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12.

2 Canaux de transmission de la politique monétaire


Il s’agit d’une section tout à fait importante dans le cadre de la compréhension de la
réalisation du dispositif monétaire. Cependant, comme le reconnaît la BCE dans son rapport
sur la politique monétaire, ce processus de transmission de la politique monétaire est
complexe et, même s'il est connu dans ses grandes lignes, il n'existe pas de conception unique
et incontestée de tous les aspects concernés.

12.2.1 Enjeux et canaux


Le schéma de base : instrument(s) objectif(s) intermédiaire(s) / cible(s) ou pilier(s)
objectif(s) final(s), ne peut se réaliser sans l’existence de canaux de transmission représentés
par les flèches. Ils constituent des liens spécifiques par lesquels les impulsions de la politique
monétaire se répercutent sur l’activité économique et, plus particulièrement, sur le niveau des
prix. Comment les modifications de taux d’intérêt directeurs décidées par les autorités
monétaires affectent-elles l’ensemble du secteur financier et du secteur réel de l’économie ?
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que les banques centrales essayent de percevoir au
mieux l’environnement, c’est-à-dire tous les signes annonçant l’émergence de tensions à
venir, afin de prendre des mesures avant la survenance de ces tensions dans l’économie. Mais
elles savent qu’il faut un certain délai avant que les effets des actions monétaires ne se fassent
ressentir. Les banques centrales s’interrogent par conséquent sur les délais de réaction mais
aussi sur leur ampleur. L’ajustement de l’économie ne s’effectue pas de manière instantanée.
D’un point de vue théorique, il s’agit de s’interroger sur l’intégration de la monnaie1. Pour
les monétaristes, l’action des autorités monétaires modifie les prix relatifs (actifs monétaires,
financiers et réels) ensuite la consommation et l’investissement. Nous sommes dans le cadre
des relations réelles de court terme avec transmission par les prix. A long terme, la politique
monétaire n’a aucune influence sur l’activité réelle. Les prix relatifs des actifs diffusent les
actions des autorités. Le modèle IS/LM de base développe une transmission par le taux
d’intérêt réel. La courbe décroissante IS décrit l’équilibre sur le marché des biens, avec le
couple production - taux d’intérêt tandis que la courbe croissante LM, l’équilibre sur le
marché de la monnaie. L’équilibre macroéconomique est donné par le couple production et
taux d’intérêt assurant simultanément l’équilibre sur les deux marchés. La transmission de la
politique monétaire va donc passer par le taux. C’est pourquoi nous utilisons le terme de canal
de la monnaie ou monétaire (« money view »). Le mécanisme retenu se traduit par des

1
Cf. le chapitre 2 sur les fondements théoriques.

272
ajustements de portefeuille des agents, c’est-à-dire des ajustements entre monnaie et titres
financiers (les crédits bancaires sont considérés comme de parfaits substituts aux titres). Cet
ajustement va provoquer une modification de l’ensemble des taux d’intérêt. Ainsi, le taux de
rendement du capital physique (le coût du capital) varie et les entreprises sont incitées à le
renouveler, d’où une stimulation du secteur des biens de production avec diffusion à
l’ensemble de l’économie. Dans le cadre d’une politique monétaire expansionniste, le taux
d’intérêt baissera ; il y a donc une réduction du coût du capital, une croissance des dépenses
d’investissement et, avec le mécanisme du multiplicateur d’investissement, un accroissement
de la demande globale et de la production. Dans ce modèle, seule la courbe LM évolue
puisque le taux d’intérêt influence la demande de monnaie pour le biais du motif de
spéculation. L’augmentation de l’offre de monnaie entraîne une baisse du taux et une
croissance de la production.
Certains théoriciens sortent du cadre de l’information symétrique et développent une analyse
des canaux dans le cadre d’informations asymétriques sur les marchés des capitaux et des
crédits. Les imperfections sur les marchés propagent et amplifient les effets des prix relatifs.
Sur les marchés, les phénomènes d’anti-sélection (l’une des parties a plus d’informations que
l’autre, le risque du prêteur va donc s’élever) ou d’aléa moral (risque pour le prêteur sur
l’engagement temporel de l’emprunteur) conduisent les banques à rationner les crédits (le
canal du crédit).
La littérature théorique identifie trois canaux essentiels de la politique monétaire : le canal
du taux d’intérêt, le canal du crédit et le canal des prix d’autres actifs2.

