi qu’à la partie
haute de la tête.
B. Les berges de ce sillon sont anasto-
mosées à une anse jéjunale en Y (vue
en coupe sagittale).

Figure 13. Intervention de Frey. Aspect de l’anastomose terminée.

porte sur un sillon en forme de V creusé à la face antérieure du


pancréas (Fig. 14). Cette intervention ne semble pas avoir
diffusé dans d’autres équipes chirurgicales que celle de son
promoteur. [2] Nous n’avons donc pas l’expérience de cette
technique.

Intervention de Beger
Cette intervention, indiquée également seulement en cas de
pancréatite chronique et – à l’instar de l’opération de Frey –
surtout lorsqu’il existe une hypertrophie inflammatoire de la
tête du pancréas, ne correspond pas stricto sensu à une dériva- Figure 15. Intervention de Beger avec dérivation associée du canal de
tion latérale du canal de Wirsung. Elle comporte une résection Wirsung corporéocaudal. Aspect après exérèse partielle de la tête du
subtotale de la tête du pancréas mettant à nu le cholédoque pancréas ; la voie biliaire principale intrapancréatique et l’axe veineux
intrapancréatique et l’axe veineux mésentéricoporte mésentéricoporte sont mis à nu.
(Fig. 15) ; [17] la tranche pancréatique gauche est anastomosée à
une anse jéjunale qui est également suturée en un deuxième
point à la tranche pancréatique céphalique. Il existe donc une canal de Wirsung est ouvert longitudinalement à partir de la
anastomose pancréaticojéjunale telle qu’elle serait réalisée dans tranche pancréatique, ce qui permet de lever les sténoses et les
une duodénopancréatectomie céphalique. obstructions calculeuses, puis l’anse est anastomosée sur toute la
Quand l’hypertrophie céphalique s’associe à des sténoses longueur de cette ouverture, l’extrémité droite de l’anastomose
étagées du canal de Wirsung corporéocaudal, l’anastomose portant sur le bord postérieur de la tranche pancréatique
drainant le pancréas gauche peut être de type latérolatéral : le (Fig. 16).

Techniques chirurgicales - Appareil digestif 7


40-881 ¶ Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique

Figure 16. Intervention de Beger avec dérivation associée du canal de


Wirsung corporéocaudal. Aspect après ouverture du canal de Wirsung
corporéocaudal et anastomose sur anse jéjunale en Y du canal de Wirsung
et de la tranche pancréatique céphalique.

