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De la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution aux pertes

By Aurélien Bamdé
In Droit commercial, Droit des sociétés
 
Posted Fév 28, 2016
Bien que subtile en apparence, la distinction entre l’obligation à la dette et la
contribution aux pertes constitue la principale ligne de démarcation entre les
les sociétés à risque illimité (SNC, Société civile) et les sociétés à risque
limité (SARL, SA, SAS).
Tandis que dans les premières, les associés sont tenus à l’obligation à la dette,
sans possibilités pour eux de s’y soustraire ‒ à tout le moins à l’égard des tiers ‒
dans les secondes cette obligation n’échoit pas aux associés. Ces derniers sont
seulement tenus de contribuer aux pertes.
Ainsi, pour résumer :

 Dans les sociétés à risque illimité les associés sont tenus à l’obligation à la
dette
 Dans les sociétés à risque limité, les associés ne sont pas tenus à
l’obligation à la dette
 Dans les deux formes de sociétés, les associés sont tenus de contribuer
aux pertes
Afin de mieux cerner cette distinction entre l’obligation à la dette et la
contribution aux pertes, envisageons chacune de ces obligations prises
séparément.
I) L’obligation à la dette
A) Contenu du principe
L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des créanciers
sociaux, au cours de la vie sociale, quant aux créances qu’ils détiennent à
l’encontre de la société.
L’obligation à la dette sociale fait donc naître une créance au profit des tiers
contre la société.
Les règles relatives à l’obligation à la dette régissent les rapports entre les
créanciers de la société et les associés.
La mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers est néanmoins
conditionnée par le respect du principe de subsidiarité.
Autrement dit, les créanciers sociaux doivent, d’abord, solliciter le paiement de
leur créance auprès de la société, après quoi seulement, en cas d’échec de leurs
poursuites, ils sont fondés à diligenter une action en recouvrement contre les
associés.
Ainsi, l’obligation aux dettes sociales ne joue que dans les sociétés à
responsabilité illimitée.
Et pour cause, dans les sociétés à risque limité, la société forme un écran
parfaitement étanche entre les associés et les créanciers sociaux.
Tel n’est pas le cas pour les sociétés à risque illimité dans lesquelles les associés
sont tenus à l’obligation à la dette.
Une distinction doit néanmoins être opérée entre les sociétés civiles et les
sociétés commerciales :

 Dans les sociétés civiles, conformément à l’article 1856 du Code civil,


l’obligation à la dette est indéfinie. Il en résulte que les créanciers sociaux
doivent diviser leurs poursuites en autant d’actions qu’il y a d’associés.
o Cela signifie qu’ils sont tenus de réclamer à chaque associé le
paiement de sa part dans la dette sociale à proportion de son apport; étant
précisé que la contribution de chaque associé peut aller au-delà de son
apport initial.
 Dans les sociétés commerciales, l’obligation à la dette est indéfinie
et solidaire (art. L. 221-1 pour les SNC).
o En d’autres termes, un créancier peut poursuivre un associé en
paiement de la dette sociale pour le tout, à charge pour lui d’exercer un
recours subrogatoire contre la société ‒ qui la plupart du temps sera vain ‒ ou
de se retourner contre ses co-associés.
o Comme dans les sociétés civiles, l’obligation à la dette à laquelle
sont tenus les associés est susceptible d’excéder le montant de leur apport
initial.
B) Champ d’application
Deux questions se posent :

 Quels sont les créanciers poursuivants ?


 Quels sont les associés poursuivis ?
1) Les créanciers poursuivants
Tous les créanciers sociaux sont-ils susceptibles d’exercer des poursuites à
l’encontre des associés de la société au titre de l’obligation à la dette ?
La question s’est notamment posée de savoir si l’associé qui a consenti une
avance en compte courant à la société était fondé à agir en paiement contre ses
co-associés sur le fondement de l’obligation à la dette.
À cette question, la chambre commerciale de la Cour de cassation a répondu par
la négative dans un arrêt du 3 mai 2012 (Cass. Com. 3 mai 2012, n° 11-14.844,
D. 2012. 1264, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2012. 575, obs. M.-H. Monsèrié-
BonDocument InterRevues ; Dr. sociétés juill. 2012, n° 119 ; JCP E 2012. 1437,
note A. Couret et B. Dondero.)
Le doute était pourtant permis, dans la mesure où l’associé, apporteur en compte
courant, est considéré, d’ordinaire, comme un créancier de la société (Cass. req.,
21 juill. 1879; Cass. com., 18 nov. 1986, n° 84-13.750).
Partant, si l’associé qui consent des avances en compte courant à la société
s’apparente à un créancier de la société, on pouvait légitimement s’attendre à ce
qu’il soit fondé à agir, au même titre que les autres créanciers sociaux, contre ses
co-associés sur le fondement de l’obligation à la dette.
Tel n’est pas ce qui a été décidé par la Cour de cassation.
Sur quel fondement juridique la Cour de cassation s’appuie-t-elle pour retenir
cette solution ?
Manifestement, le Code civil ne semble opérer aucune distinction entre les
créanciers sociaux :
 L’article 1858 prévoit que :
o « Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes
sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement
poursuivi la personne morale»
o Ce texte vise « les créanciers » sans autre précision
 Quant à l’article 1857, il fait référence, non pas « aux créanciers» de la
société, mais aux tiers :
o « À l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des
dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de
l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements.»
À la vérité, ce n’est donc qu’en combinant les 1857 et 1858 du Code civil qu’il
semble falloir interpréter la position de la Cour de cassation.
Pour la Cour de cassation

