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1. Pour une analyse approfondie, voir Frederic Mishkin, Christian Bordes, Pierre-Cyrille Hautcœur et
Dominique Lacoue-Labarthe, Monnaie, banques et marchés financiers, 8e édition, Pearson
Education, 2007.
I. Définition et fonctions de la monnaie
Nous sommes tellement habitués à utiliser la monnaie que nous n’avons même
plus conscience du rôle essentiel qu’elle joue dans la plupart de nos transactions
quotidiennes. En fait, la meilleure façon pour prendre conscience de l’utilité de
la monnaie consiste à imaginer ce que la vie économique serait sans elle. Dans
cette section, nous allons justement étudier une économie sans monnaie. Notre
objectif est de distinguer la monnaie des autres actifs et de mettre en lumière les
caractéristiques qui incitent les individus à en détenir. Ces caractéristiques sont
la base de l’analyse de la demande de monnaie1.
1. La monnaie comme moyen d’échange
La fonction principale de la monnaie est de servir de moyen d’échange. La
monnaie est un mode de paiement largement reconnu et accepté par tous. Une
telle fonction est primordiale. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer une
économie où le seul type de transaction possible serait le troc – c’est-à-dire
l’échange direct de biens et de services contre d’autres biens et services. Quelle
perte de temps il en résulterait pour les consommateurs : pour faire réparer sa
voiture, par exemple, votre professeur devrait trouver un garagiste qui soit à la
recherche de leçons d’économie ! La monnaie, parce qu’elle est universellement
reconnue et acceptée, permet d’éliminer les coûts de recherche énormes
engendrés par un système de troc. Elle permet à une personne qui produit des
biens et des services de les vendre à une autre personne qui souhaite les
consommer. Une économie moderne et complexe ne pourrait fonctionner
correctement sans moyen de paiement standardisé et pratique à utiliser.
2. La monnaie comme unité de compte
La deuxième fonction importante de la monnaie est d’être une unité de compte,
c’est-àdire une mesure de valeur largement reconnue. C’est cette fonction que
nous avons étudiée au chapitre 13 : les prix des biens, des services et des actifs y
sont exprimés en termes monétaires. En particulier, les taux de change
permettent de convertir les prix monétaires des différents pays en termes
comparables. La convention qui consiste à exprimer les prix en termes
monétaires permet de simplifier la comparaison des prix des différents biens. Au
chapitre 13, nous avons procédé à des comparaisons internationales du prix des
biens produits dans différents pays en utilisant les taux de change. Nous serions
astreints au même genre de calculs plusieurs fois par jour si les prix des
différents biens d’un même pays n’étaient pas exprimés dans une unité de
compte standardisée. Calculer les prix relatifs de chaque bien et service en
fonction de plusieurs autres biens et services, comme le prix d’une part de pizza
en termes de bananes, serait fastidieux, voire impossible dans de nombreux cas.
L’avantage d’utiliser la monnaie comme unité de compte est manifeste.
3. La monnaie comme réserve de valeur
La monnaie permet de transférer du pouvoir d’achat du présent vers le futur : il
s’agit donc aussi d’un actif, d’une réserve de valeur. Cette fonction est
essentielle pour tout moyen d’échange, parce que personne ne l’accepterait en
paiement si sa valeur en termes de biens et services disparaissait trop
rapidement. L’utilité de la monnaie comme moyen d’échange en fait
automatiquement l’actif le plus liquide qui puisse exister. Un actif est dit liquide
lorsqu’il peut être transformé rapidement en biens et services sans coût de
transaction élevé ; c’est le cas des frais de courtage (voir chapitre 13). Puisque la
monnaie est facilement acceptée comme moyen de paiement, elle sert de
référence pour la détermination du degré de liquidité des autres actifs.
