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CHAPITRE 14

Monnaie, taux d’intérêt et taux de change


Objectifs pédagogiques :
• Décrire le fonctionnement du marché monétaire sur lequel les taux d’intérêt
sont déterminés.
• Montrer comment la politique monétaire et les taux d’intérêt influent sur le
marché des changes.
• Distinguer la position à long terme d’une économie et sa position à court
terme, pour laquelle les prix nominaux et les salaires sont rigides.
• Expliquer comment le niveau général des prix et le taux de change répondent
aux facteurs monétaires à long terme.
• Décrire la relation entre les effets à court terme et à long terme de la politique
monétaire et expliquer le concept de surréaction du taux de change à court
terme.
Nous avons montré au chapitre 13 que le taux de change entre deux monnaies
dépend de deux facteurs : les taux d’intérêt offerts sur les dépôts bancaires
libellés dans ces monnaies et le taux de change futur anticipé. Cependant, pour
comprendre dans le détail de quelle façon les taux de change sont déterminés, il
est nécessaire d’examiner comment les taux d’intérêt sont eux-mêmes définis et
comment se forment les anticipations sur les taux de change futurs. Dans les
trois prochains chapitres, nous allons étudier ces différents problèmes en
construisant un modèle économique qui lie le taux de change aux taux d’intérêt
et à d’autres variables macroéconomiques fondamentales, comme le taux
d’inflation et le produit intérieur. Dans la première étape de construction du
modèle, nous allons expliquer les effets de l’offre et de la demande de monnaie
sur les taux d’intérêt et sur le taux de change. Étant donné que le taux de change
représente les prix relatifs de deux monnaies, les éléments qui influent sur l’offre
et la demande de monnaie correspondent aussi aux déterminants principaux du
taux de change. Les événements monétaires ont un double effet sur le taux de
change : ils modifient les taux d’intérêt et les anticipations sur les taux de change
futurs. Les anticipations de change sont étroitement liées aux anticipations sur
les prix nominaux des biens et des services, qui dépendent à leur tour des
variations de l’offre et de la demande de monnaie. Pour étudier les effets de la
monnaie sur le taux de change, il est par conséquent indispensable d’examiner
comment les facteurs monétaires influent sur les prix des biens ainsi que sur les
taux d’intérêt. Les anticipations qui se forment sur les taux de change futurs ne
dépendent évidemment pas que de facteurs monétaires.
Les facteurs non monétaires seront analysés plus précisément au chapitre
suivant. Après avoir exposé les théories et les déterminants de l’offre et de la
demande de monnaie, nous les utiliserons pour étudier comment l’offre et la
demande déterminent les taux d’intérêt d’équilibre. Ensuite, nous associerons la
condition de parité des taux d’intérêt à notre modèle de détermination du taux
d’intérêt. Cela nous permettra de voir en détail les effets des variations
monétaires sur le taux de change, étant donné le le niveau génénéral des prix, le
produit intérieur et les anticipations du marché. Enfin, nous évoquerons les
effets à long terme des variations monétaires sur le niveau général des prix et sur
les taux de change futurs.