 Les tiers visés à l’article 1857 peuvent tous être qualifié de créancier
 Les créanciers de l’article 1858 ne seraient pas tous des tiers
La Cour pose ainsi, par une interprétation combinée des textes en présence, une
double condition quant à la mise en œuvre de l’obligation aux dettes sociales des
associés.
Pour être fondé à agir contre les associés d’une société sur le fondement de
l’obligation à la dette il faut :

 Être créancier de la société


 Être tiers de la société
Il en résulte que, l’associé, qui cumule sur une seule tête cette qualité avec celle
de prêteur, l’empêche de recevoir la qualification de tiers au sens de l’article
1857 du Code civil.
Aussi, cette qualité d’associé est-elle de nature à faire obstacle à l’exercice d’un
recours contre ses coassociés au titre de l’obligation aux dettes.
2) Les associés poursuivis
En principe, l’obligation à la dette est attachée de plein droit à la qualité
d’associé.
Ainsi, lorsque les formalités de publicité auront régulièrement été effectuées, un
associé ne sera jamais tenu à l’obligation à la dette pour le passif social contracté
postérieurement à son retrait de la société, sauf à ce qu’il ait consenti, dans le
contrat de cession, une clause de garantie de passif au cessionnaire.
S’agissant, en revanche, des dettes contractées avant le retrait d’un associé, il
faut distinguer selon qu’il s’agit d’un associé en nom collectif ou de l’associé
d’une société civile
En matière de société en nom collectif, l’associé qui se retire est tenu du passif
contracté antérieurement à son départ.
Quant au nouvel associé, l’obligation à la dette à laquelle il est tenu s’étend à
toutes les dettes contractées par la société, qu’elles soient nées antérieurement
ou postérieurement à son arrivée.
En matière de société civile, l’article 1857 du Code civil prévoit que :
« À l’égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à
proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au
jour de la cessation des paiements. »
Dans l’hypothèse où l’arrivée d’un associé dans une société civile interviendrait
entre la date de cession des paiements et la date d’exigibilité, la Cour de
cassation prend en compte la date d’exigibilité de la dette (Cass. com., 13 avr.
2010, n° 07-17.912: JurisData n° 2010-003929 ; Dr. sociétés 2010, comm. 136,
note H. Hovasse)
C) Nature de l’obligation à la dette
 La question de la nature de l’obligation à la dette revient à s’interroger sur la
qualité des associés dans les sociétés à risque illimité.
Doivent-ils être considérés comme des garants ? Comme des coobligés ? Ou
plus simplement comme des débiteurs subsidiaires ?
1) L’associé d’une société à risque illimité peut-il être qualifié de garant ?
Dans un arrêt du 17 janvier 2006, la Cour de cassation rejette la qualification de
garant pour l’associé d’une SNC (Cass. 1re civ., 17 janv. 2006, n° 02-16595 :
Bull. civ. 2006, I, n° 15, p. 15 ; D. 2007, p. 273, obs. J.-C. Hallouin et E.
Lamazerolles ; Dr. soc. 2006, comm. 37, obs. F.-X. Lucas ; RLDC 2006/25, n°
1029, 1re esp., obs. G. Marraud des Grottes ; Banque et Droit mars-avr. 2006,
p. 63, 1re esp., obs. F. Jacob ; JCP G 2006, I, 131, n° 2, obs. Ph. Simler).
Dans l’arrêt en l’espèce, l’enjeu portait sur la question de savoir si l’associé
d’une SNC pouvait opposer aux créanciers sociaux l’application de l’article
1415 du Code civil.
Pour mémoire, cette disposition relève du régime juridique applicable aux époux
mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts :
Elle prévoit que :
« Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par
un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés
avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas
ses biens propres. »
L’article 1415 du Code civil pose ainsi une exception au principe.
L’article 1413 du code civil dispose en effet que :
« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce
soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens
communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du
créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. »
Dans l’arrêt du 17 janvier 2006, il ressort des faits que les biens que le créancier
social envisageait de saisir étaient des biens communs.
Si, dès lors, on considérait, comme le soutenait le pourvoi, que l’obligation à la