4. Qu’est-ce que la monnaie ?
Les pièces et les billets, c’est-à-dire les espèces ou le numéraire, constituent la
monnaie fiduciaire. Celle-ci ne représente qu’une petite part de la monnaie. Les
dépôts bancaires, sur lesquels des chèques peuvent être tirés, font également
partie de la monnaie : on parle de monnaie scripturale. Ils représentent des
moyens de paiement largement acceptés qui peuvent être transférés à faible coût
d’un individu à un autre. Les actifs, comme les biens immobiliers, ne sont pas
considérés comme de la monnaie, car à l’inverse des espèces et des dépôts à vue
ils ne remplissent pas le critère fondamental de la liquidité. Dans cet ouvrage,
lorsque nous parlons d’offre de monnaie, nous nous référons à l’agrégat
monétaire que la banque centrale (dans l’Union européenne, la Banque centrale
européenne, aux États-Unis, la Réserve fédérale) appelle l’agrégat monétaire
M1. Il s’agit du montant total des espèces en circulation et des dépôts à vue
détenus par les ménages et les entreprises. En septembre 2008, dans la zone
euro, M1 atteint près de 3 900 milliards d’euros. Une mesure élargie de l’offre
de monnaie, l’agrégat M2 (7 800 milliards d’euros), inclut, en plus de M1, les
placements qui sont disponibles à tout moment mais qui doivent être convertis
au préalable. Ces placements sont donc moins liquides que les actifs qui
composent M1. Une mesure encore plus large de la monnaie, appelée M3 (9 200
milliards d’euros), est aussi prise en compte par la BCE et intègre, en plus de
M2, les titres négociables émis par les institutions financières monétaires. La
frontière entre la monnaie et la quasi-monnaie est en général définie de façon
relativement arbitraire, aussi fait-elle l’objet de nombreuses controverses. Les
dépôts bancaires d’un montant important, qui sont échangés par les acteurs du marché des changes,
ne sont pas considérés comme faisant partie de l’offre de monnaie. Ils sont en effet moins liquides
que la monnaie et ne servent pas à financer des transactions courantes.
5. Comment l’offre de monnaie est-elle déterminée ?
L’offre de monnaie est contrôlée par la banque centrale. Cette dernière
réglemente directement le montant des espèces disponibles et possède un
contrôle indirect sur le montant des dépôts à vue émis par les banques. Les
procédures grâce auxquelles les banques centrales contrôlent l’offre de monnaie
sont complexes. C’est pourquoi nous supposerons désormais que la banque
centrale détermine simplement le niveau de l’offre de monnaie qu’elle souhaite.
Nous aborderons cette question plus en détail aux chapitres 17 et 21.
II. La demande individuelle de monnaie
Tournons-nous à présent vers les facteurs qui déterminent le montant de
monnaie que les personnes souhaitent détenir. Les déterminants de la demande
individuelle de monnaie peuvent dériver de la théorie de la demande d’actifs que
nous avons étudiée au chapitre précédent. Nous avons vu que les particuliers
fondaient leur demande sur trois caractéristiques de l’actif : i) sa rentabilité
anticipée comparée aux rentabilités offertes par les autres actifs, ii) son risque,
iii) sa liquidité. La liquidité joue un faible rôle dans la détermination de la
demande relative des actifs échangés sur le marché des changes. En revanche,
les ménages et les entreprises ne détiennent de la monnaie que pour des raisons
de liquidité. Pour comprendre comment ils choisissent le montant de monnaie à
détenir, nous devons analyser la façon dont chacun des trois critères précédents
influe sur la demande de monnaie.
1. La rentabilité anticipée La monnaie ne porte pas intérêt.
Les dépôts à vue offrent parfois des intérêts, mais les taux sont bien inférieurs à
ceux offerts par les actifs moins liquides. Lorsqu’un agent détient de la monnaie,
il renonce au taux d’intérêt plus élevé qu’il aurait pu obtenir en plaçant sa
richesse dans une obligation d’État, un dépôt à terme ou tout autre actif
relativement peu liquide, comme des timbres de collection ou de l’immobilier.
Lorsque nous parlons « du » taux d’intérêt, nous faisons référence à ce taux
d’intérêt auquel les individus renoncent. En effet, le taux d’intérêt sur les
espèces est nul et le taux des dépôts à vue est relativement stable. Aussi, la
différence de rentabilité entre la monnaie en général et les actifs alternatifs
moins liquides se reflète-t-elle dans le taux d’intérêt du marché : plus le taux
d’intérêt est élevé, plus grand est le sacrifice financier à détenir sa richesse sous
forme de monnaie.1 Supposons, par exemple, que le taux d’intérêt sur un bon du
Trésor français s’élève à 10 % par an. Si un agent prélève 10 000 € sur sa
richesse pour acheter des bons du Trésor, l’État français lui versera 11 000 € à la
fin de l’année de détention. Mais s’il choisit de garder ces 10 000 € en espèces
dans un coffre à la banque, il renonce à ces 1 000 € d’intérêts qu’il aurait pu
gagner en achetant les bons du Trésor. Il a ainsi sacrifié un taux d’intérêt de 10
% en choisissant de détenir 10 000 € sous forme de monnaie. La théorie de la
demande d’actifs, que nous avons développée au chapitre précédent, nous
permet de comprendre comment les variations des taux d’intérêt influent sur la
demande de monnaie. Par ailleurs, les individus préfèrent détenir les actifs
offrant la meilleure rentabilité. Supposons que les taux d’intérêt augmentent.
