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Janvier 1941

12 – La campagne d’Afrique Orientale


Bloody Keren

1er janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – De Kassala à Keren
Depuis quarante-huit heures, les soldats de la 4e Division Indienne sont tenus en respect par
les défenseurs d’Agordat. Cette lutte acharnée n’est cependant qu’un avant-goût de ce qui
attend les Alliés devant Keren.
………
Est : l’offensive franco-britannique
– Camp retranché de Djibouti
Après son transfert du Liban en Egypte et son engagement en Libye, la 86e DIA a marqué un
temps pour se rééquiper et se renforcer avant de prendre par bateau le chemin de Djibouti, où
elle a débarqué début décembre. Cette grande unité est à la fois proche et très différente de
celle mobilisée au début de la guerre. Elle est encore loin d’une division d’infanterie moderne
telle que le programme de rééquipement de l’Armée l’envisage, mais sur plusieurs points, les
changements sont importants. La campagne de Libye a mis en évidence l’importance de la
motorisation et des transmissions. La 86e DIA a vu la suppression du H (pour hippomobile)
accolé à nombre de ses composantes (artillerie divisionnaire, régiments d’infanterie…), quand
les chevaux (laissés au Liban) ont été remplacés par des véhicules de provenance variée :
capturés aux Italiens, loués (?) aux civils, empruntés (!) aux troupes du Commonwealth, voire
très officiellement achetés (15 automitrailleuses de type Marmon-Herrington acquises auprès
des Sud-Africains). L’équipement en matériel radio a été renforcé dans ce même esprit
français de débrouillardise et, faute de mieux, de bricolage.
Depuis son arrivée en Côte Française des Somalis, la 86e DIA a rempli des missions de
couverture et de diversions, mais elle va à présent passer à l’action. Le général Cazaban, qui
la commande, est pressé d’en découdre. Le rôle relativement secondaire de sa division lors de
l’opération Alma ne lui a pas suffi !
La 86e est composée pour l’essentiel du 29e Régiment de Tirailleurs Algériens (29e RTA, Lt-
colonel Jourdan) et des 1er et 2e Régiments de Zouaves (1er RZ, Lt-colonel Fromentin, et 2e
RZ, colonel Quignon). Le colonel Arnaud de La Ménardière commande l’infanterie
divisionnaire et le colonel Billiot l’artillerie divisionnaire. La 86e DIA sera utilement soutenue
par des éléments éthiopiens. Le travail du commandant Salan (avant son départ pour le
Gojjam) et de son prédécesseur, pendant de la mission 101 britannique, avait en effet porté
quelques fruits en poussant au soulèvement des tribus de l’est éthiopien. Le chef rebelle (Ras)
Abebe Aragai, mis en déroute par les Italiens à environ 40 km au sud d’Ancober (à 120 km
d’Addis-Abeba dans la direction de Djibouti), avait trouvé refuge en Côte française des
Somalis – lui et ses hommes ont soif de revanche.
– Hargeisa
En ce Jour de l’An et des bonnes résolutions, les préoccupations des combattants français
n’ont pas changé : ne pas laisser souffler les troupes italiennes.
Journal du lieutenant Messmer – « Cette année le Père Noël portait des étoiles. Le général
Legentilhomme est venu inspecter le front. Il a pu se rendre compte du moral très élevé des
unités engagées. Nul doute que la suite des opérations ne nous donne l’occasion de prendre
l’avantage face aux troupes italiennes. En aidant nos alliés britanniques à égaliser la marque
avant la mi-temps, nous avons bien préparé l’affrontement final… et la victoire ! »
2 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – De Kassala à Keren
Les troupes de la 4e Division Indienne qui assiègent Agordat depuis trois jours sont prises à
revers par 250 cavaliers italo-érythréens qui surgissent de la brume du petit matin et
effectuent une charge en règle, tiraillant et grenadant tout ce qui se présente et causant de
lourdes pertes avant de se replier. L’histoire a retenu cette action comme la dernière charge de
cavalerie qu’ait eu à affronter une unité de l’Empire britannique.
Depuis la prise de Ghéru, les troupes de la 4e Division Indienne subissent le harcèlement de
ces irréguliers italiens, qui apparaissent et disparaissent apparemment à volonté en semant sur
leur passage mort et désolation. A défaut d’empêcher la progression des troupes du
Commonwealth, ce harcèlement ralentit considérablement l’avance vers Keren.
Malgré cette action, les soldats de la 4e Division Indienne se lancent à nouveau à l’attaque
dans la journée et enlèvent enfin Agordat.
En revanche, plus au sud, Barentu repousse l’attaque frontale de la colonne australienne. Le
général Platt ordonne à l’ancienne colonne nord de poursuivre les Italiens qui se replient
d’Agordat sur Keren et envoie la colonne centre en direction du sud, prendre Barentu à revers.
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-indienne – Metemna
Journal de marche du général Ermens – « Depuis la prise de Gallabat, nous avons progressé
vers Metemna. La ville est aujourd’hui en vue. Peu d’activité, hormis quelques embuscades.
Les troupes italiennes sont discrètes et les abords de la ville semblent peu fortifiés. » Le
commandant de la Force Publique ne croit pas si bien dire.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
Sur le front nord-est, du côté de la Somalie italienne, les reconnaissances alliées ont montré
que les troupes ennemies, estimées à six brigades régulières appuyées par des troupes
recrutées localement, se sont regroupées derrière la rivière Juba, meilleure position défensive
de la zone. L’état-major italien a en effet considéré – à juste titre – que les grandes plaines de
Somalie italienne étaient impossibles à tenir.
Le général Cunningham lance alors l’opération Canvas. Le plan prévoit de prendre Kismayu
et les gués de la rivière Juba avant de faire mouvement sur Mogadiscio. L’appui de la Royal
Navy doit permettre de soutenir l’avance alliée et de ravitailler les colonnes des 11e et 12e
Divisions Est-Africaines. Les forces aériennes sud-africaines (SAAF) doivent bombarder les
principaux terrains d’aviation italiens, à Afmadu et Gelib. Tant que la maîtrise du ciel ne sera
pas assurée, les déplacements devront se faire le plus possible de nuit.
………
Est : l’offensive franco-britannique – Djibouti
Dans l’est de l’Ethiopie, le dispositif italien qui fait face aux troupes alliées est estimé à une
division d’infanterie, la 40e Cacciatori d’Africa (210e et 211e RI) et sept brigades d’infanterie
coloniale, appuyées par une trentaine de blindés et de l’artillerie. En réalité, les renforts
envoyés à Keren, sans pourtant garantir la résistance de la citadelle, ont passablement
amoindri ce dispositif. Outre la 40e DI, les Franco-Britanniques n’ont en face d’eux que cinq
BC, les 7e, 11e, 14e, 17e et 70e – encore cette dernière a-t-elle été durement entamée par le
débarquement anglais à Berbera. Plus de la moitié des blindés sont des tankettes de type
L3/35, il n’y a qu’une douzaine de chars M11/39. Enfin, une bonne partie de l’artillerie
disponible a été renforcer Keren. Et ces troupes doivent couvrir un très large front.
Quant aux “Forces aériennes de l’ouest”, pour l’essentiel regroupées sur les bases de Dire-
Dawa et Giggiga après la capture du terrain d’Hargeisa, elles ont été victimes de l’usure de six
mois de campagne et de combats. Seuls quelques appareils sont disponibles. Opérant de
Djibouti pour l’Armée de l’Air, de Berbera pour la RAF, les avions alliés vont tenir en respect
les Italiens en janvier et s’assureront une maîtrise du ciel complète à partir de fin février.
Au QG du général Legentilhomme, les reconnaissances aériennes montrent que les troupes
italiennes devant Djibouti ont entamé un repli progressif en direction de Dire-Dawa. La prise
d’Hargeisa a déséquilibré le front et fait peser une menace sur Giggiga et Harrar, à l’aile
droite ennemie, et le commandement italien concentre donc ses troupes. Legentilhomme est
bien conscient qu’il ne doit pas laisser à ses adversaires le temps de se retourner, ni de
détruire derrière eux les voies de communication.
En effet, des renseignements collectés par les partisans éthiopiens montrent que les troupes
italiennes qui se replient sabotent des tronçons de la voie ferrée. Le commandant Henri, du 2e
Bureau, s’exclame que, manifestement, « quelqu’un s’est inspiré de la Guerre de Sécession !
On s’attendrait presque à voir des rails “cravatés” autour de poteaux télégraphiques. »
La clef de la situation est ici, comme partout sur le théâtre d’opération éthiopien, le
ravitaillement. Et la principale artère logistique dans la région est la ligne de chemin de fer
Djibouti, Dire-Dawa, Addis-Abeba, exploitée par la vénérable CFE, la Compagnie Ferroviaire
d’Ethiopie. Commencée à la fin du XIXe siècle en voie unique, la ligne n’a atteint qu’en 1929
la capitale de l’Ethiopie, à 784 km de son point de départ, le port de Djibouti. On avait dû
renoncer au passage à desservir la deuxième ville du pays, Harrar, située dans un massif
montagneux trop accidenté. Une série d’ouvrages d’art permettent de franchir montagnes et
rivières et il est à craindre que le commandement italien ne sacrifie tunnels et viaducs pour
ralentir la marche des troupes alliées. Il faut donc laisser au génie italien le moins de temps
possible pour éviter des destructions trop irrémédiables. En effet, des possibilités de
réparation existent, mais elles ne vont guère au delà de l’entretien courant. Les équipes de la
CFE chargées de remettre en état les voies sont dirigées par le responsable de la
maintenance 1, Yann Madec, un Finistérien de Carantec. Madec va conduire ses hommes sur
les talons des troupes françaises – il sait déjà qu’il devra faire des miracles avec le matériel en
stock au terminal du port de Djibouti.
« Conformément aux instructions données par le général Wavell et entérinées à la
conférence de Khartoum (…) les forces sous mon commandement direct, soit les troupes
françaises et les troupes du Commonwealth débarquées à Berbera, ont reçu les ordres
suivants pour une progression sur trois axes :
– le long de la voie ferrée vers Dire-Dawa : 86e DIA et éléments supplétifs éthiopiens.
– le long de la piste Djibouti-Gildessa, sur le flanc droit : 1er RTS-CFS, 8e groupe
d’automitrailleuses et un groupe d’artillerie coloniale.
– d’Hargeisa vers Giggiga, sur le flanc gauche : 2e RTS-CFS et forces britanniques
débarquées à Berbera.
(…)
Le rôle des partisans sera principalement la reconnaissance et le renseignement. (…)
Cependant, la crainte du sabotage du tunnel traversant les montagnes Harr, à 180 kilomètres
de Djibouti, a fait préparer une opération de prise de contrôle et de déminage éventuel par
deux sections entraînées à cet effet et appuyées par les partisans éthiopiens. Leur progression
aussi discrète que possible à travers les montagnes a commencé depuis deux semaines. »
(Extrait d’un rapport du général Legentilhomme destiné au ministre de la Guerre)

