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Au Maroc, le secteur informel contribue à hauteur de 11,5% au PIB national

COMMERCE - C'est l'un des chevaux de bataille du ministère de l'Industrie et du Commerce:


la lutte contre l'informel, secteur qui brasse chaque année des milliards de dirhams et
contribue à hauteur de 11,5% au PIB national.
Secteur qui étouffe, aussi, l'industrie formelle par les produits issus de la contrebande ou ceux
qui n’intègrent ni impôts, ni charges sociales dans leurs coûts, pointait du doigt la patronne
des patrons, Miriem Bensalah-Chaqroun, lors d'un colloque tenu à Rabat en juin dernier sur le
développement économique du pays.
"Une société traditionnelle en transition"
Face à ce constat, et pour tenter de mieux cerner le phénomène qui ne cesse de croître (le
nombre d'entreprises informelles augmente en moyenne de 19.000 unités chaque année), le
Haut commissariat au Plan (HCP), dont la dernière étude sur le secteur remontait à 2007, a
mené une nouvelle enquête en 2013 et 2014, et vient d'en présenter les principaux résultats.
Première assertion à prendre en compte: pour Ahmed Lahlimi Alami, Haut commissaire au
Plan, les activités informelles "ne constituent pas, à proprement parler, un secteur
économique", a-t-il rappelé mercredi 12 octobre lors de la présentation des résultats de
l'enquête.
Ceci les identifierait en effet comme "une composante structurelle homogène de l’économie
nationale et leur conférerait une vocation légitime de figurer en tant que telle dans la
comptabilité nationale", a-t-il ajouté. "A l’analyse, elles semblent plutôt constituer un mode
d’articulation, historiquement daté, d’une société traditionnelle en transition avec un modèle
capitaliste et libéral de croissance de faible productivité globale".
410 milliards de dirhams de chiffres d'affaires
Si le secteur informel n'a pas la légitimité pour figurer dans les comptes du pays, il n'empêche
qu'il brasse chaque année des milliards de dirhams.
Selon le HCP, qui a couvert un échantillon de plus de 10.000 unités de production informelles
(UPI) sur l'ensemble du territoire national pendant une année, le chiffre d'affaires brassé par
les UPI s'est ainsi élevé à près de 410 milliards de dirhams en 2013, en accroissement annuel
moyen de 6,5% depuis 2007.
Les activités commerciales représentent près de 70% du chiffre d’affaires total des quelques
1,68 millions d'UPI que comptait le pays en 2013, suivies des activités de l’industrie (13,1%),
des services (9%) et du BTP (8,1%).
Plus de 3,3 milliards de dirhams investis
La sphère informelle, qui a investi, en 2013, 3,366 milliards de dirhams, a été à l’origine de la
production de 185 milliards de dirhams de biens et services, en progression annuelle moyenne
de 7,9% depuis 2007, révèle encore l'étude.
"Compte tenu d’un prélèvement relativement minime au titre des impôts et taxes dans la
sphère informelle, celle-ci aurait, en 2013, contribué à hauteur de 11,5% au PIB national",
note le HCP.
La valeur ajoutée créée par les UPI, qui s'élevait à 103,346 milliards de dirhams cette même
année, représentait quant à elle 12,6% de la valeur ajoutée nationale.
Une initiative plus individuelle que collective
Concernant le profil des entrepreneurs informels, le niveau d’instruction reste faible: seuls
3,3% ont fréquenté l'enseignement supérieur, et un peu moins du tiers l'enseignement
secondaire. Le secteur est peu féminisé: 9% des unités de production informelles sont dirigées
par des femmes, celles-ci opérant surtout dans l'industrie ou le travail à domicile.
Selon l'enquête du HCP, l'initiative de création d'une entreprise informelle est en majorité
individuelle (83%). 10,6% des UPI sont des initiatives collaboratives, et près de 5% le fruit
d’un concours familial.
Enfin, concernant la clientèle de ces petites entreprises, les ménages ont constitué 80% des
clients, les entreprises informelles 21,3% et les entreprises formelles 0,5%.
Autres chiffres édifiants: plus de la moitié des UPI ne disposent pas d'un local fixe et plus de
80% déclarent ne pas s'acquitter de la taxe professionnelle.