Nous savons qu’une hausse du taux d’intérêt correspond à une hausse de la
rentabilité des actifs moins liquides que la monnaie. Les agents préfèrent donc
détenir une plus grande part de leur richesse en actifs peu liquides, qui vont leur
rapporter le taux d’intérêt du marché, et une moins grande part de leur richesse
sous forme de monnaie. Nous pouvons ainsi conclure que, toutes choses égales
par ailleurs, une hausse des taux d’intérêt entraîne une baisse de la demande de
monnaie. Nous pouvons aussi aborder l’influence du taux d’intérêt sur la
demande de monnaie en introduisant le concept économique de coût
d’opportunité. Il s’agit du revenu qui est sacrifié en choisissant un type d’action
plutôt qu’un autre. Le taux d’intérêt mesure le coût d’opportunité associé au fait
de détenir de la monnaie plutôt que des obligations portant intérêts. Une hausse
du taux d’intérêt entraîne alors une augmentation du coût d’opportunité de la
détention de monnaie. Elle réduit en conséquence la demande de monnaie.
1. De nombreux actifs peu liquides, parmi ceux que les particuliers
peuvent choisir, offrent des revenus sous une autre forme que les
intérêts.
La rentabilité des actions, par exemple, est composée des dividendes versés et de
la plus ou moins-value en capital. La rentabilité d’une maison de campagne est
fonction, éventuellement, du gain en capital et du plaisir à y passer ses vacances.
L’hypothèse qui sous-tend notre analyse de la demande de monnaie peut
s’énoncer ainsi : une fois que le risque a été pris en compte, tous les actifs autres
que la monnaie offrent une rentabilité anticipée (mesuré en termes monétaires)
égale au taux d’intérêt. Cette hypothèse nous permet d’utiliser le taux d’intérêt
pour représenter la rentabilité à laquelle un individu renonce lorsqu’il détient de
la monnaie plutôt qu’un actif moins liquide.
2. Risque
Le risque ne représente pas un facteur important dans la demande de monnaie. Il
est, bien entendu, risqué de détenir de la monnaie, puisqu’une hausse
imprévisible du prix des biens et des services peut réduire la valeur de la
monnaie en termes de pouvoir d’achat. Cependant, les actifs portant intérêts,
comme les obligations d’État, présentent des valeurs nominales fixes en termes
monétaires. La même hausse inattendue des prix diminue donc aussi la valeur
réelle de ces actifs, et du même pourcentage que pour la monnaie. Puisque toute
variation du risque de la monnaie entraîne une variation identique du risque des
obligations, une augmentation de ce risque n’incite pas les individus à limiter
leur demande de monnaie, ni à augmenter leur demande d’actifs portant intérêts.
3. Liquidité
Le principal avantage que présente la détention de monnaie réside dans la
liquidité qu’elle procure. Les ménages et les entreprises en détiennent parce que
c’est le meilleur moyen pour financer leurs achats courants. Certains achats de
gros montant peuvent, certes, être financés grâce à la vente d’un actif de valeur
non liquide. Par exemple, un collectionneur peut vendre une partie de ses
œuvres d’art pour acheter une maison. Cependant, pour financer une série de
petites dépenses, à des dates diverses et pour des montants variés, il est
préférable de détenir un certain montant de monnaie. Le besoin de liquidité d’un
individu croît si la valeur moyenne de ses transactions courantes augmente.
Nous pouvons en conclure qu’une hausse de la valeur moyenne des transactions
courantes effectuées par un ménage ou une entreprise entraîne une hausse de la
demande de monnaie.
