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Vielfaure Claude. Spectrographie de la publicité directe. In: Communications, 17, 1971. pp. 99-105.
doi : 10.3406/comm.1971.1248
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1248
Claude Vielfaure
I. Définition.
Il existe deux sortes de publicité directe : celle qui informe, celle qui vend.
Un dépliant publicitaire reçu dans une boîte aux lettres peut être tantôt un
simple message, tantôt un document de vente.
Dans le premier cas, il peut, par exemple, avertir les habitants d'un quartier
de l'ouverture prochaine d'un magasin dans leur périmètre d'habitation et les
inciter à venir le visiter. Il ne se distingue pas alors du même message reproduit
dans la presse locale, sur les écrans du cinéma de la ville, ou sur les ondes d'une
chaîne de radio. La seule différence a trait au medium utilisé. Comme tout
medium, la boîte aux lettres a des attributions spécifiques : la « publicité directe »
est particulièrement adaptée au lancement d'un nouveau magasin; sa souplesse
lui permet de frapper la cible choisie en des points précis.
Dans le second cas, le plus fréquent, le message contient une proposition de vente :
par exemple, un bon de réduction sur le prix d'un paquet de lessive, ou une invita
tionà l'achat d'un ouvrage par correspondance. Cette seconde formule, qui est la
plus connue et la mieux perçue par le public, est également celle qui laisse le sou
venir le plus marquant : le client possible, le prospect, en effet, au lieu d'enregistrer
un simple appel publicitaire, accomplit en cette occasion un acte volontaire, déli
béré, libre, même si cet acte consiste à s'abstenir de donner suite à l'offre. Mais
ici la « grammaire de la publicité directe » se complique un peu : alors que, dans
le premier cas, la publicité directe est un medium, véhiculant une action qui lui
est étrangère (ou tout au moins qu'il peut partager avec tous les autres media),
la publicité directe est maintenant Vaction elle-même. Mieux, elle peut confier
cette action aux autres media sans en être altérée. On peut donc dire qu'existe :
1° La publicité directe (considérée comme un medium);
2° La vente directe (capable d'utiliser tous les media).
Mais cette première classification ne rend qu'imparfaitement compte de la
réalité. Une autre approche permet de faire une distinction plus profonde entre
deux philosophies de la publicité :
1° La publicité est un cri, un appel, argumenté parfois, qui s'adresse au public
dans son ensemble. En ouvrant Paris-Match ou le Monde, le lecteur reçoit des
messages dont il sait bien qu'ils ne lui sont pas personnellement destinés : « Mettez
un tigre dans votre moteur », « Employez la lessive X », « Voyagez par la TWA ».
La présence de certaines formules (« Ceci vous concerne », « Nous nous adressons
à vous, cadre, employé, etc. »), ne le personnalisera pas pour autant, pas plus
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d'ailleurs que le fait de distribuer un message ainsi rédigé dans les boîtes aux
lettres (« publicité directe »).
2° La publicité peut être une autre façon de toucher les gens un à un (quel
quefois, en les incitant à faire un geste précis, que nul autre ne peut faire à leur
place). Dès lors, quel que soit le medium choisi, il s'agira d'un « message direct ».
Glissé dans une boîte aux lettres, donné sous forme de tract à la sortie d'une
station de métro, inséré dans la presse, diffusé à la radio, ce message aura des
chances d'être perçu comme « personnellement destiné » à chaque prospect.
Il y aurait beaucoup à dire à ce propos, sur les raisons du succès des stations
de radio périphériques, imitées depuis peu par les chaînes nationales. Alors que
les speakers et présentateurs officiels prenaient (et prennent encore sur certaines
chaînes culturelles) un ton neutre ou déclamatoire, les « animateurs » d'Europe I
et de Luxembourg rivalisaient de « confidences » comme si la ménagère restée
chez elle l'après-midi était la seule à qui l'on s'adressât parmi les millions d'autres
ménagères. La publicité trouvait même des accents du genre « seule à seule » :
« Dites-moi, Madame, qu'allez-vous faire à vos enfants ce soir pour dîner? Il est
quatre heures, il serait temps d'y penser. Si vous alliez maintenant chez votre
épicier chercher une bonne boîte de... Il doit être ouvert. Vous y allez? A tout à
l'heure. Je vous attends. » Un des postes périphériques fait d'ailleurs sa propre
publicité sur le thème : « Vous ne serez plus jamais seule ». La radio, substitut
du lavoir d'autrefois, se veut psychothérapeutique.
