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Droit de l’entreprise

On peut prendre ce qu’on veut à l’examen, à l’exclusion de la doctrine :))


Donc code, arrêts, directives européennes, etc. Évidemment les renvois sont les mêmes que pour les autres
cours (rien écrire sauf les renvois à de la législation), mais on peut avoir ce qu’on veut.

Livre 1. Théorie générale du droit de l’entreprise


Titre 1. Généralités
Introduction
Le cours de droit de l’entreprise est une introduction à différentes matières que l’on regroupe sous le vocable
« droit de l’entreprise », mais en réalité, c’est très difficile de définir le droit de l’entreprise et de lui donner
même une place claire et précise dans les différentes matières juridiques. C’est pour ça qu’il n’y a pas
vraiment de définition très précise de ce que pourrait être le droit de l’entreprise en termes de contenu. C’est
assez compliqué de le définir a priori, et c’est normal parce que ça porte moins sur une matière prédéfinie
que sur un type de relation. Ce qui intéresse le droit économique, c’est la relation dite économique, où on a
un acteur qui offre des produits ou services à un autre acteur. On verra que ces acteurs peuvent être des
personnes ou des entités différentes, ça peut être des entreprises. C’est une relation dite économique, et c’est
ça qui relie in fine toutes les catégories de règles qu’on va ranger sous le vocable de droit de l’entreprise.
Mais si on réfléchit un peu, le type de règles qui est relié à la relation économique est infini. On va utiliser
des règles de droit civil, même si des règles particulières sont édictées pour répondre aux besoins spécifiques
de cette relation économique. Ça pourrait être aussi le droit fiscal, bancaire, financier, des assurances… tout
ça aussi s’applique à la relation économique, mais on va en rester aux règles et aux principes généraux, on ne
va pas rentrer dans des réglementations de type sectoriel (ex: le droit de l’énergie). Derrière le droit de
l’entreprise, on y met ce qu’on veut bien y mettre. Cette matière qui sera pour nous le droit de l’entreprise ne
sera pas la même pour les filières bilingues par exemple. Notre point de ralliement, c’est cette relation
économique particulière où on voit un acteur offrir des biens et des services à un autre. Cette relation pourrait
s’aborder d’une autre manière. On l’aborde principalement du côté du droit privé, mais aujourd’hui, une
entreprise doit aussi gérer la relation à l’Etat et les règles que l’Etat va édicter directement à l’égard de
l’entreprise, c’est le droit public économique (que nous n’allons pas étudier).
Les définitions qui ont été données du droit de l’entreprise sont des définitions extrêmement larges et
abstraites. À l’époque, on parlait de droit commercial, aujourd’hui ça a changé, parce que le destinataire des
règles de droit économique aujourd’hui n’est plus le commerçant, on parle de l’entreprise comme
destinataire principal des normes.
La définition du droit commercial était un peu vague, floue. Même si ça correspondait à la réalité, ça ne nous
aidait pas très fort. On a compris que l’objet était l’activité économique et que le droit venait en sus pour
aider l’activité économique. Mais il faut dépasser cette définition.

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Il faut approcher le droit de l’entreprise par une série de concepts, et des concepts d’abord de droit
économique.

L’approche de l’ULg est assez éclairante sur la construction et le fonctionnement de ce droit: ils partent du
constat que le droit de l’entreprise est intrinsèquement imprégné des dogmes de la philosophie économique
libérale, et qu’en réalité, cette philosophie s’articule autour de 4 concepts de base, qui reçoivent une
traduction juridique. Finalement, le droit économique ou le droit de l’entreprise lui-même va construire des
règles en fonction de ces 4 pôles de son champ de réglementation.
Ces 4 concepts de base, au sens économique du terme dans un premier temps, sont l’agent économique, le
marché, le contrat et le risque.
Le droit de l’entreprise répond de l’ensemble des dispositifs normatifs grâce auxquels ces 4 concepts clé sont
transposés en droit.

L’agent économique
Le premier élément, c’est l’acteur économique, l’agent économique. On doit faire la différence entre le
demandeur et l’offreur. Le demandeur, c’est celui qui est en situation de demande, qui cherche à acquérir des
biens et des services pour les utiliser. L’offreur, lui, dispose des moyens susceptibles de rencontrer le besoin
de ces demandeurs. Ce sont les deux acteurs les plus importants. Grosso modo, on peut toujours comprendre
la relation entre ces 2 pôles d’intervenants que sont les demandeurs et les offreurs. Et d’un point de vue
juridique, on traduit ces concepts de demandeur et d’offreur. L’offreur de base, dans notre système, c’était le
commerçant. Aujourd’hui, l’offreur de base, c’est l’entreprise. L’entreprise est un concept juridique (et
d’ailleurs un concept pas facile à cerner, c’est une vraie problématique en elle-même). Il y a aussi tous les
demandeurs, qui peuvent être des entreprises dans une relation juridique, mais à côté de ces demandeurs, il y
en a plein d’autres: le consommateur est une traduction juridique du demandeur, si ce n’est qu’il va vers
l’offreur pour remplir des besoins d’ordre privé (contrairement à l’entreprise, qui remplit des besoins d’ordre
professionnel). On a aussi des personnes de droit public qui interviennent dans les transactions économiques.
Il y a autant de demandeurs que de catégories de personnes que l’on veut protéger.

Donc, deux grandes catégories économiques qui ont trouvé des traductions juridiques multiples et variées,
mais dont la plus importante est la notion d’entreprise. On va édicter ces règles qui s’appliquent aux
entreprises. Et une entreprise, c’est une organisation qui offre des biens et des services sur un marché.

Le marché
Deuxième acteur alors: ces entreprises offrent leurs biens et services, mais pas n’importe où: sur un marché.
Le marché a un sens bien précis et technique dans certains domaines. Dans cette approche économique, on
comprend tout de suite que l’offreur doit aller à la rencontre du demandeur, ou l’inverse. Et ils vont le faire
sur ce que les économistes appellent le marché, c’est tout simplement le lieu de rencontre entre les 2 acteurs,

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étant entendu que cette notion va recouvrir des réalités différentes et qui vont se cumuler. Un marché a une
réalité géographique, mais aussi une réalité de contenu en termes de biens et de services. Quand on parle du
marché boursier, c’est un lieu de demandeurs et d’offreurs. Le lieu virtuel est le marché. On retrouve cette
notion dans toute la réalité économique, et elle va être traduite juridiquement. Au travers de la notion de
marché, le droit va surtout intervenir pour s’assurer que ce marché va fonctionner correctement, que les
agents ne vont pas empêcher son bon fonctionnement en cherchant leur intérêt propre. Et c’est pour ça que
sur le marché, s’exercent d’abord les grandes libertés économiques, on reconnaît des pouvoirs aux
entreprises sur le marché, comme par exemple la libre concurrence, c’est-à-dire la liberté de pouvoir rentrer
sur un marché et d’offrir des biens et des services en concurrence avec d’autres offreurs. Mais cette liberté de
concurrence, comme toutes les autres libertés, est parfois mal exercée, elle est parfois victime d’abus. Quand
on a énormément de pouvoir sur un marché, on ne peut pas avoir n’importe quel comportement, on doit
respecter le fonctionnement normal du marché, on ne peut pas détourner les règles du marché à son seul
profit. Et donc on reconnaît des grandes libertés, et on va baliser l’exercice de ces libertés sur le marché, au
nom du bon fonctionnement du marché. C’est là que le droit intervient, dans sa fonction de régulation, à la
recherche du juste. Le droit va chercher à préserver cet équilibre théorique de base qui doit exister entre
toutes les entreprises qui offrent des biens et des services sur le marché.

Le contrat
Les gens se rencontrent et ils vont s’unir par ce qu’on appelle le contrat, au sens large du terme. Le contrat,
pour les économistes, étant le lien qui naît entre l’offreur et le demandeur, à partir du moment où ils se
mettent d’accord, c’est-à-dire que l’un décide d’acquérir les biens ou les services d’un offreur qu’il choisit
sur le marché (puisque le propre du marché, c’est de réunir l’ensemble des offreurs). Ça permet donc au
demandeur de faire ses emplettes sur chacun des marchés spécifiques et de choisir celui qui lui convient le
mieux.

Ce contrat, abordé économiquement, va devenir pour nous un acte juridique, on va s’exprimer dans une
palette et une diversité importante d’actes juridiques (contrat de vente, de prêt, de location, acte juridique
unilatéral ou multilatéral…). En tous cas, c’est un acte juridique conclu entre les demandeurs et les offreurs
ou en tous cas passé par les offreurs au bénéfice des demandeurs. Ces contrats font l’objet de règles de droit
particulières.

Le risque
Les agents économiques se rencontrent sur le marché et passent des contrats, en prenant des risques. La
notion de risque est sans doute ce qui caractérise le plus cette relation économique, parce que le reste se
trouve dans pas mal de relations.
Qu’est-ce que le risque? Économiquement, qui dit entrer sur un marché, dit prendre le risque de rentrer en
concurrence avec d’autres offreurs, qui, eux aussi, veulent vendre leurs produits ou leurs services. C’est une

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véritable compétition organisée, qui a lieu sur les marchés. Il y a autant de marchés qu’il y a d’offres de
biens et services interchangeables. On découpe le marché en autant de marchés spécifiques et particuliers,
sur lesquels une concurrence est possible.
Par exemple, on pourrait dire qu’il y a un seul marché de l’énergie, mais un produit n’est pas l’autre! Il y a
un marché du gaz, de l’électricité… le produit n’est pas identique et pas forcément en concurrence avec
l’autre.

Quand on entre sur le marché, de deux choses l’une: on est le meilleur/le plus fort, ou en tous cas on a les
meilleurs arguments de vente, et on passe le plus de contrats, on gagne. Mais le risque n’est pas de gagner,
c’est de perdre. Il y a des offreurs qui ne vendent pas assez et qui prennent le risque de disparaître. Pour
l’entrepreneur, le risque de disparaître, c’est aussi une perte financière de l’investissement qu’il a consacré à
la mise en œuvre de sa société, en vue d’offrir des services et d’obtenir des revenus. Le risque de
l’entrepreneur, c’est celui de ne pas être capable de se maintenir sur le marché, parce qu’il n’arrive pas à être
capable d’atteindre une ligne de rentabilité suffisante au regard des coûts qu’il doit supporter pour offrir ou
vendre ses biens/services.

Soyons un peu cyniques: le marché et la logique veut que tant mieux si les meilleurs restent, dans la logique
capitaliste et libérale, les plus forts sont les plus méritants, et en poursuivant leurs intérêts et en offrant les
meilleurs services, c’est de cette manière qu’ils seront les plus forts et donc c’est quelque chose de positif.
Ce qui est certain, c’est que la logique dit que ceux qui ne résistent pas, tant pis. S’ils sont trop faibles, ils
doivent disparaître. Pourquoi? Parce qu’on se dit que s’ils sont trop faibles, ils représentent un danger pour le
reste des acteurs du marché. Si on ne sait pas maintenir une rentabilité suffisante, un jour on ne saura plus
payer nos fournisseurs, et donc ça le met lui-même à risque, on ne paie plus nos travailleurs, l’ONSS, nos
impôts… donc on est nocif sur le marché et il faudra faire en sorte de nous exclure de celui-ci.

Cette logique économique devient aussi une logique juridique, qui est traduite par le droit de multiples
manières. D’abord, le droit de l’entreprise va souvent prendre des règles pour favoriser la prise de risques. Il
s’agit d’inciter les offreurs à prendre ces risques, en pariant sur les bienfaits et sur les retombées positives de
leurs activités, en termes de production de richesse et de partage subséquent de cette richesse dans la société.
Et donc le droit va légiférer en ce sens pour faciliter cette prise de risques.
Exemple: une SRL (société à responsabilité limitée) est conçue en vue de favoriser la prise de risques des
sociétés, parce qu’elle va leur permettre de limiter le risque financier qu’elles prennent en s’engageant dans
une activité économique. Dans ce type de société, l’associé qui va investir dans cette société va faire un
apport (tout associé doit apporter quelque chose à la société pour qu’elle fonctionne), il ne risque pas plus
que de perdre son apport. Donc si la société fait faillite et que les associés sont à responsabilité limitée, s’il
manque de l’argent pour payer les créanciers, on n’ira pas prendre cet argent dans leur poche. Ils ne devront
pas suppléer le manque d’actifs nécessaires pour remplir tous les engagements pris par la société durant son
fonctionnement. Cela diminue son risque.

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Si on est dans une société à responsabilité non limitée, on viendra dans la poche des associés pour payer les
créanciers.
Le droit va imaginer de multiples moyens en vue de favoriser cette prise de risques des entrepreneurs et des
offreurs. Mais si on favorise la prise de risques, on favorise aussi l’exclusion de l’offreur qui n’est pas
capable de faire face à ses engagements et qui représente un danger pour ses camarades et pour l’ensemble
des agents économiques qui sont en relation directe avec lui. Et c’est comme ça qu’on organise, précisément,
la procédure de faillite, c’est une procédure dans laquelle on fait disparaître l’entreprise ou la société du
marché.

Nuancement et définition
Cette approche est intéressante, mais elle présente sans doute une connotation trop économique, qui perd de
vue ce qui fait l’essence du droit, ce qui fait son idéal de justice et qui est le moteur de son intervention dans
l’économie. On n’en parle pas dans cette approche, mais le droit est là principalement pour protéger les
acteurs, en vue de toujours obtenir ce juste équilibre entre les intérêts des uns et des autres. C’est pourquoi on
va tenter de développer une autre définition:
Le droit de l’entreprise peut être défini comme l’ensemble des normes, quelle que soit leur source, qui ont
pour objet de régir l’activité économique, en favorisant, encadrant et limitant l’exercice des libertés
économiques (liberté d’entreprendre, de concurrence, de ne pas contracter etc) et en permettant leur
nécessaire conciliation, tant entre elles qu’avec les droits, intérêts et libertés d’autrui et l’intérêt général de la
société.
Donc son objet principal devient ce souci de juste équilibre entre les différents agents économiques qui
interviennent sur le marché, tant du côté de l’offre que du côté de la demande, en intégrant aussi cette
dimension d’intérêt général qui ne peut plus être niée aujourd’hui.
Aujourd’hui, il y a plein de théories qui traversent ce droit de l’entreprise et qui expriment précisément cette
recherche d’équilibre. Par exemple, on va voir la notion d’intérêt social de la société, qui est interprétée
comme une théorie qui est conçue comme devant permettre la nécessaire conciliation des intérêts de tous les
preneurs d’enjeux autour de la société. C’est l’intérêt, qui n’est plus vu comme l’intérêt des seuls
propriétaires, mais aussi l’intérêt des actionnaires. Mais aujourd’hui, dans l’évolution du droit, on fait
intervenir, quand on doit décider de ce qu’est l’intérêt de la société, on y intègre l’intérêt des différents types
d’actionnaires, des différents types d’organes dans la société, les travailleurs, les fournisseurs, pour aller
jusqu’à la société civile elle-même qui peut être impactée par les décisions de la société. C’est une évolution
remarquable, et elle se remarque dans toutes les branches du droit de l’entreprise. C’est pour ça qu’on peut
dire aujourd’hui que le moteur premier du droit de l’entreprise, c’est la réalisation de ces équilibres.
Ces équilibres se réalisent par la règle de droit qui va déterminer les points de déséquilibre qui sont à exclure
dans le fonctionnement du marché. Il y a 2 extrêmes:
- Des règles de droit qui interdisent des comportement très précis: la règle fixe le point de déséquilibre (ex:
l’interdiction de faire de la publicité mensongère). Il y a des points qu’on ne peut pas franchir dans la
recherche du profit. Par exemple, il y a des clauses qu’on ne peut pas mettre dans un contrat, tant dans la
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relation B2C que dans la relation B2B.
Et on se rend compte que le juge n’a pas une grande marge de manœuvre: soit les conditions de la règle
sont remplies, soit elles ne sont pas remplies. Sa marge interprétative est réduite au maximum.
- Des règles de droit très ouvertes: la règle va laisser le soin, d’abord au destinataire de celle-ci et puis au
juge, de fixer l’équilibre. Elle balise le comportement, mais ne donne pas de contenu, et il faudra fixer le
point d’équilibre ou de déséquilibre, en fonction de toutes les circonstances qui créent le comportement
litigieux. Par exemple, l’art VI.104 du code de droit économique, c’est une disposition qui concerne les
relations entre entreprises et qui interdit les comportements contraires aux pratiques honnêtes du marché.
Cette règle existe, mais c’est une règle complètement ouverte, qui a dû être interprétée et qui va être
interprétée comme permettant, en regard de toutes les circonstances de la cause, de déterminer les
comportements admissibles et non admissibles sur le marché. Par exemple, la liberté d’entreprendre et de
concurrence nous permet d’engager le meilleur vendeur de notre concurrent. Par contre, si on débauche
systématiquement les forces vives de notre concurrent dans une intention méchante, ça peut être une
pratique contraire aux pratiques honnêtes du marché.
Par le biais de ces règles, c’est d’abord au destinataire de la norme de se demander s’il ne va pas trop loin,
s’il respecte les libertés d’autrui, de ses concurrents. Et s’il prend ses responsabilités et qu’il se retrouve
devant le juge, le juge va, au regard de toutes les circonstances de fait, déterminer si l’équilibre a été
rompu ou pas. Si l’équilibre a été rompu, il interdira la pratique. Mais ça ne vaudra que dans les
circonstances.

Et entre les deux extrêmes, on retrouvera les autres règles juridiques qui donnent une marge d’appréciation
plus ou moins grande au juge dans la recherche ultime de cet équilibre.

Chapitre 1. Bref historique du droit de l'entreprise


Auparavant, ce qu’on appelle le droit de l’entreprise et qu’on appelait droit commercial et encore avant droit
des marchands, a toujours été considéré comme un droit d’exceptions spécifiques, particulier à une catégorie
particulière d’acteurs que sont les marchands/commerçants.
Il y a, depuis le début, un côté très corporatiste. Le droit de l’entreprise est un droit pour les professionnels,
pour les vendeurs, pour les commerçants. C’est la qualité et non pas l’activité qui attire le droit. C’est parce
qu’on est un marchant qu’on est soumis à certaines règles de droit. C’est la logique d’accroche, de liaison de
la règle.
Au départ, c’était un droit propre aux marchands, qui sont itinérants et vont vendre leurs biens en allant de
foire en foire au travers toute l’Europe. Et on va voir qu’il y a eu toute une évolution entre ce renouveau du
commerce qui a lieu au début du Moyen-Âge et les périodes de modification qui vont nous amener au code
de droit économique.
2 périodes: avant 1807 (en 1807, c’est la première fois qu’on se dote d’un code de commerce imposé par
Napoléon) et de 1807 à nos jours.

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Section 1. Du Moyen-Âge au Code de commerce de 1807
On peut identifier la naissance du droit commercial ou économique au Moyen-Âge et pas avant, parce que
dans l’Antiquité, et notamment en droit romain, il n’y a pas de droit spécifique à l’activité commerciale,
d’autant que cette activité commerciale est considérée par les Romains comme étant une activité méprisable,
qui n’est pas une activité très digne et qui est souvent laissée aux esclaves et aux non citoyens romains. Ce
mépris se traduit aussi par un manque d’attention dans la construction de règles juridiques qui
s’appliqueraient à cette activité, le commerce est vu comme étant servile. Mis à part certaines règles qui
régissent la navigation commerciale et le commerce maritime, on ne trouve pas grand chose dans ces droits
qui constituent, néanmoins, nos sources premières pour d’autres matières.

Il faudra attendre que le commerce renaisse après la chute de l’Empire romain et le haut Moyen-Âge. Ce
droit va naître dans ces lieux que sont les foires et les ports, et le marchand est l’acteur principal. Les
marchands ont besoin de lieux pour vendre leurs biens et services, mais on est dans des périodes dangereuses
et on a besoin d’une protection, et donc on imagine ces foires qui sont à l’abri des remparts du château des
villes naissantes, on a un seigneur qui assure la protection de ces lieux que sont les marchés, et on peut aller
acheter des produits à ces marchands. Mais le seigneur local se fiche complètement des règles que vont
respecter ces marchands dans le cadre de la relation juridique qui se crée, et notamment il se fiche
complètement des règles respectées par les marchands dans leurs relations réciproques. Très vite, ces
marchands, qui sont extrêmement pragmatiques, se disent qu’ils ont besoin de règles qui soient identiques
partout, que ce soit au nord de l’Allemagne ou dans les ports italiens. Leur activité fait qu’il est bon de
conserver les mêmes règles, et ces règles naissent des usages et des coutumes qui sont acceptés comme les
règles communes aux marchands, quel que soit le lieu où ils vendent.
Ce droit qui naît est directement caractérisé par 2 choses: il est international (et dans l’évolution on va perdre
cette internationalité et on va essayer de la retrouver), et c’est un droit qui est coutumier et naît de ces
pratiques acceptées comme obligatoires.
Attention: ce n’est pas du droit mineur ou simple; très rapidement, ces usages créent des outils juridiques
extrêmement sophistiqués, comme les premières sociétés commerciales, qui naissent durant cette période. Au
départ, une société, c’est quelqu’un qui a de l’argent, qui est prêt à financer la société, et un propriétaire de
bateaux ou un navigateur qui est prêt à prendre le risque de prendre une cargaison et d’aller de l’autre côté de
la mer pour vendre cette cargaison. Mais à l’époque, le prêt à intérêts est interdit par l’Eglise, et le marin n’a
pas les sous, il ne les aura qu’après son voyage. Donc on crée une structure particulière qu’est la société,
avec 2 associés: un associé qui va financer la société, et déjà à cette époque, on dit que cet associé aura une
responsabilité limitée, il prend le risque de ce qu’il donne au navigateur pour la course. Et celui qui prend
vraiment le risque, c’est le navigateur qui va prendre la cargaison, la vendre et revenir (s’il revient).
Il y a aussi la lettre de change: ce sont des espèces de lettres de créance qu’on pourra faire valoir dans les
banques des différents endroits où on ira (c’est plus facile que de se trimballer avec des sacs de monnaie).

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Ce sont les premiers instruments de paiement qui naissent, en dehors de l’échange de monnaie. L’usage des
comptes et la banque naissent à ce moment-là. Le paiement par virement aussi se met en place à cette
époque-là. Tout ça est mis en œuvre très tôt.

Petit à petit, ce droit s’étoffe, s’enrichit, en conservant ses caractéristiques de base. Mais bien vite, il ne
concerne plus seulement le marchand, on étend ça à tous les acteurs qui interviennent dans la production du
bien (le constructeur, le grossiste) et on commence, seulement au 17è siècle, à parler de commerçant. On voit
dans les textes de l’époque que cette notion remplace celle de marchand.

Section 2. Du code de commerce à nos jours


Vient alors une grande révolution à la fin du Moyen-Âge et qui accompagne l’apparition des Etats: ce droit
va être nationalisé au fur et à mesure de l’émergence des Etats modernes qui se construisent, et qui
connaissent un essor particulier avec la colonisation du monde. Les conquêtes hors Europe commencent.
Avant, le seigneur s’en fichait du politique et des règles coutumières qui se développaient et permettaient de
baliser et de régir l’activité économique. Mais à partir du moment où les Etats se forment, le politique
comprend directement l’utilité que peut avoir la classe marchande. C’est très pragmatique: l’activité de
commerce est vite perçue par les gouvernants comme un outil de pacification de l’Etat qui est en train
d’émerger.
Et en même temps, s’opère une nationalisation de ce droit. Ce droit était international et ne l’est plus. Pour
arriver à attirer les richesses, on crée des règles de droit propres à chaque Etat, qui se font concurrence en
vue de rattacher ces acteurs économiques, puisqu’ils créent de la richesse et ils créent donc aussi des moyens,
et via l’impôt, ils donnent aussi à l’Etat des moyens financiers pour créer ses politiques.
Donc, l’origine de la nationalisation du droit commercial se situe au 17-18è siècle, où on voit les premières
législations apparaître, et elles vont reprendre le contenu des règles coutumières d’abord, et on va construire,
autour de ces règles coutumières, des règles nouvelles.
La première législation connue, c’est un code français de 1773. Ce code constitue une première législation, et
la France va conserver cette première législation en termes de contenu technique. Mais la révolution
française change tout, elle va libéraliser et libérer le droit commercial de son caractère extrêmement
corporatiste qu’il avait jusque là.
L’exercice des différentes professions n’est pas libre: on ne choisit pas l’activité économique qu’on veut
faire, et c’est ce que va changer la révolution française avec le décret d’Allarde (1791): il proclame la liberté
de commerce, le libre choix de son activité, mais également interdit les anciennes corporations de l’époque.
De cette manière, on libéralise complètement et on ouvre pour la première fois le marché, ou en tous cas le
marché national.
Dans l’Europe d’aujourd’hui, on combat encore cette évolution. Chaque Etat a créé son droit national, et on
déconstruit tout ça, pour revenir à un système qui se rapproche du système premier, à savoir un droit
commun au grand marché, libéré des réflexes nationalistes et souverains des Etats.

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Donc la révolution française arrive, comme dans beaucoup d’autres domaines, elle modifie complètement les
règles du jeu. Mais le souci, c’est qu’une fois qu’elle est passée, il n’y a plus rien. Or, la période est troublée,
et Napoléon a besoin d’un système économique quand même solide et de règles de droit prévisibles, ne fut-
ce que pour lui garantir le correct financement de ses campagnes. Il a besoin d’argent, et l’argent peut venir
de l’activité économique, et puis il y a aussi des banques qui existent à l’époque. Mais la banque de France
risque la faillite puisque le système corporatif lui a été enlevé. Il fallait tout faire en urgence, il n’y avait plus
rien, et donc Napoléon a exigé que la France se dote d’un code de commerce au plus vite.
Mais ce code de commerce n’est absolument pas comparable au code civil. On veut aller vite, être efficace,
et c’est un code qui apparaît comme étant bâclé. Il comprend 650 articles, dont la plupart concernent le droit
maritime de l’époque. Très vite, ce code, qui est devenu notre code de commerce et qu’on a conservé après
la création de la Belgique, il a rapidement été dépecé et son contenu a petit à petit disparu, pour au final
complètement disparaître, mais tardivement, puisqu’il n’a été abrogé que par une loi du 15 avril 2018. Donc
c’est tout récemment que ce code de commerce a définitivement été mis hors jeu de notre législation.
Il est bâclé, et il apparaît très vite comme incomplet et dépassé. Il n’est pas totalement à jeter, on y introduit
la première réglementation sur les sociétés par exemple, on y crée aussi les premiers tribunaux de commerce.
Un autre apport, c'est la faillite, il met en place un régime de faillite qui est essentiel pour les différents
acteurs du marché. La faillite n’est pas seulement importante dans l’abstrait et dans l'absolu pour le bon
fonctionnement du marché, elle est importante pour les créanciers, qui voient la liquidation de la société être
organisée dans une procédure prévisible, avec une chance, en fonction de leur rang dans les créanciers, de
pouvoir être payés sur une partie de la vente de la bête. C’est une institution juridique qui est faite dans
l’intérêt des créanciers, parce que s’il n’y a pas cette procédure, c’est le prix de la course. Le premier qui
arrive obtient son argent, mais il n’y a pas de partage des sommes qui sont perçues.
Ce n’est pas un hasard si, depuis récemment, les ASBL peuvent aussi tomber en faillite. On l’a fait, pas
tellement pour le marché, mais pour le bien des créanciers.

Ce sont des outils juridiques importants et qui sont intégrés, mais il manque d’autres choses. Il paraît évident
d’intégrer la liberté d’entreprendre et les principes de base de la liberté économique dans le code, ce qui n’est
pas fait. Il y a plein d’éléments utiles qui restent en dehors de ce code de commerce, comme la quasi-totalité
de la propriété intellectuelle, qui était déjà bien développée et qui ne se retrouve pas dans le code de
commerce, et toute une série d’instruments juridiques comme la société par actions.
Très vite, ce code est délaissé, il est dépassé, et puis il est aussi dépassé par les révolutions. Assez vite, on est
en pleine révolution industrielle et on a besoin de législations économiques, et ces législations ne sont plus
insérées dans le code. Ce code va rapidement se dessécher, au fur et à mesure de l’évolution.
On va avoir un code de commerce et une multitude de législations satellites qui vont vivre à côté et en même
temps que les règles contenues dans le code de commerce. Finalement, très vite, ce code de commerce n’en
est plus un, c’est un lieu où il y a certaines dispositions juridiques. Au final, quand il meurt en 2018, ce qu’il
reste d'intéressant, ce sont les règles de preuve.

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Depuis, c’est une évolution qu’on ne va pas étudier de manière précise. On a une multitude d’interventions
administratives, et ce qui est intéressant c’est plutôt de pointer la multitude de principes juridiques qui sont à
la base de ces législations qui sont prises dans ces matières. Une des premières législations met en œuvre le
dogme du capitalisme libéral qui s’exprime par les principes de grandes libertés économiques: la liberté de
commerce du décret d’Allarde, mais aussi la liberté de contracter qui est utilisée par les agents économiques.
Le droit va sans cesse favoriser l’exercice de ces libertés, il va se mettre au service de ces libertés et il va
imaginer toute une série d’outils, d’institutions qui vont faciliter, rendre plus confortable et plus efficace
l’exercice de ces libertés. Par exemple, en modernisant le régime de la propriété intellectuelle. On reconnaît
aussi de nouvelles formes de sociétés, on rend de plus en plus facile la constitution des sociétés (au départ,
pour créer une SA, il fallait l’autorisation du gouvernement). On libéralise ça et on rend plus facile la
constitution de sociétés.
Cette mission du droit se trouve encore aujourd’hui en droit européen: la reconnaissance de la libre
circulation des services, des biens, des capitaux, la reconnaissance de la liberté de contracter, etc.
Mais à côté de ça, de nombreux biais et abus apparaissent dans le cadre de l’exercice de ces libertés, et donc
le droit va intervenir pour protéger ceux qui semblent faire de plus en plus les frais et qui subissent des
dommages suite à l’exercice illimité de ce capitalisme.
Petit à petit, le droit va venir en aide à toutes les parties faibles, tous les agents qui interviennent sur le
marché et qui sont en position de faiblesse par rapport à d’autres acteurs. Les épargnants, les
consommateurs…

Le marché change aussi, parce que de plus en plus, l’Etat devient aussi acteur dans l’activité économique, ce
qu’il n’était pas ou peu auparavant. Cette entrée sur le marché va également s’intensifier avec l’avènement
d’une économie beaucoup plus dirigée après les grands conflits mondiaux. Après les 2 guerres mondiales, on
n’a pu que constater l’état de délabrement complet de l’économie. Et c’est l’Etat, parce que le secteur privé
ne peut pas le faire, qui retisse l’activité économique de base en prenant un rôle actif dans l’économie, un
rôle qu’il n’avait pas jusqu’à présent: on planifie, on prend des plans de reconstruction de l’économie (plan
Marshall), on réglemente de manière assez approfondie toute l’activité de vente, d’assurance, l’énergie…
c’est après la guerre que se mettent en place tous ces marchés réservés aux secteurs publics, parce que
considérés comme essentiels dans la reconstruction. Et quand l’Europe se met en place, la première chose
qu’elle doit faire, c’est mettre fin à ces monopoles nationaux dans des secteurs quand même importants. On a
mis en place des structures qui libéralisent ces marchés.
Ce dirigisme économique a laissé des traces, mais a laissé place, au fur et à mesure de la construction
européenne, à un retour à une économie plus classique, mais une économie libérale qui est encadrée
aujourd’hui. Il y a des règles qui balisent l’exercice de ces grandes libertés, même si celles-ci constituent
encore les principes mêmes de la construction du droit économique.
Ce retour est aussi tout simplement la conséquence du phénomène qu’il faut bien comprendre et qui est le
phénomène de mondialisation de l’économie, qui change tout et qui rebat les cartes à partir des années 80.

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On doit comprendre cette espèce de course poursuite entre l’économie, qui évolue, qui s’emballe, et le
politique et son arme juridique qui essaient de la rattraper et de la baliser ou en tous cas de l’encadrer pour
lui donner un sens qui convienne à l’expression de l’intérêt général qui est celle de nos ainés.
On vit dans une économie globalisée, et il faut bien comprendre ce que ça veut dire. Le problème n’est pas
qu’il y ait des investissements internationaux, le problème est un processus qui s’est mis en place à partir du
20è siècle et qui a complètement changé la done: la globalisation des moyens de production. On est passés
d’un processus assez lent, un processus de nationalisation à un processus de transnationalisation (on a facilité
le fait pour un investisseur belge d’aller investir dans un autre pays, le cas échéant pour développer une
industrie mais qui reste encore assez locale), et puis depuis les années 80, s’est développée une vraie
globalisation des moyens de production. Grâce aux réseaux mondiaux de gestion, de financement et
aujourd’hui d’information, on a un phénomène d’éclatement total du processus de production, de la création
du produit/service jusqu’à la vente au consommateur final.
Ça influe directement sur la réponse politique et juridique. Aujourd’hui, on a un décrochage entre une
économie de plus en plus mondiale et un droit qui reste national. C’est sans doute le fait, d’un point de vue
juridique, le plus prégnant qu’il y ait eu depuis la fin de la première guerre mondiale. Chez nous, on a trouvé
une réponse partielle: l’UE. L’UE nous permet d’avoir des règles juridiques qui dépassent les territoires
nationaux et qui permettent d’embrasser des marchés beaucoup plus importants que si chacun restait chez
soi. Comment arrive-t-on à gérer ces grands marchés? En harmonisant la règle de droit. La règle de droit
économique est aujourd’hui harmonisée en Europe, ce qui permet de répondre à une réalité qui est celle d'un
marché international.
Le droit que nous allons voir est essentiellement d’origine européenne, il n’y a plus de matière économique
qui ne présente pas un lien plus ou moins fort avec l’Europe, et avec aussi un phénomène d’impulsion sur la
création de la règle de droit, qui est largement passé à l’Europe (et heureusement). Il faut harmoniser toutes
ces règles pour rendre possible cette offre internationale qui est, de toute façon, une réalité. L’Europe traduit
ce rattrapage de l’économie par la règle au niveau régional et pour nous, pour notre étude, c’est essentiel.