4. La demande globale de monnaie
Nous avons vu comment les individus et les entreprises déterminent leur
demande de monnaie. Nous pouvons maintenant en déduire les déterminants de
la demande globale de monnaie. Il s’agit de la demande totale de monnaie
émanant de tous les ménages et de toutes les entreprises de l’économie, soit la
somme de toutes les demandes individuelles. Plus que la demande individuelle
de monnaie, c’est la demande globale qui nous intéresse pour comprendre les
déterminants et les effets des taux de change. Aussi, pour faire court, nous
ferons souvent référence à la demande de monnaie, sans préciser qu’il s’agit de
la demande globale de monnaie. Trois facteurs principaux déterminent la
demande de monnaie : 1. Le taux d’intérêt. Une hausse du taux d’intérêt incite
chaque particulier à réduire sa demande de monnaie. Toutes choses égales par
ailleurs, la demande de monnaie diminue lorsque les taux d’intérêt augmentent.
2. Le niveau général des prix. Il s’agit du prix d’un large panier de biens et de
services de référence, exprimé en termes monétaires. Souvent, le panier de
référence contient des éléments de consommation courante, comme la
nourriture, les vêtements et le logement, mais aussi des éléments moins
courants, comme les soins médicaux et les frais d’avocat. Si le niveau général
des prix augmente, les ménages et les entreprises vont dépenser une plus grande
quantité de monnaie pour acquérir leur panier habituel de biens et de services.
Pour s’assurer du même niveau de liquidité qu’avant la hausse des prix, ils
devront détenir une plus grande quantité de monnaie. 3. Le produit intérieur.
Lorsque le PIB réel augmente, un plus grand nombre de biens et de services sont
vendus dans l’économie. Cette croissance de la valeur réelle des transactions
entraîne une hausse de la demande de monnaie, le niveau général des prix étant
donné. Soit P le niveau général des prix, R le taux d’intérêt, et Y le PIB réel, la
demande de monnaie, Md, peut s’écrire :
Md = P × L(R,Y) (14.1) où L(R,Y)
est une fonction décroissante de R et une fonction croissante de Y.1 Pourquoi
spécifier que la demande de monnaie est proportionnelle au niveau général des
prix ? Pour le comprendre, il suffit d’imaginer que tous les prix de l’économie
doublent, tandis que le taux d’intérêt et les revenus réels de chacun demeurent
constants. La valeur monétaire des transactions courantes moyennes pour
chaque individu va simplement doubler, et il en sera de même pour le montant
de monnaie que chacun va souhaiter détenir. L’équation (14.1) de la demande de
monnaie est généralement écrite sous la forme équivalente suivante :
Md/P = L(R,Y) (14.2) où L(R,Y)
est appelée demande réelle de monnaie, ou demande d’encaisses réelles. Cette
façon d’exprimer la demande de monnaie met en évidence que celle-ci ne
correspond pas au besoin d’un certain nombre d’unités monétaires, mais bien
d’un certain pouvoir d’achat réel sous une forme liquide. Le ratio Md/P – c’est-
à-dire la valeur des encaisses monétaires désirées, exprimée en fonction du
panier de biens de référence – est égal au pouvoir d’achat réel que les individus
souhaitent détenir sous forme liquide. Par exemple, si les agents souhaitent
détenir 1 000 € en espèces pour un niveau de prix de 100 € pour le panier de
biens, la détention réelle de monnaie sera équivalente à 1 000 € / (100 € par
panier) = 10 paniers. Si le niveau général des prix double et atteint 200 € par
panier, le pouvoir d’achat des 1 000 € en espèces sera diminué de moitié
puisqu’il ne vaudra plus que 5 paniers. La figure 14.1 illustre la variation de la
demande réelle de monnaie en fonction du taux d’intérêt, pour un niveau donné
de revenu réel, Y. La courbe de demande réelle L(R,Y) est décroissante car une
baisse des taux d’intérêt incite chaque ménage et chaque entreprise de
l’économie à détenir une plus grande quantité réelle de monnaie. Pour un niveau
donné du PIB réel, les variations du taux d’intérêt entraînent un déplacement de
la demande de monnaie le long de la courbe L(R,Y). En revanche, une variation
du PIB réel conduit à un déplacement de la courbe de demande dans sa totalité.
La figure 14.2 illustre comment une hausse de Y1 à Y2 du PIB réel influe sur la
position de la courbe de demande réelle de monnaie : la courbe L(R,Y2) se situe
à droite et audessus de L(R,Y1), pour Y2 supérieur à Y1. En effet, un
accroissement du PIB réel entraîne une hausse de la demande réelle de monnaie.