■ Dérivation du canal de Wirsung


associée à d’autres dérivations
Anastomose wirsungojéjunale associée Figure 17. Double dérivation. Dérivation wirsungojéjunale et hépatico-
jéjunale sur la même anse en Y.
à une dérivation biliaire
(ou double dérivation)
En cas de cholestase persistant plus de 3 mois, ou plus permettre un contrôle aisé (endoscopique ou radiologique) de
rarement d’ictère rétentionnel présent ou récent, il est indis- l’anastomose et des voies biliaires intrahépatiques en cas de
pensable de rechercher une sténose de la VBP qui doit être persistance en postopératoire d’anomalies du bilan biologique
traitée pour éviter l’apparition d’une fibrose, voire d’une hépatique.
cirrhose hépatique. L’existence d’une fibrose hépatique ne
constitue pas une contre-indication à cette dérivation car la
fibrose hépatique est potentiellement réversible dans ce
contexte. [18] Un bilan biologique hépatique comprenant un Anastomose wirsungojéjunale associée
dosage des phosphatases alcalines, et une échographie, voire à une dérivation biliaire et à une dérivation
une CPRM, doivent faire partie du bilan préopératoire. La
biopsie hépatique préopératoire n’est utile que pour éliminer
gastroduodénale (ou triple dérivation)
.
une hépatite alcoolique aiguë qui doit faire reporter l’interven- La pancréatite chronique peut entraîner une sténose duodé-
tion de plusieurs semaines après sevrage complet et améliora- nale qui siège le plus souvent à la partie haute ou moyenne du
tion des tests hépatiques. deuxième duodénum. Cette sténose peut être transitoire,
La technique de la double dérivation est simple car les deux contemporaine d’une poussée aiguë ou d’un pseudokyste
anastomoses sont habituellement faites sur la même anse en Y, compressif, ou permanente. Parmi les sténoses permanentes, il
à proximité de l’extrémité droite de l’anastomose pancréatico- faut distinguer les sténoses cicatricielles, rétractiles, des sténoses
jéjunale et à 50-60 cm du pied de l’anse. La vésicule est enlevée liées à une dystrophie kystique de la paroi duodénale. Les
par principe. L’anastomose doit être terminolatérale, pour éviter premières ne s’expriment que par les signes habituels des
la pathologie liée à la persistance de la continuité avec le cul-
sténoses digestives hautes et justifient une dérivation digestive,
de-sac inférieur du cholédoque (sump syndrome) même si
alors que les dernières sont souvent associées à des phénomènes
l’existence de cette entité est discutée. Le cholédoque est
douloureux répétés et peuvent alors justifier une duodénopan-
sectionné à 1 à 2 cm du bord supérieur du pancréas et le bout
créatectomie céphalique. La gastroentérostomie n’est donc
inférieur est fermé par un surjet de fil à résorption lente.
jamais faite de principe mais seulement imposée par l’existence
L’anastomose hépaticojéjunale est faite sur l’anse en Y, juste en
aval de l’anastomose portant sur le canal de Wirsung (Fig. 17). d’une sténose duodénale symptomatique, en l’absence d’indica-
Cette anastomose est réalisée en un plan, soit à points séparés, tion à une duodénopancréatectomie céphalique.
soit en surjet, avec un fil monobrin à résorption lente 5/0. Si le De multiples variantes de triple dérivation ont été proposées.
diamètre du cholédoque ne dépasse pas 10 mm, l’anastomose Parmi ces variantes, le montage proposé par Warshaw [19]
peut être agrandie par un trait de refend vertical sur la face semble le plus simple et consiste à faire une dérivation du canal
antérieure du canal hépatique commun. de Wirsung sur une anse jéjunale exclue, une anastomose
La réalisation d’une anastomose cholédocoduodénale est cholédocoduodénale et une anastomose gastrojéjunale en aval
moins logique car d’une part, il existe déjà une anse jéjunale en du pied de l’anse en Y (Fig. 18). Il est également possible de
Y utilisable et d’autre part, ce type d’anastomose est parfois faire porter les deux anastomoses pancréatique et biliaire sur la
techniquement plus difficile à réaliser du fait du caractère même anse, tout en effectuant l’anastomose gastrojéjunale en
épaissi et infiltré de la paroi du premier duodénum. En revan- aval du pied de l’anse en Y (Fig. 19). Ce dernier montage a
che, l’anastomose cholédocoduodénale a pour avantage de notre préférence.

