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Une patiente de 31 ans vous consulte pour des douleurs à la mâchoire et à l’oreille du côté gauche du
visage. Depuis deux mois, la douleur fait son apparition en fin d’avant-midi et persiste jusqu’en soi-
rée, tout en fluctuant avec, par moments, des pointes à l’oreille et à la tempe. La patiente doit faire
attention à ce qu’elle mange et éprouve de la difficulté à ouvrir la bouche grande. De plus, elle a noté
des craquements à l’articulation de sa mâchoire.
d’une douleur de fond continue à laquelle s’ajoutent, plusieurs d’un problème temporomandibulaire
fois par jour, des élancements soudains à l’arcade sourcilière et
à l’oreille. Il y a dix ans, cette patiente a porté une plaque oc- i Troubles intracrâniens
clusale (orthèse dentaire) pour soigner des douleurs temporo- i Troubles extracrâniens de la sphère ORL, des yeux
mandibulaires. Elle se demande si ses douleurs actuelles ne sont et des glandes salivaires majeures
pas de nouveau causées par son problème temporomandibu- i Algies vasculaires de la face 37
laire, car depuis quelques mois sa mâchoire craque lorsqu’elle i Névralgies des nerfs crâniens
bâille et mastique. Cette patiente affirme avoir un emploi qui + nerf trijumeau
l’amène à être passablement stressée par moments. + nerf glossopharyngien
S’agit-il d’un trouble temporomandibulaire ou d’un autre
+ nerf intermédiaire
problème ?
i Douleurs neuropathiques post-zostériennes ou métaboliques
Les probabilités que l’une et l’autre de ces patientes souf-
frent d’un problème temporomandibulaire sont élevées, i Néoplasie de l’articulation temporomandibulaire
car il s’agit, après les douleurs dentaires, de la première i Douleur chronique rebelle qui ne s’intègre pas dans
cause de douleur faciale. Cependant, d’autres causes de les taxonomies existantes et constitue un défi diagnostique
douleurs orofaciales peuvent évoquer un problème tem-
poromandibulaire (tableau I). mesure de diagnostiquer un problème temporomandibu-
Le médecin intervenant en première ligne sera appelé à laire peut rendre un fier service à son patient en lui évitant
rediriger le patient souffrant d’un tel problème pour as- de longs délais avant d’être informé sur son état. Cet ar-
surer une bonne prise en charge. Le médecin qui est en ticle vise à faire le point sur les problèmes temporoman-
dibulaires en abordant la taxonomie, la voie vers le diag-
Le Dr Jean-Paul Goulet, dentiste, spécialiste en médecine nostic, les causes et les abords de l’approche thérapeutique
buccale et FRCD(C), est doyen de la Faculté de médecine afin que le médecin soit mieux préparé à aider les patients
dentaire de l’Université Laval, à Québec. Il est titulaire d’une qui consultent pour des douleurs faciales.
maîtrise en sciences dentaires de l’université de Washington.
Quelles affections sont regroupées
Le Dr Gilles Lavigne, dentiste, spécialiste en médecine buccale
sous l’expression « problème
et FRCD(C), est professeur titulaire à la Faculté de médecine
temporomandibulaire » ?
dentaire de l’Université de Montréal et exerce au Centre
d’étude sur le sommeil de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Pour plusieurs intervenants, l’expression « dysfonction-
Montréal. Il est titulaire d’un Ph. D. de l’université de Toronto. nement et problème temporomandibulaire », consacrée
Le Médecin du Québec, volume 39, numéro 7, juillet 2004
i douleurs à la mâchoire, aux oreilles, aux tempes ou aux
T A B L E A U II
régions pré-auriculaires ;
Taxonomie des problèmes i bruits articulaires durant les mouvements de la mâ-
temporomandibulaires les plus fréquents3 choire ;
i difficultés d’ouverture.