Il y a un vrai malaise dans la relation entre l’économie, le politique et le droit. Le droit va brider l’économie,
c’est son rôle. Mais il doit être porté par un projet politique, le projet politique est censé traduire la vision
que notre société peut avoir et veut faire transparaître dans sa réalité. Le problème, c’est qu’il y a une
inadéquation entre ce développement de l’économie et le caractère national, et même régional du droit (pas
de règles harmonisées). Il n’y a pas de règle qui permettrait d’adopter une vision du droit qui puisse résoudre
et prévenir ces enjeux mondiaux qui sont d’origine économique.
Dans la crise covid par exemple, il y a une inadéquation entre la règle de droit et la réalité économique, et le
politique est peu capable de résoudre ce problème. Au niveau mondial, on ne sait pas gérer l’économie, et
cette inadéquation provoque un profond malaise, car la règle est perçue de plus en plus comme inefficace.
On ne lui perçoit pas une efficacité et non plus l’existence d’un projet politique global. Le problème aussi, et
on le sent aussi dans l’Europe, c’est qu’on n’a pas l’expression d'un projet qui soit en aspiration avec les
gens, et c’est un grand malaise. C’est un malaise aussi au niveau régional: est-ce qu’on veut plus ou moins

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d’Union? Quand on a besoin de quelque chose, on se tourne vers eux, et puis on se rend compte que ce n’est
pas la compétence de l’Union, parce que les politiques veulent conserver leurs pouvoirs sur leurs territoires.
On rate des enjeux essentiels en retournant à cette idée de souveraineté qui fait beaucoup de bruit pour
l’instant.
En Europe, on a un projet économique qui a été porté par un projet politique, c’était l’après-guerre et le
projet de reconstruire un monde en paix, on a mis l’économie au service de ce projet-là et il a plutôt bien
fonctionné. On a mis l’économie au service de la paix, et ça fonctionne bien!
Devant tout ce malaise, il y a aussi un problème de fond qui est aujourd’hui dénoncé par les économistes, les
sociologues, les philosophes… c’est que le modèle économique que nous utilisons est en bout de course.
Cette économie de la croissance continue ne paraît plus possible à terme. Il faut admettre que cette manière
de conduire l’économie a eu des bienfaits, il suffit de regarder un peu en arrière pour comprendre qu’il y a
une augmentation de la prospérité globale de nos populations, tant chez nous qu’ailleurs. Mais ce qui
apparaît aujourd’hui d’évidence, c’est que le système est incapable de garantir une répartition équitable des
richesses qu’on a pu provoquer avec ce système, et qu’il faut à coup sûr revoir sa copie, parce que si le
système continue comme ça, il y aura plus de dommages que de bénéfices. D’abord, la croissance continue,
ça fait qu’on utilise des ressources rares et on est en train de bousiller notre environnement et la terre sur
laquelle on est, donc ce n’est pas possible. Quand on vend un bien, il y a toujours, quelque part, l’utilisation
d’une ressource, et on a découvert que les ressources n’étaient pas illimitées. Et donc ce modèle doit être
repensé, tant dans sa finalité que dans ses effets, puisqu’il y a des effets trop dommageables, et donc il faut
résoudre ces problèmes.

Le problème de base, c’est l’accumulation et la concentration des patrimoines entre les mains de quelques
uns, dans un monde où, justement, la croissance n’arrête pas de diminuer. On a une croissance qui diminue,
mais on a un rendement du capital qui est extrêmement élevé ces 50 dernières années (rendement du capital
= loyers, dividendes sur actions, intérêts sur obligations… ce sont les revenus qui ne viennent pas d'un
travail). L'inégalité est nourrie par la différence de sources de revenus également. Les patrimoines hérités
augmentent beaucoup plus vite que ceux gagnés par le travail puisque le taux de croissance diminue. Il y a
une diminution des richesses acquises par le travail et une augmentation sans commune mesure des richesses
via ce capital.
Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a un vrai problème avec ça et surtout que si on veut financer des
politiques nouvelles et innovantes et s’attaquer aux grandes crises de cette époque, il faudrait sans doute
commencer par rediriger les richesses et les répartir mieux.
Il y a des avancées, par exemple, on a décidé, au niveau mondial, de taxer à 15% minimum les
multinationales, où qu’elles se situent. Ça ne va pas forcément tout résoudre, mais on résout 2 problèmes: on
récupère des moyens; puisque quand on fait de la fraude fiscale, on profite du pays pour la production, mais
on ne continue pas en retour, via la taxe, aux politiques communes de l’Etat dans lequel on vend nos biens.

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Qu’est-ce qu’on peut faire avec tout ça? C’est là que la réponse est politique et pas juridique, mais le droit, et
le droit manié par des juristes, ne peut pas tout changer, mais peut avoir, dans cette crise globale de doutes,
de confiance, le pouvoir de retrouver cette confiance et d’influer directement sur le politique. On peut
influer, même sans réforme politique. Les principes sont là et ils sont tellement flexibles, ce sont des
instruments puissants qui n’ont pas besoin d’être portés à nouveau par le politique et qui, grâce aux juristes,
qui vont l’interpréter et l’appliquer, vont pouvoir faire quelque chose. L’espoir est là, et c’est sans doute ça
qui permettra un jour de rétablir l’équilibre entre ces 3 pôles, juridique, économique et politique.

Chapitre 2. Conceptions et principes du droit de l’entreprise


Section 1. Du droit commercial au droit de l’entreprise
C’est un passage encore tout récent.
On a d’abord eu une première étape où le droit commercial était considéré comme un droit privé
d’exception, c’est-à-dire que ce droit s’appliquait dès l’instant où le destinataire avait une qualité prédéfinie.
C’était encore le marchand, et c’était cette qualification du destinataire qui impliquait l’application du droit
économique. C’est parce que je suis commerçant qu’on m’applique certaines règles, seulement à moi et pas
au reste des institutions privées ou publiques. C’est la qualité, et c’est pour ça que c’est un droit
profondément professionnel, qui entraîne l’application de la règle.

Ça a posé plein de problèmes, même avec la notion de commerçant, car il fallait définir ce que c’était un
commerçant et le droit était toujours en retard sur la réalité. Dans le code de commerce, on avait fait une liste
des activités qui permettaient de vous qualifier comme un commerçant, selon certaines conditions, mais cette
liste a été incomplète sans arrêt. Et donc on avait des absurdités, comme le fait qu’acheter un immeuble pour
le revendre faisait de nous un commerçant, mais louer des appartements et percevoir un loyer, non. Revendre
du sable, c’était une activité civile, mais du charbon, c’était commerçant. La justification, c’était qu’on
retirait le sable tel quel alors qu’il y avait une certaine façon de faire pour le charbon.
Et on s’est senti à l’étroit dans ce système, dans cette approche où on partait d’une qualité pour amener la
règle de droit à s’appliquer. Par exemple, la faillite n’était ouverte qu’aux commerçants jusqu’en 2020, donc
si on n’était pas commerçant, on ne pouvait pas tomber en faillite, même si on avait une activité économique.
Par exemple, les indépendants n’étaient pas commerçants. Les uns étaient soumis à certaines règles
spécifiques, les autres échappaient à ces règles, même s’ils avaient une activité économique et même s'il y
avait une justification à cette application.

Il y a eu un mouvement de glissement: ce n’est plus la qualité, mais l’activité et les comportements qu’on
pouvait avoir dans l’activité économique qui allaient appeler l’application de la règle de droit économique,
avec cette idée que dans le fond, si une organisation, quelle qu’elle soit, entre sur le marché et qu’elle va
exercer une activité économique, elle doit être soumise aux mêmes règles et principes que toutes les autres
organisations qui sont déjà sur ce marché. De plus en plus, on a fait éclater la notion de destinataire de la

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règle (de marchand, on est passé à commerçant, puis on est passés à des notions comme professionnel).
Aujourd’hui, on parle d’entreprise, et une entreprise, c’est très facile à comprendre d’un point de vue
abstrait: c’est une organisation qui exerce une activité économique, peu importe son statut juridique, sa
forme, même sa finalité (de lucre ou pas). Si elle offre des biens et des services sur un marché, elle est
susceptible de devoir respecter toutes les règles qui s’appliquent aux entreprises. On s’est détaché du statut.
On a vu ça très fort sur les législations de base: dans la protection des consommateurs et les pratiques
honnêtes du marché, au départ, c’était une législation qui s’appliquait aux commerçants. Puis on change et
on vise les professionnels, et aujourd’hui ça s’applique aux entreprises. Ça a été le grand mouvement de
libération du droit de l’entreprise.

Il y a eu une 3è évolution qui a accompagné cette extension des destinataires et des matières. On a voulu
réglementer de plus en plus les comportements sur le marché, on a dirigé l’activité économique, et plus il y
avait de règles, plus il y avait de disparités possibles et ça devenait inefficace. Et donc la 3è évolution, c’est
qu’on a réglementé de plus en plus le marché en lui-même, on a voulu garantir le bon fonctionnement du
marché au nom de l’intérêt général et, derrière cet intérêt général, l’intérêt du consommateur au sens large.
Par exemple, c’est comme ça que le droit de la concurrence est né, mais aussi de cette manière là qu’on a vu
les autorités publiques s’immiscer de plus en plus dans le fonctionnement du marché pour garantir son bon
fonctionnement. Par exemple, le phénomène des autorités de contrôle sur les marchés, que ce soit sur les
marchés financiers, en matière de poste et de télécommunication… on a des institutions, qui sont des
institutions administratives indépendantes et qui ont des pouvoirs de sanction, voire même de création de
norme, et qui interviennent directement sur le marché pour favoriser son bon fonctionnement. C’est un
troisième phénomène qui a marqué fortement notre matière.

Premier élément: il y a eu un développement du droit de l’entreprise et d’un contenu qui s’attaquait au


comportement, voire au fonctionnement du marché lui-même.
Il y a plus de règles en droit économique à partir du 19è siècle, parce qu’il y a des besoins spécifiques qui
s’expriment par les destinataires des règlements et par les acteurs du monde économique, il y a des exigences
de réglementation qui vont expliquer que ces règles vont augmenter et évoluer rapidement en nombre et en
finalité. Le premier besoin évident du monde économique, c’est un besoin de rapidité. Le droit économique
et le droit commercial, au départ, ont cherché à satisfaire à ce besoin de rapidité inhérent aux échanges
commerciaux. Les commerçants veulent que les transactions se fassent de la manière la plus efficace et
rapide possible.
C’est de cette manière qu’on a justifié la suppression du régime formaliste du droit de la preuve civile avec
les règles de prééminence de l’écrit etc, qui s’accordaient mal avec ce besoin de rapidité, et on a instauré un
mode de preuve libre pour les échanges commerciaux.

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Il y a un double mouvement: on essaie d’enlever le formalisme inutile qui s’applique dans les échanges ou
dans l’application de la règle de droit, mais aussi il y a un formalisme économique et commercial qui se
développe, et ce formalisme est au service de cette efficacité commerciale.
Et avec des succès éclatants: c’est la même chose dans l’application de la règle de droit.
Ce ne sont pas non plus les mêmes procédures qui sont appliquées aux litiges commerciaux et aux litiges de
droit civil classique. Par exemple, on a imaginé, pour le contentieux économique, des procédures «  comme
en référé », c’est-à-dire des procédures qui permettent la sanction des actes contraires aux usages honnêtes
dans les pratiques commerciales.
On doit essayer d’obtenir des sanctions adéquates, autres que 1382 par exemple, qui a déjà une lourdeur dans
les conditions d’application.
On a alors imaginé une procédure, la procédure « comme en référé », qui permet de faire cesser le
comportement illicite. La seule finalité de cette procédure, c’est d’obtenir des actions en cessation, on obtient
la fin du comportement illicite. On peut aller devant le juge selon une procédure comme en référé, sauf que,
gros avantage sur le référé, on ne doit pas prouver l’urgence. Elle est présumée. Donc on a la procédure
rapide sans le frein de l’urgence. On va alors obtenir une décision au fond sur la cessation du comportement,
dans une procédure accélérée qui reste bilatérale.

Un deuxième besoin du monde économique, après la rapidité, c’est le besoin qu’ont les commerçants
d’obtenir du crédit. Les acteurs de la vie économique, surtout si les activités deviennent plus importantes, ne
peuvent vivre uniquement sur des capitaux propres, c’est-à-dire de l’argent qu’on gagne soi-même et qu’on
réinvestit dans son activité. Il faut pouvoir obtenir du crédit de tiers et principalement de banques, de prêteurs
ou de personnes qui sont prêtes à mettre à notre disposition des fonds pour nous permettre d’exercer notre
activité économique.
La règle de droit va faciliter l’obtention de ce crédit, ou que celle-ci se fasse de manière plus confortable.
Donc elle va prendre des mesures de sauvegarde en vue de diminuer les risques des créanciers, pour les
pousser à prêter. C’est ainsi qu'on a justifié les obligations de comptable et de publicité comptable. Si on
tient la comptabilité à jour, les créanciers peuvent vérifier dans notre comptabilité si on est en stabilité
financière et si notre activité tourne relativement bien ou pas. Ce besoin d’information est encore
extrêmement présent aujourd’hui. Le régime de la faillite, c’est ça aussi, la faillite est faite d’abord et avant
tout pour les tiers créanciers, parce qu’en cas de faillite, ceux-ci sont mis en danger, ils risquent de ne pas
récupérer les sommes qu’ils ont investies. Développement aussi de garanties particulières qui peuvent être
données et qui sont spécifiques au droit économique (comme le gage sur fonds de commerce).
Tout cela va favoriser l’obtention de crédits, qui va elle-même favoriser l’investissement et donc l’activité
économique.

Un autre besoin, c’est le besoin de sécurité des opérations traitées. Là, c’est un peu ce qu’on retrouve dans
des règles de sanction qui frappent ceux qui ne respectent pas les règles du marché, ou bien l’application de
règles sévères qui s’appliquent à une partie par rapport à l’autre, parce qu’on veut favoriser l’opération qui

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est derrière. Par exemple, la présomption des vices cachés de la vente pour les professionnels, c’est une règle
dure mais qui garantit une sécurité juridique et augmente la confiance de l’acheteur par rapport au vendeur.
La faillite jouait aussi ce rôle de sanction, une mise au ban de l’activité économique de ceux qui étaient alors
considérés comme n’étant plus aptes à exercer cette activité économique, vu les dangers qu’ils faisaient
courir aux autres (ce n’est plus vrai aujourd’hui).

Finalement, il y a aussi besoin d’une éthique particulière, propre aux acteurs économiques. On s’est rendu
compte assez vite que l’exercice de ces libertés économiques pouvait faire des dégâts, qu’il fallait, c’est vrai,
diminuer les entraves à cet exercice mais, en même temps, diminuer les abus et donc encadrer les
comportements sur les marchés pour s’assurer de l’existence de comportements loyaux et respectueux des
règles du jeu, et c’est comme ça que la théorie de la concurrence déloyale est née. L’action en cessation en
est la sanction principale. On va développer des instruments de police économique qui vont assurer que les
comportements sur le marché soient conformes aux règles imposées.

Dernier besoin: c’est le plus caricatural: le besoin d’unification des règles juridiques au niveau international
et transnational. Il faut que la règle s’harmonise au niveau international pour permettre une adéquation entre
l’économie, l’évolution économique et la règle de droit. C’est comme ça qu’est né le droit européen, comme
on l’a dit, qui est là pour favoriser tant l’émergence du grand marché européen que pour le réglementer de
manière harmonisée dans tous les pays de l’Union.

Ces besoins de base de l’activité économique ont provoqué, tout doucement, l’élargissement des destinataires
de la norme, toujours avec cette idée qu’il faut soumettre tous les joueurs au respect des mêmes règles. Au
fur et à mesure que ces règles sont venues s’imposer à l’activité économique, on a élargi leur application
pour permettre l’égalité d’application à l’égard des destinataires et donner une efficacité la plus complète
possible.

On a 2 définitions de la notion d’entreprise dans le code de droit économique: une définition à l’art I.1, mais
aussi une multitude des définitions particulières. Au final, l’entreprise devient toute organisation qui exerce
une activité économique. On a donc complètement fait éclater cette notion, et c’est pour ça qu’une ASBL
peut devenir une entreprise, ou un organisme public de droit public. L’important, ce n’est ni son statut ni sa
finalité, c’est ce qu’elle fait, son activité sur un marché.
Le destinataire du code, c’est l’entreprise qui exerce une activité économique sur un marché. C’est clair.

Section 2. Les principes du droit de l’entreprise


§1. Les principes du droit commercial issus du Code de commerce de 1807
Le principe de base, c’est le fait que le droit permette la mise en œuvre des grandes libertés économiques, la
liberté de base étant la liberté de commerce, qui vient du décret d’Allarde. Dans ce décret, on affirme la

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liberté de commerce, mais aussi des limitations de celle-ci par les règlements de police. C’est tout le jeu de
favoriser l’exercice et d’en même temps le limiter.

Un deuxième principe, c’est l’importance des pratiques et des usages. On va voir que ces pratiques et usages
vont même déboucher, en droit moderne, sur l’autorégulation, c’est-à-dire des règles prises par le secteur
économique pour lui-même. C’est assez logique: le droit économique s’est développé à l’extérieur même des
pouvoirs politiques et de l’organisation étatique qui, par essence, n’existait pas à ce moment-là, ce sont les
marchands qui se choisissent des règles pour eux-mêmes. Ce phénomène reste très présent dans ce droit
économique, même aujourd’hui. Même la loi sur les pratiques honnêtes du marché, c’est aux professionnels
de comprendre ce que les usages permettaient ou interdisaient de le faire. Ça donne aussi une certaine
souplesse, une certaine force de flexibilité et d’évolution par rapport à ce monde économique qui va de plus
en plus vite.

Un troisième principe important qui était dans le code de commerce et qui subsiste aujourd’hui: l’importance
de la bonne foi et de l’équité, l’importance de la confiance réciproque, de la parole donnée dans la création
des actes juridiques. Ça se marque notamment au niveau contractuel et au niveau des règles assouplies de
preuve. Par exemple, on va faire confiance dans la comptabilité qu’on tient et qui fera preuve le cas échéant.
On part du principe qu’elle est tenue en honnête forme. Cette règle était dès le début dans le code de
commerce et existe encore aujourd’hui. C’est aussi une manière qu’ont les partenaires et les acteurs
commerciaux de partir d’un principe de confiance réciproque, même s’ils ont leurs propres intérêts, il y a un
intérêt commun de cette croyance en la bonne foi de l’autre. Il y a aussi une volonté d’éviter le conflit. Les
partenaires commerciaux ne sont pas là pour se perdre dans des contentieux, c’est la solution finale, on essaie
de se comprendre, de négocier des sorties, de passer par des accords plutôt que de se faire la guerre.

On a aussi une idée de simplification, on avait vu ça déjà dans les raisons de la création du droit, c’est un
principe qui traverse toutes les législations: simplifier les procédures et permettre qu’elles soient plus
rapides, et dans cette efficacité, il y a aussi une idée de réduction des coûts des transactions.

§2. Les principes actuels du droit de l’entreprise


On va parler de l’importance de ces libertés économiques de base, pour comprendre qu’elles constituent le fil
rouge et un élément essentiel dans l’introduction au droit de l’entreprise, c’est-à-dire dans l’intégralité du
cours, et qui déterminent l’objet même de la définition que l'on donne au droit de l’entreprise.

Des principes originaux se sont développés avec et autour de cette fameuse liberté d’entreprendre qui va se
décliner à tous les niveaux de la hiérarchie des normes. Et on verra qu’aujourd’hui, la liberté d’entreprendre
est dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. Il y a beaucoup de choses à dire sur ce point après la
crise covid, parce qu’on se rend compte que la protection est peut-être encore un peu formelle et pas toujours
très efficace. N’empêche qu’elle est proclamée comme étant une liberté fondamentale dans notre système.

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Mais ce n’est pas un droit de l’homme, et donc on remarque tout de suite l’ambiguïté de ce droit fondamental
qui ne se retrouve pas, à part dans la charte, dans les instruments qui, normalement, traitent des droits
fondamentaux. Donc on verra comment cette liberté est consacrée.

On a 2 aspects de cette liberté: un aspect de liberté publique, on peut demander à l’Etat, exiger que l’on
garantisse l’exercice de cette liberté et que l’Etat prenne, le cas échéant, même des mesures positives pour
favoriser l’exercice de cette liberté, mais on a aussi un aspect privé de cette liberté, c’est-à-dire les effets
juridiques que cette liberté va créer dans les relations entre acteurs économiques. Dans ces deux cas de
figure, que ce soit dans l'aspect public ou privé, le principe de base, c’est que ces libertés économiques
doivent être mises en balance avec d’autres valeurs, d’autres principes qui vont justifier soit, a priori, des
limitations par la loi, soit le fait que chacun va exercer sa liberté d’entreprendre sur le marché, et en fonction
des circonstances, il va falloir trouver des équilibres. Ce sont donc les acteurs eux-mêmes qui doivent sentir
et savoir ce qu’ils peuvent faire sur le marché, en prenant en compte, dans leur comportement, les intérêts et
les libertés d’autrui.
En droit belge aujourd’hui, la liberté d’entreprendre est consacrée par le code de droit économique. Pas dans
la Constitution, mais la loi. Le code de droit économique comprend un livre II appelé « principes généraux »,
et dans ce livre qui ne contient que 5 articles, on trouve le champ d’application du code et aussi les objectifs
de ce code et la proclamation de la liberté d’entreprendre. On nous dit que le présent code a pour objet la
liberté d’entreprendre. C’est l’objet même du code. Mais tout de suite, on nous dit « mais aussi la loyauté des
transactions économiques et à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ». Et ça, c’est une
avancée par rapport à la protection des 19 et 20è siècles: on proclame la liberté d’entreprendre, et
directement on indique le respect des autres valeurs sur le marché. La liberté d’entreprendre doit se concilier
avec d’autres intérêts et valeurs. Puisqu’on parle, dans cet objectif, de liberté d’entreprendre, on consacre,
dans la disposition suivante, la liberté d’entreprendre. « Chacun est libre d’exercer l’activité économique de
son choix » (art II.3). L’art II.4, à la manière du décret d’Allarde, rappelle que cette liberté doit s’exercer
dans le respect de la loi.
On voit toute l’ambiguïté entre la reconnaissance, en tous cas formellement, d’un principe de base, voire
même d’une liberté fondamentale, mais cette liberté fondamentale n’est reconnue que dans une loi au sens
formel du terme, et une autre loi peut venir la limiter. C’est ce qui explique la faible protection ou en tous cas
les faiblesses importantes de cette protection à l’égard de la liberté d’entreprendre durant la crise du covid.
Le problème vient fondamentalement du fait que ce soit un statut hybride, c’est cette liberté fondamentale
qui n’est pas reconnue dans une convention des droits humains et des libertés fondamentales, mais seulement
par la loi qui amoindrit comme elle veut cette liberté.

TUYAU EXAMEN sur ce qui va suivre, quasi d’office une question là dessus
On va étudier le statut juridique de la liberté d’entreprendre, qui se décline généralement en liberté de
concurrence et liberté de contracter ou non dans la relation économique.

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Il y a un double mouvement: un mouvement de consécration de cette liberté, on se rend compte de plus en
plus que cette consécration est ambiguë, et puis il y a la mise en œuvre des limitations qui sont nécessaires à
cette liberté. Le droit est très vite venu limiter pour éviter des excès et la création de dommages pour autrui,
qui n'est pas un bienfait et qu’on veut éradiquer, ou en tous cas limiter. Évidemment, cette liberté
d’entreprendre est aussi liée au droit européen, le droit européen et le TFUE en particulier met en avant des
libertés sœurs de la liberté d’entreprendre, des dispositions spécifiques qui consacrent et proclament ou
facilitent l’exercice de la liberté de concurrence, et aussi les dispositions sur la liberté d’établissement, la
libre circulation des biens et des personnes, etc.
C’est une consécration un peu floue et ambiguë en droit belge, ça avait déjà mal commencé avec les Français
et le décret révolutionnaire d’Allarde qu’il a fallu réinsérer dans le droit belge. Le code de commerce n’avait
pas consacré la liberté d’entreprendre, le décret n’était pas dedans, donc c’était une législation française en
dehors de la nôtre… c’était un grand bazar.
Aujourd’hui, le problème est réglé mais il a quand même fallu attendre 2013 pour qu’il soit réglé.
Aujourd’hui, le livre II du code de droit économique proclame la liberté d’entreprendre et ses limitations
comme on l’a vu.

En réalité, il y a 2 manières d’aborder la liberté d’entreprendre: un aspect de liberté publique et un aspect de


liberté privée. La liberté publique, c’est un focus sur la relation entre le citoyen et l’autorité publique.
L’aspect privé, on se pose la question de savoir ce que ça veut dire lorsqu’on oppose une liberté privée à un
autre citoyen, à un autre organisme privé qui n’est pas l’Etat. Comment fait-on pour trouver une solution? Le
point de départ, c’est quand même que 2 personnes couvrent leur comportement de 2 libertés fondamentales
distinctes. Il est important de comprendre quels sont les effets juridiques à ces libertés. S’il n’y en a pas, le
concept lui-même ne sert à rien.

D’abord, l’aspect public:


A priori, nous sommes dans la situation où un citoyen demande à l’Etat de garantir l’exercice de sa liberté
d’entreprendre. Il est intéressant de comprendre quel est le statut juridique de cette liberté d’entreprendre
dans notre système juridique, puisque cette liberté d’entreprendre est au fondement de l’organisation
économique libérale, c’est l’objet même du droit de faciliter l’exercice de cette liberté. Pourtant, le statut est
fourbe: est-ce que c’est une liberté constitutionnelle, semi-constitutionnelle, est-ce que c’est une liberté
fondamentale, un droit de l’homme? Toute une série de questions se posent autour de la liberté
d’entreprendre, qui n’a jamais été perçue comme d’autres libertés fondamentales.
En droit international, ça n’a pas été reconnu, et ce n’est pas reconnu par la CEDH comme un droit humain.
On ne trouvera aucune disposition relative à la liberté d’entreprendre. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas
d’autre convention ou traité international qui ne consacre pas cette liberté, mais quand même, le TFUE ne
parle pas en tant que telle de la liberté d’entreprendre. On parle d’autres libertés sœurs, mais ça ne nous
donne pas le statut juridique de la liberté d’entreprendre, même au sein de l’Union.

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Ce qui s'est passé en droit européen, c’est qu’outres les dispositions qu’on trouve dans les traités fondateurs,
la CJUE a très vite reconnu la liberté d’entreprendre comme étant un principe général du droit de l’UE,
principe général qu’on place tout en haut de la hiérarchie des normes de droit européen.
Puis on a parlé tout un temps d’un projet de constitution européenne, on sortait d’un élan pro-européen. Dans
tous ces travaux de texte fondateur, il y en a un qui est né et s’applique aujourd’hui: la charte des droits
fondamentaux de l’UE. Il faut bien comprendre ce qu’est cette charte, parce qu’elle comprend une
disposition sur la liberté d’entreprendre (art 16). Ce n’est pas un article facile à interpréter, c’est quand
même une consécration un peu molle. On dit que la liberté d’entreprendre est reconnue, mais en fonction de
ce que va en dire le droit de l’UE et le droit national. Ça permet de comprendre que ce texte est un texte de
compromis entre les Etats, certains n’ayant pas hésité à proclamer la liberté d’entreprendre comme étant un
droit fondamental, mais d’autres ne l’ont jamais fait, et il y a des raisons politiques et idéologiques derrière
ce débat. Certains ne veulent pas mettre sur le même pied une liberté économique et la liberté d’expression
ou de religion.
Voilà donc qu’on proclame quand même la liberté d’entreprendre dans un texte qui est considéré comme
étant tout en haut de la hiérarchie des normes de l’Union. Mais il faut comprendre sa portée: la charte n’a pas
comme destinataire le citoyen européen (ce n’est pas comme la CEDH qui reconnaît des droits subjectifs
dont on va demander le respect aux Etats membres). Ici, les destinataires de la charte, il y en a 2 catégories
selon l’art 51: elle s’adresse aux institutions de l’UE elles-mêmes, qui doivent respecter la charte quand elles
exercent leurs missions. Les seconds destinataires sont les Etats membres, lorsqu’ils mettent en œuvre le
droit de l’Union. Donc quand les Etats prennent une règle de droit national qui vient implémenter une
directive, on peut invoquer la contrariété de ce texte par rapport au droit de l’Union.
On a quand même une interprétation large aujourd’hui: à chaque fois que le juge doit appliquer une norme
que l’on peut qualifier comme mettant en œuvre une norme de l’Union, on peut, devant lui, invoquer le
respect de la charte, même dans un litige entre particuliers. En pratique, ça lui donne quand même une
importance particulière qui est très peu utilisée par les plaideurs et les juridictions, alors que grâce à ça, on
peut obtenir une interprétation qui soit conforme à la charte et gagner notre procès là dessus. Au niveau
européen, il y a de plus en plus de jurisprudence là dessus, notamment en matière de droit des nouvelles
technologies. Parfois, on a des conflits entre la propriété intellectuelle, qu’on pourrait juger comme
impliquant un devoir de précautions particulières, et de l'autre côté, la liberté d’entreprendre du fournisseur
de services, et la liberté de l’activité. Ce type de débat trouve des solutions éclairées par la charte.
Mais ça n’est pas un droit subjectif qui est aussi favorable au citoyen, même s’il va y trouver indirectement,
via ce champ d’application, une défense qui peut être très utile et efficace, mais ce n'est pas la même chose.
D’ailleurs, c’est tellement vrai que dans un arrêt du conseil d’Etat du 20 août 2020, le demandeur invoque la
violation de l’art 16 de la charte, et le conseil d’Etat dit qu’il conteste un arrêté ministériel qui prend
certaines mesures, mais ce n’est pas du droit européen, et si ce n’est pas du droit européen, le moyen est
irrecevable. Donc on comprend bien la limite de l’application de la charte. Et c’est la possibilité que le
citoyen a alors d’opposer la liberté d’entreprendre, consacrée dans la charte, à l’autorité publique.
On voit déjà l’ambiguïté de ce droit fondamental en droit européen.

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Ce flou va perdurer quand on va gratter un petit peu le droit belge. Cette liberté est consacrée par le décret
d’Allarde, et c’est de ce décret que nos hautes cours (cassation, conseil d’Etat, cour d’arbitrage) ont proclamé
le caractère parfois fondamental de cette liberté, ils y voyaient un principe général dans notre droit public.
C’est pour ça que de ce décret, on est passés à la loi, c’est-à-dire au code de droit économique, et là, le statut
juridique est totalement limpide, c’est une loi, ni plus, ni moins. C’est un code qui reconnaît la liberté
d’entreprendre et qui abroge le décret d’Allarde en 2013.

Grâce à la régionalisation, on a quand même évoqué, dans des normes supérieures (pas la Constitution, mais
la loi spéciale du 8/08/80), et reconnu la soumission des règles prises par les régions à la liberté
d’entreprendre, même si elle n’était pas reconnue telle quelle dans la Constitution.
On peut se demander pourquoi on n’a pas reconnu cette disposition, d’autant plus qu’on a eu l’occasion de
l’intégrer quand on a reconnu les nouveaux droits économiques et sociaux dans l’art 23. On ne l’a pas fait
pour des raisons politiques et sans doute idéologiques, il y a une réticence à faire de la liberté d’entreprendre
une liberté fondamentale constitutionnelle.
Finalement, c’est quoi? C’est à la belge, c’est un compromis entre le statut légal et un statut constitutionnel,
puisqu’on parle quand même de liberté fondamentale.
L’exposé des motifs du code de droit économique ne fait que de renforcer l’ambiguïté en disant qu’on ne lui
donne pas le statut de droit fondamental, alors que c’est un principe fondamental dans le droit de l’UE.
Ça s’est marqué dans la crise covid par une faiblesse quasi congénitale de la liberté d’entreprendre, qui fait
qu’elle est défendue avec moins de vigueur que d’autres libertés fondamentales.

Comme principe de droit public, même au statut incertain, il y a en tout cas 2 règles que l’on reconnaît et qui
s’imposent à l’Etat:
- Une règle de fond: c’est une liberté publique, chacun a le droit d’exploiter une entreprise dans des
conditions normales de concurrence, ce qui doit être garanti par l’Etat. Mais l’Etat peut aussi limiter
l’exercice de cette liberté au nom de l’intérêt général ou de la protection des intérêts d’autrui, pour autant
qu'il arrive à prouver un lien de nécessité entre la mesure et la finalité et qu’il n’y ait pas de disproportion,
c’est-à-dire qu’on ne crée pas plus de dommages que d’avantages au travers de la mesure limitatrice qui
est prise.
La manière dont on applique le principe de proportionnalité n'est pas claire, pas aussi claire que les droits
de l’homme. Ce n’est pas comme ça qu’on aborde nécessairement le problème dans la jurisprudence qui
traite de la liberté d’entreprendre.
- Une règle de compétence: l’Etat ne peut régir la matière, limiter l’exercice de la liberté, que par une loi
ou sur habilitation légale. Il faut qu’il y ait la sanction du parlement, parce qu’on parle quand même d’une
liberté considérée comme essentielle dans notre société et on ne peut pas laisser libre cours aux envies de
l’exécutif pour limiter ce type de liberté porteuse d’un principe fondamental.

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Au niveau jurisprudentiel, que fait la jurisprudence avec ça? Elle n’est pas très claire. Il y a des zones
d’ombre qui ont encore été mises en exergue par les arrêts, notamment beaucoup d’arrêts devant le conseil
d’Etat saisi en suspension d’extrême urgence de certaines mesures prises par arrêté ministériel puis de
mesures prises sur base de la loi pandémie.
La jurisprudence, du moins la cour de cassation, dit en tout cas que la liberté d’entreprendre est une liberté
d’ordre public, le juge peut l’invoquer automatiquement.
La jurisprudence dit aussi que c’est une liberté dont toutes les juridictions diront qu’elle n’est pas absolue.
On admet la proclamation de cette liberté, mais tout de suite, on dit que ce n’est pas absolu, et donc on peut
limiter, la loi peut venir limiter cette liberté. Au nom de quoi? De l’intérêt général bien entendu, pour autant
que la finalité soit reconnue comme une finalité d’intérêt général légitime, ou au nom d’une autre liberté
fondamentale.
C’est là que le flou commence: dans des conditions qui ne sont pas exprimées de manière univoque. Quelles
sont les conditions qui permettent de limiter la liberté d’entreprendre? On retrouve, grosso modo, les mêmes
conditions qui sont proclamées de manière systématique pour un droit humain, c’est-à-dire qu’il faut une loi,
c’est la règle formelle, puis il y a une règle de fond qui dit qu’on peut limiter, mais il y a une idée de
nécessité et que la mesure ne doit pas être disproportionnée comme l’a dit la cour de cassation.
Le problème de ce principe, c’est que ce sont des standards, il faut les interpréter, il faut voir comment on
met en oeuvre le principe de proportionnalité, ce qui n’est pas évident.
On remarque aussi une différence entre la manière dont on a abordé les limitations de la liberté
d’entreprendre dans le cadre de la crise covid, sous le régime de l’urgence, et dans les procédures
d’annulation classiques hors urgence, où, là, le conseil d’Etat se montrait quand même très sévère à l’égard
des autorités publiques. Il y a pas mal de jurisprudence là dessus.