1. Pour une analyse approfondie, voir Frederic Mishkin, Christian Bordes, Pierre-Cyrille Hautcœur et
Dominique Lacoue-Labarthe, Monnaie, banques et marchés financiers, 8e édition, Pearson
Education, 2007.
I. Définition et fonctions de la monnaie
Nous sommes tellement habitués à utiliser la monnaie que nous n’avons même
plus conscience du rôle essentiel qu’elle joue dans la plupart de nos transactions
quotidiennes. En fait, la meilleure façon pour prendre conscience de l’utilité de
la monnaie consiste à imaginer ce que la vie économique serait sans elle. Dans
cette section, nous allons justement étudier une économie sans monnaie. Notre
objectif est de distinguer la monnaie des autres actifs et de mettre en lumière les
caractéristiques qui incitent les individus à en détenir. Ces caractéristiques sont
la base de l’analyse de la demande de monnaie1.
1. La monnaie comme moyen d’échange
La fonction principale de la monnaie est de servir de moyen d’échange. La
monnaie est un mode de paiement largement reconnu et accepté par tous. Une
telle fonction est primordiale. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer une
économie où le seul type de transaction possible serait le troc – c’est-à-dire
l’échange direct de biens et de services contre d’autres biens et services. Quelle
perte de temps il en résulterait pour les consommateurs : pour faire réparer sa
voiture, par exemple, votre professeur devrait trouver un garagiste qui soit à la
recherche de leçons d’économie ! La monnaie, parce qu’elle est universellement
reconnue et acceptée, permet d’éliminer les coûts de recherche énormes
engendrés par un système de troc. Elle permet à une personne qui produit des
biens et des services de les vendre à une autre personne qui souhaite les
consommer. Une économie moderne et complexe ne pourrait fonctionner
correctement sans moyen de paiement standardisé et pratique à utiliser.
2. La monnaie comme unité de compte
La deuxième fonction importante de la monnaie est d’être une unité de compte,
c’est-àdire une mesure de valeur largement reconnue. C’est cette fonction que
nous avons étudiée au chapitre 13 : les prix des biens, des services et des actifs y
sont exprimés en termes monétaires. En particulier, les taux de change
permettent de convertir les prix monétaires des différents pays en termes
comparables. La convention qui consiste à exprimer les prix en termes
monétaires permet de simplifier la comparaison des prix des différents biens. Au
chapitre 13, nous avons procédé à des comparaisons internationales du prix des
biens produits dans différents pays en utilisant les taux de change. Nous serions
astreints au même genre de calculs plusieurs fois par jour si les prix des
différents biens d’un même pays n’étaient pas exprimés dans une unité de
compte standardisée. Calculer les prix relatifs de chaque bien et service en
fonction de plusieurs autres biens et services, comme le prix d’une part de pizza
en termes de bananes, serait fastidieux, voire impossible dans de nombreux cas.
L’avantage d’utiliser la monnaie comme unité de compte est manifeste.
3. La monnaie comme réserve de valeur
La monnaie permet de transférer du pouvoir d’achat du présent vers le futur : il
s’agit donc aussi d’un actif, d’une réserve de valeur. Cette fonction est
essentielle pour tout moyen d’échange, parce que personne ne l’accepterait en
paiement si sa valeur en termes de biens et services disparaissait trop
rapidement. L’utilité de la monnaie comme moyen d’échange en fait
automatiquement l’actif le plus liquide qui puisse exister. Un actif est dit liquide
lorsqu’il peut être transformé rapidement en biens et services sans coût de
transaction élevé ; c’est le cas des frais de courtage (voir chapitre 13). Puisque la
monnaie est facilement acceptée comme moyen de paiement, elle sert de
référence pour la détermination du degré de liquidité des autres actifs.
4. Qu’est-ce que la monnaie ?
Les pièces et les billets, c’est-à-dire les espèces ou le numéraire, constituent la
monnaie fiduciaire. Celle-ci ne représente qu’une petite part de la monnaie. Les
dépôts bancaires, sur lesquels des chèques peuvent être tirés, font également
partie de la monnaie : on parle de monnaie scripturale. Ils représentent des
moyens de paiement largement acceptés qui peuvent être transférés à faible coût
d’un individu à un autre. Les actifs, comme les biens immobiliers, ne sont pas
considérés comme de la monnaie, car à l’inverse des espèces et des dépôts à vue
ils ne remplissent pas le critère fondamental de la liquidité. Dans cet ouvrage,
lorsque nous parlons d’offre de monnaie, nous nous référons à l’agrégat
monétaire que la banque centrale (dans l’Union européenne, la Banque centrale
européenne, aux États-Unis, la Réserve fédérale) appelle l’agrégat monétaire
M1. Il s’agit du montant total des espèces en circulation et des dépôts à vue
détenus par les ménages et les entreprises. En septembre 2008, dans la zone
euro, M1 atteint près de 3 900 milliards d’euros. Une mesure élargie de l’offre
de monnaie, l’agrégat M2 (7 800 milliards d’euros), inclut, en plus de M1, les
placements qui sont disponibles à tout moment mais qui doivent être convertis
au préalable. Ces placements sont donc moins liquides que les actifs qui
composent M1. Une mesure encore plus large de la monnaie, appelée M3 (9 200
milliards d’euros), est aussi prise en compte par la BCE et intègre, en plus de
M2, les titres négociables émis par les institutions financières monétaires. La
frontière entre la monnaie et la quasi-monnaie est en général définie de façon
relativement arbitraire, aussi fait-elle l’objet de nombreuses controverses. Les
dépôts bancaires d’un montant important, qui sont échangés par les acteurs du marché des changes,
ne sont pas considérés comme faisant partie de l’offre de monnaie. Ils sont en effet moins liquides
que la monnaie et ne servent pas à financer des transactions courantes.
5. Comment l’offre de monnaie est-elle déterminée ?
L’offre de monnaie est contrôlée par la banque centrale. Cette dernière
réglemente directement le montant des espèces disponibles et possède un
contrôle indirect sur le montant des dépôts à vue émis par les banques. Les
procédures grâce auxquelles les banques centrales contrôlent l’offre de monnaie
sont complexes. C’est pourquoi nous supposerons désormais que la banque
centrale détermine simplement le niveau de l’offre de monnaie qu’elle souhaite.
Nous aborderons cette question plus en détail aux chapitres 17 et 21.
II. La demande individuelle de monnaie
Tournons-nous à présent vers les facteurs qui déterminent le montant de
monnaie que les personnes souhaitent détenir. Les déterminants de la demande
individuelle de monnaie peuvent dériver de la théorie de la demande d’actifs que
nous avons étudiée au chapitre précédent. Nous avons vu que les particuliers
fondaient leur demande sur trois caractéristiques de l’actif : i) sa rentabilité
anticipée comparée aux rentabilités offertes par les autres actifs, ii) son risque,
iii) sa liquidité. La liquidité joue un faible rôle dans la détermination de la
demande relative des actifs échangés sur le marché des changes. En revanche,
les ménages et les entreprises ne détiennent de la monnaie que pour des raisons
de liquidité. Pour comprendre comment ils choisissent le montant de monnaie à
détenir, nous devons analyser la façon dont chacun des trois critères précédents
influe sur la demande de monnaie.
1. La rentabilité anticipée La monnaie ne porte pas intérêt.
Les dépôts à vue offrent parfois des intérêts, mais les taux sont bien inférieurs à
ceux offerts par les actifs moins liquides. Lorsqu’un agent détient de la monnaie,
il renonce au taux d’intérêt plus élevé qu’il aurait pu obtenir en plaçant sa
richesse dans une obligation d’État, un dépôt à terme ou tout autre actif
relativement peu liquide, comme des timbres de collection ou de l’immobilier.
Lorsque nous parlons « du » taux d’intérêt, nous faisons référence à ce taux
d’intérêt auquel les individus renoncent. En effet, le taux d’intérêt sur les
espèces est nul et le taux des dépôts à vue est relativement stable. Aussi, la
différence de rentabilité entre la monnaie en général et les actifs alternatifs
moins liquides se reflète-t-elle dans le taux d’intérêt du marché : plus le taux
d’intérêt est élevé, plus grand est le sacrifice financier à détenir sa richesse sous
forme de monnaie.1 Supposons, par exemple, que le taux d’intérêt sur un bon du
Trésor français s’élève à 10 % par an. Si un agent prélève 10 000 € sur sa
richesse pour acheter des bons du Trésor, l’État français lui versera 11 000 € à la
fin de l’année de détention. Mais s’il choisit de garder ces 10 000 € en espèces
dans un coffre à la banque, il renonce à ces 1 000 € d’intérêts qu’il aurait pu
gagner en achetant les bons du Trésor. Il a ainsi sacrifié un taux d’intérêt de 10
% en choisissant de détenir 10 000 € sous forme de monnaie. La théorie de la
demande d’actifs, que nous avons développée au chapitre précédent, nous
permet de comprendre comment les variations des taux d’intérêt influent sur la
demande de monnaie. Par ailleurs, les individus préfèrent détenir les actifs
offrant la meilleure rentabilité. Supposons que les taux d’intérêt augmentent.
Nous savons qu’une hausse du taux d’intérêt correspond à une hausse de la
rentabilité des actifs moins liquides que la monnaie. Les agents préfèrent donc
détenir une plus grande part de leur richesse en actifs peu liquides, qui vont leur
rapporter le taux d’intérêt du marché, et une moins grande part de leur richesse
sous forme de monnaie. Nous pouvons ainsi conclure que, toutes choses égales
par ailleurs, une hausse des taux d’intérêt entraîne une baisse de la demande de
monnaie. Nous pouvons aussi aborder l’influence du taux d’intérêt sur la
demande de monnaie en introduisant le concept économique de coût
d’opportunité. Il s’agit du revenu qui est sacrifié en choisissant un type d’action
plutôt qu’un autre. Le taux d’intérêt mesure le coût d’opportunité associé au fait
de détenir de la monnaie plutôt que des obligations portant intérêts. Une hausse
du taux d’intérêt entraîne alors une augmentation du coût d’opportunité de la
détention de monnaie. Elle réduit en conséquence la demande de monnaie.
1. De nombreux actifs peu liquides, parmi ceux que les particuliers
peuvent choisir, offrent des revenus sous une autre forme que les
intérêts.
La rentabilité des actions, par exemple, est composée des dividendes versés et de
la plus ou moins-value en capital. La rentabilité d’une maison de campagne est
fonction, éventuellement, du gain en capital et du plaisir à y passer ses vacances.
L’hypothèse qui sous-tend notre analyse de la demande de monnaie peut
s’énoncer ainsi : une fois que le risque a été pris en compte, tous les actifs autres
que la monnaie offrent une rentabilité anticipée (mesuré en termes monétaires)
égale au taux d’intérêt. Cette hypothèse nous permet d’utiliser le taux d’intérêt
pour représenter la rentabilité à laquelle un individu renonce lorsqu’il détient de
la monnaie plutôt qu’un actif moins liquide.
2. Risque
Le risque ne représente pas un facteur important dans la demande de monnaie. Il
est, bien entendu, risqué de détenir de la monnaie, puisqu’une hausse
imprévisible du prix des biens et des services peut réduire la valeur de la
monnaie en termes de pouvoir d’achat. Cependant, les actifs portant intérêts,
comme les obligations d’État, présentent des valeurs nominales fixes en termes
monétaires. La même hausse inattendue des prix diminue donc aussi la valeur
réelle de ces actifs, et du même pourcentage que pour la monnaie. Puisque toute
variation du risque de la monnaie entraîne une variation identique du risque des
obligations, une augmentation de ce risque n’incite pas les individus à limiter
leur demande de monnaie, ni à augmenter leur demande d’actifs portant intérêts.
3. Liquidité
Le principal avantage que présente la détention de monnaie réside dans la
liquidité qu’elle procure. Les ménages et les entreprises en détiennent parce que
c’est le meilleur moyen pour financer leurs achats courants. Certains achats de
gros montant peuvent, certes, être financés grâce à la vente d’un actif de valeur
non liquide. Par exemple, un collectionneur peut vendre une partie de ses
œuvres d’art pour acheter une maison. Cependant, pour financer une série de
petites dépenses, à des dates diverses et pour des montants variés, il est
préférable de détenir un certain montant de monnaie. Le besoin de liquidité d’un
individu croît si la valeur moyenne de ses transactions courantes augmente.
Nous pouvons en conclure qu’une hausse de la valeur moyenne des transactions
courantes effectuées par un ménage ou une entreprise entraîne une hausse de la
demande de monnaie.
4. La demande globale de monnaie
Nous avons vu comment les individus et les entreprises déterminent leur
demande de monnaie. Nous pouvons maintenant en déduire les déterminants de
la demande globale de monnaie. Il s’agit de la demande totale de monnaie
émanant de tous les ménages et de toutes les entreprises de l’économie, soit la
somme de toutes les demandes individuelles. Plus que la demande individuelle
de monnaie, c’est la demande globale qui nous intéresse pour comprendre les
déterminants et les effets des taux de change. Aussi, pour faire court, nous
ferons souvent référence à la demande de monnaie, sans préciser qu’il s’agit de
la demande globale de monnaie. Trois facteurs principaux déterminent la
demande de monnaie : 1. Le taux d’intérêt. Une hausse du taux d’intérêt incite
chaque particulier à réduire sa demande de monnaie. Toutes choses égales par
ailleurs, la demande de monnaie diminue lorsque les taux d’intérêt augmentent.
2. Le niveau général des prix. Il s’agit du prix d’un large panier de biens et de
services de référence, exprimé en termes monétaires. Souvent, le panier de
référence contient des éléments de consommation courante, comme la
nourriture, les vêtements et le logement, mais aussi des éléments moins
courants, comme les soins médicaux et les frais d’avocat. Si le niveau général
des prix augmente, les ménages et les entreprises vont dépenser une plus grande
quantité de monnaie pour acquérir leur panier habituel de biens et de services.
Pour s’assurer du même niveau de liquidité qu’avant la hausse des prix, ils
devront détenir une plus grande quantité de monnaie. 3. Le produit intérieur.
Lorsque le PIB réel augmente, un plus grand nombre de biens et de services sont
vendus dans l’économie. Cette croissance de la valeur réelle des transactions
entraîne une hausse de la demande de monnaie, le niveau général des prix étant
donné. Soit P le niveau général des prix, R le taux d’intérêt, et Y le PIB réel, la
demande de monnaie, Md, peut s’écrire :
Md = P × L(R,Y) (14.1) où L(R,Y)
est une fonction décroissante de R et une fonction croissante de Y.1 Pourquoi
spécifier que la demande de monnaie est proportionnelle au niveau général des
prix ? Pour le comprendre, il suffit d’imaginer que tous les prix de l’économie
doublent, tandis que le taux d’intérêt et les revenus réels de chacun demeurent
constants. La valeur monétaire des transactions courantes moyennes pour
chaque individu va simplement doubler, et il en sera de même pour le montant
de monnaie que chacun va souhaiter détenir. L’équation (14.1) de la demande de
monnaie est généralement écrite sous la forme équivalente suivante :
Md/P = L(R,Y) (14.2) où L(R,Y)
est appelée demande réelle de monnaie, ou demande d’encaisses réelles. Cette
façon d’exprimer la demande de monnaie met en évidence que celle-ci ne
correspond pas au besoin d’un certain nombre d’unités monétaires, mais bien
d’un certain pouvoir d’achat réel sous une forme liquide. Le ratio Md/P – c’est-
à-dire la valeur des encaisses monétaires désirées, exprimée en fonction du
panier de biens de référence – est égal au pouvoir d’achat réel que les individus
souhaitent détenir sous forme liquide. Par exemple, si les agents souhaitent
détenir 1 000 € en espèces pour un niveau de prix de 100 € pour le panier de
biens, la détention réelle de monnaie sera équivalente à 1 000 € / (100 € par
panier) = 10 paniers. Si le niveau général des prix double et atteint 200 € par
panier, le pouvoir d’achat des 1 000 € en espèces sera diminué de moitié
puisqu’il ne vaudra plus que 5 paniers. La figure 14.1 illustre la variation de la
demande réelle de monnaie en fonction du taux d’intérêt, pour un niveau donné
de revenu réel, Y. La courbe de demande réelle L(R,Y) est décroissante car une
baisse des taux d’intérêt incite chaque ménage et chaque entreprise de
l’économie à détenir une plus grande quantité réelle de monnaie. Pour un niveau
donné du PIB réel, les variations du taux d’intérêt entraînent un déplacement de
la demande de monnaie le long de la courbe L(R,Y). En revanche, une variation
du PIB réel conduit à un déplacement de la courbe de demande dans sa totalité.
La figure 14.2 illustre comment une hausse de Y1 à Y2 du PIB réel influe sur la
position de la courbe de demande réelle de monnaie : la courbe L(R,Y2) se situe
à droite et audessus de L(R,Y1), pour Y2 supérieur à Y1. En effet, un
accroissement du PIB réel entraîne une hausse de la demande réelle de monnaie.

1. L(R,Y) diminue lorsque R augmente, et croît lorsque Y croît. Bien sûr, L(R,Y) croît lorsque R diminue,
et décroît lorsque Y décroît
5. Taux d’intérêt d’équilibre : l’interaction entre l’offre et la
demande de monnaie
Le marché monétaire est à l’équilibre lorsque l’offre de monnaie de la banque
centrale est égale à la demande de monnaie. Dans cette section, nous allons
étudier comment le taux d’intérêt est déterminé par l’équilibre du marché
monétaire, étant donné le niveau général des prix et le produit intérieur. Nous
supposerons temporairement que ni le niveau général des prix ni le produit
intérieur ne sont sensibles aux variations monétaires.
a. Équilibre du marché monétaire
Soit Ms l’offre de monnaie, la condition d’équilibre du marché monétaire s’écrit
:
Ms = Md
En divisant chaque membre de cette égalité par le niveau général des prix, nous
pouvons exprimer la condition d’équilibre du marché monétaire en termes réels
comme suit :
Ms/P = L(R,Y)
Étant donné le niveau général des prix, P, et le produit intérieur, Y, le taux
d’intérêt d’équilibre correspond à celui pour lequel la demande réelle de
monnaie égale l’offre réelle de monnaie.