Groupe I : Troubles musculaires
Les patients souffrant d’un problème temporomandi-
i Douleur myofasciale
bulaire peuvent aussi se plaindre de maux de tête, de sen-
i Douleur myofasciale avec hypomobilité mandibulaire sations d’oreilles bouchées, d’acouphènes, de coincements
Groupe II : Déplacements (luxations) du disque articulaire articulaires, de maux de cou, de sensations d’enflure, voire
d’engourdissements épisodiques du visage. La classifica-
i Déplacement avec réduction
tion de l’American Academy of Orofacial Pain permet de
i Déplacement sans réduction, avec hypomobilité mandibulaire
bien saisir la diversité des problèmes temporomandibu-
i Déplacement sans réduction, sans hypomobilité laires2. Toutefois, la liste des affections les plus fréquentes
mandibulaire
en clinique étant moins exhaustive, la classification pro-
Groupe III : Arthralgie, arthrite, arthrose posée par Dworkin et LeResche (tableau II), en 1992, est
i Arthralgie (douleur articulaire) plus pratique et opérationnelle3, mais elle suppose que le
clinicien a pris soin d’exclure, entre autres, la présence d’un
i Ostéoarthrite
spasme musculaire, d’une myosite, de polyarthrite, d’an-
i Ostéoarthrose
kylose, d’un traumatisme aigu et d’une néoplasie.
Quelles sont les personnes atteintes
par le Dr Costen, un oto-rhino-laryngologiste, fait encore
de problèmes temporomandibulaires ?
référence aujourd’hui à une seule entité clinique caracté-
38 risée par une variété de signes et symptômes musculo- À partir de l’adolescence, aucun groupe d’âge n’est vrai-
articulaires de la mâchoire. Au début des années 30, le ment épargné. Il y a cependant une plus forte prévalence
Dr Costen a décrit onze cas de patients chez qui les symp- des symptômes associés à un problème temporomandi-
tômes aux oreilles et à la mâchoire se sont résorbés après bulaire chez les adultes de 18 à 45 ans, les femmes étant
qu’on eut modifié la hauteur de fermeture, c’est-à-dire la plus nombreuses que les hommes à consulter4. Les don-
dimension verticale de l’occlusion, attribuant ainsi la cause nées épidémiologiques ne montrent aucune accumulation
des douleurs à une pression du condyle de l’articulation de cas (c’est-à-dire prévalence plus élevée de l’un ou l’autre
temporomandibulaire sur le nerf auriculotemporal1. Ce des symptômes) dans les strates plus âgées de la popula-
concept qu’on a véhiculé durant plusieurs décennies est tion, ce qui va à l’encontre des renseignements trop sou-
aujourd’hui révolu. L’expression « problèmes temporo- vent véhiculés sur la progression des problèmes temporo-
mandibulaires » désigne un ensemble d’affections qui re- mandibulaires avec le temps.
groupent des troubles musculaires et articulaires ayant en Neuf fois sur dix, la douleur est la principale raison qui
commun un ou plusieurs symptômes de la triade classique motive un patient à consulter. Au Québec, environ un
suivante : adulte sur quinze (7 %) affirme ressentir des douleurs as-
R E P È R E S
R E P È R E
ou
Figure 2. Luxation discale réductible
2. craquement articulaire reproductible à l’ouverture ou à la
fermeture de l’ATM et craquement reproductible durant l’excursion latérale ou la propulsion.
Déplacement (luxation) du disque sans réduction ni limitation d’ouverture* : Le disque est déplacé antérieurement en direction
médiane ou latérale par rapport à sa position normale entre le condyle et l’éminence, mais l’ouverture de la bouche est dans les
limites de la normalité. Les critères diagnostiques cliniques sont les suivants :
1. Antécédents d’une limitation significative de l’ouverture mandibulaire ;
2. Ouverture maximale non assistée avec une distance inter-incisive 35 mm ;
3. Étirement passif qui augmente l’ouverture de 5 mm ou plus par rapport à l’ouverture maximale non assistée ;
4. Excursion controlatérale 7 mm ;
5. Absence de bruits à l’ATM ou présence de bruits qui ne respectent pas les critères d’un déplacement du disque avec réduction.
* Il faut confirmer le diagnostic clinique de cas particuliers par une imagerie diagnostique de l’articulation temporomandibulaire si le choix du trai-
tement en dépend.
ATM : articulation temporomandibulaire
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bien le traitement des problèmes tem-
poromandibulaires lorsque le patient i Faire un léger massage avec la pulpe des doigts de 30 à 45 secondes
Septembre 2004 S U M M A R Y