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CINETIQUE A DEUX SUBSTRATS

Introduction
Jusqu’ici, nous nous sommes intéressés qu’à des réactions faisant intervenir un seul substrat.En
réalite, de telles réactions sont rares et restent limitées à quelques réactions d'isomérisation, comme la
conversion du glucose 1-phosphate en glucose 6-phosphate catalysée par la phosphoglucomutase.
Toutefois, les réactions enzymatiques qui impliquent deux substrats et qui conduisent à la formation
de deux produits représentent environ 60% des réactions enzymatiques connues.

Presque toutes ces réactions, appelées réactions à deux substrats, sont soit des réactions catalysées
par des transférases, dans lesquelles l’enzyme catalyse le transfert d’un groupement fonctionnel
spécifique, X, de l’un des substrats à l’autre :

Soit des réactions d’oxydoréduction, dans lesquelles des équivalents réducteurs sont transférés d’un
substrat à l’autre. Par exemple, lors de l’hydrolyse d’une liaison peptidique par la trypsine, le
groupement carbonyle du peptide est transféré de l’atome d’azote peptidique à l’eau.

De même, au cours de la réaction de l’alcool déshydrogénase, un ion hydrure est transféré de


l’éthanol au NAD+.

Bien qu’en principe, de telles réactions à deux substrats puissent faire intervenir de très nombreux
mécanismes, on en connait qu’un petit nombre.
I- Terminologie
Nous suivrons la nomenclature introduite par W.W. Cleland pour représenter les réactions
enzymatiques.
- Les substrats sont désignés par les lettres A, B, C et D dans l’ordre de leur liaison à
l’enzyme ;
- Les produits sont désignés par P, Q, R et S dans l’ordre de leur séparation de l’enzyme ;
- Les formes stables des enzymes sont désignées par E, F et G, l’enzyme libre étant représentée
par E ;
- Le nombre de substrats et de produits dans une réaction donnée est spécifique, dans l’ordre,
par les termes Uni (un), Bi (deux), Ter (trois) et Quad (quatre). Une réaction qui utilise un
substrat et conduit à la formation de trois produits est une réaction Uni Ter.

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Dans ce cours, nous nous intéresserons aux réactions qui utilisent deux substrats et qui forment
deux produits, c’est-à-dire des réactions Bi Bi.
II- Modèles des réactions Bi Bi
On peut ranger les réactions enzymatiques de transfert de groupe en deux grandes catégories
selon leur mécanisme en réactions séquentielles et en réactions Ping-pong.
II-1- Réactions séquentielles
Les réactions dans lesquelles tous les substrats doivent se combiner à l’enzyme avant qu’une
réaction puisse avoir lieu et que les produits puissent être libérés sont des réactions séquentielles.
Dans de telles réactions, le groupe transféré, X, passe directement de A (=P-X) à B, pour donner P et
Q(=B-X). Ces réactions sont donc appelées des réactions de simple déplacement.
On distingue, parmi les réactions séquentielles, celles pour lesquelles l’ordre de liaison à
l’enzyme est imposé, qui font donc intervenir un mécanisme ordonné, et celles où l’ordre de liaison
des substrats est indifférent, qui font intervenir un mécanisme aléatoire.
II-1-1- Réactions séquentielles ordonnées
Dans le mécanisme ordonné, la liaison du premier substrat semble necessaire pour que
l’enzyme établisse le site de liaison du deuxième substrat.
Selon Cleland, une réaction Bi Bi ordonnée est représentée par :

Où A et B sont respectivement le premier et le deuxième substrat. De nombreuses déshydrogénases


à NAD+ et NADP+ suivent un mécanisme Bi Bi ordonné dans lequel le coenzyme se fixe en premier.
Exemple de bibi ordonné : l’alcool Déshydrogénase :

L’alcool déshydrogénase est une enzyme, catalyse l’oxydation de l’éthanol en acétaldéhyde


en réduisant simultanément un coenzyme NAD+ en NADH.
• Cette réaction se déroule selon un mécanisme de type bibi ordonné : l’enzyme n’a pas d’affinité
pour l’alcool si elle n’est pas préalablement associée au coenzyme NAD+ en un premier complexe ;
puis le complexe ternaire Enzyme-NAD+-Ethanol se transforme en un complexe Enzyme-NADH-
Acétaldéhyde ; ce dernier complexe se dissocie en libérant l’acétaldéhyde puis le NAD réduit.