3 janvier
Nord-ouest : l’offensive belgo-indienne – Metemna

1
On distingue usuellement la maintenance des voies (infra) de celle des matériels moteurs (locomotives) et des
matériels remorqués (wagons de marchandises ou de passagers).
C’est une ville évacuée par les Italiens que les troupes indo-belges occupent sans coup férir.
Une fois Metemna occupée, Ermens et son homologue anglais le général Mosley Mayne se
préparent à un affrontement plus sérieux. En effet, il est évident que les Italiens vont se battre
pour Gondar. De fait, le commandement italien, constatant que l’effort principal allié se porte
en réalité sur l’axe Barentu - Keren, a décidé de retirer ses troupes pour couvrir les approches
de Gondar, au nord du lac Tana.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Nord-ouest du Kenya
Sur le front nord, du côté de l’Ethiopie, les trois brigades de la 1ère Division Sud-Africaine
sont face aux 21e, 22e et 24e brigades coloniales italiennes, déployées à l’ouest à et l’est du lac
Rudolf (aujourd’hui Turkana), donc dans la région du Kenya envahie quelques mois plus tôt.
Ces unités sont appuyées par 2 000 irréguliers de la tribu Turkana, organisés en bandas
d’ascaris encadrés par quelques officiers et sous-officiers italiens.
L’importance de la logistique dans l’offensive sur les positions italiennes du sud de l’Ethiopie
sera soulignée par le général Cunningham dans son after action report. Comment combattre à
plusieurs centaines de kilomètres de la plus proche voie ferrée, dans un pays quasi désertique,
qui se transforme en bourbier à la première pluie et dont les vastes étendues sont susceptibles
d’être sillonnées par des maraudeurs ennemis ?
La réponse militaire du commandement allié est d’organiser une série de raids de troupes
irrégulières motorisées pour maintenir la pression sur les garnisons italiennes et les bandas
d’irréguliers afin de pacifier la région.
Mais il y a une réponse logistique : des équipes du génie et des ingénieurs hydrologues,
fournissant un travail de titan, ont construit et entretenu les voies de communications, créé des
dépôts de ravitaillement, creusé des puits et assuré le ravitaillement des troupes en eau.
L’objectif était de fournir chaque jour au moins « un gallon d’eau par homme… et par
radiateur ». Pari tenu.
A l’est du lac Rudolf, en direction de Moyale, les Sud-Africains doivent assurer la couverture
du flanc gauche de l’offensive contre la Somalie italienne. Les opérations commencent par la
capture du point d’eau de Dukana, au nord du désert Chabi, et par la conquête des bourgades
d’El Yibo et El Sardu. Afin de couvrir les approches de Marsabit, le bataillon Botha, 2e
bataillon de la 5e Brigade sud-africaine, progresse vers la localité de Turbi, qu’il contrôlera le
9 janvier.

4 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – De Kassala à Keren
Assaillie de deux côtés, la position de Barentu tombe. Cependant, la garnison parvient à se
retirer en direction du sud-est, en passant par Tole.
L’ensemble de la force britannique – ou plus exactement indo-australienne – poursuit alors sa
progression le long de la voie ferrée Agordat-Massaoua. L’étape suivante est Keren, clé de
voûte de la défense du nord de l’Africa Orientale Italiana.

Nord-ouest : l’offensive belgo-indienne – Metemna


La prise de Metemna marque la fin d’une progression régulière.
Il faudra une semaine aux troupes belges pour remettre en état la route Metemna-Gondar,
menant vers la principale ligne de défense italienne. Cette “route” est en fait une piste,
seulement praticable par temps sec et qui tourne au marécage à la moindre pluie. Par ailleurs,
en se retirant, les Italiens, appliquant la tactique de la terre brûlée, ont détruit la végétation,
empêchant l’alimentation des chameaux. De ce fait, une partie importante du ravitaillement
doit être transportée soit par les véhicules dont la 1ère brigade belge est dotée (grâce à la
livraison de la commande General Motors), soit par le train muletier soudanais. La saison des
pluies battant son plein à partir d’avril, il est donc impératif d’arriver à contourner ou à
détruire les obstacles italiens avant cette date.
Le commandement britannique considère cependant que les objectifs de l’opération Carnival
sont déjà atteints. Les combats prévus à Keren et l’exploitation éventuelle de la prise de la
forteresse exigeant des effectifs importants, la 8e Brigade indienne est envoyée sur le front
nord et prend le chemin de Gedaref. En échange, le général Ermens reçoit le commandement
de deux bataillons d’irréguliers éthiopiens. Ses objectifs restent inchangés : fixer le plus
possible de troupes dans la région de Gondar pour empêcher les Italiens de renforcer Keren.

5 janvier
La réaction italienne – Keren
Journal du capitaine Trone. « Les mauvaises nouvelles se suivent. La chute de Barentu est
survenue hier, peu après celle de Tessenei. Le général Carmineo espérait que ces points
d’appui tiendraient dix ou quinze jours de plus… Pire, la plupart des défenseurs ont été faits
prisonniers. Les pertes liées à l’offensive ennemie sont lourdes : c’est près de 17 000 hommes
dont 1 260 Italiens qui ont été mis hors de combat avec 96 canons et 24 chars. Et la Regia
Aeronautica annonce la perte de 20 appareils.
Le génie vient comme prévu de bloquer le ravin Dongolaas après le passage des dernières
unités rescapées, dont les restes de la 4e division du colonel Lorenzini, qui a été nommé
général pour le succès de sa retraite. La forteresse est maintenant sur le pied de guerre.
Comme dirait mon ami Gustav, “Sie kommen”. Arrivano. »
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-indienne – Umm-Hagar
Ce n’est que ce jour-là, après la chute de Barentu, que le petit poste, désormais totalement
isolé, accepte de se rendre.
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-soudanaise – Zone du Nil Bleu
La zone frontière entre l’Ethiopie et le Soudan, dite du Nil Bleu, est couverte par des
garnisons italiennes. Depuis le début de la guerre, faute de moyens, les forces soudanaises ont
dû se contenter de patrouiller le secteur et de surveiller les mouvements de l’ennemi. Mis à
part plusieurs bombardements aériens et l’envoi de tracts incitant ses troupes indigènes à la
désertion, aucune action offensive n’a été menée. Les choses vont changer.
La 3e Brigade de la Force Publique belge et le 2/6 King’s African Rifles sont maintenant
disponibles pour soutenir l’East Arab Corps de la Sudan Defense Force et de plusieurs unités
du Frontier Batallion. Leur mission est de nettoyer les postes frontières pour permettre le
passage de l’aide destinée aux partisans éthiopiens et assurer la protection des voies de
communication et notamment du “Sudan railway”, artère principale de la logistique des
offensives en cours.
………
Est : l’offensive franco-britannique
– D’Hargeisa à Giggiga
Sur l’aile gauche des forces de Legentilhomme, le 2e RTS-CFS du Lt-colonel Raynal et les
bataillons britanniques arrivés de Berbera ont repris leur progression vers Giggiga. Ces
troupes atteignent la bourgade de Dibileh.
– De Djibouti à Dire-Dawa : point kilométrique 88 2

2
Le point kilométrique, ou pk, désigne la position sur une ligne, en kilomètres à partir du point d’origine de
celle-ci. Sur la ligne Djibouti-Addis, le pk 0 est à la station port de Djibouti et le pk 784 à l’arrivée de la ligne à
Sur l’axe principal de progression des Français, le 29e RTA, couvert au nord-ouest par le 2e
RZ, reprend le contrôle de la gare frontière de Ali Sabin, évacuée par les Italiens, et pénètre
en Ethiopie.

6 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le général Platt contemple les restes du “ponte Mussolini”, qui permettait naguère de franchir
la rivière Baraka. La chance n’est pas de son côté. Les troupes italiennes refluant vers Keren
ont fait sauter l’ouvrage et ont copieusement miné les rives. Il faudra une journée aux troupes
du génie pour nettoyer le secteur et permettre d’entreprendre le franchissement du cours
d’eau.
D’après les reconnaissances aériennes et les autres renseignements collectés, la position de
Keren va être une noix autrement plus dure à casser que celles rencontrées jusqu’à présent. La
vitesse d’exécution des troupes du Commonwealth a permis de déloger de leurs avant-postes
des Italiens dépassés par la guerre de mouvement qui leur a été imposée. Cependant, devant
une position défensive de cet acabit et les moyens que l’état-major italien semble avoir
engagés (et dont les Alliés ont une bonne idée grâce aux interceptions radios et au décodage
des transmissions adverses), la guerre de mouvement va se transformer en une guerre de
positions digne de 14-18. La propagande italienne a curieusement baptisé Keren « le
Gibraltar de l’Erythrée ». Mais Platt espère surtout éviter une autre bataille de la Somme qui
saignerait à blanc les troupes sous son commandement.

7 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Les éléments les plus rapides de la force Gazelle, les chars du 4th Royal Tank Regiment,
tentent de pénétrer dans la vallée du Dongolaas. Ils sont arrêtés par les éboulements
provoqués par les Italiens, qui ont aussi miné le passage.
Platt n’a pas le choix, il va falloir déloger les troupes italiennes des positions dominantes
qu’elles occupent. Et c’est le travail de l’infanterie…

8 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Les troupes du Commonwealth attaquent le col de Dongolaas et les montagnes avoisinantes.
Le premier rôle est tenu par les hommes de la 10e Brigade Indienne du général William Slim.
Les Écossais du 2e bataillon du Highland Light Infantry parviennent à prendre la côte 1616 à
une compagnie du 2e bataillon du 11e régiment des Granatieri da Savoia.

9 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le Brigadier Slim positionne rapidement le 4/10e Baluch et le 3/18e Royal Garwhal Rifles sur
les positions gagnées la veille pour se prémunir contre toute contre-offensive italienne. Mais
les défenseurs rassemblent des troupes pour contre-attaquer.
………

Addis. La progression de la 86e DIA vers Addis sera marquée par les pk atteints. Dire-Dawa, premier objectif
important, est au pk 311.
Nord-ouest : l’offensive belgo-soudanaise – Zone du Nil Bleu
Le poste frontière de Guba est investi sans résistance par les Soudanais (les défenseurs ont été
évacués après les bombardements de la RAF). Des approvisionnements importants sont saisis.
L’objectif est la prise d’Asosa. Les troupes alliées vont progresser en trois colonnes : l’East
Arab Corps, parti de Roseires, au Nord, des éléments du 2/6 King’s African Rifles au centre et
au Sud la 3e Brigade de la Force Publique, en couverture du Nil Blanc, prête à refermer la
nasse sur les troupes italiennes.
………
Est : l’offensive franco-britannique
– De Djibouti à Dire-Dawa : point kilométrique 162
La gare de Lassarat est le témoin des premiers combats entre troupes françaises et italiennes.
Le tout se double de passes d’armes aériennes entre les chasseurs venus de Djibouti et ceux
basés à Dire-Dawa. « Action de lanternement, rend compte le général Cazaban à Djibouti,
rien de sérieux. »
Cette vision lapidaire de la situation ne rend pas justice à l’intensité des combats. Cependant,
Cazaban a raison de parler d’action(s) de retardement.
– De Djibouti à Gildessa (aile droite)
Le 1er RTS-CFS prend sans encombre la bourgade de Goalei. Les obstacles en tout genre
laissés sur la route font perdre plus de temps aux troupes françaises que les combats eux-
mêmes.
– D’Hargeisa à Giggiga (aile gauche)
Les troupes alliées atteignent la bourgade de Buramo, où elles doivent repousser des
détachements de retardement.