1. L(R,Y) diminue lorsque R augmente, et croît lorsque Y croît. Bien sûr, L(R,Y) croît lorsque R diminue,
et décroît lorsque Y décroît
5. Taux d’intérêt d’équilibre : l’interaction entre l’offre et la
demande de monnaie
Le marché monétaire est à l’équilibre lorsque l’offre de monnaie de la banque
centrale est égale à la demande de monnaie. Dans cette section, nous allons
étudier comment le taux d’intérêt est déterminé par l’équilibre du marché
monétaire, étant donné le niveau général des prix et le produit intérieur. Nous
supposerons temporairement que ni le niveau général des prix ni le produit
intérieur ne sont sensibles aux variations monétaires.
a. Équilibre du marché monétaire
Soit Ms l’offre de monnaie, la condition d’équilibre du marché monétaire s’écrit
:
Ms = Md
En divisant chaque membre de cette égalité par le niveau général des prix, nous
pouvons exprimer la condition d’équilibre du marché monétaire en termes réels
comme suit :
Ms/P = L(R,Y)
Étant donné le niveau général des prix, P, et le produit intérieur, Y, le taux
d’intérêt d’équilibre correspond à celui pour lequel la demande réelle de
monnaie égale l’offre réelle de monnaie.
Le mécanisme par lequel le taux d’intérêt baisse nous est maintenant familier.
Après que la banque centrale a augmenté Ms, le marché connaît d’abord une
offre excédentaire réelle de monnaie, étant donné le taux d’intérêt initial R1,
pour lequel le marché était précédemment équilibré. Dans cette nouvelle
situation, les individus détiennent plus de monnaie qu’ils n’en désirent. Ils
utilisent donc leur excès de liquidités pour acquérir des actifs porteurs d’intérêts.
L’économie, dans son ensemble, ne peut réduire le montant de monnaie en
circulation. Il existe donc une pression à la baisse sur les taux d’intérêt, résultat
de la compétition entre les détenteurs de monnaie qui veulent prêter leur excès
de liquidités. Au point 2 de la figure 14.4, le taux d’intérêt a suffisamment
diminué pour entraîner une hausse de la demande réelle de monnaie qui
corresponde à la hausse de l’offre réelle.
Si nous inversons ce mécanisme, nous pouvons comprendre comment une
diminution de l’offre de monnaie crée une pression à la hausse du taux d’intérêt.
Une baisse de Mo entraîne une demande excédentaire de monnaie, pour un
niveau de taux d’intérêt qui permettait auparavant d’équilibrer l’offre et la
demande. Les individus tentent donc de vendre des actifs porteurs d’intérêts –
c’est-à-dire qu’ils empruntent – pour accroître leur détention réelle de liquidités.
Ils ne peuvent pas tous y parvenir, dans un contexte de demande excédentaire.
Les taux d’intérêt vont donc connaître une pression à la hausse, jusqu’à ce que
chacun accepte de détenir un niveau réel plus faible de liquidités. Nous pouvons
conclure que, étant donné le niveau général des prix et le niveau du produit
intérieur, une augmentation de l’offre de monnaie entraîne une baisse du taux
d’intérêt et, symétriquement, une diminution de l’offre de monnaie entraîne une
hausse du taux d’intérêt.
c. Produit intérieur et taux d’intérêt
La figure 14.5 illustre la répercussion sur le taux d’intérêt d’une hausse du
niveau du produit de Y1 à Y2, étant donné l’offre de monnaie et le niveau
général des prix. Comme nous l’avons vu précédemment, une hausse du produit
entraîne un déplacement vers la droite de la courbe de demande réelle.
L’équilibre s’éloigne alors du point 1. Pour l’ancien taux d’intérêt d’équilibre,
R1, il existe maintenant une demande excédentaire de monnaie égale à Q2 – Q1
(point 1′). Puisque l’offre réelle de monnaie est fixée, les individus vont enchérir
sur le taux d’intérêt jusqu’à ce qu’il atteigne le nouveau taux d’équilibre R2
(point 2), plus élevé que R1. Une baisse du produit entraîne
l’effet inverse : la courbe de demande réelle de monnaie va se déplacer vers la
gauche, et par conséquent, le taux d’intérêt d’équilibre va baisser.
Nous pouvons conclure que, étant donné le niveau général des prix et l’offre de
monnaie, une hausse du produit réel entraîne une hausse du taux d’intérêt et,
symétriquement, une baisse du produit réel entraîne une baisse du taux d’intérêt.