dette à laquelle est tenu l’époux en sa qualité d’associé d’une société à risque
illimité s’apparentait à la souscription d’une garantie, alors l’application de
l’article 1415 du Code civil devait conduire à exclure les biens, objet de la
saisie, du gage des créanciers sociaux.
Pour la Cour de cassation, l’article 1415 du Code civil n’était pas applicable en
l’espèce, dans la mesure où l’associé de la SNC ne pouvait pas se prévaloir de la
qualité de garant.
Un auteur justifie cette solution en arguant que « s’il est vrai que le contrat de
société à risque illimité a en commun avec le cautionnement de donner,
éventuellement, naissance à une obligation de payer la dette d’autrui, en
revanche, il s’en distingue fondamentalement par son effet spéculatif résultant
d’une recherche directe, par la mise en commun de biens ou d’industrie, d’un
bénéfice ou d’une économie qui profitera à la communauté et qui justifie que
cette dernière en supporte les risques » (F. Bicheron, « L’obligation aux dettes
sociales de l’associé d’une société à risque illimité et l’article 1415 du code
civil », D., 2006, 2660).
Aussi, cette différence fondamentale qui existe entre le contrat de société et le
contrat de cautionnement expliquerait-elle pourquoi dans le premier la
communauté doive répondre des dettes nées de ce contrat et que, pour le second,
elle échappe au droit de gage général du créancier bénéficiaire de la garantie.
2) L’associé d’une société à risque illimité peut-il être qualifié de coobligé  ?
 À cette question, la Cour de cassation répond, là encore, par la négative dans un
arrêt du 20 mars 2012 (Cass. com., 20 mars 2012, n° 10-27.340 : JurisData n°
2012-005051 ; Dr. sociétés 2012, comm. 102, note M. Roussille ; Bull. civ.
2012, IV, n° 61 ; D. 2012, p. 874, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2012, p. 577,
note Dexant-de Bailliencourt ; Bull. Joly 2012, p. 388, note J.-F. Barbièri).
Il était question dans cet arrêt de savoir si le créancier muni d’un titre exécutoire
contre une société à risque illimité était fondé à agir, en cas d’échec de son
action, contre les associés au titre de l’obligation à la dette.
La chambre commerciale condamne le raisonnement tenu par les juges du fond
qui avait jugé recevable les poursuites diligentées par le créancier social contre
les associés sur le fondement du titre exécutoire qu’il détenait contre la société.
Pour la Cour de cassation la solution retenue par les juges du fond revenait à
inverser la charge de la preuve.
Pour rappel, l’article 1315 al. 1 du Code civil prévoit que c’est à celui qui
réclame l’exécution d’une obligation de la prouver.
Autrement dit, il appartenait au prétendu créancier de la société d’établir
l’existence de la dette sociale.
Or, faute de preuve de celle-ci, les associés en nom collectif ne sauraient être
tenus en vertu de l’article L. 221-1 du code de commerce.
Pour la Cour de cassation la preuve du caractère social de la créance invoquée
ne saurait résulter « du seul titre exécutoire obtenu contre la société », du
moment que ce dernier ne vise que la personne morale, non ses associés.
Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que le titre exécutoire n’est émis que
contre la société, il ne vaut pas contre les associés.
Cela s’explique par le fait que les associés ne sont pas les coobligés de la
société.
Le principe de subsidiarité qui s’impose aux créanciers sociaux fait obstacle à
cette qualification.
Il découle, en effet, de ce principe que les associés et la société ne sont pas tenus
à la dette sociale sur le même plan.
S’ils étaient coobligés, alors le titre exécutoire détenu par un créancier social lui
permettrait d’agir indistinctement contre la société et les associés.
Tel n’est pas le cas nous dit la Cour de cassation. Pour que le titre exécutoire
puisse fonder une exécution forcée contre les associés, cela suppose pour le
créancier de prouver le caractère sociale de la créance qu’il invoque.
Or en l’espèce, la Cour d’appel a déduit le caractère social de la créance du seul
titre exécutoire.
D’où l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle les juges du fond ont
inversé la charge de la preuve.
Au total, il apparaît que l’associé d’une société à risque illimité, n’est ni garant
de la société, ni coobligé, il est ce que l’on appelle un débiteur subsidiaire.