À la figure 14.3, la courbe de demande réelle de monnaie croise la courbe


d’offre réelle au point 1. Cela permet de déterminer le taux d’intérêt d’équilibre
R1. La courbe d’offre réelle est verticale en Ms/P, car Ms est le résultat d’une
décision de la banque centrale, et P est donné et reste constant.
Essayons de comprendre pourquoi le taux d’intérêt converge vers son niveau
d’équilibre : supposons que le marché se situe initialement au point 2, avec un
taux d’intérêt R2 supérieur à R1.
Au point 2, la demande réelle de monnaie est inférieure à l’offre, d’un montant
égal à Q1 – Q2. Il y a donc une offre excédentaire sur le marché. Si les individus
détiennent plus de monnaie qu’ils ne le souhaitent – pour un taux d’intérêt égal à
R2 –, ils chercheront à réduire leurs liquidités : ils en utiliseront une partie pour
acheter des actifs porteurs d’intérêts. En d’autres termes, ils se débarrasseront de
l’excès de monnaie qu’ils détiennent en la prêtant à d’autres. Or, pour un niveau
de taux d’intérêt égal à R2, il existe une offre excédentaire de monnaie. Cela
signifie que les personnes qui cherchent à prêter de la monnaie pour réduire
leurs liquidités sont plus nombreuses que celles qui cherchent à en emprunter
pour augmenter les leurs. Par conséquent, tous ne réussiront pas à réduire leurs
liquidités. Ceux qui n’auront pas trouvé de contrepartie ne pourront attirer les
emprunteurs qu’en diminuant le taux d’intérêt qu’ils exigent. Ce dernier va donc
baisser en dessous du niveau de R2, et la pression à la baisse sur le taux d’intérêt
ne s’arrêtera que lorsque le taux sera égal à R1. En effet, à ce taux, chaque
prêteur potentiel aura trouvé une contrepartie (c’est-à-dire un emprunteur) et
l’offre sera de nouveau égale à la demande. Lorsque le marché atteint le point 1,
le taux d’intérêt n’a donc plus tendance à baisser.1
De la même façon, si le taux d’intérêt se situe initialement au niveau R3,
inférieur à R1, il aura tendance à croître. Comme l’illustre la figure 14.3, il
existe au point 3 une demande excédentaire de monnaie égale à Q3 – Q1. Les
individus vont donc chercher à augmenter leurs disponibilités monétaires en
vendant des actifs porteurs d’intérêts. En d’autres termes, ils vont vendre des
obligations contre des espèces. Mais, au point 3, tous ne réussiront pas à vendre
suffisamment d’actifs portant intérêts pour satisfaire leur demande de monnaie.
Pour acquérir des liquidités, ils proposeront d’emprunter à des taux d’intérêt de
plus en plus élevés, jusqu’à ce que tout le monde trouve une contrepartie. Le
taux d’intérêt connaît donc une pression à la hausse jusqu’à atteindre R1. La
hausse du taux d’intérêt ne s’arrêtera que lorsque le marché aura atteint le point
1 où la demande ne sera plus excédentaire.
Nous pouvons résumer nos résultats de la façon suivante : le marché converge
toujours vers le taux d’intérêt pour lequel l’offre réelle de monnaie égale la
demande réelle de monnaie. S’il existe au départ une offre excédentaire, le taux
d’intérêt va baisser, et symétriquement, s’il existe au départ une demande
excédentaire, le taux d’intérêt va croître.
1. Il existe une autre façon d’aborder ce processus de convergence vers l’équilibre. Nous avons vu au
chapitre précédent que la rentabilité d’un actif baisse quand sa valeur courante augmente,
relativement à sa valeur future. Lorsqu’il existe une offre excédentaire de monnaie, les individus
cherchent à réduire leur détention de monnaie, ce qui provoque une hausse de la valeur actuelle des
actifs non liquides, porteurs d’intérêts. Cette hausse de la valeur actuelle des actifs non monétaires
entraîne, à son tour, une diminution de leur rentabilité. Comme cette rentabilité est égael au taux
d’intérêt (après ajustement du risque), ce dernier va donc lui aussi baisser.
b. Taux d’intérêt et offre de monnaie
La figure 14.4 illustre l’effet d’une augmentation de l’offre de monnaie sur le
marché, pour un niveau de prix fixé. Au départ, le marché est à l’équilibre au
point 1 et présente une offre, M1, et un taux d’intérêt, R1. Puisque P est
maintenu constant, si l’offre de monnaie augmente de M1 à M2, alors l’offre
réelle va aussi croître de M1/P à M2/P . Avec une offre réelle égale à M2/P, le
point 2 devient le nouvel équilibre du marché, et R2 devient le nouveau taux
d’intérêt d’équilibre. R2 est inférieur à R1. Ce nouveau taux d’intérêt incite les
individus à détenir la nouvelle offre réelle de monnaie, supérieure à la
précédente.

Le mécanisme par lequel le taux d’intérêt baisse nous est maintenant familier.
Après que la banque centrale a augmenté Ms, le marché connaît d’abord une
offre excédentaire réelle de monnaie, étant donné le taux d’intérêt initial R1,
pour lequel le marché était précédemment équilibré. Dans cette nouvelle
situation, les individus détiennent plus de monnaie qu’ils n’en désirent. Ils
utilisent donc leur excès de liquidités pour acquérir des actifs porteurs d’intérêts.
L’économie, dans son ensemble, ne peut réduire le montant de monnaie en
circulation. Il existe donc une pression à la baisse sur les taux d’intérêt, résultat
de la compétition entre les détenteurs de monnaie qui veulent prêter leur excès
de liquidités. Au point 2 de la figure 14.4, le taux d’intérêt a suffisamment
diminué pour entraîner une hausse de la demande réelle de monnaie qui
corresponde à la hausse de l’offre réelle.
Si nous inversons ce mécanisme, nous pouvons comprendre comment une
diminution de l’offre de monnaie crée une pression à la hausse du taux d’intérêt.
Une baisse de Mo entraîne une demande excédentaire de monnaie, pour un
niveau de taux d’intérêt qui permettait auparavant d’équilibrer l’offre et la
demande. Les individus tentent donc de vendre des actifs porteurs d’intérêts –
c’est-à-dire qu’ils empruntent – pour accroître leur détention réelle de liquidités.
Ils ne peuvent pas tous y parvenir, dans un contexte de demande excédentaire.
Les taux d’intérêt vont donc connaître une pression à la hausse, jusqu’à ce que
chacun accepte de détenir un niveau réel plus faible de liquidités. Nous pouvons
conclure que, étant donné le niveau général des prix et le niveau du produit
intérieur, une augmentation de l’offre de monnaie entraîne une baisse du taux
d’intérêt et, symétriquement, une diminution de l’offre de monnaie entraîne une
hausse du taux d’intérêt.
c. Produit intérieur et taux d’intérêt
La figure 14.5 illustre la répercussion sur le taux d’intérêt d’une hausse du
niveau du produit de Y1 à Y2, étant donné l’offre de monnaie et le niveau
général des prix. Comme nous l’avons vu précédemment, une hausse du produit
entraîne un déplacement vers la droite de la courbe de demande réelle.
L’équilibre s’éloigne alors du point 1. Pour l’ancien taux d’intérêt d’équilibre,
R1, il existe maintenant une demande excédentaire de monnaie égale à Q2 – Q1
(point 1′). Puisque l’offre réelle de monnaie est fixée, les individus vont enchérir
sur le taux d’intérêt jusqu’à ce qu’il atteigne le nouveau taux d’équilibre R2
(point 2), plus élevé que R1. Une baisse du produit entraîne
l’effet inverse : la courbe de demande réelle de monnaie va se déplacer vers la
gauche, et par conséquent, le taux d’intérêt d’équilibre va baisser.
Nous pouvons conclure que, étant donné le niveau général des prix et l’offre de
monnaie, une hausse du produit réel entraîne une hausse du taux d’intérêt et,
symétriquement, une baisse du produit réel entraîne une baisse du taux d’intérêt.
6. Offre de monnaie et taux de change à court terme
Au chapitre 13, nous avons étudié la condition de parité des taux d’intérêt, qui
permet de prédire l’effet des variations du taux d’intérêt sur le taux de change,
pour des niveaux donnés du taux de change futur anticipé. Maintenant, nous
savons aussi comment les variations de l’offre de monnaie d’un pays influent sur
le taux d’intérêt de ses actifs non monétaires, libellés dans sa monnaie. Nous
pouvons donc en déduire la conséquence directe des variations monétaires sur le
taux de change. Nous verrons qu’une augmentation de l’offre de monnaie
provoque une dépréciation de la monnaie sur le marché des changes, alors
qu’une diminution de l’offre de monnaie provoque une appréciation de la même
monnaie.
Dans cette section, nous maintenons l’hypothèse selon laquelle le niveau général
des prix et le produit réel sont fixes. C’est pourquoi l’analyse suivante est
qualifiée d’analyse à court terme. L’analyse d’un phénomène économique à long
terme autorise, en effet, un ajustement complet des prix – ce qui peut prendre du
temps – ainsi que le plein emploi de tous les facteurs de production. Plus loin
dans ce chapitre, nous étudions les effets à long terme d’une variation de l’offre
de monnaie sur le niveau général des prix, le taux de change et sur d’autres
variables économiques. Cette analyse à long terme montre comment l’offre de
monnaie peut influer sur les anticipations sur le taux de change que nous
continuons, pour le moment, à présenter comme étant constantes.1
a. Liens entre monnaie, taux d’intérêt et taux de change
À la figure 14.6, deux graphiques – déjà étudiés séparément – ont été combinés
afin d’analyser la relation qui existe à court terme entre la monnaie et le taux de
change. On considère de nouveau le taux de change dollar contre euro coté à
l’incertain, c’est-àdire le prix du dollar exprimé en euros, noté E.
Nous avons vu au chapitre précédent que, par convention, les taux de change
étaient cotés au certain dans la zone euro et à l’incertain aux États-Unis
(rappelons que, dans les deux cas, le taux de change euro contre dollar s’écrit
EUR/USD). Toutefois, dans la plupart des modèles économiques, les
économistes raisonnent sur la base de taux de change à l’incertain et dans cet
ouvrage, nous adoptons cet usage.
La partie haute de la figure 14.6 illustre l’équilibre du marché des changes (déjà
présenté dans le chapitre 13), étant donné les taux d’intérêt et les anticipations
de taux de change futur. Le taux d’intérêt en euros, R1€, est déterminé sur le
marché monétaire et permet de tracer la fonction verticale. La courbe
décroissante de la rentabilité anticipée en euros traduit la rentabilité des dépôts
en dollars, exprimés en euros (voir chapitre 13). La courbe est décroissante en
raison de l’effet des variations du taux de change actuel sur les anticipations de
dépréciation future : une appréciation de l’euro aujourd’hui (une baisse de E)
relativement à son niveau anticipé futur – qui est fixé – rend les dépôts en
dollars plus attractifs