Canal du taux d’intérêt


Les effets des modifications de taux d’intérêt directeurs sont généralement étudiés dans le
cadre d’une analyse des comportements de dépenses des agents (ménages, entreprises et Etat).
Dans une perspective de court terme et en supposant une baisse non anticipée des taux
d’intérêt, trois effets peuvent être mis en évidence sur les comportements de dépenses des
ménages :
- L’effet de substitution : les modifications de taux d’intérêt conduisent les agents à revoir
l’arbitrage entre consommation immédiate et épargne. Une baisse de taux diminue la valeur

2
F. S. Mishkin (1996), « Les canaux de transmission monétaire : leçons pour la politique monétaire », Bulletin de
la Banque de France, mars. C. Bordes, « La politique monétaire » chapitre II de « Politique économique »
ellipse.

273
de la consommation future et incite à consommer aujourd’hui puisque l’épargne devient
moins intéressante et le crédit moins cher.
- L’effet de revenu : une baisse de taux entraîne une hausse de la valeur actualisée des
dépenses de consommation anticipées pour des périodes futures. Dès lors, la consommation
future est plus coûteuse, toutes choses égales par ailleurs. Les ménages préfèrent par
conséquent épargner davantage et réduire leur consommation immédiate pour faire face à
cette situation.
- L’effet de richesse : une baisse de taux d’intérêt entraîne une hausse de la valeur actualisée
des revenu futurs des ménages. Cette augmentation s’applique au capital humain, au capital
physique et au capital financier. Ainsi, pour ce dernier, les agents peuvent décider de vendre
une partie du portefeuille de titres pour obtenir davantage de biens et services. Ils
consomment plus de biens et services.
En ce qui concerne les effets sur l’investissement, une baisse de taux entraîne un coût d’usage
du capital plus faible et donc une augmentation de la profitabilité de la production et une offre
supérieure de biens ; une substitution du capital au travail. Ces deux effets impliquent une
hausse de l’investissement.

Canal du crédit3
Dans le cadre du canal du taux (ou canal monétaire), le rôle des banques se limite à la
création de monnaie. L’offre de monnaie est proportionnelle à la base monétaire. Les
variations de taux entraînent des substitutions au sein des portefeuilles d’actifs (monnaie et
titres) détenus par les agents non financiers. Ainsi, les interventions de politique monétaire
modifient les conditions monétaires et s’observent par l’intermédiaire du passif du bilan des
banques. L’actif du bilan des banques n’intervient pas dans l’analyse. Il n’existe d’ailleurs pas
de différences entre les titres et les crédits pour le financement de l’activité économique.
En revanche, dans le cadre du canal strict du crédit, les banques jouent un rôle déterminant
dans le processus de financement par l’intermédiaire de l’octroi de crédits. Désormais, le
système bancaire n’est plus neutre dans la transmission de la politique monétaire. L’actif et le
passif du bilan des banques doivent être considérés de façon symétrique. En cas de
durcissement de la politique monétaire, les banques vont ajuster leurs conditions débitrices :

3
Bulletin de la Banque de France, F. Rosenwald (1995), « L’influence de la sphère financière sur la sphère
réelle : les canaux du crédit », 1er trimestre, supplément Etudes. Bulletin de la Banque de France, L. Clerc
(2001), « Le cycle du crédit, une revue de la littérature : intermédiation, prime de financement externe et
politique monétaire », n°94, octobre. N. Payelle (1994), « Le canal du crédit dans les mécanismes de
transmission de la politique monétaire en France », GDR Monnaie et Financement.