Un statut pour les auto-entrepreneurs
C'est pour combler ce manque à gagner pour l'économie nationale que le département de
Moulay Hafid Elalamy a lancé, en septembre 2015, le statut d'auto-entrepreneur. Plus de
20.000 auto-entrepreneurs se seraient déjà déclarés selon les chiffres donnés en juin dernier
par le ministre de l'Industrie.
C'est aussi pour faciliter les démarches administratives des auto-entrepreneurs et encourager
le passage au cadre formel qu'Attijariwafa bank a lancé, début juin, la plateforme web "Dar Al
Moukawil" (la maison de l'entrepreneur) dédiée à l’accompagnement des Très petites
entreprises (TPE).
La plateforme met à disposition une base de données agrémentée de vidéos, de documents, de
modèles, de guides, de cours en lignes et de webinaires que les TPE pourront consulter
gratuitement. L’idée est d’accompagner et de conseiller les auto-entrepreneurs en leur offrant
des informations et des formations sur la pratique des affaires, leur suivi, leur évolution.
Le poids réel du secteur informel au Maroc
Il contribue à hauteur de 11,5% au PIB et génère un chiffre d’affaires de plus de 410
milliards de DH. Rien que ça !
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Le Haut-commissariat au plan (HCP) a rendu publiques, mercredi 12 à son siège à Rabat, les
principales conclusions de l’enquête nationale sur le secteur informel au Maroc, six ans après
celle réalisée entre 2006 et 2007.
La nouvelle étude, qui s’est déroulée entre 2013 et 2014, a couvert un échantillon de 10.085
unités de production réparties sur l’ensemble du territoire national. « L’enquête a été conçue
pour actualiser et compléter nos connaissances sur les unités de production opérant dans ce
secteur, sur son mode d’insertion dans l’économie nationale et sa contribution à la création de
la richesse nationale et de l’emploi », a indiqué d’emblée le Haut-commissaire au plan,
Ahmed Lahlimi Alami.
Très fournie et riche en enseignements, l’enquête a permis de dénombrer 1,68 million d’unités
de production informelles (UPI) en 2013, contre 1,55 million quatre ans plus tôt. Ce qui
représente une progression annuelle moyenne de 19.000 unités (1,2% par rapport à 2007).
L’enquête révèle que les UPI ont, dans leur ensemble, brassé un chiffre d’affaires de près de
410 milliards de DH, en 2013, en accroissement annuel moyen de 6,5% depuis 2007 et que
l’initiative de les créer est à 83% individuelle, 10,6% collaborative et pour près de 5% le fruit
d’un concours familial.
« Les activités commerciales représentent près de 70% du chiffre d’affaires total, suivies des
activités de l’industrie (13,1%), des services (9%) et du BTP (8,1%). Plus de la moitié des
UPI en réalise annuellement un montant unitaire de moins de 100 mille DH, 35,3% moins de
60 mille DH et 16,2% plus de 360 mille DH », a indiqué le Haut-commissaire.
Selon les données issues de cette enquête, ces UPI ont investi 3,366 milliards de DH en 2013,
soit une progression annuelle de 3,2% depuis 2007. Cela représente une contribution de 1,1%
à la formation brute du capital fixe national.
La répartition par secteur indique que les services en ont réalisé 50%, le commerce plus du
tiers, l’industrie 12,2% et les BTP 5,3%.
L’analyse des chiffres de l’enquête révèle que les UPI ont réalisé 12,2% de la production
nationale durant cette même année, contre 10,9% en 2007.
D’après le Haut-commissaire au plan, leur contribution à la production varie de 56,8% dans le
secteur commercial, 27% dans le bâtiment, près de 10% dans l’industrie et près de 8% dans
les activités de services hors administrations publiques.
« Avec 103,346 milliards de DH et un taux de 56% de la production, la valeur ajoutée (VA)
créée par les UPI représente, en 2013, 12,6% de la valeur ajoutée nationale » a indiqué
Ahmed Lahlimi Alami.
Par secteur, la contribution des UPI à la valeur ajoutée passe de 60% dans le commerce à
29,3% dans la construction, 13,3% dans l’industrie et 6,4% dans les services, a-t-il précisé.