1. Voir aussi Ben S. Bernanke, Thomas Laubach, Frederic S. Mishkin et Adam S. Posen, Inflation
Targeting : Lessons from the International Experience, Princeton, NJ, Princeton University Press,
1999. Cet ouvrage analyse des expériences récentes en matière de politiques monétaires ainsi que
leurs conséquences sur l’inflation et sur d’au tres variables macroéconomiques.
En effet, les individus prévoient une dépréciation plus forte de l’euro dans le
futur. À l’intersection des deux courbes (point 1′), les rentabilités anticipées des
dépôts en euros et en dollars sont égaux. La parité des taux d’intérêt est donc
vérifiée. E1 correspond au taux de change d’équilibre.
La partie basse de la figure 14.6 illustre comment le taux d’intérêt d’équilibre
d’un pays est déterminé sur le marché monétaire. Cette figure est identique à la
figure 14.3, à ceci près que nous lui avons fait subir une rotation de 90 degrés
dans le sens des aiguilles d’une montre afin de faciliter la lecture. Le taux
d’intérêt en euros est ainsi mesuré à partir de 0 sur l’axe horizontal, et l’offre
réelle de monnaie à partir de 0 sur l’axe vertical descendant. L’équilibre du
marché monétaire apparaît au point 1, là où le taux d’intérêt en euros, R1€,
incite les résidents de la zone euro à présenter une demande réelle de monnaie
égale à l’offre réelle,Me5 /P€
La figure 14.6 souligne le lien qui existe entre le marché monétaire (partie basse)
et le marché des changes (partie haute) : le marché monétaire de la zone euro
détermine le taux d’intérêt en euros, qui influe à son tour sur le taux de change
pour lequel la parité des taux d’intérêt est vérifiée. Bien entendu, un lien
analogue existe entre le marché monétaire américain et le marché des changes :
il s’exprime par l’intermédiaire des variations du taux d’intérêt en dollars.
La figure 14.7 représente les liens qui existent entre les marchés monétaires dans
la zone euro et aux États-Unis et le marché des changes. Le Système européen
de banques centrales
(le SEBC) et le Système fédéral de réserve américain (la Fed) déterminent les
niveaux d’offre de monnaie dans la zone euro et aux États-Unis, respectivement
et M5S. Étant donné le niveau général des prix et le niveau de la production
intérieure dans la zone euro et aux États-Unis, l’équilibre sur les marchés
monétaires détermine les taux d’intérêt en euros et en dollars, respectivement R€
et R$. Ces taux d’intérêt s’appliquent alors sur le marché des changes, où le taux
de change courant E est défini grâce à la condition de parité des taux d’intérêt, et
ce étant donné les prévisions sur le taux de change futur anticipé.
a. Offre de monnaie dans la zone euro et taux de change dollar contre
euro
Nous allons maintenant utiliser notre modèle sur le lien entre le marché
monétaire et le marché des changes pour comprendre comment le taux de
change dollar contre euro évolue lorsque le SEBC modifie le niveau de l’offre
de monnaie dans la zone euro . Les effets d’une telle variation sont synthétisés à
la figure 14.8.
Pour le niveau initial d’offre de monnaie, , le marché monétaire est à l’équilibre
au point 1, et le taux d’intérêt vaut . Étant donné le taux d’intérêt en dollars et le
taux de change futur anticipé, si le taux d’intérêt en euros vaut , l’équilibre du
marché des changes va se réaliser au point 1′, et le taux de change entre les deux
monnaies vaudra E1.
Que va-t-il se passer si le SEBC – craignant sans doute un début de récession –
augmente l’offre de monnaie de à ? Cet accroissement déclenche la séquence
d’événements suivants :
1.Au taux d’intérêt initial , le marché monétaire présente une offre
excédentaire de monnaie. Le taux d’intérêt en euros baisse donc jusqu’au niveau
, tandis que le marché atteint son nouvel équilibre (point 2).
2.Étant donné le taux de change initial E1 et le nouveau taux d’intérêt en
euros , plus faible que le précédent, les dépôts en dollars présentent une
rentabilité anticipée supérieure à celle des dépôts en euros.
3.L’euro se déprécie jusqu’à atteindre le niveau E2, puisque les détenteurs
de dépôts en euros font monter les enchères pour obtenir des dépôts en dollars.
Le marché des changes atteint un nouvel équilibre au point 2′. En effet, la hausse
du taux de change jusqu’au niveau E2 a permis une baisse suffisante du taux de
dépréciation anticipé de l’euro, pour contrebalancer la baisse du taux d’intérêt en
euros.
Nous pouvons donc conclure que l’augmentation de l’offre de monnaie entraîne
une dépréciation de la monnaie sur le marché des changes. Si nous prenons la
figure 14.8 à rebours, nous pouvons constater que la diminution de l’offre de
monnaie entraîne une appréciation de la monnaie sur le marché des changes.

Une augmentation de entraîne une dépréciation du dollar (c’est-à-dire une


baisse de E). À l’inverse, une diminution de entraîne une appréciation du dollar
(c’est-àdire une hausse de E).
Le mécanisme qui lie le taux d’intérêt américain au taux de change est le même
que celui que nous avons analysé dans la section précédente. Il peut être
intéressant de vérifier une telle affirmation en représentant ce raisonnement de
façon graphique, comme cela a été fait aux figures 14.6 et 14.8. Toutefois, dans
cette section, nous allons utiliser une approche différente pour montrer comment
l’offre de monnaie américaine influe sur le taux de change dollar contre euro.
Nous avons vu au chapitre 13 qu’une baisse du taux d’intérêt en dollars, R$,
entraîne un déplacement vers la gauche de la courbe décroissante, située ici dans
la partie haute de la figure 14.6. Cela tient au fait que, pour tout niveau du taux
de change, une baisse de R$ diminue la rentabilité anticipée des dépôts en
dollars. Puisqu’une hausse de l’offre de monnaie américaine entraîne une baisse
de R$, nous pouvons en analyser l’effet sur le taux de change en déplaçant vers
la gauche la courbe de rentabilité anticipée des dépôts en dollars figurant sur la
partie haute de la figure 14.6.
La figure 14.9 illustre les conséquences d’une hausse de l’offre de monnaie
américaine. Initialement, le marché monétaire de la zone euro est à l’équilibre au
point 1, et le marché des changes, au point 1′. Pour cet équilibre, le taux de
change vaut E1. Une augmentation de l’offre de monnaie américaine entraîne
une baisse de R$. Cela induit donc un déplacement vers la gauche de la courbe
qui relie la rentabilité anticipée en dollars et le taux de change. L’équilibre du
marché des changes est restauré au point 2′. Pour cet équilibre, le taux de change
vaut E2. Nous voyons donc qu’une augmentation de la quantité de monnaie
américaine entraîne une dépréciation du dollar par rapport à l’euro (c’est-à-dire
une baisse du prix en euros des dollars). À l’inverse, une diminution de l’offre
de monnaie américaine entraîne une appréciation du dollar par rapport à l’euro
(E augmente). Les variations de l’offre de monnaie aux États-Unis ne perturbent
pas l’équilibre du marché monétaire de la zone euro, qui demeure au point 1.1
7. Monnaie, niveau général des prix et taux de change à long
terme
Notre brève analyse du lien qui existe entre les marchés monétaires et le marché
des changes reposait jusque-là sur l’hypothèse simplificatrice selon laquelle le
niveau général des prix et les anticipations concernant les taux de change sont
fixes. Si nous voulons élargir notre compréhension de la manière dont l’offre et
la demande de monnaie jouent sur les taux de change, nous devons analyser
comment les facteurs monétaires influent sur le niveau général des prix à long
terme.
L’équilibre à long terme d’une économie correspond à la position vers laquelle
cette économie converge si aucun nouveau choc ne vient perturber l’ajustement
vers le plein emploi des facteurs de production. En d’autres termes, il s’agit de
l’équilibre qui prévaut une fois que les salaires et les prix ont eu le temps de
s’ajuster à un niveau qui leur permet de stabiliser leur marché respectif. On peut
dire encore que cet équilibre est celui qui se maintient si les prix sont
parfaitement flexibles et s’ajustent immédiatement pour préserver le plein
emploi.
1. Le marché monétaire de la zone euro reste à l’équilibre au point 1 car, après la hausse de l’offre de
monnaie américaine, des ajustements de prix ont lieu pour équilibrer le marché monétaire américain
et le marché des changes. Mais ces ajustements de prix n’influent ni sur l’offre de monnaie ni sur la
demande de monnaie de la zone euro, étant donné Y€ et P€.
En étudiant les manifestations des variations monétaires à long terme, nous
allons pouvoir examiner comment elles modifient l’équilibre à long terme de
l’économie. Notre outil principal sera, une fois encore, la théorie de la demande
de monnaie.
a. Monnaie et prix monétaires
Si le niveau général des prix et le produit intérieur sont fixes à court terme, la
condition (14.4) d’équilibre du marché monétaire :
Ms /P = L(R,Y)
permet de déterminer le taux d’intérêt intérieur, R. La condition d’équilibre
exposée ci-dessus peut également être réécrite comme suit :
P = Ms/L(R,Y)
afin de faire apparaître le niveau général des prix comme une fonction du taux
d’intérêt, du produit réel et de l’offre de monnaie intérieurs.
Le niveau général des prix d’équilibre à long terme correspond à la valeur de P
pour laquelle la condition (14.5) est satisfaite, lorsque le taux d’intérêt et le
produit intérieur ont atteint leur niveau de long terme – c’est-à-dire des niveaux
compatibles avec le plein emploi. Lorsque le marché monétaire a atteint
l’équilibre et que le plein emploi de tous les facteurs de production est assuré, le
niveau général des prix reste stable si l’offre de monnaie, la fonction de
demande de monnaie et les valeurs de long terme de R et de Y sont constantes.
L’équation précédente implique en particulier que, toutes choses égales par
ailleurs, une augmentation de l’offre de monnaie d’un pays entraîne une hausse
proportionnelle du niveau général de ses prix. Si, par exemple, l’offre de
monnaie double (pour atteindre 2Mo), mais que le niveau du produit intérieur et
le taux d’intérêt restent constants, alors le niveau général des prix doit lui aussi
doubler (pour atteindre 2P) afin de maintenir l’équilibre sur le marché
monétaire.
La raison économique sous-jacente à cette prédiction très précise tient au fait
que la demande de monnaie consiste en une demande d’encaisses réelles : la
demande réelle de monnaie n’est pas modifiée par une hausse de M qui laisse R
et Y – et donc la demande réelle de monnaie L(R,Y) – inchangés. Si elle ne
varie pas, le marché monétaire ne peut rester à l’équilibre qu’à la condition que
l’offre de monnaie reste elle aussi constante. Pour que cette dernière, M/P, reste
constante, il est nécessaire que P augmente de façon proportionnelle à M.
b. Effets à long terme des variations de l’offre de monnaie
Nous venons d’étudier comment l’offre de monnaie joue sur le niveau général
des prix, pour un taux d’intérêt et un produit intérieur fixés. Cependant, il ne
s’agit pas encore d’une théorie sur la façon dont les variations de l’offre de
monnaie influent sur le niveau général des prix à long terme. Afin de développer
une telle théorie, nous devons également déterminer les effets à long terme
d’une variation de l’offre de monnaie sur le taux d’intérêt et le produit intérieur.
La tâche est plus aisée qu’il n’y paraît : comme nous nous allons le montrer, une
variation de l’offre de monnaie n’a aucun effet sur les valeurs de long terme du
taux d’intérêt et du produit intérieur1.
La meilleure façon de comprendre les effets à long terme de l’offre de monnaie
sur le taux d’intérêt et le produit intérieur consiste à imaginer une réforme
monétaire qui aurait pour objet de redéfinir l’unité monétaire d’un pays.
Par exemple, les autorités turques ont réformé leur monnaie le 1er janvier 2005,
en émettant simplement de nouvelles livres turques, équivalant chacune à 1
million d’anciennes livres. Cette réforme a pour effet de diminuer le nombre
d’unités monétaires en circulation et de ramener la valeur totale des nouvelles
livres à 1/1 000 000 de la valeur totale des anciennes livres. Mais la redéfinition
de la monnaie nationale n’a pas d’effet sur le produit réel, le taux d’intérêt ou le
prix relatif des biens. C’est comme si on décidait de mesurer les distances en
demi-kilomètres plutôt qu’en kilomètres ; le trajet pour aller d’un point à un
autre serait le même. La seule conséquence de la réforme monétaire en Turquie
a été de modifier, une fois pour toutes, toutes les valeurs exprimées en livres2.
L’augmentation de l’offre de monnaie d’un pays n’a pas plus de conséquences à
long terme qu’une réforme monétaire. Un doublement de l’offre de monnaie a le
même effet à long terme qu’une réforme dans laquelle chaque unité monétaire
est remplacée par deux nouvelles unités monétaires. Si l’économie est
initialement dans une situation de plein emploi des facteurs de production,
chaque prix monétaire va finalement doubler, mais le PIB réel, le taux d’intérêt
et tous les prix relatifs retrouveront leurs niveaux de long terme – autrement dit
leur niveau de plein emploi.
Pourquoi une variation de l’offre de monnaie n’a-t-elle pas plus de répercussions
sur l’équilibre à long terme de l’économie qu’une réforme monétaire ? Pour
répondre à cette question, il faut se rappeler que le produit de plein emploi est
déterminé par les dotations en main-d’œuvre et en capital dans l’économie.
Ainsi, à long terme, le produit réel ne dépend pas de l’offre de monnaie. Il en va
de même pour le taux d’intérêt. Si l’offre de monnaie et tous les prix de
l’économie doublent de façon permanente, il n’y a aucune raison pour que les
individus, qui souhaitaient auparavant échanger 1 € aujourd’hui contre 1,10 €
dans un an, ne souhaitent pas désormais échanger 2 € aujourd’hui contre 2,20 €
dans un an. Le taux d’intérêt ne varie donc pas et demeure à un niveau de 10 %
par an. Les prix relatifs vont aussi rester constants puisqu’ils représentent des
rapport entre des prix monétaires. Ainsi, il est aisé de voir que les variations de
l’offre de monnaie ne modifient pas l’allocation des ressources de l’économie.1
Lorsque nous étudions l’effet d’une augmentation de l’offre de monnaie à long
terme, nous pouvons légitimement faire l’hypothèse que les valeurs de long
terme de R et de Y ne sont pas influencées. L’équation (14.5) nous permet donc
de tirer la conclusion suivante : une augmentation permanente de l’offre de
monnaie provoque une augmentation proportionnelle de la valeur de long terme
du niveau général des prix. En particulier, si l’économie est initialement dans
une situation de plein emploi des facteurs de production, une hausse permanente
de l’offre de monnaie sera finalement suivie par une hausse proportionnelle du
niveau général des prix.
1. Cette affirmation fait uniquement référence aux variations du niveau de l’offre nominale de
monnaie et non, par exemple, aux variations du taux de croissance de l’offre monétaire. Cette
hypothèse selon laquelle une variation ponctuelle de l’offre de monnaie n’a pas d’effet sur les
valeurs de long terme des variables économiques réelles est souvent qualifiée d’hypothèse de
neutralité de la monnaie à long terme. En revanche, les variations du taux de croissance de l’offre de
monnaie ne se révèlent pas nécessairement neutres à long terme. Au minimum, une variation
persistante du taux de croissance de l’offre de monnaie va finalement avoir un effet sur le niveau
d’équilibre de la demande réelle de monnaie, en augmentant le taux d’intérêt monétaire (voir
chapitre 15).