274
augmentation du taux des nouveaux crédits et/ou une diminution des crédits offerts. De plus,
les crédits bancaires ne sont pas parfaitement substituables aux émissions de titres pour
financer les projets d’investissement. Cette substituabilité imparfaite résulte des imperfections
constatées sur le marché du crédit. En effet, les emprunteurs disposent d’une meilleure
information que les prêteurs sur les caractéristiques de leurs projets d’investissement et sur
leurs situations financières (asymétrie d’information). Les prêts bancaires sont considérés
comme spécifiques puisqu’ils constituent la principale source de financement en cas
d’asymétrie d’informations. Les agents économiques les plus fréquemment touchés sont les
ménages et les petites et moyennes entreprises.
Le canal strict du crédit met en avant l’offre de crédit des banques au lieu de la demande de
monnaie des agents non financiers (canal monétaire). La transmission à la sphère réelle
s’opère par les variations de l’offre de crédit. L’action monétaire aura des effets sur les
décisions d’investissement.
La littérature a également développé le canal large du crédit (ou canal du bilan). Elle repose
sur le fait que tous les financements externes sont des substituts imparfaits au financement
interne. Elle développe l’hypothèse d’imperfections sur le marché des crédits et, plus
généralement, sur les marchés des capitaux en raison des coûts de transaction, des coûts
d’acquisition de l’information et des problèmes d’asymétrie de l’information. L’existence de
ces imperfections pèse sur les structures financières des entreprises, sur leurs possibilités et
sur leurs décisions de financement et sur leurs comportements de stockage. Généralement, le
financement externe est plus cher que le financement interne. Cet écart de coût décroît avec la
richesse nette de l’emprunteur (ressources internes et celles admises en garantie). Un choc
affectant la richesse nette de l’emprunteur augmente le coût du financement externe et pèse
donc sur ses décisions (dépenses d’équipement, de personnel). La généralisation du choc
global à l’ensemble des entreprises déclenche un mécanisme de propagation des cycles
(accélérateur financier4).
Encadré 12.10
Canal des fonds propres des banques

Peu de modèles et d'analyses intègrent les fonds propres des établissements de crédit dans le mécanisme de la
transmission de la politique monétaire. La structure financière de ces établissements influence leurs décisions de
prêt. Des chercheurs de la Banque du Canada ont montré l'importance des fonds propres dans l'amplification et la
propagation des chocs. Il semble exister un mécanisme d'accélérateur financier traduisant le lien entre le bilan
des emprunteurs (ménages et entreprises) et l’accès et le coût du financement. Un effet retour de la situation des
emprunteurs sur leur coût de financement et sur leur comportement d’investissement existe. La banque est
concernée d’une part dans la relation avec l'emprunteur puisqu’elle examine sa situation financière et ses projets,

4
L’accélérateur financier représente des mécanismes amplificateurs des cycles qui proviennent de la présence
d’imperfections financières.

275
d’autre part dans la relation banques / apporteurs de financement (épargnants et investisseurs) puisqu’ils exigent
que l'établissement bancaire utilise aussi ses fonds propres et, pas seulement les dépôts, afin qu’il garantisse les
prêts. Ainsi il y a une limitation implicite entre les fonds propres disponibles et les prêts consentis.
Source: I Christensen, B Fung et C Meh, " La modélisation de canaux financiers aux fins de l'analyse de la
politique monétaire", Revue de la Banque du Canada, automne 2006

Autres développements sur les canaux


L’étude des canaux peut être complétée par d’autres développements sur les prix de
différents actifs (devises et actions) et sur les effets d’annonce. Les monétaristes examinent
les mécanismes de transmission dans lesquels les prix relatifs d’autres actifs et la richesse
réelle transmettent des effets monétaires dans l’économie.
- Canal du taux de change
Il joue un rôle non négligeable dans le cadre de l’internationalisation croissante des
économies. Dans un régime de change flexible, les variations des taux directeurs sont
susceptibles d’induire des fluctuations des taux de change. En agissant sur les prix et la
compétitivité des entreprises nationales, cette modification de change exerce alors un impact
sur l’économie réelle. Toutes choses égales par ailleurs, une baisse des taux entraîne une
dépréciation du cours de la monnaie, ce qui stimule les exportations nettes et la production
nationale. Cet effet ne se fait ressentir qu’au bout de quelques années. La diminution des taux
rend la monnaie nationale moins attractive et provoque une sortie de capitaux. La dépréciation
augmente le prix des produits importés et améliore le commerce extérieur en volume.
L’efficacité de ce canal dépend aussi du degré d’ouverture des économies au commerce
international. Les effets du taux de change sont moins importants pour une grande zone
monétaire relativement fermée telle que la zone euro que pour une petite économie largement
ouverte.
- Canal du cours des actions
Ce canal s’exerce par l’intermédiaire de la théorie de l’investissement de Tobin (1969)5 et
par les effets de richesse sur la consommation.
D’après l’approche du ratio « q » de Tobin, la politique monétaire affecte l’économie par le
biais de ses effets sur la valorisation des actions. Une politique monétaire expansionniste
(baisse des taux directeurs) entraîne une hausse du cours des actions (valeur actualisée) ce qui
conduit à une augmentation du coefficient q et donc des dépenses d’investissement et donc de
la croissance de la production. Le coefficient « q » se définit comme le rapport entre la valeur
boursière des entreprises et le coût de renouvellement du capital. Un ratio élevé signifie que la