10 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Dans la nuit du 9 au 10, le 3/14e Punjab s’empare du pic Briggs. Mais dès l’aube, les Italiens
contre-attaquent et reprennent le pic aux Britanniques – plus exactement, ce sont des askaris
érythréens qui rejettent les Punjabis en arrière. Si les unités d’auxiliaires éthiopiens des
Italiens, partout en AOI, sont quotidiennement victimes de désertions, les unités d’Erythréens
se montent très combatives.
De nouvelles attaques du 4/10e Baluch et du 3/18e Royal Garwhal Rifles contre les hauteurs
surplombant Keren sont un moment sur le point d’enlever plusieurs positions adverses, mais
deux compagnies du 3e Régiment de Bersaglieri et du XCVIIe bataillon colonial contre-
attaquent. Au terme de plusieurs heures de lutte d’un grand acharnement, marquées par de
nombreux corps à corps, Italiens et Erythréens parviennent à éviter l’effondrement de leurs
lignes et repoussent les troupes indiennes. Les pertes sont importantes de part et d’autre.
Journal du capitaine Trone : « Le moral des troupes est excellent, car nous avons le sentiment
d’avoir repoussé une offensive majeure des Anglais. Mais les pertes sont lourdes et les blessés
affluent aux dispensaires. Le chirurgien major a fort à faire. »
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa : point kilométrique 182
L’accès et le contrôle du tunnel passant sous les montagnes Harr sont un enjeu de taille pour
la remise en état de la ligne. C’est également un point de retardement idéal pour les forces
italiennes, en amont du tunnel et jusqu’à la gare d’Adagalla, où la ligne franchit un cours
d’eau, le Dabaccoh. Les éléments infiltrés ont mis sous surveillance les deux entrées du
tunnel. Ils ont pu constater son minage préventif et le fait que les troupes italiennes l’utilisent
encore pour se déplacer.
11 janvier
Nord-ouest : l’offensive belgo- éthiopienne
Entrée de la Force Publique dans la bourgade d’Uacné, évacuée par les troupes italiennes. Le
commandement décide d’en faire une base de ravitaillement.

12 janvier
La campagne d’Afrique Orientale
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Sans se laisser décourager, les Alliés poursuivent leurs attaques contre les hauteurs tenues par
les Italiens. La 10e Brigade Indienne tente de s’emparer du col Acqua pour contourner celui
de Dongolaas mais les Italiens, fortement retranchés, repoussent les hommes de Slim. La 7e
Brigade Indienne reprend le pic Briggs et tente de s’emparer dans la foulée du mont Sanchil,
mais elle aussi finit par être repoussée 3.
Journal du capitaine Trone : « Attaques et contre-attaques se poursuivent sans fin. Les pertes
commencent à s’accumuler, mais nous avons une nouvelle fois rejeté les troupes indiennes
sur leurs positions de départ. Hélas, quoi qu’en dise l’état major, l’ennemi a l’initiative. Sa
supériorité numérique risque de lui permettre de tenter autre chose que des attaques
frontales. »
………
Ouest : le retour du Lion de Juda
Base d’opération du mont Belaya, rapport du commandant Salan – « (…) Depuis notre
arrivée conjointe, le quartier général s’est organisé. Les premières opérations de propagande
impériales ont été organisées dans la région. La présence de l’Empereur, la voix des haut-
parleurs et la promesse de récompenses commencent à mobiliser les partisans éthiopiens,
rallier les chefs de tribus et inciter les troupes askaris à déserter la cause italienne. (…)
Il semble que la discorde s’installe chez nos alliés 4. Comme je l’ai indiqué précédemment, les
relations entre le colonel Sandford et le major Wingate n’ont pas cessé de se dégrader.
Le colonel aurait envoyé un rapport à Khartoum dans lequel il se plaint de l’utilisation des
ressources et de l’équipement disponibles par le Major Wingate. Il semble considérer que les
troupes régulières de Wingate accaparent fusils, munitions et ravitaillement, portant
préjudice aux patriotes éthiopiens et limitant leur action à la province de Gojam. Suite à ce
rapport, les deux officiers ont été convoqués à Khartoum pour clarifier la chaîne de
commandement 5. J’ai été officiellement chargé de l’intérim en leur absence !
Les disputes entre les deux officiers britanniques ne sont pas sans conséquences sur le moral
des troupes éthiopiennes. J’ai pu constater l’insatisfaction grandissante de certains de leurs
officiers, qui s’estiment méprisés. L’Empereur en est bien conscient, il parle de « situation
potentiellement préoccupante » et m’a (officieusement) demandé d’y porter remède. »
Au retour de Khartoum des deux officiers britanniques, Salan constate que le général Platt n’a
pas tranché : Wingate arbore le grade de colonel et Sandford celui de Brigadier general. Il
faudra attendre la fin de la campagne pour séparer les deux hommes.
………

3
NDE – Des années plus tard, auréolé de ses succès en Malaisie, Slim se vit demander par un journaliste quelles
étaient les troupes les plus redoutables qu’il ait eu à affronter. A la surprise générale, il affirma qu’il s’agissait
des Italiens et de leurs askaris érythréens, à Keren. « Et les Japonais ? » demanda le journaliste. « A côté des
gars qui défendaient le mont Sanchil, c’était des boy-scouts ! » rétorqua Slim avec le plus grand sérieux.
4
Note manuscrite de Georges Mandel : « Préservez-moi de mes amis… ».
5
Mandel : « N’est pas Kitchener qui veut ! ».
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa : pk 202 (gare d’Adagalla)
La prise de contrôle du tunnel sous les montagnes Harr est un succès partiel. A l’aube, alors
que le gros des troupes françaises approche, les deux sections de combat infiltrées prennent
par surprise le contrôle des extrémités du tunnel, mais les Italiens contre-attaquent. Le 2e RZ
intervient juste à temps pour dégager les deux sections et s’emparer pour de bon du tunnel.
Les Italiens parviennent cependant à faire sauter une partie des explosifs et un petit tronçon du
tunnel est endommagé.
De son côté, le 29e RTA a contourné par l’ouest les positions italiennes et pris d’assaut les
positions des unités servant de couverture à la petite garnison d’Adagalla.
Dans l’après-midi, le 2e RZ peut ainsi s’emparer sans trop de mal de la gare d’Adagalla.

13 janvier
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
La 11e Division Est-Africaine occupe Badaya sans coup férir, pendant que la 12e Division
(22e Brigade) s’empare de Beles Gugani malgré une faible résistance.
………
Est : l’offensive franco-britannique
– D’Hargeisa à Giggiga (aile gauche)
Les troupes alliées passent une bonne partie de la journée à dégager le col d’Au Rareh, où la
route a été copieusement minée et sabotée.

14 janvier
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
La 22e Brigade Est-Africaine capture Afmadu et son aérodrome, pendant que la 24e Brigade
(dite Gold Coast), marchant de nuit, progresse vers Bullo Erillo et Gobuen.
En mer, la force T de la Royal Navy (C.V. Edelsten), composée du porte-avions HMS
Hermes, des croiseurs lourds HMS Hawkins et Shropshire, des vieux croiseurs légers HMS
Ceres et Colombo et des destroyers HMS Kandahar et HMAS Voyager, bombarde la localité
de Brava et interdit tout mouvement sur la route côtière. Les Swordfish du Hermes
reconnaissent le terrain et harcèlent les troupes italiennes.
La victoire des forces aériennes sud-africaines est maintenant confirmée. La SAAF a nettoyé
le ciel de toute présence aérienne italienne, ce qui va permettre d’autoriser tous les
mouvements de jour sans craindre reconnaissances et attaques aériennes.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa : pk 249 (gare de Mello)
La gare de Mello se révèle être en parfait état. Il ne manque plus que le préposé chargé de la
vente des billets et le chef de gare qui autorise le départ du convoi...

15 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Journal du capitaine Trone : « Depuis trois jours, aucun mouvement majeur anglais n’a été
détecté et aucun combat n’a eu lieu, sauf quelques escarmouches. Le général Carmineo pense
qu’il s’agit de reconnaissances pour sonder notre dispositif et craint une offensive générale
pour tenter de submerger les défenses. Le point clef de notre défense est le col Dongolaas.
Pour éviter sa chute, nous y avons disposé nos meilleures troupes, notamment les Alpini du
bataillon Uork Amba, et nous avons concentré dans ce secteur l’essentiel de notre artillerie. »
Bloody Keren, Keren la Sanglante, comme l’ont baptisée les Britanniques, n’a pas fini de
mériter ce surnom.
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-éthiopienne
Les reconnaissances menées par les troupes belges montrent que les Italiens ont fortifié
l’escarpement commandant l’accès à la bourgade de Chelga. Quinze kilomètres en avant de
Chelga, une série de points retranchés forment un rideau apparemment infranchissable.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Nord-ouest du Kenya
Après s’être concentrée à Dukana, les 2e et 5e Brigades Sud-Africaines se déploient pour
attaquer les localités de Gorai, El Gumu et Hobok.
La position de Gorai, bien défendue, ne tombe qu’après de rudes combats, grâce à l’action
décisive de blindés légers qui percent à travers les réseaux de barbelés du fort. Une charge à la
baïonnette des troupes de la 2e Brigade enlève le reste de la position. Cependant, la densité de
la végétation ne permet pas de réaliser à temps l’encerclement du fort, d’où une partie de la
garnison peut s’échapper.

16 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le général Platt a soigneusement préparé une nouvelle attaque, avec un puissant soutien
d’artillerie et de blindés. L’objectif est la prise du pic Briggs et du mont Sanchil, afin de
disposer de postes d’observation surplombant le Fort Dologorodoc et Keren. La 4e Division
Indienne va être en pointe.
L’attaque est lancée en début de matinée. Dans l’après-midi, le 3/1er Punjab s’empare (à
nouveau !) du pic Briggs.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
Les Sud-Africains prennent Hobok, capturant un important matériel. La tentative
d’encerclement de la garnison échoue à nouveau, cette fois devant un feu de brousse
déclenché par les Italiens.
– Somalie italienne
Le 2e bataillon de la 24e Brigade Est-Africaine se heurte à une forte résistance devant Bullo
Erillo. Bien retranchées et appuyées par des blindés légers, les troupes italiennes résistent pied
à pied. L’attaque commencée dès l’aurore finit par porter ses fruits à la tombée de la nuit et
les troupes ennemies sont mises en déroute. Le 2e bataillon y perd cependant tous ses cadres,
tués ou blessés !
Pendant ce temps, le général Cunningham, qui vient d’apprendre que les Italiens avaient
probablement commencé à évacuer le port de Kismayu, s’efforce de hâter la marche de ses
hommes dans cette direction.