3) L’associé d’une société à risque illimité s’apparente à un débiteur
subsidiaire
Pour poursuivre les associés d’une société à risque illimité au titre de leur
obligation à la dette, les créanciers sociaux doivent respecter le principe de
subsidiarité.
Ainsi, l’article L. 221-1 al. 2 du Code de commerce prévoit que :
« les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes
sociales contre un associé, qu’après avoir vainement mis en demeure la société
par acte extrajudiciaire. »
Pour les sociétés civiles, le principe est énoncé à l’article 1858 du Code civil qui
dispose que :
« les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un
associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne
morale ».
Le respect du principe de subsidiarité subordonne ainsi les poursuites diligentées
contre les associés d’une société à risque illimité à l’engagement, au préalable
de poursuites contre la société
Ce n’est pas parce qu’un exercice social fait apparaître des pertes que
l’obligation à la dette à laquelle sont tenus les associés doive immédiatement
être mise en œuvre.
L’admission de pareille solution reviendrait à augmenter les engagements des
associés sans leur consentement. Or cela est prohibé à l’article 18.36 al. 2 du
Code civil.
En réalité, l’obligation au passif social ne deviendra effective que lorsque la
société ne pourra plus, par ses propres ressources, faire face à ses créanciers,
soit, pratiquement, au moment de la liquidation.
S’agissant des modalités de mise en œuvre du principe de subsidiarité une
distinction doit être opérée entre les sociétés en nom collectif et les sociétés
civiles
Dans les sociétés en nom collectif les créanciers sociaux ne peuvent poursuivre
les associés qu’après avoir mis en demeure la société elle-même de payer.
Cette mise en demeure doit s’effectuer par acte extrajudiciaire.
Un peu d’histoire :
Historiquement, toutes les mises en demeure devraient être effectuées par acte
extrajudiciaire, quelle que soit la matière concernée
En cela, l’article L. 221-1 du Code de commerce ne constituait à l’époque
qu’une répétition du droit commun.
Puis, adoption de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles
d’exécution qui a assoupli le formalisme de la mise en demeure
On a décidé que, dorénavant, une mise en demeure pourrait être faite par une
sommation de payer ou par tout autre acte équivalent, telle une « lettre missive »
On retrouve cette solution à l’article 1139 du Code civil :
« Le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre
acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu’il ressort de ses termes une
interpellation suffisante soit par l’effet de la convention, lorsqu’elle porte que,
sans qu’il soit besoin d’acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera
en demeure. »
Il s’agit ainsi du droit commun de la mise en demeure dans la mesure où il
figure dans le Code civil et que c’est l’un des rares articles de la loi de 1991 à
avoir été codifié.
Quid du sort de l’article L. 221-1 du Code de commerce qui exigeait une
mise en demeure par acte extrajudiciaire ?
Il n’a pas été modifié et continue d’exiger un acte extrajudiciaire de sorte qu’il
constitue une exception au droit commun.
Qu’est-ce, concrètement, qu’un acte extrajudiciaire ?
Dans le sens commun c’est un acte accompli en dehors d’une procédure ou
d’une instance judiciaire. Toutefois, ce n’est pas sens juridique
Dans le sens juridique, c’est un acte accompli par un huissier assermenté. L’acte
extrajudiciaire est signifié par exploit d’huissier. C’est-à-dire par remise en
personne au débiteur par l’huissier à son domicile ou dans son étude
Pourquoi exiger un acte extrajudiciaire ?
Difficile à justifier.
On peut se demander si cela ne serait pas une compensation accordée aux
huissiers en contrepartie de la réforme entreprise par la loi de 1991 qui a porté
un coup à leur monopole en réduisant significativement le domaine des actes
extrajudiciaire !
Dans les sociétés civiles la situation est plus délicate pour les créanciers sociaux
L’article 1858 prévoit que « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement
des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement
poursuivi la personne morale »
Ainsi, deux conditions doivent être remplies pour que les associés puissent être
mis en cause