2. On pourrait prendre aussi pour exemple la création du « nouveau franc » en 1960, au taux de 1
pour 100 « anciens francs », qui a réduit les prix en francs au centième de leur valeur nominale avant
la réforme, mais qui n’a pas eu d’effet sur le produit réel, le taux d’intérêt ou les prix relatifs. On peut
également citer le cas d’Israël qui a choisi de passer de la livre au shekel, de l’Argentine qui est
passée du peso à l’austral, puis de nouveau au peso, ou du Brésil qui est passé du cruzeiro au
cruzado, du cruzado au cruzeiro, du cruzeiro au cruzeiro real et du cruzeiro real au real, la dernière
monnaie en date, introduite en 1994.

c. Résultats empiriques sur l’offre de monnaie et le niveau général des


prix
Si nous étudions les données relatives à la monnaie et aux prix, nous ne devons
pas nous attendre à trouver une relation exactement proportionnelle entre les
deux à long terme. Cela s’explique en partie par le fait que le produit intérieur,
le taux d’intérêt et la demande réelle de monnaie peuvent varier pour des raisons
qui sont totalement indépendantes de l’évolution de l’offre de monnaie. Par
exemple, le produit intérieur peut changer à la suite de l’accumulation du
capital, de progrès technologiques et d’ordinateurs plus puissants. La demande
de monnaie peut, quant à elle, évoluer en fonction des tendances
démographiques ou des innovations financières comme les distributeurs
bancaires électroniques. De plus, nos économies modernes se trouvent très
rarement dans une situation d’équilibre à long terme. Nous pouvons cependant
espérer que les données empiriques expriment une relation nettement positive
entre l’offre de monnaie et le niveau général des prix. Si, en pratique, les
données ne fournissaient pas une preuve suffisante de l’évolution conjointe de
l’offre de monnaie et du niveau général des prix, l’intérêt de la théorie de la
demande de monnaie se verrait sérieusement mis en doute.
Les fortes fluctuations des taux d’inflation en Amérique latine durant ces
dernières années rendent cette région parfaitement adaptée à l’étude du lien qui
existe entre l’offre de monnaie et le niveau général des prix. En effet, elle a subi
pendant près de dix ans des niveaux d’inflation élevés et très volatils – nous
aborderons cette question au chapitre 22 €, avant que les réformes
macroéconomiques commencent à porter leurs fruits et que l’inflation se mette
enfin à baisser au milieu des années 1990.
Les théories que nous avons développées précédemment nous incitent à penser
que les brusques variations des taux d’inflation ont dû être accompagnées de
variations dans les taux de croissance de l’offre de monnaie. Cette prédiction est
confirmée à la figure 14.10, qui représente les taux de croissance annuels
moyens de l’offre de monnaie en fonction des taux d’inflation. En moyenne, les
années où la croissance de la monnaie a été la plus forte ont tendance à être aussi
celles où les taux d’inflation étaient les plus forts. De plus, le nuage de points est
très proche de la diagonale à 45 degrés, qui détermine une relation strictement
proportionnelle entre l’offre de monnaie et le niveau général des prix.
Le principal enseignement que nous pouvons tirer de la figure 14.10 est le
suivant : les données empiriques confirment qu’il existe un lien fort à long terme
entre l’offre de monnaie et le niveau général des prix, tel que le prédit la théorie
économique.
1. Pour mieux comprendre pourquoi une variation ponctuelle de l’offre de monnaie n’a pas de
conséquence sur le niveau de long terme du taux d’intérêt, il peut être utile d’envisager les taux
d’intérêt, exprimés en termes monétaires, comme les prix relatifs des unités monétaires disponibles
à différentes échéances. Supposons que le taux d’intérêt de l’euro soit de R% annuel. Renoncer à 1 €
aujourd’hui permet d’obtenir (1 + R) euros l’année prochaine. Ainsi, 1/(1 + R) représente le prix
relatif des futurs euros, exprimé en euros actuels. Ce prix relatif ne va évidemment pas changer si la
valeur réelle de l’unité monétaire est modifiée, à la hausse ou à la baisse, d’un même facteur et pour
toutes les échéances.