5
J. Tobin (1969), « A general equilibrium approach to monetary theory », Journal of Money, Credit and Banking,
feb. n°1, p. 15-29.

276
valeur boursière est élevée par rapport au coût de renouvellement et les nouveaux
investissements productifs sont donc peu onéreux par rapport à la valeur boursière. Les
entreprises peuvent ainsi émettre des actions et en obtenir un prix élevé. Ainsi, les dépenses
d’investissement augmentent puisque les entreprises peuvent acquérir de nombreux biens
d’équipement en émettant peu d’actions nouvelles. Dans le cas inverse, quand le coefficient
« q » est faible, les entreprises réalisent peu de dépenses d’investissement.
Un autre canal de transmission du cours des actions agit par le biais des effets de richesse
sur la consommation. Ce canal a été mis en évidence par F. Modigliani6 dans son modèle
MPS. Les actions constituent une composante majeure du patrimoine financier. Ainsi,
l’augmentation de leur cours accroît ce patrimoine, donc les ressources globales des
consommateurs pendant leur durée de vie s’accroissent, ce qui entraîne une augmentation de
la consommation et donc de la production. D’après une étude de la BCE, l’ampleur de
l’incidence sur la consommation dépend de trois facteurs : l’ampleur de l’exposition directe
ou indirecte des ménages aux risques liés à la détention d’actions par rapport à leur revenu
disponible, leur propension marginale à consommer via les effets de richesse liés aux actions
et la façon dont ils intègrent les variations des cours de bourse dans leur revenu permanent7. Il
est aussi possible d’intégrer dans l’analyse le mécanisme de transmission de la politique
monétaire agissant par le biais des canaux des prix des terrains et des logements.
- Canal de l’information
Depuis le début des années 90, les banques centrales prennent en compte un autre canal,
celui de l’information. Elles diffusent des informations que les agents vont ensuite traiter.
Dans le cadre de leurs décisions, les agents y intègrent de nombreuses anticipations sur la
consommation future, les capacités de production futures, les rémunérations futures… Ils vont
faire de la projection à partir d’indicateurs anticipés comme l’évolution du PIB estimé, le taux
d’inflation estimé. Les banques centrales vont utiliser des effets d’annonce. Par cette action, la
banque concernée indique aux agents par avance ses intentions. Il s’agit d’un signal envoyé en
direction des agents financiers, et surtout des agents non financiers. Le message, avant tout
effet quantité et/ou prix, essaye d’influencer le comportement des acteurs économiques. Cette
action permet aussi de rendre plus crédible les actions de la banque centrale ; elle doit
permettre de la renforcer. Il faut noter que la perception des effets d’annonce est complexe.

6
F. Modigliani (1971), « Monetary policy and consumption » dans Consumer spending and monetary policy : the
linkages, Boston, Federal Reserve Bnak of Boston, p. 9-84.
7
Bulletin Mensuel de la BCE, « L’importance des effets des mouvements boursiers sur l’activité économique de
la zone euro », septembre 2002.