Par exemple: les nuisances nocturnes: un café fait du bruit et la commune va prendre un règlement pour
imposer des heures de fermeture aux établissements qui troublent l’ordre public.
On avait un règlement de police qui édictait une fermeture des distributeurs automatiques de minuit à 6h du
matin, et le conseil d’Etat remarque que la justification est que ça cause beaucoup de nuisances sociales. Le
conseil d’Etat dit qu’il faut expliquer et surtout montrer la nécessité d’une telle mesure, mesure qui est
générale puisque ça vise tous les magasins de la commune. Le conseil d’Etat accepte la demande
d’annulation, car elle considère que la commune ne démontre pas le lien entre la mesure et la nécessité tirée
de l’ordre public. Il faut un dossier administratif, c’est aux autorités publiques de démontrer que l’on est dans
les conditions de limitation de ces libertés. Ça aussi, c’est un autre enseignement qui peut être tiré de la crise:
on a pratiquement retourné la charge de la preuve dans la crise covid, c’était presque à celui qui attaquait la
mesure de démontrer qu’elle ne respectait pas la nécessité, alors que c’est au défendeur de démontrer cette
nécessité! Et s’il ne démontre pas, c’est annulation.
Ici, le conseil d’Etat a considéré qu'il y avait une atteinte disproportionnée de la liberté d’entreprendre.

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La manière dont la Cour Constitutionnelle et le conseil d’Etat, même avant la crise covid, conditionnent les
limitations de la liberté d’entreprendre montre aussi l’énorme marge de manœuvre laissée aux politiques et
au législateur au niveau de cette liberté. La Cour Constitutionnelle, quand elle parle d’atteinte à la liberté
d’entreprendre, dit qu’interdiction est faite au législateur d’intervenir de manière déraisonnable, c’est-à-dire
s’il n’y a aucune nécessité et si la mesure est disproportionnée. Il faut pratiquement une impossibilité quasi
totale d’exercice pour obtenir la sanction. Les termes et l’interprétation des termes font qu’il y a cette énorme
marge de manœuvre qui est donnée d’entrée de jeu à la loi.
Le conseil d’Etat parle de justification raisonnable et objective, sans disproportion manifeste. On est ici aussi
devant une énorme marge de manœuvre qui est laissée à la règle.

2 exemples jurisprudentiels:
Arrêt Horeca du 4 février 2021: c’est une requête en extrême urgence d’un restaurant pour demander la
suspension d’un arrêté ministériel du 12 janvier 2021, qui modifiait lui-même un arrêté ministériel précédent.
C’était un arrêté qui imposait notamment à ce restaurant de fermer. L’arrêté du 12 janvier est venu prolonger
la fermeture des restaurants jusqu’au 1er mars 2021. Les conditions sont extrêmement strictes. Ici déjà, on
invoque une extrême urgence donc il faut démontrer que le délai normal d’annulation est incompatible avec
le besoin factuel du requérant, puis il faut développer un moyen sérieux pour justifier la suspension. Mais
comme on est en extrême urgence, il faut démontrer que le délai normal de suspension sous l’urgence est
incompatible avec la situation du requérant, qui nécessite une intervention quasi immédiate pour mettre fin
au dommage dont il se prévaut et aux effets dont il se prévaut.
Il y a eu pas mal de moyens, mais ce qui est intéressant, c’est qu’on pourrait se dire qu’on attaque la
fermeture du secteur sur la base de la liberté d’entreprendre, et en fait, très peu. On a invoqué la liberté
d’entreprendre, mais à côté de plein d’autres droits humains comme le droit à la vie, à la santé, ou encore le
principe de proportionnalité, et pas lié à la liberté d’entreprise. C’est significatif à ces arrêts: il y a eu très peu
d’arrêts qui tournaient autour de la liberté d’entreprendre. Non seulement il y en a eu peu, mais en tant que
telle, la liberté d’entreprendre a été peu invoquée, et on a recours de manière un peu accessoire à d’autres
principes, qui sont des principes plus classiques de l’arsenal des libertés fondamentales.
Premier moyen: on vise la violation des articles II.3 et II.4 du code de droit économique. C’est là qu’on
retrouve directement la vérification des 2 règles: la règle formelle au droit qui justifie l’atteinte, et la règle de
fond qui se demande si la mesure était nécessaire ou pas. Le problème, c’est que c’était un arrêté ministériel,
donc pris par un ministre, et qu’il fallait le relier à une base légale, or tout le monde savait qu’il n’y en avait
pas en tant que telle, parce qu’on n’avait pas prévu une telle crise et des pouvoirs de crise qui seraient donnés
à l’exécutif, et donc le gouvernement a rattaché ça à des lois existantes (loi sur la fonction de police, loi de
2007 sur la protection civile…). On n’avait pas d’autre moyen, et donc le gouvernement disait qu’il avait le
pouvoir sur base de cela. On a tordu ces textes pour tenter de trouver un lien, fut-il ténu, permettant de
justifier. Le conseil d’Etat s’est prêté à ce jeu. Mais les situations auxquelles on a pensé en prenant les lois,
ce sont des situations de catastrophe, avec la pandémie, on est très loin de la situation visée par la loi.
N’empêche que le conseil d’Etat, sans doute dans un souci de réalisme juridique (« qu’est-ce qu’on fait sans

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ça? »), a soutenu mordicus que cette disposition permettait une justification. Et le tribunal de première
instance de Bruxelles a d’ailleurs retourné toute l’interprétation du conseil d’Etat en se basant sur l’exposé
des motifs etc. C’est cette jurisprudence des juges judiciaires qui a poussé le politique à prendre la loi
pandémie.
Ici, que dit le conseil d’Etat sur la liberté d’entreprendre? Il n’y a qu’un seul paragraphe dans tout l’arrêt.
C’est interpellant: c’est un arrêt qui met en cause une mesure qui ne pourrait pas être plus liberticide par
rapport à la liberté d’entreprendre, et on n’a qu’un seul paragraphe.
Il y a d’autres moyens, et on doit retrouver le principe de proportionnalité. Ce principe de proportionnalité a
été interrogé, on a contrôlé la proportionnalité des mesures (aux pages 30 et suivants de l’arrêt). Ce qu’on
invoque, à ce moment-là, est l'atteinte à d’autres libertés et droits humains, comme le droit à la vie. On
invoque que les mesures prises provoquent des dommages disproportionnés chez les demandeurs, ça risque
de les faire tomber en faillite et de porter atteinte à leur droit à la vie. C’est bizarre de présenter le problème
de cette manière. Dans l’analyse du conseil d’Etat, on retrouve une application du principe de
proportionnalité qui correspond à ce qui était indiqué au départ, c’est-à-dire qu’on doit retrouver un rapport
raisonnable entre les motifs qui fondent l’acte et son objet.
Ce que dit le conseil d’Etat est typique de tout le contentieux qu’il y a eu autour des mesures covid, il dit
qu’il n’appartient pas au conseil d’Etat de se substituer à l’appréciation des ministres. Donc d’entrée de jeu,
il limite le pouvoir d’appréciation de la restriction de cette liberté. Le conseil d’Etat dit que son rôle n’est que
d’examiner si le ministre s’est appuyé sur des éléments de fait vraiment pertinents et qu’il a pris sa décision
dans les limites du raisonnable. Ensuite, le conseil d’Etat continue en disant qu’il n’apparaît pas du dossier
que les mesures sont déraisonnables. Il justifie généralement en disant que l’objectif de santé publique est un
objectif légitime, et pour le reste il dit qu’il ne peut pas rentrer dans des débats scientifiques ni dans
l’appréciation du ministre. Donc le conseil d’Etat regarde formellement si le gouvernement a pris une
décision sur base de justifications tangibles. Et les justifications tangibles, c’est le CODECO, etc. Le conseil
d’Etat ne va pas plus loin, il dit que tout ça paraît imposer le constat qu’il n’y a pas eu de comportement
déraisonnable. Il n’appartient pas au conseil d’Etat, certainement pas dans des mesures de suspension, de
prendre position par rapport à l’effectivité des mesures. Mais le principe de proportionnalité, c’est
précisément de se demander quels sont les effets positifs et négatifs et de s’assurer de la correcte proportion,
mais comment peut-on faire si on ne s'intéresse pas à l’effectivité de la mesure? Il y a un malaise. Ça donne
l’impression qu’on ne contrôle que la nécessité de l’atteinte, mais pas la proportionnalité.

Il a fait la même chose dans un autre arrêt, où on retrouve l’invocation de la liberté d’entreprendre par le
secteur culturel, et là on va accorder la suspension. C’est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi ça a
été suspendu dans ce cas.
Ici, vu Omicron qui pointait son nez et la crainte de la remontée des hospitalisations, on a repris toute une
série de mesures restrictives, et on apprend, alors même que les experts n’avaient pas préconisé la mesure,
que le gouvernement a décidé de refermer entièrement la culture. C’est dans ce cadre qu’intervient cette
action, aussi en extrême urgence, contre l’arrêté ministériel. On n’invoque plus, ici, la liberté d’entreprendre

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dans un moyen particulier, on le fond dans un autre moyen, à côté de la violation de l’art 23 C°, à coté du
droit à la liberté d’expression, du droit à la culture…
Et là, miracle! On voit un conseil d’Etat raisonner très différemment de ce qu’il avait fait dans l’arrêt qu’on
vient de voir. Le conseil d’Etat va rappeler l’importance du principe de proportionnalité et rappeler que les
mesures doivent être basées sur l’évaluation de la situation épidémiologique, à laquelle sont associés les
experts. En tout état de cause, ces mesures doivent être adéquates et proportionnelles par rapport au but
poursuivi. Le conseil d’Etat dit qu’il est certes indispensable de réduire les rassemblements de personnes
dans des lieux clos, mais pourquoi refermer le secteur culturel alors que d’autres secteurs restent ouverts, et
surtout alors que les experts n’ont pas dit de le faire? Et comme il n’y avait pas eu de rapport d’expertise et
que le gouvernement n’était pas capable de justifier cette mesure comme les autres, le conseil d’Etat a
suspendu l’arrêté ministériel, en y voyant une absence d’adéquation entre la mesure et la finalité qui était
mise en avant.
Le conseil d’Etat ne change pas de position: c’est une prise de position formelle, le gouvernement n’a pas
suivi ses experts.

Qu’est-ce qu’on en conclut sur tout ça?


La première chose, c’est qu’il y a une véritable ambiguïté et un terrible flou du statut. Ce flou du statut, on
peut dire qu’il semble rejaillir sur la manière dont on va contrôler la limitation apportée par la règle de droit à
la liberté en cause, à savoir la liberté d’entreprendre. Ce contrôle se caractérise par l’énorme marge de
manœuvre. On ne voit pas la cour s’arrêter en disant qu’elle ne peut pas intervenir, et pourtant c’est ce que
dit le conseil d’Etat. C’est comme s’il ne mettait pas en œuvre ce principe de proportionnalité, au nom de la
séparation des pouvoirs. Ce n’est pas à lui de censurer ce que le gouvernement aura décidé.
Donc on a un contrôle qui paraît extrêmement lâche de ces conditions de base d’atteinte à une liberté
fondamentale (égalité, nécessité, proportionnalité). Avec quand même un questionnement sur le lieu. A-t-on
finalement un lieu aujourd’hui, en cas de crise, où on peut demander qu’il soit débattu de l’application de ces
principes? C’est une obligation internationale qui s’impose à la Belgique et qui découle de tous les traités sur
les droits humains. Ces libertés ne servent à rien si, en pratique, on n’est pas capable de voir un vrai contrôle
de la limitation être appliqué par une juridiction. En tous cas, dans cette situation, on peut quand même en
douter.

Quant à l’aspect privé:


On étudie l’aspect public très vite, mais l’aspect privé, on ne l’étudie en général pas ou très peu. Pourtant,
c’est essentiel et ça peut donner lieu à des interrogations.
On peut dire que la liberté d’entreprendre est également un principe fondamental de droit privé, et c’est
logique, puisque cette liberté constitue le fondement de l’économie moderne, il est logique de voir cette
liberté être proposée dans les relations entre acteurs économiques. Pas étonnant qu’on en vienne à définir
aujourd’hui l’entreprise comme celle qui exerce cette fameuse liberté d’entreprendre ou les libertés
économiques au sens large. Ces libertés économiques se voient reconnaître des effets juridiques spécifiques à

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l’égard des personnes à destination desquelles on oppose nos libertés économiques et à l’égard de l’ensemble
des acteurs économiques.
Il est important de bien comprendre qu’on n’est plus dans cette relation directe entre citoyen et autorité, on
est dans un conflit entre 2 entreprises ou entre un consommateur et une entreprise.

La question des effets juridiques d’une liberté est discutée. On va voir l’opinion du professeur. Il pense qu’il
faut distinguer soigneusement les effets juridiques d’une liberté et les effets juridiques d’un droit. Depuis 3
ans, tout le monde nous parle de ces 3 concepts de droit, liberté et intérêt. Mais personne ne nous a vraiment
dit ce qu’était la différence entre un droit, une liberté et un intérêt. Est-ce qu’il y a une différence entre les
concepts ou est-ce qu’on peut employer un mot pour un autre? Il y a une différence fondamentale entre le
droit subjectif et la liberté privée dont on parle ici avec la liberté d’entreprendre.
Ces concepts, qui sont fondamentaux, ne reçoivent pas d’acceptation univoque dans notre droit positif. Il y a
un énorme flou autour de ces concepts de base, et le flou amène l’insécurité juridique et l’imprévisibilité de
l’application de la norme, qui peut être extrêmement nocif, mais aussi un glissement vers des décisions de
justice qui ne seront pas correctement justifiées, ce qui pourrait amener une incohérence dans le système
juridique.
Pour comprendre, il faut revenir au droit subjectif et ce qu’est un droit subjectif. Il faut partir du droit
subjectif par excellence qu’est le droit de propriété. C’est à moi, et si c’est à moi, ce n’est pas à toi et tu n’as
rien à faire valoir qui te permettrait d’utiliser ce qui est à moi. C’est le pouvoir exclusif qu’on exprime sur un
bien qui est extérieur au sujet. On divise le monde en 2: il y a le titulaire du droit, et le reste du monde. Le
reste du monde est dans l’incapacité d’exercer un quelconque pouvoir sur ce bien. Et juridiquement parlant,
il y a des effets qu’on va retrouver dans le statut juridique de tout droit subjectif, à savoir qu’il y a la
reconnaissance d’un devoir strict de respect qui repose sur autrui. C’est ça, l’opposabilité du droit.
On se rend bien compte que le droit n’est pas égalitaire, le droit est conditionné. Tout le monde peut exercer
son droit de propriété, mais il faut déjà rentrer dans les conditions d’acquisition du droit. Quand on parle de
droit, on parle d’une inégalité qui est instituée pour le bien général. Notre société voit, dans le droit de
propriété, un des principes fondamentaux de la vie sociale. Étant sous-entendu que si ce droit n’est pas
garanti, ça va être la guerre.
Le droit s’acquiert, il est conditionné, et une fois qu’il s’acquiert, il reconnaît des droits exclusifs au titulaire,
qui excluent les autres, qui sont soumis à devoir le respect de ce droit.

Maintenant, la liberté. En quoi est-elle différente du droit? Pourquoi ne peut-on pas utiliser un mot pour
l’autre? La différence essentielle qui saute aux yeux, c’est qu’on n’est plus devant un pouvoir exclusif. Dès
l’instant où on a la capacité juridique, on nous reconnaît toute une série de libertés. Chacun est titulaire de
ces libertés et pourra, le cas échéant, l’opposer à autrui.
Si la liberté n’est pas exclusive, alors on a un petit problème. Si elle n’est pas exclusive, le débat, en cas de
conflit, ne se pose pas de la même manière. Le conflit entre un droit et une liberté, c’est simple: la liberté

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perd, le droit l’emporte par principe. Parce qu’il y a ce devoir strict de respect qui s’impose, même au
titulaire de la liberté.
Que se passe-t-il lorsque 2 libertés s’affrontent? Ça ne marche pas pareil. On va s’opposer chacun notre
liberté, et a priori, il n’y en a pas une qui est plus importante que l’autre. Il n’y en a pas une qui passe avant
l’autre, parce que les effets juridiques de la liberté entre particuliers sont différents des effets du droit.
L’opposabilité n'est pas la même. L’opposabilité de la liberté peut se décortiquer de 3 manières:
- La liberté est d’ordre public, sa reconnaissance est d’ordre public. Un employeur ne peut pas suspendre
notre liberté ou nous empêcher de l’exercer. Donc même dans le jeu des relations interindividuelles, une
autre personne ne peut pas empêcher l’autre d’exercer concrètement cette liberté.
- Il y a un effet de légitimation de l’acte: l’acte est posé au nom de la liberté de contracter/de concurrence,
il est a priori légitime, parce qu’il est pris dans le champ d’application d’une liberté privée. A priori, on
peut donc poser l’acte.
- On peut poser l’acte, mais quand on agit dans l’exercice de notre liberté, on doit respecter l’effet
d’opposabilité des autres libertés, qui n’est pas un devoir strict de respect. Il y a une limite à notre
pouvoir. Et le champ d’action n’est pas clair.

En règle, l’acquisition des libertés est inconditionnelle, c’est l’essence même des libertés. C’est pourquoi un
outil comme le CST est problématique par rapport aux libertés, car il conditionne l’exercice de toutes les
libertés, qui sont énervées par le non-accès à certains lieux au vu des conditions. Le questionnement par
rapport au concept juridique est évident: c’est contraire par rapport à l’essence même des libertés. Elle est
inconditionnée et ce n’est pas un pouvoir exclusif (ce sont les 2 critères). Le raisonnement juridique qui va
être tenu en cas de conflit est forcément différent que lorsqu’un droit est mêlé à un conflit. Le droit sépare le
monde en 2, entre nous et le reste du monde qui doit respecter notre droit. La liberté rencontre, dans le droit,
une de ses limites naturelles. Le droit de la propriété intellectuelle est la limite naturelle de la liberté
d’entreprendre. On peut copier des idées, mais s’il y a un droit de propriété intellectuelle, l’objet est protégé
par un brevet. On a une liberté de concurrence, bien sûr qu’on peut concurrencer les autres, mais s’il ne veut
pas nous octroyer une licence, on ne peut rien faire, on reste sans droit par rapport à ce pouvoir exclusif qui
est entre les mains de quelqu’un d’autre que nous.
Les solutions, quand il y a atteinte à un droit, sauf cas extraordinaires comme l’abus de droit et certaines
garanties prévues par le droit positif pour éviter les excès, sont que le droit va l’emporter.
Mais quand 2 libertés s’entrechoquent, a priori, il n’y en a pas une qui va l’emporter sur l’autre. Ce ne sont
pas des pouvoirs exclusifs, et ce sont des pouvoirs qui rentrent en concurrence les uns avec les autres. En
exerçant notre liberté, on limite la liberté des autres. Ce qui vaut pour les libertés économiques vaut pour
toutes les autres libertés.
Qu’est-ce qui se passe donc quand 2 libertés s’entrechoquent? Il y a 3 effets d’opposabilité, 3 effets sur
lesquels on va jouer et qui peuvent permettre de trouver une solution au conflit:
- Il faut regarder si on n’est pas en train de nous priver de notre liberté. Pas plus que l’Etat, une personne
privée, dans un contrat, ne peut nous amener à renoncer à notre liberté ou à violemment nous retirer cette
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liberté. Ça peut poser certaines questions dans l’interprétation de certaines clauses contractuelles comme
les clauses de non-concurrence. C’est là qu’il va falloir interpréter ces causes, qui doivent respecter la
liberté de concurrence de l’autre aussi. On va considérer que si la clause est trop longue, si son champ
d’application est trop large, elle sera annulable. On va considérer que cette clause, en réalité, empêche
l’employé d’exercer sa liberté de concurrence. C’est cet effet d’opposabilité dont on parle: on ne peut pas,
par un contrat ou par la force, imposer à quelqu’un de renoncer à sa liberté.
- Celui qui a posé l’acte, logiquement, va opposer le premier effet de toute liberté: un effet légitimateur. On
légitime l’acte posé. Par exemple, si je suis journaliste et que je publie une photo avec un article, mon acte
sera légitime vis-à-vis de ma liberté d’expression, indépendamment ici de la liberté d’autrui. Cet acte, je
peux le poser. Notre acte est, a priori, légitimé par cette liberté qu’on peut opposer. C’est donc l’effet de
légitimation de l’acte posé, pour autant qu’il rentre dans le champ d’application (on ne peut pas tuer un
homme parce qu’il contre notre liberté de penser par exemple).
La liberté a cet effet de légitimité.
- Après, qu’est-ce qui se passe? L’autre oppose sa liberté. C’est l’effet de légitimation inverse. A priori, ils
ont raison tous les deux, on n’est pas du tout dans une situation où l’un a un droit et l’autre a tort. Ici, si on
s’en tient au problème d’atteinte et de savoir si on est dans le cadre de notre liberté, on ne se pose plus
aucune question. On constate juste qu’on a 2 personnes qui, légitimement, demandent quelque chose. Et
ce qu’ils demandent tous les deux est couvert par une liberté fondamentale. Donc on n’a pas de solution
automatique. D’où cette idée que la liberté des uns s’arrête à la liberté des autres, ce n’est pas vrai. Si
c’était vrai, on aurait une solution. Et où est la limite alors?

C’est là qu’il faut bien comprendre que l’effet d’opposabilité d’une liberté n’est en fait pas le même que
l’effet du droit et va entraîner ses propres conséquences juridiques et donc la recherche d’une solution. La
problématique devient: lorsque j’exerce mon action sous le couvert de ma liberté, est-ce que je prends
suffisamment en compte les libertés et intérêts d’autrui? Le jeu devient alors de vérifier, en prenant en
compte toutes les circonstances de fait et de droit de la relation interindividuelle. Se demander si on respecte
encore ce devoir de prise en compte suffisante de la liberté d’autrui.
L’opposabilité est aussi une obligation juridique, l’opposabilité de la liberté crée un devoir, il y a un effet
juridique qu’on oppose à autrui et qui dit qu’on doit prendre en compte la liberté des autres quand on exerce
la nôtre.
Comment savoir qui a raison? On va déterminer si l’un des deux a pris normalement en compte la liberté de
contracter de son partenaire. Est-ce qu’il s’est comporté comme un professionnel normalement prudent et
diligent placé dans toutes les mêmes circonstances de fait et de droit? Il faut prendre en compte de la
négociation, de ce que les parties avaient conclu au départ, etc.
Ce qu’on va chercher, c’est le point de déséquilibre. Les libertés doivent être en équilibre, elles sont
distribuées égalitairement, il y a cette idée d’équilibre.
On va partir de cette idée d’égalité et se dire qu'il faut maintenir un équilibre entre toutes ces libertés qui
s’exercent, puisqu’aucune ne l’emporte. Donc le juge va chercher le point de déséquilibre, ou nous on doit se

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demander si on est dans le déséquilibre ou pas. Si, objectivement, on pense qu'on est dans le déséquilibre,
alors on ne peut pas le faire. On est soumis à ce devoir de prise en compte, qui est un devoir de respect mais
qui n'est pas le devoir strict de respect qu'on connaît avec un droit. Et ça marche! Tous les conflits dont on a
parlé se résolvent, non pas par la constatation d’atteinte à la liberté, par la constatation d'un acte illicite
compris comme un comportement qui n’a pas pris en compte suffisamment la liberté et les intérêts d’autrui,
dans les circonstances très précises du conflit. Ce sont les circonstances qui déterminent l’équilibre, ça n’est
plus la limite du droit comme dans un droit subjectif. On regarde toutes les circonstances, et on dit que dans
ces circonstances-là, l’acteur a ou non suffisamment pris en compte les intérêts et libertés d’autrui.
Il vaut mieux avoir un droit qu’une liberté? Pas forcément. Des libertés, c’est assez efficace. C’est un peu
plus lourd, c’est un peu plus fin, mais la justice est à ce prix-là. Justement, dans un conflit de libertés, on ne
peut pas accepter l’idée d’un jugement hâtif sur base de constatations de faits rapides. C’est toujours plus fin
que ça. C’est en rentrant dans l’intégralité des éléments de fait et de droit, un peu comme la faute au sens de
l’imprudence. On réfléchit dans la même logique: vu les circonstances, est-ce qu’on s’est comporté comme
l’aurait fait un professionnel normal confronté aux mêmes circonstances?
Ça n’est pas neutre, tout le raisonnement et toute l’objectivation du conflit changent en fonction des
qualifications. Si on a un droit, une liberté ou un intérêt. L’intérêt, on n’en parle pas trop, c’est un peu
différent. Quand on a un intérêt, on n’a pas de pouvoir garanti par le droit objectif. Mais le titulaire d’une
liberté doit aussi prendre en compte les intérêts d’autrui, même s’ils pèsent moins qu’un droit.
C’est important de voir ça. Certains conflit fâchent: par exemple, la liberté d’expression par rapport à
certaines autres libertés. Le professeur en a marre d’entendre que la liberté d’expression et de presse seraient
au-dessus des autres libertés. Bien sûr, c’est une liberté spécialement chargée et c’est une des libertés
essentielles, mais ça n’empêche pas celui qui l’exerce de devoir prendre en compte les intérêts d’autrui. Et
certains ne veulent pas entendre ça.
Le problème, c’est qu’alors, on est dans le chaos. Pourquoi la liberté d’opinion serait-elle radicalement plus
grande que la liberté de réunion par exemple? Pourquoi ne pas dire aussi que chaque liberté est essentielle?
La liberté de la vie privée, par exemple, si on ne l’a pas, on ne peut exercer aucune autre liberté librement.
La manière dont on va exercer notre liberté nous appartient, puisque ce n’est pas une liberté essentielle.
Il faut partir d’une manière de penser cohérente, et on peut dire, dans notre recherche d’équilibre, que notre
point d’équilibre diverge selon le type de liberté, selon le fait ou non que la liberté soit particulièrement
chargée. Ça veut simplement dire que le point d’équilibre va changer. Mais ce n'est pas parce qu’il bouge
qu’on peut partir du principe qu’une liberté l’emporte sur d’autres!
Dans le fond, c’est ce qui est aussi gênant dans les conflits maintenant entre l’intérêt général et la liberté
individuelle. Évidemment, l’intérêt général doit tenir compte des libertés individuelles aussi. On l’a vu avec
le principe de proportionnalité. Pourtant, même s’il l’emporte a priori, un contrôle doit quand même être
possible parce qu'on doit toujours tenir compte de la liberté individuelle.
Ce système est un système de pacification. En plus, il est porteur d’altérités. C’est une obligation de prendre
en compte des intérêts d’autrui dans mes comportements. C’est au fondement de notre droit.

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Là, l’idéal de justice l’emporte sur la sécurité juridique. La sécurité juridique est plus faible, puisque ce ne
sont que les circonstances de fait qui vont donner la solution à notre problème. C’est plus difficile à prévoir.
On doit admettre que l’on puisse nous dire que dans les circonstances de fait dans lesquelles on a exercé
notre liberté, en fait, on a commis une erreur. La sanction sera de réparer l’erreur. Si c’est possible, on va
rétablir l’équilibre, et si ce n'est pas possible, on devra indemniser l’autre personne après avoir mis fin à
notre comportement illicite.

En résumé: pouvoir exclusif, devoir strict de respect vs. devoir de prise en compte, recherche d’équilibre
dans les circonstances, cessation de l’atteinte dès l’instant où elle est constatée.

Quand le droit va rencontrer la liberté, le droit va l’emporter, parce que son effet d’opposabilité est plus
grand. On ne parle pas, encore une fois, de cette idée de renonciation ou d’empêcher quelqu’un d’exercer son
droit, mais quand on n’est pas dans ce type de comportement, c’est-à-dire dans 95% des cas dans notre
société, on doit réfléchir de cette manière-là.

Donc on comprend que cette liberté d’entreprendre est essentielle dans toutes les matières, parce que le droit
n’est là que pour garantir ces équilibres. La moindre règle qui est prise dans une matière vise à maintenir, à
permettre l’établissement d’un équilibre entre des intérêts qui sont nécessairement divergents, parce
qu’exercés en concurrence. Toutes les libertés sont exercées en concurrence les unes avec les autres. Le droit
va tenter de mettre un peu d’ordre là-dedans, d’où cette définition du droit de l’entreprise par cette recherche
d’équilibre qu’on a vue tout au début du cours.

On peut donc dire que les libertés économiques sont des libertés surveillées par le droit.
Quand on réfléchit, quand on est sur le marché, la liberté d’entreprendre est extrêmement importante.
Chaque matière est un essai de maintenir l’équilibre dans un cadre particulier.

Quelles sont les finalités de ces recherches ou limitations de recherches d’équilibre?


- Lutter contre le déséquilibre structurel du marché: le marché entraîne des déséquilibres de lui-même,
notamment entre professionnels et non professionnels, parce qu’intrinsèquement, ils ne sont pas en
position d’équilibre. Par exemple, concernant l’information sur le bien. Quand on me vend un bien, je ne
connais pas ce bien ni les dangers qui lui sont intrinsèques ou ses qualités exactes. Seul le professionnel
peut le dire, on est en déséquilibre structurel informationnel. Alors qu’est-ce que le droit fait? Il impose
des obligations d’information particulières au professionnel. Le prestataire de service va devoir donner
une information claire et complète sur les caractéristiques du bien, ses dangers etc. Il doit transmettre cette
information au consommateur avant l’achat. Un déséquilibre structurel, une règle de droit, et on vient
rétablir l'équilibre entre les parties.
Il faut une connaissance des règles applicables aussi. Tout ce type de droit se justifie par cette lutte contre
le déséquilibre qui peut exister sur le marché entre les consommateurs et les professionnels.

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- Protéger les entreprises entre elles-mêmes: par exemple, l’interdiction des actes contraires aux pratiques
honnêtes du marché. Ces actes, c’est typiquement la même prise en compte par les concurrents de la
liberté de concurrence des autres acteurs sur le marché.
- Encadrer l’utilisation des nouveaux outils de communication issus des nouvelles technologies de
l’information: depuis qu’il y a une offre de commerce électronique (une offre de biens et de services via
internet), la loi a dû intervenir parce qu’il y avait aussi des déséquilibres, par exemple entre le vendeur sur
internet et l’acheteur, fût-il non consommateur. Il y a des déséquilibres dûs, par exemple, à la distance.
Quand on conclut un contrat à distance, on est dans une situation de faiblesse par rapport à un contrat
qu'on pourrait conclure face à face. En plus, la distance pose des problèmes au niveau de la livraison, de la
preuve des transactions, de la loi applicable… cela place une des parties dans une situation de faiblesse, et
le droit intervient alors pour rétablir l’équilibre. Il invente la signature électronique par exemple, qui
permet de faire la preuve de l’existence d’une convention qui aurait été signée sur internet, même s’il n’y
a pas eu de signature sur papier.
- Protéger le marché lui-même: c’est l’objet du droit de la concurrence. Derrière l’idée de protection du
marché, il y a maintenir l’équilibre des libertés de concurrence sur le marché. Le but de cette législation,
c’est de permettre le bon fonctionnement du marché. C’est le libre exercice de la concurrence sur le
marché.
- Protéger certains droits et libertés fondamentales: c’est relativement neuf comme type d’obligation
légale qui s’impose aux entreprises. C’est arrivé avec la reconnaissance des droits humains et une
juridicité inclue dans les grands traités qui s’imposent aux Etats, et puis on dit que ça s’applique aussi
entre personnes privées, et puis on se rend compte que les entreprises aussi ont peut-être des obligations
particulières de respect des droits humains. D’où la protection des données. Ça n’existait pas il y a 30 ans.
Et ce n'est pas la seule liberté fondamentale qui soit prise en compte! Ça va donner lieu à de la
jurisprudence et de la mise en cause pour certains comportements et attitudes en entreprise. Sur le port de
signes extérieurs de confession, par exemple, la jurisprudence tant de la CJEU que de la CrEDH se posent
la question de savoir si on peut forcer une employée à retirer son voile. C’est s’opposer à une liberté de
religion. La question est de savoir: quand on exerce la liberté de religion, est-ce qu’on prend suffisamment
en compte les intérêts et les libertés économiques de l’entreprise? Et vice-versa d’ailleurs: si l’entreprise
prend une police interne qui dit qu’elle interdit toute expression de sa foi dans les locaux de l’entreprise,
est-ce qu’elle prend suffisamment en compte l’intérêt et les libertés particulières de ses employés? Tout se
calcule comme ça, en fonction des circonstances de fait, parfois on va l’admettre et parfois pas. Cette
limitation doit être aussi fondée au regard de l’exercice de notre propre liberté. Donc les droits
fondamentaux sont vraiment venus petit à petit changer les comportements en entreprise. Et c’est bien. On
voit la force de ces libertés qui ont l’air de faux droits. Ces libertés s’immiscent beaucoup plus facilement
dans les rapports humains que les droits, qui sont des situations d’exception.
- Autres raisons d’établir des nouveaux équilibres: par exemple, des raisons de santé publique qui ont
modifié complètement l’organisation du travail. Quand on impose aux entreprises de travailler à distance,
c’est une fameuse limitation de l’exercice de la liberté d’entreprendre. On ne sait plus organiser son travail
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et son activité économique. Mais on voit bien pourquoi on le fait! L’employeur ne veut pas provoquer une
mise en danger de ses employés en temps de pandémie, il peut leur interdire de venir. C’est le nouveau
point d’équilibre dans les circonstance! D’où le poids et l’importance des circonstances. Ce qui marche
avec Omicron ne marche pas avec un autre virus, et ce qui marche avec une mesure ne marche pas avec
une autre mesure. Ça dépend comment et quand on a mis en œuvre une mesure. Est-ce que ça a encore
autant un sens de limiter la liberté économique au nom de la vaccination obligatoire? Ce genre de détails
qui enlèvent le détail sont en fait des faits qui doivent être pris en compte dans la recherche d’équilibre
entre l’exercice des libertés et les déséquilibres entre l’intérêt général et les particuliers. Si on faisait ça de
manière plus sérieuse, on arriverait peut-être à des situations plus justes.

