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Joachim Marcus-Steiff

A propos des effets de la publicité sur les ventes


In: Communications, 17, 1971. pp. 3-28.

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Marcus-Steiff Joachim. A propos des effets de la publicité sur les ventes. In: Communications, 17, 1971. pp. 3-28.

doi : 10.3406/comm.1971.1242

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1971_num_17_1_1242
Joachim Marcus-Steiff

A propos des effets


de la publicité sur les ventes1

Deux industriels se rencontrent. Le premier demande au second : Votre publi


citéest-elle efficace?
— Certainement, répond celui-ci. Ainsi, il y a quelques jours, nous avons mis
une petite annonce pour trouver un veilleur de nuit et, le soir même, nous avons
été cambriolés.
Sous une forme à peine caricaturale, cette histoire illustre assez bien les résul
tatsde certains travaux récents : souvent, la publicité n'a pas les effets auxquels
on s'attend ; par contre, elle en a d'autres qui, parfois, ne sont pas souhaités par
les annonceurs eux-mêmes.
Précisons cependant, que, contrairement à la croyance courante et malgré
l'importance des dépenses publicitaires, nos connaissances concernant les effets
de la publicité sont, à l'heure actuelle, extrêmement limitées.

L'ignorance en matière d'efficacité publicitaire.


Le fait le plus surprenant, quand on examine les recherches consacrées aux
effets de la publicité, est l'incertitude à peu près totale qui règne en ce domaine.
Un certain nombre de publications débutent d'ailleurs par un constat d'ignorance.
« II n'existe peut-être aucune autre branche des affaires qui fournisse si peu
de justifications de l'emploi des ressources que nous lui allouons » écrit McNiven
(1969, p. l)2, vice-président et directeur du département marketing de Coca-
cola aux États-Unis. Il y a plus longtemps, Martineau (1959, p. 18) notait déjà :
« De nos jours, aucun industriel ne procéderait, pour fabriquer ses produits, de
la façon dont certains d'entre eux mettent au point leurs stratégies commerciales
et publicitaires. Il ne mélangerait jamais un peu de graisse, d'alcool, de confiture
de framboise et quelques clous en priant pour qu'il en sorte quelque chose. »
De même, Tunstall3 (1964, p. 16) : « Le fait fondamental dont il faut se souvenir

1. Nous remercions très vivement MM. Georges Friedmann, Jean Baudrillard


et Gérard Lagneau, ainsi que Mlle Viviane Glikman, qui ont bien voulu lire une première
version de ce texte et nous faire de très utiles critiques et suggestions. Nous exprimons
aussi notre reconnaissance à Mme Ferida Meurin qui nous a communiqué la bibliographie
annotée du travail qu'elle a effectué en 1966 avec Mlle Glikman sur les problèmes de
mesure de l'efficacité publicitaire.
2. Voir bibliographie en fin d'article.
3. Cf. aussi Firestone (1967, p. 19), Gervasi (1964, p. 13) et le rédacteur en chef de
la revue Business Horizons (n° de février 1968, p. 23).
Joachim Marcus-Steiff

en ce qui concerne la publicité est que l'on ne sait que peu de chose de ses effets ».
Britt (1969) a analysé les « preuves du succès » de 135 « campagnes publici
tairesefficaces » effectuées par 40 agences de publicité américaines. Ces « preuves »
de la réussite des campagnes publicitaires avaient été publiées, sous forme de
brochure, avec leur description, à l'occasion d'une exposition organisée à
Stockholm en mai 1967 par le Centre commercial américain. Les agences de
publicité avaient fourni elles-mêmes les documents et renseignements publiés.
Or, pour la majorité de ces campagnes, les agences de publicité n'avaient en fait
pas démontré leur réussite selon les critères qu'elles-mêmes avaient indiqués.
« La plupart des agences de publicité ne savent pas si leurs campagnes publici
tairessont efficaces ou ne le sont pas » conclut Britt.
En France, la plupart des auteurs * ne posent pas la question de savoir dans
quelle mesure et à quelles conditions la publicité est efficace. Les recherches empi
riques qui existent en ce domaine sont, le plus souvent, ignorées. Le mythe d'une
publicité dont l'efficacité serait en quelque sorte automatique et générale est
ainsi entretenu.
Pour certains, l'efficacité de la publicité semble même constituer un dogme.
Ainsi, Piatier accuse deux articles récents — qui mettent en doute quelques-
uns des pouvoirs habituellement attribués à la publicité — de n'avoir d'autre
but « que d'apporter de l'eau au moulin du credo antipublicitaire » (préface à
l'ouvrage de Geffroy, 1970, p. 9). Et il oppose la qualité de ces articles à celle du
livre de Geffroy, « bilan, à jour, des connaissances sur le sujet » (p. 7) dont les
« moyens sont ceux de la science économique la plus récente » (p. 9). Or, la seule
« preuve » de l'efficacité de la publicité que fournit Geffroy est que, si la publicité
n'était pas efficace, les chefs d'entreprise ne dépenseraient pas tant d'argent en
publicité : l'effet de la dépense publicitaire sur « la demande à la firme [...] ne
saurait [...], d'une manière générale, être contesté, sinon on ne s'expliquerait
évidemment ni la persistance, ni l'extension de l'activité publicitaire » (p. 147;
cf. aussi p. 3). Très honnêtement, Geffroy reconnaît d'ailleurs que de nombreuses
recherches et expérimentations concernant les effets de la publicité ont été
effectuées, « mais, dit-il, leur degré de complexité est tel que nous ne pouvons
nous aventurer sur ce terrain, d'autant qu'il dépasse largement nos compét
ences » (p. 17). Et ce n'est pas une simple clause de style car la plupart des tr
avaux importants en ce domaine — notamment, ceux de V Advertising Research
Foundation, de la du Pont de Nemours et du ministère de l'Agriculture améri
cain— ne sont mentionnés ni dans le texte, ni dans la bibliographie de l'ouvrage
de Geffroy.
Cadet et Cathelat (1968) vont jusqu'à affirmer que le rôle de la réclame en
tant qu'instrument de régulation économique, « s'il est encore largement méconnu
et mésestimé du grand public, n'est plus à démontrer, illustré par de nombreuses
recherches ». Mais ils ne citent aucune de ces recherches.
Sur ce fond général d'ignorance, quelques résultats se détachent cependant.
Nous utiliserons surtout ceux qui ont été obtenus au moyen de véritables expé
riences en milieu naturel car ce sont les plus solides du point de vue méthodolog
ique.
Nous nous limiterons en outre à l'étude des effets de la publicité sur les ventes
car, d'une part, c'est essentiellement sur eux que les expériences en milieu natu-

1. Les travaux de Kende (1969, a et b) et de Lagneau (1969) font cependant excep


tion.
A propos des effets de la publicité sur les ventes
rel ont porté et, d'autre part, c'est par eux que nous avons commencé notre
recherche et celle-ci n'est pas terminée. Ajoutons que nous ne prétendons pas
dresser un bilan exhaustif de ces expériences. Notre propos est simplement d'ana
lyser certaines d'entre elles pour amorcer une réflexion à partir des indications
qu'elles fournissent. Deux remarques préalables sont encore nécessaires.

Définitions.
Le mot publicité possède,- en français, plusieurs acceptions différentes. Il
s'oppose d'abord à ce qui est secret, inconnu : publicité des débats, publicité
donnée à une affaire privée. Il désigne, ensuite, tout ce qui tend à favoriser la
vente : on parle, en ce sens, de prix publicitaire. La définition technique la plus
étroite concerne exclusivement l'utilisation ouvertement rémunérée des cinq
supports ou moyens de communication de masse principaux (presse, radio,
cinéma, télévision, affichage) en vue de la diffusion d'un produit ou d'un service.
Cette définition exclut donc, outre les « pots de vin », le démarchage, les étalages
et les expositions, les méthodes commerciales souvent appelées « promotion des
ventes », la distribution, aux intermédiaires ou aux consommateurs, de cadeaux,
primes et échantillons, les concours et les prix publicitaires non accompagnés
de l'emploi de moyens de communication de masse.
L'intérêt de la distinction est loin d'être uniquement théorique car il se pourr
aitque, du moins en ce qui concerne les ventes, l'efficacité de la publicité au
sens large du terme soit beaucoup plus grande que l'efficacité de la publicité
stricto sensu. Bien plus, à l'intérieur même de cette dernière, différentes études
montrent que, pour un même produit, à budget égal et avec un même contenu
publicitaire, l'efficacité des différents moyens de communication de masse varie
dans des proportions considérables (voir, par exemple, Niefeld, 1960; Eckert,
1965; Campbell, 1969, p. 112-113 et p. 122-123). Il paraît donc souhaitable, pour
des raisons à la fois théoriques et pratiques, d'appeler publicité une réalité aussi
homogène que possible. Nous n'irons pas cependant jusqu'à dire que, de même
qu'il n'y aurait pas de maladie mais seulement des malades, il n'y aurait pas de
publicité, mais seulement des publicités. A notre sens, si la connaissance ne peut
être fondée que sur des cas particuliers, ce sont les généralisations qui sont inté
ressantes : à quoi serviraient des résultats que l'on ne pourrait étendre au-delà
du produit, de la population et de la période concernés?
L'intérêt des publicitaires les incite souvent à définir la publicité de façon
large, de manière notamment à étendre leurs attributions et leur pouvoir. L'Inter
national Advertising Association (I.A.A., 1970, p. 31) et l'Institut de Recherches
et d'Études Publicitaires (IREP, 1970, p. 34) utilisent une définition relativ
ement large qui comporte, notamment, un poste « promotion des ventes1 ».
En pratique, nous sommes tributaires des définitions utilisées par les auteurs
des différentes études que nous analyserons. Il n'en résulterait pas trop d'i
nconvénients si les auteurs précisaient ce qu'ils entendent par publicité. Malheu
reusement, ce n'est pas toujours le cas et l'on ne sait donc 'pas très bien quelles
conclusions on peut tirer de leurs recherches.

1. Selon le questionnaire utilisé par l'IREP pour interroger les annonceurs, ce poste
comprend les frais techniques entraînés par les offres spéciales, les cadeaux publicitaires,
les bons et concours, les échantillons gratuits et les primes.
Joachim Marcus-Steiff

Les dépenses publicitaires.