277
Par exemple, comment isoler l’effet de « feed back », c’est-à-dire l’effet en retour des actions
par rapport aux autres variables ? Un phénomène « d’overshooting effect » traduit-il une
action délibérée des opérateurs (par exemple, sur les taux longs) avec amplification plus ou
moins fort des résultats attendus ou bien une action propre due à des facteurs internes
(ajustements de portefeuille) ?
Actuellement, nous pouvons dire que l’impulsion des taux directeurs ne peut plus s’étudier
sans intégrer dans l’analyse les taux longs. Comme le dit M. Aglietta, ils sont devenus
directeurs 8 , « Ces taux directeurs sont mus par des anticipations qui n’obéissent pas
simplement aux intentions des autorités monétaires. Lorsque les autorités infléchissent leur
politique, (…), l’incidence sur les taux longs dépend du jugement des marchés sur le
mouvement futur des taux courts ». Le taux long représente une moyenne des prévisions
relatives aux taux d’intérêt futurs à court terme (théorie des anticipations). Les agents peuvent
très bien juger l’action à court terme de la banque centrale insuffisante, donc considérer qu’il
n’y aura pas d’effets à moyen et long terme de cette action et ne pas modifier leurs
anticipations (pas de baisse des taux longs). Les agents peuvent aussi sanctionner une
politique de baisse des taux courts par une augmentation de la prime sur les taux longs.
12.2.2 Canaux de transmission de la politique monétaire européenne
La BCE sait pertinemment que la bonne compréhension des canaux « constitue une
condition indispensable à la mise en œuvre d’une politique appropriée, dans la mesure où
elle permet de déterminer l’ampleur et le rythme des mesures de politique monétaire
nécessaires au maintien de la stabilité des prix9 ».

Présentation des canaux européens


Le mécanisme de transmission mis en évidence par la BCE comporte deux phases :
Variations du taux → Marché des capitaux → ∆ de la dépense et des
directeur prix
Phase 1 Phase 2
Dans la première phase, les modifications du taux directeur provoquent des changements dans
les conditions prévalent sur le marché des capitaux, en l’occurrence les taux de marché, les
prix des actifs, les taux de change et les conditions générales de la liquidité et du crédit dans

8
M. Aglietta, Macroéconomie financière, op. cit.
9
Bulletin Mensuel de la BCE, « La transmission de la politique monétaire au sein de la zone euro », juillet 2000.

278
l’économie10. Dans la seconde phase, ces changements induisent à leur tour des modifications
de la dépense nominale des ménages et des entreprises en biens et services. A long terme, ces
modifications nominales n’ont pas d’impact sur le secteur réel de l’économie, mais seulement
sur le niveau général des prix. En revanche, à court terme, les changements de la dépense
nominale peuvent affecter l’activité économique réelle. L’ampleur de ce processus dépend du
degré des rigidités nominales et plus généralement du degré de flexibilité de l’économie. Il est
important de bien connaître les différents processus de transmission pour une banque centrale
afin améliorer la conduite de la politique monétaire11.
Les canaux sont plus difficiles à étudier pour deux raisons. La structure de l’économie de la
zone euro s’est transformée par la création d’un grand marché des capitaux (secteur bancaire
et secteur financier). De plus, la politique monétaire européenne est influencée par les autres
décisions de politique économique, par son environnement et par sa propre action et ses
résultats. Il faut tenir compte des délais assez longs, variables et incertains dans lesquels les
mécanismes de transmission agissent.
Dans le cadre de la phase 1, « le degré de concurrence, la liquidité des marchés et les
potentialités d’arbitrage entre les différents instruments financiers influenceront directement
les interconnexions entre le marché des capitaux et celui des actifs 12 ». L’analyse est
manifestement plus difficile. Comme nous l’avons vu, les prix sur les marchés financiers et la
courbe des taux d’intérêt précèdent en grande partie les actions de la banque centrale. Il est
souvent très difficile dans le cas d’un choc ou d’une évolution économique non conforme à
l’objectif des autorités de distinguer conséquences et effets de l’action des autorités.
Dans le cadre de la phase 2, les composantes de la dépense ne sont pas affectées de la même
manière et en même temps, en raison des structures économiques et financières. Il existe un
mécanisme de transmission : marchés des capitaux - dépense par les effets liés au coût du
capital, les effets de revenu et les effets de richesse.
En conclusion, nous pouvons retenir que le cheminement de la variation du taux directeur à
l’indice des prix est complexe et que les relations sont très interdépendantes. Dans la zone
euro, la politique monétaire unique s’appuie sur une hétérogénéité structurelle des canaux de
transmission. Même si un fort mouvement de convergence s’est développé dans le secteur
monétaire et financier et le secteur réel, la BCE doit tenir compte de l’hétérogénéité actuelle.