Nous ne nous sommes ici éloignés de notre sujet qu'en apparence. Il existe une
parenté évidente entre la stratégie de ces postes périphériques et celle qui inspire les
actions de publicité directe. La plupart des offres de vente que l'on trouve dans sa
boîte aux lettres commencent en effet par « Cher ami », « Cher lecteur », « Cher habi
tant de... » et utilisent couramment le ton de la confidence : « Dites-moi, n'avez-vous
jamais songé à... » ou : « Lorsque vous étiez enfant, ne vous arrivait -il pas de... ». Là
aussi c'est quelqu'un qui vient vous parler, Madame, lorsque vous êtes seule. Vous
qui revenez du supermarché, qui pendant une demi-heure avez circulé dans des rues
vides, des espaces vastes et « dimensionnés », vous que la caissière du magasin ne
regarde pas car elle est trop occupée à lire les prix de vos paquets, vous trouvez,
de retour chez vous, un message qui vous appelle « Chère amie » et vous parle de
vos rêves, de vos ennuis, de vos enfants. Dans un monde où la communication
personnelle a disparu, un rédacteur publicitaire en maintient les derniers fils.
Dans leur réprobation « quasi-institutionnelle » de la publicité, les pouvoirs
publics ont réservé une place particulière à la publicité directe. C'est ainsi que
l'Institut national de la Consommation dirige la plupart de ses mises en garde
et de ses observations critiques contre la publicité par voie postale. Les PTT,
lorsqu'ils réajustent leur tarif, prennent soin de souligner quelle charge elle
représente pour leurs services. Ils font d'ailleurs une subtile, mais significative
distinction parmi les expéditeurs de publicité directe : d'une part, les vendeurs
sur catalogue (Manufrance, La Redoute, les Trois Suisses) qui se contentent
d'être des « magasins » postaux présentant sans argumentation les produits de
leurs rayons x et d'autre part, les vendeurs spécialisés (livres, montres, etc.)
1. En France, la publicité directe est née alors que la publicité en tant que phénomène
massif de soutien de l'économie n'existait pas encore. Les principales maisons de vente
par correspondance figurent parmi les plus anciennes affaires de publicité françaises :
le Bon Marché (1880), Manufrance (1885), la Redoute (1922), les Trois Suisses (1932).
Cf. Clavé (François), Aspect économique de la vente par correspondance, thèse dactylo
graphiée, Bordeaux, 1965.
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Une étude effectuée au même moment auprès de 10 000 entreprises par les
élèves de l'E.S.S.C.A. (École Supérieure des Sciences Commerciales Appliquées)
conduisait à des chiffres sensiblement différents :
Publicité directe 12,9 %
Publicité presse régionale
Publicité presse nationale 31.3 %
Presse spécialisée
Radio
Cinéma 4,6 %
Télévision
Affichage urbain
Publicité « transports » 7,9 %
Publicité lumineuse
Annuaires 14.4 %
Stands de foires
Publicité par l'objet (cadeaux d'affaires) 29,9 %
PLV (publicité sur le lieu de vente)
TOTAL 100 %
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L'écart des résultats provient comme toujours en pareils cas, d'une certaine
élasticité dans la définition des « supports »; celle-ci varie d'une personne inte
rviewée à une autre : par exemple, les prospectus envoyés aux revendeurs seront
définis « budget promotion », « frais commerciaux », ou encore la littérature
commerciale expédiée aux représentants entrera dans la rubrique « exposi
tions» etc.
Au cours d'un de ses derniers congrès annuels, l'association EUROPADRESS
(European Association of Direct Mail Houses), créée il y a quelques années pour
grouper, à l'échelon européen, les associations nationales de publicité directe, a
publié le résultat d'une enquête mettant en évidence les dépenses de publicité
directe par habitant dans les principaux pays d'Europe et aux États-Unis :
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ment ou par vente directe et la plupart des revues ont un pourcentage d'abonnés
et d'acheteurs au numéro inversement proportionnel à celui des revues françaises :
certaines revues spécialisées (mais à grand tirage) comptent jusqu'à 80 %
d'abonnés, relancés périodiquement à l'aide de tout un matériel publicitaire
mis au point scientifiquement.
En Allemagne, 10 % des ventes totales sont faites par correspondance. En
France, environ 1 à 2 %. Une entreprise comme la Redoute vend 4 % des robes
portées en France, 3 % des jupes et 3,50 % des tabliers. Mais si, en France, la
vente par correspondance (qui n'est qu'un des secteurs où la publicité directe
est mise en œuvre) est faible en pourcentage, elle tend à prendre une place de
plus en plus grande. Sa croissance est près du triple de la croissance de l'ensemble
de la distribution française, et ceci pour deux raisons :
1° une activité « jeune » croît plus vite que l'ensemble des autres activités;
2° l'isolement (grands ensembles, villas résidentielles) et le perfectionnement
technique, qui vont de pair dans toute société moderne, favorisent l'achat par
correspondance.
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