Les différences dans les définitions de la publicité se retrouvent lors de l'éva
luation des dépenses publicitaires globales d'un pays. Mais la principale diff
iculté d'une telle évaluation provient du fait que les dépenses publicitaires sont
généralement considérées comme confidentielles par les annonceurs. Aussi pro-
cède-t-on fréquemment à une estimation provenant d'un recensement (appelé
« pige ») des publicités parues : on connaît en effet les tarifs théoriques des diffé
rents supports (une page en noir et blanc dans France-Soir : 48 000 F; 15 secondes
de publicité de marque sur la lre chaîne à l'heure la plus chère : 45 000 F; etc.)
Cette méthode aboutit à l'utilisation d'une définition étroite de la publicité
puisqu'elle comprend alors uniquement la publicité véhiculée par les cinq sup
ports précédemment cités. La publicité directe, déposée dans les boîtes aux let
tres et, pour cette raison, plus difficile à évaluer, n'est en général pas incluse dans
ces estimations. D'autres méthodes reposent sur l'interrogation des annonceurs,
des supports et des agences de publicité. En pratique, on utilise le plus souvent
des estimations obtenues par recoupements à partir de différentes sources.
Pour la France, en 1968, les dépenses publicitaires ont été de 2,66 milliards
de francs si l'on considère uniquement la publicité faite à l'aide des 5 supports
et de 4,235 milliards si l'on définit la publicité de façon plus large jusqu'à inclure
la publicité directe, les expositions et démonstrations, la publicité sur les lieux
de vente, etc. (IREP, 1970, p. 34). Sommes qui correspondent, respectivement,
à 53 et 85 F de dépenses publicitaires par habitant pour cette année-là.
Avant d'aborder les comparaisons internationales en matière de dépenses
publicitaires, précisons que ces dépenses ne sont connues, pour la plupart des
pays, que de façon très approximative : les estimations, pour une même année
et un même pays, peuvent varier du simple au quadruple (Publicis, 1968, p. 8).
L'emploi de définitions différentes de la publicité selon les pays aboutit évidem
mentà des chiffres dont la comparaison est difficile. Ainsi, la part cumulée des
cinq supports (presse, radio, télévision, cinéma, affichage) représentait en 1966,
45 % du montant total des dépenses publicitaires en Allemagne et 88 % au
Japon (Publicis, 1968, p. 28).
A ces réserves près, les dépenses publicitaires sont, en France, beaucoup moins
élevées que dans de nombreux autres pays. Avec 85 F par habitant et par an,
la France occupe, en 1968, le 18e rang mondial, après notamment, dans l'ordre,
la Finlande,. l'Autriche, l'Irlande, Porto-Rico et l'Islande (I.A.A., 1970, p. 10-
11). En pourcentage des dépenses publicitaires par rapport au produit national
brut (P.N.B.), la France arrive, toujours en 1968, au 32e rang mondial, l'All
emagne, la Suisse et la Jamaïque occupant, dans cet ordre, les trois premiers
rangs, devant les États-Unis (I.A.A., 1970, p. 14-15).
Ces chiffres ne permettent guère, à notre avis, de parler — comme on le fait
souvent — du « sous-développement publicitaire » de la France. La simple lecture
des noms des pays que nous avons mentionnés montre déjà que l'ordre obtenu
résulte de facteurs plus culturels qu'économiques. Mais surtout, pour que l'expres
sion sous-développement publicitaire fût justifiée, il faudrait auparavant avoir
démontré que la publicité est un bien, au sens moral du terme : on ne dit pas que
la France est sous-développée par rapport aux États-Unis en ce qui concerne la
consommation de L.S.D. ou de marihuana. Or, à la différence des autres biens
et services, la publicité n'est pas, le plus souvent, achetée pour elle-même, inten-
A propos des effets de la publicité sur les ventes

tionnellement, par les consommateurs. Elle semble plus fréquemment imposée


que recherchée activement : s'il en était autrement, il suffirait de mettre pros
pectus et brochures à la disposition du public. Ce dernier, d'ailleurs, se plaint
plutôt des excès que du sous-développement de la publicité.
En second lieu, la valeur de la publicité en tant que moyen en vue de l'obten
tion d'une fin d'intérêt général, telle l'expansion économique d'un pays, n'a
jamais été établie (Kende, 1969, a et b; Marcus-Steiff, 1969). Aucun gouverne
ment, semble-t-il, n'a essayé d'agir sur le niveau globalde la consommation en
demandant aux annonceurs de faire moins de publicité. Lorsque les pouvoirs
publics cherchent à limiter la consommation privée, ils prennent des mesures de
restriction du crédit, ou incitent directement les consommateurs à épargner
davantage et à différer leurs achats, comme M. Pompidou l'a fait dans sa confé
rence de presse en septembre 1969 (« la machine à laver »). Faut-il en conclure
que les pouvoirs publics ne croient pas à l'efficacité de la publicité sur le volume
total des ventes?
La notion de sous-développement, enfin, implique l'existence d'un processus
temporel de croissance vers un maximum ou un optimum. Or, si les dépenses
publicitaires augmentent en valeur absolue, par contre, en valeur relative, elles
diminuent dans un grand nombre de pays « développés ». Ainsi, le rapport dépens
es publicitaires/revenu national est passé par un premier maximum en 1922
aux États-Unis, en 1926 en France, en 1935 dans le Royaume-Uni et par un
second maximum, inférieur ou égal au précédent, en 1960 aux États-Unis et au
Royaume-Uni (Publicis, 1968, p. 15 et 17) et, semble-t-il, en 1964-1965 en France
(IREP, 1970, p. 39). Dans la mesure où on se base sur les chiffres actuellement
connus, un pourcentage élevé des dépenses publicitaires par rapport au revenu
national semble donc correspondre à un stade particulier de l'évolution de
l'appareil commercial, stade depuis longtemps dépassé dans un certain nombre
de pays. Cette conclusion paraît d'ailleurs normale même si l'on considère que les
dépenses publicitaires constituent un facteur d'expansion : le progrès peut alors
consister à obtenir l'expansion économique au moindre coût, c'est-à-dire avec
une diminution de la valeur relative de ces dépenses.

i. l'efficacité de la publicité

Quand on évoque l'efficacité de la publicité sur les ventes, on se réfère d'ordi


naire à quelques cas où les effets de la publicité ont été spectaculaires. Mais,
loin d'être la règle, ces cas constituent l'exception. De même, ceux qui jouent au
tiercé ou prennent des billets de la loterie nationale sont fascinés par les possi
bilités de gains exceptionnels et ne pondèrent pas le montant du gain éventuel
par la probabilité de ce gain. Il est vrai qu'en matière publicitaire l'incertitude
est plus grande car on ne sait pas si la publicité, comme la loterie nationale,
coûte à l'ensemble des « clients » plus qu'elle ne leur rapporte.
Parlant des auteurs de « certaines études récentes [...], sociologues ou écono
mistes » qui « laissent entendre que la publicité est un luxe inutile », Vidal (1970,
p. 406) écrit que « la forêt de bois mort leur cache les quelques arbres qui portent
les beaux fruits de la rentabilité publicitaire ». Ce qui est dire fort clairement
que les cas où la publicité est rentable sont rares.
A notre avis, du point de vue des effets sur les ventes, on peut distinguer quatre
types de publicités :
Joachim Marcus-Steiff


1° celles qui
— très
sontrares
rentables,
— dont c'est-à-dire
l'efficacitéqui
est rapportent
spectaculaire;
à l'annonceur plus
qu'elles ne lui coûtent;
3° celles dont l'efficacité est très faible ou nulle et qui, par conséquent, ne
sont pas rentables;
4° enfin, les publicités dont les effets sont négatifs; leur fréquence, à en juger
par les cas publiés, est au moins égale à celle des publicités du premier type *.

A. Les effets négatifs de la publicité.


Le fait que la publicité pouvait avoir des effets négatifs a été mis en évidence
à la fois par un grand nombre d'études de motivation et par des expériences « en
milieu naturel ». Ces expériences, qui se distinguent des expériences de laboratoire
effectuées sur un public « captif », consistent, pour l'essentiel, à soumettre des
régions différentes à des traitements publicitaires différents. Les consommateurs
lisent alors les journaux ou regardent la télévision dans des conditions normales
et notamment sans se douter qu'une expérience est en cours.
Wadsworth, directeur de la société Cadbury, décrit ainsi l'une de ces expé
riences (1956, p. 102) : « Nous avons pris deux groupes composés chacun de trois
villes choisies deux à deux de façon à être, dans l'ensemble, comparables. Dans
l'un des groupes, nous avons mis sur pied une campagne intensive dans les cin
émas en utilisant à la fois des films de deux minutes et de très courts métrages.
Dans l'autre groupe, il n'y eut aucune publicité cinématographique. Les résul
tats sur les ventes furent mesurés à la fois au moyen de nos propres chiffres de
vente, des réponses des ménagères et de l'examen du contenu des placards des
ménagères (« pantry check ») dans les villes concernées. A notre consternation,
les résultats montrèrent que l'accroissement des ventes avait été plus faible dans
les villes où nous avions fait de la publicité dans les cinémas que dans les autres
villes. » Et Wadsworth ajoute : « Notre service publicité, qui avait suggéré l'étude,
expliqua qu'on ne pouvait s'attendre à voir la publicité cinématographique
donner des résultats sur la courte période mais que, sur la longue période, elle
restait un puissant moyen de communication. »
Les résultats des expériences citées par Buzzel (1964 a, p. 214-215) sont encore
plus étonnants. Dans une série d'expériences effectuées pendant une durée de
trois ans pour une marque d'essence, un groupe de villes a reçu une quantité de
publicité « normale » par rapport aux quantités d'essence vendues dans ces villes,
un second groupe une quantité de publicité égale à la moitié de ce montant, un
troisième une quantité égale au double de la « normale » et un dernier groupe une
quantité triple. Les quantités vendues sur chacun des quatre groupes de villes
furent ensuite comparées à la fois aux ventes avant les expériences et aux ventes
prévues pour la période expérimentale par extrapolation des tendances obser
vées avant les expériences. Résultat : les dépenses publicitaires doubles du

1. Selon une étude — citée par Bogart (1967, p. 299) et effectuée par Yankelovich —
concernant 75 publicités radiophoniques « approximativement représentatives », trois
sûr dix des publicités étudiées étaient efficaces, trois sur dix étaient peut-être « plus
nocives que bénéfiques » et le restant « présentait quelque défaut important ». Mais
Bogart ne dit pas comment l'efficacité des publicités a été mesurée. Si cette étude est la
même que celle qu'il cite p. 105 de son livre, il ne s'agirait que de jugements, portés
par des consommateurs, sur la qualité des annonces.