8 Techniques chirurgicales - Appareil digestif


Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique ¶ 40-881

Figure 20. Anastomose kystojéjunale associée à une anastomose wir-


Figure 18. Triple dérivation selon la technique de Warshaw : anasto- sungojéjunale. Drainage d’un kyste céphalique à développement anté-
mose wirsungojéjunale sur anse en Y, anastomose cholédocoduodénale rieur dans l’anse en Y par une anastomose distincte de l’anastomose
terminolatérale, et anastomose gastrojéjunale latérolatérale. La vagoto- wirsungojéjunale.
mie tronculaire peut être considérée comme facultative.
Anastomose wirsungojéjunale associée
à la dérivation d’un pseudokyste
La recherche d’une collection kystique du pancréas est
systématiquement faite en préopératoire par l’échographie et la
scanographie, voire la CPRM. Seuls les pseudokystes de taille
significative (> 3 ou 4 cm) doivent être dérivés dans le même
temps que le canal de Wirsung afin d’obtenir le meilleur effet
antalgique.
Lors de l’exploration peropératoire, les rapports du canal de
Wirsung et du pseudokyste sont précisés par l’échographie et le
caractère communiquant du pseudokyste peut être apprécié par
la wirsungographie.
Les kystes communiquant avec le canal de Wirsung peuvent
être drainés par l’anastomose wirsungojéjunale. Les kystes non
communicants peuvent être drainés séparément dans la même
anse jéjunale si le siège du kyste permet de réaliser cette
anastomose (Fig. 20). Les kystes postérieurs peuvent être ouverts
dans le canal de Wirsung [20] qui est dérivé (Fig. 21). Les kystes
paraduodénaux peuvent être drainés directement dans le
duodénum. En cas de kystes multiples, ces différentes techni-
ques de drainage peuvent être associées.
Il n’est toutefois pas formellement démontré que le caractère
communiquant ou non d’un pseudokyste doit influer sur la
technique chirurgicale (le pseudokyste doit-il être dérivé
directement ou indirectement par le canal de Wirsung ?) dès
lors qu’il est considéré comme potentiellement responsable des
Figure 19. Triple dérivation avec anastomose wirsungojéjunale et hé- douleurs.
paticojéjunale sur anse en Y, et anastomose gastrojéjunale latérolatérale.
La vagotomie tronculaire peut être considérée comme facultative.
■ Indications
Les interventions de dérivation sont justifiées dans les
Classiquement, la gastroentérostomie doit être associée à une pancréatites chroniques compliquées de poussées douloureuses
vagotomie tronculaire en raison du risque d’ulcère anastomoti- violentes et répétées, ou entraînant des douleurs permanentes
que. L’avènement des inhibiteurs de la pompe à protons et de majorées par l’alimentation et pouvant restreindre les ingesta ou
l’éradication d’Helicobacter pylori doit probablement faire nécessiter un recours aux antalgiques majeurs. L’impossibilité de
remettre en cause le caractère systématique de la vagotomie mener une vie active normale et l’apparition d’un amaigrisse-
tronculaire, qui a l’inconvénient d’entraîner dans environ 10 % ment significatif sont des critères devant faire retenir l’indica-
des cas une diarrhée motrice de traitement difficile. tion d’un geste de dérivation.

Techniques chirurgicales - Appareil digestif 9


40-881 ¶ Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique

technique de Frey. Cette intervention, qui est relativement


simple, a de bons résultats fonctionnels du fait de l’absence de
résection digestive et de la faible quantité de parenchyme
réséqué. De plus, sa morbidité (environ 10 %) est moindre que
celles de l’intervention de Beger (15-20 %) et de la duodé-
nopancréatectomie céphalique (30-50 %), même lorsque cette
dernière est associée à une conservation pylorique. [16, 17, 22, 26]
En cas de distension canalaire avec empierrement céphalique, la
duodénopancréatectomie céphalique ne reste clairement indi-
quée qu’en cas de doute sur le diagnostic de cancer, ou de
lésion associée (dystrophie kystique de la paroi duodénale)
expliquant les douleurs.
Actuellement, le principal problème est le choix entre
traitement endoscopique et traitement chirurgical. Les meilleu-
res indications du traitement endoscopique sont les sténoses
courtes, de topographie péripapillaire, en particulier si elles sont
principalement fibreuses et ne nécessitent pas de lithotritie
associée : dans ces cas, la mise en place, après sphinctérotomie
pancréatique et dilatation transpapillaire de la sténose, d’une
endoprothèse pancréatique permet une sédation définitive des
douleurs dans 50 à 85 % des cas et une dérivation secondaire
est nécessaire chez environ un quart des malades. [27] Dans les
autres cas (sténose longue ou multiple, empierrement associé du
canal pancréatique), la dérivation chirurgicale du canal de
Wirsung est le traitement qui concilie la meilleure faisabilité et
les résultats à long terme les mieux validés.
Figure 21. Anastomose kystojéjunale associée à une anastomose wir-
sungojéjunale. Drainage d’un kyste céphalique à développement posté-
rieur dans le canal de Wirsung, celui-ci étant ensuite anastomosé à une
anse jéjunale en Y.