17 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Au matin, les hommes de la 4e Division Indienne enlèvent le mont Sanchil. Soumis à un
bombardement intense par l’artillerie italienne toute la journée du 17, le sommet est repris
dans la soirée par une contre-attaque des grenadiers de Savoie. Le 2/5e Mahratta Light
Infantry parvient néanmoins à garder le contrôle de l’arête Cameron.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
Les premières opérations menées par la 25e Brigade Est-Africaine à l’ouest du lac Rudolf se
déroulent sans encombre.
Cependant, sa progression va être bloquée par des rivalités inter-ethnies. Les Italiens, profitant
d’une rivalité ancestrale entre les tribus Turkana (alliée des Britanniques) et Merille, ont
tourné cette dernière contre les forces alliées. Seul l’appui des forces aériennes sud-africaines
permet de dégager la 25e Brigade pour la ravitailler en eau. Son chef, le général Owen,
négocie alors l’arrêt des hostilités avec la tribu Merille.
– Somalie italienne
L’engagement de la 1ère Brigade Sud-Africaine, appuyée par 12 blindés légers, déloge
l’arrière-garde ennemie du village de Gobuen. Cependant, le sabotage des ponts et un
bombardement par l’artillerie italienne déployée à Jumbo empêchent de franchir la rivière
Juba.
Sur la côte, les reconnaissances aériennes de l’Hermes montrent que le port de Kismayu est
envahi par une nappe de pétrole ; aucune DCA ne se manifeste. Ordre est donné à la force T
de bombarder les forts de Kismayu, ce que le croiseur Shropshire effectue sans opposition.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa : pk 266 (gare d’Harrawa)
« Les Italiens se sont accrochés ici, signale le général Cazaban. Il a fallu l’appui de
l’artillerie divisionnaire pour déloger des éléments de leur 17e Brigade coloniale. L’avance
est de plus en plus difficile à mesure que nous approchons de Dire-Dawa. »

18 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
L’infanterie indienne tenant les pentes du Sanchil est repoussée par les Erythréens de la
brigade Lorenzini. Dans l’après-midi du 18, Platt met fin à cette nouvelle tentative.
Journal du capitaine Trone – « La contre-attaque a sauvé la situation, avec l’aide de nos
artilleurs. Le colonel Lorenzini, qui a mené personnellement ses hommes au combat, a été
nommé général pour ce haut fait. Les pertes sont lourdes. Cependant, nous avons pu évacuer
les blessés les plus atteints vers Asmara. »
………
Ouest : Le retour du Lion de Juda – Combats en Gojjam
Carnets du commandant Salan 6 : « Nous avons commencé à sonder les défenses des Italiens,
à harceler leurs forts et à tendre des embuscades à leurs patrouilles dans la partie est du
Gojjam. Aidée par les Résistants éthiopiens, les Arbegnoch, la Force Gédéon a lancé une
véritable guérilla. Il est important de placer les troupes italiennes dans un état d’insécurité.
L’Empereur vient d’obtenir le ralliement à sa personne de plusieurs chefs tribaux de la
région anciennement neutres ou pro-italiens. Il a aussi obtenu la défection de “bandas”
d’éclaireurs éthiopiens opérant avec les troupes italiennes. Cette défection a mis à mal la
première ligne de défense italienne dans l’ouest de la province.
Les récits des chefs patriotes ralliés à l’Empereur (Dedjasmatches Mangasha et Nagash)
nous ont permis de compléter les informations issues des interceptions radios sur le dispositif
italien. Il semble être composé de l’équivalent de trois brigades coloniales (ou 16 bataillons)
concentrées sur les localités de Dangila, Buré et Débré Marquos. »

6
Les extraits des carnets de Raoul Salan sont tirés de ses mémoires, Pour défendre un empire, Presses de la Cité,
1974.
19 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le général Platt décide de regrouper ses forces avant de poursuivre les attaques. La 6e DI
australienne ne devrait pas tarder à le rejoindre. De plus, il attend l’arrivée par le nord-est de
la Force Briggs, qui s’est taillé un passage le long de la côte.
Pendant ce temps, à l’exception d’attaques sur le col d’Anseba et la localité de Kubkub, seules
de petites escarmouches ont lieu. En revanche, l’artillerie britannique bombarde
intensivement Keren. Du 19 au 23 janvier, les canons britanniques tireront 110 000 obus.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa
Deux raids aériens de “décapitation”, copies de ceux qui ont détruit les moyens aériens
italiens en Somalie, sont montés par l’Armée de l’Air et la SAAF contre les pistes de Dire-
Dawa. Le résultat est sans appel. Si les Alliés perdent quatre appareils (2 Hurricane et 2 Potez
63-11), 20 appareils italiens sont mis hors de combat (6 abattus en combat aérien, 9 détruits
au sol, plus 5 avions endommagés mais à peu près irréparables). Les capacités de réaction
italiennes ne s’en relèveront pas.

20 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Inspectant le front, le général Wavell constate dans son rapport à Churchill que « Keren se
révèle être une position beaucoup plus difficile à contrôler que nous ne l’avions prévu.
L’ennemi n’a pas cessé de contre-attaquer avec ténacité, même au prix de lourdes pertes. A
ce jour, il n’y a pas de signe d’un quelconque affaiblissement de la défense italienne. »
………
Est : l’offensive franco-britannique
– De Djibouti à Gildessa (aile droite)
Les combats devant Goralesh font rage. La ville ne tombe entre les mains du 1er RTS-CFS
que grâce à l’action du 8e groupe d’automitrailleuses, qui déborde et prend à revers les
défenseurs.
– D’Hargeisa à Giggiga (aile gauche)
Le 2e RTS et le 2e bataillon Black Watch sont bloqués à El Bai, à quelques kilomètres de
Giggiga. Le manque d’artillerie empêche les troupes franco-britanniques de percer les
défenses italiennes.

21 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Les aviations alliées joignent leurs attaques au pilonnage de l’artillerie contre les défenses
italiennes. Par ailleurs, les Britanniques envisagent de remettre en état la route passant par la
vallée du Dongolaas. Plusieurs reconnaissances sont menées de nuit pour évaluer la difficulté
de la tâche. Ces reconnaissances vont finalement permettre de débloquer la situation.
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-éthiopienne – Chelga
Plusieurs assauts directs de la ligne italienne échouent avec de lourdes pertes pour les troupes
alliées. Un bataillon éthiopien est même mis complètement hors de combat ; il ne sera pas en
mesure de reprendre l’offensive avant deux semaines, et sous un format réduit.
L’approche directe ayant échoué, le général belge entreprend de sonder les ailes du dispositif
italien. Les comptes rendus des combats récents menés par les troupes anglo-indiennes
montrent en effet que la résistance italienne s’effondre dès que leurs troupes sont attaquées de
flanc ou de revers.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
Le 1er bataillon de la 5e Brigade Sud-Africaine, Irish, occupe Ganciaro. La prise de contrôle
de Banno ne se passe pas aussi simplement. Face à deux brigades coloniales italiennes, il faut
batailler une longue journée, et il est impossible d’empêcher leur retraite en bon ordre dans les
montagnes au nord de la position. Banno est alors bombardée par l’artillerie italienne,
empêchant les troupes alliées de s’emparer d’un important dépôt de ravitaillement, qui a le
temps d’être évacué.
Force est de constater que les Shifta, partisans locaux sur lesquels le général Cunningham
comptait pour désorganiser l’arrière du front italien, n’ont que peu ou pas d’effet sur la
retraite de l’ennemi. Les efforts d’infiltration et de déstabilisation entrepris depuis novembre
se soldent donc par un échec.
– Somalie italienne
Les éléments avancés de la 22e Brigade d’infanterie Est-Africaine (12e Division) occupent
Kismayu sans résistance vers 17h00. Les forts protégeant le port sont pris vers 19h00. Tous
les ressortissants italiens ont été évacués et la plupart des infrastructures de la ville ont été
sabotées. Cependant, une grande quantité de munitions et d’armements sont saisis,
témoignage d’une évacuation précipitée.
Dans le port, trois navires de commerce ont été sabordés alors que dix autres tentaient leur
chance en haute mer. Repérés par les avions de l’Hermes, ces derniers sont poursuivis. Sauf
un, qui parviendra à gagner le port portugais de Lourenço Marques, tous seront arraisonnés ou
coulés au bout de deux ou trois jours. Cinq d’entre eux (dont quatre en bon état) pourront être
envoyés sous escorte avec un équipage de prise à Mombasa. Des quatre autres bateaux, deux
ont dû être coulés et deux ont été sabordés par leurs équipages (voir appendice 1).

22 janvier
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Nord-ouest du Kenya
Les négociations avec la tribu Merille ont porté leurs fruits et la 25e Brigade Est-Africaine
peut occuper Kalam, à l’ouest du lac Rudolf. La situation est cependant instable et seule la
défaite complète des forces italiennes dans la région permettra une pacification effective de la
zone.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Gildessa (aile droite)
C’est au tour de Gildessa de passer sous le contrôle des tirailleurs sénégalais. Les officiers
menant l’attaque ont pu noter la désagrégation assez rapide de la ligne de défense. Les faibles
obstacles naturels de la ville n’expliquent pas tout. Les prisonniers justifieront leur faible
ardeur au combat par un moral en berne.
Avec la prise de Gildessa, le 1er RTS-CFS est en mesure de sécuriser le flanc droit de la 86e
DIA qui marche sur Dire-Dawa.

23 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Journal du capitaine Trone – « L’ordre du jour de la Forteresse parle d’une formidable
victoire, d’une défense héroïque, de hauts faits qui impressionnent nos ennemis. De fait, le
moral est très élevé mais le général Lorenzini, s’il me le confirme, m’indique aussi que cette
magnifique résistance ne pourra continuer éternellement sans renforts et approvisionnements,
face à des troupes britanniques qui semblent se nourrir à une corne d’abondance. »
………
Ouest : Le retour du Lion de Juda – Aux abords de Buré
Carnets du commandant Salan : « De manière étonnante, les défections de troupes
éthiopiennes ont poussé le commandement italien à évacuer sans combattre la localité de
Dangila et le fort d’Enjabara en direction de Buré. Ces évacuations ayant devancé l’avance
de la Force Gédéon, les dépôts de Dangila ont été pillés par les indigènes. Le 101e Goum a
cependant réussi à sauver l’essentiel de ceux d’Enjabara. Les actions menées par les
partisans éthiopiens n’ont fait que ralentir la retraite italienne et provoquer quelques
désertions. Les informations collectées et les coups de sonde des jours derniers vont nous
permettre de préparer la première grande opération de la campagne : l’encerclement de la
ville de Buré. »
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
Les reconnaissances menées par les éléments de la 12e Division montrent que le dispositif
italien couvre les gués les plus importants de la rivière Juba et qu’une brigade motorisée (c’est
la 15e) est sans doute en réserve près de Gelib.
L’interrogatoire des prisonniers après à la chute de Kismayu montre au général Cunningham
et à son état-major que le moral des Italiens est très bas. Les documents saisis trahissent leur
désarroi devant la vitesse d’exécution de l’offensive alliée et révèlent que les défenseurs de la
région n’ont aucun renfort à attendre du fait des multiples axes d’attaque alliés depuis le 15
décembre 1940 : « They are on their own ! » conclut Cunningham, ravi. Son adversaire, le
général Carlo de Simone, ne semble plus contrôler totalement la situation.
Cunningham décide donc de franchir la Juba au plus vite et de ne pas laisser à l’ennemi le
temps de souffler.