Il ressort de l’enquête que la sphère informelle aurait contribué en 2013 à hauteur de 11,5% au
PIB national comparativement à 2007. Une donnée qui tient compte du prélèvement
relativement minime au titre des impôts et taxes dans la sphère informelle, a cependant
précisé le Haut-commissaire.
Concernant le volet emploi dans la sphère informelle, le HCR note que celui-ci portait sur 2,4
millions de personnes représentant 36,3% de l'emploi non-agricole à l’échelle nationale.
En détail, on apprend que 233.000 indépendants employeurs ont recruté 420 000 salariés et
distribué 11,4 milliards de DH de salaires correspondant à près de 4% de la rémunération
salariale à l’échelle nationale et représentant 11% de la valeur ajoutée globale du secteur
informel.
Sur les performances des activités informelles, il ressort de l’enquête que la sphère informelle
a été, en 2013, à l’origine de la production de 185 milliards de DH de biens et services, soit
une amélioration annuelle moyenne de 7,9%, comparativement à 2007.
Cette progression a été largement réalisée par des activités commerciales, en baisse depuis
2007, au profit de celles relevant du secteur de l’industrie et des services, a signalé le patron
du HCP.
« Pour se pourvoir en facteurs de production, elle s’est s’auto-approvisionnée à raison de 71%
de ses besoins et s’en procure 18% du secteur formel, 7% des ménages et 1,4% du secteur
public. Dans l’écoulement des biens et services produits par cette sphère, les ménages ont
constitué 80% de la clientèle des UPI, les entreprises informelles 21,3% et les entreprises
formelles 0,5% », a détaillé Ahmed Lahlimi Alami.
Du profil des opérateurs informels, l’étude révèle que 51,4% d’entre eux évoluent en grande
majorité dans les secteurs du BTP, des services et du commerce et ne disposent pas d’un local
fixe. Celles domiciliées dans des locaux professionnels sous-traitant à domicile sont plus
présentes dans le secteur de l’industrie. Plus de 80% de l’ensemble des UPI et moins de 40%
de celles qui disposent d’un local déclarent ne pas s’acquitter de la taxe professionnelle.
S’agissant de leur niveau d’instruction, « plus des deux tiers ont fréquenté l’enseignement
préscolaire ou primaire, 28,4% l’enseignement secondaire et 3,3% un enseignement supérieur
», précise le Haut-commissaire.
Par ailleurs, moins de 9% des femmes sont à la tête des directions des UPI donc faiblement
féminisées, à l’exclusion de celles relevant des activités de type industriel ou du travail à
domicile où la proportion des femmes est respectivement de 23% et de 60%.
Enseignements de l’enquête : « Avant de réaliser leurs projets, 75% des créateurs d’UPI
étaient actifs occupés, 12% étudiants, 8,3% chômeurs et 3% femmes au foyer. Parmi ceux qui
avaient auparavant exercé une activité, 70% étaient salariés et 20% indépendants relevant
pour près de 90% du secteur informel ».
En conclusion, Ahmed Lahlimi Alami a précisé que « la présentation statistique de ses
rapports avec les différents secteurs économiques et ses contributions à l’économie nationale
ne devrait pas entretenir l’illusion, largement présente dans l’opinion publique, que la
résorption de la sphère informelle passerait, en définitive, par sa simple inclusion dans le
système de gestion fiscal national ».
A noter que le secteur informel regroupe toutes les unités de production non agricoles qui
exercent des activités de production de biens et services sans se conformer aux dispositions
statutaires et comptables auxquelles sont soumises les entreprises opérant dans les différents
secteurs de l’économie nationale.
Selon le HCP, son champ exclut, néanmoins, les activités illicites ou illégales, par définition
occultes, et dont l’approche demanderait d’autres compétences que celles du HCP.
Maroc : "Et si le secteur formel était le vrai obstacle au développement?", le point de vue
d'Hamid Bouchikhi de l'Essec
Au Maroc, au lieu de multiplier les régimes fiscaux dérogatoires et zones franches, renforçant
la discrimination entre agents économiques selon leur nationalité ou leurs ressources, il
faudrait changer de paradigme et mettre en place un secteur formel plus réactif, moins
contraignant et moins confiscatoire pour tous les agents économiques, estime dans ce point de
vue Hamid Bouchikhi

Le poids du secteur informel est unanimement considéré comme un obstacle au


développement de l’économie marocaine. On le crédite de 41 % des emplois (hors agriculture,
administration et collectivités locales) et de 14 % du PIB et on l’accuse de tous les maux :
fraude fiscale et sociale, exploitation de la main d’œuvre, corruption et j’en passe.