L’effet antalgique et l’amélioration de la qualité de vie du “ Point forts


malade sont les buts principaux, sinon exclusifs, de la dériva-
tion chirurgicale du canal de Wirsung. Pour que l’effet de • L’existence de douleurs invalidantes, continues ou
l’intervention soit notable et surtout que ses inconvénients paroxystiques, est la principale indication à l’intervention.
éventuels puissent être acceptés, la douleur doit être persistante, La prévention de l’apparition du diabète est suggérée mais
récidivante, rebelle, et/ou invalidante. En effet, au plan fonc- non démontrée par la littérature.
tionnel, la dérivation du canal de Wirsung n’améliore pas la
• L’existence d’une dilatation du canal de Wirsung rend
fonction exocrine pancréatique. [21, 22] Pour la fonction endo-
l’intervention plus facile et améliore probablement le
crine, les données disponibles sont moins claires. Pour certains,
la fonction endocrine n’est pas modifiée par l’intervention [22] résultat fonctionnel.
et un diabète peut apparaître dans les 5 années suivant l’inter- • La pancréato-IRM améliore la précision du bilan
vention. [5] Cependant, trois études, dont une prospective préopératoire.
portant sur de faibles effectifs [23] et deux rétrospectives, [24, 25] • Le bilan préopératoire doit également comporter la
suggèrent que cette intervention pourrait différer l’apparition du recherche systématique de toute autre structure
diabète au cours de la pancréatite chronique. L’absence de éventuellement à dériver simultanément (VBP, estomac,
diabète peut donc, chez un malade ayant des douleurs pancréa- pseudokyste).
tiques, constituer un argument supplémentaire pour la réalisa- • L’extension de la dérivation au canal de Wirsung
tion de cette dérivation. Cette opération est justifiée dans les
céphalique améliore l’efficacité antalgique de
différentes variétés de pancréatite chronique, dans la pancréatite
l’intervention. Cette extension peut être obtenue par un
chronique alcoolique, mais aussi dans les formes idiopathiques
et familiales. S’il s’agit d’une pancréatite alcoolique, l’interven- évidement parenchymateux céphalique (intervention de
tion ne doit être idéalement envisagée qu’après une période Frey).
d’observation de plusieurs mois, si les douleurs persistent malgré
le sevrage. De plus, un sevrage alcoolique complet évite d’opérer
un patient pouvant avoir une hépatite alcoolique aiguë ainsi
que la survenue d’un syndrome de sevrage postopératoire.
Classiquement, le canal de Wirsung doit avoir un calibre d’au .

moins 7 à 8 mm pour être dérivé efficacement. En fait, la


facilité à aborder et à dériver le canal de Wirsung est fonction
du diamètre du canal de Wirsung mais aussi de l’épaisseur du
■ Références
parenchyme pancréatique. En conséquence, la dérivation d’un [1] Levy P. Histoire naturelle de la pancréatite chronique. In: Bernades P,
canal de Wirsung de 4 à 8 mm de diamètre, voire de diamètre Belghiti J, editors. Pathologie du pancréas exocrine. Paris: Doin; 2001.
normal, est possible, avec pour certains des résultats équivalents p. 106-19.
à ceux observés après dérivation d’un canal plus dilaté. [10] Si le [2] Izbicki JR, Bloechle C, Broering DC, Kuechler T, Broelsch CE. Lon-
canal pancréatique est de diamètre inférieur à 3 mm, une gitudinal v-shaped excision of the ventral pancreas for small duct
dérivation efficace pourrait être réalisée en creusant un sillon à disease in severe chronic pancreatitis. Ann Surg 1998;227:213-9.
la face antérieure du pancréas et en faisant porter la dérivation [3] Partington PF, Rochelle RE. Modified Puestow procedure for
sur ce sillon. [2] retrograde drainage of the pancreatic duct. Ann Surg 1960;152:
En cas de dilatation canalaire associée à une hypertrophie 1037-43.
céphalique inflammatoire, il est préférable d’étendre la dériva- [4] Chaudhary A, Negi S, Masood S, Thombare M. Complications after
tion en réalisant une ouverture du canal de Wirsung céphalique Frey’s procedure for chronic pancreatitis. Am J Surg 2004;188:
ou surtout un évidement de la tête du pancréas selon la 277-81.

10 Techniques chirurgicales - Appareil digestif


Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique ¶ 40-881

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A. Sauvanet, Professeur des Universités, praticien hospitalier* (alain.sauvanet@bjn.ap-hop-paris.fr).


Service de chirurgie digestive, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Sauvanet A. Dérivation chirurgicale du canal de Wirsung dans la pancréatite chronique. EMC (Elsevier SAS,
Paris), Techniques chirurgicales - Appareil digestif, 40-881, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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Techniques chirurgicales - Appareil digestif 11

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