8
A propos des effets de la publicité sur les ventes
montant « normal » ont procuré» plus _i de
_i_ ventes
i . _ additionnelles
_ j .!?»? « . _ que le
i montant
triple. Buzzel ajoute que beaucoup d'autres expériences ont fourni des résul
tats semblables.
Faute de renseignements suffisants, ces résultats sont difficiles à interpréter.
Ils ont été obtenus, en effet, au moyen d'expériences du type « boîte noire » :
nous ne connaissons que le stimulus et la réaction, c'est-à-dire Yinput et Voutput
qui sont tous deux visibles, non les processus qui les relient et qui se situent « à
l'intérieur » des consommateurs.
Sans chercher à traiter ici le problème des modèles psychologiques de l'effica
cité publicitaire, nous distinguerons d'abord le cas - correspondant aux expé
riences citées par Buzzel — où les effets de la publicité additionnelle ne
deviennent négatifs qu'aux intensités publicitaires fortes. On pourrait parler, à
leur sujet, d'agacement ou d'irritation, voire d'exaspération des consommateurs
devant la répétition trop fréquente du même stimulus. Il s'agirait, somme toute,
d'une réaction très banale, bien que son application à la publicité soit rare
dans les recherches empiriques.
Lorsque les effets de la publicité sur les ventes, au lieu d'être d'abord positifs,
puis négatifs, sont négatifs dès les intensités publicitaires faibles, deux modèles
psychologiques très différents sont à notre disposition pour expliquer ce phéno
mène. Le premier implique la diffusion, par la publicité, d'une image de marque
ou de produit défavorable. Les études de motivation ont, à diverses reprises,
étayé cette hypothèse. Ainsi, la publicité pour les cigarettes Philip Morris
insista sur le fait que cette marque était moins irritante que d'autres. Les per
sonnes sondées par Weiss et Geller pour expliquer la mévente qui s'ensuivit
dirent : « Quand je pense à Philip Morris, je pense à l'irritation. » (Packard,
1958, p. 143.) De même, « le fabricant des bagages Fiberglas constata par des
tests qu'ils étaient virtuellement indestructibles. Son agence de publicité le
persuada de déclarer qu'ils étaient solides au point de survivre même s'ils tom
baient d'un avion. Quand les affiches montrèrent des gens faisant tomber leurs
bagages, les ventes tombèrent aussi. Les analystes appelés au secours décou
vrirent que les gens, à la vue de cette réclame, pensaient à des accidents aériens
et que la perspective de la survie de leurs bagages ne les consolait pas de celle de
périr eux-mêmes. » (Packard, 1950, p. 140-1).
Le second de ces modèles implique la distinction entre deux types de réactions
du public au contenu des communications de masse (cf. Glucksmann, 1966).
Tantôt, les lecteurs, auditeurs ou spectateurs sont tentés d'imiter dans la vie
réelle les comportements décrits dans les moyens de communication de masse
(mimesis). Appliqué au domaine qui nous occupe ici, ce comportement corre
spond à l'achat induit par la publicité donnant au produit une image favorable.
Tantôt, au contraire, la lecture et le spectacle permettraient, par eux-mêmes, la
satisfaction et la décharge des émotions (catharsis). Loin d'inciter à l'action,
ils la remplaceraient. C'est ainsi que, à force de rêver et de lire les publicités, on
finirait par ne plus avoir envie d'un objet ou d'un voyage. Mais il ne s'agit là
que d'hypothèses et, en publicité comme dans le domaine étudié par Glucksmann
(les effets sur la jeunesse des scènes de violence au cinéma et à la télévision),
on est loin de connaître les combinaisons stimuli-publics qui favoriseraient l'appa
rition d'effets mimétiques ou cathartiques.
Joachim Marcus-Steiff

B. I/efficacité nulle ou négligeable.


Dans un ouvrage intitulé la Publicité fait-elle encore cendre? (1968), Bourg
eois, « directeur du département marketing d'une importante société de pro
duits de large consommation », écrit (p. 31) : « De la Libération à 1951, avec une
publicité interdite, les apéritifs à base de vin portent leurs ventes de 30 millions
à 103 millions de litres; de 1952 à 1961, avec une publicité rétablie d'une façon
limitée en France même et tout à fait libre sur les postes de radio périphériques,
ces ventes chutèrent jusqu'à 39 millions de litres. » Nous n'en conlurons pas que
la publicité a exercé des effets négatifs sur les ventes, mais que les effets de la
publicité, s'il y en a eu, ont été faibles et masqués par l'influence de facteurs beau
coup plus puissants.
L'étude de l'efficacité de la publicité sur les ventes à partir de séries chronolo
giquesconstitue un problème mal résolu, même lorsque les données sont plus
nombreuses que celles citées par Bourgeois (cf. Marcus-Steiff, 1969). A côté des
cas, comme celui que nous venons de voir, où ventes et dépenses publicitaires
varient dans des directions opposées sans que l'on sache si les variations des
dépenses publicitaires ont joué un rôle — favorable ou défavorable — dans
celles des ventes, il y a aussi ceux — beaucoup plus nombreux j— où Jventes et
dépenses publicitaires varient dans la même direction sans que l'on sache davan
tagesi ce sont les variations des dépenses publicitaires qui ont entraîné celles
des ventes, ou l'inverse. Une étude comparative des produits qui ont réussi avec
ou sans publicité et de ceux qui ont échoué dans les mêmes conditions permett
rait sans doute de préciser le rôle de la publicité. Mais, à notre connaissance,
une telle étude n'existe pas.

G. Les rendements variables.


Le problème des variations des ventes en fonction des variations de l'intensité
du stimulus publicitaire a déjà été abordé lors de l'examen des effets négatifs
de la publicité : les expériences décrites par Buzzel avaient montré que des
dépenses publicitaires doubles du montant « normal » avaient procuré davantage
de ventes additionnelles que le montant triple.
De façon plus générale, ce problème est celui de la forme de la courbe de réponse
qui relie les ventes au stimulus publicitaire. Graphiquement, en portant les ventes
sur l'axe vertical et les dépenses publicitaires sur l'axe horizontal, la courbe
est concave vers le haut si les ventes augmentent proportionnellement plus vite
que les dépenses publicitaires et concave vers le bas si les ventes augmentent
proportionnellement mois vite que les dépenses. Si les deux variables augmentent
à la même allure, on obtient une droite. Dans le premier cas, les économistes
parlent de rendements croissants ou d'économies d'échelle, dans le second de
rendements décroissants et dans le dernier de rendements constants (cf. Marcus-
Steiff, 1970).
Selon Simon (1965, 1969), contrairement à la croyance prévalant aussi bien
chez les économistes que chez les publicitaires, il n'existe pas d'économies d'échelle
(c'est-à-dire de rendements croissants) dans le domaine de l'efficacité des dépens
es publicitaires. Quand on y regarde de près, écrit -il (1965, p. 16), la plus grande
partie, voire la totalité de l'énorme quantité de données publiées et de discussions
est insuffisante du point de vue méthodologique ou ne concerne pas le problème

10
A propos des effets de la publicité sur les ventes

d'assez près pour justifier les conclusions en faveur des rendements croissants
présentées par les auteurs.
En d'autres termes, les expériences citées par Buzzel semblent constituer un
cas extrême : on y observait, aux niveaux élevés d'intensité publicitaire, des effets
négatifs de la publicité sur les ventes; de façon plus générale, selon Simon, les
niveaux élevés entraîneraient seulement une diminution de l'efficacité publicitaire.
Par exemple, dans une étude expérimentale effectuée par le ministère de l'Agri
culture américain et qui a duré 2 ans, on a constaté qu'un accroissement des
dépenses publicitaires * de 15 cents par habitant et par an se traduisait par un
revenu additionnel, pour les annonceurs, de 399 000 dollars (2 millions de francs)
environ, alors qu'un accroissement des dépenses publicitaires de 30 cents par
habitant et par an « produisait » un revenu additionnel de 521 000 dollars environ.
La décroissance du rendement est encore plus marquée si l'on considère, non
les ventes ou le revenu brut, mais le revenu net dû à la campagne commerciale

Bilan financier en
de dollars
l'action commerciale,

Intensité Revenu Coût


Ventes additionnel Revenu net
de l'action commerciale de l'action
dû à l'action (différence)
commerciale commerciale

Niveau 1 :
+ 15 cents l 398 580 237 530 161 050
(soit 17 cents au total)
ou + 750 % :+ 4,5 % (soit 68 % du
coût de l'ac
tion commerci
ale).

Niveau 2 :
+ 30 cents x 521 220 436 313 84 907
(soit 32 cents au total)
ou + 1500 % + 5,9 % (soit 19 % du
coût de l'ac
tion commerci
ale).

i. Par habitant et par an.

VENTES DE LAIT ET REVENUS PROVENANT DE DEUX ACTIONS


COMMERCIALES D'INTENSITÉ DIFFÉRENTE
(d'après Clement et Henderson, 1967).

1. La définition de la publicité utilisée ici semble intermédiaire entre la définition


large et la définition étroite distinguées précédemment : l'un des buts de la campagne
était d'obtenir la coopération des commerçants, de les inciter à a pousser » eux-mêmes les
ventes de lait et à employer au maximum le matériel de vente (panneaux, présentoirs,
etc.) dans leurs magasins. Il aurait été préférable de mesurer sur des marchés distincts :
1° l'efficacité de la publicité stricto sensu employée seule; 2° l'efficacité du matériel de
vente utilisé seul; 3° l'efficacité de l'utilisation conjointe des deux méthodes de vente.