On ne trouvera personne pour en faire l’éloge. A la limite, on veut bien reconnaître qu’une
partie du secteur informel, celle qui correspond à des métiers traditionnels, soit moins nocive
à l’économie nationale. Je suis toujours amusé de constater que beaucoup de marocains, y
compris parmi l’élite du pays, aiment dénoncer l’informel dans les conversations privées,
lorsqu’ils le subissent, et le pratiquent bien volontiers, quand cela les arrange, sans même se
rendre compte de la contradiction.
accomplir une réforme radicale du secteur formel pour le rendre plus attractif
Les développements de la recherche en sciences sociales et en économie comportementale
(behavioral economics) nous incitent à penser que lorsque certains comportements sont
fréquents et persistants, ils devraient constituer des réponses rationnelles à une situation
donnée. Ainsi, sauf à considérer que les marocains et les citoyens des pays où l’informel est
fréquent sont par essence plus tricheurs que les autres, ce que je ne crois pas, nous devons
faire l’effort de chercher d’autres explications.
Je crois, pour ma part, que le poids du secteur informel dans l’économie marocaine est une
réponse rationnelle aux nombreuses pathologies du secteur formel. Autrement dit, ce n’est pas
le secteur informel qu’il faut soigner mais le secteur formel. Si les responsables du pays
veulent encourager les agents économiques à agir dans la légalité, il leur faut accomplir une
réforme radicale du secteur formel pour le rendre plus attractif.
En l’état actuel, le secteur formel est vécu par la majorité des agents économiques comme
inefficient, contraignant, punitif et confiscatoire. L’agent économique rationnel, voire le
citoyen ordinaire, a tout intérêt à l’éviter. De fait, moins on a affaire aux responsables du
secteur formel et mieux on se porte.
Chaque lecteur de ces lignes a vécu, au moins une fois dans sa vie, des situations où il aurait
préféré ne pas être au contact d’un service public. Il y a quelques mois, j’ai eu besoin de faire
‘légaliser’ la copie d’un document à Rabat. Outre le fait que je ne comprends plus l’intérêt de
la procédure de ‘légalisation’ dans des situations où un fonctionnaire peut vérifier de visu
qu’une copie correspond à l’original d’un document remis dans un dossier, je me suis trouvé
dans des locaux délabrés où des fonctionnaires qui n’avaient pas l’air heureux d’être derrière
le guichet prenaient tout leur temps pour ‘servir’ des usagers qui se disputaient pour savoir qui
était le suivant.
Dans un autre cas, des citoyens forment une association pour acquérir un terrain dans la
perspective de construire des logements. Pendant plusieurs années, la commune a été
incapable d’indiquer clairement quelle parcelle il fallait réserver à la construction d’une école
ou d’une mosquée paralysant ainsi la totalité du projet. Qui oserait reprocher à quelqu’un de
chercher à se dispenser de telles rencontres avec le service public ou d’employer des
raccourcis s’il en a les moyens ?
Pourquoi demander une autorisation lorsque le service habilité à la délivrer n’est pas capable
de bien y répondre dans un délai raisonnable? Pourquoi déclarer son activité lorsqu’on doit
acquitter des impôts dont les barèmes sont aussi lourds? Pourquoi signer des contrats de
travail quand il est si compliqué d’y mettre un terme ? Pourquoi cotiser à des caisses de
sécurité sociale dont les prestations sont si médiocres et la gestion si mauvaise ? Pourquoi
agir dans la légalité lorsque son voisin ou son concurrent est en mesure de s’y soustraire
parce qu’il a ses entrées auprès de tel ou tel responsable public ?
stigmatiser le secteur formel et le réformer en profondeur
Au lieu de stigmatiser les agents qui préfèrent agir dans l’informel, quitte à violer les lois, il
faudrait stigmatiser le secteur formel et le réformer en profondeur. La charge de la preuve doit
être inversée. C’est aux responsables du secteur formel de prouver aux agents économiques
qu’il est plus rationnel d’agir dans la légalité.