 Le créancier doit avoir d’abord poursuivi la société


o il faut entendre par là que le créancier, s’il n’a pu obtenir
satisfaction par les moyens classiques de la mise en demeure, qui constituent
un avertissement, doit avoir tenté une action judiciaire contre la société.
o Cette démarche aura permis à celle-ci, le cas échéant, de contester
le montant de la dette et son caractère social
o Cela signifie également que l’inefficacité des poursuites contre la
société doit, à peine d’irrecevabilité de l’action en paiement, être constatée
préalablement à l’engagement des poursuites contre les associés
 

 Le résultat de ces poursuites doit avoir été vain


o Cela signifie qu’il faut que le caractère infructueux des diligences
du créancier résulte “non de leur inefficacité ou de leur inutilité intrinsèque,
mais de l’insuffisance, révélée par elles, du patrimoine social
o Ainsi il ne suffit pas que les mesures d’exécutions soient
infructueuses, il est nécessaire qu’elles révèlent l’insuffisance de l’actif social
pour désintéresser le créancier poursuivant (V. en ce sens Civ. 3ème, 23 avr.
1992, JurisData n° 1992-001195 ; Rev. sociétés 1992, p. 763, note B.
Saintourens ; RTD com. 1993, p. 332, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; Dr.
sociétés 1992, n° 175, note Th. Bonneau.)
II) La contribution aux pertes
L’obligation de contribution aux pertes qui échoit à chaque associé est posée à
l’article 1832 du Code civil qui prévoit que « la société est instituée par deux ou
plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise
commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de
profiter de l’économie qui pourra en résulter ».
Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.
L’obligation de contribution aux pertes, pèse sur tous les associés quelle que soit
la forme de la société.
À quel moment les associés sont-ils tenus de contribuer aux pertes de la
société ?
Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours
de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire,
qu’au moment de la liquidation de la société.
En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de
contribuer aux pertes de la société.
Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.
Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de
couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de
contribution aux pertes sera mise en œuvre.
Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de
supporter la charge de ces pertes.
Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?
 Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne
peut excéder le montant des apports
 Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes
ne connaît aucune limite. La responsabilité des associés peut-être recherchée au-
delà de ses apports
En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes
proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.
Toutefois, conformément à l’article 1844-1 du Code civil, une répartition
inégalitaire est permise, à condition qu’elle ne présente pas de caractère léonin.
Pour mémoire, sont prohibées les clauses :
 soit qui excluraient totalement du profit ou des pertes un associé
 soit qui mettraient à la charge de l’un d’eux la totalité des pertes
Il résulte du principe posé à l’article 1832 du Code civil qu’un associé qui aurait
payé plus que sa part, dispose d’un recours contre ses coassociés.
C’est la raison pour laquelle on enseigne traditionnellement que la contribution
aux pertes intéresse les rapports entre associés.
Bien que cette affirmation ne souffre d’aucune contestation possible, elle est
néanmoins incomplète.
Un arrêt rendu en date du 20 septembre 2011 par la chambre commerciale est,
en effet, venu rappeler que la question de la contribution aux pertes intéressait
également les rapports entre la société et les associés (Cass. com., 20 sept.
2011, n° 10-24.888 : JurisData n° 2011-019356 ; JCP E 2011, 1804, note. R.
Mortier ; Dr. sociétés 2011, comm. 12, obs. H. Hovasse ; Bull. Joly Sociétés
2011, p. 902, obs. F.-X. Lucas ; D. 2011, p. 2970, obs. A. Lienhard ; LEDEN
2011-9 p. 5, obs. N. Borga).
La Cour de cassation reconnaît, dans cette décision, compétence au liquidateur
d’une société pour exiger des associés leur contribution personnelle au
comblement du passif social.
De prime abord, on pourrait être tenté d’approuver le raisonnement de la Cour
d’appel qui avait estimé que « ‘article 1832 du Code civil ne vise que la
contribution aux pertes, laquelle joue exclusivement dans les rapports internes à
la société et est étrangère à l’obligation de payer les dettes et ne peut servir de
fondement à l’action en recouvrement du passif social par le liquidateur
judiciaire à l’encontre des associés ».
Toutefois, comme le relève très justement la Cour de cassation, afin de fixer la
part de chaque associé dans la contribution aux pertes, cela suppose pour le
liquidateur de prendre en compte « outre du montant de leurs apports, celui du
passif social et du produit de la réalisation des actifs ».
Certes, en agissant contre les associés en comblement du passif social, l’action
diligentée par le liquidateur sur le fondement de la contribution aux pertes se
chevauche avec les poursuites exercées au titre de l’obligation à la dette.
Toutefois, le liquidateur agit en qualité, non pas de représentant des créanciers,
mais d’organe de la société en liquidation.
Lorsque le passif social est supérieur à l’actif de la société, cette dernière est
titulaire d’une créance qu’elle détient à l’encontre de chaque associé.
Aussi, la mise en œuvre de l’obligation de contribution aux pertes suppose que
le liquidateur ait compétence pour agir contre les associés en comblement du
passif social
Dans cette configuration-là, la contribution aux pertes ne concerne donc pas
seulement les rapports entre associés, elle intéresse également les rapports
entre les associés et la société.

 
 

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