Chapitre 3. Les sources du droit de l’entreprise


Ces sources du droit de l’entreprise sont à l’image du monde des affaires et du monde économique, c’est-à-
dire qu’elles sont complètement éclatées. Dans un marché global, cette globalisation des marchés va imposer
une disparité des sources, avec une importance des sources internationales, que ce soit les traités entre Etats
ou les traités de l’Union.
Des sources internes et internationales qui ont une importance certaine, mais aussi une source tout à fait
spécifique et particulière: l’autorégulation. L’autorégulation, c’est l’idée d'un droit spontané qui éclot, créé
par et pour les destinataires des normes elles-mêmes.
Cette autorégulation va générer 2 types de normes:
- Les usages et les coutumes: des usages qui rentrent dans le droit officiel par leur reconnaissance, en
général, par le juge, qui reconnaît un usage au sens du droit positif et peut l’imposer comme règle générale
et abstraite dans un litige
- L’autorégulation pure: on se met en dehors du système de création de normes publiques et officielles, et
on crée des normes qui vont être elles-mêmes perçues comme étant obligatoires par ceux qui les ont
créées.
Par exemple, quand les sociétés cotées en bourse et leurs représentants se sont dit qu’il fallait prendre des
règles particulières de bonne gouvernance et de gestion des sociétés cotées pour éviter des conflits entre
intérêts divergents dans ces cas-là, notamment entre administrateurs et associés, on n’a pas attendu de loi
pour le faire. Ils se sont mis autour d'une table et ils ont rédigé un code de bonne gouvernance, et ce code
a été perçu comme étant obligatoire par les entreprises de ces secteurs. Sans passer par la case législateur,
réglementation, ni rien du tout. Il y a plein d’exemples dans la vie qui fonctionnent comme ça et qui
démentent cette idée de jungle absolue qu’est nécessairement le marché. Contrairement à ce qu’on peut
penser, il y a un terrible besoin de régulation et il y a véritablement la recherche de situations justes sur le
marché, recherchées par les entreprises elles-mêmes pour elles-mêmes.

Le code de droit économique est notre source principale. Pourquoi l’a-t-on édicté? Quel est son champ
d’application?

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Les sources nationales sont un peu éclatées. Il y a le code de droit économique, mais par exemple, le code
des sociétés et des associations (CSA) n’est pas dans le code de droit économique, c’est un code distinct.
Une matière qui a son importance dans le droit de l’entreprise, c’est le droit des sociétés, mais le droit des
sociétés n’est pas repris dans le code de droit économique.
C’est déjà très bien d’avoir ça, ça met pas mal d’ordre depuis qu’on a un code de droit économique et un
code de droit des sociétés et des associations.
Tout cela est récent: le code de droit économique date de 2013 et le code de droit des sociétés de 2018.
Le champ d’application est extrêmement large, voire infini, on ne parle que de peu de choses cette année.

Section 1. Le Code de droit économique


Le code de droit économique est né d'une réflexion à l’occasion du bicentenaire du code de commerce en
2007. Il y a eu un mouvement d’idées porté par le politique, pour dire « si on faisait un code? ». Ce code de
commerce, tout le monde est d’accord pour dire u'il est obsolète depuis longtemps, il n’a pas fonctionné, etc.
Si on pensait à un tout nouveau code, un vrai code? Ça a suscité des débats. Les sources qu’on utilise
aujourd’hui sont plutôt des sources internationales ou de droit européen, donc qu’est-ce qu’on va codifier, en
étant obligé de mettre automatiquement en dehors du code les 9/10 de la législation? Et puis, il y a aussi ce
problème de changement, les règlements changent tout le temps, beaucoup plus vite que les règles de droit
civil qui ont été codifiées et qui sont restées pratiquement à l’identique la plupart du temps. Ici, on change
trop vite, les règles évoluent toutes les semaines, tous les jours. Et puis on a aussi régionalisé donc quid des
règles régionales? Mais ils l’ont fait, et ils ont sorti le code de droit économique.
Ce code a d’évidentes qualités et a des effets positifs dans nos matières.
Cette idée n’est pas née de rien: en regardant ce qu’il y a dans la législation, il y a parfois des choses qui
traînent depuis 50, 70 ans, des vieux arrêtés de 1945 sur des rationnements, etc. Il y a plein de choses qui
traînaient dans la législation, qui faisaient fort désordre et ça n’aidait pas à la lisibilité des règles de droit
économique d’avoir plein de législation obsolète.
Et puis il y avait plein de législations spécifiques qui n’arrêtaient pas d’être modifiée sans cohérence les unes
avec les autres alors qu’il y avait nécessairement des points de cohérence à trouver entre toutes ces
différentes matières économiques. Par exemple, le destinataire des règles de la protection des
consommateurs n’était pas le même destinataire des règles du droit de la concurrence. C’était compliqué, pas
facile à lire, incohérent. On a fait ce constat de désordre, en disant que ce désordre n’aidait pas. Le
destinataire de la règle, surtout l’entrepreneur, a un besoin de prévisibilité de l’application de la règle dans
son activité. Pour ça, il faut que la règle soit lisible.
Donc après avoir évalué la législation existante et s’être rendu compte à quel point on était loin dans le
mauvais, on s’est dit qu’on allait mettre de l’ordre dans tout ça, et tenter de ranger ce qui peut l’être,
ordonnancer. Il y a eu un projet projet de code dès 2009. Les affres de la vie politique ont fait que ça n’a pas
été pris sous cette législature-là et finalement on a reporté, et c’est passé sous la législature suivante.

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Le code va finalement passer en 2013, et si on regarde l’exposé des motifs, il y a une explication de ce qu’on
allait chercher dans l'élaboration de ce code. En réalité, le droit est directement instrumentalisé par le
politique, et ici, le politique cherchait un effet économique: il cherchait à rebooster l’économie via
l’instrument légistique.
- Si la législation est plus lisible, elle va favoriser la transparence et l’efficacité sur le marché. On a donc
mis en avant l’idée d’une stimulation du fonctionnement efficient du marché dans le choix de cette
codification. On simplifie les entraves administratives et procédurales dès l’instant où la loi devient plus
lisible et compréhensible, ou on y met de la logique, et on évite par là même des contraintes
administratives inutiles.
- Deuxièmement, on a une stimulation de la transparence: l’idée même de code fait qu’a priori, ça implique
à penser qu’on va trouver la législation applicable dans ce code. Le code rassemble la législation
applicable, donc on va trouver la règle qui nous est applicable.
- Stabilité juridique et stabilité du marché: le professeur y croit moins. Le code peut favoriser une stabilité
juridique dans le sens où on va le faire de manière plus cohérente, plus ordonnancée. On va éviter les
modifications inutiles, par exemple, et donc ça joue quand même dans la stabilité.
- L’idée d’une réglementation uniforme, souple, claire. Le code est un instrument de législation souple et
flexible, le simple fait de travailler avec des livres permet une modification plus facile. Et puis il y a
toujours cette vision horizontale entre les différents livres. C’est un instrument plus facile à modifier que
les différentes législations qui existent indépendamment les unes des autres. C’est une réglementation
uniforme.
- Et puis l’écartement des diversités et des contradictions.

C’étaient les finalités plus politiques.


La traduction juridique:
- On a réorganisé ces matières dans un tout cohérent, construit, traversé par une logique, une vision propre,
et cette logique, c’est précisément les libertés économiques et la manière dont on doit les exercer. Il y a
une vraie logique qu’on voit en allant de livre en livre. Ça implique la mise en place de principes
généraux. On met des principes généraux, puis on construit autour de ces principes des champs de
matières où on va assurer les équilibres entre les intérêts de chacun.
- On a aussi une accentuation de cette cohérence par la technique utilisée: par exemple, jouer avec les
concepts et les définitions, et on va essayer que ces concepts et définitions soient uniformes et
s’appliquent dans les différents livres.
- On modernise et on simplifie la réglementation. On ne s’est pas arrêtés, on a aussi vu une critique du
contenu dans ce code. On n’a pas hésité, le cas échéant, à toucher parfois à certains contenus, on a
supprimé des normes contraires, on a rassemblé des règles existantes… on a aussi rassemblé sous une
terminologie moderne, on a introduit dans le code la réglementation sur les nouvelles technologies de
l’information alors qu’avant ça restait quelque chose de très à part…

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Ce code, il faut ester humble, il a un champ d’ampliation assez limité, surtout au début. On a déjà augmenté
avec les années, mais il ne comprend pas le droit des société, il ne comprenait pas, au début, le droit des
faillites, ni les entreprises en difficulté… Donc on ne va pas tout trouver dans ce code. Et puis, 2 limitations
outre les contenus qui doivent encore être étoffés:
- L’idée du code, c’est de créer un cadre général. Il faut donc une portée raisonnable à ce code, et par
exemple, on va exclure toute réglementation sectorielle particulière et on ne va reprendre que les
réglementations dites générales et qui s’appliquent, a priori, à tous les marchés (ou à un maximum
d’activités).
- L’idée de base est de n’introduire que des règles générales et fédérales. Toute la législation régionale a
pris son importance aujourd’hui, mais elle est exclue du code de droit économique.

Donc finalement, on a 18 livres. Si on retire les principes et les définitions, ça fait 16 «  matières », ou en
réalité, 16 prismes de la relation économique qui ont été insérées dans le code.
On a ajouté un 19è livre, qui est le 20è. Malheureusement, les logiques ont parfois été perdues de vue. On a
par exemple un livre 18 et puis un livre 20, mais pas de livre 19. On ne sait pas pourquoi, ça fait partie des
mystères du code de droit économique. Ils ont fait des livres pour que ce soit cohérent, mais dès qu’on a dû
toucher aux numéros, on est tombés dans l’absurde.
Donc il y a des trous dans les livres.
Et il y a des matières qui ont, d’ores et déjà, disparu. Un livre 14 a été mis aux oubliettes, donc on a aussi un
trou entre 13 et 15. Finalement, on a toujours 18 livres depuis le début du code.

On va passer en revue les différents livres du code de droit économique, histoire de voir ce qu’il contient et
de permettre de prendre conscience de son étendue et de ses limites.
Il y a un fil conducteur, et ce fil conducteur est, assez clairement, l’exercice des libertés d’entreprendre et des
autres libertés sœurs économiques.

• Livres I et II: on va les ranger dans les « préliminaires » à ce code: un premier livre qui contient des
définitions et un second qui comprend les principes. On a déjà vu les principes. Le livre II comprend les
dispositions sur la liberté d’entreprendre et ses limites.
Dans le premier livre, on a des définitions, et ce premier livre est assez volumineux. Il est important, il
contient 2 types de définitions: d’abord, dans son titre premier, des définitions générales qui vont
s’appliquer à l’intégralité des livres du code. Par exemple, normalement, la définition du consommateur
comprise à l’art I.1, 2°, est la même dans tous les livres du code. Il y a une quinzaine de définitions. Après
commence un titre 2, et puis autant de dispositions qu’il y a de livres restants, en comptant à partir du
troisième. On a alors chaque fois les définitions spécifiques au livre visé. Par exemple, l’art I.2 (livre I,
article 2), dit que les dispositions sont applicables au livre III, et on a alors toute une série de définitions
qui ne s’appliquent en réalité qu’au livre III.

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C’est un système un peu ennuyant et, à force, assez inconfortable. Quand on se retrouve dans un livre, on
ne sait pas ce qui est défini ou pas défini. Deuxièmement, si on cherche, on doit chercher à plusieurs
endroits où se trouverait une définition applicable pour les concepts qu’on utilise. Et donc on est sans arrêt
en train de chipoter, de passer du livre I au livre dans lequel on travaille. Ce n'est pas très facile. Du reste,
ça implique le simple constat qu’on a 1 page pour les définitions qui s’appliquent à tout le code, et plus de
20 pour le reste. Ça veut dire que cette fameuse finalité de cohérence et d’harmonisation des concepts, on
n’y est peut-être pas trop arrivés non plus, parce qu’en réalité, on a conservé une multiplication des
concepts. Ce qui est plus gênant, quand on creuse un peu, c’est de se rendre compte que souvent, le même
concept est défini différemment selon le livre dans lequel on se trouve. Là, c’est carrément ennuyant. Et ce
ne sont pas des concepts de seconde zone! Quand on va étudier les destinataires des normes, par exemple,
on a différentes définitions de l’entreprise, selon qu’on applique la définition générale ou des définitions
spécifiques aux livres, voire même parfois à des parties de livre. Là aussi, on est un peu ennuyé et
circonspect par rapport à ce but de cohérence, d’harmonisation et de nettoyage des textes qui était mis en
avant et qui devait permettre une approche uniforme et harmonieuse, en tous cas concernant les concepts.
D’emblée, on a un problème de lisibilité et un problème de cohérence.
Autre chose: quand on édicte un texte de loi, pour éviter ce problème de définition, ce serait bien qu'on
puisse, par exemple, mettre une majuscule au concept qui est défini. Quand on met une majuscule, on sait
alors que se cache une définition quelque part dans le texte, et que ce n’est pas seulement le sens commun
du terme. Mais le conseil d’Etat refuse radicalement ce type d’approche. On voit la force des habitudes et
du formalisme, même dans la rédaction du droit. Voilà pourquoi il n’y a pas de facilitation dans ce code.
Quelque chose de plus facile, selon le professeur, aurait été de mettre les définitions spécifiques au début
du livre. Comme ça, on ne doit pas aller chercher dans un autre livre qui peut se retrouver à l’autre bout du
code.

• Livre III: si on réfléchit en termes de liberté, la première chose qu’il faut régler, c’est l’accès au marché en
vue d’exercer ces libertés. Autrement dit, quelles sont les conditions auxquelles on peut entrer sur le
marché pour exercer nos libertés? Le livre III répond à cette question. On verra qu’en termes de liberté
d’établissement et de prestation de services, il s’agit d’un texte qui implémente la directive «  services »,
une norme européenne qui ne vise que la prestation de services. Évidemment, pouvoir reconnaître cette
liberté de prestation de service et d’établissement, c’est-à-dire que les entreprises étrangères, notamment,
peuvent venir en Belgique soit s’établir pour prester des services, soit rester « chez elles » et offrir des
services en Belgique, au nom de la libre prestation de services, sans que l’Etat belge puisse imposer des
limitations ou des conditions particulières à cette liberté.
Les dispositions sur la possibilité d’accéder au marché, il ne faut pas imaginer que c’est dans l’intégralité
des dispositions. La plupart des dispositions concernant la liberté d’établissement et de prestation de
service sont dans le TUE et dans le TFEU et ne se retrouvent pad dans le code de droit économique bien
entendu. Celui-ci ne reprend pas texto des règles qui sont déjà prévues dans le droit européen. Il se fait
qu’il y a une directive qu’il a fallu implémenter dans le droit national, et on a mis ce texte dans le livre III.

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Mais ce ne sont pas ces dispositions qui couvrent l’intégralité des règles relatives à la liberté
d’établissement et de prestation de services. D’ailleurs, on ne parle pas ici des autres libertés économiques
européennes comme la liberté de circulation des personnes et des marchandises etc.
Donc, des dispositions sur la libre prestation de services, et puis des obligations générales qu’on a
regroupées dans ce livre III. C’est un peu certaines obligations qui s’imposent à toute entreprise qui veut
entrer sur un marché. L’obligation la plus générale, c’est l’inscription à la banque carrefour des entreprises.
Toutes les entreprises doivent s’inscrire dans une banque de données fédérale, la BCE. Ce qui va remettre
une identification certaine de chaque entreprise. Chaque entreprise recevra un numéro d’entreprise. Grâce
à ce numéro, on regroupe toute une série d'informations dans cette banque de données. L’avantage, c’est
que les administrations ne doivent pas demander les mêmes données à l’entreprise chaque fois qu’elle
arrive dans une administration pour exécuter des devoirs qui s’imposent à elle. Il suffit de prendre le
numéro de l’entreprise et on aura les informations de base.
Il y a aussi des obligations générales d’information et de transparence qui s’imposent à toutes les
entreprises et qui, par exemple, lui imposent de s’identifier, donner une adresse mail, une adresse
physique, et de la rendre accessible à tous ses clients potentiels.
Des obligations générales de comptabilité aussi se trouvent dans le livre III. On y retrouve, non pas les
règles spécifiques à certaines entreprises particulières, mais des obligations générales. Ces dispositions, on
les analysera quand on étudiera les destinataires des normes.

• Livre IV: il faut nous garantir que sur le marché, on pourra effectivement exercer nos libertés en
concurrence avec les autres et qu’on pourra bénéficier d’une concurrence effective et pas théorique. Le
livre IV est dédié à la protection de la concurrence. Une information qui a son importance, c’est que s’il
s’agit de la législation nationale relative à la concurrence. Chaque pays de l’Union a sa loi nationale
relative à la concurrence. Mais en réalité, dès l’instant où il y a des effets relatifs aux comportements anti-
concurrentiels qui sont susceptibles d’influer sur les échanges commerciaux entre Etats membres, ce ne
sont pas les dispositions de ce livre qui seront applicables, en tous cas en termes de contenu, ce sont les
dispositions européennes. Donc il s’agit des comportements qui ne peuvent avoir d’effets que sur les
marchés belges! Si on a des comportements qui ont des effets sur les échanges intra-communautaires, on
applique le droit européen de la concurrence. C’est ce droit que nous allons étudier dans ce cours, et pas le
livre IV. Ça ne veut pas dire qu’on n’applique pas du tout le droit national dans une procédure d'infraction
au droit européen! Mais les règles de fond, de contenu, elles se trouvent dans le TFUE.

• Livre V: ce sont les corrections aux libertés d’entreprendre. Il y a des excès, donc il faut une police de la
concurrence. Il faut pouvoir corriger l’exercice des libertés d’entreprendre et de concurrence. Comment
corriger l’exercice de ces libertés? D’abord en permettant, de manière extraordinaire et exceptionnelle, aux
autorités publiques d’imposer des prix. Imposer un prix sur un marché est totalement contraire au jeu
normal et aux principes normaux de la concurrence! Les autorités publiques ne peuvent pas, normalement,
influer sur les prix. Par exemple, en édictant un prix maximal ou un prix précis, voire même une échelle de

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prix pour des biens et des services particuliers. Pourquoi? Si la concurrence doit régner, comment se fait-
on concurrence? Le premier élément de concurrence pour amener quelqu’un à acheter un produit, c’est de
jouer sur les prix et être libre de pouvoir augmenter ou baisser le prix, et d’intégrer une stratégie de prix
dans le business plan et dans la stratégie économique. Donc normalement, les autorités publiques ne sont
pas des autorités qui régulent les prix. Mais dans certaines circonstances exceptionnelles, quand on
constate que le marché dysfonctionne ou qu’il y a des prix qui deviennent absolument incompréhensibles
ou injustifiables, on peut imaginer une intervention dans les conditions très strictes de ce livre V.

• Livre VI: un autre moyen de corriger les excès du marché, ce sont les dispositions relatives aux pratiques
du marchés et à la protection du consommateur.

• Livre VII: il régule les paiements et le crédit, principalement le crédit à destination du consommateur.

Ce sont des matières qui ont pour but de corriger directement des dysfonctionnements sur le marché, des
effets nocifs que l’on ne veut pas conserver ou qu’on veut en tous cas endiguer.

• Livre VIII et livre IX: l’activité économique repose bien souvent aussi sur la vente d’une activité
consistant à mettre des produits en offre, à destination de clients potentiels. Ces 2 livres s’intéressent aux
caractéristiques des produits et services.
Le livre VIII vise la qualité des produits et services. De quoi s’agit-il? Principalement de règles relatives à
la normalisation des produits, des services. Il y a des normes de qualité qui sont imaginées en fonction de
certains produits ou de certains services. Les plus connues sont les normes iso. On est à nouveau dans une
espèce d’autorégulation, ou en réalité, à mi-chemin, parce que ce sont des normes qui ne sont pas
obligatoires. On n'est pas obligé de certifier iso. On peut choisir de s’y soumettre, et à ce moment-là, on
nous reconnaît une qualité particulière par rapport au service ou au produit en cause.
Être certifié iso, c’est très lourd: ça veut dire qu’on va prévoir, dans notre organisation, tout ce qui peut
arriver comme problèmes, en interne ou à l’égard de nos clients. Pour chaque problème, on aura un
processus qui va nous mener à une solution. Par exemple: un client ne paie pas et se plaint de notre service:
au lieu de prendre le risque de ne pas traiter cela, on a une fiche qui nous dit qu’il faut prendre note de la
plainte du client, l’instruire (intégrer cette plainte dans un tableau excel), désigner un avocat qui va
s’occuper du suivi de la plainte, et s’occuper des avancées pour arriver à pouvoir refermer la colonne en
disant que ce problème a été résolu. C’est utile, parce que ça permet d’être super organisé. L’organisation
et l'efficacité permettent aussi de rendre un meilleur service. Puis tous les 6 mois, quelqu’un de l’iso vient
et fait passer un examen iso.
Encore une fois, on est sur une matière qui n’est pas obligatoire, même s'il y a une base légale. Ces normes
iso proviennent la plupart du temps du monde économique.
On peut aussi trouver les règles de base sur les unités et les mesures.

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On a aussi des règles de sécurité des produits et des services qui, là aussi, proviennent d’une directive
européenne.

• Livre X: pour exercer ces libertés, souvent, les entreprises vont passer des conventions entre elles. Elles
vont organiser des exercices conjoints de cette liberté d’entreprendre ou de contracter. Elles vont constituer
des espèces de partenariats qui vont leur permettre de vendre mieux, d’améliorer le processus d’offre de
biens et de services. Et c’est là qu'on va trouver les dispositions relatives au contrat d’agence par exemple,
les agences sont des intermédiaires entre un fournisseur de produits ou de services et un consommateur
final. L’agent va jouer l’intermédiaire entre un producteur et un acheteur. Il faut alors recourir à un contrat
d’agence entre le fournisseur du service/produit et son intermédiaire qui va vendre pour lui.
C’est aussi là qu’on trouve la législation relative à l’information précontractuelle, qui doit être donnée dans
le cadre des contrats de partenariat commercial. Ce sont vraiment des contrats particuliers et des
dispositions contractuelles qui sont propres à cet exercice conjoint des libertés d’entreprendre. Il y a toutes
les matières d’intermédiation (ce n'est pas parce qu’on produit quelque chose qu’on le vend soi-même).

• Livre XI: on a un exercice conjoint de la liberté d’entreprendre et de contracter, mais on ne s’arrête pas là:
on a pensé aussi qu’ils vont exercer cette liberté d’entreprendre et peut-être qu’ils vont, à ce moment-là,
mettre au moins des inventions, des signes distinctifs, exercer leurs capacités de création et s’ils
investissent dans ces efforts, il faut qu’ils aient un retour. Et ça, c’est la propriété intellectuelle. Elle
s’intègre dans le code de droit économique! Le pouvoir exclusif qui est reconnu au titulaire d’un brevet, le
droit exclusif de propriété intellectuelle ou industrielle, c’est la récompense de l'entreprise pour son
investissement. s’il n’y avait pas cette exclusivité, les entreprises investiraient moins. C’est parce que les
entreprises peuvent espérer un brevet durant un certain temps qu’elles sont prêtes à investir des milliards
pour mettre au point un médicament, un procédé… c’est le retour sur investissement.
C’est drôle, parce que ces droits de propriété intellectuelle vont limiter la liberté d’entreprendre et les
libertés économiques de tous les autres sur le marché! Mais cette limitation, il faut comprendre que c’est
leur récompense et qu’indirectement, on y voit aussi une manière de booster l’exercice de la liberté
d’entreprendre de celui qui acquiert les droits de propriété intellectuelle. Dans ce livre XI, on trouve
pratiquement toute la propriété intellectuelle qu’on applique en Belgique, hormis le droit des marques (qui
est régi par des conventions inter-étatiques voire de la réglementation européenne). Il y a aussi la loi sur les
brevets, il y a aussi une législation européenne sur les brevets. La matière est en train de changer pas mal.
On y trouve aussi les droits d’auteurs et les droits voisins, les dispositions sur les banques de données, etc.

• Livre XII: on règle l’exercice des ces libertés dans le nouveau contexte numérique. Ce livre règle le droit
de l’économie électronique. Il y a en fait très peu de choses, parce que la réglementation est principalement
européenne et elle n’est pas nécessairement nationale. Par exemple, on aurait pu s’attendre à trouver les
dispositions relatives à la protection des données, mais elles ne sont pas là puisque le RGPD est un
règlement européen. Par contre, on va trouver les dispositions implémentant la directive sur le commerce

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électronique. Les dispositions nationales, qui datent d’une vieille loi de 2003, se trouvent dans ce livre 12.
On a aussi aujourd’hui le nouveau cadre juridique des services de confiance électronique (services de
signature électronique, d’archivage électronique, de recommandé électronique…) qui sont, à nouveau, des
règles nationales qui implémentent des dispositions européennes.

• Livre XIII: on va quitter le contenu, en termes de réglementation. Ce livre règle l’exercice de la liberté
d’entreprendre en concertation avec les pouvoirs publics, c’est-à-dire que depuis que le commerce et
l’activité économique existent et que les Etats veulent les réglementer, il doit y avoir des points de
connexion entre le monde économique et le pouvoir politique qui prend les décisions. C’est cette relation
entre pouvoirs publics et représentants du monde économique qui est réglementée par le livre XIII et qui
consacre des institutions de concertation entre les pouvoirs publics et les représentants du monde
économique. On est là réellement dans la gouvernance de l’économie par les autorités. On a maintenant
mis en place, et c’était neuf quand on a imaginé le code, un conseil central de l’économie. C’est une
institution organisée par le code, composée de représentants des différentes strates du monde économique
et de ses différentes facettes. Ce conseil a pour mission de donner des avis et de faire des propositions aux
pouvoirs législatif et exécutif concernant tout problème économique qui se rencontrerait sur les marchés.
Ici, on est dans un mode de concertation entre le monde économique et les pouvoirs publics pour améliorer
la communication et la législation. Et en tous cas, conserver une communication suffisante pour se
connaître un peu l’un l’autre.

• Livre XIV: il a disparu. L’histoire est intéressante: c’est encore une histoire belgo-belge. C’était un livre
qui reprenait les pratiques du marché et la protection du consommateur, mais uniquement pour les
professions libérales. Donc il y avait et il y a toujours le livre VI, relatif aux pratiques du marché et à la
protection des consommateurs. Mais les professions libérales, dans l’histoire du droit de l'entreprise et
surtout du droit commercial, ont toujours refusé d’être considérées comme des commerçants (avocats, etc).
Ces professions étaient d’ailleurs réglementées en grande partie par des règles propres à celles-ci,
puisqu’ils sont soumis à des règles déontologiques. L’approche des professions libérales, c’était de dire
qu’elles n’exercent pas, comme les autres, une activité économique et donc elles n’ont pas à être soumises
aux mêmes règles que les autres. Ce n’est que parce qu’il y a eu l’Europe et que l’Europe a poussé et qu’on
a commencé à avoir des ordres (ordre des avocats etc) qui se sont fait condamner pour non respect des
règles, notamment, de concurrence. Jusqu’il y a peu, un avocat ne pouvait pas faire de publicité, c’était
contraire aux règles de sa profession. Ce livre était une victoire pour les professions libérales, qui ont
réussi à obtenir leur livre (pour dire que leur profession n’est pas la même que les autres, alors que le livre
est un copié-collé du livre VI). Et puis on a arrêté: la Cour Constitutionnelle a considéré le texte comme
anticonstitutionnel. Il y avait ce problème de définition: qui est une profession libérale, et qui va bénéficier
de ce régime du livre XIV et qui va tomber dans le régime des « manants » du livre VI? Finalement, ils se
sont fait taper sur les doigts par la Cour Constitutionnelle. On a mis fin à ce livre. Aujourd’hui, le médecin

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est soumis au livre VI, même s'il est soumis à ses propres règles de déontologie.
Il y a donc un trou entre le 13 et le 15.

• Livre XV: on sort encore un peu plus du fond: ce livre concerne l’application de la loi, on va y trouver
toutes les sanctions édictées en cas de violation et d’exercice illégal de la liberté d’entreprendre. C’est là
aussi qu’on va trouver les règles d’organisation des autorités de police du marché. Par exemple, les agents
du SPF économie, qui recherchent les infractions économiques. C’est toute l’organisation de la recherche
et de la constatation des infractions qui se retrouve dans ce livre et qui est uniforme pour l’intégralité des
livres. C’est une évolution! Non seulement il y a cette organisation de recherche et d’instruction des
infractions, mais on a aussi les peines dans ce livre et qui sont prévues pour l'intégralité des livres. Avant,
chaque livre avait ses propres peines.

• Livre XVI: ce sont les modes particuliers de résolution des conflits dans l’exercice de la liberté
d’entreprendre. On a vu les sanctions, on a vu qui cherchait les infractions, et il y a aussi des modes de
résolution de conflits entre les acteurs qui sont soumis au code, entre les destinataires des règles et, le cas
échéant, aussi entre les bénéficiaires des règles (par exemple, les consommateurs). Là, on va trouver ce
livre XVI qui est consacré au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation.

• Livre XVII: il regroupe les règles relatives aux procédures judiciaires spéciales. Là, on va par exemple
trouver l’action en cessation dont on a déjà parlé, la nouvelle action en réparation collective…

• Livre XVIII: c’est un livre qu’on aurait peut-être imaginé être utilisé au moment de la crise covid: la
liberté d’entreprendre en temps de crise. Ce livre comprend des instruments de gestion de crise particuliers
en accordant de très larges pouvoirs de police administrative au ministre fédéral de l’économie, qui lui
permettent, quand il y a des catastrophes, d’interdire, de réglementer ou de contrôler les prestations de
service et d’offre de produits et ainsi de réquisitionner des biens en vue d’être mis à disposition de la
population. Donc ce sont des mesures qui touchent à l’offre de biens et de service (ex: obliger une
entreprise, en temps de guerre, à offrir de la nourriture à un prix bas ou gratuitement).
Dans la presse de la semaine passée, on a quand même lu qu’on pensait peut-être à certaines mesures de ce
livre pour réquisitionner peut-être des centrales nucléaires qui seraient fermées et qu’on devrait réhabiliter
pour nous donner un peu d’électricité dans les prochains hivers. On en est là: on ferme les centrales
nucléaires mais on ne sait pas encore comment on va se chauffer à partir de 2025. Dans les discussions, on
a évoqué l’application éventuelle de cette disposition qui nous permettrait, le jour où on constaterait qu'on
va droit dans le mur parce qu’on va manquer de sources d’énergie, de réquisitionner des entreprises.

• Livre XX: c’est un nouveau venu. Quand on a publié le code de droit économique à partir de 2013, il n’y
avait pas de dispositions relatives à la faillite et, de manière générale, aux procédures d’insolvabilité des
entreprises, parce que l’ancienne loi sur les faillites était encore d’application. Pourquoi ? Parce que c’était

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une disposition qui était spécifique aux commerçants, au départ. Donc il a fallu quitter définitivement la
commercialité, ce qui ne s’est fait qu’en 2018, pour pouvoir imaginer intégrer la partie sur l’insolvabilité,
c’est-à-dire principalement l’ancienne loi sur les faillites qui a été complètement rénovée, puisque le
champ d’application de cette loi a été totalement chamboulé dès l’instant où on s’est basé sur la notion
d’entreprise et plus sur la notion de commerçant. Par exemple, aujourd’hui, une société d’avocats ou une
ASBL peut être mise en faillite, ce qui n’était pas le cas avant 2018.
Ça n’était pas évident à l’époque et il a fallu attendre 2018 pour qu’on insère un nouveau livre 20, entré en
vigueur le 1er mai 2018, et qui s’intitule l’insolvabilité des entreprises. Donc là, on est en bout de course,
on est à la fin. On a exercé ses libertés, mais ça ne va plus du tout et il s’agit de savoir si on peut encore
nous sauver et si non, comment on va organiser notre mise à mort et notre sortie du marché.
Que va-t-on trouver dans ce livre? C’est une matière qui ne fait pas partie du droit de l’entreprise. On y
trouve des dispositions sur la détection et l’identification des entreprises en difficulté par les tribunaux de
l’entreprise. Ces tribunaux recherchent les entreprises en difficulté. Les identifier, c’est une manière
d’éviter leur faillite ou, s’il n’y a pas d’autre solution, de la provoquer. L’idée est quand même d’abord de
les sauver! C’est pour ça que des mesures provisoires peuvent être prises, en cas de manquements de
l’entreprise (désigner un mandataire ou un administrateur provisoire par exemple, nommer un médiateur
d’entreprise qui va aller négocier avec les créanciers et voir si on peut s’arranger amiablement pour la suite
du paiement, la médiation de dettes etc). On va s’organiser sur la suite des activités si possible. La
réorganisation peut soit être exécutée à l’amiable, soit il s’agit d’une réorganisation judiciaire et c’est le
tribunal, via une procédure en justice, qui va faire un plan de réorganisation et ce plan sera imposé aux
créanciers.
Ce n'est pas nécessairement suffisant, et quand la procédure de réorganisation n’est pas suffisante, alors on
passe à la procédure de faillite, qui est aussi réglementée dans ce livre XX. Elle a été largement revue et
simplifiée et elle a été repensée en fonction de son champ d’application.

En termes de contenu, ce n’est qu’une infime partie d cela règlementation de l’activité économique. Quand
on y réfléchit, il n’y a pas grand chose.

Section 2. Les sources internationales


On n’est pas censés étudier le droit international du commerce, mais le fait même d’être soumis au droit
européen montre l’importance de la source non nationale.

Il y a d’autres sources, d’autres traités qui sont importants et qui vont s’appliquer dans nos matières. On a des
traités internationaux unilatéraux ou bilatéraux entre Etats.
Les traités internationaux, il y a au moins une organisation qu’on doit connaître: l’organisation mondiale du
commerce (OMC). C’est une organisation qui rassemble les Etats du monde entier, et ils ont mis en place
toute une structure d’organisation du commerce international, c’est-à-dire qu’ils ont non seulement édicté
des règles applicables entre Etats en ce qui concerne les échanges commerciaux, mais il existe aussi des
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procédures internes à l’OMC qui vont permettre aux Etats d’obtenir des sanctions à l’égard des Etats qui ne
respecteraient pas les engagements pris en application de ces traités.
Les 3 traités majeurs sont le GATT (l’ensemble des accords sur les tarifs et les marchandises), le GATP
(accord sur les tarifs et les services) , l’ADPIC (un accord spécifique en matière de propriété industrielle). Ce
sont les 3 traités principaux mais ce ne sont pas les seuls. Ils servent de base à la réglementation mondiale du
commerce.

Tout tourne autour de 2 principes de base: principe de non-discrimination et de traitement national.


Non-discrimination: on ne discrimine pas entre Etats partenaires commerciaux. Si on accorde à l’un une
faveur spéciale, on l’accorde à tous. A priori, on a une approche égalitaire entre les différents Etats
partenaires.
Traitement national: ce qu'on accorde aux nationaux, on doit l’accorder aux étrangers qui restent en
concurrence avec ces nationaux. On ne peut pas favoriser les produits nationaux par rapport à des produits
importés.