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II-1-2- Réactions séquentielles aléatoires
Ici, les deux sites de liaison sont présents sur l’enzyme libre. Un mécansme Bi Bi aléatoire est
représenté par :

KiA et KiB étant les constantes d'équilibre définies précédemment entre l'enzyme libre et les
substrats.
Certaines déshydrogénases et kinases suivent ce mécanisme.
Exemple de bibi aléatoire : la créatine Phosphokinase

La créatine phosphokinase (CPK), catalyse le transfert d’un radical phosphoryl du substrat, le


phosphate de créatine, vers un coenzyme transporteur, l’ADP.
• L’affinité de l’enzyme pour ces deux corps chimiques étant voisine, la liaison de l’enzyme
avec chacun d’entre eux se fait dans un ordre qui dépend uniquement des concentrations.
II-2- Réactions Ping-Pong
Des mécanismes où un produit ou plusieurs sont libérés avant que tous les substrats aient été
ajoutés sont appelés des réactions Ping-Pong.
On schématise une réaction Ping-Pong comme suit :

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Dans ce cas, un groupement fonctionnel X du premier substrat A ( = P-X) est enlevé du
substrat par l’enzyme E pour donner le premier produit P et une forme stable de l’enzyme F (=E-X)
dans laquelle X est fortement lié (souvent par covalence) à l’enzyme (Ping). Dans la deuxième partie
de la réaction, X esr déplacé de l’enzyme par le deuxième substrat B pour donner le deuxième
produit Q (= B-X), régénérant ainsi l’enzyme sous sa forme initiale, E (Pong). De telles réactions
sont appelées des réactions de double déplacement.
Dans ce type de réactions, les substrats A et B ne se rencontrent pas à la surface de l’enzyme.
Beaucoup d’enzymes, dont la chymotrypsine, les transaminases et quelques enzymes flaviniques
réagissent selon des mécanismes Ping-Pong.
Exemple de ping-pong : l’alanine aminotransférase = ALAT

L’ALAT catalyse le transfert de la fonction amine de l’alanine vers l’α-cétoglutarate qu’elle


transforme en glutamate.
• Dans un premier temps, l’ALAT se lie à l’alanine puis transfère la fonction amine sur un
coenzyme lié : le phosphate de pyridoxal qui devient phosphate de pyridoxamine sans cesser
d’êtrelié à l’enzyme. L’enzyme se dissocie alors du pyruvate.
• Dans le second temps, l’enzyme liée au phosphate de pyridoxamine, forme un complexe
avec l’α-cétoglutarate, puis transfère la fonction amine du coenzyme qui redevient phosphate
de pyridoxal, vers le second substrat qui est transformé en glutamate. Enfin, le complexe
ALAT glutamate se dissocie : l’enzyme et son coenzyme lié ont recouvré leurs structures
initiales.

III-Equations de vitesse
Des mesures de cinétique à l’état stationnaire permettent de déterminer le type de réactions à
deux substrats parmi celles que nous venons de voir. Pour ce faire, on doit d’abord dériver leurs
équations de vitesse. La méthode est la même que celle utilisée pour les enzymes à un substrat, c’est-
à-dire l’établissement d’une série d’équations linéaires simultanées, une pour chaque complexe
enzymatique différent dans les conditions de l’état stationnaire, et une équation qui exprime la
conservation de l’enzyme. Naturellement, le problème est plus complexe que pour les réactions à un
substrat.
Les équations de vitesse pour les mécanismes de réaction à deux substrats décrits ci-dessus,
en l’absence de produits, sont données sous la forme double inverse.
III-1- Mécanisme BiBi séquentiel
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III-1-1 Mécanisme BiBi séquentiel ordonné

III-1-2 Mécanisme BiBi séquentiel aléatoire en équilibre rapide


L’équation de vitesse pour une réaction Bi Bi aléatoire est très compliquée. Cependant, dans le cas
particulier où les deux substrats sont en équilibre rapide et indépendant avec l’enzyme, où
l’interconversion EAB-EPQ est la réaction limitante, l’équation de vitesse initiale se réduit à la forme
relativement simple suivante :

On parle alors de mécanisme Bi Bi aléatoire en équilibre rapide.


III-2 Mécanisme BiBi Ping-Pong

IV-Distinction entre les mécanismes des réactions à deux substrats


On peut faire la distinction entre les mécanismes Ping-Pong et séquentiels d’après l’allure
différente de leurs représentations linéaires ou de la représentation en double inverse.
IV-1- Représentations graphiques des réactions Bi Bi Ping-Pong
Soit l’équation des doubles inverses suivante :

En portant 1/v0en fonction de 1/[A] et en maintenant [B] constante, d’après l’équation de doubles
inverses, on obtient une droite de pente égale à qui coupe l’axe 1/v0en des points égaux.
Puisque la pente est indépendante de [B], de tels tracés pour différentes valeurs de [B] donnent une
famille de droites parallèles.
Des tracés de 1/v0en fonction de 1/[B] pour différentes valeurs de [A] donneront, de la même
manière, une famille de droites parallèles. Ces droites parallèles caractérisent un mécanisme
Ping-Pong.

