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Lebois André. Les Poèmes de Milosz (Pour le 20e anniversaire de sa mort). In: Littératures 7, février 1959. pp. 11-46;
doi : https://doi.org/10.3406/litts.1959.965
https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1959_num_7_1_965
(2) Et aussi chez Mickiewicz qui présente ainsi le bouleau : « Comme une
paysanne qui vient de perdre son fils, ou comme Une veuve qui pleure son
époux, il se tord les bras et laisse tomber jusqu'à terre, par-dessus ses épaules,
les ruisseaux de ses tresses. » (Part Tadeusz, 1. III.)
(3) Le Pays du Chevalier Blanc (Spes, 1930). Voir aussi : Son* le Ciel pâle
de Lithuanie (Pion) et La fille du Haff (La vraie France). Et. de Jeanne- Yves
Blanc : Images de Lithuanie (Ohanth, 1938), préface de Milosz.
ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE TOULOUSE
« bons frérots les poissons », et, ondine pêchée, fût devenue la bru
de bons riverains du haff ? La malice de cette autre, perfidement
chargée de rapporter de l'herbe d'hiver et de la neige d'été : elle
esquive la correction grâce à un rameau de pin et une poignée
d'écume de mer ? La colère du père qui veut habiller de bois le
marieur indigne : il l'a trompé sur la fortune du futur :
Coudrier pour la veste,
Sapin pour le gilet,
Bouleau pour le collet,
Et chêne pour le reste...
Ou la douleur du fils au retour de la guerre, qui trouve la maison
vide : le bouleau et le saule ont fait la croix et les planches ? Chers
daïnos, — une dizaine parmi deux millions : ils éveillaient le rire
en pleurs d'une seselé, d'une petite sœur de là-bas, sur une heure
d'exil et de dangers dans l'Orient froid.
A la Lithuanie, Milosz aura consacré une part de son activité et
deux volumes de contes, où elle apparaît sous ses multiples aspects :
pays rieur et familier, de la girolle aux teintes vives, de la soupe
aux choux froide, du samovar, du vieil hydromel de tilleul et des
petits pâtés de lièvre, présent inséparable de toute visite faite à des
parents; pays de vénérables dieux, où Jupiter se nommait Perkunas
et le diable: l'Allemand (Maître Vokiétuks) ; où les corbeaux et
les Coucous de la Coucoulerie ont leur généalogie; où sorcières et
reine des serpents vivent à tu et à toi avec le menu peuple; pays
mélancolique, où le lin, hersé, grelottant, arraché, roui, cardé, conte
ses souffrances ; où la maman Eglé, le funèbre sapin, fut contrainte
de punir sa fille, la pusillanime Drébulé, incapable de garder un
secret sous la torture :
« Aujourd'hui encore, malgré tant et tant de millénaires écoulés,
Azuolas-Chêne, Uosis-Frêne et Berzas-Bouleau sont les arbres les plus
puissants, les plus généreux et les plus loyaux de la terre; et Drébulé-
Tremble tremble au moindre vent; que la plus douce brise se lève, voyez,
elle tremble, hélas, elle tremble et tremble et tremble. »
Lithuanie de l'abeille Bité, dont on retrouve la présence en
Egypte pharaonique, Lithuanie du svastika et du lotus. Berceau, qui
sait ? de la race indo-européenne. Très vite, Milosz se fera de son
pays une conception mystique, comme il adopte, à propos d'Eglé,
de ses fils et de sa fille, la théorie de l'origine animale des végétaux.
Nerval seul eut jamais pensée aussi prompte aux coups d'aile, aussi
apte à coudre, comme l'hirondelle, ensemble des pans de brises qui
se croyaient indépendants, surpris de se voir réunis :
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« C'était une de ces nuits comme il n'en éclôt qu'au ciel de la Lithuanie,
pur et pieux berceau des mythes orphiques transplantés, dans la profon¬
deur des âges, en Thrace, en Crète et à Délos. La neige des clochers de
cent églises scintillait dans ce formidable et muet carillon de soleils et de
nébuleuses, où cela qui n'était pas encore l'appel articulé de Delphes et
d'Eleusis se mariait à la maturité sereine et impérissable du Verbe chré¬
tien, de la» puissante voix de l'accomplissement suprême, irrésistible,
universel.