11
Joachim Marcus-Steiff

A notre connaissance, cette étude est la seule recherche expérimentale dont les
résultats publiés comportent l'indication à la fois du coût et du revenu additionnel.
Il faut remarquer d'ailleurs que celui-ci a été calculé d'une façon assez particulière.
Le lait, dont les ventes font l'objet de l'expérience, est en effet vendu à deux prix
différents. Le plus élevé correspond au lait vendu pour la consommation liquide,
le second à celui du lait utilisé pour la fabrication de diverses denrées. Le revenu
additionnel obtenu grâce à l'action commerciale a été calculé en multipliant la
différence entre ces deux prix par les quantités supplémentaires vendues. Il ne
tient donc pas compte du prix de revient du lait. Abstraction faite de ce facteur,
on peut donc dire que les deux niveaux d'action commerciale ont été rentables,
mais le niveau élevé moins que le niveau moyen. On ne sait pas si le niveau lai
ssant le revenu net le plus grand se situe entre le niveau « normal » (2 cents) et
le niveau moyen (15 cents) ou entre le niveau moyen et le niveau élevé (30 cents).
Il se peut aussi que les rendements de la publicité soient variables : d'abord
croissants, puis constants et, finalement, décroissants, la courbe cumulée ayant
la forme dite en S. Cette forme est d'ailleurs couramment retenue pour des rai
sons théoriques. En outre, dans une expérience concernant les ventes d'ustens
iles de cuisine recouverts de Teflon et comportant plusieurs niveaux d'intensité
publicitaire, McNiven (1969, p. 93) a obtenu une courbe de profit assez complexe
dont on peut probablement inférer l'existence de rendements variables, les ren
dements n'étant décroissants qu'aux niveaux élevés d'intensité publicitaire.
Les partisans des rendements croissants auraient donc raison, tout comme ceux
des rendements décroissants, mais tous deux en partie seulement.

D. L'efficacité spectaculaire.
L'un des exemples d'efficacité spectaculaire les plus souvent cités est sans
doute la publicité des chemises Hathaway représentant un homme avec un ban
deau sur l'œil (c'était avant la notoriété de Moshe Dayan). Selon Martineau
(1959, p. 203), les ventes triplèrent à la suite de l'apparition de cette publicité.
On ne possède pas d'informations précises ni sur le montant — qui semble avoir
été important — des dépenses publicitaires engagées, ni sur leur rentabilité,
mais, selon toute vraisemblance, le succès de cette annonce est dû essentiell
ement à son contenu. Différentes études expérimentales ont d'ailleurs montré
que l'efficacité d'une annonce ou d'une campagne variait facilement du simple
au double selon le contenu publicitaire utilisé (Henderson, Hind et Brown, 1961;
Jennsen, 1966). Ces expériences n'ont, apparemment, comporté ni des publicités
dont l'efficacité était exceptionnelle, ni des publicités dont les effets sur les ventes
étaient négatifs : s'il en avait été ainsi, les différences eussent été beaucoup plus
importantes. Utilisant notamment des données obtenues en laboratoire comme
mesures de la qualité de la publicité d'un grand nombre de produits, Buzzel
(1964, b) a montré que la qualité du message publicitaire était plus importante
que le niveau des dépenses publicitaires, c'est-à-dire plus importante que la
quantité de publicité. Cette conclusion peut sembler évidente : il ne faut pourtant
pas oublier qu'il s'agit là non de l'énoncé d'un principe, mais du résultat de mesur
es effectuées sur l'efficacité de publicités qui, sans être nécessairement représen
tativesde l'ensemble de la publicité, sont couramment utilisées. Il semble donc
que les annonceurs soient plus soucieux — ou plus capables — d'accroître la
quantité de publicité que sa qualité. L'existence d'effets négatifs de la publicité
dus à la diffusion d'une image de marque défavorable indique d'ailleurs, elle aussi,

12
A propos des effets de la publicité sur les ventes
que le contrôle exercé par les annonceurs sur le contenu de la publicité est faible.
Ainsi que le remarque Bogart (1967, p. 320) : « En publicité, comme dans la convers
ation, il vaut quelquefois mieux ne rien dire que dire quelque chose qui ne vaut
pas la peine d'être dit, soit parce que cela a déjà été dit auparavant, soit parce
que cela n'a aucun sens1. »
Quelle que soit l'importance des variations de l'efficacité publicitaire dues à
l'inégale qualité des contenus, il n'en reste pas moins que les cas solidement
établis d'efficacité spectaculaire de la publicité sur les ventes sont extrêmement
rares, voire inexistants. Cette pénurie exprime-t-elle l'inefficacité de la publicité
elle-même ou traduit-elle simplement l'insuffisance qualitative et quantitative
des études de l'efficacité publicitaire qui ont été effectuées à ce jour? En d'autres
termes, est-ce la publicité qui est en cause ou notre savoir?
L'ignorance générale en matière d'efficacité publicitaire, signalée au début de
cet article, inciterait à incriminer nos connaissances. Sauf si cette ignorance
n'était pas fortuite et avait précisément pour but de masquer l'inefficacité rela
tive de la publicité. Nous reviendrons sur cette hypothèse à la fin de cet article.
Pour le moment, nous nous bornerons à constater que la plupart des exemples
d'efficacité spectaculaire de la publicité sur les ventes ne résistent pas à un
examen sérieux.
Dans le cas le plus simple, le succès obtenu se révèle, quand on examine les
chiffres, beaucoup moins important qu'on ne le croyait. Ainsi, la part d'Esso sur
le marché français du « super » était de 20,5 % à la veille de la campagne « Tigre »
lancée au printemps de 1965. A la fin de 1965, ce pourcentage était monté à
21,2 %, ce qui, précise Paul Fabra (le Monde, 27 avril 1967), sur un tel marché
représente une progression sensible. Mais, à la fin de 1966, la part d'Esso était
retombée à 20,3 %, légèrement en dessous de celle d'avant la campagne. « II
serait erroné, poursuit P. Fabra, d'en conclure qu'en fin de compte cette dernière
n'a pas « payé ». En premier lieu, la compagnie a fait d'importants bénéfices
pendant la durée active de la campagne et en second lieu on peut soutenir qu'en
l'absence d'une action publicitaire de grande envergure, la société aurait subi
plus fortement encore l'effet de la concurrence des autres marques et sa part du
marché, au lieu de se retrouver à 20,3 % dix-huit mois après, se serait davantage
rétrécie. » En tout cas, il paraît difficile, à propos de cette campagne, de parler
de succès spectaculaire.
Il existe par ailleurs un assez grand nombre de cas pour lesquels la progression
des ventes est considérable mais, le plus souvent, il est alors impossible de déter
miner la contribution de la publicité à cet accroissement. Les obstacles que l'on
rencontre sont d'ordre méthodologique et peuvent être rattachés à la façon dont
les données ont été obtenues.

1. Bien qu'il ne s'agisse pas de ventes, on peut mentionner aussi, à titre de compar
aison, une série de résultats indiqués également par Bogart (1967, p. 316) : avec la
méthode Starch, dans laquelle on demande aux interviewés s'ils ont remarqué telle
annonce déterminée dans tel numéro précis d'un magazine qu'on leur présente, les
scores obtenus par des annonces de même taille varient de 15 à 61 % lorsqu'il s'agit de
publicités pour des produits alimentaires et de quelques % à plus de 50 en ce qui concerne
des annonces (plus petites) pour des alcools; avec la méthode Gallup et Robinson, qui
fait plus fortement appel à la mémoire des interviewés que la méthode Starch, les écarts
sont encore plus importants : dans le domaine des produits alimentaires, le score
obtenu par les 15 publicités télévisées qui ont été les mieux mémorisées était 39 fois plus
élevé que le score obtenu par les 15 annonces qui ont laissé le moins de traces.

13
Joachim Marcus-Steiff

Dans le cas de données « naturelles », obtenues par simple observation, sans


recours ni à l'expérimentation, ni à l'interrogation, les exemples cités ont généra
lement le tort d'interpréter en termes de causalité dans le sens publicité -> ventes
les corrélations éventuelles entre ces deux variables. Ainsi, on attribue souvent
à la publicité un grand rôle dans la diffusion des produits nouveaux (par exemple,
les crayons à bille). Or, dans le cas d'innovations importantes, celles-ci semblent
se diffuser par imitation, par le bouche-à-oreille, etc., c'est-à-dire sans le secours
de la publicité. On a même pu dire que la publicité était d'autant moins néces
saire que l'innovation était plus importante (voir, plus bas, la partie consacrée
à la concurrence entre la publicité et les autres canaux de diffusion de l'informat
ion).
De même, dans son numéro du 28 août 1930 (p. 52), la revue Printers' Ink
désignait la publicité comme le « facteur qui, plus qu'aucun autre, a contribué à
l'énorme croissance de l'industrie des cigarettes » aux États-Unis. Mais, au terme
d'une étude très détaillée, Tennant (1950, p. 173) est parvenu à la conclusion que
la publicité semblait n'avoir eu aucun effet sur la consommation totale de ciga
rettes, toutes marques confondues. Ce sont essentiellement, ajoute Tennant, les
changements dans les goûts et les revenus des consommateurs qui expliquent la
croissance dans la consommation de cigarettes.
En ce qui concerne les expériences du type de celles que nous avons commencé
à examiner ici, le reproche principal que l'on peut adresser à la plupart d'entre
elles est que la publicité, au sens étroit du terme (emploi des moyens de communic
ation de masse) n'a pas été utilisée seule. Si bien que l'on ne sait pas dans quelle
mesure les ventes observées sont dues à la publicité stricto sensu, à la campagne
simultanée de relations publiques, de « merchandising » ou de « promotion des
ventes ». Or l'intérêt de la distinction n'est pas seulement financier, en ce sens
que si l'efficacité d'une certaine combinaison de méthodes de vente est due unique
mentà l'une de ces méthodes, l'argent dépensé pour les autres est gaspillé. Il
est aussi scientifique et pratique car, d'une part, les baisses de prix et les distr
ibutions d'échantillons gratuits présentent, pour les consommateurs, un autre
intérêt que la publicité et, d'autre part, l'emploi des moyens de communication
de masse par les fabricants peut avoir des effets idéologiques et culturels (effets
sur le langage, sur les mœurs, voire rôle pathogène ou criminogène) que ne possè
dent pas les autres méthodes de vente.
Quant aux mesures de l'efficacité publicitaire obtenues en interrogeant les
consommateurs, elles semblent concerner une réalité d'un autre ordre que les
ventes relevées chez les fabricants ou dans les magasins. En l'état actuel du
savoir, il semble impossible d'établir un lien entre les effets de la publicité sur
les connaissances, sur les attitudes et sur les comportements (c'est-à-dire les
achats). Ces liens existent certainement mais, comme nous ne les connaissons pas,
ces différents effets de la publicité paraissent indépendants les uns des autres
(cf. notamment : Haskins, 1968; Mayer, 1965; Palda, 1966; Ramond, 1965).
Bien plus, à la suite d'une campagne publicitaire comme en l'absence d'une telle
campagne, on constate fréquemment l'existence de décalages importants même
entre les ventes mesurées dans les magasins et les achats déclarés par les consom
mateurs (cf. Bursk, 1962, p. 306-311 et Campbell, 1969, p. 111-119). Les cas
montrant des effets spectaculaires de la publicité sur le comportement verbal
des consommateurs ne peuvent donc, en l'état actuel de nos connaissances, être
considérés comme prouvant l'efficacité de la publicité sur les ventes « réelles »
ou observées (par opposition aux achats déclarés).