24 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le long voyage de la Force Briggs touche à sa fin. Afin de gagner le flanc nord-est de la
position de Keren, Indiens, Australiens et Sénégalais se sont frayés un chemin à travers les
défenses italiennes, à Karora, puis le long de la côte, à Mersa Taclai (le 10) et à El Ghena (le
12). Malgré l’allant des troupes, la progression vers le sud a été lente, faute de disposer de
détachements motorisés. Néanmoins, Kubkub est pris le 19 et, le 24, les hommes de Briggs
atteignent un carrefour à 25 kilomètres au nord-est de Keren. De là, la route se dirige vers
Keren au sud-ouest et vers le port de Massaoua au sud-est. Le 4/16e Punjab s’empare de ce
carrefour, obligeant les Italiens de Keren – qui n’ont déjà plus guère de réserves – à répartir
les défenseurs entre les deux secteurs.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Nord-ouest du Kenya
Ce jeu du chat et de la souris, où, malgré des combats intenses, les troupes italiennes
réussissent chaque fois à s’échapper pour établir plus loin une nouvelle ligne de résistance,
doit cesser. Les deux brigades sud-africaines vont tenter d’encercler Méga : la 2e Brigade doit
couper la route de Moyale, empêchant la retraite ou l’envoi de renforts, puis attaquer la ville
par l’est, pendant que la 5e Brigade attaquera par l’ouest.

25 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Journal du capitaine Trone – « Premiers renforts depuis le début du siège. Mais ils sont
maigres. Le général Frusci a pourtant envoyé à Keren tout ce dont il pouvait se passer
ailleurs : essentiellement les restes de régiments qui ont participé à notre offensive en
direction de Khartoum. Ayant alors beaucoup souffert, ils ont été rassemblés et réorganisés à
Asmara. Nous voyons donc arriver le XXIIe Groupe d’Artillerie (deux batteries de 75/46 anti-
aériens), les CLe et CLXXe bataillons de Chemises noires et la XLIe Brigade Coloniale (Lt-
colonel Tito Badi), entièrement reconstituée après les combats de décembre.
Le moral reste bon malgré les lourdes pertes. Beaucoup de bataillons sont réduits à la taille
d’une compagnie : 150 ou 200 hommes. »
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-éthiopienne – Chelga
Le village de Tankal, au sud de l’escarpement, parait être le point faible du dispositif défensif.
L’attaque, préparée avec précision, bénéficie du soutien des canons de la brigade belge 7.
Attaqué avec vigueur, le village tombe en fin de journée. Les Italiens cèdent du terrain, mais
les éclaireurs éthiopiens s’attendent à une contre-offensive, qui va se concrétiser dès le
lendemain.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
Le contrôle de la route Méga-Moyale donne lieu à un violent combat entre une compagnie
sud-africaine et une colonne italienne composée de 15 tankettes et d’éléments motorisés. Le
terrain reste aux Sud-Africains, malgré de lourdes pertes.
– Somalie italienne
Les Italiens ne pouvant couvrir tous les points de passage possibles sur la rivière Juba, les
troupes du général Godwin-Austen attaquent en passant par deux gués : la 1ère Brigade Sud-
Africaine à Ionte et la Gold Coast Brigade à Mabungo. A Ionte, une contre-attaque venant de
Jumbo est facilement repoussée et afin de protéger le franchissement de Mabungo, la position
de Gelib est soumise à un bombardement d’artillerie régulier.
En fin de journée, les troupes alliées tiennent fermement deux têtes de pont au nord de la
Juba. Des ponts de fortune y sont construits pour faciliter le franchissement par les unités de
la 11e Division, chargées de percer vers Mogadiscio dès la neutralisation de Gelib et de
Jumbo.
………
Est : l’offensive franco-britannique
– De Djibouti à Dire-Dawa : point kilométrique 291 (gare d’El Bah)
Terminus (provisoire) pour les passagers pour Addis : depuis Harrawa, les rails arrachés, les
traverses dispersées et les appareils de voies sabotés témoignent du zèle italien à mettre hors
de combat la portion de ligne allant vers Dire-Dawa.
El Bah est la dernière gare avant Dire-Dawa et c’est là que le général Varda a décidé de livrer
bataille avec le gros de ses troupes. Le 210e Rgt d’infanterie et la 17e Brigade coloniale
bloquent l’accès direct à Dire-Dawa. Le 211e Rgt d’infanterie et la 11e BC, retranchés dans la
ville de Jonnis, couvrent les accès à l’est.
Les combats commencent dans la soirée : des éléments du 2e RTA enlèvent le plateau du
Cantur et le Mont Galaue (1 417 m) qui le domine. De ce plateau, des raids de partisans vont
pourvoir être organisés pour perturber la ligne de la CFE allant de Dire-Dawa à Addis.
– D’Hargeisa à Giggiga

7
Certaines de ces pièces sont de vraies globe-trotters ; parties de Belgique, évacuées de France, ayant transité
par le Congo, servant en Ethiopie, elles finiront par revenir à leur point de départ après avoir bourlingué jusqu’en
Malaisie.
Le 2e RTS et le 2e bataillon Black Watch, bloqués devant El Bai depuis quelques jours,
parviennent à prendre la ville avec l’aide de l’aviation alliée, qui a bombardé
consciencieusement les positions ennemies. Il n’y a plus d’obstacle sur la route de Giggiga.
Une fois cette ville sous contrôle allié, les troupes italiennes de Somalie seront définitivement
isolées d’Addis-Abeba.

26 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Le commandement britannique organise une nouvelle attaque convergente des défenses de
Keren. Au sud-ouest, le plan prévoit que la 4e Division Indienne prenne les monts Sanchil et
Forcuto, tandis que la 5e Division doit attaquer le passage de Dongolaas. Au nord et à l’est, les
Australiens de la 6e DI et les tirailleurs sénégalais de la Force Briggs doivent fixer un
maximum de défenseurs. L’attaque est précédée d’un important bombardement aérien et
d’artillerie.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
Comme souvent, les meilleurs plans ne résistent pas longtemps face aux réalités du terrain. La
progression de la 2e Brigade à l’est de Méga s’enlise sur un terrain très difficile et sous les
bombardements de l’artillerie italienne. Une autre tentative, plus au sud, se heurte à une zone
fortement minée et truffée de nids de mitrailleuses.
– Somalie italienne
Pendant que la 1ère Brigade Sud-Africaine progresse de Ionte vers Jumbo, une contre-attaque
italienne venue de Bardera tente de réduire la tête de pont de Mobango, mais des éléments de
la 11e Division la repoussent sans difficulté. Ce sera la dernière offensive italienne dans le
secteur.

27 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
L’offensive alliée commence à huit heures du matin. Les Italiens s’accrochent sur chaque
escarpement pendant que leurs dernières batteries d’artillerie tirent leurs derniers obus.
La 4e Division Indienne connait quelques succès sur le Sanchil, mais ne parvient pas à
conserver les positions conquises sur le Focuto. Du côté de la 5e, les destructions et les pièges
incendiaires placés dans le passage de Dongolaas empêchent la progression des chars alliés.
Cependant, stimulés par l’énergie de leur chef, les hommes de Slim réussissent à s’emparer de
la position Dologorodoc, au sud de Keren.
Au nord, les Erythréens des Brigades Coloniales repoussent une tentative de débordement des
Australiens par le col d’Anseba.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
La progression de la 5e Brigade à l’ouest de Méga a été à peu près conforme aux prévisions.
Malgré plusieurs bombardements d’artillerie, qui font peu de dégâts (beaucoup d’obus font
long feu), la brigade peut se lancer à l’attaque. Devant le retard de la 2e Brigade et
l’impossibilité d’organiser un assaut convergent, une compagnie commandée par le colonel
Engelbrecht réussit l’exploit de gravir un pic réputé inaccessible et enlève par surprise la
principale position d’artillerie de Méga.
L’assaut est alors donné malgré une pluie diluvienne et les ouvrages extérieurs sont occupés.
Le commandement italien, démoralisé par la perte de son artillerie et se sachant dans une
situation sans espoir, capitule. Les deux brigades font près de 1 000 prisonniers et capturent
une dizaine de canons de tous calibres et un important stock de munitions et d’armes légères.
– Somalie italienne
Après une marche difficile, la 1ère Brigade Sud-Africaine prend à revers la position italienne
de Jumbo et la garnison capitule rapidement. Seuls quelques soldats réussissent à s’enfuir à
pied vers Modun.
Quelque temps plus tard, le Times commentera la conquête de Jumbo (capitale du Jubaland)
avec la retenue de rigueur, comme « le retour dans l’Empire de la terre de Juba ». En effet,
ces 36 000 miles carrés de savane africaine habités par 130 000 Somaliens éleveurs de bétail
et de chameaux faisaient partie du Kenya jusqu’en 1925, date à laquelle le territoire avait été
transféré à l’Italie.

28 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Contrairement à ce qui s’était passé les semaines précédentes, les quelques progrès réalisés la
veille par les Alliés sont cette fois définitifs. Constamment appuyés par leur aviation, ils
repoussent les contre-attaques italiennes sur le Sanchil et le Dologorodoc. Du côté italien, les
seules attaques aériennes sont effectuées par trois bombardiers SM.79 et deux SM.81, qui
n’opèrent d’ailleurs que de nuit.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
La progression de la 22e Brigade (11e Division Est-Africaine) lui permet de couper la route de
Mogadiscio à l’est de Gelib. Complètement encerclée, la garnison de la ville capitule après un
baroud d’honneur.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa
Le général Cazaban décide de tourner le dispositif italien par l’est. Le 29e RTA et le 1er RTS-
CFS prennent en tenaille les Italiens qui défendent Jonnis. Tandis que le 29e RTA se précipite
sur Anille, au sud de la position principale italienne, le 1er RTS fixe les défenseurs de Jonnis.
Pendant ce temps, le 2e Zouaves attaque la gare d’El Bah, repoussant vers le sud le 210e RI et
les restes de la 17e BC après de violents combats. La gare passe sous contrôle français à
18h00. Compte tenu de l’intensité de la lutte, il faudra la reconstruire entièrement – vestige
des combats, la cloche signalant l’arrivée et le départ des trains est aujourd’hui exposée au
centre de l’édifice.
Les Italiens qui défendaient El Bah se sont repliés vers Anille, où ils se trouvent pris à revers
par le 29e RTA, qui les a devancés. Encerclé, le 210e RI se rend, ainsi que les survivants des
deux Brigades coloniales. Le 211e RI se dégage en partie, mais il a subi trop de pertes pour
pouvoir encore barrer la route de Dire-Dawa.