Ce sont des beaux principes, en réalité, l’OMC est le champ de bataille entre les grandes puissances
économiques, qui tentent d’éviter l’application de ces principes et n’arrêtent pas de se reprocher de favoriser
leurs entreprises nationales, par exemple, par rapport aux entreprises étrangères.

Il faut savoir aussi que l'organisation est un peu branlante depuis le passage de Trump, puisqu’en 2019, il a
unilatéralement bloqué la procédure d’appel contre les décisions de l’OMC en s’opposant à une nomination
d’un président de l’organe d’appel. Depuis 2019, ça a été une étape dans la guerre que mènent les US aux
Chinois, et Trump considérait que l’OMC était devenue une organisation où on favorisait les Chinois et pas
les US, et donc il a bloqué le processus de désignation des juges d’appel, de sorte qu’aujourd’hui, on a mis
en place une sorte d’organisation qui n’est pas vraiment l’organe d’appel mais qui fonctionne sans les US et
sans l’Afrique parce qu’ils ne se sont pas mis d’accord. Ça ne ressemble pas à grand chose, et l’organisme a
du mal à fonctionner correctement, mais c’est aussi l’expression d'un malaise mondial dans le courant de
protectionnisme entre les différents blocs qui jouent. Ça fait que ce type d’institution, qui est normalement
censée rapprocher les différents gros blocs économiques mondiaux pour tenter de les faire fonctionner
ensemble, elle fait l’effet inverse et ça en dit beaucoup sur la situation politique.

À côté de l’OMC, autour de l’ONU, pas mal de choses se passent et il y a la CNUTSI, la commission des
nations unies pour le droit du commerce international. C’est assez important en matière de commerce
international: c’est surtout une organisation qui imagine des conventions et propose des lois, des conventions
standard, des modèles aux Etats, qu’ils peuvent ensuite signer ou utiliser dans leurs rapport.

À côté de ça, on a aussi tous des traités commerciaux que peuvent passer des pays ou des institutions avec
certains Etats. Chaque fois qu’on entend parler d’un nouveau traité négocié par l’UE avec un autre pays,

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c’est le jeu des traités internationaux. En général, on essaie de faciliter les échanges entre les destinataires de
ces traités. On revoit les droits de douane etc pour faciliter le courant d’échange.

À côté du droit conventionnel des traités internationaux, il y a le droit européen.


Ce droit a pour objet d’établir et de faciliter la construction du grand marché européen. Sa mission est de
construire un espace économique de liberté économique. Les règles principales à ce niveau se concentrent
dans le TFUE, c’est là qu’on va trouver les dispositions de base (ex: art 45 sur la libre circulation des biens,
art 49 sur la liberté d’établissement, art 101-102 en matière de concurrence…).
Grosso modo, ce qu’on a fait pour créer ce grand marché, c’est que l’UE a suivi une double démarche:
- Élaborer des règles qui étaient de plus en plus uniformes, harmonisées: les mêmes règles pour toutes les
entreprises établies sur le territoire de l’Union, voire même pour les entreprises étrangères qui exercent
des activités économiques sur le territoire de l’UE.
- Faire disparaître les règles nationales qui sont considérées comme des barrières à la construction
européenne. Il y avait toutes sortes de réglementations internes qu’il a fallu faire tomber ou rénover pour
organiser l’ouverture de ces marchés qui n’en étaient pas avant l’entrée en vigueur des règles européennes
(les monopoles etc). On a plein de dispositions nationales qui vont, par exemple, discriminer les
entreprises étrangères avec les entreprises belges. Toutes ces règles sont incompatibles avec la
construction du grand marché et il a fallu les abattre.

Section 3. La coutume, les usages et l’autorégulation


Les usages et l’autorégulation constituent une source caractéristique du droit de l’entreprise.

§1. La coutume et les usages


Ce sont des règles non-écrites, qui sont considérées comme obligatoires par les entreprises et qui sont reçues
dans le droit par leur consécration jurisprudentielle. Ce sont les tribunaux qui reconnaissent leur force
contraignante, au gré des litiges qui leur sont soumis. Elles acquièrent valeur de norme juridique au fur et à
mesure de leur reconnaissance.

§2. L’autorégulation
Elle a le vent en poupe depuis quelques décennies. On se trouve en dehors du système classique de création
des normes juridiques dans un Etat qui doit normalement passer par le processus de création de normes
officiel et juridique (les lois, les codes, la procédure spécifique).
L’autorégulation, c’est une régulation qui prend la place de la régulation publique et officielle, qui se
construit en marge de la création de normes au travers du processus de création de normes étatiques.
Ce sont des normes créées par les professionnels, par les entreprises, pour elles-mêmes. Pourquoi? D’abord
parce que historiquement, c’est un usage qui était très présent dans la manière de fonctionner du secteur
économique. C’est aussi sans doute la résultante d’une méfiance à l’égard du processus traditionnel de

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normes. Si on attend la législation nationale, il faut peut-être attendre longtemps, et si on attend que l’Etat
s’énerve parce qu’il aimerait qu’on intervienne dans certaines matières et qu’on ne le fait pas, à ce moment-
là, on risque d’avoir des normes qui ne nous sont pas adaptées, et c’est ça aussi le problème.
L’avantage de l’autorégulation, c’est de se créer des normes pour soi-même et donc on a normalement une
garantie de qualité par rapport aux besoins qui justifient la création de ces normes.
On va retrouver ça dans toutes les matières étudiées.
Techniquement, l’autorégulation, selon une définition de van Ommeslaghe, c’est une technique selon
laquelle des règles de droit ou de comportement sont crées par des personnes auxquelles ces règles vont
s’appliquer, soit que ces personnes les élaborent elles-mêmes, soit qu’elles sont représentées à cet effet. On
peut ajouter: sans passer par les institutions publiques d’élaboration des normes prévues à cet effet.
Il est intéressant de noter que ce phénomène d’autorégulation est aussi reconnu en droit européen, les
instances européennes et l’Union promeuvent, également à leur niveau, l’autorégulation, et tant une
autorégulation qu’une corégulation qui serait la résultante des efforts commun des autorités publiques avec
les milieux économiques, en tant qu’alternative ou complément à la régulation normale étatique.
Il y a un accord spécialement pris par les membres qui est pris depuis 2003 et dans lequel on retrouve la
consécration de l’importance des principes de l’autorégulation en droit européen.
De manière générale, l’autorégulation se multiplie ces dernières années et prend la forme de codes, de
policies publiés sur les sites internet. De chartes, aussi.

Quelques exemples: le code Lipens, qui est un code de règles spécifiques en droit des société, qui contient
les règles de bonne gouvernance pour les sociétés (genre SA cotées en bourse). Ce code est un code de
corégulation qui a été fait par le milieu financier, en dehors de la législation et du CSA. Il a tellement de
succès que finalement, beaucoup de règles ont été introduites dans la législation (mais alors ça perd son
statut d’autorégulation).

Pour faire comprendre un peu mieux la force de l’autorégulation, on peut parler du jury d’éthique
publicitaire. Qu’est-ce que c’est? Un organe d’autorégulation qu’on trouve dans le secteur publicitaire. C’est
un organe d’autodiscipline du secteur publicitaire, une ASBL qui existe depuis 1974. Il regroupe les
différents métiers de la publicité, les différents acteurs (sociétés, médias qui diffusent la publicité, agences de
pub…). Le JEP a été créé dans le but de venir en aide aux consommateurs, parce que c’est bien de dire que
c’est de la publicité mensongère, mais ce qu’on peut faire, c’est envoyer la publicité et se plaindre auprès du
JEP.
La particularité de ce JEP, c’est qu’il va appliquer des règles de droit qu’on trouve dans le code de droit
économique, mais aussi des dizaines de codes d’autorégulation reconnus dans le secteur comme s’imposant
aux acteurs et qui vont être pris en considération pour apprécier le comportement des entreprises visées par
les plaintes des consommateurs. Toutes ces règles ont été imaginées par le secteur lui-même, pour lui-même.
C’est adapté au consommateur: il envoie un email, il se plaint, ça ne lui coûte rien et on traite sa plainte dans
les 10 jours. Le jury se rassemble et statue sur l’infraction dénoncée par le consommateur, gratuitement, sans

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formalisme, rapidement. C’est confidentiel: on ne peut pas déposer de plainte anonyme, mais on ne verra pas
le nom du consommateur sur les décisions publiées sur le site. Donc c’est totalement transparent. Le JEP,
c’est un conseil qui est composé, d'une part, de membres de la société civile (ex: l’institut pour l’égalité des
femmes et des hommes, etc) et des membres du secteur publicitaire pour moitié.
C’est super efficace! Pourquoi? Parce qu’ils ont une procédure qui garantit l’application des décisions; c’est-
à-dire que s’ils considèrent qu’une décision est contraire à un code, on va dire que légalement, ce code n’est
pas obligatoire, mais on peut en appeler aux médias et aux instances, et si l’entreprise ne veut pas retirer sa
publicité, elle ne sera plus relayée par les journaux et médias qui siègent auprès du JEP.
Ça a tellement de succès qu’on a appris, en juin 2021, que Facebook rejoignant le JPE. Ça veut dire qu’eux
aussi, en tant que média, rejoignent l'organisation et se soumettent à cela. Ils devront donc retirer une
publicité qui aurait été considérée comme contraire aux codes par le JEP.
On voit donc le pouvoir de cette organisation.

Exemple: une influenceuse sur instagram qui faisait de la publicité, elle n’indiquait pas que c’était une
publicité rémunérée. Le JEP statue sur base d’un code de la chambre de commerce internationale sur
l'identification et la transparence de la publicité, qui impose que toute communication qui comprend un
message publicitaire ou de marketing doit être identifiée comme telle et le consommateur doit tout de suite
comprendre qu’il s’agit d'une publicité (et pas simplement l’expression des goûts de l’influenceuse). Le jury
examine le dossier sur base de ces règles, et dit que ça ne va pas, qu’il y a infraction. L’influenceuse ne
savait pas et elle s’y soumet. Avant même la fin de la procédure, elle avait déjà modifié ses posts en écrivant
« partenariat rémunéré/ad » et le JEP a dit que c’était bien.

Ce qui est aussi intéressant, c’est la force d’imposition des décisions puisqu’on peut obtenir des médias
qu’ils arrêtent la diffusion de la publicité. Au travers de ça, ce qui est intéressant, c’est que ce droit est mille
fois plus flexible que le droit classique.
Si on arrête de diffuser une publicité, c’est sans doute parce qu’elle aura enfreint une règle. Il y a toute la
problématique de l’éthique de la publicité qui pose problème parce que le droit n’est pas armé, par exemple,
pour s’opposer à une publicité sexiste, ou plus ou moins raciste. Quand on est dans cette zone d’ombre où on
ne peut pas mobiliser des règles de droit classique, on trouve des réponses ici.
On voit aussi, au travers des décisions, les mœurs d’une société qui évolue.

C’est beaucoup plus efficace que le système traditionnel, puisque l’application se fait sur une base volontaire
de l’ensemble des acteurs qui apparaissent lors d’un processus de publicité. Tous ces acteurs sont représentés
au sein du JEP.

Un exemple politiquement incorrect: une affiche montre en close-up une femme en lingerie noire allongée
sur un lit. Texte: « cela vous gênerait vraiment de ne pas être le premier? » et c’est une pub pour des voitures
de seconde main (nearly new car). Évidemment, cette publicité ne témoigne pas du plus grand respect à

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l’égard de la femme et une plainte a été déposée par une consommatrice. Elle dit, à raison, que pour vendre
une voiture, on n’a peut-être pas besoin d’une femme présentée comme un objet sexuel pour promouvoir
cette vente. Elle souligne qu’une femme n'est pas un objet qu’on peut comparer avec une voiture, qu’une
femme est une cliente potentielle avec le même pouvoir d’achat que les hommes. Elle considère cette affiche
comme inconvenante.
On va donc voir l’annonceur et on lui demande ce qu’il a à dire à l’égard de la plainte (donc les droits de la
défense sont respectés). L’annonceur dit qu’il ne cherchait pas à dénigrer les femmes, et qu’il a fait 2
versions: une pour les hommes avec une femme sur l'affiche, et une pour les femmes avec un homme sur
l’affiche.
Comme on peut s’y attendre, le jury a examiné les 2 affiches et a considéré, pour les 2, que cette pub, lue en
combinaison avec le slogan, était subjective et présentait l’être humain comme un objet. Pour arriver à
justifier la condamnation de la publicité, il ne suffit pas dire que ce n’est pas bien, il faut faire la liaison avec
ce qui pourrait se passer devant une juridiction civile/pénale, et le JEP s’est fondé sur la violation de codes
de conduite. Ce type de publicité ne trouve pas de règle en droit positif qui pourrait les condamner, au regard
de la législation traditionnelle.
L’annonceur a refusé, il a dit qu’il ne trouvait rien à redire par rapport à cette publicité, qui relevait de
l’humour, et il ne voulait pas la retirer.
Qu’a fait le jury? Il a adressé une recommandation aux médias, qui ont alors suspendu la publicité de tous les
moyens de diffusion par lesquels elle avait été transmise. Les médias ont confirmé que la publicité ne serait
plus utilisée (sauf pour les exemplaires déjà en cours d’impression).
Donc à partir du moment où il y a une décision, on peut forcer son exécution, même à un annonceur qui
refuserait celle-ci, via une collaboration des médias qui ne diffuseront plus celle-ci dès l’instant où elle aura
été condamnée par le JEP.

On est un peu en avance par rapport à la législation traditionnelle, qui peine parfois à suivre l’évolution des
mœurs, alors que de cette manière, on peut être beaucoup plus en lien et en connexion avec l’évolution des
mœurs. On voit d’ailleurs l'évolution d’année en année du JEP lui-même, qui revient aujourd’hui parfois sur
des publicités qu’il a déjà approuvées, pour dire qu’aujourd’hui, vu l’évolution des mœurs, finalement ça ne
passe plus. C’est une réserve que le JEP a fait à l’annonceur, et celui-ci a repris la publicité et l’a modifiée.

C’est quelque chose de très soft, jusqu’à partir du moment où il y a cette contrainte exercée par les médias
pour faire retirer les pubs.
C’est pas mal comme système d’évolution des normes et de liaison directe entre la norme et des valeurs qui
prennent plus de place et s’imposent aujourd’hui dans notre société.
Si on devait introduite une action en cessation commerciale, on obtiendrait difficilement le retrait de la
publicité, parce que le critère serait sans doute l’ordre public, les bonnes mœurs, qui est interprété de manière
restrictive, donc ça ne passerait sans doute pas.

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Titre II. L’entreprise comme destinataire du droit
Chapitre 1. L'entreprise: une notion large et polysémique
On a adopté le code de droit économique en 2013, et dès lors, on introduit une définition générale de
l’entreprise. À l’époque, c’est déjà une révolution, dès l’instant où, jusque là, c’était la notion de commerçant
qui était utilisée comme destinataire des normes.
En 2013, la notion de commerçant ne disparaît pas, c’est juste qu’on introduit la notion générale d’entreprise
dans le code de droit économique.
Toutes les dispositions n’ont pas été insérées dans le code de droit économique, et notamment les
dispositions les plus importantes qui étaient réservées aux commerçants (régime de preuve, loi sur la faillite,
etc), elles, continuaient à viser les commerçants comme destinataires.
On a vécu dans cette situation mixte pendant 5 ans, jusqu’à ce qu’une loi du 15 avril 2018 réforme
définitivement le droit de l’entreprise et fasse disparaître la notion de commerçant de notre législation.
C’est à ce moment que la notion d’entreprise l’emporte définitivement et fait disparaître la notion de
commerçant qu’on connaissait depuis le code de commerce de 1807. L’entreprise devient le principal
destinataire du code de droit économique.

En 2018, les choses paraissent assez claires et auraient pu être limpides, mais non seulement on fait tomber
la notion de commerçant, mais on remplace l’ancienne définition générale de 2013 par une nouvelle
définition générale de l’entreprise.
Et ça, c’est très embêtant parce qu’on est maintenant dans une situation où on a 2 voire 3 ou voire même
plus, de la notion d’entreprise dans le code de droit de l’entreprise. Parce que cette nouvelle définition n’a, en
réalité, pas remplacé l’ancienne dans tous les livres du code de droit économique et notamment dans les
livres qui nous intéressent nous, comme dans le livre VI où on a gardé la définition de 2013. Donc on est
dans une situation à la belge, sans qu’on perçoive réellement la nécessité de cette nouvelle complexité.
Il y a une histoire à cette nouvelle définition: dans le même temps, entre 2013 et 2018, on a réformé le droit
des sociétés. Le droit des sociétés est le seul qui comprenait encore la notion de commerçant. Il fallait
nettoyer le droit des sociétés pour pouvoir laisser tomber complètement la notion de commerçant. En faisant
la réforme du droit des sociétés, le législateur a travaillé sur une nouvelle notion de l’entreprise qui soit
parfaitement en phase avec les besoins du droit des sociétés (notamment par rapport à l’évolution de la
procédure de faillite et des nouvelles législations relatives à la faillite).
Donc le code de droit économique a pris une définition, le code des sociétés en a pris une autre, et il le fait en
prenant en considération tous les besoins spécifiques que l’on pourrait avoir dans le nouveau livre XX. Et
puis on aurait pu dire qu’on introduisait le livre XX en même temps qu’on laissait tomber la commercialité,
et introduire un nouvelle définition juste pour le livre XX, tout en gardant l’ancienne définition pour le reste!
Ça aurait été logique, mais ce n'est pas ça qui s’est passé. Le législateur s’est dit que cette définition était
tellement jolie et intelligente qu’il allait en faire la définition générale du code de droit économique, et il
remplace donc l’ancienne définition générale de 2013 par une nouvelle définition, qui vient du droit des
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sociétés et surtout du droit de la faillite, qui a été conçue au regard des besoins qui avaient été identifiés
durant ce travail de mise à jour du droit des sociétés. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on a 2 définitions
principales dans le code de droit économique.

Ces 2 définitions n’ont rien à voir l’une avec l’autre! Il y en a une qui tient en une phrase (celle de 2013), on
peut la trouver à l’art I.4/1.
L’autre définition est bien plus complexe, elle fait une demi page. On nous dit que « sauf disposition
contraire, pour l’application du présent code, on entend par entreprise… » et on vise une liste d’organisations
qui doivent être considérées comme des entreprises. Mais comme on a été tellement larges dans la liste, il
faut maintenant revenir en arrière. On a jeté un filet à la mer pour retenir tout ce qu'on pouvait imaginer être
une entreprise en termes d’organisation, et puis on s’est dit qu’on avait été un peu loin et on va introduire des
exceptions. Donc on a tout un jeu.

Ce sont 2 approches différentes de la définition. L’approche courte trouve sa source dans le droit européen et
principalement dans le droit européen de la concurrence.
L’approche qui guide le législateur et qui était celle de la CJUE, c’était une approche fonctionnelle. Ça veut
dire qu’on a égard à l’objet de l’activité pour qualifier une organisation d’entreprise. On va regarder ce
qu’elle fait, et de ce qu’elle fait, on va en déduire que c’est une entreprise. C’est la poursuite du but
économique qui va déterminer si on est ou non une entreprise.

Évidemment, ça va impliquer un large pouvoir d’interprétation. Ça va s’appliquer à des milliers d’activités.


On n’a pas d’autre élément: poursuivre une activité économique, c’est exercer une activité économique, et
une activité économique, c’est quand on offre des produits et des services sur un marché. On va partir de là
pour interpréter la notion et la faire jouer dans toutes les hypothèses utiles.
L’interprétation est laissée au juge, mais il y a également une grande flexibilité qui va permettre au juge de
pouvoir suivre les évolutions et de pouvoir qualifier toute nouvelle activité économique ou toute nouvelle
manière de l’exercer, sans devoir passer par un statut particulier, juridique ou financier. Ce n'est pas une
approche formelle.

Dans l’approche formelle, celle de la nouvelle définition, ce qui est visé, c’est une suite d’organisations. Ce
sera le statut juridique ou financier de l’organisation, sa forme juridique, qui fera qu’elle sera insérée ou pas
dans la liste. C’est un peu comme on faisait pour le commerçant.

De manière très large, on va lister 3 types d’organisations dans la nouvelle définition. Cela impliquera alors 3
dispositions d’exception pour retirer ce qui tombe de manière trop large dans le premier alinéa.
Cette approche formelle vient directement du livre XX. Elle était extrêmement bien ficelée par rapport aux
besoins de la procédure de faillite, et d’ailleurs, les hypothèses visées se justifient, la plupart du temps, par
un besoin particulier qui provient du droit de la faillite ou de l’insolvabilité au sens large.

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La ratio legis, la justification qui fonde la transformation de la définition fonctionnelle en définition formelle,
c’est de dire que grâce à cette nouvelle définition, on diminue l’insécurité juridique. Avec l’ancienne
définition, il y a matière à interprétation et donc il y a insécurité juridique, on veut que ce soit plus clair et
prévisible, d’où une définition formelle.
Deuxièmement, l’autre justification, c’était de dire que grâce à cette définition, on va faire entrer dans le
code de droit économique des entités et des organisations non économiques, qu’on a voulu soumettre même
si elles n’avaient pas d’activité économique, à certaines règles du code de droit économique. Là, ça devient
quand même un peu bizarre. On a des ASBL sans aucune activité économique qui vont pouvoir être
qualifiées, via cette nouvelle définition, d’entreprises au sens du code de droit économique.
La contradiction paraît quand même assez évidente.
Ce qu’a voulu faire le législateur, c’est de dire que certaines règles du code (le livre XX) ont un besoin
d’application à des entreprises qui ne sont pas des entreprises au sens de la définition générale ancienne, car
cette définition était conditionnée par la poursuite d’une activité économique. Selon le prof, il aurait été plus
facile d’ajouter des notions et des dispositions pour les faire rentrer plutôt que de transformer la définition
générale.

3 catégories d’organisation, et puis, par voie d’exception, on en exclut certaines entreprises:


On trouve cette nouvelle disposition à l’art I.1. Qu’est-ce qui n’est pas une entreprise, au travers de ces 3
types d’organisations? Pas grand chose.
- Toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre d’indépendant
- Tout personne morale
- Toute autre organisation sans personnalité juridique

Toute personne physique: pour comprendre où on veut en venir, on est obligés d’aller rechercher la ratio
legis, dans l’exposé des motifs du livre XX. Le législateur explique que son but est de mettre fin à des
discussions qui auraient été extrêmement ennuyantes concernant la poursuite d’une activité économique
durable au sens de l’ancienne définition générale. C’est quoi, poursuivre de manière durable un but
économique? La problématique est facile à comprendre: c’est clair que ce n'est pas parce qu'on pose un acte
qui pourrait être qualifié d’économique qu’on doit être qualifié d’entreprise.
Il y a toujours eu cette marge de manœuvre là. Le critère pour être exclu, c’était de dire que ce n'est pas une
exploitation durable d'une activité économique. Là, on tombe dans l'interprétation par le juge pour dire ce qui
caractérise la durabilité. le législateur a dit que c’était trop compliqué, et donc il va vouloir résoudre ce
problème. Comment? Ça sonne de la même manière que dans l’ancien code de commerce, il trouve sa
référence dans l'ancienne interprétation du commerçant. Et dans cette ancienne interprétation, seuls les actes
de commerce qui étaient posés à titre de profession habituelle étaient retenus pour la qualification de
commerçant. C’est encore une interprétation qui est donnée au concept.
Le législateur dit que quand on doit, maintenant, interpréter ce qu’est une activité professionnelle, on pense à
l’interprétation qui était donnée sous l’égide du code de commerce, et il faut retrouver cette interprétation
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individuelle. Le simple fait de poser un acte qualifiable d’économique ne suffit pas, la durabilité, c’est cette
recherche de revenus dans le cadre d’une organisation spécifique.
C'est dans une interprétation d’un concept que l’on vient abandonner, qu’on va interpréter la loi.

À titre indépendant: on vise, et on le comprend aisément, celui qui n’exécute pas sa prestation dans le cadre
d’un contrat de travail. C’est un indépendant qui exerce une activité professionnelle au sens de l’ancienne
définition du code de commerce. D’après le législateur, avec ça, on obtiendrait une situation beaucoup plus
facile qu’avec l’ancienne définition.

Cette approche a été directement critiquée par la doctrine, et la jurisprudence se tire les cheveux parce qu'il
faut interpréter tout ça et ce n'est pas du tout évident. Dès la proposition initiale du texte, le conseil d’Etat
était venu critiquer l’approche. Il a dit « si vous voulez que ce soit plus clair, définissez l’activité
professionnelle dans les définitions accessoires et permettez ainsi de mieux comprendre ». Il y a plein
d’interprétations possibles.
Avec une autre question qui reste ouverte: est-ce que cette activité professionnelle doit être à tire
économique, et quand devra-t-elle être à titre économique?
L’idée d’activité professionnelle n’exprime même pas le lien avec l’activité économique.
Deuxièmement, ça pourrait aussi être une allusion au caractère durable à la fréquence des actes posés. Mais
ce n'est pas la fréquence, c’est l’idée d’obtenir un revenu et dans le cadre d’une organisation qui soit plus ou
moins stable. Donc est-ce que c’est vraiment la durabilité de certaines autres législations? Ce n’est même pas
sûr selon le conseil d’Etat, l’approche est particulière.
Ou simplement une activité qui génère un revenu.
Ça laisse en suspens plein de questions par rapport à l’application, parfois des questions qui avaient
anciennement déjà été résolues, comme la question de l’activité accessoire. Avant, dans le cadre du code de
commerce, on considérait que l’activité accessoire ne tombait pas sous le champ des législations relatives
aux commerçants.
De nouveau, qu’est-ce qu’on fait ici? Quand on se retrouve dans le même cas, est-ce qu’on considère que
c’est une entreprise ou pas? L’exposé des motifs dit qu’il faut faire comme avant.
De manière générale, on ne voit vraiment pas en quoi c’est plus clair qu’avant.

Ça crée de nouveau des difficultés. Prenons le droit des sociétés: la plupart des sociétés ont des organes qui
représentent la personnalité morale au travers desquelles elles fonctionnent. Notamment, on a un conseil
d’administration qui s’assure de la gestion de la société et de son activité, ou l’assemblée générale. Dans le
conseil d’administration, on a des administrateurs, et les administrateurs sont très souvent des indépendants.
Certains ont dit que c’étaient des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle, à titre
indépendant, donc l’administrateur présent au conseil d’administration, qui est parfois le gérant de la société,
doit être également considéré comme une entreprise. Conséquence: c’est extrêmement important, parce qu’il
pourrait être pris en faillite. Or, il y a souvent une garantie demandée par les banques, on demande qu’un des

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administrateurs se porte caution pour certains engagements de l’entreprise. Mais s’il tombe en faillite, la
société perd sa caution auprès de l’organisme financier.
Donc il y a tout un débat entre les juridictions. Certains disent qu’il faut mettre l’administrateur en faillite,
d’autres disent que ce ne sont pas des entreprises en tant que telles, mais dans le cadre de l’entreprise.

Toute personne morale: toute personne morale est, a priori, une entreprise. On ne fait pas de distinction
entre une personne morale de droit privé ou de droit public. On n’a pas d’égard à sa personnalité statutaire, ni
à sa personnalité économique. On dit que si c’est une personne morale, c’est une entreprise. Pourquoi? Parce
que dans la matière de faillite, on a désiré rendre applicable la procédure de faillite aux ASBL. Ces ASBL
ont la personnalité morale, c’est ce qui les distingue des autres associations qui ne l’ont pas, et on a voulu les
soumettre au livre XX.
Pourquoi les soumettre au livre XX? C’est lié à la reconnaissance de la personne morale elle-même: si on
reconnaît la personne morale à une entité, on modifie les droits des tiers et des créanciers, qui voient leur
pouvoir sensiblement diminuer et leur champ d’application diminue à partir du moment où ils sont une
personne morale. Une personne morale n’a aucun droit à faire valoir au regard des associés de la société, elle
a son patrimoine, et ce patrimoine est le patrimoine propre de la société personne morale. Donc si le
créancier n’est pas payé, il peut saisir les biens de la personne morale pour être payé, mais il ne peut pas
saisir les biens des associés. donc a priori, les droits des tiers sont directement impactés par l’idée même de
la personnalité morale. En plus, les membres de l’ASBL ne sont pas non plus responsables des agissements
de la société pour les actes qu’elle pose. Et puis il y a un capital propre à la société qui n'est pas celui des
personnes.
Donc on s’est dit que les faits des tiers d’une personne morale sont étrangement comparables à ceux des
créanciers par rapport à une société. Or, la société est soumise à la faillite, c’est une procédure imaginée au
bénéfice des créanciers! Ils seront peut-être, dans ce cadre, remboursés d’une partie de leurs dettes, mais en
tous cas dans le cadre d’une procédure prévisible et connue de tous. C’est aussi une procédure égalitaire.
Tout ça est géré par la règle. La seule chose, c’est que les créances n’ont pas le même rang.
On a voulu les protéger de la même manière qu’on protégeait les créanciers, et on a voulu les soumettre à la
procédure de faillite.
On s’est aussi dit que cette possibilité de tomber en faillite aurait un effet de professionnalisation de la
gestion des ASBL, savoir qu’on peut tomber en faillite, ça fait peur et ça va également pousser les
gestionnaires à devenir plus professionnels dans l’exercice de leurs activités au sein des ASBL. Les ASBL,
parfois, sont de grosses entités qui peuvent avoir un grand nombre de personnel, et c’est une gestion qui, très
vite, est comparable à la gestion d’une PME. C’est difficile à gérer, il faut être tout aussi professionnel que
pour gérer une société économique.
Donc besoin de professionnalisation et protection des tiers, c’est ce qui a justifié.

Mais on n’a pas dit ASBL, on a dit toute personne morale e donc on a ouvert le filet complètement.

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Toute autre organisation sans personnalité juridique: on ne peut pas faire plus large. On a déjà visé
toutes les personnes morales, et on va dire que toute organisation qui n’a pas la personnalité juridique
devient une entreprise. Là, c’est de nouveau extrêmement large, étant entendu qu’on ne dit pas non plus ce
qu’est une organisation.
Qu’a-t-on visé? En droit des sociétés, on a toujours eu des sociétés sans la personnalité juridique. Une
société, c’est d’abord un outil juridique qui permet d’exercer une activité économique avec plus de confort.
Comme tout, on a besoin de confort mais on n’a pas besoin de payer le prix d'une organisation coûteuse, on
peut prendre une organisation très légère, qui permettra d’être une société et de faciliter la gestion de notre
activité sans passer par des formes très lourdes et qui imposent des obligations très importantes.
Un de ces types de sociétés a toujours été la société simple, qui est une société sans personnalité juridique.
On organise une société qui va permettre de mieux gérer l’activité économique, mais qui est très light, qui
n’obéit pas à d’énormes de règles, la convention règle la plupart des points d’organisation de la société. Mais
elle n’a pas la personnalité juridique, ce qui impose plein d’allègements dans la vie de la société. Elle n'est
pas soumise à toute une série d’obligations, ou en tous cas pas à des obligations de publicité par exemple, ou
en termes de gestion aussi, elle n’a pas besoin d’organes.
Ces sociétés ne tombaient pas en faillite, on ne pouvait pas les mètre en faillite, précisément parce qu’elles
n’avaient pas la personnalité morale, en tous cas on le disait en doctrine et en jurisprudence. En effet
comment va-t-on déterminer le patrimoine comprenant l’actif de la société s’il n’y a pas une séparation de
patrimoine entre la société qui a la personnalité morale et ses associés? Pas de personnalité morale, ça veut
dire que les associés forment ensemble la société, ils sont liés par un contrat de société. Mais en cas de
faillite, il faut vendre l’actif de la société, qui n’est pas, a priori, l’actif des associés. On ne concevait donc
cette procédure de faillite qu’à l’égard des sociétés ayant une personnalité juridique.
En pratique, ça s’est vite révélé être un problème, et on s’est dit pourquoi ne pas l’admettre? Ce n'est pas
parce qu’il n’y a pas de patrimoine découlant de la fusion des patrimoines que l’on ne peut pas admettre un
patrimoine distinct pour la société. La pensée, l’interprétation et les besoins juridiques ont évolué et donc on
doit pouvoir mettre ce type de société en faillite. On ne peut pas discriminer les créanciers qui ne peuvent pas
se voir rembourser car elles n'ont pas de personnalité juridique, donc il fallait faire rentrer dans la définition
d’entreprise, la notion de société simple, qui était une société sans personnalité juridique. Si c’est une
société, elle n’entre pas dans l’al 1, ni dans l’al 2, donc on a imaginé une 3è organisation, qui est
l’organisation sans personnalité juridique. C’était cette société simple qui était visée par ce 3è type
d’organisation.

On se rend compte du caractère illimité de la notion d’entreprise, telle qu’elle découle de la simple
application de ces 3 premiers critères. Là, on s’est dit qu’on allait affiner et passer par une réduction du
champ d’application.

La première réduction est directement liée à ce 3è type d’organisation. Ça ne va pas quand on dit que toute
organisation peut être une entreprise. On a dit qu’on visait les organisations qui poursuivent un but de lucre!