14
A propos des effets de la publicité sur les ventes

Bien entendu, ces différents problèmes méthodologiques ne mettent en cause,


au premier abord, que la validité de certaines « preuves » de l'efficacité de la
publicité sur les ventes, non cette efficacité elle-même. En statistique, l'hypo
thèsenulle (ici, l'absence d'effets de la publicité sur les ventes) ne peut jamais
être prouvée : elle peut seulement être rejetée. Cependant, plus la différence
réelle est grande (c'est-à-dire, en l'occurrence, plus la publicité est efficace), plus
le risque de commettre une erreur de type II (c'est-à-dire de rejeter, comme
provenant du seul hasard, une différence due en réalité à l'efficacité de la public
ité)est faible. De même, il est probable que si la publicité était réellement très
efficace, on aurait pu l'établir plus souvent de façon incontestable. Il faut donc
en conclure que, vraisemblablement, la publicité per se n'est que rarement aussi
efficace que les publicitaires voudraient le faire croire.

II. LA CONCURRENCE

A. La concurrence des publicités entre elles.


On oublie souvent que les publicités se font concurrence entre elles : dans la
mesure où le revenu des consommateurs est jlimité, on ne peut acheter à la fois
davantage d'automobiles, de vêtements et de beurre 1. Toute vente .a nécessair
ement lieu aux dépens d'autres ventes. Même les achats à crédit sont effectués
aux dépens d'achats futurs, car il faudra rembourser. A moins d'admettre un
effet de l'ensemble des dépenses publicitaires, toutes marques et tous produits
confondus, sur l'ensemble des revenus — effet dont l'existence n'a jamais été
établie — la publicité ne peut que modifier, aux dépens des concurrents, la part
du marché détenue par telle ou telle entreprise. En d'autres termes, du point
de vue économique, la publicité serait un jeu à somme nulle (zero sum game),
c'est-à-dire un jeu dans lequel les gains de certains joueurs sont rigoureusement
égaux aux pertes des autres joueurs, l'ensemble des joueurs n'enregistrant ni
gain ni perte. Il en résulte que, si la répartition des dépenses publicitaires entre
annonceurs reste la même, la répartition des ventes restera aussi la même et cela
quel que soit le montant total des dépenses publicitaires, toutes choses égales
par ailleurs bien entendu.
C'est dire, d'une part, que les annonceurs auraient intérêt à s'entendre entre
eux pour réduire leurs dépenses publicitaires, en principe tous dans la même
proportion. C'est dire aussi que l'intensité publicitaire devrait toujours être
mesurée de façon relative, par rapport aux dépenses publicitaires, convenable
ment pondérées, de tous les produits concurrents. Comme on s'en doute, cette
pondération est, en pratique, extrêmement difficile à effectuer et on ne va guère
plus loin que la pondération par les dépenses publicitaires des concurrents les
plus immédiats — ceux qui fabriquent un produit du même type.
On peut remarquer, en outre, que toute publicité peut entrer en concurrence
en quelque sorte avec elle-même. C'est ce phénomène qui se manifeste dans les
rendements décroissants examinés plus haut et dont la forme mathématiquement

1. Une fois de plus, nous nous limitons ici aux effets de la publicité sur les ventes.
En ce qui concerne l'influence sur le langage ou les mœurs, il est probable que, loin de
s'annuler mutuellement, les effets des publicités pour des produits différents s'ajoutent
au contraire les uns aux autres.

15
Joachim Marcus-Stelff
la plus simple (fonction logarithmique) peut être exprimée de la façon suivante :
les ventes supplémentaires procurées par chaque franc additionnel dépensé en
publicité sont inversement proportionnelles au nombre de francs « déjà » dépensés
en publicité 1. Cette expression est cependant inexacte car, en principe, il ne
s'agit pas d'un accroissement dans le temps mais d'une comparaison de ventes
produites simultanément, par exemple dans diverses régions, par des dépenses
publicitaires de niveaux différents.

Le déroulement des effets de la publicité dans le temps est un problème mal


connu. On a notamment constaté l'existence d'effets différés, l'efficacité de la
publicité se prolongeant au-delà de la période pendant laquelle ont lieu les dépens
es publicitaires.
Ainsi, dans l'expérience déjà citée du ministère de l'Agriculture américain sur
les ventes de lait, la campagne commerciale a duré trois mois. L'accroissement
des ventes quotidiennes au cours de ces trois mois et des trois mois qui ont suivi
a été de 2,8 % pour le niveau moyen d'intensité publicitaire (+ 15 cents) et de
3,5 % pour le niveau élevé (-}- 30 cents). Au cours des six mois suivants, alors
que les dépenses publicitaires étaient partout revenues à leur niveau initial
(2 cents par habitant et par an), les ventes sont restées plus élevées dans les villes
expérimentales que dans les villes témoin : -f- 1,7 % dans les villes où l'intensité
de la campagne avait été moyenne, -f- 2,4 % dans les villes où l'intensité avait été
la plus forte (Henderson, 1966). En d'autres termes, 63 % de l'effet initial de la
campagne commerciale a subsisté au cours des six mois suivants pour la campagne
d'intensité moyenne et 70 % pour la campagne d'intensité forte (Clement et
Henderson, 1967, p. 3). En cumulant l'effet immédiat et l'effet différé, on obtient
respectivement -J- 4,5 % et + 5,9 % comme indiqué dans le tableau I.
Mais les effets différés de la publicité peuvent aussi, semble-t-il, être négatifs,
du moins dans le cas d'achats de biens ayant une durée de vie assez longue. Ainsi,
dans l'expérience, déjà citée, concernant les ventes d'ustensiles de cuisine recou
verts de Teflon, Becknell et Mclsaac (1963) ont constaté que la publicité avait
probablement eu un effet immédiat positif et un effet différé négatif sur les
ventes. En d'autres termes, les ventes supplémentaires effectuées durant la
campagne publicitaire (et, en l'occurrence, de relations publiques) ont eu lieu aux
dépens des ventes futures du même produit, la publicité ayant simplement déplacé
le moment de l'achat.
Il existe aussi, par ailleurs, un phénomène de vieillissement d'une campagne,
une publicité déjà connue tendant à être moins efficace qu'une publicité neuve.
Ici, il faudrait voir si une mesure relative de l'intensité publicitaire, du type
« proportion d'information nouvelle fournie par la publicité par rapport à l'ensem
ble de l'information déjà possédée sur le produit, notamment en raison des publi-

1. Si l'on prend :
y — montant des ventes et
x — montant des dépenses publicitaires, la fonction logarithmique s'écrit :
y = a + b log x, a et b étant des constantes. On a alors :
■—■ = - (dérivée de la fonction logarithmique).
L'accroissement dyjdx des ventes par franc supplémentaire dépensé en publicité est
donc bien inversement proportionnel à x.

16
A propos des effets de la publicité sur les ventes

cités antérieures », permet de mieux expliquer les variations de l'efficacité public


itaire.

Un problème particulier de concurrence de la publicité avec elle-même se pose


au magasin qui vend un grand nombre d'articles de types différents. Les trans
ferts de vente, du fait de la publicité, peuvent alors s'opérer non seulement dans
le temps, mais également d'un rayon à un autre (Levinson, 1953). On sait aussi
que les fabricants de lessives mettent chacun sur le marché plusieurs marques
différentes qui se font concurrence entre elles. En outre, on a parlé, à leur propos,
d'une « loi du doublement des dépenses publicitaires » selon laquelle, lorsqu'un
annonceur a consacré une somme de x millions à la publicité d'une marque,
publicité qui lui a permis d'acquérir une certaine part du marché, l'annonceur
suivant, qui arrive à son tour sur le marché avec une nouvelle marque, devrait
dépenser au minimum 1x pour obtenir la même part du marché, 'le Jsuivant 4r etc.
Dans sa précision mathématique, cette pseudo-loi fait probablement partie de la
mythologie publicitaire. Mais dans la mesure où il correspond à des phénomènes
réels, le processus décrit pourrait indiquer que l'on observe des rendements
décroissants également quand on passe d'une marque à une autre.