29 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Malgré leurs efforts, les troupes australiennes sont arrêtées au col d’Anseba. Au sud, les
Italiens s’efforcent à nouveau, et à nouveau sans succès, de reprendre Dologorodoc.
Journal du capitaine Trone – « Les réserves sont épuisées et notre héros, le général Lorenzini,
est mort à la tête de ses troupes devant le fort Dologoroc. Ses hommes ont été décimés par
l’artillerie et les attaques de l’aviation anglaise dans une vaine tentative pour reprendre la
position 8. Sans l’action des soldats yéménites du commandant Amedeo Guillet 9, qui ont
couvert notre retraite et qui ont supporté l’essentiel du feu ennemi, aucun d’entre nous ne
serait encore en vie. Keren n’est plus qu’un grand hôpital, peu d’hommes ne sont pas blessés,
plus ou moins gravement. Le général Carmineo m’a ordonné de partir demain pour Addis
avec un convoi de blessés. Il prétend espérer que je pourrai obtenir de nouveaux renforts de
l’état-major, mais je pense qu’il est bien conscient que c’est sans espoir : on nous a déjà
envoyé tout ce qui était disponible. »
………
Nord-ouest : l’offensive belgo-éthiopienne – Chelga
Au bout d’une semaine de violents combats dont l’intensité restera dans les annales des forces
militaires belges, le village de Tankal a changé plusieurs fois de mains, mais les troupes
alliées restent maîtresses du terrain. Les combats se soldent par une centaine de morts et
blessés côté belge, trois fois plus du côté italien. La violence des combats, les problèmes de
ravitaillement et la nécessité de consolider la position chèrement acquise vont obliger les
troupes alliées à ralentir le tempo de l’offensive.
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne
Après la neutralisation de Jelib et de Jumbo, la route de Mogadiscio est ouverte, ou presque.
Après un combat acharné et grâce au soutien de la Royal Navy (le Shropshire bombarde la
ville), Modun tombe.
………
Est : l’offensive franco-britannique – D’Hargeisa à Giggiga
Après des combats sporadiques, le 2e RTS-CFS s’empare de Giggiga. Vers le nord-ouest, la
route est barrée par la 14e Brigade coloniale, qui tient les cols et notamment la passe Marda.
Le 2e bataillon Black Watch se dispose aussitôt en défense au sud de la ville pour prévenir
l’attaque de troupes ennemies se repliant de Somalie italienne.
L’information est aussitôt communiquée au général Cunningham, pour qu’il presse la
poursuite des forces italiennes.

30 janvier
Nord : l’offensive indo-australienne – Keren
Journal du capitaine Trone – « Ce matin, départ du camp retranché avec un convoi de blessés.
Keren est sur le point de tomber, au bout d’un mois d’une formidable bataille. Le secteur
nord tient toujours, mais mobilise les dernières réserves disponibles.
Si un jour un historien raconte l’histoire de cette bataille, il dira qu’après un siège épique
digne des Thermopyles, les troupes italiennes n’ont pas cédé, même au plus fort des
bombardements. Elles ont tout simplement cessé d’exister. Les défenses ont disparu faute de
combattants ; la garnison a été saignée à blanc, les réserves montant au front les unes après
les autres comme pendant la Grande Guerre et disparaissant dans des contre-attaques
obstinées. Pour prendre nos positions, les Britanniques auront dû les enterrer une à une sous
les obus jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien, plus de bataillons, plus de réserves, plus de
soldats. »
………
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine – Somalie italienne

8
Note de Guiseppe Togliatti, Le operazioni in Africa Orientale (Giugno 1940-Novembre 1941) : « Le comte ne
précise pas dans son journal qu’il a lui-même été blessé au côté du général Lorenzini. C’est cette blessure qui le
contraint à quitter Keren. »
9
Amedeo Guillet (1909-2010) commandait 2 000 cavaliers Amhara et 500 soldats yéménites.
La ville de Brava est prise. Les Alliés peuvent alors envisager de poursuivre vers le nord et les
localités de Bardera et d’Iscia Baidoa. Cependant, la rapidité de leur progression de
l’offensive et les capacités logistiques réduites du port de Kismayu ne permettent pas
d’alimenter les opérations, qui doivent être interrompues pour une semaine.
………
Est : l’offensive franco-britannique – De Djibouti à Dire-Dawa
Le 2e Zouave se porte sur la route nord entre Dire-Dawa et Addis-Abeba et coupe la voie
ferrée. Dire-Dawa est maintenant pratiquement isolée de la capitale éthiopienne, car seul le
rail pourrait permettre l’arrivée rapide de renforts.

31 janvier
Sud : l’offensive anglo-sud-africaine
– Nord-ouest du Kenya
La chute de Méga permet à la 2e Brigade Sud-Africaine d’occuper Moyale, évacué
précipitamment par sa garnison qui s’est repliée vers Neghelli, et de capturer intact le dépôt
de ravitaillement de la ville. Le Kenya est entièrement reconquis. De plus, la chute de Méga et
de Moyale va simplifier la chaîne logistique de la 1ère Division Sud-Africaine. Néanmoins, la
dégradation des conditions climatiques va interdire de poursuivre les opérations.
– Somalie italienne
La bourgade de Merca est enlevée après des combats sporadiques dans la matinée. L’après-
midi, les premiers éléments de 23e Brigade (nigériane) de la 11e Division Est-Africaine
entrent sans rencontrer de résistance dans Mogadiscio.
La prise de la capitale de la Somalie italienne met fin aux paris (officieux) organisés sur la
date de l’événement. Depuis quelque temps, la cote n’était pas favorable aux Italiens !
A la différence de Kismayu, les installations militaires de Mogadiscio sont prises quasiment
intactes ainsi que les dépôts d’armes et de munitions, même si le port a été partiellement
saboté. Mais les réservoirs de carburant ont été siphonnés… Le manque d’essence menaçant
de bloquer l’avance des troupes alliées jusqu’à la réouverture des ports de Merca et de
Mogadiscio, une prime est offerte aux habitants pour tout carburant remis aux autorités
occupantes – miracle, on récupère ainsi 350 000 gallons 10 d’essence pour véhicules terrestres
et 80 000 gallons d’essence pour avion. La panne sèche est évitée, la poursuite des troupes
italiennes, en pleine retraite vers le nord, va être possible.
Les troupes du Commonwealth libèrent près de 200 marins de commerce alliés internés près
de Merca depuis six mois dans des conditions très pénibles. Ces hommes, que tout le monde
croyait morts, sont les survivants de sept navires marchands disparus dans l’Océan Indien,
victimes du raider allemand Atlantis. Après une remise en condition physique bien nécessaire,
ces marins participeront à la remise en état des installations portuaires avant de tenter de
rentrer dans leurs foyers 11.
L’état-major britannique commente les événements avec retenue : « Après avoir perdu
presque tout un Somaliland, puis l’avoir à peu près récupéré, nous ne sommes pas mécontents
d’en conquérir un autre, un peu plus grand que le précédent » (la Somalie italienne fait en
effet 194 000 miles carrés, contre 68 000 pour le Somaliland).
Aucun porte-parole italien ne commente l’événement à Addis-Abeba. Cependant, grâce aux
sources « habituellement bien informées » où s’abreuvent les journalistes du monde entier

10
1 gallon (britannique) fait environ 4 litres.
11
Pour certains d’entre eux, le retour sera problématique. Considérés comme décédés, ils auront toutes les
peines du monde à obtenir un billet de retour vers l’Angleterre. Une partie de ces hommes devront reprendre du
service pour quitter la Somalie, engager des morts comme matelots ne dérangeant pas les capitaines concernés.
(cette fois, un officier italien quelque peu déprimé mis en présence d’une bouteille d’alcool au
bar de l’hôtel Impérial d’Addis), un journaliste italien au moins est au courant. Depuis le
départ du capitaine comte Trone, Giuseppe Togliatti a réussi à se faire, malgré la censure, une
idée de la situation militaire réelle. Comme il sait lire une carte et que – comme tout
journaliste – il a des lettres, il ne peut s’empêcher de comparer l’AOI à la peau de chagrin de
Balzac. La situation du vice-roi est un peu comme celle du jeune Raphael de Valentin ; son
choix est cornélien : vivre intensément, mais pas très longtemps, ou survivre moins
intensément, mais plus longtemps.
Appendice 1
Fin de partie navale en AOI
La chute des ports italiens et le destin des bateaux de commerce de l’Axe
(janvier-février 1941)

La campagne navale en Mer Rouge a été traitée par ailleurs (annexes A B1 et A B2). Cet
appendice ne fera que compléter le tableau en traitant du sort des navires de commerce
italiens et allemands présents depuis juin 1940 dans les ports de Somalie et d’Erythrée et de
l’état de ces ports lors de leur conquête par les Alliés. On suivra pour cela l’ordre
chronologique de chute des ports.

1 – La Somalie
Cette colonie italienne comptait plusieurs ports sur l’Océan Indien. Les principaux étaient,
dans la partie originelle de la colonie, en allant du nord-est au sud-ouest : Dante (aujourd’hui
Xaafuun ou Hafun), qui devait son importance à l’exploitation de salines, Mogadiscio, la
capitale, et Merca (ou Marca ou Marka), port d’exportation de divers produits coloniaux et
notamment de bananes. S’y ajoutait Chisimaio (Kismayu) dans le territoire de l’Oltregiuba
(Outre-Juba alias Jubaland), distrait de la colonie du Kenya et cédé par les Britanniques le 15
juillet 1924 en application de l’article 13 du Traité de Londres du 26 avril 1915.
Tous ces ports n’étaient pas également favorables au stationnement prolongé de navires : si
celui de Mogadiscio avait été amélioré par l’édification récente d’une jetée, celui de Merca
n’avait pas de bassin et était simplement desservi par un wharf. Aussi, quand il fallut mettre à
l’abri les navires de commerce, allemands puis italiens, retenus sur les côtes somaliennes par
l’état de guerre, le choix se porta-t-il sur Chisimaio. Ce port joignait à de bonnes facilités de
mouillage des moyens de défense côtière qui, pour être modestes, n’en étaient pas moins bien
supérieurs à ceux de Mogadiscio 12.
Trois cargos allemands (Askari, Tannenfels, Uckermark) 13 s’étaient réfugiés à Chisimaio dès
le début de la guerre. Ils y furent rejoints, après le 10 juin 1940, par onze bateaux italiens :
deux pétroliers (Marghera, Pensilvania) 14, sept cargos (Adria, Carso, Duca degli Abruzzi,
Erminia Mazzella, Integritas, Manon, Savoia, Somalia) 15, le cargo mixte Adria 16 et le
paquebot Leonardo da Vinci 17.
A ces quatorze bateaux immobilisés à Chisimaio vint s’ajouter, fin octobre 1940, un
quinzième bâtiment : le cargo yougoslave Durmitor, capturé par le raider allemand Atlantis,
lequel alla ravitailler à Mogadiscio. En revanche, le cargo rapide allemand Tannenfels quitta
Chisimaio le 2 novembre pour aller jouer quelque temps le rôle de navire ravitailleur pour les
corsaires opérant dans l’Océan Indien 18.