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Qui vont, d’une manière ou d’une autre, vouloir retirer un profit de leur activité. Ce n’est que ces seules
organisations qui devraient rester dans le filet et être identifiées comme étant des entreprises, d’où la
première exception dans la petite liste. On fait référence, et c’est pour ça que cette définition est
intrinsèquement liée à la réforme du droit des sociétés, à un nouveau critère de différenciation entre des
sociétés et les associations. Le CSA est un code qui regroupe toutes les règles visant les sociétés et les
associations. Ça, c’est neuf. Avant le CSA, on avait des législations différentes. Aujourd’hui, on a un seul
code, et les mêmes règles, la plupart du temps, s’appliquent aux associations et aux sociétés. Mais alors, il
fallait régler une fois pour toutes le critère de distinction entre les associations et les sociétés. Cette
distinction est une distinction qui a pourri l’interprétation juridique des 2 notions depuis qu’elles existent, et
cela pour une raison simple. Le critère de distinction des associations est né de l’activité des ASBL.
Ça veut dire quoi ne pas avoir de but lucratif? Ça n’était pas indiqué dans les législations.
Traditionnellement, on disait que ça voulait dire qu’on ne pouvait pas poser des actes à titre onéreux, d’actes
qui vont permettre à celui qui les pose d’en tirer un profit. On est parti du principe que les ASBL ne
pouvaient pas poser d’actes de ce type, comme on est parti du principe que les sociétés, a contrario, ne
pouvaient pas poser d’actes à titre gratuit. Sauf qu'en pratique, si on pense à Oxfam: ils achètent des
vêtements en seconde main pour les revendre, et cela pour créer une marge de profit. Et il y a plein d’ASBL
qui n’ont pas de but lucratif mais qui utilisent la vente de biens pour générer un profit. Cette activité, qui est
une activité économique, on a bien senti qu’elle devait pouvoir être permise, dès l’instant où elle était
souvent la source de financement principale d’une activité qui n'est pas une activité économique, mais qui
utilisait des procédés économiques. On s’est sentis coincés, depuis longtemps, dans le système interprétatif
traditionnel qui visait les actes. C’était le caractère lucratif ou non de l’acte posé qui déterminait si on était
dans le cadre d’une ASBL ou d'une société.
Or, le problème, ce n'est pas l’acte qu’on pose, ce n'est pas le fait que l’acte permette à l’organisme de
générer du profit, le problème, c’est ce qu'on fait du profit. Et là est la différence entre l’association et la
société. Dans la société, le profit doit revenir, d’une manière ou d’une autre, à la société. L’associé est
propriétaire de la boîte, il doit créer une activité économique qui lui permette de générer un profit qui va lui
retourner à la fin. Le but lucratif est l’essence de la société, elle n’est imaginée que pour ramener des revenus
pour les associés et pour elle-même dans le cadre de ses activités économiques.
L’association, par contre, elle peut également générer du profit apr son activité, mais à la différence de la
société, pas pour faire en sorte que ce profit se retrouve dans la poche des membreS. Il doit retourner à
l’association elle-même et être réinvesti dans le but non-économique de l’association, et ne pas sortir de
l’association mais d’être sans arrêt réinvesti dans le but non-lucratif.
On a donc imaginé ce critère et on va le retrouver dans le CSA comme étant le critère de distinction des
sociétés et associations. Le critère de distribution est devenu le critère de distinction. La distribution, c’est
l’acte par lequel on va partager le profit entre la société et ses associés. On va faire sortir le produit de la
société pour le distribuer aux associés.

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Ce que dit l’exception, c’est qu’en réalité, ne sera une entreprise au regard de l’art I.1 que l’organisation
sans personnalité juridique qui distribue ce profit.
S’il y a redistribution, alors c’est une entreprise, avec toutes les conséquences qui sont attachées à la
qualification d’entreprise.

Quand on dit que les organisations qui distribuent leur profit sont des entreprises et celles qui ne le
distribuent pas ne sont pas des entreprises, on parle des organisations sans personnalité juridique!!! Ça veut
dire que les ASBL ne sont pas visées par l’exception. Donc une ASBL, qui, normalement, se définit comme
ne distribuant pas ses profits, est toujours définie comme une entreprise. Comme c’est une personne morale,
elle est toujours une entreprise (TUYAU).

Deuxième exception: toute personne morale est une entreprise. Toute personne de droit public qui ne
propose pas de biens ou services sur un marché. On avait dit toute personne morale, et donc morale de droit
public, mais on dit dans l’exception que ce qui est clair, c’est que les personnes morales de droit public ne
sont pas des entreprises dès l’instant où elles ne proposent pas des biens et des services sur un marché.
En réalité, proposer des biens et des services sur un marché, c’est la définition non écrite de l’activité
économique. Ça vient aussi du livre XX, cette idée d’exclusion du champ d’application du droit de
l’entreprise des personnes morales de droit public. On n’aura pas l’idée même, c’est contradictoire avec
l’idée de personne morale de droit public qui exerce un service public. Régulièrement, certaines peuvent être
en état de faillite, mais elles ne pourraient pas être mises en faillites car on porterait atteinte au caractère
pérenne du service public. Si on les mettait en faillite, on interromprait l’exercice des missions du service
public, ce qui est inacceptable. donc il faut les sortir du champ d’application de la faillite.
Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qu’est une personne morale de droit public. On a trop de statuts
d'organismes semi-privés, semi-publics où tout se mélange et qui font que cette qualification est une
qualification problématique. C’est le premier problème lié à cette définition.
D’autre part, on a une personne de droit public, et elle exerce des activités économiques. Ça veut dire qu’à
tout le moins, c’est une entreprise mixte, qui exerce d'une part des activités économiques, mais aussi des
activités non économiques qui font que c’est une entreprise publique et pas privée. C’est ça, l’idée. Avec
l’idée que la personne morale de droit public ne pourra pas être mise en faillite dans ses activités d’autorité.
Mais si elle fait les deux, on fait quoi? Le texte ne répond pas à cette difficulté. Dans l'ancienne définition,
cette difficulté se posait déjà mais elle avait été résolue par la CJUE.
C’est pour ça que les choses ne sont pas simples.
Mais la vraie exclusion de tous les organismes publics de la faillite ne vient pas de cette définition, elle
provient d’une autre définition du livre XX. Si on regarde l’art I.22, 8°, on verra que le débiteur, au sens du
livre XX, c’est une entreprise, à l’exception de toute personne morale de droit public.
Toute personne morale de droit public n’est pas un débiteur, or, c’est à l’égard du débiteur que s’exprime la
faillite. Donc en passant par cette notion de débiteur, on permet d’éviter les zones d’ombre de l’application
de la définition d’entreprise.

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Il y a donc des difficultés d’interprétation évidentes de cette exception, dont le but est d’éviter que les
personnes morales de droit public tombent trop vite en faillite, avec toujours cette problématique d’activité
mixte, qui est résolue en tous cas pour la faillite avec la notion de débiteur, qui dit bien que le débiteur est
une entreprise, à l’exception des personnes morales de droit public.

Ça pourrait être fini, on a retiré déjà pas mal de choses. Mais non, ça aurait été trop simple, il y a encore une
3è exception qui retape sur le clou. On est toujours dans cette même problématique, et on a carrément une
liste d’autorités publiques juste pour être sûrs. Par exemple, l’Etat fédéral, les régions, les communautés, les
provinces, puis toutes sortes d’organismes publics.
Toutes sortes d’autorité dont on ne veut absolument pas qu’il y ait la moindre interprétation sur leur
qualification d’entreprise.
D’un point de vue cohérent de construction, c’est aberrant, la deuxième exception devait régler le problème.

Évaluons cette définition au regard des besoins exprimés tout au début par le législateur et qui justifiaient son
intervention. Il y avait 2 idées: combattre l'insécurité juridique, et cette solution à l’insécurité juridique était
liée au changement d’approche (on préfère une approche formelle à l’approche fonctionnelle).
Premier constat: on est restés fort accrochés à cette approche fonctionnelle. Si on fait bien attention aux
critères et aux caractéristiques des organisations, visées tant dans la première partie de la définition que dans
la partie relative aux exceptions, on retombe dans une approche fonctionnelle.
Exemple: l’activité professionnelle qui permet de retenir les personnes physiques indépendantes: qu’est-ce
que c’est, si ce n’est un critère fonctionnel qui se base sur l’activité? On dit qu’on l’abandonne, et le voilà
qui revient dans la définition de la première organisation censée être une entreprise. On n’a pas changé grand
chose, et cette approche fonctionnelle n’a certainement pas disparu.
Si on va plus loin: par rapport à la personne morale de droit public: la personne morale de droit public ne
sera pas une entreprise dès l’instant où elle n’offre pas de biens et de services sur un marché: c’est l’activité
économique qu’on utilise pour déterminer quelles organisations tombent dans la liste ou en sont exclues. On
n’a pas utilisé d’approche purement formalisme!
On pourrait continuer: le but de distribution, c’est aussi une approche fonctionnelle qui vise la qualité d’une
activité.

Donc par rapport au premier critère mis en avant par le législateur: c’est un échec. Fondamentalement, on n’a
pas changé d’approche. Pour de nombreux critères, on reste à l’approche fonctionnelle.

Deuxième constat: la seule chose qui est claire, c’est l’inclusion de toutes les personnes morales de droit
privé. C’est pour ça que l’ASBL est toujours une entreprise au sens du CDE, indépendamment de ses
activités et avec une énorme incohérence. On intègre dans la définition générale de l’entreprise, qui est
censée identifier toutes les personnes qui exercent une activité économique, des organisations qui

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n’exerceront jamais d’activité économique. Il n’y a aucun sens de faire de cette définition la définition
générale du CDE, qui est censé viser toutes les personnes qui exercent une activité économique.
Donc, deuxième constat: cette incohérence complète dans le champ d’application.

3è constat: est-ce qu’on gagne en sécurité juridique par rapport à l’ancienne définition? On en doute, d’autant
plus que l’ancienne définition était un concept de droit européen, interprétée par le droit européen, donc cette
notion évoluait avec la jurisprudence de la CJUE, qui renforçait la prévisibilité. Quand la notion est
interprétée par la cour, il y a plus d’affaires de tous les pays européens qui remontent à la cour que de
problèmes dans notre tout petit pays.

Donc la complexité de tout cela est imbuvable. Ça n’a aucune utilité pratique, même si ça a des
conséquences pratiques énormes. C’est une absurdité, une complexité qui n’a rien à faire dans ce code et qui
est exclue par son esprit même.

Un quatrième constat: l’ancienne définition, en réalité, n’a pas du tout disparu du code. Il suffit de se
promener un peu dans les définitions. On va retrouver l’ancienne définition générale comme étant une
définition particulière pour certains livres.
Le législateur a constaté lui-même qu’en prenant une nouvelle définition, avec une autre approche du type de
la nouvelle définition générale, il risquait de se mettre en porte-à-faux avec l’interprétation de la CJUE. Il
s’est donc dit qu’il allait reprendre l’ancienne définition issue du droit européen chaque fois qu’un livre
prend sa source dans le droit européen. Sauf qu’il y en a beaucoup. Donc ce qui s’est passé, c’est que pour
toute une série de livres, on a conservé l’ancienne définition.
Par exemple, une partie du livre III sur le devoir d’information et de transparence est encore soumis à cette
définition, tout comme le livre IV, le livre V, le livre VI, le livre XV et le livre XVI.
On est donc obligé de se poser comme question: finalement, à quoi ça sert? Quelle est la portée réelle de
cette définition, qui se veut générale et qui se retrouve à l’art I.1? En réalité, cette utilité est extrêmement
faible. Seule une partie du livre III est explicitement visée par l’application de cette définition, ainsi que le
livre XX. On est quand même loin du compte total! Mais c’est parce que pour beaucoup de livres, la
définition de l’entreprise n’a en réalité pas d’importance. Le champ d’application de certains livres ne se
construit pas autour de la notion d’entreprise. Le plus évident, c’est le livre sur la propriété intellectuelle, il
n’est pas lié à la notion d’entreprise, c’est d’ailleurs une matière qui dépasse le code de droit économique. Il
en est de même des livres VII à XII. Le livre XII ne définit pas non plus son champ d’application au regard
de la notion d’entreprise. Ce sont, en réalité, des concepts de droit européen qui ont une interprétation propre
directement issue du droit européen et pour lesquelles on n’a pas besoin de passer par la notion d’entreprise.
Finalement, livre III, livre XX, et pour certaines législations en dehors du code de droit économique.
Certaines législations vont utiliser la définition générale pour établir leur champ d’application, comme les
nouvelles règles de preuve concernant les entreprises, la détermination de la compétence du tribunal de
l’entreprise dans le code judiciaire, etc.

57
On a vu aussi que la législation, en 2018, était également intervenue pour dire que chaque fois qu’on allait
voir la notion de commerçant dans la législation, on allait devoir la remplacer par la notion d’entreprise, au
sens de la définition générale.

Donc dans le code de droit économique, au final, peu d’intérêt. Et l’intérêt vaut surtout pour le livre XX,
puisque la définition trouve sa source dans le livre XX. Pour les autres, nettement moins parce qu’on s’est
tout de suite sentis mal à l’aise par rapport à cette définition dans les matières européennes.

Tout ça n’est de nouveau pas très cohérent, pas très réfléchi et on perd un peu l’objectif idéal du code lui-
même, qui était de rétablir une cohérence, principalement au niveau des concepts utilisés, pour éviter
l’utilisation de sens différents donnés aux concepts, ce qui rend les livres plus difficilement applicables.

On est obligés d’étudier non seulement cette définition générale de l’entreprise, mais aussi de revenir à
l’ancienne définition, c’est-à-dire celle qui nous intéresse le plus. C’est une définition prétorienne, créée par
la CJUE et le législateur belge s’était inspiré de cette définition pour créer l’ancienne définition générale de
l’entreprise.
Cette ancienne définition est extrêmement simple: toute personne physique ou morale, poursuivant de
manière durable un but économique, y compris ses associations.
Le corps de la définition correspond pratiquement mot à mot à ce que la CJUE admet comme étant une
entreprise, notamment dans le droit de la concurrence.
Mais il faut aussi admettre qu’en droit européen, il n’y a pas non plus réellement de notion totalement
harmonisée. La notion d’entreprise n'est pas forcément la même en droit de la concurrence et en protection
des consommateurs. Par exemple, en droit de la consommation, on va souvent utiliser la notion de
professionnel, parce que classiquement on oppose le professionnel au consommateur. Mais n’empêche que
cette notion d’entreprise est utilisée dans la plupart des législations qui nous occupent. Mais il faut être très
attentif à quelle notion d’entreprise on se réfère, parce qu’elles ont chacune leurs spécificités. Quand on parle
d’une notion belge d’entreprise qui est issue du droit européen, son interprétation est quand même calquée
sur l’interprétation européenne, mais elle est aussi d’abord belgo-belge.
Il faut donc être extrêmement prudent et attentif, notamment parce qu’on va jouer avec ça.
Il y a des questions d’examens très évidentes là dessus.
Il y a des différences tangibles entre les interprétations.

Dans la définition ici, une spécificité de cette disposition, c’est qu’on parle de but économique. En droit
européen, on parlera plutôt d’activité économique, mais en fait c’est un peu la même chose. Dans l’exposé
des motifs, on dit que l’idée, c’est de viser l’exercice des activités économique. Donc le but économique,
c’est la poursuite des activités économiques, et les activités économiques, comme en droit européen, c’est
toute offre de biens et de services sur un marché.

58
Tout ça demandera à être précisé par la suite, on a d’ailleurs déjà rencontré la notion de marché, mais on va
la retrouver de manière importante en droit de la concurrence.

C’est donc bien une approche fonctionnelle qui est utilisée, puisque ce qu’on regarde, c’est d’abord si la
personne physique ou morale poursuit un but économique, c’est-à-dire offre des biens et des services sur un
marché. Cette approche fonctionnelle fait qu’on se fiche complètement, a priori, des caractéristiques
intrinsèques de cette personne physique ou morale. Autrement dit, peu importe que ce soit une personne de
droit privé ou public. Peu importe comment elle est financée (par des financements privés ou publics). Peu
importe son but final (de lucre ou non). On s’en contrefiche. L’élément unique déterminant pour qualifier
l’entreprise, c’est la poursuite de ce but économique.
Ceci dit, il y a quand même une nuance introduite dans le texte belge (on n’en parle pas comme ça en droit
européen): on doit poursuivre ce but économique de manière durable. Ça, on connaît déjà: cette difficulté de
distinguer des activités économiques ponctuelles, effectuées par des entités, souvent des personnes physiques
mais aussi des personnes morales, qui, en réalité, ne poursuivent pas du tout de but économique, on la
retrouve déjà dans la première hypothèse visée par la définition générale quand on parle de la personne
physique qui pratique une activité professionnelle à titre indépendante.
On a déjà parlé de la problématique de la durabilité: c’est différent d’avoir un restaurant ou d’offrir un repas
à une fancy fair et faire un profit pour l’école.
Ceci dit, l’avantage d’une telle définition, c’est qu’elle peut être interprétée en fonction des circonstances de
fait. En fonction des circonstances, on appréciera si on est dans un cas où la durabilité peut être remplie ou
pas. Parfois, un événement, même ponctuel, pourrait être considéré comme durable. La portée de cette
précision, c’est qu’a priori, l’acte unique ne suffit pas. Vendre une chose, ça ne suffit pas.

C’est indépendant du but de lucre! Si on repense à la discussion sur le but de lucre, la distinction entre
l’association (TUYAU examen: comparer la société et l’entreprise: est-ce que toute société est une
entreprise?). Le but de lucre n’est pas imposé par la définition. C’est un élément important du droit de la
concurrence, qui a pu s’étendre à toutes les organisations sur le marché, même celles qui n’avaient pas de but
lucratif, comme certaines organisations publiques ou des ASBL. Mais il y a une différence avec la définition
générale: l’ASBL peut être une entreprise, si elle poursuit une activité économique. Alors que dans la
définition générale, l’ASBL était automatiquement une entreprise puisqu'il s’agissait d'une personne morale.

Cette définition, extrêmement large et extensible, a permis en 2013 de faire sauter les anciennes balises et
limites de la notion de commerçant. Parce que par exemple, un avocat qui preste des services sur un marché
est une entreprise. Un hôpital est une entreprise, le médecin peut être une entreprise également. C’est une
activité économique au sens de la définition. Donc les professions libérales, a priori, rentrent dans la
définition générale de l’entreprise.

59
« Y compris ses associations »: c’est à nouveau une histoire belge qui est complètement incohérente. Cette
partie de définition, selon le professeur, aurait dû être enlevée au moins en 2018, si on ne s’était pas rendu
compte de l’idiotie en 2013. Mais ça n’a pas été fait.
Cet ajout s’explique par un besoin très particulier qui concernait l’application du droit de la concurrence.
L’enjeu était la possibilité de rentrer sous le champ d’application de l’ancienne loi sur les pratiques
commerciales pour une action en cessation en cas de violation des règles contenues dans le droit de la
concurrence. Parce qu’au départ, il n’y avait pas de loi belge relative à la concurrence telle qu’on l’a insérée
aujourd’hui dans le livre V.
C’est un problème qui s’était posé avant le code de droit économique, on a repris une définition qui était déjà
reprise dans la dernière mouture de la loi sur les pratiques commerciales. L’enjeu, c’est qu’en droit européen
de la concurrence, on utilise la notion d’association d’entreprises comme étant destinataire de respect des
normes de concurrence.
Une association d’entreprises, c’est par exemple la FEBIA qui rassemble les importateurs automobiles en
Belgique, ou la FEB, fédération des entreprises belges.

Pour le droit de la concurrence, ces associations représentent un danger potentiel, parce qu’elles regroupent
en leur sein des entreprises qui sont normalement en concurrence. Or, on se méfie très fort des ententes entre
les concurrents, et c’est un des comportements qui est banni par le droit de la concurrence. Ce sont des
concurrents qui se voient et qui se disent « on va arrêter de se faire la guerre, c’est fatigant, entendons-nous,
fixons les prix ensemble plutôt que de se faire une concurrence par les prix, ou partageons-nous les
marchés ». Les ententes entre entreprises posent un énorme problème en matière de concurrence. Ces
ententes arrivent et, souvent, sont faites sous le couvert d’association professionnelle. C’est l’association
elle-même qui, de par son pouvoir d’imposition à ses membres, va imposer, le cas échéant, au secteur dans
lequel elle agit, des limitations volontaires de concurrence.
Par exemple: un ordre professionnel qui fixe d’autorité un barème d’honoraires, et ce barème devient
obligatoire parce que c’est une règle déontologique. C’est une décision d’association d’entreprise, et ça peut
être considéré comme illicite, comme constitutif d'une entente illicite, en tant que décision de l’organisation.
À l’époque, ce qui s’est passé, c’est que l’association d’entreprises n'est pas une entreprise. Ses membres
sont des entreprises, mais elle, elle n’est là que pour leur faciliter la vie. Ces organisations ont des tâches qui
sont relatives aux services de leurs membres. Normalement, ça ne constitue pas une activité économique qui
fait de cette association une entreprise. Dès lors, elles sortaient du champ d’application des titulaires de cette
fameuse action qui ne visait que les entreprises, et ça rendait difficile de mettre fin à la violation de ces règles
de concurrence. Donc on a inséré dans la notion d’entreprise un concept d’association d’entreprises, qui vient
du droit de la concurrence, qui ne correspond pas à l’objet de la définition d’entreprise, mais on a
instrumentalisé la définition pour permettre la possibilité aux associations d’entreprises d’être poursuivies
dans le cadre d'une action en cessation.
On a laissé ça dans le texte alors que ça n’a plus rien à y faire, parce qu’aujourd’hui on est loin de cette
situation et que le droit de la concurrence a ces procédures spécifiques qui permettent la poursuite et

60
d’obtenir des décisions de cessation propres à cette matière. Mais on a quand même laissé ça dans la
définition.
C’est d’abord l’autorité de concurrence qui prend une décision, et elle les condamne elle-même.
On ne voit donc plus très bien pourquoi on a encore besoin de faire rentrer l'association d’entreprises dans les
entités à l’égard desquelles veut pouvoir faire une action en cessation.

Cette définition est importante, elle est applicable dans plusieurs livres. Mais il y a des interprétations
divergentes au niveau européen, qui peuvent même être distinctes de matière à matière. On ne peut pas faire
l’économie des interprétations données par la CJUE dès lors qu’on est dans une matière réglée par le droit
européen.

Exemple: arrêt BKK du 3 octobre 2013: il y a à nouveau une ambiguïté de départ: on est en matière de
protection des consommateurs, et les directives parlent aussi bien de professionnels que d’entreprises. On est
face à la problématique de savoir quand un organisme d’intérêt public peut être considéré comme une
entreprise et soumis au respect de certaines règles du droit de l’entreprise, en l’espèce, des règles relatives à
la protection des consommateurs. On est dans le champ d’application du livre VI.
Il s’agissait d’une caisse d’assurance maladie du régime légal allemand. C’est un organisme public,
conformément à la réglementation allemande sur ce type d’organisation juridique.
Elle est poursuivie pour une action similaire à l’action en cessation, par une association de consommateurs.
En Allemagne comme ça peut arriver ailleurs, il y a eu une poursuite de cette association de consommateurs
contre BKK car elle considérait qu’il y avait publicité trompeuse et publicité qui comportait des omissions à
l’égard des potentiels clients de cet organisme public. Ce qu’ils font, c’est de dire que si les clients partent,
ça va être compliqué, ils vont devoir payer plus cher, etc. En réalité, ce n’est pas vrai, dit l’association de
consommateurs. L’information ne correspond pas à l’état de la législation. L’association met donc en
demeure l’organisme public de cesser la diffusion desdites informations, mais elle réclame aussi la signature
d’un engagement de ne plus recommencer, assortie d’une clause pénale, ainsi que les frais judiciaires.
BKK reconnaît avoir commis l’infraction, elle enlève la mention, mais elle ne veut pas s’engager à l’égard de
l'association de consommateurs de ne plus recommencer, et elle ne veut pas non plus payer les frais
judiciaires. On est donc là sur un accessoire du litige principal, puisque le litige principal, c’était la mention.
Elle retire la mention, mais n’accepte pas les modalités de retrait que veut lui imposer l’association. Elle se
retrouve devant les juges et il y a toute une procédure devant les juges allemands. Après appel, on se retrouve
devant une des cours suprêmes (équivalent de la cour de cassation), qui se pose la question de savoir si, en
réalité, cette action pouvait être validée et acceptée dès l’instant où il s’agissait en fait d’une infraction d'une
pratique commerciale malhonnête. Cette matière a été harmonisée via une directive, et BKK a dit tout de
suite qu’elle n’était pas une entreprise, elle est une autorité publique. C’était dans le cadre de sa défense. Et
la cour se dit qu’elle ne sait pas, au départ des définitions qu’on retrouve dans la directive, répondre à coup
sûr à cette question. Elle a été dans les conditions pour surseoir à statuer et poser à la CJUE une question
préjudicielle: la question de savoir si on pouvait appliquer les dispositions en matière de publicité trompeuse

61
à partir de l’instant où BKK était un organisme d’intérêt public avec une mission d’intérêt général,
conformément à son régime légal.
La cour se lance dans une interprétation assez fine, une interprétation finaliste de cette notion d’entreprise.
D’abord, elle rappelle d’emblée qu’on parle de concepts de droit européen et qu’on doit donc reconnaître une
interprétation autonome et uniforme qui s’impose aux législations nationales de par la force du droit
européen. C’est une législation autonome, et la cour est gardienne et même créatrice de cette interprétation.
La cour remarque que la directive parle d’entreprise et aussi de professionnel, et donc il va falloir mettre de
l’ordre si on veut s’y retrouver, sinon ça ne va pas le faire. Elle dit d’abord que les notions de professionnel
et d’entreprise, c’est la même chose. Ça doit s’interpréter de la même manière.
Cela étant fixé, elle dit que la notion de professionnel est extrêmement large. La notion n’exclut certainement
pas d’elle-même de son champ d’application des entités qui poursuivraient des missions d’intérêt général ou
qui auraient un statut de droit public. Cette approche fonctionnelle européenne exclut de se fonder sur le
statut des entités pour décider s'il s’agit d’une entreprise ou pas, et ici ça en est un exemple.
La cour devient vraiment intéressante quand elle dit que pour comprendre les limites de la portée de la notion
d’entreprise ou de professionnel, il faut repasser à la notion de consommateur et il faut prendre en
considération les finalités mêmes du texte, de la protection qui est mise en place par cette directive. Et là, elle
rappelle que cette directive visait à assurer un niveau commun élevé de protection des consommateurs, en
procédant à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales. Elle
remonte à la ratio du texte, et elle se demande pourquoi on a besoin d’un texte pareil. Parce que vis-à-vis
d’une entreprise, le consommateur se trouve toujours dans une position d’autorité. Il doit toujours être réputé
comme économiquement plus faible et juridiquement moins expérimenté que son adversaire. C’est (min 52).
C’est ce critère qui, le cas échéant, fait pencher la balance pour une interprétation ou pour une autre.
La cour se dit que dans le fond, ces destinataires des prestations de BKK, ils arrivent sur le site internet et on
leur ment honteusement pour les garder près de cette institution. Ce n’est pas normal, ils doivent aussi être
protégés à l’égard de ce type de pratiques. Dès lors, puisque cette protection se justifie dans le chef des
consommateurs qui sont les utilisateurs des services de BKK, BKK, si possible, doit être interprétée comme
rentrant dans la définition d’entreprise. Et BKK est bien un professionnel au sens de la directive. Et la cour
se fiche de savoir qu’elle poursuivait en l’espèce un intérêt général et qu’elle exerçait ses missions d’intérêt
général au moment où elle commet l’acte.
Ce qui est intéressant pour nous, c’est de se dire qu’on est loin de l'interprétation dont on a parlé de la notion
d’entreprise, et qu’en droit de la concurrence, on ne raisonnerait pas comme ça. Une autorité publique qui
exerce ses compétences dans le cadre de ses missions d’intérêt général n'est pas une entreprise en droit de la
concurrence, elle n’est une entreprise que si on peut détacher ses activités économiques de ses activités non-
économiques (théorie de l’acte détachable). Ce n’est pas le même prisme de raisonnement pour solutionner
le même problème. C’est une interprétation de type finaliste qui prend la protection du texte en
considération, et c’est cette finalité de protection qui balise ensuite l’interprétation.

62
On peut se demander, à propos de cela, comment on réfléchirait en droit belge. On va devoir tenir compte de
l’arrêt BKK, parce qu’on est dans ces matières-là. Et il faudra interpréter la définition que l’on a de cette
manière-là. C’est toute l’ambiguïté de ces essais d’harmonisation.
C’est très difficile, dans cette matière européenne qui recouvre plein de petites matières, d’harmoniser des
situations différentes.

Chapitre 2. Règles encadrant l’accès au marché des


entreprises
Section 1. Liberté d’établissement et prestation de services
Ces dispositions proviennent de la directive « services » européenne. On les trouve aux art III.1 et suivants
du CDE.

Il s’agit de dispositions qui transposent principalement une directive européenne qui date de 2006. Elle est
relative aux services dans le marché intérieur. C’est une directive connue dans l’histoire du droit européen.
C’est la directive dite Volkenstein, du nom d’un commissaire européen qui a porté cette directive et qui a
tenté de la faire adopter par le parlement. Ça a été un échec cuisant, et une des premières fois où on a vu un
émoi porté dans chaque Etat membre, principalement par les associations de protection des consommateurs.
Pourquoi le texte initial de cette directive a-t-il posé tellement de difficultés et a, finalement, été rejeté?
Principalement parce qu’il tentait de mettre en œuvre un principe simple, mais révolutionnaire: la règle du
pays d’origine. Cette règle avait pour effet de soumettre le prestataire de services aux règles applicables dans
son pays d’origine, c’est-à-dire dans le pays où il était établi. Donc l’idée, c’était que si, au départ, on prestait
nos services en Allemagne ou en Italie, à destination d’autres pays, a priori on était soumis aux seules
dispositions de notre Etat d’origine, au regard des modalités de cette prestation de service. Donc l'Etat de
destination du service ne pouvait pas ajouter à la législation d’origine des conditions particulières ou
spécifiques quant aux modalités de prestation de service. C’était évidemment révolutionnaire et très à
l’avantage du prestataire de services, puisque celui-ci, quand il était en libre prestation de service (ça veut
dire qu'on reste établi dans notre pays d’origine et on offre des services dans un autre pays membre, au
départ de ce pays - donc on ne s’établit pas dans notre pays-cible), pouvait ne pas être confronté à une
multitude potentielle de législations différentes. C’est quand même la solution contraire au développement
du grand marché! A priori, l'idée du grand marché, c’est qu’on devrait pouvoir offrir nos services d’un pays à
l’autre sans rencontrer de nouveaux obstacles juridiques à notre prestation de service. C’était cette
philosophie qui était à la base de la directive service. Et là, le tollé, parce que les associations de
consommateurs ont dit « est-ce que vous vous rendez compte dans quelle situation vous mettez le
consommateur? », donc le consommateur, lorsqu’il voudra s’assurer de la licéité de la prestation de service
ou qu’il aura un problème avec son prestataire de service, on va lui demander de réfléchir au regard d’une loi
qui n’est pas la sienne! Qui est celle du pays d’établissement du prestataire du service, et ça, c’est encore les
mettre dans une situation pire qu’ils ne sont, c’est alourdir encore le déséquilibre essentiel qui existe entre la
63
situation du consommateur et du professionnel, notamment relativement à la connaissance du droit. Donc on
n’en veut pas. C’est un des premiers grands débats d’origine juridique qui a secoué les pays européens dans
le début des années 2000, et la commission a dû revoir sa copie.
Les dispositions dont on parle ici sont en partie les reliquats de la directive service telle qu’elle est
finalement passée, c’est-à-dire dans une version light.
Par contre, en matière de commerce électronique, on a retenu le principe du pays d’origine.

C’est quelque chose d’essentiel, de savoir à quelles exigences on peut être soumis en cas de prestation de
services transfrontières! C’est à la base aussi du développement des nouveaux services.

§1. Champ d’application défini négativement


Si on prend le livre III, on verra qu’a priori, le champ d’application de ces dispositions est assez large, c’est
principalement le champ d’application de la directive.
On ne parle que des services! Pourtant, on va parler directement de la liberté d’établissement. On est dans le
cadre de l’offre de services, et il y a 2 possibilités pour un prestataire de services étranger: soit il vient
s’établir chez nous, soit il preste en libre prestation de service. Les deux cas de figure sont visés dans les
dispositions, mais on ne parle que des services! Pas de la vente de biens.

On a une définition du service, évidemment, dans le livre I (art I.2, 5°).


C’est un texte juridique qui a été extrêmement difficile à faire adopter par les Etats membres, donc on a un
principe, mais des tas d’exceptions. Les cas sont multiples, surtout dans la nouvelle économie, de ce que
peuvent faire les prestataires de services par rapport aux destinataires des services.
Donc ça s’applique aux services, mais! On a une liste très longue d’exceptions. Souvent, ça ne veut pas dire
qu’on ne reconnaît pas, dans le cas de ces offres-là, la libre prestation de service ou la liberté de prestation de
services. Souvent, ça veut dire que dans ces domaines, iil y a des dispositions particulières qui se situent en
dehors de la directive générale services. Par exemple, les communications électroniques: c’est dans la
directive e-commerce qu’on règle le problème de la libre prestation de services. Donc les exclusions ne
veulent pas dire qu’on ne reconnaît pas la libre prestation de service, ça veut simplement dire qu’il y a, le cas
échéant, d’autres dispositions applicables en dehors de cette directive.
Donc d’entrée de jeu, c’est difficile de savoir si on est concerné par les dispositions de ce livre III ou pas,
même si on offre des services.

Quelles sont les règles finalement? Les règles de contenu sont un peu décevantes, ce n'est pas grand chose,
les dispositions qu’on va trouver là dessus. Il y a 2 parties: liberté d’établissement et liberté de prestation de
services.

§2. La liberté d’établissement des prestataires

64
Il y a une définition de la notion d’établissement (art I.2, 6°). L’établissement, c’est l’idée qu’on va prester
notre service au travers d’une structure qui va être présente sur le territoire du pays où la prestation de
service va être effectuée. Ça peut être une filiale, un magasin, une simple usine… ça couvre des réalités fort
différentes, ça n’est pas seulement l’idée de créer une société. C’est savoir si on a, sur le territoire, une
structure permanente qui est là au service de notre activité et qui joue un rôle dans l’offre de services sur le
territoire sur lequel on est situé.
C’est aussi un concept européen et il y a lieu de l’interpréter par la jurisprudence de la CJUE.

Il y a principalement 3 types de règles dans les dispositions:


1. L’idée qu’on va quand même admettre les régimes d’autorisation au libre établissement. Quand on veut
s’établir dans un pays, qu’est-ce qu’on doit faire? A priori, rien, ou en tous cas on va essayer que l’Etat
de destination ne puisse pas trop nous imposer en termes d’autorisations, parce que c’est ça dont on se
méfie le plus. On est parfois tenté de soumettre ces entreprises étrangères à des régimes d’autorisation
particuliers pour pouvoir prester au sein d’un établissement belge, mais le droit européen dit que le
principe, c’est de n’admettre ces régimes que de manière totalement exceptionnelle, dans des conditions
strictes et contrôlées qui sont insérées dans ces dispositions (art III.2 par exemple). C’est assez fin: on
ne dit pas qu’on ne peut pas (même si ça aurait été mieux), on dit qu’on peut le faire, mais dans certaines
circonstances et en répondant à des conditions extrêmement strictes. Le régime doit être non
discriminatoire, il faudra justifier le régime d’autorisations par un motif impérieux d'intérêt général,
c’est-à-dire que l’intérêt général exige qu’on impose une condition particulière à la volonté
d’établissement de l’entreprise en question. Il y a aussi une règle de proportionnalité: l’objectif poursuivi
ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante.
Et puis, il y a des critères qui sont là pour éviter l’arbitraire (art III.3). On veut éviter l’arbitraire dans le
contrôle du respect des conditions qu’on aura mises à l’établissement. On ne peut pas laisser à l’autorité
qui va contrôler le respect des conditions une trop grande marge de latitude qui va être arbitraire.
2. Une équivalence entre les législations des Etats membres. Par exemple: art III.5. s’il y a des conditions
d’octroi d’une autorisation, elles ne peuvent pas faire double emploi avec les exigences et contrôles
équivalents ou essentiellement comparables auxquels est déjà soumis le prestataire de services, en
Belgique ou dans un autre Etat. Donc éviter autant que faire se peut des contrôles qui ont déjà eu lieu, en
Belgique ou dans un autre Etat. Il faut coordonner ces contrôles et les compétences qui vont avec.
3. Des règles de procédure. On veut absolument éviter la non-transparence de toutes ces conditions
d’établissement.