Ces différents exemples tendent à montrer que, dans une proportion et selon
les mécanismes variables, les publicités s'annulent les unes les autres. Le problème
qui se pose ici est, en partie, un problème d'agrégation : dans chaque cas particul
ier, quelle est la part de la publicité qui opère simplement un transfert de vente
d'un fabricant à un autre et quelle est la part qui accroît le marché global de la
catégorie de produits concernés, voire la masse totale des achats?
A priori, on peut supposer que la publicité est d'autant plus efficace que les
différences matérielles entre les produits sont faibles, c'est-à-dire que les produits
sont, pour le consommateur, interchangeables. A l'un des extrêmes, on trouve des
produits physiquement identiques mais vendus sous des noms de marque diffé
rents (marques d'essence, de lessives, de cigarettes américaines, etc.). On conçoit
bien, ici, qu'en l'absence de différences matérielles ne subsistent que les diffé
rences psychologiques sur lesquelles la publicité peut agir plus aisément (image
de marque). A l'autre extrême — les effets de la publicité sur l'ensemble des
achats — on peut s'attendre à ce que les contraintes imposées, sur la courte
période, par le montant des revenus et, sur la longue période, par la situation
du marché du travail freinent vigoureusement l'éventuelle efficacité de la publi
citéà ce niveau.
Les résultats d'un examen de quelques données « naturelles » concernant les
variations de l'efficacité publicitaire, selon qu'on se situe au niveau d'une marque
déterminée, de l'ensemble d'une industrie ou de l'ensemble de l'activité écono
mique d'un pays semblent étayer cette hypothèse (Kende, 1969, a et b; Marcus-
Steiff, 1969). Une implication particulière de cette hypothèse est claire : dans la
mesure où la publicité a uniquement pour effet de modifier la répartition d'un
marché particulier entre des concurrents offrant tous des produits matériellement
identiques, sans avoir d'influence sur le volume total des ventes, toutes marques
confondues, son intérêt est sans doute considérable pour chacun des fabricants
considéré isolément, mais il est nul pour l'ensemble des fabricants de cette indust
rieet, a fortiori, pour la société globale.

17
Joachim Marcus-Steiff

B. La concurrence entre la publicité et les autres canaux de diffusion de


l'information.
« Si nous n'informons pas, nous sommes foutus ; c'est notre seule justification »
déclare l'un des publicitaires interrogés par Lagneau (1969, p. 122).
La question de savoir dans quelle mesure la publicité est ou contient de l'info
rmation devant être traitée ici même par Pierre Kende, nous renvoyons le lecteur
à son article. Pour notre part, nous nous attacherons essentiellement à l'examen
des rapports entre cette information et l'efficacité éventuelle de la publicité.
Les expériences effectuées par la Régie française des Tabacs (Therme, 1962, 1964
et ce numéro de Communications) ont montré que le rôle de la publicité pouvait
devenir nul lorsque l'information qu'elle apportait était beaucoup moins abon
dante que celle transmise par d'autres canaux (vue du produit lui-même dans les
magasins et entre les mains d'autres consommateurs, bouche-à-oreille 1, etc.).
Analysant les résultats de 147 études, Arndt (1967) arrive à la conclusion que le
bouche-à-oreille constitue l'une des sources d'information les plus importantes
pour les consommateurs, voire la plus importante.
Les nombreuses études qui ont été faites sur la diffusion des innovations peu
vent être citées à ce propos.
On a constaté, notamment, que les sources d'information utilisées n'étaient
pas les mêmes selon les stades du processus d'adoption d'une innovation. La mise
au courant s'effectue principalement par le canal des moyens de communication
de masse alors que les dernières phases dépendent davantage des conseils des
voisins, des conversations entre amis et de l'expérience visuelle, voire tactile
(Maho, 1969).
Kende (1969, a, p. 85 et 91) et Vidal (1970, p. 399) remarquent tous deux que
l'importance de la publicité dans la diffusion d'une innovation est en raison
inverse de l'importance de l'innovation : « Les grandes innovations techniques se
répandent le plus souvent grâce à leur « auto-publicité ». Puisqu'elles parlent à
l'imagination et alimentent des conversations privées, elles n'ont pas besoin de
messages payés pour attirer l'attention du public. A la limite, elles pourraient s'en
passer » (Kende, loc. cit., p. 85). Vidal (loc. cit., p. 401) cite l'exemple du nylon qui,
après la guerre, par des innovations successives (fils de plus en plus fins préférés
par les clientes malgré leur fragilité plus grande), a triplé en moins de dix ans la
consommation de bas de femmes. Or, écrit-il, la publicité resta parfaitement à
l'écart de cette expansion. Dans le cas des innovations mineures, par contre,
les annonceurs cherchent à faire connaître leur marque par la publicité. « Lorsque
l'orateur est conscient de la faiblesse de ses arguments, il enfle la voix. N'a-t-il
rien à dire, il tonne » écrit encore Vidal (loc. cit., p. 402).

L'un des dilemmes de la publicité apparaît ainsi clairement i quand il y a


quelque chose à dire et quand la publicité pourrait être efficace et utile, elle est
supplantée par d'autres canaux de transmission de l'information; quand il n'y
a rien d'intéressant à dire, elle risque d'être irritante et encore plus inutile. Son
efficacité et son utilité pourraient donc se situer dans une zone intermédiaire,

1. Selon Ramond, les effets de l'utilisation du produit sur les attitudes sont de 10 à
1 000 fois plus importants que ceux de l'exposition à la publicité (1965, p. 152). Mais il
semble s'agir ici d'une estimation subjective, non d'une mesure véritable.

18
A propos des effets de la publicité sur les ventes

pour la diffusion d'innovations mineures, pas suffisamment importantes pour que


l'information soit véhiculée rapidement par d'autres supports, mais présentant
néanmoins quelque intérêt pour les consommateurs.
Therme (1962), pour sa part, suggère que la publicité peut seulement accélérer
la vitesse de diffusion des produits nouveaux et reste sans influence sur leur
niveau final de consommation. Autrement dit, la publicité constituant un moyen
supplémentaire de transmission de l'information, moyen qui s'ajoute aux contacts
directs avec le produit, au bouche-à-oreille, etc., elle permettrait d'atteindre plus
tôt un niveau de consommation final qui serait lui-même indépendant de la
publicité et dépendrait essentiellement des caractéristiques du produit et de la
clientèle.
La publicité pourrait donc jouer successivement, pour un même produit, deux
rôles tout à fait différents : d'abord facteur d'accélération de la diffusion d'une
innovation, puis — après l'apparition de concurrents directs au niveau de la
concurrence entre marques, facteur de redistribution des parts d'un marché
global qui, lui-même, ne dépendrait plus que très peu — ou pas du tout — de la
publicité.
Si l'on observe que les innovations majeures correspondent à des différences
pratiques importantes entre les produits, on peut essayer de rattacher la consta
tation de Kende et Vidal à notre hypothèse concernant les variations de l'effica
cité de la publicité selon le degré d'interchangeabilité des produits. La public
ité,disions-nous, est d'autant plus efficace que les différences matérielles entre
les produits sont faibles. Selon Kende et Vidal, l'importance de la publicité dans
la diffusion d'une innovation est en raison inverse de l'importance de l'innova
tion, c'est-à-dire de l'importance des différences matérielles et pratiques entre les
produits. Les deux hypothèses sont donc identiques dans la mesure où, d'une part,
les innovations techniques correspondent à des différences entre les produits et,
d'autre part, l'importance de la publicité dans la diffusion d'une innovation peut
être assimilée à son efficacité.

Une étape de plus peut être franchie dans la construction théorique. L'efficacité
de la publicité, avons-nous écrit plus haut, est fonction de l'importance de l'info
rmation nouvelle apportée par rapport à la quantité totale d'information déjà
possédée par le public sur la question. Comment cette hypothèse s'articule -t-elle
avec celles que nous venons de voir?
On peut remarquer, tout d'abord, que dans le cas de produits anciens présen
tant entre eux des différences matérielles importantes, le rôle de la publicité
semble, à première vue, réduit. En d'autres termes, les différences entre les salades
et les chaussures étant connues, la publicité ne pourrait 'guère accroître les
ventes des unes aux dépens de celles des autres. On sait cependant — surtout
depuis les études de motivation — que les consommateurs achètent, non de
simples objets matériels, mais aussi les rêves auxquels ceux-ci servent de support :
non seulement des oranges mais aussi de la santé, non un produit de beauté,
mais de l'espoir, non une automobile ou un billet d'avion, mais du prestige.
Or la publicité peut modifier les images des produits, c'est-à-dire les idées que les
consommateurs entretiennent à leur sujet. Ou plutôt, elle peut charger les pro
duits de significations imaginaires, conscientes ou inconscientes. Nous parlerions
volontiers ici d'information psychologique ou affective, cette information étant,
bien sûr, apportée non seulement par le texte, mais aussi — et même surtout —

19
Joachim Marcus-Steiff
par l'image, les couleurs, les espaces blancs ou le ton de la voix, etc. À condition
de donner au concept d'information un sens très large, une certaine efficacité de
la publicité au niveau d'une catégorie de produits est donc non seulement conce
vable, mais compatible avec l'hypothèse qui lie l'efficacité de la publicité à la
quantité d'information nouvelle qu'elle apporte. Reste à mesurer cette efficacité.
Comme il est presque de règle en cette matière, nous manquons encore une fois
de données. Un exemple célèbre vient cependant à l'esprit : celui des pruneaux
dont les ventes, paraît-il montèrent en flèche aux États-Unis quand, à la suite
d'une étude de motivation, on modifia l'image du produit : apparemment,
Dichter avait trouvé quelque chose de nouveau et d'intéressant à dire à propos
d'un produit ancien mais relativement peu connu. Une telle réussite paraît
cependant assez exceptionnelle et nous renvoie au problème du contenu publici
taire(cf. supra, l'efficacité spectaculaire).
Dans le cas de produits matériellement identiques mais vendus sous des noms
de marque différents, la distinction entre la réalité matérielle et la perception que
les consommateurs en ont est encore plus nette. Les publicitaires utilisent diff
érents procédés pour singulariser une marque sur le plan psychologique. Le premier
consiste à s'efforcer d'associer plus particulièrement la marque X à telle ou telle
caractéristique que les autres marques possèdent en réalité au même degré. Par
exemple, une banque affichera un taux d'intérêt qui est, en fait, exactement le
même que celui pratiqué par les autres banques, les consommateurs non informés
par d'autres sources ignorant cette identité. La publicité apporte alors une info
rmation exacte, mais partielle (et partiale). L'avantage présenté peut aussi être
purement imaginaire : « les sous-vêtements qui donnent envie de revoir Venise »,
pour citer une publicité récente. Enfin, on ajoutera éventuellement au produit
quelque ingrédient destiné essentiellement, sinon exclusivement, à servir de sup
port à la publicité : « crème embellissante aux extraits d'huître portugaise sau
vage, 100 % naturels ».
Dans cette optique, c'est-à-dire, en prenant le mot information dans un sens
large qui inclut notamment l'information de nature « psychologique » ou « affec
tive », la publicité mensongère peut, elle aussi, apporter de l'information et être
efficace. D'abord parce que dans la mesure où les consommateurs ne disposent pas
d'autres sources d'information aussi accessibles qui leur permettent de mieux
comparer les produits et les prix, la publicité mensongère ne se distingue pas
opérationnellement de celle qui ne l'est pas. Ensuite parce que, même lorsqu'elle
est perçue comme plus ou moins inexacte et tendancieuse, les consommateurs
peuvent choisir d'y croire, ou faire semblant d'y croire, parce qu'ils y trouvent un
prétexte ou une justification particulièrement commode pour acheter ce dont ils
ont envie de façon tout à fait indépendante de la publicité.