Une preuve supplémentaire, s’il en faut, de l’inadéquation du secteur formel est le nombre
croissant de dérogations qu’il faut accorder aux résidents et investisseurs étrangers ou au
MRE (Marocains résidents à l'étranger NDR) pour les encourager à s’établir et à investir dans
le pays. Au nom de quoi est-ce qu’un salarié marocain devrait être imposé jusqu’à 38% là où
un résident étranger est soumis à 10% ? Au nom de quoi est-ce qu’un investisseur étranger
devrait bénéficier de conditions plus favorables qu’un investisseur national ? Au nom de quoi
est ce que les bénéfices réalisés dans l’agriculture devraient avoir un régime fiscal plus
favorable que ceux des services et de l’industrie ?
J’entends déjà l’objection à la réduction drastique des prélèvements obligatoires, sociaux et
fiscaux. Cela compromettrait l’équilibre des finances publiques d’un pays dont les
responsables se flattent, depuis plus de trois décennies, d’être reconnus comme de bons
élèves par les institutions financières internationales.
L’introduction du statut de l’auto-entrepreneur au Maroc est une très bonne nouvelle.
Je ne nie pas ce problème mais je dois rappeler que le programme d’ajustement structurel
accepté par le Maroc en 1983 a eu un coup très élevé. Comme ailleurs, notamment en France,
l’assainissement des finances publiques s’est traduit par l’augmentation de la pression fiscale
et sociale sur les ménages et les entreprises. En même temps, la qualité des services publics a
continué à se dégrader. Les marocains se trouvent, aujourd’hui, avec un état très coûteux,
inefficace, qu’il vaut mieux éviter.
L’introduction du statut de l’auto-entrepreneur au Maroc est une très bonne nouvelle. Je
l’interprète comme une manière de prendre acte du secteur informel et de proposer à ses
acteurs un régime formel plus attractif. Pour une fois, l’état use de la carotte et non pas du
bâton. Il faudra, cependant, rester vigilant sur les modalités de mise en œuvre du statut. Ce
serait dommage, et j’espère que mon inquiétude est injustifiée, que le dispositif soit vidé de sa
substance par des modalités pratiques contraires à son esprit.
La révolution copernicienne que je propose dans cet essai consiste à donner envie aux agents
de participer à un secteur formel modernisé et habilitant au lieu de les contraindre à se
conformer à un secteur formel archaïque et contraignant. Il est possible que les équilibres
budgétaires soient mis à mal à court terme par une réforme fiscale ambitieuse.
En attendant que la création de richesses et les revenus fiscaux soient boostés par la libération
des agents économiques, les responsables publics doivent pouvoir réduire drastiquement les
budgets alloués à des services publics qui ne produisent plus rien et convaincre les partenaires
financiers internationaux d’appuyer un nouveau ‘business plan’ de réinvention du secteur
formel marocain.
Montesquieu a écrit dans les Cahiers qu’ "une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi; mais
elle doit être loi parce qu’elle est juste". Tous ceux qui considèrent que le secteur informel est
à l’origine des maux de l’économie marocaine et que le secteur formel, dans sa forme
actuelle, est la solution feraient bien de méditer cette citation.
Hamid Bouchikhi, professeur de management et entrepreneuriat & directeur du centre
Impact Entrepreneurship, ESSEC Business School

(Les avis d'experts et points de vue sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.
Intertitres de la rédaction)
Le fantôme de l’informel hante l’économie

En cette période de vaches maigres pour le budget de l’Etat, la crise économique a tari
plusieurs sources de recettes et la recherche de « niches » pour des financements
supplétifs sans heurter les équilibres macro-économiques du pays devient une
préoccupation majeure du Gouvernement. Le secteur informel en est une. Certes, son
impact est dévastateur puisqu’il plombe la compétitivité de l’entreprise et prive l’Etat
d’innombrables ressources. Mais, appréhender cette sphère n’a pas été, jusqu’à ce jour,
une tâche facile pour le Gouvernement. C’est que nous sommes en présence d’un
phénomène complexe à multiples facettes qui impose plus que jamais des solutions
urgentes dans le cadre d’une approche globale, face à l’ampleur des économies
parallèles. dossier réalisé par A. ALAMI
L’ampleur prise par le secteur de l’informel au sein de l’économie n’est pas spécifique à
notre pays. La sphère informelle représente, en effet, une part importante dans l’économie
mondiale et particulièrement au niveau du continent Africain, Sud Américain et Asiatique. Sa
contribution au PIB se situerait, selon l’Organisation Internationale du Travail- OIT- entre
25% et 50%, en Afrique de l’Ouest et 16% à 32% en Asie. Même si c’est à un niveau
moindre, ce fléau n’épargne pas les pays développés.