6. Offre de monnaie et taux de change à court terme
Au chapitre 13, nous avons étudié la condition de parité des taux d’intérêt, qui
permet de prédire l’effet des variations du taux d’intérêt sur le taux de change,
pour des niveaux donnés du taux de change futur anticipé. Maintenant, nous
savons aussi comment les variations de l’offre de monnaie d’un pays influent sur
le taux d’intérêt de ses actifs non monétaires, libellés dans sa monnaie. Nous
pouvons donc en déduire la conséquence directe des variations monétaires sur le
taux de change. Nous verrons qu’une augmentation de l’offre de monnaie
provoque une dépréciation de la monnaie sur le marché des changes, alors
qu’une diminution de l’offre de monnaie provoque une appréciation de la même
monnaie.
Dans cette section, nous maintenons l’hypothèse selon laquelle le niveau général
des prix et le produit réel sont fixes. C’est pourquoi l’analyse suivante est
qualifiée d’analyse à court terme. L’analyse d’un phénomène économique à long
terme autorise, en effet, un ajustement complet des prix – ce qui peut prendre du
temps – ainsi que le plein emploi de tous les facteurs de production. Plus loin
dans ce chapitre, nous étudions les effets à long terme d’une variation de l’offre
de monnaie sur le niveau général des prix, le taux de change et sur d’autres
variables économiques. Cette analyse à long terme montre comment l’offre de
monnaie peut influer sur les anticipations sur le taux de change que nous
continuons, pour le moment, à présenter comme étant constantes.1
a. Liens entre monnaie, taux d’intérêt et taux de change
À la figure 14.6, deux graphiques – déjà étudiés séparément – ont été combinés
afin d’analyser la relation qui existe à court terme entre la monnaie et le taux de
change. On considère de nouveau le taux de change dollar contre euro coté à
l’incertain, c’est-àdire le prix du dollar exprimé en euros, noté E.
Nous avons vu au chapitre précédent que, par convention, les taux de change
étaient cotés au certain dans la zone euro et à l’incertain aux États-Unis
(rappelons que, dans les deux cas, le taux de change euro contre dollar s’écrit
EUR/USD). Toutefois, dans la plupart des modèles économiques, les
économistes raisonnent sur la base de taux de change à l’incertain et dans cet
ouvrage, nous adoptons cet usage.
La partie haute de la figure 14.6 illustre l’équilibre du marché des changes (déjà
présenté dans le chapitre 13), étant donné les taux d’intérêt et les anticipations
de taux de change futur. Le taux d’intérêt en euros, R1€, est déterminé sur le
marché monétaire et permet de tracer la fonction verticale. La courbe
décroissante de la rentabilité anticipée en euros traduit la rentabilité des dépôts
en dollars, exprimés en euros (voir chapitre 13). La courbe est décroissante en
raison de l’effet des variations du taux de change actuel sur les anticipations de
dépréciation future : une appréciation de l’euro aujourd’hui (une baisse de E)
relativement à son niveau anticipé futur – qui est fixé – rend les dépôts en
dollars plus attractifs
1. Voir aussi Ben S. Bernanke, Thomas Laubach, Frederic S. Mishkin et Adam S. Posen, Inflation
Targeting : Lessons from the International Experience, Princeton, NJ, Princeton University Press,
1999. Cet ouvrage analyse des expériences récentes en matière de politiques monétaires ainsi que
leurs conséquences sur l’inflation et sur d’au tres variables macroéconomiques.
En effet, les individus prévoient une dépréciation plus forte de l’euro dans le
futur. À l’intersection des deux courbes (point 1′), les rentabilités anticipées des
dépôts en euros et en dollars sont égaux. La parité des taux d’intérêt est donc
vérifiée. E1 correspond au taux de change d’équilibre.