10
Ne pas oublier l’enchaînement suivant : marché interbancaire  conditions de crédits des banques à leurs
clients.
11
Cf. le chapitre 11, section 11.1.4. sur le cadre de l’incertitude de la politique monétaire.
12
Cf. BCE, rapport sur la politique monétaire, 2004.

279
Encadré 12.11
Comment la BCE se représente-t-elle les canaux de transmissions ?

Le schéma représente le mécanisme de transmission des taux d'intérêt directeurs aux évolutions de prix.

Le premier maillon est constitué par les modifications des taux d'intérêt officiels, c'est-à-dire les coûts de
financement de la liquidité des banques. Les banques répercuteront ces coûts sur les prêts accordés. La BCE
exerce une influence déterminante sur la situation du marché monétaire, (Cf. les procédures et les instruments
dans le chapitre 8), donc sur les taux du marché. Ces derniers influent à leur tour d'autres taux, comme par
exemple, les taux appliqués aux prêts et dépôts à court terme par les banques. Le rapport de la BCE introduit ici
dans le raisonnement, (Cf. le schéma), les anticipations relatives à des modifications ultérieures des taux d'intérêt
officiels en affectant les taux longs de marché qui représentent les anticipations de l'évolution future des taux à
court terme. L'effet est moins direct car ils dépendent aussi d'autres facteurs tels que les anticipations de
croissance et les tendances inflationnistes. La BCE précise pour ces effets qu’il faut introduire comme hypothèse
un changement dans les anticipations du marché relatives aux tendances économiques à long terme.
Les effets sur les conditions de financement de l'économie et sur les anticipations vont conduire à influencer
d'autres variables financières : prix des actifs, taux de change...

Ensuite, il va y avoir une influence sur les décisions d'épargne, de dépense et d'investissement des agents. La
BCE tient à préciser pour les fluctuations du prix des actifs qu'ils sont susceptibles d'influer sur la consommation
et les investissements par les effets de revenu et de richesse (des cours bousiers en hausse provoquent un effet
enrichissement des détenteurs qui peut se traduire par une consommation supplémentaire). Les changements de
comportement en matière de consommation et d'investissement entraînent une modification du niveau de la
demande intérieure de biens et services par rapport à l'offre. Les modifications du niveau de la demande globale
se traduisent (ou peuvent se traduire) sur le marché du travail et des biens intermédiaires, et ensuite se traduit (ou
peut se traduire) sur la détermination des salaires et des prix sur chacun de ces marchés. Pour le taux de change,
les variations exercent une incidence sur l'inflation : par les prix intérieurs des produits importés (un taux de
change qui s'apprécie permet de peser sur l'inflation), par les prix des importations entrant dans la composition
de biens finis, par les prix des exportations, donc sur la compétitivité. La vigueur de ces effets de taux de change
va dépendre du degré d'ouverture de l'économie, pour la zone euro les effets sont moins importants.

Sur le plan du long terme, la BCE considère qu'une politique monétaire crédible peut influencer les anticipations
à long terme du secteur privé; en orientant les anticipations d'inflation future des agents économiques et leur
façon de déterminer les salaires te les prix. Bien entendu, le processus dynamique que nous venons de voir
implique différents mécanismes et actions de la part des agents, il faut donc un long moment pour que la
décision de politique monétaire n'affecte les évolutions de prix. De plus, comme le précise la banque centrale,
l'ampleur et la vigueur des différents effets peut varier en fonction de l'état de l'économie.
Source: BCE, rapport sur la politique monétaire, 2004.