§3. Le régime de la libre prestation de services


On est là vraiment dans ce qui était controversé dans la directive Volkenstein. On en revient à l’affirmation
d’un principe light qui ressemble étrangement à ce qu’on vient de dire au niveau de la liberté
d’établissement.

65
Il faut bien se rendre compte que ce n’est pas la même chose! Mais les principes de protection sont
extrêmement proches (ex: l’art III.13 est similaire à l’art III.2). Mais les raisons sont plus étroitement
définies que pour la liberté d’établissement. Pour la liberté d’établissement, on parlait d’un besoin impérieux
d’intérêt général. Ici, on ne reprend pas cette idée, mais on prend une liste limitative de situations relevant de
l’intérêt général (sécurité publique, protection de l’environnement, santé publique…). C’est plus limité, si on
ne tombe pas dans ces cases, on ne peut pas justifier d’un régime d’autorisation.
Il y a là aussi un régime de proportionnalité.
Grosso modo, ce sont le même type de règles.

De nouveau, on exclut des critères qui ne peuvent pas être utilisés dans ce régime d’autorisations de
prestation de services, par exemple l’art III.13, §2. Les Etats aiment bien mettre ce genre de conditions
d’obligation d’établissement en Belgique par exemple. Mais c’est exceptionnel et ça doit être spécialement
justifié. Ça ne doit pas être un frein à la libre prestation de services.

Ce qui est intéressant dans cette matière, c’est de la lier directement à la problématique des services e-
commerce, donc dans la société de l’information. Il faut trouver une définition ad hoc qui se distingue de la
définition normale de prestataire de service.

Si on prend le livre XII, on verra que les art XII.2 et XII.3 parlent de principes de liberté d’établissement et
de libre prestation de service. Donc il y a des dispositions spécifiques à l’e-commerce, tant pour
l’établissement que pour la prestation. À l’art XII.3, on a la traduction pour cette matière du principe du
pays d’origine.
Si on est établi sur le territoire français et qu’on veut offrir, en Belgique, des services de la société de
l’information, on est soumis au droit français. Et a priori, le droit du pays destinataire n’a pas à s’appliquer.
C’est une disposition extrêmement compliquée et on ne va pas rentrer dans le détail.

La règle ici est beaucoup plus forte que celle dont on a parlé tout à l’heure, on nous dit clairement qu’il n’y a
qu’un droit qui est applicable et que le droit du pays destination n’a pas à s’appliquer. Et en réalité, il peut
s’appliquer, mais dans des conditions extrêmement particulières et spécifiques. Par exemple, le dernier alinéa
est un piège interprétatif: ce principe du pays d’origine ne s’applique qu’à la prestation du service, et si le
service s’accompagne de la production d’un bien, tout ce qui est livraison du bien tombe en dehors de ce
principe du pays d’origine. Donc dans l’application, c’est compliqué.

Il est intéressant de voir les enjeux de cette disposition par une série d’arrêts rendus par la cour ces dernières
années: en 2017, 2019 et 2020. Ce sont tous des arrêts relatifs à des plateformes d’intermédiation de services.
Ces plateformes, c’étaient d’abord des prestations de services de type Uber, donc une plateforme qui offre un
service qui consiste à mettre en rapport des utilisateurs de services de transport avec des prestataires de
transport.

66
La première affaire concerne une filiale d’Uber en Espagne.
La deuxième affaire concerne Airbnb Irlande qui se voit soumis à des conditions de prestation de service
particulières en France.
Le troisième arrêt concerne à nouveau des prestations de taxi (mais pas Uber).

C’est intéressant de comprendre l’enjeu et de voir la portée que peuvent avoir ces règles de libre prestation
de services par rapport à des systèmes que l’on connaît bien.

Affaire Uber:
On est dans l’agglomération de Barcelone. Une association de taxis intente des actions contre Uber Espagne
en disant qu’il viole la réglementation en vigueur à Barcelone et qu’ils commettent des pratiques trompeuses
et des actes de concurrence déloyale. Pourquoi? Parce que ni Uber lui-même ni les chauffeurs non
professionnels qu’il utilise ne disposaient des licences et des agréments qui étaient prévus par un règlement
applicable aux services de taxi dans l’agglomération de Barcelone. Donc on est dans la situation décrite
auparavant, où on a une société qui offre des services en libre prestation de service dans un pays alors qu’elle
est établie ailleurs (Uber est établi en Irlande).
Le problème est de savoir si Uber devait disposer de ces autorisations administratives. Tout le problème
juridique va être de savoir s’il s’agit d’un prestataire de services de transports, parce que si c’est le cas, il est
soumis à certaines réglementations en matière de liberté de prestation de services, et dans ce cas, ces
principes ne s’opposent pas à la soumission d’Uber à une licence. Ou s’agit-il d’un prestataire de services de
la société de l’information, et dans ce cas, Barcelone n’a pas à lui imposer un système de licence dès l’instant
où Uber agit dans le cadre de l'offre d’un service de la société de l’information au sens de la directive e-
commerce. Et c’est cette question qui remonte jusqu’à la cour. La cour, dans ses 3 arrêts, a véritablement
construit un raisonnement qui permet de s’en sortir et de déterminer si ces plateformes peuvent se
revendiquer de la libre prestation de services e-commerce, c’est-à-dire le principe du pays d’origine et
l’interdiction de la soumission à des règles particulières dans le pays où elles offrent leurs services, ou pas si
elles sont soumises à d’autres dispositions ou parce qu’il n’y a pas de dispositions qui s’opposent à
l’imposition de ce type de conditions.
Donc la cour commence bien entendu par décrire le service, et elle dit que c’est un service particulier, a
priori c’est bien un service d’intermédiation, Uber joue l’intermédiaire entre 2 catégories d’acteurs, elle met
en relation contre rémunération des chauffeurs non professionnels, qui d’ailleurs utilisent leurs propres
véhicules, avec des personnes qui souhaitent effectuer un déplacement urbain. A priori, on peut y voir un
service dans le domaine des transports. MAIS attention: le service d’intermédiation, dit la cour, on peut le
considérer aussi comme étant un service distinct du service de transports, qui consiste en l’acte physique de
déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un autre. Autrement dit, elle dit que Uber ne conduit
personne! C’est un chauffeur qui offre son service à un client et qui le conduit dans la ville. C’est lui, le
transporteur. Et si on ne preste qu’un service d’intermédiation, en réalité, ce service d’intermédiation entre
les deux n'est pas un service de transport.

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C’est là que ça devient intéressant: elle dit que ce service d’intermédiation, qui s’effectue via une application
sur le téléphone, peut aussi, le cas échéant, se revendiquer d’une prestation de services de la société de
l’information. Et si c’est le cas, alors, elle jouit des dispositions particulièrement avantageuses de la directive
e-commerce, et donc de l’application du principe du pays d’origine.
Elle commence à analyser le service, pour tenter de déterminer la qualification. Elle part du principe qu’un
service de transport urbain non collectif, tel qu’un service de taxi, doit a priori être qualifié de service dans le
domaine des transports, mais en réalité, il faut comprendre qu’Uber fait plus que cela et que le service
d’Uber ne se résume pas à un service d'intermédiation qui consiste à mettre en relation, au moyen de l’app
téléphonique, un chauffeur non professionnel avec des personnes. La cour dit qu’il faut se demander, et elle
va arriver à cette conclusion, si Uber n’offre pas, par son système, un nouveau service de transports propre
qui découle de son intermédiation. Dans ce cas-là, ce service d’intermédiation ne serait pas dissociable du
service de transports, et ne pourrait plus jouir de la disposition relative au principe du pays d’origine.
Comment raisonne-t-elle pour déterminer si, oui ou non, ce service d’intermédiation est indépendant du
service de transports qui est rendu possible par l’application Uber? En mettant en avant 2 critères. Elle dit
d’abord que le service d’intermédiation d’Uber présente la particularité de sélectionner lui-même des
chauffeurs non professionnels, qui utilisent leurs propres véhicules. Ça veut dire que sans l’application et le
service Uber, ces chauffeurs ne seraient pas amenés à prester des services de transport. Ce n'est pas comme
un taximan qui a le choix entre offrir ses services via la plateforme et en recevant un coup de téléphone. Ce
sont des taximen non professionnels qui offrent un nouveau service de transport qui n’existait pas avant et
qui est totalement issu de la plateforme Uber et du système d’organisation de cette plateforme et des choix
faits par Uber concernant la prestation. Uber exerce en réalité une influence décisive sur les conditions de la
prestation des services de chauffeur. Par exemple, il est établi que c’est Uber qui fixe le prix maximum des
courses des chauffeurs, et ces prix s’imposent aux chauffeurs. C’est Uber qui collecte et touche d’abord les
paiements et puis retransmet une partie du paiement aux chauffeurs. Elle exerce en plus des contrôles sur la
qualité des véhicules qui sont offerts en service, par exemple.
Autrement dit, elle participe directement à l’élaboration du service de transports, et elle ne s’arrête pas à
jouer un rôle d’intermédiation.
C’est pour ça que la cour va dire que ce service d’intermédiation doit être considéré comme faisant partie
intégrante d'un service de base dont l’élément principal est un service de transport et, partant, comme
répondant à la qualification non pas de service de la société de l’information, mais de service dans le
domaine des transports. À partir de cette qualification, elle quitte les règles du commerce électronique et va
regarder quelles sont les règles prévues pour les services de transports et où va se situer Uber en tant que
prestataire de service de transports par rapport à cette réglementation. Là, elle remarque que les services de
transport urbain non collectif n’ont pas donné lieu à une harmonisation et à l’adoption par le parlement
européen et par l’Union de règles particulières. Et donc dans l’état actuel du droit de l’Union, il revient bien
aux Etats, dans le respect des règles de l’Union, de réglementer les services en cause. Il n’y a pas de refus par
la cour d’opérer cette soumission à des conditions d’autorisation.

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Affaire Airbnb:
C’est une question très semblable qui se pose. On est en France, et le problème est le suivant:
Airbnb offre son service sur le territoire français, c’est une plateforme qui fait le lien entre 2 types
d’utilisateurs: le client qui veut trouver un hébergement, et celui qui propose l’hébergement, qui offre des
biens immobiliers à louer au travers de la plateforme. Comme souvent, Airbnb est organisé de manière
particulière au niveau du droit des sociétés: ils ont leur société américaine, la filiale européenne est installée
en Irlande, et c’est cette plateforme qui gère le service de base de la mise à disposition de la plateforme en
elle-même. Ils ont alors souvent des sociétés dans certains autres pays européens, qui n’offrent pas vraiment
le service mais le vendent, elles en font la publicité et font un service commercial.
Airbnb, comme souvent, n'est pas un simple intermédiaire, dans le sens où ils offrent toujours des services en
plus de l'intermédiation dure. Ils offrent, par exemple, un service de photographie des biens présentés, des
assurances responsabilité civile, des services de calcul de la valeur de la location… ce qu’ils font aussi, c’est
s’occuper des paiements. Quand on paie à Airbnb la location de notre chambre, en réalité, le paiement va
auprès d’une société spécialisée du groupe, qui a pour objet précisément de gérer les paiements. Et ils vont
retenir le paiement jusqu’à ce qu’on soit dans le bien, histoire aussi de ne pas payer les offreurs et puis
d’arriver et il n’y a plus de place mais ils ont déjà l’argent. Donc ils retiennent l'argent jusqu’à ce qu’ils
sachent que les clients sont arrivés au bien de location et vont pouvoir en jouir le temps convenu.
Ces circonstances vont avoir un intérêt pour le raisonnement de la cour. Le problème, c’est que l’association
française pour un hébergement et un tourisme professionnels a déposé une plainte pénale contre Airbnb en
France, en disant qu’ils exerçaient l’activité de gestion d’immeubles de manière illicite et illégale puisqu’ils
n’étaient pas titulaires d’une carte professionnelle qui était imposée en France. Au soutien de sa plainte, le
plaignant, connaissant l’arrêt précédent, attire l’attention sur le fait que Airbnb ne se contente pas de faire de
l’intermédiation, mais qu’elle propose de nombreux services complémentaires qui caractérisent
l'intermédiaire en biens immobiliers. C’est ça son vrai métier, et pour ça, elle doit obtenir la carte etc.
Dans la procédure, le juge d’instruction va poser une question préjudicielle à la cour: est-ce que ce service,
finalement, peut être considéré comme un service de la société de l’information ou non? Toujours avec
l’enjeu que si oui, son application devra être rejetée au nom de la libre prestation de service puisqu’il suffit
d’être en ordre dans son pays d’origine, ce qui est le cas pour Airbnb.
La cour commence son raisonnement, et ici on est vraiment dans le cas qui nous occupe: soit on tombe sur le
régime de la prestation de service tel qu’il est organisé dans le livre III du CDE, soit on tombe dans le régime
spécifique de la directive sur le régime de la société de l’information.
Comme dans chaque affaire de ce type, se pose d’abord la question de savoir si on est dans un service de la
société de l’information. Cette définition est simple: c’est tout service pressé, normalement contre
rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande d’un destinataire de service. Pour Airbnb,
c’est facile: c’est un service presté contre rémunération, même si la commission est perçue auprès du
locataire et pas auprès du loueur. C’est un service qui est offert à distance, le service d’intermédiation
n’implique pas que le locataire et l’utilisateur se rencontrent, et l’exécution de ce service se fait sans
présence physique simultanée des acteurs en cause. Ensuite, c’est clair que c’est un service fourni par voie

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électronique, puisqu’on y accède via une app reliée à la plateforme. Et c’est bien fourni à la demande
individuelle des destinataires, puisqu’on choisit individuellement les biens qui nous intéressent.
Donc à nouveau, la cour réitère sa première jurisprudence. On attendait ce point là: elle dit que c’est un
service de la société de l’information, MAIS il faut vérifier si ce service d’intermédiation fait partie d’un
service plus global dont l’élément principal relèverait d’une autre qualification juridique (ici, prestation de
service d’hébergement). Donc à nouveau, c’est le lien à faire entre le service d’intermédiation et le service
qu’il aide, qu’il accompagne. Et ici, c’est bien un service d’hébergement.
De nouveau, sur quoi va porter le débat? Sur ces fameux services complémentaires: est-ce qu’ils
transforment l’intermédiation en un service plus global d’hébergement? Et là, la cour dit que la nature des
liens entre les services ne justifie pas d’écarter la qualification de service de la société d’information. Donc
elle annonce déjà: elle ne va pas prendre la même décision que dans l’affaire Uber, parce qu’elle considère
que les services complémentaires doivent se comprendre de manière différente dans les deux cas. Elle dit
qu’ici, en l’espèce, le service de Airbnb est dissociable de l’opération immobilière proprement dite. Ce que
fait Airbnb, dit la cour, c’est offrir un outil qui facilite la conclusion de contrats portant sur des opérations
futures de ce type. L’intermédiation, ici, ne peut en aucun cas être considérée comme un pur accessoire d’un
service principal d’opération immobilière. D’abord, la cour remarque que ce service n'est pas indispensable à
l’ordre de service d’hébergement principal. Les offreurs n’ont d’ailleurs, la plupart du temps, pas attendu
Airbnb pour offrir des biens en location, ou en tous cas ils pourraient offrir ces biens sans Airbnb et son
intermédiation.
Deuxièmement, elle n’organise pas de service d’hébergement, elle ne plafonne pas le montant des loyers, et
les services qu’elle donne en plus, elle considère que c’est vraiment l’accessoire du service d’intermédiation
et pas le concret.
Et puis, elle compare à Uber pour bien prendre distance. Elle ne change pas d’avis, elle dit simplement que la
situation factuelle est différente, et n’amène pas dès lors la même solution. Uber est un service nouveau de
transports qui mène à une intermédiation, et il y a une gestion et une organisation imposée par Uber, ce qui
n'est pas le cas.

Affaire des taxis:


On est en Roumanie et on est de nouveau devant un service d’intermédiation dans le domaine du transport.
La différence ici, c’est qu'il s’agit d’un service qui se conclut directement avec des chauffeurs de taxi
professionnels, qui sont habilités à effectuer des transports par taxi en Roumanie. C’est une application qui
géolocalise, et quand on demande un taxi, elle donne la liste des taxis affiliés qui sont proches. Le taxi
accepte ou pas la course et arrive. Ils ont un téléphone particulier avec une carte SIM particulière.
Là aussi, la municipalité de Bucarest a pris un règlement particulier, et elle impose à tous ceux qui offrent un
service de dispatching (et on est bien dans le cas ici) d’être habilités par la municipalité pour pouvoir offrir
leurs services.
Donc le prestataire de services se voit réclamer une amende administrative pour ne pas avoir respecté cette
législation. On est dans une procédure interne, qui ne suit d’ailleurs pas la jurisprudence Uber. Finalement,

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une juridiction va se poser la question de la qualification de la société de taxi (propose-t-elle un service de la
société de l’information ou pas) et sur l’application du régime qui y est lié.
La première chose que fait la cour, c’est de chercher à qualifier le service. On a toujours la même définition.
À nouveau, la cour dit que ça ne suffit pas, il faut déterminer si on peut conserver cette qualification ou pas,
du fait que ce service d’intermédiation ferait partie intégrante d’un service plus global dont l’élément
principal serait un service relevant de la qualification juridique de prestation de service dans le domaine des
transports. Là, elle fait à nouveau la comparaison avec la situation d’Uber, et elle dit que ce n’est pas du tout
la même situation, parce qu’à nouveau, il n’y a pas de création d’un service de taxi spécifique, ce sont des
taxis professionnels, ils peuvent déjà offrir leur service avant l’application, et ils n'ont pas besoin de cette app
pour exister et rendre possible l’offre qu’ils peuvent transmettre.
Deuxièmement, elle met en exergue le fait que ce prestataire qui offre l’app et le système, n’offre pas
vraiment un déplacement, il ne perçoit même pas le prix de la course, il ne contrôle pas les véhicules, il n’a
quasiment pas de service connexe au service d’intermédiation. Et donc sur cette question, la cour dit qu’il
s’agit bien d’un service de la société de l’information qui bénéficie de la libre prestation de service.

Il y aura sans doute encore des arrêts, même si, après ces 3 arrêts, ça devient assez clair et on voit assez bien
comment on trace la différence entre les deux régimes de prestation de services.

Section 2. Banque-carrefour des entreprises (BCE)


C’est une autre condition d’accès au marché qu’il faut souligner.
On peut trouver les dispositions ad hoc dans le CDE, titre 2 du livre I.

D’où vient cette BCE? D’une institution ancienne qu’on appelait le registre de commerce. Il fallait s’inscrire
dans un registre de commerce dès l’instant où on offrait une prestation de type commercial. Pratiquement,
tout commerçant, toute personne qui désirait offrir un bien ou un service de manière commerciale à l’époque
(et on passait par la définition des actes de commerce qui est très particulière), toutes ces personnes devaient
s’enregistrer au tribunal de commerce dans le ressort duquel se situait le siège social de son activité. Ils
remplissaient une liste, ils donnaient des informations d’identification et puis ils décrivaient, via des
catégories prédéterminées, assez précisément le type d’activité commerciale qui allait être offert. C’était
assez spécifique. L’idée, c’était de centraliser l’information relative aux commerçants et aux sociétés
commerciales qui exercent sur un territoire, et qui était un territoire dispersé et pas uniforme (le territoire par
arrondissement judiciaire). Ça permettait aux autorités administratives d’exercer un contrôle. L’Etat a
toujours été intéressé par et a senti la nécessité de devoir exercer un contrôle sur l’activité économique.
Diverses finalités sont venues se coller à ces finalités de départ qui étaient simplement de s’informer et de
savoir quelles activités étaient sur le territoire.
- Une des premières finalités était une finalité fiscale: pouvoir choisir qui ils allaient contrôler (par exemple,
tous les coiffeurs de l’arrondissement judiciaire). Cette identification permet de stimuler des contrôles de
type fiscal dans l’arrondissement.
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- Des contrôles de type administratif: par exemple, un contrôle préventif de certaines attestations d’accès à
certaines professions (surtout les entrepreneurs qui doivent avoir des attestations spéciales pour exercer
cette profession).
- Des fonctions statistiques: c’est intéressant et important pour les autorités publiques quant à la stratégie
économique qu’on doit suivre. Ça peut permettre, par exemple, d’identifier des métiers en pénurie. Si on
suit l’enregistrement, on sait, année après année, quels sont les métiers qui disparaissent et quels sont aussi
les métiers dont on va avoir besoin et qui vont disparaître.
Donc, plein de fonctions qui s’ajoutent à simplement ce besoin de transparence initial par rapport à l’activité
économique.
Évidemment, c’est logique: au départ, on était sur papier, et ça n’avait pas évolué grandement, d’autant que
la situation de l’informatisation des greffes est ce qu’elle est. En 2000, il n’y avait toujours pas
d'informatisation correcte de cela, et donc ils ont eu l'idée de remplacer tout ce système de registre de
commerce par un système moderne, construit avec les nouveaux moyens technologiques de l’époque. En
2003, on crée la BCE. Elle modernise les registres de commerce préexistants et elle élargit le champ
d’application de l’inscription. Avec aussi une création de guichets entreprises agréés, puisque cette banque-
carrefour est principalement le gestionnaire d’un outil informatique. Souvent, les citoyens qui vont alimenter
la BCE ont besoin d’être aidés dans les formalités qu’il y a à remplir, et donc on a imaginé des personnes qui
sont là, non pas pour centraliser comme la BCE, mais qui sont complètement décentralisés pour permettre
aux entreprises de ne pas devoir se déplacer. Ces guichets donnent aussi toute une série d’informations.
Mais son but initial, c’est de récolter l’information auprès d’un public et la faire remonter dans la BCE.

Le champ d’application, on peut le trouver aux articles III.15 et III.16. et là, surprise! Normalement, c’est la
notion d’entreprise au sens de l’art I.1 qui devrait s’appliquer, mais on remarque que le champ d’application
est plus large que simplement les entreprises au sens de cet article. Il y a des autorités publiques qui n’ont
rien à voir avec l’offre de service ou d’activité économique, qui sont visées. Le champ d’application est plus
large. C’est pour ça qu’ensuite, dans le texte, quand on imagine des obligations spécifiques aux entreprises
enregistrées à la BCE, on ne parle pas d’entreprises, on parle d’entités enregistrées. Donc la BCE n’est pas
une BCE, elle a un scope beaucoup plus large, et ça explique que dans la plupart des dispositions, sauf quand
on va vraiment parler d'obligations particulières aux entreprises, on va se référer à une notion particulière qui
est la notion d’entité enregistrée.

L’idée, c’est ici de tenir un registre numérisé et de rassembler un maximum d’informations utiles concernant
ces entités. Et surtout, on va leur accoler un numéro. On va avoir un numéro d’identification qui est
particulier, un peu comme le numéro de registre national. C’est un numéro unique qui va servir à
l’administration pour nous identifier de manière certaine. C’est une source authentique. Ça sert à quoi? Ça
permet aux différentes administrations de pouvoir aller rechercher une information relative à une entreprise
en étant certain qu’il s’agit, logiquement et normalement, de l’information correcte.

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Ça va avoir des conséquences importantes, notamment à l’égard des administrations et de leurs relations
avec le citoyen. Ce qu’on a voulu éviter avec ce système, c’est que chaque administration demande à chaque
entreprise les mêmes informations. l’idée, c’est que si l’information se retrouve dans la BCE, les
administrations ne peuvent plus demander cette information directement à l’entreprise. C’est un principe de
simplification administrative: les administrations sont obligées de consulter la banque de données. Elles le
font grâce au numéro d’identification. Grâce à ce numéro, on va retrouver toutes les informations qui ont été
données par l’entreprise en cause. C’est ce qu’on appelle le « only once» dans le jargon de l’e-gouvernement.
Le principe est inscrit à l’art III.37 et III.37, c’est une réalisation du principe de la collecte unique de
données.

Une fois qu’on a compris le principe, le reste n'est pas très important. On va voir le type de données qui sont
demandées pour toute entité enregistrée (art III.17 et III.18).
À l’art III.23, on verra aussi qu’il y a l’obligation d’utiliser le numéro d’entreprise dans certaines relations
(avec les autorités administratives et judiciaires pour permettre à cette autorité de retrouver toutes les
informations, mais aussi dans une citation en justice par exemple).
Les entités elles-mêmes, dès lors qu’elles sont des entreprises, sont également obligées d’indiquer ce numéro
sur tous les actes et toutes les factures, annonces, communications, toutes pièces par lesquelles elles
communiquent, parce que c’est la clé de tout contrôle de leurs agissements et de leurs activités ( art III.25,
c’est valable uniquement pour les entreprises).

Quid des dispositions sur la publicité des informations? Parce que si on veut avoir des informations sur une
entreprise, on peut nous-mêmes aller à la BCE et chercher de l’information. Normalement, ces entreprises
doivent informer leur numéro d’enregistrement et le mentionner sur tous les actes émanant d’elles.
Art III.29 à III.30, on voit comment est organisé l’accès à la BCE, le système de libre accès pour certaines
informations, et on nous dit même que toute personne physique ou morale a accès à certaines informations
via internet.
Et puis un système d’autorisations à certaines données qui pourraient être plus sensibles, par exemple des
données considérées comme à caractère personnel. Il doit y avoir une demande d’accès spécifique pour
assurer la protection des données.
Ça a changé avec la directive RGPD et les protocoles d’accord n’existent plus. Aujourd’hui, on s’adresse
auprès de la BCE quand on veut obtenir ces informations mais elles ne sont pas en libre accès.

Il y a aussi des dispositions spécifiques pour les entreprises soumises à inscription ( art III.49 et suivants).
C’est important pour les entreprises, parce qu’elles ne peuvent pas démarrer leur activité sans avoir été
inscrites auprès de la BCE. L’art III.49 le dit. Il y a certaines dérogations, mais le principe de base, c’est
qu’elles doivent s’inscrire avant le début de toute activité.

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Attention aussi à l’art III.26, qui est une sanction qui va frapper l’entreprise qui n’aurait pas de numéro
parce qu’elle aurait omis de le demander avant d’exercer son activité. Quand on cite en justice une
entreprise, on doit mentionner notre numéro d’entreprise. Et si on n’est pas inscrit, en réalité, il y aura là une
raison d’irrecevabilité de la demande. Le tribunal accorde une remise à l’entreprise pour qu’elle puisse se
justifier et pour qu’elle prouve son inscription. Si elle ne le prouve pas dans le délai assigné, le tribunal doit
déclarer d’office l’action de l’entreprise soumise à inscription non recevable. Elle ne peut plus défendre ses
droits.

Section 3. Autres exigences générales applicables aux entreprises


Il y a quand même pas mal de conditions spécifiques, selon le type d’activité, qui sont imposées à des
prestataires d’une entreprise avant de pouvoir exercer librement leurs services.
Les principes sont souvent un peu noyés derrière les conditions, qui s’imposent en grand nombre à toutes les
entreprises quand elles offrent des biens et des services sur un marché.

- L’exigence de compétences professionnelles: dans le cas de métiers protégés ou de prestations


spécifiques et particulières, on a une loi programme du 10 février 1998 qui impose à toute personne
physique ou morale qui exerce une activité qui requiert une inscription à la BCE de fournir la preuve d'une
certaine capacité entrepreneuriale. On verra très vite que beaucoup d’entreprises n’ont pas ces
compétences. Parfois, ça marche du tonnerre, mais le gérant confond sa poche avec la caisse. Ce n’est pas
de la mauvaise volonté, mais il n’y connaît rien, il ne sait pas faire la comptabilité et voilà. Il a des
obligations, des droits et devoirs envers les administrateurs, et tout ça demande de plus en plus de
compétences. Si on ne les a pas, on va souvent se retrouver sur le sentier de la faillite, avec tout ce que ça
comporte. L’idée, ça a été de prévenir ces situations, et notamment on vise ici les petites et moyennes
entreprises.
Cette loi a été régionalisée, et maintenant on a 4 versions: une de chaque région et la version fédérale qui
reste. C’est pratiquement un copié-collé, mais il y a des divergences qui peuvent exister quant aux
capacités demandées ou au contrôle de ces capacités.
On renvoie à des compétences de gestion de base, compétence professionnelle qui est fixée par le roi ou
par les régions. Et on demande aux PME d’apporter les preuves de ces connaissances (par exemple par des
diplômes, des expériences pratiques de stages, connaissances de TVA ou autres connaissances fiscales…).
Il y a plein d’exceptions dans le texte, et en pratique on ne peut pas dire que ça ait eu un effet favorable.
Mais il faut attirer l’attention sur les difficultés qu’il y a à gérer aujourd’hui une entreprise dans le respect
de tout cela.
- Le commerçant étranger doit avoir une carte d’accès au territoire pour pouvoir exercer une activité
économique: ça paraît un peu lointain, mais c’est la situation qui existait avant l’UE. Une fois que l’UE a
été développée, ce système est devenu illicite sur le territoire de l’UE. Le champ d’application
aujourd’hui, ce sont des étrangers qui exercent sur le territoire une activité professionnelle indépendante,
soit en tant que personne physique ou en tant qu’association d’une personne morale de droit ou de fait.
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Ces personnes doivent être titulaires d’une carte professionnelle (art 1 loi du 19 février 1965). Là aussi,
c’est une loi qui a été régionalisée. Attention: il peut y avoir des différences assez conséquentes entre les
régions!
La carte est délivrée par le ministre des classes moyennes, et on peut aussi l’obtenir via le guichet
d’entreprise.
Ces autorisations ne sont que temporaires, elles ne permettent d’exercer l’activité que 5 ans maximum,
attendu qu’elles peuvent être renouvelées. Évidemment, cette carte est subordonnée à l’autorisation de
séjour, on doit être en ordre concernant notre séjour pour pouvoir obtenir la carte nous permettant
d'exercer notre commerce.

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Livre II. Introduction au droit des sociétés
Titre I. Les principes et les concepts
Chapitre 1. Les fondements et les sources du droit des sociétés
Section 1. Les fondements du droit des sociétés
À quoi sert le droit des sociétés? Quelles sont les principales finalités que l’on prête au droit des sociétés?
Il y a d’abord une finalité d’offrir une structure juridique de coopération à des entrepreneurs qui veulent
collaborer et qui veulent exercer une activité économique ensemble. Ils veulent évidemment en tirer du
profit, c’est le but principal d'une société. Et le droit des sociétés va proposer des outils qui vont permettre de
coopérer plus efficacement, de manière plus confortable. Le droit va offrir toute une série d’options et de
possibilités, dans le cadre du droit des sociétés, permettant à ces entrepreneurs de s’engager, le cas échéant,
en prenant moins de risques dans l’aventure, mais aussi permettre à ces structures de fonctionner tout
simplement plus facilement qu'en restant non organisés. Par exemple: les sociétés à responsabilités limitées
permettent aux associés de limiter leurs risques à l’apport, à ce qu'ils mettent au sein du patrimoine de la
société (et qu’on n’aille pas chercher dans leur poche si des dettes subsistent).
Donc une structure de coopération entre associés pour leur permettre de collaborer plus efficacement.

Deuxième finalité: c’est de protéger les créanciers, assurer aux créanciers une protection plus efficace à
l’égard des risques qu'ils vont prendre, dans le cadre de leur activité économique, de par les relations
d’affaires qu’ils vont avoir avec la société, que ce soit en tant que fournisseurs, que partenaires voire même
que clients. L’existence même de l’organisation légale de la société assure une plus grande prévisibilité et
une plus grande sécurité juridique par rapport au comportement qu'on peut attendre de l’entreprise sur le
marché. Et puis les règles qui assurent le bon fonctionnement de la société, au sens juridique du terme, ces
règles ont aussi souvent comme objet d’équilibrer les différents intérêts des détenteurs d’enjeux, c’est-à-dire
de toutes l es entités qui vont avoir un contact juridique ou économique avec la société. C’est pour ça que la
société obéit à des règles importantes de transparence. Il y a des sociétés plus simples qui sont moins
transparentes (les sociétés sans personnalité juridique ne doivent pas obéir à de nombreuses conditions, mais
dès qu’on a la personnalité morale, on est soumis à une série de règles de publicité lors de la constitution de
la société). C’est important et c’est organisé par le droit des sociétés au sens large. Grâce à la publicité, on a
une connaissance de la capacité financière de la société et donc le gage des créanciers, c’est-à-dire l’idée que
l’actif de la société, une fois qu’on le connaît, on sait ce qu’il y a en garantie par rapport au paiement des
dettes. La comptabilité d'une société permet de mesurer le risque que l’on prend en traitant avec eux.

Troisième finalité: on rentre dans des finalités plus spécifiques, qui ne vaudront que pour certains types de
sociétés: garantir aux associés de contrôler l’activité des administrateurs. Plus la société est concrète, plus
elle est importante. Une société anonyme, aujourd’hui, on peut en fonder, mais c’est plus lourd et ce sont des
sociétés qui sont créées en vue de pouvoir obtenir un financement privé, donc de rassembler des capitaux
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auprès des investisseurs. C’est pour ça qu’elles doivent être aussi cotées en bourse. Fondamentalement,
quand une société se fait coter en bourse, c’est d’abord pour obtenir du capital. Ces sociétés, ces grosses
sociétés, ont des particularités très différentes, dans le sens où une des grosses différences, c’est que les
associés, les propriétaires, ne sont pas ceux qui exercent l’activité. C’est particulièrement vrai si on a des
actions en bourse. Sur papier, on est propriétaire d'une partie du capital, mais on ne gère absolument pas la
société, la gestion est aux mains des organes de gestion. Donc principalement dans les mains du conseil
d’administration avec les administrateurs de la société.
Et il y a un hiatus énorme et des conflits d’intérêt qui peuvent être énormes entre le propriétaire de la société,
et le gestionnaire, qui n’en est pas propriétaire, mais qui mène néanmoins la barque. Donc le droit des
sociétés, une de ses finalités pour ces sociétés-là, c’est de permettre et de garantir le contrôle des
administrateurs par des associés. L’idée, c’est de prévenir les conflits entre toute une série de personnes et
d’apaiser les éventuels conflits entre des organes différents de la société et des porteurs d'intérêts différents
dans la société.
On a les administrateurs, les gérants, ceux qui gèrent, et puis on a des actionnaires majoritaires (ceux qui ont
le contrôle). Ça peut être une société ou un groupe de sociétés qui, ensemble, ont le pouvoir de contrôle sur
la société. Mais ils n’ont pas les mêmes intérêts que les actionnaires minoritaires, par exemple. Des petits
porteurs en bourse, des gens qui gèrent leurs économies en ayant acheté des actions par exemple, leurs
intérêts sont radicalement différents des intérêts des actionnaires majoritaires, par exemple d’autres sociétés
ou de groupes d’investissement, qui sont là principalement pour obtenir un retour rapide et important sur leur
investissement. Donc on imagine alors et on crée des règles pour permettre aux petits porteurs de faire
entendre leur voix et de faire en sorte que leurs intérêts soient protégés dans le cadre de la gestion de la
société.