d. Monnaie et taux de change à long terme


Le prix en monnaie domestique d’une monnaie étrangère fait partie des
nombreux prix de l’économie qui augmentent à long terme après une hausse
permanente de l’offre de monnaie. Si nous repensons aux effets d’une réforme
monétaire, nous pouvons comprendre facilement comment le taux de change se
modifie à long terme. Supposons, par exemple, que les autorités américaines
remplacent deux anciens dollars par un nouveau dollar. Si le taux de change se
situait à 1,20 ancien dollar pour un euro avant la réforme, il vaut 0,60 nouveau
dollar pour un euro immédiatement après. De la même façon, une diminution de
moitié de l’offre de monnaie américaine entraîne finalement une appréciation du
dollar, qui se traduira par un taux de change de 1,20 dollar par euro passant à
0,60 dollar par euro. Comme les prix en dollars de tous les biens et de tous les
services vont aussi diminuer de moitié, cette appréciation de 50 % du dollar
laisse les prix relatifs de tous les biens et services américains et étrangers
inchangés.
Nous pouvons donc conclure que, toutes choses égales par ailleurs, une
augmentation permanente de l’offre de monnaie entraîne, à long terme, une
dépréciation proportionnelle de la monnaie par rapport aux monnaies étrangères.
8. Inflation et dynamique des taux de change
Dans cette section, nous allons réunir les résultats concernant les effets des
variations monétaires que nous avons obtenus à court terme et à long terme.
Nous allons pour cela examiner le processus par lequel le niveau général des
prix s’ajuste jusqu’à atteindre sa position de long terme. On parle d’inflation
lorsque le niveau général des prix augmente et de déflation lorsqu’il diminue.
Notre analyse de l’inflation nous permettra de mieux comprendre la façon dont
le taux de change s’ajuste aux perturbations monétaires de l’économie.
a. Rigidité des prix à court terme, flexibilité des prix à long terme
Notre analyse des effets des variations monétaires à court terme faisait
l’hypothèse que le niveau général des prix ne pouvait pas varier brusquement
par saut, et ce à la différence du taux de change. Cette hypothèse n’est pas tout à
fait correcte puisque de nombreuses matières premières, comme les produits
agricoles, sont échangées sur des marchés où les prix s’ajustent quotidiennement
et brusquement lorsque les conditions de l’offre et de la demande se modifient.
De plus, les variations des taux de change peuvent elles-mêmes influer sur le
prix de certains biens et services qui composent le panier de biens utilisé pour
déterminer le niveau général des prix. Cependant, de nombreux prix dans
l’économie font l’objet de contrats à long terme et ne peuvent donc pas changer
immédiatement lorsqu’une variation de l’offre de monnaie se produit. Cela
concerne notamment les salaires, qui ne sont négociés que périodiquement dans
bon nombre d’industries. Ils n’entrent pas directement dans les indices du niveau
général des prix, mais ils représentent une large part des coûts de production des
biens et des services. Puisque les prix des biens dépendent fortement des coûts
de production, l’évolution du niveau général des prix à court terme est contrainte
par la rigidité des changements relatifs aux salaires.
La rigidité à court terme du niveau général des prix est illustrée à la figure 14.11.
Celle-ci compare les données des variations en pourcentage du taux de change
dollar contre yen, JPY/USD, avec les données mensuelles des variations en
pourcentage du rapport du niveau général des prix monétaires des États-Unis et
du Japon, P$/P¥. Le taux de change est beaucoup plus volatil que le rapport du
niveau général des prix. Cette situation est cohérente avec l’idée que les niveaux
de prix sont relativement rigides à courtterme. Les fluctuations qui apparaissent
sur cette figure peuvent s’appliquer aux principaux pays industriels au cours des
dernières décennies. Ceci justifie l’hypothèse que le niveau général des prix est
fixe à court terme et ne présente pas de fluctuations significatives en réponse à
des changements de politiques économiques.
Il ne serait pas raisonnable cependant de généraliser cette hypothèse à tous les
pays et à toutes les situations. Dans des conditions inflationnistes extrêmes –
comme certains pays d’Amérique latine en ont connues au cours des années
1980 –, les contrats à long terme, spécifiant les règlements en monnaie
domestique, peuvent se trouver invalidés. L’indexation automatique des salaires
sur le niveau général des prix peut aussi s’appliquer systématiquement dans des
conditions de très forte inflation. De telles mesures rendent le niveau général des
prix bien moins rigide qu’il ne l’est en présence d’une inflation modérée, et de
grandes fluctuations du niveau général des prix deviennent alors possibles.
Cependant, une certaine rigidité des prix peut demeurer, même en situation
d’inflation élevée (selon les critères des pays industrialisés). Ainsi, le taux
d’inflation de 30 % que la Turquie a connu en 2002 peut paraître élevé, jusqu’à
ce qu’il soit comparé à la dépréciation de 114 % qu’a subie la livre turque par
rapport au dollar la même année.
Notre analyse, fondée sur l’hypothèse d’une rigidité des prix à court terme, est
applicable à des pays qui ont connu une relative stabilité du niveau général des
prix, comme c’est le cas pour les principaux pays industrialisés. Mais même
dans le cas de pays à faible. inflation, les chercheurs réfléchissent à la possibilité
que les prix et les salaires soient en réalité assez flexibles, malgré une rigidité
apparente.1
Bien que le niveau général des prix semble présenter une certaine rigidité dans
de nombreux pays, une variation de l’offre de monnaie crée une pression
immédiate sur la demande et sur les coûts qui vont finalement provoquer des
hausses futures du niveau général des prix. Ces pressions peuvent être de trois
ordres :
1. Une demande excédentaire pour la production et la main-d’œuvre. Une
hausse de l’offre de monnaie produit un effet expansionniste sur l’économie, en
augmentant la demande totale de biens et de services. Pour répondre à cette
demande, les producteurs de biens et de services vont devoir employer leur
main-d’œuvre en heures supplémentaires et engager de nouveaux salariés.
Même si les salaires sont fixes à court terme, la demande supplémentaire de
main-d’œuvre permet aux salariés d’exiger des hausses de rémunérations lors de
prochaines négociations salariales. Les producteurs, pour leur part, acceptent de
payer des salaires plus élevés parce qu’ils savent que, dans une économie en
croissance, ils pourront aisément répercuter ces coûts salariaux sur les
consommateurs en augmentant le prix des biens et des services.
2. Les anticipations inflationnistes. Si chaque individu anticipe une
augmentation du niveau général des prix dans le futur, ces prévisions vont
accroître dès aujourd’hui le rythme de l’inflation. Les travailleurs vont exiger
des rémunérations plus élevées lors des négociations salariales, afin de
contrebalancer l’effet de la hausse générale anticipée des prix sur les salaires
réels. Les producteurs vont de nouveau céder à ces revendications s’ils
anticipent une hausse du prix des biens produits capable de couvrir les coûts
salariaux additionnels.
3. Le prix des matières premières. De nombreuses matières premières,
intervenant dans la production de biens de consommation – comme les produits
pétroliers et les métaux – sont négociées sur des marchés où les prix connaissent
des ajustements brusques et rapides, et ce même à court terme. Une
augmentation de l’offre de monnaie va entraîner un bond du prix de ces matières
premières qui sont plus sensibles à l’inflation anticipée. Par conséquent, elle va
accroître les coûts de production des industries qui les mettent en œuvre. Au
final, les producteurs concernés augmentent le prix de leurs biens afin de
compenser ces coûts supplémentaires.
b. Changements permanents de l’offre de monnaie et taux de
change
Nous allons maintenant appliquer notre analyse de l’inflation à l’étude de
l’ajustement du taux de change dollar contre euro faisant suite à une hausse
permanente de l’offre de monnaie dans la zone euro. La figure 14.12 illustre à la
fois les effets à court terme (voir figure 14.12a) et à long terme (voir figure
14.12b) de cette perturbation. Nous faisons l’hypothèse que l’économie part
d’une situation initiale dans laquelle toutes les variables se situent à leur niveau
de long terme, et que le niveau de la production reste constant pendant que
l’économie s’ajuste à la variation de l’offre de monnaie.
1. Voir Robert E. Hall et John B. Taylor, Macroeconomics: Theory, Performance and Policy, 5e édition.
New York, Norton, 1997. Les chapitres 15 et 16 proposent une analyse détaillée de la rigidité des prix
à court terme et de leur ajustement à long terme dans les économies fermées. Pour une synthèse
empirique, voir Mark A. Wynne, « Sticky Prices : What Is the Evidence ? » Federal Reserve Bank of
Dallas Economic Review, 1995, p. 1-12, et Mark J. Bils et Peter Klenow, « Some Evidence of the
Importance of Sticky Prices », Journal of Political Economy, 2004, vol. 112, p. 947-985.

La figure 14.12a suppose que le niveau général des prix dans la zone euro se
situe initialement au niveau . Une hausse de l’offre nominale de monnaie de à
entraîne donc une hausse de l’offre réelle de monnaie de /P1€ à /P1€, à court
terme, et va donc faire baisser le taux d’intérêt de (point 1) à (point 2).
Jusquelà, notre analyse est identique à ce que nous avons vu précédemment dans
ce chapitre. Introduisons une première modification dans notre raisonnement, en
nous demandant comment l’offre de monnaie de la zone euro – représentée dans
la partie inférieure de la figure (a) – peut influer sur le marché des changes –
représenté dans lapartie supérieure. Comme précédemment, une baisse du taux
d’intérêt dans la zone euro se concrétise par un déplacement vers la gauche de la
fonction verticale qui donne la rentabilité en euros des dépôts bancaires en
euros. Mais l’effet d’une hausse de l’offre monétaire ne s’arrête pas là, puisque
les anticipations sur les taux de change sont aussi affectées. Étant donné que la
croissance de l’offre de monnaie de la zone euro est permanente, tout le monde
s’attend à une augmentation à long terme de tous les prix en euros, y compris du
taux de change, qui correspond au prix en euros des dollars (cotation, comme
toujours, à l’incertain). Une augmentation du taux de change futur anticipé –
c’est-à-dire une dépréciation future de l’euro – entraîne une hausse de la
rentabilité en euros des dépôts bancaires en dollars (voir chapitre 13). Cela va
donc se traduire par un déplacement vers la droite de la fonction décroissante
située dans la partie supérieure de la figure 14.12a. L’euro se déprécie par
rapport au dollar, le taux de change passant de E1 (point 1′) à E2 (point 2′). Une
remarque importante s’impose ici : la dépréciation de l’euro est supérieure à ce
qu’elle serait si le taux de change futur anticipé restait constant. Ce serait le cas
si la hausse de l’offre de monnaie était temporaire au lieu d’être permanente. Si
le taux anticipé Ee est constant, le nouvel équilibre à court terme se situe au
point 3′, plutôt qu’au point 2′.
La figure 14.12b illustre de quelle façon le taux d’intérêt et le taux de change
évoluent tandis que le niveau général des prix augmente durant l’ajustement de
l’économie vers son niveau d’équilibre à long terme. Le niveau général des prix
commence à croître de sa valeur initiale , jusqu’à atteindre finalement P2€.
Comme l’augmentation du niveau général des prix à long terme doit être
proportionnelle à la hausse de l’offre de monnaie, l’offre réelle finale de
monnaie, / , atteint une valeur égale à sa valeur initiale, M1E/P1e . Le niveau de
production étant fixé et l’offre réelle de monnaie ayant retrouvé son niveau
initial, le taux d’intérêt de long terme doit donc, lui aussi, converger à long
terme vers sa valeur initiale, (point 4). Nous pouvons donc en déduire que le
taux d’intérêt augmente, passant de (point 2) à (point 4), pendant que le niveau
général des prix croît de Pe 1à P2e
La croissance du taux d’intérêt dans la zone euro influe aussi sur le taux de
change. Cet effet apparaît à la figure 14.12b : l’euro s’apprécie par rapport au
dollar pendant le processus d’ajustement. Si les anticipations, concernant le taux
de change, ne varient plus durant le processus d’ajustement, le marché des
changes convergera vers son équilibre à long terme, en se déplaçant le long de la
courbe décroissante donnant la rentabilité en euros des dépôts en dollars. La
trajectoire du marché correspond au déplacement vers la droite de la fonction
verticale donnant le taux d’intérêt en euros, déplacement qui répond à la hausse
graduelle du niveau général des prix. Le taux de change d’équilibre à long terme
(point 4′), E3, est supérieur à celui qui correspond à l’équilibre initial (point 1′).
De la même manière que pour l’évolution du niveau général des prix, la
croissance du taux de change s’est révélée proportionnelle à celle de l’offre de
monnaie..
La figure 14.13 illustre le cheminement temporel, après une augmentation
permanente de l’offre de monnaie dans la zone euro, du taux d’intérêt des dépôts
en euros, du niveau général des prix et du taux de change. La figure est
construite de façon que l’augmentation à long terme du niveau général des prix
(voir figure 14.13c) et celle du taux de change (voir figure 14.13d) soient
proportionnelles à l’augmentation de l’offre de monnaie (voir figure 14.13a).