Au Maroc, plusieurs études ont été menées pour cerner ce phénomène et la sonnette d’alarme
a, à plusieurs occasions, été tirée par le patronat au sujet de l’ampleur et des effets
dévastateurs de cette « économie souterraine », sans que les pouvoirs publics ne puissent en
tirer les conséquences et prendre les mesures qui s’imposent. Comment expliquer
l’impuissance ou du moins, les tolérances implicites affichées par les autorités pour intégrer le
secteur de l’informel dans les circuits officiels de l’économie ?
Si la problématique alimente les débats à l’occasion de chaque loi de finances et compte tenu
de son importance, le sujet a fait l’objet d’un panel spécial dédié à «la lutte contre la fraude et
appréhension de l’informel», la proposition générale qui est émise s’est limitée à «organiser
des Assises Nationales dédiées à ce sujet ». C’est dire la difficulté même pour les spécialistes
d’attaquer de front cette question et de s’orienter, dans leurs conclusions, vers des solutions
concrètes et planifiées.
En fait, la capacité des décideurs à concevoir et mettre en œuvre une politique globale et
concertée pour ce secteur suppose d’abord qu’ils soient correctement informés des réalités
multiformes de ce phénomène- économiques, sociologiques, etc.- et disposent de données
fiables leur facilitant la prise de décision. De nombreuses tentatives ont été menées ces
dernières années, afin de cerner cette situation dans notre pays et de nombreuses enquêtes ont
été réalisées avec plus ou moins de succès dont on peut citer particulièrement, celles initiées
par le Haut Commissariat au Plan- HCP-, le Comité National Pour la Propriété Industrielle et
Anti-Contrefaçon- CONPIAC- et la Banque Mondiale à l’occasion de la préparation de son
Mémorandum économique sur le Maroc. Mais, il faut reconnaitre la difficulté majeure
rencontrée pour appréhender le concept même et les composantes de l’informel au Maroc.
Tellement galvaudé par le patronat, où la sphère de l’informel est souvent assimilée aux
pratiques d’entreprises non déclarées ou même déclarées mais dissimulant une part de leur
chiffre d’affaires pour échapper à l’impôt ou ne déclarant pas une partie de leurs salariés pour
réduire les coûts de production, le concept couvre, en fait, plusieurs réalités dont la
compréhension, à elle seule, permet aux autorités publiques de mesurer ses impacts
économiques et sociaux et de cibler les actions à entreprendre et les gains attendus.
Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), qui a
utilisé un nouveau concept pour qualifier l’informel, celui de « l’Economie observée ». Celle-
ci se décline en quatre composantes :
– L’Economie souterraine dont les activités échappent complètement aux paiements des
impôts des charges sociales et de façon générale à la législation du travail ;
– L’Economie illégale qui recouvre toutes les activités de production qui tombent sous le
coup du code pénal (cotrebande, contrefaçon…) ;
– Les activités qui ne cherchent pas délibérément à se soustraire à la réglementation en
vigueur mais sont mal ou non enregistrées du fait de l’incapacité des pouvoirs publics à faire
appliquer la loi, attestant de leur tolérance vis-à-vis des opérations de production exercées ;
– Les activités pour usage propre dont la composante n’est pas marchande.
Le foisonnement spectaculaire des unités informelles
La première enquête nationale sur le secteur informel au Maroc a été réalisée par le HCP en
1999 ; la seconde, plus raffinée est celle de 2007 et reste une référence puisqu’elle a touché
les composantes principales de ce secteur (le secteur agricole, la production de biens pour son
propre compte et le personnel domestique employé par les ménages ont été exclus de
l’enquête.