La partie basse de la figure 14.6 illustre comment le taux d’intérêt d’équilibre
d’un pays est déterminé sur le marché monétaire. Cette figure est identique à la
figure 14.3, à ceci près que nous lui avons fait subir une rotation de 90 degrés
dans le sens des aiguilles d’une montre afin de faciliter la lecture. Le taux
d’intérêt en euros est ainsi mesuré à partir de 0 sur l’axe horizontal, et l’offre
réelle de monnaie à partir de 0 sur l’axe vertical descendant. L’équilibre du
marché monétaire apparaît au point 1, là où le taux d’intérêt en euros, R1€,
incite les résidents de la zone euro à présenter une demande réelle de monnaie
égale à l’offre réelle,Me5 /P€
La figure 14.6 souligne le lien qui existe entre le marché monétaire (partie basse)
et le marché des changes (partie haute) : le marché monétaire de la zone euro
détermine le taux d’intérêt en euros, qui influe à son tour sur le taux de change
pour lequel la parité des taux d’intérêt est vérifiée. Bien entendu, un lien
analogue existe entre le marché monétaire américain et le marché des changes :
il s’exprime par l’intermédiaire des variations du taux d’intérêt en dollars.
La figure 14.7 représente les liens qui existent entre les marchés monétaires dans
la zone euro et aux États-Unis et le marché des changes. Le Système européen
de banques centrales
(le SEBC) et le Système fédéral de réserve américain (la Fed) déterminent les
niveaux d’offre de monnaie dans la zone euro et aux États-Unis, respectivement
et M5S. Étant donné le niveau général des prix et le niveau de la production
intérieure dans la zone euro et aux États-Unis, l’équilibre sur les marchés
monétaires détermine les taux d’intérêt en euros et en dollars, respectivement R€
et R$. Ces taux d’intérêt s’appliquent alors sur le marché des changes, où le taux
de change courant E est défini grâce à la condition de parité des taux d’intérêt, et
ce étant donné les prévisions sur le taux de change futur anticipé.
a. Offre de monnaie dans la zone euro et taux de change dollar contre
euro
Nous allons maintenant utiliser notre modèle sur le lien entre le marché
monétaire et le marché des changes pour comprendre comment le taux de
change dollar contre euro évolue lorsque le SEBC modifie le niveau de l’offre
de monnaie dans la zone euro . Les effets d’une telle variation sont synthétisés à
la figure 14.8.
Pour le niveau initial d’offre de monnaie, , le marché monétaire est à l’équilibre
au point 1, et le taux d’intérêt vaut . Étant donné le taux d’intérêt en dollars et le
taux de change futur anticipé, si le taux d’intérêt en euros vaut , l’équilibre du
marché des changes va se réaliser au point 1′, et le taux de change entre les deux
monnaies vaudra E1.
Que va-t-il se passer si le SEBC – craignant sans doute un début de récession –
augmente l’offre de monnaie de à ? Cet accroissement déclenche la séquence
d’événements suivants :
1.Au taux d’intérêt initial , le marché monétaire présente une offre
excédentaire de monnaie. Le taux d’intérêt en euros baisse donc jusqu’au niveau
, tandis que le marché atteint son nouvel équilibre (point 2).
2.Étant donné le taux de change initial E1 et le nouveau taux d’intérêt en
euros , plus faible que le précédent, les dépôts en dollars présentent une
rentabilité anticipée supérieure à celle des dépôts en euros.
3.L’euro se déprécie jusqu’à atteindre le niveau E2, puisque les détenteurs
de dépôts en euros font monter les enchères pour obtenir des dépôts en dollars.
Le marché des changes atteint un nouvel équilibre au point 2′. En effet, la hausse
du taux de change jusqu’au niveau E2 a permis une baisse suffisante du taux de
dépréciation anticipé de l’euro, pour contrebalancer la baisse du taux d’intérêt en
euros.
Nous pouvons donc conclure que l’augmentation de l’offre de monnaie entraîne
une dépréciation de la monnaie sur le marché des changes. Si nous prenons la
figure 14.8 à rebours, nous pouvons constater que la diminution de l’offre de
monnaie entraîne une appréciation de la monnaie sur le marché des changes.
2. On pourrait prendre aussi pour exemple la création du « nouveau franc » en 1960, au taux de 1
pour 100 « anciens francs », qui a réduit les prix en francs au centième de leur valeur nominale avant
la réforme, mais qui n’a pas eu d’effet sur le produit réel, le taux d’intérêt ou les prix relatifs. On peut
également citer le cas d’Israël qui a choisi de passer de la livre au shekel, de l’Argentine qui est
passée du peso à l’austral, puis de nouveau au peso, ou du Brésil qui est passé du cruzeiro au
cruzado, du cruzado au cruzeiro, du cruzeiro au cruzeiro real et du cruzeiro real au real, la dernière
monnaie en date, introduite en 1994.