12
Chisimaio : deux batteries de 120/45, quatre de 76/40, une batterie de l’Armée de 120/25, une dizaine de
mitrailleuses lourdes et légères (la plupart des pièces se trouvaient sur deux îles délimitant le mouillage, l’île des
Serpents et l’île des Requins). Mogadiscio : 1 batterie de quatre canons de 120/45, servies par des hommes de la
Milmart, une demi-douzaine de mitrailleuses de 13,2 mm.
13
Respectivement : 590 GRT, 9,5 nœuds ; 7 840 GRT, 16 n. ; 7 021 GRT, 14 n.
14
4 531 GRT, 11,5 n. ; 6 268 GRT, 11 n.
15
Respectivement : 6 275 GRT, 10,5 n. ; 2 314 GRT, 15,5 n. ; 5 472 GRT, 11 n. ; 5 952 GRT, 9 n. ; 5 652 GRT,
11 n. ; 5 828 GRT, 12,5 n. ; 2 699 GRT, 11, n.
16
3 539 GRT, 13,5 n.
17
7 432 GRT, 14,5 n.
18
Le Tannenfels parvint ensuite à regagner l’Europe. Il devait être coulé par les Anglais quelques mois avant la
fin de la guerre.
Quand il devint évident que la chute de Chisimaio (Kismayu) n’était plus qu’une question de
jours et en dépit de la récente arrivée de la Force T sur les côtes somaliennes 19, on prépara en
hâte une tentative d’évasion des navires en état de courir leur chance. Ils étaient dix sur les
treize encore présents dans le port : trois des onze bateaux italiens, le pétrolier Marghera et
les cargos Carso et Integritas ne purent être de l’aventure.
Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1941, huit navires italiens et les deux cargos allemands
Askari et Uckermark prirent la mer. Des dix évadés, la majorité se dirigea vers le sud-ouest et
le salut que représentait le Mozambique portugais. L’Askari et le pétrolier Pensilvania (que
les Allemands avaient espéré pouvoir utiliser pour ravitailler en mazout leurs raiders) se
dirigèrent au contraire vers Mogadiscio. L’évasion nocturne n’échappa pas à la
reconnaissance effectuée au matin du 18 sur Chisimaio par un appareil de l’Hermes. D’autres
appareils de reconnaissance se mirent à la recherche des fuyards et ne tardèrent pas à les
repérer. Les navires de la Force T se mirent alors à leur poursuite et ce fut progressivement la
curée.
Des dix bâtiments sortis de Chisimaio, seul le cargo rapide Duca degli Abruzzi (un bananier
de la Regia Azienda Monopolio Banane, RAMB) parvint à échapper aux Britanniques, puis
au croiseur auxiliaire français Victor-Schoelcher et à trouver refuge à Lourenço Marques
(aujourd’hui Maputo) 20. Les sept autres bateaux qui avaient pris la route du sud furent
successivement rejoints le 19 janvier par un groupe de chasse composé des croiseurs HMS
Hawkins et Ceres et du destroyer HMAS Voyager. Le Hawkins en arraisonna à lui seul
quatre : les cargos E. Mazzella, Manon et Savoia ainsi que le paquebot Leonardo da Vinci. Le
Ceres rattrapa le cargo mixte Adria et l’allemand Uckermark, le Voyager parvint à retrouver
le Somalia. Tous les navires rejoints ne se résignèrent cependant pas à la capture et certains
réussirent à se saborder sous le nez des Anglais. Deux sombrèrent : le Somalia et l’Uckermark
(qui ne coulera cependant que deux jours plus tard, alors que ses vainqueurs essayaient de le
remorquer jusqu’à Mombasa). Un troisième, l’Adria, fut suffisamment endommagé pour que
les Anglais ne le remettent en service que fort tardivement, en 1944, et seulement comme
navire-dépôt sous le nom de Gombroon. Quant aux deux bateaux partis vers le nord-est, ils
furent coulés le 20 janvier devant Mogadiscio : l’Askari fut victime des avions de l’Hermes, le
Pensilvania des canons du croiseur lourd Shropshire.
Pendant que se déroulaient ces événements, les trois bateaux demeurés à Chisimaio s’étaient
sabordés le 19 janvier. L’un d’eux, le Carso, put être renfloué par les Britanniques, qui le
remirent en service en 1943 sous le nom d’Empire Tana.
Il s’ajouta ainsi aux quatre prises immédiatement utiles que ces derniers avaient faites. Tandis
que le cargo Manon changeait de pavillon mais gardait son nom, les cargos Erminia Mazzella
et Savoia étaient respectivement rebaptisés Impala et Empire Arun et le paquebot Leonardo
da Vinci devenait l’Empire Clyde, ultérieurement transformé en navire-hôpital.
A Mogadiscio, les Britanniques ne trouvèrent guère que l’épave du cargo yougoslave
Durmitor. Sabordé mais non détruit, ce dernier fut relevé, saisi (la Yougoslavie étant toujours
neutre) et remis en service sous le nom de Radwinter : il ne fut rendu à ses premiers
propriétaires qu’en 1946.
Quant aux ports, le plus aisé à remettre en service fut Merca, dont le wharf fut trouvé à peu
près intact. Mogadiscio (pris le 31 janvier) posa plus de problèmes en raison du sabotage des
moyens de levage. A cette même difficulté, Chisimaio (tombé le 21 janvier) ajoutait celle de
l’encombrement partiel du mouillage par les trois bateaux sabordés. Mais il aurait fallu
davantage d’épaves pour interdire tout usage du port.

19
Porte-avions HMS Hermes, croiseurs lourds HMS Hawkins et Shropshire, croiseurs légers HMS Ceres et
Colombo, destroyers HMS Kandahar et HMAS Voyager.
20
Où se trouvait déjà depuis juin 1940 le cargo mixte Gerusalemme (8 052 GRT, 14 n.).
2 – L’Erythrée
La plus ancienne des colonies africaines de l’Italie possédait plusieurs ports. Les principaux
étaient Assab, au sud-est, non loin de la Côte Française des Somalis, et surtout Massaouah,
qui avait également été un temps la capitale de la colonie avant d’être supplantée par une ville
de l’intérieur, Asmara. Ce dernier port était, outre une base navale et une destination
commerciale en soi, une escale importante sur les lignes maritimes reliant l’Italie à l’Extrême-
Orient.
Dès que la guerre éclata en Europe, dix cargos allemands réussirent à trouver refuge à
Massaouah avant que les Alliés, et surtout les Britanniques, aient pu mettre en place des
croisières efficaces dans l’Océan Indien et en Mer Rouge. Il s’agissait des navires suivants :
Bertram Rickmers (4 188 GRT, 12 nœuds) ; Coburg (7 400 GRT, 13 n.) ; Crefeld
(8 045 GRT, 12,5 n.) ; Frauenfels (7 487 GRT, 12 n.) ; Gera (5 155 GRT, 12 n.) ; Lichtenfels
(7 566 GRT, 14 n.) ; Liebenfels (6 318 GRT, 12 n.) ; Oder (8 516 GRT, 14 n.) ; Oliva
(7 885 GRT, 11 n.) ; Wartenfels (6 181 GRT, 12 n.)
L’entrée en guerre de l’Italie bloqua à Massaouah pas moins de 26 navires de commerce
italiens (sans compter les bateaux de pêche présents en Mer Rouge). Sur ce nombre, quatre
furent réquisitionnés par la Regia Marina. Le sort des deux cargos bananiers Ramb I et
Ramb II, effectivement transformés en croiseurs auxiliaires, a été évoqué par ailleurs (voir
annexe A B1). Il faut leur ajouter un troisième bananier, le Ramb IV, réquisitionné mais non
armé et converti en navire-hôpital sous le nom d’Aquileia, ainsi que le petit caboteur Impero
(488 GRT) 21, réquisitionné comme navire de liaison et dragueur forain (F 25).
Les 22 navires demeurés civils se répartissaient ainsi :
– 4 paquebots : Colombo (11 760 GRT, 16,5 n.), Giuseppe Mazzini (7 669 GRT, 16 n.),
Nazario Sauro (8 150 GRT, 14,5 n.), Sannio (9 834 GRT, 12 n.) ;
– 3 cargos mixtes : Adua (3 568 GRT, 12 n.), Piave (7 565 GRT, 12 n.), Tripolitania (2 722
GRT, 11,5 n.) ;
– 10 cargos : Arabia (5 943 GRT, 11,5 n.), Brenta (5 400 GRT, 11 n.), Capitano Bottego
(2 316 GRT, 15,5 n.) 22, Himalaya (6 240 GRT, 13 n.), India (6 367 GRT, 12 n.), Moncalieri
(5 723 GRT, 11 n.), Romolo Gessi (5 145 GRT, 11 n.) 23, Urania (7 099 GRT, 13 n.), Vesuvio
(5 430 GRT), XXIII Marzo (5 006 GRT, 10 n.) ;
– 5 pétroliers : Antonia C. (5 877 GRT, 11 n.), Clelia Campanella (3 245 GRT, 9 n.), Giove
(5 211 GRT, 10 n.) 24, Prometeo (4 958 GRT, 10,5 n.), Riva Ligure (2 136 GRT, 9 n.).
………
Tandis que plusieurs navires italiens militaires ou militarisés tentaient dès septembre-octobre
1940 de s’extraire de la nasse de la Mer Rouge (voir annexe A B1), les bâtiments de
commerce attendirent plus longtemps avant de les imiter.
Le premier à bouger fut le cargo allemand Coburg, qui partit le jour de Noël 1940 pour aller
jouer le rôle de navire ravitailleur au profit des raiders opérant dans l’Océan Indien. Il n’eut
cependant guère l’occasion d’être utile. Il fut en effet intercepté au sud-est des Seychelles, le 7
janvier 1941, par le croiseur auxiliaire français Aramis (X1) 25. Le cargo put toutefois se
saborder.
21
Lancé en 1901 sous le nom d’Epiro, il avait été rebaptisé de manière plus ronflante en 1937.
22
Cargo bananier de la Regia Azienda Monopolio Banane (RAMB).
23
Auparavant baptisé Alberto Treves, ce navire avait été rebaptisé en application des lois raciales d’avril 1940.
24
Pétrolier de la Regia Marina, confié en gérance à la Cooperativa Garibaldi.
25
Les Anglais avaient demandé que l’Aramis, qui venait d’escorter un petit convoi de trois cargos de Saïgon au
Cap, où il l’avait remis à la garde du croiseur auxiliaire El Djézaïr (X17), patrouillât quelque temps entre les
Seychelles et les Mascareignes pour compenser l’indisponibilité simultanée des croiseurs lourds HMAS
Australia et Canberra.
Le 5 janvier 1941, ce fut le tour d’un autre cargo allemand, le Wartenfels, lequel n’avait au
demeurant aucun rôle à jouer dans la campagne des corsaires. Plus heureux que le Coburg, il
esquiva les patrouilles alliées et parvint à se réfugier le 17 suivant dans le port neutre de
Lourenço Marques, où allait bientôt le rejoindre l’italien Duca degli Abruzzi, échappé de
Chisimaio.
La tentative la plus remarquable, et couronnée de succès, fut celle du motonave (cargo
moderne à moteurs diesels) Himalaya. Parti de Massaouah le 8 janvier 1941, il traversa
l’Océan Indien puis le Pacifique, doubla le Cap Horn et remonta l’Atlantique Sud pour
parvenir à Rio de Janeiro le 11 février suivant. Après quelques semaines d’escale, le navire
parvint à rejoindre Bordeaux le 5 juillet 1941. Inutile de dire que ce véritable exploit fut
dûment célébré par la propagande italienne.
Les dernières tentatives d’évasion eurent lieu alors que les menaces commençaient à
s’appesantir sur Massaouah. Elles furent le fait de cinq cargos, trois allemands et deux
italiens, ainsi que de l’un des paquebots italiens. Le 31 janvier 1941 prirent la mer l’Allemand
Oder et l’Italien India. Aucun des deux ne réussit à échapper à la vigilance des croisières
britanniques. Si l’India parvint à se réfugier à Assab, l’Oder, intercepté par l’aviso HMS
Shoreham, se saborda dans le détroit de Périm (ou Bab el Mandeb), au lieu dit Ras Seine (Ras
Siyyan). L’Allemand Bertram Rickmers partit à son tour le 5 février 1941 : intercepté trois
jours plus tard par le destroyer HMS Kingston, il dut se saborder (devant Gondurmiat). Le
cargo mixte italien Piave et le paquebot Sannio tentèrent leur chance le 6 février. Rapidement
repérés par les Anglais, ils rejoignirent l’India à Assab. Enfin, le 7 février, l’allemand
Lichtenfels fut le dernier à lever l’ancre. Lui aussi rapidement repéré par l’ennemi, il dut faire
demi-tour et rentrer à Massaouah.
Au total, sur 32 navires de commerce coincés à Massaouah, neuf avaient tenté l’aventure de
l’évasion (dont un, le Coburg, sur ordre exprès) mais trois seulement avaient réussi à quitter la
Mer Rouge. De ce trio, un seul, l’Himalaya, était parvenu à rejoindre un port contrôlé par
l’Axe, tandis qu’un autre, le Wartenfels, gagnait l’abri d’un port neutre. Pour les 24 bateaux
demeurés à Massaoua et les 3 déplacés à Assab, la fin allait se précipiter.
Afin de mettre fin aux tentatives de départ, les Britanniques agirent contre les deux ports. A
Assab, ils se contentèrent de resserrer leur surveillance. C’est d’ailleurs au cours d’une
mission de reconnaissance rapprochée finalement annulée que devait survenir la dernière
perte des marines alliées en Mer Rouge. Le 11 février 1941, une petite force composée du
croiseur léger HMS Caledon, du patrouilleur auxiliaire indien HMIS Parvati (1 548 GRT) et
d’une vedette à moteur (motor-launch) s’était rapprochée d’Assab, où la vedette devait tenter
de pénétrer, quand elle reçut un contre-ordre. Alors que les trois unités se retiraient, le Parvati
toucha une mine et coula.
A Massaouah, les mesures prises furent plus radicales. Plusieurs bombardements frappèrent le
port entre le 9 et le 14 février, prélevant un tribut aussi bien sur les navires marchands que sur
les navires de guerre survivants. Le 9, les appareils de la RAF et ceux du porte-avions Hermes
réussirent à couler le paquebot Giuseppe Mazzini et le cargo Urania près des îles Dahlak. Le
lendemain, ils endommagèrent le cargo Moncalieri. Le 11, les Blenheim de la RAF
envoyèrent par le fond le mouilleur de mines Ostia 26. Enfin, le 14, en toute fin de journée, ils
s’adjugèrent le petit torpilleur Giovanni Acerbi, qui avait appuyé, avec son jumeau le
Vincenzo Orsini, la résistance de la garnison de Massaouah.
Dès le 11 février, les sabordages s’ajoutèrent aux destructions anglaises. Furent coulés dans le
port de Massaouah, d’une part les six cargos allemands restants : Crefeld, Frauenfels, Gera,
Lichtenfels, Liebenfels et Oliva, d’autre part, treize bateaux italiens : outre l’auxiliaire Impero