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IV-2- Représentations graphiques des réactions BiBi séquentielles
Soit l’équation

(1)
Représentant un mécanisme séquentiel ordonné
et l’équation

(2)
Représentant un mécanisme aléatoire à équilibre rapide
Ces deux équations sont l’une et l’autre dépendante de [A] et de [B].
L’équation (1) peut être réarrangée pour donner :

(1’)
Puis, en portant 1/v0en fonction de 1/[A] pour [B] constante, on obtient une droite dont la pente est
égale au coefficient de 1/[A] et qui coupe l’axe 1/v0à une valeur égale au deuxième terme de
l’équation (1’).
On peut également réarranger l’équation (1) de la sorte

(2’)
Qui donne une droite si l’on porte 1/v0en fonction de 1/[B] tout en maintenant [A] constante, droite
dont la pente est égale au coefficient directeur de 1/[B] et qui coupe l’axe 1/v0 à une valeur au
deuxième terme de l’équation (2’).
La caractéristique de ces tracés, qui indique un mécanisme séquentiel, c’est que les droites se
coupent derrière l’axe 1/v0

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IV-2- 1-Distinction entre mécanismes séquentiels aléatoire et ordonné
Pour savoir si un mécanisme est BiBi ordonné ou BiBi aléatoire, on peut faire des études
d’inhibition par le produit.
Si l’on n’ajoute qu’un produit, P ou Q, au mélange réactionnel, la réaction en sens inverse ne peut pas
être assurée. Néanmoins, en se liant à l’enzyme, ce produit inhibera la réaction dans le sens de la
formation des produits.
Pour une réaction Bi Bi ordonnée, Q ( = B-X, le deuxième produit qui sera libéré) est en compétition
directe avec A ( =P-X, le premier substrat à se lier) pour se lier à l’enzyme et se comporte donc
comme un inhibiteur compétitif de [A] quand [B] est constante. Toutefois, comme B se combine avec
EA, et non E, Q est un inhibiteur mixte de B quand [A] est constante. De même, P, qui ne se combine
qu’avec EQ, est un inhibiteur mixte de A quand [A] est maintenu constante.
Par contre, pour une réaction Bi Bi en équilibre rapide, puisque les deux produits et les deux substrats
peuvent se combiner directement avec E, alors P et Q sont tous les deux des inhibiteurs compétitifs
de A quand [B] est constante, et de B quand [A] est constante.
Le tableau ci-dessous rassemble les différents types d’inhibition possibles par le(s) produit(s) selon le
mécanisme de la réaction.

V- Echanges isotopiques

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Les déterminations de mécanismes de réactions enzymatiques basées uniquement sur des
données cinétiques sont grevées d’incertitudes, notamment en raison de données expérimentales peu
précises. Il est donc indispensable de recourir à d’autres approches expérimentales si l’on veut une
confirmation.
On peut faire la distinction entre les mécanismes à deux substrats séquentiels (simple
déplacement) et Ping-Pong (double déplacement).
Dans le cas de réactions à double déplacement, l’échange en retour d’un isotope du premier
produit P au premier substrat A en l’absence du deuxième substrat est possible. Considérons une
réaction Ping-Pong dans son ensemble, catalysée par une enzyme E à deux substrats.

Dans laquelle A = P-X, Q = B-X et X est le groupement transféré d’un substrat à l’autre au cours de
la réaction. En l’absence de B, seule la première étape de la réaction peut se dérouler. Si une faible
quantité de P marqué par un isotope, symbolisé par P*, est ajoutée au mélange réactionnel,
P* - X se formera au cours
de la réaction inverse :

autrement dit, il y a échange isotopique.


Par contre, dans le cas de la première étape d’une réaction séquentielle, il se forme un complexe
enzyme-substrat non covalent :

L’addition de P* ne peut donner lieu à un échange isotopique car il n’y a pas de rupture de
liaisons covalentes lors de la formation de E.P-X, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de P libéré de l’enzyme
qui puisse s’échanger avec P*.
La démonstration qu’il y a échange isotopique dans une réaction enzymatique à deux substrats
est donc un argument convaincant en faveur d’un mécanisme Ping-Pong.

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