c. Surréaction du taux de change


La dépréciation initiale de l’euro, qui fait immédiatement suite à l’augmentation
de l’offre de monnaie, correspond à une hausse discontinue du taux de change,
qui passe instantanément de E1 à E2. Cette première dépréciation est supérieure
à la dépréciation de long terme, qui correspond au passage du taux de change de
sa valeur initiale E1 à celle de long terme E3 (voir figure 14.13d). Nous dirons
que le taux de change surréagit lorsque sa réponse immédiate à une perturbation
est de plus grande ampleur que sa réponse à long terme. Ce phénomène de
surréaction (overshooting) des taux de change est important parce qu’il permet
d’expliquer pourquoi les taux de change présentent une si forte volatilité d’un
jour à l’autre1.
L’explication économique de la surréaction du taux de change se trouve dans la
condition de parité des taux d’intérêt. Pour mieux comprendre le phénomène,
faisons l’hypothèse simplificatrice suivante : supposons qu’aucune variation du
taux de change dollar contre euro ne soit anticipée, avant que la hausse de l’offre
de monnaie ne se produise. Par conséquent, le taux d’intérêt en euros, , est égal
au taux d’intérêt en dollars, R$. Une augmentation permanente de l’offre de
monnaie de la zone euro n’a pas de répercussion sur R$. Cela entraîne donc une
baisse du taux d’intérêt en euros R€ sous le niveau R$. Le taux R€ va rester
inférieur au taux R$ (voir figure 14.13b), jusqu’à ce que le niveau général des
prix dans la zone euro s’ajuste à son niveau de long terme pour atteindre (voir
figure 14.13c). Pendant ce processus d’ajustement, le marché des changes ne
peut rester à l’équilibre qu’à la condition que la différence d’intérêt en faveur
des dépôts en dollars soit compensée par l’anticipation d’une appréciation de
l’euro par rapport au dollar, c’est-à-dire par l’anticipation d’une baisse de E.
Pour que les acteurs du marché des changes anticipent une appréciation de
l’euro par rapport au dollar, il faut nécessairement qu’au départ le taux de
change dollar contre euro dépasse le niveau E3. La surréaction du taux de
change est une conséquence directe de la rigidité des prix à court terme. Dans un
monde hypothétique, où les prix pourraient s’ajuster immédiatement à leur
valeur de long terme après une hausse de l’offre de monnaie, le taux d’intérêt en
euros ne diminuerait pas. En effet, les prix s’ajusteraient immédiatement et
empêcheraient la hausse de l’offre réelle de monnaie. Ainsi, la surréaction du
taux de change ne serait pas nécessaire au maintien de l’équilibre sur le marché
des changes. Le taux de change préserverait l’équilibre du marché en atteignant
directement son nouveau niveau de long terme.1
RESUME :La monnaie est détenue parce qu’elle est liquide. Sa demande,
considérée en termes réels, ne correspond pas au besoin d’un certain nombre
d’unités monétaires, mais plutôt à celui d’un certain pouvoir d’achat. La
demande réelle de monnaie dépend négativement du coût d’opportunité de la
détention de monnaie – ce coût est mesuré par le taux d’intérêt –, et elle dépend
positivement du volume de transactions dans l’économie – ce volume est mesuré
par le PIB réel. Le marché monétaire est à l’équilibre lorsque l’offre réelle de
monnaie est égale à la demande réelle de monnaie. Si le niveau général des prix
et le niveau du produit intérieur sont donnés, une augmentation de l’offre de
monnaie entraîne une baisse du taux d’intérêt. Inversement, une diminution de
l’offre de monnaie entraîne une hausse du taux d’intérêt. Si le niveau général des
prix est donné, une augmentation du produit réel provoque une hausse du taux
d’intérêt. Une chute du produit réel provoque l’effet inverse. Une augmentation
de l’offre de monnaie provoque également une dépréciation de la monnaie sur le
marché des changes (même lorsque les anticipations sur les taux de change
futurs ne changent pas). De même, une baisse de l’offre de monnaie entraîne une
appréciation de cette monnaie par rapport aux monnaies étrangères. L’hypothèse
selon laquelle le niveau général des prix est fixe à court terme correspond à une
bonne approximation de la réalité pour les pays connaissant une inflation
modérée. Cette hypothèse n’est cependant pas vérifiée à long terme. Une
variation permanente de l’offre de monnaie provoque une variation
proportionnelle et de même sens du niveau d’équilibre à long terme des prix. En
revanche, elle n’a pas d’effet sur les valeurs de long terme du produit intérieur,
du taux d’intérêt ou des prix relatifs. Le taux de change – c’est-à-dire le prix en
monnaie domestique de la monnaie étrangère – fait partie des prix monétaires
dont le niveau de long terme croît proportionnellement à une augmentation
permanente de l’offre de monnaie. Une augmentation de l’offre de monnaie peut
provoquer une surréaction à court terme du taux de change, qui va alors dépasser
son niveau de long terme. Si le produit intérieur est donné, une hausse
permanente de l’offre de monnaie, par exemple, entraîne une dépréciation plus
que proportionnelle de la monnaie à court terme. Cette dépréciation est suivie
par une appréciation de la monnaie jusqu’à son niveau de long terme. La
surréaction du taux de change, qui intensifie la volatilité des taux de change, est
une conséquence directe de la lenteur de l’ajustement du niveau général des prix
à court terme et de la condition de parité des taux d’intérêt.
ACTIVITE :
1. Supposons que la demande réelle de monnaie diminue. Représentez
graphiquement les effets à court terme et à long terme de cette variation sur le
taux de change, le taux d’intérêt et le niveau général des prix.
2. Quel peut être l’effet d’une baisse de population d’un pays sur la
fonction de demande de monnaie ? Le fait que cette baisse démographique soit
due à une diminution du nombre de ménages ou de la taille des ménages a-t-il
une importance ?
3. La vitesse de circulation de la monnaie, V, est définie comme le ratio
du PIB réel sur la détention réelle de monnaie, V = Y/(M/P), en reprenant les
notations de ce chapitre. Utilisez l’équation (14.4) pour déterminer une
expression de la vitesse de circulation de la monnaie. Expliquez comment cette
vitesse de circulation se modifie si R et Y connaissent des variations. On
remarquera que l’effet d’une variation du produit intérieur sur V dépend de
l’élasticité de la demande de monnaie par rapport au produit réel – élasticité que
les économistes considèrent comme inférieure à l’unité. Quelle relation existe-t-
il entre la vitesse de circulation et le taux d’intérêt ?
4. Quel est l’effet, à court terme, d’une augmentation du PIB réel sur le
taux de change si les anticipations sur les taux de change futurs sont données ?
5. Nous avons souligné, dans ce chapitre, l’utilité de la monnaie comme
moyen d’échange et comme unité de compte. En vous fondant sur cette analyse,
expliquez pourquoi certaines monnaies deviennent des monnaies internationales.
6. Si une réforme monétaire comme celle qui a été menée par les autorités
turques pour réduire la valeur nominale de la monnaie n’a pas d’effet sur les
variables réelles de l’économie, pourquoi les gouvernements associent-ils des
réformes monétaires à des programmes de lutte contre l’inflation ?
7. Supposons qu’une économie, avec un taux de chômage élevé, double
son offre de monnaie. À long terme, le plein emploi est rétabli et la production
retrouve son niveau de plein emploi. Sous l’hypothèse – certes improbable – que
le taux d’intérêt se situe, avant l’augmentation de l’offre de monnaie, à son
niveau de long terme, la hausse à long terme du niveau général des prix sera-t-
elle plus ou moins proportionnelle à la variation de l’offre de monnaie ? Qu’en
est-il si le taux d’intérêt se situe initialement au-dessous de son niveau de long
terme – cette hypothèse étant plus probable que la précédente ?
8. Entre 1984 et 1985, l’offre de monnaie aux États-Unis a augmenté de
570 à 641 milliards de dollars, tandis que celle du Brésil passait de 24 à 106
milliards de cruzados. Durant la même période, l’indice américain des prix à la
consommation a augmenté de 96,6 à 100, tandis que l’indice brésilien passait de
31 à 100. Calculez le taux de croissance de l’offre de monnaie et de l’inflation
au cours de la période 1984-1985 pour les États-Unis et le Brésil. Si nous
faisons l’hypothèse que les autres facteurs qui influent sur les marchés
monétaires n’ont pas connu de variations trop importantes, comment ces valeurs
concordent-elles avec les prédictions du modèle présenté dans eco internat Livre
Page 405 Mercredi, 18. mars 2009 10:07 10 406 Activités ce chapitre ?
Comment expliquer les réactions apparemment différentes des prix aux États-
Unis et au Brésil ?
9. Poursuivez l’exercice précédent en notant que la valeur monétaire de la
production en 1985 atteignait 4 010 milliards de dollars aux États-Unis et 1 418
milliards de cruzados au Brésil. Reportez-vous à la question 3 et calculez la
vitesse de circulation de la monnaie pour les deux pays en 1985. Pourquoi la
vitesse de circulation de la monnaie est-elle beaucoup plus élevée au Brésil ?
10.Dans notre analyse de la surréaction du taux de change à court terme,
nous avons fait l’hypothèse que le produit réel était donné. Supposons
maintenant qu’une augmentation de l’offre de monnaie entraîne une hausse du
produit réel à court terme – hypothèse que nous justifierons au chapitre 16.
Comment cela influe-t-il sur l’ampleur de la surréaction du taux de change ? Est-
il envisageable d’obtenir une sous-réaction du taux de change ? Notez qu’à la
figure 14.12a une augmentation du produit réel va entraîner un déplacement de
la courbe de demande réelle de la monnaie.
11.La figure 13.3 montre que les taux d’intérêt à court terme au Japon ont
connu des périodes pendant lesquelles ils étaient proches de zéro, voire nuls. Le
fait que les taux d’intérêt japonais ne soient jamais devenus négatifs est-il une
coïncidence ?
12.Comment un taux d’intérêt nul peut-il compliquer le fonctionnement
de la politique monétaire ?
13.Plutôt que de fixer intentionnellement le niveau de l’offre de monnaie,
les banques centrales déterminent un niveau cible pour le taux d’intérêt à court
terme, en proposant de prêter ou d’emprunter à ce taux sans limite.
a. Décrivez les problèmes qui peuvent apparaître si une banque centrale
conduit sa politique monétaire en maintenant le taux d’intérêt du marché à un
niveau constant. Considérez en premier lieu le cas où les prix sont flexibles ;
peut-on trouver un niveau de prix d’équilibre unique lorsque la banque centrale
donne aux individus la quantité de monnaie qu’ils souhaitent détenir au taux
d’intérêt fixe ? Considérez ensuite le cas où les prix sont rigides.
b. Est-ce que la situation est différente si la banque centrale augmente le
taux d’intérêt lorsque les prix sont élevés, selon la formule suivante : R – R0 = a
(P – P0), où a est une constante positive et P0 un niveau de prix cible ?