Selon les résultats de l’enquête nationale sur le secteur informel en 2007, le nombre d’unités
de production informelles est estimé à 1,55 million d’unités, soit une création nette de
320.000 unités en l’espace de 8 ans ou l’équivalent de 40.000 unités par an. La majorité
d’entre elles exercent en milieu urbain avec une proportion de 69,8%. Selon les récentes
déclarations de la CGEM, ces chiffres gardent toujours, aujourd’hui, leur actualité.
Selon les régions, le « Grand-Casablanca » concentre 14,3% des unités de production
informelles, suivie de la région de « Marrakech-Tensift-Al Haouz » qui compte 13,5%
d’unités. (Voir Graphique 1).
Selon le secteur d’activité, le « commerce et réparation » reste le secteur de prédilection pour
ces unités avec une part de 57,4%; cette part a augmenté depuis 1999 de 4,6 points au
détriment des autres secteurs. En revanche, la part du secteur industriel a reculé de 20,9% à
17,2% cédant la deuxième position au secteur des services dont la part est restée quasi stable
(20,1%). Le secteur de « construction » a également vu sa part baisser, passant de 6,2% à
5,4% de la totalité des unités. (Voir Graphique 2).
Les 1,55 million d’unités de production informelles fournissent en 2007 un effectif global de
2.216.116 postes d’emploi contre 1.901.947 personnes en 1999, soit un taux d’accroissement
global de 16,5%. Avec un tel effectif, le secteur informel participe pour 37,3% à l’emploi non
agricole total contre 39% en 1999 et représente en 2007, 40,8% de l’emploi hors agriculture et
hors administration et collectivités locales.
L’analyse de la part de l’emploi informel dans l’emploi non agricole selon les secteurs
d’activité économiques montre que le secteur informel fournit l’essentiel des emplois dans le
« Commerce et réparation » avec un taux qui atteint 81,1%, il crée par contre 34,4% de
l’emploi dans « l’Industrie », et ne contribue qu’à hauteur de 17,0% à l’emploi dans le »
Bâtiment et travaux publics ». (Tableau 1)
Le chiffre d’affaires annuel (CA) du secteur informel est estimé à 279,9 millions de dirhams
au cours de l’exercice 2007, en hausse de 68,3% par rapport au niveau de 1999, soit un chiffre
d’affaires moyen par unité informelle de 180.559 DH.
Par secteur d’activité, 77,3% du CA du secteur informel provient des activités commerciales,
11,5 % de l’industrie, 6,8 % des services. Le secteur du BTP quant à lui participe pour 4,4%
du CA global. (
Le fléau de la contrefaçon, la filière oubliée
Il s’agit de produits dont la distribution et la production passent par des circuits illégaux.
Difficile à appréhender en raison, d’une part, de sa dimension internationale et d’autre part, de
la nature même de l’activité informelle et souterraine, le phénomène de la contrefaçon
connait, aujourd’hui une ampleur de plus en plus grandissante au point de constituer une
préoccupation majeure des entrepreneurs et des pouvoirs publics.
Pour essayer de le cerner, le Comité National pour la Propriété Industrielle et anti-
Contrefaçon- CONPIAC- a initié une étude, en 2011, dans le but d’un diagnostic global, de
mesurer l’impact global de la contrefaçon et de formuler des recommandations pour renforcer
les dispositifs de protection en vigueur.
L’étude, qui a abouti en 2013, a débouché sur des constats ahurissants : la contrefaçon, sur le
marché Marocain est estimée entre 6 et 12 MMDHS pour les cinq secteurs les plus touchés
par ce fléau: le textile, le cuir, le secteur électrique, les pièces de rechange automobile et
cosmétique.
Par ailleurs, ce secteur occasionne une perte fiscale pour l’Etat, de près de 1 MMDHS et
environ 30 000 emplois détruits ou informels.
Selon le CONPIAC, « les marchés informels de production et de distribution contribuent au
même titre que les importations de produits contrefaisants à alimenter le marché intérieur en
produits contrefaisants ».
L’approche à adopter, le grand brouillard
A travers les chiffres énoncés précédemment, l’informel est non seulement un phénomène
économique, mais aussi social ou sociétal. S’attaquer de façon frontale au problème suppose
une action sur ces deux aspects.