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(4) « Son Trix-Trix me fait songer, bien qu'il n'y ait aucun rapport, à la
Soirée avec M. Teste, une des choses les plus poignantes que j'aie lues, à la
réflexion » (Jacques Rivière à Alain-Fournier, Correspondance, t. 2, p. 382).
(5) La couverture de l'édition Fourcade des Poèmes de Milosz signale
pourtant une conférence d'Apollinaire au Salon des Poètes en 1906 sur Décadences
et Solitudes.
(6) Est-ce un trait de race ? Mickiewicz le prête à son Comte, dans Pan
fadeusz : tenté par le suicide, « il s'arrêta au bord de l'étang marécageux; son
regard plongea dans la boue verdâtre; sa poitrine aspira avec délice l'odeur
de la vase et sa bouche s'ouvrit pour la humer. Car le suicide a les raffinements
de la débauche » Givre VIII).
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(10) André Salmon affirme avoir pensé à Milosz en écrivant Byron chez
Loyola. On ne le devinerait pas s'il ne l'avait pas dit. Le poème n'ajoute rien
à la gloire de Milosz, ni de Salmon, Il se trouve dans Vénus dans la Balance
(4 Chemins, 1926) et dans l'anthologie Berger (Seghers, 1956, p. 167).
(11) Qu'il transmit à P.-J. Toulet. Béhanzigue parle d'une Parisienne au
deuil « si juste que la robe emplumée de la reine Karomama n'en trahissait pas
plus que le fourreau de Loetitia ».
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Et une voix qui. venait de son cur lui dit : « C'est le troisième
jour »; et le poète ressuscita d'entre les morts pour conquérir
définitivement « l'archipel séduisant et l'île du Milieu » où l'attendait
sa dormeuse de Memphis.
Nihumim parut aussi en 1915, à la suite des Symphonies. Ce
vocable de la consolation donne le ton d'un bilan viril, d'une apologie
de l'énergie. C'est le poème le plus tonique de Milosz. II fait le point.
Il juge la vie et la Création à l'heure de la sage quarantième année.
Il apporte plus qu'une haute leçon, une véritable loi morale.
Le poète blessé s'est ressaisi. Il triomphe de ses doutes et de sa
plaie même. Tous les problèmes humains sont résolus par une
sensibilité éclairée, qui sait, et renonce à toute révolte. II a fallu
quarante ans pour pénétrer le secret du corps : il est élémentaire :
cette errante poussière durera autant que les autres éléments ; il ne
passera pas avant l'arrêt du mouvement de l'univers :
Rien ne saurait te séparer de ta mère la terre,
De ton ami le vent, de ton épouse la lumière.
Tant que durera la quête d'amour, la soif et la faim que midi
rassasie, la prière du loriot, la joie du myrtil noir sous la goutte
de pluie, tant que durera la vie, « ô mon corps, tu vivras pour aimer
et souffrir ». Telle est la Loi.
Quarante ans pour aimer la noblesse de l'Action. Im Anfang war
die Tat : le message de Faust rejoint, une fois de plus, celui de
Hoelderlin : « Je voudrais pouvoir crier à Adamas, dit Hypé-
rion -r-: reviens ! construis ton monde avec nous ! Car notre monde
à nous est aussi le tien. Et le tien aussi, Diotima chérie... Ali ! que ne
pouvons-nous accomplir une uvre qui ait ta sérénité éîyséenne ! »
Baue deine Welt ! Milosz connaît aussi « la fureur de bâtir », la
hantise de la Grùndung. Der Archipelagus décrivait la fondation
de la cité : « ein herrlich Gébild, dem Gestirn gleich, sichergegriïn-
det » ; et Milosz :
Moi aussi, moi aussi, je ferai la maison
Large, puissante et calme comme une femme assise
Dans un cercle d'enfants sous le pommier en fleurs... (12)
André Lebois.