c. Supposons que la règle suivie par la banque centrale s’écrive : R – R0 =
a (P – P0) + u, où u est un mouvement aléatoire de la politique de taux d’intérêt.
On peut interpréter une diminution de u comme un abaissement du taux d’intérêt
par la banque centrale, et donc comme une mesure monétaire expansionniste. En
vous plaçant dans le contexte du modèle de surréaction du taux de change de la
figure 14.12, expliquez comment et pourquoi l’économie s’ajuste à une baisse
unique, permanente et non anticipée du facteur aléatoire u. Comparez avec la
figure 14.13.s
Chapitre 15
Niveau général des prix et taux de change à long terme
Alors qu’un dollar américain valait 358 yens japonais à la fin de l’année 1970,
ce même dollar ne valait plus que 203 yens dix ans plus tard. En dépit d’un
redressement temporaire dans les années 1980, le prix du dollar en yens s’est
effondré et est inférieur à 100 yens fin 2008. Un certain nombre d’investisseurs
n’ont pas réussi à anticiper ces changements de prix et, par conséquent, des
fortunes ont été perdues – et gagnées – sur les marchés des changes. Quelles
sont les forces économiques sous-jacentes à de pareils mouvements à long terme
des taux de change ? Nous avons vu que les taux de change sont déterminés à la
fois par les taux d’intérêt et par les anticipations, qui subissent, quant à eux,
l’influence des marchés monétaires domestiques. Pour bien comprendre les
mouvements à long terme des taux de change, nous devons cependant étendre
notre modèle dans deux directions. Tout d’abord, nous devons compléter notre
analyse des liens entre la politique monétaire, l’inflation, les taux d’intérêt et les
taux de change. Ensuite, il nous faut examiner des facteurs autres que l’offre et
la demande de monnaie – par exemple, les modifications de la demande sur le
marché des biens et des services – qui peuvent avoir des effets durables sur les
taux de change. Dans ce chapitre, nous développons un modèle décrivant le
comportement à long terme des taux de change. Ce modèle est celui que les
intervenants sur le marché des actifs utilisent pour prévoir les taux de change
futurs. En outre, puisque les anticipations des agents ont un effet immédiat sur le
taux de change, les prévisions de taux de change à long terme sont importantes,
même à court terme. Nous utiliserons donc largement les conclusions de ce
chapitre lorsque nous examinerons au chapitre 16 les interactions à court terme
du taux de change et de la production. À long terme, le niveau général des prix
joue un rôle-clé dans la détermination des taux d’intérêt et des taux de change.
Nous étudions d’abord la théorie de la parité de pouvoir d’achat (PPA) qui lie
les mouvements du taux de change entre deux monnaies aux évolutions du
pouvoir d’achat de celles-ci, autrement dit aux changements du niveau général
des prix. Nous examinons ensuite les raisons pour lesquelles la PPA ne permet
pas de prévoir précisément les mouvements à long terme et nous montrons
comment la modifier pour tenir compte des variations de l’offre et de la
demande sur les marchés des biens et services domestiques. Nous expliquons
enfin dans quelle mesure cette version élargie de la théorie de la PPA nous
permet de comprendre la façon dont les modifications sur les marchés de la
monnaie et des biens et services influent sur les taux de change et les taux
d’intérêt.
I. Loi du prix unique
Pour comprendre les forces de marché qui sous-tendent la théorie de la parité de
pouvoir d’achat, nous allons d’abord discuter d’une relation connexe, mais
distincte, connue sous le nom de loi du prix unique. Cette loi stipule que sur des
marchés compétitifs, sans coûts de transport et sans barrières officielles aux
échanges (comme des droits de douane), des biens identiques commercialisés
dans des pays différents doivent être vendus au même prix lorsque celui-ci est
exprimé dans une même monnaie. Par exemple, pour un taux de change de 1,1
dollar américain pour 1 euro, un pull vendu 50 € à Paris doit être vendu 55 $ à
New York. Le prix en euros du pull vendu à New York est alors de 50 € (55/1,1)
par pull, c’est-à-dire le même prix qu’à Paris.
Continuons avec cet exemple pour voir pourquoi la loi du prix unique doit être
vérifiée lorsque les échanges sont libres et qu’il n’y a pas de coûts de transport
ou de barrières aux échanges. Si le taux de change avait été de 1,15 dollar pour 1
euro, nous aurions pu acquérir le pull à New York en achetant 55 $ sur le
marché des changes au prix de 47,83 € (55/1,15) et le pull n’aurait coûté que
47,83 €. Or, si le même pull était vendu pour 50 € à Paris, les importateurs
français et les exportateurs américains auraient intérêt à acheter les pulls à New
York et à les expédier jusqu’à Paris. Cela provoquerait ainsi une hausse du prix
à New York et une baisse du prix à Paris, jusqu’à ce qu’ils soient égaux dans les
deux pays. De même, pour un taux de change de 1,05 dollar pour 1 euro, le prix
du pull en euros serait de 52,38 € (55/1,05), soit 2,38 € plus cher qu’à Paris. Les
pulls seraient alors exportés de France vers les États-Unis, jusqu’à ce que les
deux marchés vendent ce bien au même prix.
La loi du prix unique est une reformulation, en termes monétaires, du principe
qui a prédominé dans la première partie de ce livre consacrée au commerce
international : lorsque les échanges sont libres et sans coûts, des biens identiques
doivent être vendus aux mêmes prix relatifs, quel que soit l’endroit où ils sont
commercialisés. Il est important de rappeler ce principe, car il illustre le lien
existant entre les prix domestiques des biens et les taux de change.
Nous pouvons exprimer formellement la loi du prix unique de la façon suivante.
Soit , le prix en euros du bien i lorsqu’il est vendu dans la zone euro, et , le prix
correspondant en dollars lorsque le bien est vendu aux États-Unis. La loi du prix
unique implique alors que le prix en euros du bien i est le même, quel que soit
l’endroit où il est vendu :
P€ = E × ⇔ E = Pie/Pis
où E est le rapport des prix du bien i dans la zone euro et aux États-Unis, soit le
prix d’un dollar en euros, soit encore le taux de change dollar contre euro coté à
l’incertain (dans la zone euro).
II. Parité de pouvoir d’achat
La théorie de la parité de pouvoir d’achat spécifie que le taux de change entre
deux monnaies doit être égal au rapport du niveau général des prix dans les deux
pays. Nous avons vu que le pouvoir d’achat de la monnaie est inversement
proportionnel au niveau général des prix, c’est-à-dire au prix d’un panier de
biens et de services de référence (voir chapitre 14). La théorie de la PPA prévoit
donc qu’une baisse du pouvoir d’achat de la monnaie domestique, qui se traduit
par une hausse du niveau général des prix intérieur, sera associée à une
dépréciation proportionnelle de la monnaie sur le marché des changes. De façon
symétrique, la PPA prévoit qu’une augmentation du pouvoir d’achat de la
monnaie domestique sera associée à une appréciation proportionnelle de la
monnaie.
L’idée principale de la PPA a été développée au XIXe siècle par des
économistes britanniques, parmi lesquels David Ricardo (qui fut aussi à
l’origine de la théorie des avantages comparatifs). Gustav Cassel, un économiste
suédois du début du XXe siècle, a popularisé la théorie de la PPA en la
présentant comme la pièce maîtresse de la théorie des changes1. Bien que la
validité de la PPA suscite de nombreuses controverses, cette théorie met en
lumière des facteurs importants qui expliquent les mouvements des taux de
change.
Pour exprimer la PPA de façon formelle, posons P€, le prix en euros d’un panier
de biens de référence vendu dans la zone euro, et P$, le prix en dollars de ce
même panier de biens vendu aux États-Unis (supposons pour le moment qu’un
unique panier mesure exactement le pouvoir d’achat de la monnaie de chacun
des deux pays). La PPA prédit que le taux de change à l’incertain (nombre
d’euros par dollar) s’écrit :
E = P€/P$
Si, par exemple, le panier de biens de référence coûte 200 $ aux États-Unis et
160 € dans la zone euro, la PPA prédit que le taux de change sera égal à 0,8 euro
pour 1 dollar (160 € par panier/200 $ par panier). Si le niveau général des prix
dans la zone euro était deux fois plus élevé (à 320 € par panier), alors d’après la
PPA le taux de change serait de 1,6 euro par dollar (320 € par panier/200 $ par
panier).
En reprenant l’équation (15.1), on obtient : P€ = P$ × E
Le membre de gauche de cette équation représente le prix en euros d’un panier
de biens européen ; le membre de droite représente le prix en euros du même
panier de biens lorsqu’il est acheté aux États-Unis (c’est-à-dire le prix du panier
en dollars multiplié par le prix en euros d’un dollar). Ces deux prix sont donc les
mêmes si la PPA est vérifiée. La PPA énonce que le niveau général des prix
dans le pays domestique et à l’étranger est égal quand ces derniers sont mesurés
dans la même monnaie. De façon équivalente, le membre de droite de la
dernière équation mesure le pouvoir d’achat d’un euro lorsqu’il est échangé
contre des dollars puis dépensé aux États-Unis. Par conséquent, pour un taux de
change donné, la PPA est vérifiée lorsque le pouvoir d’achat exprimé en
monnaie domestique est toujours identique à celui exprimé en monnaie
étrangère.
1) Relation entre la PPA et la loi du prix unique
L’expression de la PPA donnée par l’équation (15.1) paraît, a priori, identique à
la loi du prix unique. Il y a cependant une différence entre les deux : la loi du
prix unique est appliquée sur des biens particuliers (tels que le bien i), tandis que
la PPA s’applique au niveau général des prix, qui est un prix composite de tous
les biens et services entrant dans le panier de référence.
Si la loi du prix unique est vérifiée pour tous les biens, alors la PPA est
automatiquement confirmée, à partir du moment où un même panier sert de
référence pour estimer le niveau général des prix de chaque pays. Les partisans
de la PPA considèrent cependant que sa validité (en particulier en tant que
théorie à long terme) n’exige pas que la loi du prix unique soit exactement
vérifiée.
Même si la loi du prix unique n’est pas vérifiée pour chaque bien, l’argument
reste valide, les prix et les taux de change ne devraient pas trop s’éloigner de ce
que prédit la PPA. Lorsque les biens et les services sont temporairement plus
coûteux dans un pays que dans un autre, la demande pour la monnaie et la
production de ce pays diminuent, ce qui doit ramener le taux de change et les
prix domestiques à des niveaux en accord avec la PPA. La situation opposée,
dans laquelle les biens domestiques sont relativement bon marché, conduit à une
appréciation de la monnaie et à des prix plus élevés dans le pays. La PPA
affirme donc que, même si la loi du prix unique n’est pas exactement vérifiée,
les forces économiques sous-jacentes conduisent finalement à égaliser le pouvoir
d’achat de la monnaie de chaque pays.

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