Convergences et/ou divergences des canaux européens

280
En reprenant la phase 1 décrite ci-dessus, il est possible de mettre en valeur les facteurs
suivants : dans la sphère monétaire, l’intégration des marchés financiers avec les processus de
décloisonnement, de création, de développement et d’utilisation des même techniques et
produits, a renforcé le lien taux directeur- taux des marchés ; en revanche, une certaine
hétérogénéité demeure. Dans la zone euro, les emprunts et les prêts se réalisent
essentiellement par l’intermédiaire des institutions financières monétaires, l’intermédiation y
est encore forte. Tous les systèmes bancaires ne vont pas réagir d’une façon identique à court
terme : les délais sont variables (du trimestre suivant à l’année), les pratiques d’indexation
différentes en ce qui concerne le crédit (taux fixes ou taux variables ou révisables ou bien une
indexation plus ou moins forte sur le taux du marché monétaire), les coûts des différents
financements pour les entreprises (nous avons des dettes bancaires indexées sur le court terme
et un financement par titres longs important dans les pays anglo-saxons). A ces facteurs, il
faut rajouter des crédits à taux préférentiel, des restrictions d’accès pour les PME, un
pourcentage d’apport personnel initial pour le crédit à la consommation ou à l’habitat
différent.
Il existe par conséquent des facteurs de divergence comme la liaison entre les taux courts et
les taux longs et il existe des différences de corrélation de la réponse des taux longs à une
action de politique monétaire
Il faut aussi noter que les structures financières des entreprises sont encore différentes, mode
de financement et place de l’endettement bancaire et pour les ménages la structure
patrimoniale.
Pour avoir une lecture synthétique de la situation, il convient de se représenter la
construction d’un tableau de bord en mettant en colonnes les pays et en lignes les critères
retenus. Dans un article publié en 2002, A. Perot13 propose une telle démarche en retenant
comme indicateurs : la taille des banques (les petites sont plus sensibles aux décisions de
politique monétaire, les grandes ayant de nombreuses possibilités locales et internationales de
se procurer de la liquidité), la santé des banques (« l’effet de taille peut être atténué par la
santé des établissements puisqu’une banque fragile financièrement, même grande, aura des
difficultés à trouver des sources alternatives de refinancement »), la taille des entreprises, la
sensibilité au capital (c’est-à-dire l’endettement des agents non financiers), le financement
indirect, la sensibilité des ménages aux effets de richesse. Le résultat obtenu illustre
« indéniablement un facteur d’hétérogénéité dans la transmission de la politique monétaire ».

13
A. Perot (2002), « Appréciations et conséquences possibles de l’hétérogénéité structurelle de la zone euro », n°
spécial de la Revue d’Économie Financière.

281
Les mécanismes de transmission de la phase 1 à la phase 2 sont aussi importants pour la
réussite de la politique monétaire. La production et la demande intérieure totale réagissent de
la même façon dans tous les pays à un choc monétaire (hausse ou baisse du taux directeur de
la BCE). En revanche, les composantes de la demande comme la consommation des ménages,
l’investissement logement des ménages et l’investissement des entreprises, donnent des
réponses différentes.
Sur le plan de la formation des prix, l’hétérogénéité semble encore importante. Les prix ont
des modes de formation différents selon les secteurs, selon la nature (biens ou services), selon
les relations commerciales intra ou inter communautaires. De même, il existe des marchés du
travail avec des modèles de négociations salariales. L’efficacité du processus d’adéquation
entre l’offre et la demande est très importante pour la politique monétaire. La BCE retient
comme éléments d’analyse :
- une allocation inefficace « exerce un effet négatif sur le niveau du PIB potentiel, donc et, à
court terme, limite le rythme auquel l’économie peut proposer sans créer de tensions
inflationnistes »
- les goulets d’étranglements (adéquation insuffisante entre les offres et les demandes
d’emplois) peuvent conduire à des augmentations de salaires généralisées qui vont être
supérieures à la croissance de la productivité du travail, donc créer des tensions inflationnistes
- une meilleure adéquation et une plus grande flexibilité des salaires doivent « accélérer
l’ajustement des salaires et des prix aux mesures de politique monétaire sur l’économie
réelle14 ».
Seules des réformes structurelles pourraient permettre une forte convergence de
l’organisation des marchés du travail et des systèmes de protection sociale. Les études sur les
réactions à des chocs ou à la relation inflation / chômage donnent des résultats différents selon
les pays.
Globalement le débat pour la zone euro peut se résumer ainsi : soit la BCE continue à piloter
la politique monétaire unique en intégrant cette incertitude dans l’analyse et elle attend le
développement progressif de la convergence, soit elle intègre dans sa fonction de réaction15
les spécificités nationales.
La convergence peut être le produit de la dynamique de la création de l’euro, c’est-à-dire les
réactions - transformations de l’économie de la zone. Des pressions s’exerceront sur les