La figure 14.12a suppose que le niveau général des prix dans la zone euro se
situe initialement au niveau . Une hausse de l’offre nominale de monnaie de à
entraîne donc une hausse de l’offre réelle de monnaie de /P1€ à /P1€, à court
terme, et va donc faire baisser le taux d’intérêt de (point 1) à (point 2).
Jusquelà, notre analyse est identique à ce que nous avons vu précédemment dans
ce chapitre. Introduisons une première modification dans notre raisonnement, en
nous demandant comment l’offre de monnaie de la zone euro – représentée dans
la partie inférieure de la figure (a) – peut influer sur le marché des changes –
représenté dans lapartie supérieure. Comme précédemment, une baisse du taux
d’intérêt dans la zone euro se concrétise par un déplacement vers la gauche de la
fonction verticale qui donne la rentabilité en euros des dépôts bancaires en
euros. Mais l’effet d’une hausse de l’offre monétaire ne s’arrête pas là, puisque
les anticipations sur les taux de change sont aussi affectées. Étant donné que la
croissance de l’offre de monnaie de la zone euro est permanente, tout le monde
s’attend à une augmentation à long terme de tous les prix en euros, y compris du
taux de change, qui correspond au prix en euros des dollars (cotation, comme
toujours, à l’incertain). Une augmentation du taux de change futur anticipé –
c’est-à-dire une dépréciation future de l’euro – entraîne une hausse de la
rentabilité en euros des dépôts bancaires en dollars (voir chapitre 13). Cela va
donc se traduire par un déplacement vers la droite de la fonction décroissante
située dans la partie supérieure de la figure 14.12a. L’euro se déprécie par
rapport au dollar, le taux de change passant de E1 (point 1′) à E2 (point 2′). Une
remarque importante s’impose ici : la dépréciation de l’euro est supérieure à ce
qu’elle serait si le taux de change futur anticipé restait constant. Ce serait le cas
si la hausse de l’offre de monnaie était temporaire au lieu d’être permanente. Si
le taux anticipé Ee est constant, le nouvel équilibre à court terme se situe au
point 3′, plutôt qu’au point 2′.
La figure 14.12b illustre de quelle façon le taux d’intérêt et le taux de change
évoluent tandis que le niveau général des prix augmente durant l’ajustement de
l’économie vers son niveau d’équilibre à long terme. Le niveau général des prix
commence à croître de sa valeur initiale , jusqu’à atteindre finalement P2€.
Comme l’augmentation du niveau général des prix à long terme doit être
proportionnelle à la hausse de l’offre de monnaie, l’offre réelle finale de
monnaie, / , atteint une valeur égale à sa valeur initiale, M1E/P1e . Le niveau de
production étant fixé et l’offre réelle de monnaie ayant retrouvé son niveau
initial, le taux d’intérêt de long terme doit donc, lui aussi, converger à long
terme vers sa valeur initiale, (point 4). Nous pouvons donc en déduire que le
taux d’intérêt augmente, passant de (point 2) à (point 4), pendant que le niveau
général des prix croît de Pe 1à P2e
La croissance du taux d’intérêt dans la zone euro influe aussi sur le taux de
change. Cet effet apparaît à la figure 14.12b : l’euro s’apprécie par rapport au
dollar pendant le processus d’ajustement. Si les anticipations, concernant le taux
de change, ne varient plus durant le processus d’ajustement, le marché des
changes convergera vers son équilibre à long terme, en se déplaçant le long de la
courbe décroissante donnant la rentabilité en euros des dépôts en dollars. La
trajectoire du marché correspond au déplacement vers la droite de la fonction
verticale donnant le taux d’intérêt en euros, déplacement qui répond à la hausse
graduelle du niveau général des prix. Le taux de change d’équilibre à long terme
(point 4′), E3, est supérieur à celui qui correspond à l’équilibre initial (point 1′).
De la même manière que pour l’évolution du niveau général des prix, la
croissance du taux de change s’est révélée proportionnelle à celle de l’offre de
monnaie..
La figure 14.13 illustre le cheminement temporel, après une augmentation
permanente de l’offre de monnaie dans la zone euro, du taux d’intérêt des dépôts
en euros, du niveau général des prix et du taux de change. La figure est
construite de façon que l’augmentation à long terme du niveau général des prix
(voir figure 14.13c) et celle du taux de change (voir figure 14.13d) soient
proportionnelles à l’augmentation de l’offre de monnaie (voir figure 14.13a).