S’il faut prendre en compte le fait que le secteur informel, de par le nombre d’emplois qu’il
génère peut être un substitut au manque d’offre de travail en faisant vivre des familles issues
des classes défavorisées, il n’en demeure pas moins que cette population travaille dans des
conditions inhumaines ( plafond horaire dépassant les 45 sinon 50 heures par semaine,
salaires de misère en deçà du SMIG réglementaire, absence de couverture sociale pour les
travailleurs, absence des conditions d’hygiène et de sécurité dans le travail). A cela il faut
ajouter, comme on la signalé, que l’informel coûte cher à l’Etat et à l’économie.
Intégrer la sphère informelle suppose un grand courage politique. Réduire l’informel à zéro
serait une illusion ; mais réduire son ampleur en agissant sur les causes favorisant ce
phénomène, cibler le « gros business » réalisé en noir et mettre en place les mesures
d’accompagnement nécessaires est une approche qui nous parait réaliste et faisable. Plus que
jamais, il faut agir pour assainir un environnement malsain dans lequel évolue l’entreprise
marocaine pour améliorer sa compétitivité.
Certes, une prise de conscience des pouvoirs pouvoirs publics commence à se faire sentir face
aux effets dévastateurs de l’informel. Ainsi, le gouvernement a aménagé un régime fiscal
exceptionnel pour les petites entreprises dont le CA (hors taxes) est inférieur à 2 millions de
DH en les soumettant à un taux réduit de l’IS de 15%. De l’avis de plusieurs observateurs (le
même constat fut relevé à l’occasion des Assises fiscales d’Avril 2013), les mesures
incitatives mises en place n’ont eu que des effets limités. Selon un opérateur dans le secteur
du textile (voir interview ci-contre), les ajustements fiscaux devraient toucher non seulement
l’IS, mais aussi la cotisation minimale et la TVA pour favoriser l’intégration des TPE dans
l’économie formelle et encourager la création de nouveaux emplois non précaires.
S’agissant de la contrefaçon, et devant l’ampleur du phénomène en l’absence, aujourd’hui,
d’une protection légale efficace de la propriété industrielle, plusieurs recommandations de
l’étude du CONPIAC doivent être mises en œuvre, dont notamment :
– Amendement de la loi 17-97 relative à la protection de la propriété intellectuelle en mettant
en place un système de validation des brevets d’invention, en réformant le système national
des dessins ou modèles industriels et en renforçant les mesures aux frontières ;
– Renforcement des peines d’emprisonnement et des amendes, car le dispositif actuel n’est
pas assez dissuasif avec la possibilité pour la personne lésée de choisir entre l’action civile et
pénale sans aucune restriction ;
– Modernisation de la procédure de dépôt des demandes de titres de propriété industrielle.
De même que des efforts doivent être accomplis en renforçant les moyens humains et
techniques des services de contrôle, en augmentant les sanctions fiscales afin de les rendre
plus dissuasives et en partageant les bases de données entre les différentes administrations et
autorités concernées: impôts, douanes, Office des Changes, CNSS, services d’eau et
d’électricité ; car c’est ce genre de recoupements qui permet de détecter les sites et l’ampleur
de la production et la distribution de l’informel. Il faudrait également opérer un ciblage des
contrôles sur les circuits de distribution qui sont considérés comme la principale source de
l’informel. Enfin, dans le cadre d’une approche globale visant à intégrer la sphère informelle
dans l’économie nationale, il faut, à notre sens agir, aussi, sur les déterminants des services
informels. Il s’agit là d’un enjeu de taille.
Car, il faut comprendre que l’économie informelle est une réponse aux phénomènes
d’exclusion économique et sociale et permet à des couches de la population de vivre ou de
survivre en cherchant des activités ou de l’emploi dans des secteurs où elles se sentent
marginalisées ou exclues. Pour ce faire, il faudra réorienter et adapter la conception et de la
prestation de la formation et de l’assistance aux entreprises vers les besoins particuliers des
jeunes travailleurs du secteur informel en offrant des interventions plus pratiques qui
permettront de combiner l’apprentissage avec les activités génératrices de revenus et de
fournir une assistance au-delà de la phase de démarrage des micro-entreprises par les jeunes.

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