26
Dont l’artillerie principale (2 canons de 102/45) avait été débarquée pour fournir deux des trois pièces d’une
nouvelle batterie antinavires (Ma. 370) proche du port même de Massaouah.
et les cinq MAS de la 21e escadrille (toutes plus ou moins hors d’usage depuis un certain
temps, sauf la MAS-213), le cargo Moncalieri déjà endommagé et six navires de commerce
encore intacts (cargo mixte Adua ; cargos Arabia, Brenta, Romolo Gessi, Vesuvio, XXIII
Marzo).
Le 13 février, de nouveaux bateaux furent sabordés tant à Massaouah (pétroliers Antonia C. et
Riva Ligure) qu’aux îles Dahlak (paquebot Nazario Sauro, cargo mixte Tripolitania, cargo
bananier Capitano Bottego).
Enfin, le 15 février, jour de la chute de Massaouah, ce fut le tour des derniers gros navires
civils : aux îles Dahlak, les pétroliers Giove et Prometeo ; à Massaouah même, le paquebot
Colombo et le pétrolier Clelia Campanella, auxquels vinrent s’ajouter quatre petits (voire tout
petits) caboteurs ou chalutiers 27 ainsi que trois remorqueurs militaires ou militarisés 28.
Finalement, ne restèrent à flot jusqu’au dernier instant que les trois unités de la Regia Marina
encore en mesure de soutenir la défense terrestre : le petit torpilleur Vincenzo Orsini et les
deux canonnières Giuseppe Biglieri et Porto Corsini. Quand le drapeau italien eut cessé de
flotter sur la ville, le commandant de l’Orsini, le L.V. Giulio Valente, coula son bâtiment sans
employer d’explosifs car celui-ci se trouvait trop proche du navire-hôpital Aquileia et de
l’hôpital terrestre. Il en alla à peu près de même pour la canonnière G. Biglieri, si ce n’est que,
alors que le torpilleur gisait désormais par 27 mètres de fond, la petite unité fut coulée en eaux
peu profondes. Quant à la Porto Corsini, elle combattait depuis un poste à quai, ce qui permit
aux premiers tirailleurs sénégalais arrivés sur les lieux de la prendre d’assaut. Son équipage
n’eut pas le temps de faire mieux que de la couler à son poste d’amarrage, évidemment par
très petits fonds.
Le lendemain 16 février, au petit matin, alors que la chute d’Assab était désormais imminente,
le C.V. Bolla, qui était à la tête du Comando Marina (Commandement de la Marine) de la
place, ordonna le sabordage de tous les navires italiens présents dans ce port, soit, outre le
croiseur auxiliaire Ramb II (immobilisé là depuis la « bataille des bananiers » du 7 octobre
1940), le paquebot Sannio, le cargo mixte Piave et le cargo India, mais aussi quatre petits
caboteurs et chalutiers 29.
………
Appliquant à la lettre les ordres formels reçus de Mussolini lui-même, l’amiral Carlo Balsamo
avait tout fait (avec ses subordonnés) pour que les Alliés retirent le minimum de bénéfice
immédiat de la prise des ports d’Erythrée. A Assab, il n’y avait pas assez de gros navires pour
un embouteillage réussi. En revanche, à Massaouah, l’amiral Balsamo avait eu sous la main
tout ce qu’il fallait pour obstruer méthodiquement le port. En outre, tous les équipements
avaient été détruits et notamment les deux docks flottants (l’un pour des unités jusqu’à 7 500
tonnes de déplacement, l’autre pour des unités jusqu’à 1 600 tonnes). Pendant longtemps, les
Alliés durent se contenter d’un seul poste d’amarrage, pouvant accueillir un navire de 140
mètres de long et de 8 mètres de tirant d’eau au maximum. Il fallut treize mois pour que le
port reprît vie (mi-mars 1942) et quatre mois de plus pour qu’il redevînt pleinement
opérationnel (mi-juin 1942).
………
Le butin, dont la part du lion devait revenir aux Britanniques, fut au départ fort maigre. Les
seuls bateaux capturés intacts furent le navire-hôpital Aquileia (3 667 GRT, 17 n.) et les trois
citernes à eau Bacchiglione (80 tonnes de déplacement, 7,5 n.), Sebeto et Sile (toutes deux :
602 tonnes, 10 n.). Ces dernières ayant été épargnées par les Italiens pour répondre aux
besoins en eau de la population civile des îles Dahlak, la Royal Navy continua à les employer

27
Ardita (19 GRT), Pirano (108 GRT), Sole (15 GRT), Trieste (96 GRT).
28
Formia (188 GRT), San Paolo (192 GRT), San Giorgio (90 GRT).
29
Circeo (59 GRT), Dante (80 GRT), Scillin (57 GRT), Sicilia II (64 GRT).
à cette fin. Seul l’ex-Ramb IV fut donc un gain net : il poursuivit sa carrière de navire-hôpital
sous le nom de HMS Aquileia.
Les Français, auxquels était échue la seule canonnière Porto Corsini (qu’ils avaient tout de
même capturée !), purent remettre en service le petit bâtiment (290 tonnes de déplacement)
avant la fin de l’année 1941, sous le nom de Port-Vendres 30.
Pour le reste, il fallut aux Britanniques du temps, des moyens et un sérieux coup de main de
techniciens américains pour tirer quelque chose des épaves de Massaouah et Assab. Ils
récupèrent malgré tout plusieurs bateaux, dont deux ne renaviguèrent jamais vraiment :
– la canonnière Giuseppe Biglieri, qui reprit du service en 1942 sous le nom simplement
raccourci de HMS Biglieri ;
– les trois cargos allemands Frauenfels, Gera et Liebenfels, devenus respectivement Empire
Niger, Empire Indus et Empire Nile ;
– les deux pétroliers italiens Clelia Campanella et Giove, devenus les Empire Prize et Empire
Trophy ;
– le cargo Arabia, récupéré dès août 1941 et utilisé comme dépôt flottant de charbon sous le
nom de HMS Arabia II ;
– le cargo mixte Tripolitania, récupéré en mars 1943 et utilisé seulement, sous le même nom,
comme dépôt flottant puis navire-caserne.
………
Après la guerre, les principales épaves de Massaouah et d’Assab finirent par être relevées et
dépecées sur place ou bien, comme le pétrolier Riva Ligure, remorquées jusqu’en Italie ou
d’autres lieux pour démolition. En revanche, quoique de manière moins inquiétante que
l’Umbria, sabordé à Port-Soudan le 10 juin 1940, les épaves des îles Dahlak témoignent
encore de ces mois de bruit et de fureur. Filmées jadis par le commandant Cousteau, elles font
aujourd’hui le bonheur des plongeurs…

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La canonnière ne quitta pas la Mer Rouge, où elle servit jusqu’en 1946, avant d’être vendue et de redevenir
jusqu’en 1958, sous pavillon libanais, le chalutier qu’elle avait été à l’origine (chalutier japonais Fumi Maru,
lancé en 1912).

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