Il faudrait, enfin, voir comment l'efficacité de la publicité varie selon les


publics et si ceux qui croient ce qu'elle affirme ne sont pas ceux qui « croient tout
ce qui est écrit » et ceux qui ne disposent ni du temps ni de la possibilité de s'info
rmer ailleurs. Selon Eldridge (1966, p. 11), le scepticisme à l'égard des affirmations
contenues dans la publicité augmente avec le niveau d'instruction. Selon Cor-
naton (1968), l'influence de la publicité sur les opinions, les attitudes et les compor
tements serait inversement proportionnelle : au niveau d'information sur la
publicité; au niveau d'instruction; au niveau socio-professionnel; au niveau
de revenus; à l'âge.

20
A propos des effets de la publicité sur les ventes

On ne peut cependant considérer que l'existence d'une relation causale a dans


tous les cas été établie par Cornaton. Par exemple, si « la méfiance à l'égard de la
publicité croît avec la connaissance qu'on en a » (p. 46), la relation peut être due
à l'influence de l'attitude sur la connaissance aussi bien qu'à celle de l'information
sur l'attitude. La critique est ici exactement la même que celle que l'on peut
adresser à la plupart des études de l'efficacité publicitaire. Par contre, dans le
cas de la relation entre l'âge et les attitudes à l'égard de la publicité, le sens de la
relation causale ne fait évidemment pas de doute.
En outre, deux catégories de population seulement (les habitants de deux quart
iers lyonnais) ont été étudiées. Les différentes variables distinguées ci-dessus
(niveau d'instruction, socio-professionnel, etc.) se chevauchent donc dans une
large mesure et on ne sait pas si l'une des relations « explique » les autres. Une
analyse plus fine, basée sur un échantillon plus important (que, faute de moyens,
Cornaton n'a pu interroger), aurait peut-être permis d'éclairer la structure causale.

C. La concurrence entre la publicité et les autres méthodes de vente.


Pour l'annonceur, il ne suffit pas, en principe, de savoir si la publicité est ren
table; il faut aussi savoir si elle est plus rentable que les autres dépenses qu'il
pourrait effectuer pour accroître ses ventes ou ses bénéfices.

Publicité et distribution. Il y a déjà longtemps (1943), Berreman a émis l'hypo


thèseque l'efficacité de la publicité elle-même pouvait être due non à son action
directe sur les consommateurs, mais à son influence sur les détaillants qu'elle
inciterait à donner au produit une meilleure place sur leurs rayons, à le conseiller
à leurs clients, etc.
De nos jours, les représentants des fabricants, en visitant les détaillants, leur
montrent des reproductions d'annonces à paraître afin de les convaincre de stocker
le produit (en prévision de la demande qui, selon eux, ne va pas manquer d'appar
aître). De leur côté, les détaillants, qui sont submergés de produits à proposer à
leur clientèle, refusent souvent, paraît-il, d'accepter dans leur magasin des pro
duits qui ne font pas du tout ou ne font pas suffisamment, à leur gré, de publicité.
Ainsi, analysant les débuts de Mobil OU sur le marché britannique, Harris et
Seldon (1962, p. 245) notent que la publicité a été autant un moyen d'obtenir
la présence physique du produit dans de nombreux points de vente qu'une façon
d'annoncer au public l'existence d'un nouveau produit.
La situation paraît donc, d'une certaine façon, assez paradoxale : les détaillants
n'acceptent de prendre dans leurs magasins et de placer aux bons endroits que
les marques qui font suffisamment de publicité et ces marques se vendent effect
ivement mieux que les autres précisément parce qu'on les trouve plus facilement,
voire parce qu'elles sont recommandées par les détaillants. C'est un cercle vicieux
qui repose sur la croyance des détaillants en l'efficacité de la publicité sur les
consommateurs. Bien entendu, il faudrait pouvoir faire la part de l'effet de la
publicité sur les consommateurs et la part de son effet sur les détaillants. A notre
connaissance, aucune étude n'a mesuré séparément ces deux types d'effets. Il
serait intéressant aussi de savoir si les détaillants sont plus sensibles à la publicité
en tant que commerçants ou en tant que consommateurs.
Il existe, par contre, deux expériences du ministère de l'Agriculture américain
qui comparent l'efficacité sur les ventes de la publicité et d'autres actions commerci
ales. La première d'entre elles (Henderson, Hind et Brown, 1962) compare une

21
Joachim Marcus-Steiff
campagne financée uniquement par l'association américaine des éleveurs de
moutons à une campagne de publicité coopérative. Dans la première, la publicité
était signée par l'association des éleveurs de moutons tandis que dans la seconde
elle paraissait sous le nom du détaillant qui, dans les mêmes annonces, faisait
de la publicité pour d'autres denrées, l'association lui remboursant 50 % du coût
de l'espace consacré à la viande de mouton. Mais les deux campagnes étaient
également des campagnes de « merchandising » et d'information des consommat
eurs : elles comportaient, outre la publicité dans la presse, de la publicité sur
les lieux de vente (affiches, banderoles, distribution de brochures contenant des
recettes de cuisine), des visites de spécialistes chargés de montrer aux détaillants
différentes façons de préparer et de présenter la viande de mouton, ainsi que des
conférences et des démonstrations faites par des conseillers ménagers à la télé
vision, dans des écoles et des clubs de femmes. Ces activités « de soutien » furent
complètement supprimées, en même temps que la publicité presse, dans les villes
et les périodes servant de base de comparaison pour mesurer l'efficacité des deux
campagnes. Résultats : accroissement des ventes de 10 % pour la campagne de
type habituel et de 26 % pour la campagne coopérative qui avait pourtant coûté
trois fois moins cher à l'association des éleveurs de moutons. Selon les auteurs du
rapport, la différence d'efficacité entre les deux types de campagne provient de
la préférence des détaillants pour celle qui permettait le remboursement d'une
partie de leurs propres dépenses publicitaires.
La seconde expérience (Hind, Eley et Twining, 1963) compare l'efficacité de
5 actions commerciales différentes sur les ventes de poires d'hiver aux États-
Unis. Les ventes ont été mesurées pendant 5 mois dans 75 supermarchés répartis
dans 5 villes différentes. Les changements dans les quantités vendues, mesurés
en pourcentage par rapport â l'absence d'action commerciale, ont été les suivants :
Publicité spéciale au point de vente (PLV) — 12,7 %
Démonstrations dans les magasins + 24,2 %
Concours de détaillants + 21,9 %
Publicité dans les moyens de communication de masse — 13,5 %
On voit que les effets de la publicité, sous deux formes, ont cette fois été nett
ement négatifs alors que ceux de deux autres méthodes de vente ont été très nett
ement positifs. Sans aller jusqu'à tirer une conclusion générale de ces deux expé
riences (dont les résultats sont, comme toujours, fonction du contenu spécifique
donné à la publicité, du produit étudié et de la qualité de l'action commerciale
concurrente), il semble cependant qu'il faille au moins examiner davantage le
problème de l'efficacité de la publicité auprès des consommateurs par rapport à
celle des actions auprès des détaillants. D'autant plus que — sans qu'il y ait
nécessairement un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes — on constate
que l'importance relative de la publicité dans le processus de commercialisation
diminue aux États-Unis.

La publicité et la transformation des structures commerciales. Dans une brochure


publiée par l'Association of National Advertisers des États-Unis (ANA), Eldridge
(1966) signale l'existence d'un certain nombre de « nuages peut-être pas plus
grands qu'une main d'homme » sur l'horizon publicitaire, notamment :
1° le rôle de la publicité dans le processus commercial diminue;
2° la fidélité des consommateurs envers les marques diminue;
3° la concentration dans le commerce augmente;

22
A propos des effets de la publicité sur les ventes
4° le scepticisme des consommateurs à l'égard des affirmations de la publicité
augmente ;
5° on inculque à la jeune génération des doutes concernant l'intégrité du monde
des affaires;
6° un jour ou l'autre, l'opinion publique pourrait gêner la croissance de la
publicité.
Nous .ne nous occuperons ici que des quatre premières de ces remarques.
1° Bien que les dépenses publicitaires, aux États-Unis, continuent à croître
en valeur absolue, elles diminuent en valeur relative par rapport à l'ensemble des
sommes consacrées à la commercialisation des produits (« marketing »). Les dépens
es commerciales qui augmentent sont les « promotions » (ventes et offres spéciales),
les remises accordées au réseau de distribution et les frais de publicité coopérat
ive, laquelle, en ce qui concerne l'annonceur, n'est nullement de la publicité
selon Eldridge.
La seule explication possible de cette diminution, ajoute Eldridge, est que la
publicité utilisée seule n'est plus capable de vendre. Autrement dit, Eldridge
utilise le même argument que Geffroy (cf. supra, p. 4) : puisque les dépenses publi
citaires augmentent, disait celui-ci, et que les hommes d'affaires savent (en quel
que sorte par définition) ce qu'ils font, c'est que la publicité est efficace; puisque
les dépenses publicitaires diminuent (du moins en valeur relative) et que les
hommes d'affaires savent ce qu'ils font (postulat qui demeure inchangé), dit
celui-là, c'est que la publicité est devenue moins efficace. Il se pourrait cependant,
que le raisonnement de Eldridge soit exact alors que celui de Geffroy ne l'est pas
car, d'une part, la mesure en valeur relative est plus juste que la mesure en valeur
absolue et, d'autre part, ce que Eldridge appelle diminution de l'efficacité publi
citaire pourrait être, en partie, une meilleure connaissance 'de cette efficacité.
Car, grâce essentiellement aux expériences du type de celles que nous avons
citées ici, certains annonceurs commencent à savoir ce qu'ils font, alors qu'ils
ne le savaient pas. Eldridge propose d'ailleurs de mesurer la contribution de la
publicité aux ventes à l'aide d'expériences au cours desquelles des zones géogra
phiques distinctes recevraient trois « traitements » différents :
1. publicité seule;
2. la même campagne publicitaire qu'en 1 et, simultanément, une campagne
commerciale (concours, primes, etc.);
3. la même campagne commerciale qu'en 2 et, simultanément, une campagne
publicitaire faisant état de cette campagne commerciale h
2° La raison principale de la tendance des consommateurs à changer de plus
en plus souvent de marque est, selon Eldridge, l'emploi croissant des « promot
ions», notamment sous forme de concours et d' « offres spéciales ». Kuehn (1966,
p. 199) remarque, pour sa part, que l'effet immédiat d'une remise sur le prix d'un
produit est plusieurs fois celui de la publicité.
3° La part des ventes faites par les distributeurs géants (magasins à succurs
alesmultiples, chaînes de détaillants) a augmenté fortement ces dernières
années. Or, ces distributeurs géants favorisent souvent leur propre marque,
font davantage de publicité pour cette dernière et « vont jusqu'à placer la marque