14
Bulletin mensuel de la BCE, « la nécessité de nouvelles réformes structurelles sur les marchés du travail de la
zone euro », 2002.
15
Fonction étudiée dans le chapitre 13, section 13.1.1.

282
agents financiers et non financiers. Cette convergence doit s’accompagner de la mise en place
d’actions d’harmonisation structurelle. Par exemple, dans le cadre du financement des
entreprises en Europe, il y a une forte tendance vers l’homogénéisation de la situation
financière des grandes entreprises, le ratio fonds propres sur les ressources financières ou le
ratio immobilisations financières sur le total du bilan. En revanche, la différence est toujours
forte pour les PME, le système fiscal, les relations avec les établissements de crédit diffèrent
selon les pays, plus précisément des « facteurs institutionnels reflètent sous des formes
historiques, sociales, juridiques, économiques données, la manière dont les moteurs ont
organisé, validé, exprimé les réponses sans besoin de financement du système, ces besoins se
trouvant au cœur de la gestion de la flexibilité financière requise pour absorber les aléas non
anticipés16 ».
Encadré 12.12
Exemple d’application

Pour le moment, quand la BCE baisse les taux à court terme, elle stimule la demande des ménages qui se
trouvent dans les pays où l’effet est fort, c’est-à-dire où les financements à taux variables dominent par rapport à
ceux qui ont un financement dominant à taux fixes. Cette évolution qui aboutit à une situation différenciée entre
les pays en termes de demande des ménages amplifie la divergence entre les prix des biens et services et les prix
des actifs. Du point de vue des délais, les modèles utilisés montrent que si nous obtenons bien la réaction
attendue, nous avons des impacts différenciés selon les pays calculés en trimestre. Dans une moyenne de cinq
trimestres pour une hausse du taux court de la BCE, certains pays auront une réponse significative au bout de
quatre et un plein effet au bout de sept, alors que d’autres se situeront plutôt entre deux pour une réponse
significative ou bien entre trois pour la réponse maximale et un et cinq. De même, nous pouvons constater que
les mécanismes de transmission ne sont pas forcément les mêmes. Pour certains, la variance du PIB est en
grande partie expliquée par le taux d’intérêt et la masse monétaire, pour d’autres il s’agira de la variable crédit.
Source : Conjoncture, BNP PARIBAS, « La politique monétaire unique en zone euro : objectifs et contraintes »,
septembre 2001.
La BCE souhaite une intégration financière car « un système financier bien intégré est
essentiel à la mise en œuvre de la politique monétaire, dans la mesure où il renforce la
transmission rapide et efficace des impulsions de politique monétaire dans l'ensemble de la
zone », mais aussi la stabilité financière qui « nécessite que les principales composantes du
système financier, à savoir les marchés, les infrastructures correspondantes et les institutions
financières, soient conjointement en mesure d'absorber des perturbations ».
L'intégration permet de partager et diversifier les risques. Elle autorise aussi la possibilité
pour les agents d’utiliser toute la zone euro pour les investissements. Elle facilite une plus
grande liquidité des marchés monétaires et financiers (économies d’échelle et offre plus
élevée de fonds). Enfin, elle favorise la concurrence et permet le développement du secteur
financier qui lui-même conduit à une baisse des coûts de l’intermédiation.

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M. Delbreil, B. Paranque (2001), « Le financement des entreprises en Europe de 1986 à 1996 », Bulletin de la
Banque de France, janvier.

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La question à poser est de se demander si c’est l’objet de la politique monétaire de régler ces
divergences. Le Policy-mix et les politiques structurelles ont sûrement un rôle important à
jouer.

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