1. Afin, notamment, de connaître l'efficacité de la publicité utilisée seule, il serait


préférable de compléter ce dispositif expérimental par l'adjonction, d'une part, de zones
recevant uniquement la campagne commerciale et, d'autre part, de zones ne recevant
ni publicité ni campagne commerciale.

23
Joachim Marcus-Steiff

traditionnelle
4° Alors qu'autrefois,
qui fait delelaprix
publicité
plus élevé
dans des
un marques
recoin caché
de producteur
» de leurs faisant
magasins.
de
la publicité correspondait, dans un très grand nombre de cas, à une supériorité
réelle en termes de qualité, aujourd'hui, il n'en est plus toujours ainsi : le même
fabricant place quelquefois le même produit d'une part dans un emballage por
tant la marque du distributeur et, d'autre part, dans un autre emballage portant
le nom de sa propre marque, pour laquelle il fait de la publicité et qu'il vend
plus cher. Or, dit Eldridge, bien que les rapports des associations de consommat
eurs n'atteignent qu'une minorité du public *, celui-ci commence à être informé
de cette situation. La crédibilité, déjà faible, de la publicité qui cherche à établir
l'existence de différences entre les marques, risque d'en être encore diminuée.
Pourtant, ajoute Eldridge, les marques de distributeur n'existeraient pas si
les fabricants ne faisaient pas supporter leurs frais généraux essentiellement par
les marques pour lesquelles ils font de la publicité, marques qui ont, en outre,
créé la demande pour ce type de produit. « Fabriquer des produits différents,
même s'ils ne sont que légèrement différents, afin de ne pas procurer aux ennemis
de la publicité une arme efficace dans leur campagne contre la publicité ne devrait
pas constituer une difficulté insurmontable » conclut Eldridge.
Bien que son point de vue soit différent, Levitt (1969, p. 78) constate, lui aussi,
que nous assistons (aux Etats-Unis) « au déclin des marques, du moins au sens
où l'on concevait naguère leur existence et leur action ». Levitt se fonde non seu
lement sur les rapides progrès, cités par Eldridge, des produits de marques de
distributeurs, mais également sur l'expansion des magasins à prix réduits et sur
« la surprenante percée de marques importées, complètement inconnues », ayant
fait peu de publicité et appartenant à des branches comme l'automobile, les
machines à écrire, les plats inoxydables et les postes à transistors, branches qui
étaient auparavant caractérisées précisément par une débauche de publicité
fondée sur le prestige de la marque.
Bref, rapprochant les analyses d'Eldrige et de Levitt de ce que nous avons dit
plus haut concernant l'information des consommateurs, il semble que l'on puisse,
au moins à titre d'hypothèse, considérer qu'une forte importance relative des
dépenses publicitaires a correspondu et, dans une large mesure, correspond tou
jours à une certaine structure commerciale — intermédiaire entre la vente en
vrac sans nom de marque et la vente sous le nom de la marque du distributeur —
et à un certain état de l'information des consommateurs qui, pour la plupart,
croient encore que « prix élevé + publicité = qualité ». En d'autres termes,
l'efficacité de la publicité sur les ventes serait due, en partie, non à quelque condi
tionnement inconscient, mais à la croyance, souvent non fondée, soit des détail
lants en l'influence de la publicité sur les consommateurs, soit des consommateurs
en la qualité supérieure des marques plus chères faisant davantage de publicité,
c'est-à-dire, en fin de compte, à la mauvaise information des uns ou des autres.

D. Publicité et recherche.
De même que les méthodes de vente, les différentes formes de recherche figu
rent parmi les dépenses que les industriels peuvent effectuer en vue d'accroître

1. Voir, dans ce numéro de Communications, la chronique intitulée « Information et


défense des consommateurs ».

24
A propos des effets de la publicité sur les ventes

leurs bénéfices. Outre les recherches en matière de produits nouveaux, il y a


celles qui permettent de choisir le contenu à donner à la publicité et celles qui
visent à déterminer le montant optimum des budgets publicitaires. Il a déjà été
question des unes et des autres dans cet article, mais nous voudrions maintenant
les envisager en tant que dépenses qui entrent en concurrence avec la publicité
proprement dite.
L'ensemble des sommes consacrées aux recherches publicitaires de toute
nature représente 0,75 % du montant total des dépenses publicitaires aux États-
Unis selon Bogart (1969) et 1,1 % en France en 1968 selon l'IREP1 (1970,
p. 34). C'est bien peu de chose si l'on tient compte à la fois : 1. de l'ignorance à
peu près complète qui règne en matière d'efficacité publicitaire fcf. supra) ; 2. de
la faible valeur scientifique d'un grand nombre de ces « recherches »; 3. du fait
que certaines d'entre elles sont destinées principalement à montrer à l'annonceur
que son agence de publicité s'occupe de lui et, par conséquent, pourraient être
comptabilisées avec les dépenses de « relations publiques » de l'agence plutôt
que dans ses frais de recherche.
Pourtant, la recherche publicitaire bien conduite paraît rentable pour l'annon
ceur ou, du moins, pour le « gros » annonceur pouvant amortir ses frais de recher
chessur un budget publicitaire important.
Parlant de la série d'expériences effectuées pour mesurer l'efficacité de la
publicité sur les ventes d'ustensiles de cuisine recouverts de Teflon, expériences
dont certaines ont été citées ici, McNiven (1969, p. 96) conclut que, bien que
ces études aient été très onéreuses, dans chaque cas les bénéfices additionnels
procurés par les ventes supplémentaires ou les économies réalisées grâce à la
réduction des dépenses publicitaires ont, dès la première année, plus que rem
boursé le coût des recherches.
Dans un autre ouvrage également publié par l'Association des Annonceurs
américains (ANA), Campbell (1969, p. 111-119) relate une expérience dont les
résultats incitèrent l'annonceur à réduire son budget publicitaire de 700 000 dol
lars dès l'année suivante. Néanmoins, la part du marché qu'il détenait continua
de croître. Or le coût de l'expérience avait été de 282 000 dollars (environ
1 500 000 F). Il fut donc largement amorti dès la première année.
Rendant compte de l'ouvrage que nous venons de citer dans le Journal of
Advertising Research (1970, p. 43), Vogel ajoute un autre exemple : de 1962 à
1968, les dépenses publicitaires de Anheuser-Busch, l'un des principaux annonc
eursaméricains, sont passées, grâce aux recherches sur l'efficacité de la publi
citéfaite par la firme, de 1,89 à 0,80 dollar par tonneau de bière Budweiser
vendue. Or, durant la même période, les ventes doublèrent presque et la part
du marché détenue par Budweiser passa de 8,14 % à 12,94 %.
On peut remarquer, tout d'abord, que ces expériences, de même que toutes
celles que nous avons citées précédemment, ont été effectuées par les annonc
eurseux-mêmes et non par les agences de publicité. Étant à la fois juge et partie,
ces dernières sont, en effet, mal placées pour [évaluer objectivement la qualité
des annonces qu'elles ont réalisées. Mais, en outre, aux États-Unis comme en
France, les agences de publicité sont, le plus souvent, rémunérées par une com-

1. Pour autant que nous ayons pu le savoir, l'IREP n'ayant pas répondu à notre
question sur ce point, ce pourcentage correspond à une estimation obtenue notamment
en multipliant par 6,67 le montant des études et recherches publicitaires facturées par
les agences de publicité à leurs clients, c'est-à-dire aux annonceurs.

25
Joachim Marcus-Steift

mission forfaitaire égale à 15 % de la valeur des achats d'espace et de temps


qu'elles effectuent pour le compte de leurs clients. Il est donc logique qu'elles
cherchent à augmenter les dépenses publicitaires des annonceurs plus qu'à
accroître l'efficacité ou la rentabilité de celles-ci. Ainsi, à la suite des diverses
augmentations des tarifs de publicité du journal le Monde, le directeur administ
ratif de ce quotidien a constaté « qu'une majoration n'avait aucun effet de di
ssuasion sur les annonceurs et peut-être, paradoxalement, un effet contraire car
les agences de publicité qui sont rémunérées à la commission se dirigent plus
volontiers vers des supports « chers » qui, à surface égale, leur assurent un meil
leur revenu » (Jacques Sauvageot, 29 septembre 1970, lettre personnelle).
La rareté des études solides — qui, si l'on se fie aux résultats mentionnés par
Campbell, McNiven et Vogel, sont susceptibles d'entraîner une réduction des
dépenses publicitaires — reçoit ainsi une explication partielle mais fort simple.
Dans les termes de Ramond qui fut directeur technique de Y Advertising Research
Foundation (1968, p. 112), « procéder à des recherches destinées à mesurer de
façon adéquate l'efficacité de la publicité n'a pas toujours été dans l'intérêt de
l'agence de publicité. »

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