Quatrième finalité: elle est encore plus spécifique: permettre la sanction du marché. On est devant les
sociétés cotées: l’idée est de garantir une allocation optimale des ressources par le contrôle du marché. Le
droit va favoriser et réglementer des instruments qui vont permettre d’exercer un contrôle extérieur sur la
société, voire de changer les actionnaires qui contrôlent une société. Par exemple, il y a le système d’offre
publique d’achat: on offre aux actionnaires en bourse de racheter toutes leurs actions, ce qui va permettre à
ce moment-là de prendre le pouvoir de la société et d’exclure, le cas échéant, les gestionnaires habituels qui
ne donnent pas satisfaction parce qu’on avait un autre projet économique pour la société.

Le droit des sociétés est difficile à catégoriser dans les différentes matières que nous connaissons et surtout
dans les règles fondatrices.
En réalité, la société, c’est au départ un contrat, d’où l’idée que l’autonomie de la volonté est en fait le
fondement du droit des sociétés.
Au départ, le contrat de société est réglementé par le code civil. C’est un contrat comme un autre. Et il y est
resté extrêmement longtemps, parce que ça permettait de déterminer les règles applicables aux sociétés

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civiles, comme opposées aux sociétés commerciales (qui, elles, étaient réglementées par des législations
particulières et spécifiques). Donc l’idée d’une théorie contractuelle qui justifie seule le droit des sociétés.
Si on réfléchit bien, ce n’est pas satisfaisant, cette approche explicative du droit des sociétés par l'autonomie
de la volonté. Ramener le droit des sociétés à un droit contractuel ne permet pas de comprendre le droit des
sociétés, parce que c’est quelque chose qui déroge fondamentalement à l’autonomie de la volonté.
Le premier exemple, c’est l’attribution de la personnalité morale. Ce n'est pas l’autonomie de la volonté qui
peut décider de l’attribution d'une personnalité morale, seule la loi peut déterminer les conditions dans
lesquelles on peut acquérir la personnalité morale, mais l’autonomie de la volonté, certainement pas. Le fait
de créer des instruments juridiques à responsabilité limitée est inconcevable si on se repose sur l’autonomie
de la volonté. On ne peut pas nous-mêmes unilatéralement diminuer les droits des tiers à notre égard! Ils
doivent être d’accord, à tout le moins. Mais ici, quand on est confronté à une SRL, nos droits sont limités à
l’égard des propriétaires de la société. On ne va pas se faire payer sur le patrimoine de ces personnes, même
après liquidation ou après faillite de la société. Ces règles là, on ne peut pas les appliquer par l’autonomie de
la volonté, il faut que la loi intervienne et précise les conditions qui peuvent mener à l’acceptation de ces
outils juridiques.
Ce qui est drôle, c’est qu’aujourd’hui, et dans le cadre de la réforme du CSA, on s’est demandé ce que faisait
finalement le droit des sociétés. Pas grand chose, puisque chaque société a un régime spécifique prévu par la
loi, et finalement, à part déterminer l’objet social, le reste va souvent se retrouver dans la loi. C’est vrai et ce
n’est pas vrai. Plus la société est sophistiquée, plus la marge de manœuvre laissée à l’autonomie de la
volonté est faible, mais il faut souligner que dans la réforme, on a voulu augmenter et redonner une vigueur à
l’autonomie de la volonté dans la création et l’exploitation de sociétés réglementées par le code. C’était
même un des enjeux fondamentaux du nouveau code des sociétés, c’est imaginer des formes de sociétés qui
soient flexibles, pour permettre à l’entrepreneur de façonner la société et ses règles de gestion et de
fonctionnement au regard des besoins qu’il a dans sa situation spécifique, dans l'exploitation économique
dans laquelle il se trouve. Les besoins des uns ne sont pas les besoins des autres. Et puis il faut aussi négocier
avec les associés des pouvoirs qu’on va reconnaître à chacun, les retours sur investissement que chacun va
avoir, et on a rouvert des portes fermées par les anciennes règles. Par exemple, aujourd’hui les associés
peuvent déterminer librement les droits qu’ils reçoivent en contrepartie des apports. Quand on apporte
quelque chose dans une société, on reçoit des droits (de participer à l’AG des actionnaires, de prendre des
décisions importantes à l’égard de la société, etc). On a rouvert l'autonomie de la volonté à ce niveau-là,
parce qu’avant c’était proportionnel au pourcentage. Ici, on peut négocier et donc il peut y avoir des
différences, et ça peut correspondre à des besoins pratiques. On peut imaginer une situation qui va
correspondre aux besoins des associés. Aussi dans le régime des cessions d’actions, on verra que quand on se
lance dans l’activité d’une société en devenant associé ou fondateur, on doit savoir si on va pouvoir nous
imposer quelqu’un d’autre ou pas. On veut éviter qu’on nous impose quelqu’un dans la société avec qui on
ne peut pas travailler. Il y a un enjeu important et un choix qu'on fait quand on se lance dans une société:
c’est de savoir si on admet facilement la cessibilité des parts ou pas. Dans une société de personnes, c’est
intuitu personae, on choisit des personnes. Une société qui n'est pas à responsabilité limitée implique de

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devoir aller dans sa poche à un moment. Donc il faut délimiter le risque, et une manière de limiter le risque,
c’est de connaître les gens avec qui on ne va pas prendre de risques. Le régime de cession d’action a été
largement rendu à l’autonomie de la volonté. Dans une société à responsabilité limitée, on peut pratiquement
tout faire, on peut imaginer des régimes de cession très simple ou au contraire fermer la cessibilité, par des
statuts et des choix qui relèvent du groupe.
Donc une théorie contractuelle qui permet de comprendre que la société est une drôle d’institution juridique,
mais qui ne permet pas de jouer le rôle explicatif global de la société. Certains ont dit que ce n’est pas ça qui
fonde la société, ce qui fonde la société, son fonctionnement et son régime juridique, c’est l’idée que ce soit
une institution permanente par la loi. C’est ça, sa caractéristique. C’est une organisation parfois très
complexe, où on partage les pouvoirs dans une hiérarchie. On a des ensembles de compétences qui sont
l’effet de la loi. C’est la loi qui fixe, dans la perspective de l'intérêt de la société, les conditions des
interactions, les procédures à suivre, etc. Mais tout n’est pas réglé dans la loi, il y a aussi une bonne part qui
vient de la volonté des parties.

Il y a une autre théorie, une théorie fonctionnelle où on se dit qu'on ne va pas renvoyer la société à l’idée du
contrat ou de l’institution légale, mais ce qui est intéressant dans une société, c’est la finalité. Non pas la
finalité en tant que telle, mais l’attribution de la personnalité morale qui, normalement, est reconnue à toute
société.
Toute société n’a pas la personnalité morale, il y a au moins un type de société qui n’a pas la personnalité
morale! Mais toutes les autres formes de sociétés se voient attribuer la personnalité morale.
C’est la personnalité morale qui constitue, disent ces auteurs, l’armature de l’entreprise, sa balise. Et la
société se construit autour de l’organisation de cette personnalité morale. Le problème est alors de savoir si
la société sert à faire du profit à long terme, à maximaliser le profit sur du court terme en jouant la carte de
l’investissement de rapide, si on peut imposer un élément de stabilité aux sociétés, et notamment aux sociétés
importantes, etc etc. Personne n'est tout à fait d’accord là dessus. Ces finalités dont changées selon les
plaisirs.

Donc aujourd’hui, on est dans un mélange entre les deux approches. L’important, c’est de comprendre qu’on
est devant quelque chose qui est un contrat, mais qui est une organisation légale. On déroge énormément au
droit commun concernant les habilitations du droit des sociétés, et c’est véritablement une institution
juridique complète qui fait l’objet d’un enseignement spécifique et particulier.

Le phénomène de la corporate governance: c’est une approche du droit des sociétés qui vient des pays anglo-
saxons et qui touche des sociétés sophistiquées et cotées en bourse. C’est une approche des années 90 et on
se focalise sur l’organisation des relations entre les détenteurs d’enjeux immédiats de la société, dans le sens
où ils sont membres d’organes de la société (actionnaires, membres du conseil d’administration,
direction…). Ce sont les gens qui ont vraiment le nez dans la gestion quotidienne de la société pour la
direction, pour le conseil d’administration ça dépend des besoins. Le but de cette approche, c’est d’arriver à

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assurer un équilibre entre ces différents détenteurs d'intérêts ou d’enjeux et d’assurer aussi des contrôles
internes ou externes à l’égard de la manière dont ils remplissent leur rôle.
De plus en plus, cette vision s’est étendue et on a élargi le champ des détenteurs d’enjeux. On s’est rendus
compte qu’il y a aussi des porteurs d'intérêts quant à la manière dont la société fonctionne et exploite
économiquement son activité. On parle de sociétés cotées en bourse, donc ce sont de grosses sociétés,
beaucoup de gens, beaucoup d’employés, des conséquences qui peuvent être importantes sur la société civile,
en termes de dommages environnementaux ou d'importance économique sur cette société civile. Si on
emploie des milliers de personnes, notre poids dans la société devient conséquent et on doit tenir compte de
cette réalité quand on gère cette société. On le verra notamment avec l'affaire Fortis.
On a étendu les détenteurs d’enjeux.
Quand on verra l’intérêt social, on verra l’intérêt du conseil d’administration et des associés, mais aussi
l’intérêt des clients, des employés, des fournisseurs, voire même l'intérêt général lorsque des sociétés
importantes sont la source de conséquences importantes et tangibles sur la société civile.
La corporate governance repose sur des principes simples de transparence, d’indépendance de ses organes et
d’intégrité entre ses intérêts et ceux de la société. Des principes aussi de responsabilité par rapport aux actes
accomplis.
C’est du pur droit autorégulatoire, à la base. À la base, parce que ça répond à un tel besoin de ces sociétés
que très vite, on a incorporé, dans les lois sur ces sociétés (l’ancien code des sociétés mais aussi le nouveau
CSA) toutes sortes de règles qui proviennent de cette mouvance, pour prévenir les conflits d’intérêts entre les
membres des différents organes et la société elle-même.
Ces règles de corporate governance sont souvent dans une charte interne, et souvent on fait un lien entre ces
règles, qui sont de vraies règles de comportement que se donnent et s’imposent les sociétés, et les statuts qui
sont, en réalité, une partie de la convention obligatoire conclue entre les associés et principalement les
fondateurs qui rédigent les statuts.
Mais là, évidemment, les statuts sont réglementés, leurs effets, les conditions de validité, de forme etc sont
réglés par le code. Rien n’est réglé pour la charte de corporate governance puisqu’elle vient de la pratique,
du secteur des sociétés cotées.
En Belgique, ce phénomène s’est marqué par l'adoption d’un code de bonne gouvernance pour ces sociétés,
le code Lippens. Ce code a été créé par une commission qui s’est donné comme nom la commission
corporate governance, et elle a été faite aussi à l’initiative de la FSMA (l’autorité des marchés et services
financiers). Ils étaient demandeurs, mais c’est véritablement le secteur qui a fait le code et pas eux.
Ce code a été publié en 2004 dans une première édition et est connu aujourd’hui comme étant le code belge
de gouvernance d’entreprise. La commission, qui était privée, s’est transformée en fondation privée, qui
œuvre encore aujourd’hui pour adopter des règles de bonne gouvernance, les diffuser, contrôler aussi et
mettre à jour ces règles de bonne gouvernance. Ce n'est pas de la théorie puisqu’aujourd’hui, on en est à la 3è
édition du code de corporate governance. Dans ce code de 2020, il y a 10 principes qui sont à la base du code
et ce sont des principes très simples: par exemple, « la société adopte explicitement une structure de

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gouvernance et communique clairement son choix »: c’est important d’être transparent sur la manière dont
nova gérer une société de ce type.
Par rapport au code de 2020, il y a des vrais choix à faire à ce niveau, parce qu’on a laissé à ces sociétés un
choix de base dans la structure de gestion de l’entreprise. On peut avoir une structure moniste, et ça, c’est
une société qui opte pour un conseil d’administration unique. C’est ce qu’on avait jusqu’à présent et qui
s’imposait pour les SA, par exemple.
Aujourd’hui, une structure dual est proposée à ces sociétés, donc au lieu d’avoir une seule tête, on en a deux,
avec d’une part un conseil de direction, et d'autre part un conseil de surveillance. Le conseil de surveillance
contrôle le conseil de direction. Donc c'est dual, mais toujours avec cette idée propre à la corporate
governance de favoriser la bonne gouvernance, et pour cela il faut une possibilité de contrôle des actes posés
par les gestionnaires.
Ça a de l’importance et ça a des conséquences pour ces sociétés.

Ce n’est pas quelque chose de théorique, parce que ces règles peuvent avoir une importance essentielle, et
elles l’ont eu lorsqu’on a connu la crise financière de 2007-08. Ces règles ont eu une importance essentielle
dans un des procès qui a eu lieu suite à la revente de la banque Fortis à la BNP Paribas.
Fortis était une banque purement belge. Elle a été entraînée dans la crise financière de 2007.
La crise des subprime est assez simple à comprendre et c’est l’effet de la globalisation de l’économie dont on
a parlé dans l’introduction. Aux USA entre 2001 et 2006, on a vendu un nombre extrêmement important de
crédits hypothécaires à très bas prix. Ça a eu un énorme succès, et on parle de chiffres d’affaires qui donnent
le tournis (200 milliards de chiffre d’affaires grâce à ces contrats en 2001, 640 milliards de dollars en 2006).
Ces contrats sont à taux variable, au taux du marché, qui était extrêmement bas à l’époque (entre 0,5 et 1%
de taux d’intérêt). À ces conditions, il était facile de convaincre une clientèle qui était, en réalité, dans une
tranche de population qui n’aurait pas dû se lancer dans ce genre de contrats parce qu’ils n’étaient pas assez
forts financièrement pour faire face à la montée drastique des taux qui est arrivée.
En 2 ans, les taux d’intérêt sont montés de 1 à 1,25% (donc il fallait rembourser 5000$ au lieu de 1000). Ce
phénomène était lié à un phénomène de titrisation de ces créances. On a une créance auprès d’une banque,
mais on peut vendre cette créance, la céder à des institutions financières qui vont elles-mêmes l’intégrer dans
des produits financiers. Mais plus on va prendre de risques, moins on va savoir ce qu'il y a dans ces produits.
À l’époque, ça se faisait beaucoup, on n’avait pas tellement d’obligation de transparence et d’information, et
puisqu’il y avait plein de créances et que ces établissements voulaient parfois juste obtenir du cash plus
rapidement que d’attendre les 10-15 ans de remboursement. Mais ces créances existent toujours, le débiteur
doit encore rembourser les sommes au fur et à mesure.
Donc titrisation, et ce phénomène d’augmentation des taux d’intérêts a été couplé à une crise immobilière
aux USA. Donc tout d’un coup, on n’arrive plus à trouver suffisamment d'acheteurs des biens immobiliers et
le marché immobilier s’effondre de plus de 20%. Les prix de l’immobilier baissent assez fort.
Là s’ouvre une logique infernale: on a une augmentation des taux, le débiteur ne sait plus rembourser. On est
en rupture de contrat, donc on active l’hypothèque, mais pour avoir la garantie de l’hypothèque, il faut

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vendre la maison, mais les prix ont chuté à cause de la crise immobilière. Donc les banques n’arrivent plus à
récupérer leur mise, les biens ne valent plus assez que pour récupérer les sommes prêtées. Donc ces
institutions financières font faillite.
Jusque là, c’est une crise qu'on pourrait qualifier de locale ou régionale. C’est un problème qui aurait dû
rester aux USA, sauf qu’il y avait une titrisation, et ces instruments financiers ont été dispersés à travers le
monde, parce qu’ils ont suivi une logique d’échange et de transfert. On revendait ces créances sur des
marchés spécialisés, qui étaient groupés avec d’autres produits financiers, eux-mêmes rachetés par des fonds
d’investissement internationaux, derrière lesquels il y avait des banques de tous les pays du monde. Donc le
jour où les créances ne valent plus rien et où on se rend compte que c'est juste devenu du vent, on n’est plus
capable de les identifier clairement pour ne fut-ce que les enlever et acter la moins-value de la somme des
créances sur la valeur du produit financier, et par la même la valeur de l’actif de ces fonds de placement et
finalement de l’actif des banques. C’est pour ça qu’on a parlé d’un espèce d’empoisonnement des banques,
parce que tout d'un coup, tous les instruments financiers qui ont utilisé la technique de la titrisation sont
devenus suspects, puisqu’on ne savait pas où était le produit dangereux. Donc on s'est méfiés de tous ceux
qui en avaient, mais la méfiance, sur le plan financier, ça devient une catastrophe. Il y a une infection de tous
les fonds, on ne sait pas voir où sont les valeurs infectées. Donc les valeurs de ces actifs s’effondrent puisque
plus personne n’en veut. Finalement, ce sont les banques qui sont dans le collimateur de tout le monde, parce
qu’on sait qu’elles sont propriétaires de ces fonds et donc directement ou indirectement de ces avoirs
infectés, est qu’elles ne sont pas plus capables que tout le monde d’identifier les valeurs infectées. Donc on
n’a plus confiance en les banques et tout ça amène à une crise, en quelques mois, qui va être phénoménale en
termes de pertes et de dépréciation (500 milliards de pertes). Les clients tombent de leurs chaises, parce
qu’on leur a dit, la main sur le cœur, que s’il y a bien un placement qui est sans risque, ce sont les banques.
Une banque ne tombe pas en faillite! On ne se souvient pas avoir déjà vu ça. Et c'est exactement ce qui est
arrivé lors de cette crise: les banques ont commencé à tomber en faillite. Les clients sont restés stupéfaits! Si
les banques tombent en faillite, ils perdent tout. Les gens ont commencé à aller chercher leur argent à la
banque, et notamment auprès de la Fortis.

Revenons à Fortis: avril 2007, Fortis a des appétits internationaux énormes et s’offre une énorme banque
hollandaise. Donc juste quelques mois avant la crise. C’est un achat de 24 milliards d’euros, financé en partie
par une augmentation de capital, c’est-à-dire des capitaux récoltés en bourse et des cessions d’actifs, vendus
pour avoir du cash. Quand la crise arrive, on se rend compte que Fortis est aussi infectée par des actifs
financiers toxiques qui sont logés dans certaines de ses filiales, mais où? Et dans certains de ses produits,
mais où? À l’époque, on disait que tout allait bien, que c’était une crise éloignée de nous. Sauf qu’en juin
2008, quand même, Fortis procède à une nouvelle augmentation de capital d’un milliard et demi et elle vend
toute une série d’actifs. le problème, c’est que les banques vivent de leur confiance. En septembre, des
rumeurs commencent à courir qui disent que Fortis ne va pas bien. Elle perd la confiance des autres acteurs
du monde financier, or une banque fait ses frais sur une base journalière. Elles se prêtent mutuellement de
l'argent pour pouvoir faire face à leurs échéances journalières, on est dans un système de refinancement.

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Quand on se rend compte que Fortis est malade, les autres banques ne lui prêtent plus, car elles savent que
Fortis ne remboursera pas. On commence à comprendre que Fortis n’arrive plus à trouver de financement.
Fin septembre, c’est officieux, Fortis se rend compte qu’elle n’a plus les liquidités pour faire face à son
activité de la semaine qui suit. Elle en appelle et prévient le gouvernement. Mais Fortis, à ce moment-là, est
un groupe belgo-néerlandais-luxembourgeois. C’est un problème du Benelux ensemble. Le 28 septembre, les
3 gouvernements se rassemblent avec une seule question: comment est-ce qu’on évite la faillite de Fortis
lundi?
Les gouvernements reprennent le contrôle des 3 banques. Ils rentrent dans le capital et reprennent
pratiquement 50% des filiales bancaires. Les gouvernements rachètent aussi les filiales à problèmes et les
filiales malades. Le gouvernement hollandais fait un gros geste et rachète à Fortis la banque hollandaise que
Fortis avait achetée. En faisant cet achat, on fait rentrer du cash dans le groupe e ton le sauve. Le problème,
c’est que chaque gouvernement a mis de l’argent, mais ce n’est pas la finalité d’un gouvernement de rester
derrière une banque, et en Belgique, on n’a déjà pas d’argent, c’est inimaginable de rester avec cette banque
sur les bras. Donc les gouvernements belge et luxembourgeois cherchent un repreneur. Ils en trouvent une
française: la BNP Paribas. Un deal se fait début octobre 2008 entre les belges, les luxembourgeois et la
France. La Belgique rachète toutes les parts et puis elle les revend aux français. Et là, les actionnaires disent
« vous vous fichez quand même de nous. Vous avez dépecé le groupe, vous avez vendu les actions qu’on
avait payées cher pour une bouchée de pain, et on a perdu dans l’histoire. On est contre la vente dans ces
conditions de la banque belge à la banque française ». Et donc les petits actionnaires (des détenteurs d’enjeux
particuliers), qui n'ont pas les mêmes intérêts que les gros actionnaires (ceux-là ont évidemment intérêt à
cette situation). Ils ont tout perdu, ils ont économisé toute leur vie. Ils ne savaient pas que quand on achète
des actions, on devient actionnaire de la société et que donc on en devient en partie propriétaire. C’est un
risque. Une société n'est jamais sûre d’avoir son retour sur investissement. La roue peut tourné et elle a
tourné dans ce cas, et beaucoup de gens ont perdu tout ce qu’ils avaient.
Ils intentent une action en cessation devant la présidente du tribunal de commerce.
Un des arguments de base des actionnaires, c’est une disposition du Fortis governance statement, cette
fameuse charte de corporate governance prise sur base du code Lippens et qui est la charte de Fortis. Ce qu’il
y a de particulier, c’est que les statuts de Fortis y font référence. Dans les statuts, on peut lire que le conseil
d'administration est tenu, dans l’exercice de ses compétences, de respecter les règles définies par le Fortis
governance statement. Et dans cette charte, on a une disposition spécifique qui prévoit que « doivent être
soumises à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires, toutes les décisions d’une portée telle
qu’elles affectent l’identité de la société, notamment le transfert à un tiers d'une partie importante de
l’entreprise Fortis ou l’une de ses filiales, désengageant Fortis de ses activités de banque et d’assurance ou
l’acquisition ou la cession par Fortis ou l’une de ses filiales d’une participation dans le capital des sociétés,
modifiant de plus de 33% le montant des capitaux de Fortis ». Et l’opération de dépeçage de Fortis vers BNP
remplit cette condition. Donc le conseil d’administration n’avait pas la compétence d’opérer la transaction,
de la mettre en place avec le gouvernement belge et BNP Paribas sans avoir le feu vert de l’assemblée

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générale. Et l’assemblée générale, c’est tous les associés de la société, tous ceux qui ont des parts et des
droits sociaux dans la société (donc eux!).
Devant la juge, ils demandent d’invalider la cession. On est dans un drame psychofinancier total, le
gouvernement, la fleur au fusil, part au combat et revient en disant qu’elle a gagné. Et ces petits actionnaires
vont saisir leur petit juge pour dire que les règles n’ont pas été respectées, donc on annule. Elle est presque
tombée en faillite et on demande à un juge d’annuler l’accord! Et la juge n'est pas contraire à l’accord du
gouvernement. Elle a été convaincue par l'idée que ce n’était peut-être pas le meilleur des accords, mais vu
les circonstances, ce n’était pas mal.
Sur l’argument, elle dit qu’il faut arrêter de jouer, le Fortis governance statement, c’est de l’autorégulation,
c’est du soft law. La valeur de l’autorégulation est nulle et donc il n'y a pas eu de non-respect dans les règles
qui s’imposaient à Fortis, puisque ces règles ne s’imposaient pas.
Le statut disait quand même que le conseil d’administration devait respecter la charte, mais la juge n'est
toujours pas convaincue. Elle dit que ce n'est pas parce que le statut dit ça que ça rend le contenu de la charte
obligatoire, et d’ailleurs une modification des statuts ne se fait pas comme ça, ça doit se faire selon un vote
avec toute une procédure qui n’a pas eu lieu lors de l’introduction de ces dispositions. Elle n’y voit pas du
droit obligatoire et elle refuse d’invalider la cession.
C’est là qu’on voit tout le flou qu’il y a derrière.
Ils font appel.
Un arrêt du 12 décembre 2008 a fait beaucoup de bruit à l’époque. On re-statue sur cette disposition, et la
cour d’appel dit que ces règles s’imposaient évidemment au conseil d’administration. Le conseil
d’administration est tenu de respecter les règles contenues dans la charte, c’est inscrit dans les statuts. On se
fiche de savoir qu'une procédure n’a pas été respectée, cette règle a été introduite dans le statut, c’est le plus
important. La cour d’appel invalide la décision de cession prise par le conseil d’administration.
En référé, la cour d’appel dit que toutes ces décisions sont illégales.
La cour d’appel ordonne donc qu'une assemblée générale soit réunie dare-dare et que la question lui soit
soumise. L’assemblée générale a validé l’accord, de sorte qu’aujourd’hui, on ne connaît plus fortis, mais on
connaît BNP Paribas.
Tout s’est joué sur une clause de corporate governance, qui n'est même pas une norme, qui est purement
autorégulatoire, et on voit bien que sa valeur juridique est extrêmement floue et ambiguë, et ça va dépendre
de la manière dont on l’a liée au statut.

Section 2. Les sources du droit des sociétés


La source première, c’était le code de commerce.
Très vite, le droit des sociétés est sorti du code de commerce, par une loi du 18 mai 1873. On sort ce droit du
code de commerce et on y opère une modification. On retire notamment l’autorisation gouvernementale
nécessaire à la création d’une SA. C’est un droit moderne des sociétés qui naît à ce moment-là. Et puis des
lois s’accumulent.

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À l’époque du professeur (années 80), on parlait des lois coordonnées sur les sociétés commerciales. Ça
datait de 1935. C’était le désordre total. On avait ces lois coordonnées, c’est un arrêté royal qui vient mettre
ensemble différentes législations, mais il n’y a pas du tout de travail de nettoyage, d’ordonnancement, rien de
tout ça. C’est juste du rafistolage. Ce texte était illisible. Jusqu’à ce qu’on arrive en mai 1999, loi du 7 mai
1999 où Koen Geens nous offre le premier code des sociétés, pas comme politique, mais comme professeur
de la KUL et un des initiateurs de la rédaction du premier code des sociétés.
Derrière toute cette évolution, il y a aussi, même si ça a un peu moins d’importance, la poussée du droit
européen, une poussée un peu indirecte. Le législateur européen est principalement intervenu pour favoriser
la mobilité des sociétés. Il y a un problème dans le grand marché: si on a une société de droit allemand et
que, selon la liberté d’établissement, on veut changer de siège d’établissement et venir à Namur, si on n’avait
pas réglé la problématique des transferts d’établissements, il n’y avait qu’une seule solution: liquider la
société allemande (la vendre) et puis recréer une société dans el pays-cible. Donc le premier enjeu rencontré
par le droit européen, c’est d’éviter ce type de situation et favoriser la liberté de circulation des entreprises,
c’est-à-dire principalement la liberté d’établissement, en permettant des règles pour ne pas devoir liquider les
sociétés. On s’est dit aussi qu'une autre solution, c’était de créer des sociétés européennes. Certaines sociétés
ont été complètement imaginées par le droit européen. Tout ça est maintenant dans le CSA.
Tout ça s’est construit sur l’impulsion du droit européen, qui s’est alors fondé sur des dispositions du traité
de l’époque, et principalement sur la liberté d’établissement et sur les dispositions relatives à la liberté
d’établissement. On voit tout de suite que les sociétés sont l’instrument économique privilégié pour exercer
une activité économique, et souvent, on se déplace au travers de cette armature juridique. Si on doit changer
d’armature à chaque frontière, ça ne va pas, c’est un frein à l’élaboration du grand marché.
Tout doucement, le droit des sociétés tend à s’harmoniser, mais ce n'est pas un droit totalement harmonisé,
loin de là. Les règles d’organisation de chaque type de société proviennent des règles du droit belge. Et il y a
même, de plus en plus, notamment du fait du libre exercice de la liberté d’établissement et du fait que la cour
a admis qu’on pouvait choisir la loi qui allait s’appliquer à la société qu’on crée, il y a maintenant une
concurrence des Etats, les Etats tentent d’attirer les investisseurs étrangers pour qu’ils viennent créer leur
société chez nous et qu’ils se soumettent volontairement au droit belge. C’est rendre plus attractive la
législation belge en vue de créer une société. Il y a des avantages à créer une société en Belgique, notamment
des avantages fiscaux.

Finalement, on en arrive à ce code des sociétés de 1999. Koen Geens se dit qu’il faut surtout rendre la
législation plus lisible, donc on ne fait pas un nouveau droit des sociétés, on met de l’ordre dans la législation
existante. Le but est de rendre à nouveau les textes lisibles. Ce code est relativement récent puisqu’il est
rentré en vigueur en 2001.
Après ce code, entre 2001 et 2019, c’est ce qui se passe usuellement: il y a plein de nouvelles lois qui entrent
en vigueur, notamment issues de la corporate governance, et puis Koen Geens revient et se dit que c’est le
moment de faire quelque chose de sérieux. Il a déjà de grands projets, il est en train de rénover le droit de
l’entreprise et le droit de la faillite et il se dit que c’est le moment aussi de rénover le droit des sociétés. On

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se lance vraiment dans une réforme de fond, en parallèle on rénove le droit de l’entreprise, le droit de la
faillite, le droit des associations et le droit des sociétés en tant que tel. C’est comme ça qu’apparaît le
nouveau CSA en 2019.

Ce code des sociétés avait 3 objectifs:


- Simplifier le droit des sociétés et des associations: les associations étaient soumises à une vieille loi de
1921 qui a été modernisée à de nombreuses reprises. On s’est rendu compte que ces législations sur les
associations devenaient de plus en plus semblables à la législation sur les sociétés. On avait les mêmes
besoins. Par exemples, les ASBL étaient des associations qui avaient la personnalité morale, et les sociétés
ont la personnalité morale. On ne gère pas la personnalité morale vraiment différemment dans une ASBL
et dans une société. Dans les deux, on a une espèce de conseil d’administration, une assemblée des
membres de l’association, fondamentalement ça fonctionne de la même manière. Et puis il y avait tout ce
débat un peu inutile de savoir si les ASBL pouvaient avoir une activité économique ou pas. C’était un
débat stérile, puisqu’on savait que oui, elles devaient avoir des activités économiques pour se financer,
mais c’était soi-disant contraire à la finalité de la personnalité morale, qui était l’absence de but de lucre.
Bref, on avait une situation où les ASBL ont souvent été utilisées pour toutes sortes de fraudes, justement
du fait qu'elles ont été longtemps moins transparentes et qu’on ne leur appliquait pas toutes les règles
qu’on retenait pour les associations et qui permettaient d’éviter certaines situations frauduleuses.
On a donc simplifié cette différence entre société et association. On a les deux définitions, et on voit tout
de suite que le nouveau critère de distinction est le critère de la distribution des profits. Si on distribue aux
personnes qui constituent l’association, on est une société. Si on ne distribue pas, c’est qu’on garde
l’argent, et cet argent sert à la finalité, qui est le non but de lucre, le but de l’association. Ce critère sert à
dire que l’association peut avoir une activité économique. Elle choisit la manière de se financer, du
moment qu'elle ne redistribue pas les profits à ses associés et qu’elle réinvestisse l’enrichissement à la
poursuite de son objet social.
C’est aussi à ce moment-là, en 2018-19 que plusieurs textes rentrent en vigueur et qu'on met fin à la
commercialité. C’est important de le faire, parce qu’avant, il y avait les sociétés commerciales et les
sociétés civiles. Dans le nouveau code, il n’y a plus de distinction entre les deux et c'est vraiment bien
parce que c’était une distinction assez complexe à comprendre.
En plus, on les soumet en grande partie aux mêmes règles. Il y avait peu d’intérêt à regrouper les règles si
on n’arrivait pas à faire une économie d’échelle et s’il n’y avait pas moins de différences dans ces règles.
Une partie du code est applicable indifféremment aux sociétés et aux associations.
En termes de simplification, on supprime aussi pas mal de formes de sociétés qui préexistaient et qui était
soit tombées en désuétude, soit qui ne nécessitaient plus d’être distinguées de la même manière.
Donc on supprime certaines formes, on uniformise les règles applicables à certaines formes de sociétés, on
essaie de rassembler au maximum le socle commun à toutes les sociétés mais aussi aux personnes morales
qui sont associées aux sociétés.
Ils ont imaginé 2 types de sociétés de base sur lesquelles on a construit les autres catégories: les sociétés à

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responsabilité illimitée (dans laquelle l’associé qui investit est susceptible de mettre sa main à sa poche si,
en bout de course, on n’a pas assez d’argent pour payer les créanciers), et les sociétés à responsabilité
limitée.
Le socle de la société à responsabilité illimitée, c’est le socle simple, qui n’a même pas la personnalité
morale. On lui reconnaît un capital et une indivision, mais elle n'a pas la personnalité morale, donc a priori
on ne sait pas identifier quel est son patrimoine et quel est le patrimoine des associés. On passe un contrat
et on devient une société, mais elle n'a pas de vie juridique via un être particulier. Ça pose problème,
principalement par rapport à l’engagement et à la question de savoir auprès de qui le créancier peut
s’adresser pour obtenir le paiement des dettes. C’est un modèle, et sur ce modèle, on peut construire par
exemple une société en commandite. On part des premières règles et de la boîte à outils qui l’accompagne,
et transformer les statuts, acquérir la personnalité morale et lui donner des fonctions particulières. On peut
faire une société momentanée aussi, c’est une société sans personnalité juridique, qu'on fait en lui donnant
un objet bien précis et un délai bien précis.
On a aussi réformé la SPRL. La SPRL, ça a toujours été la société des petits entrepreneurs, d’autant plus
qu’il était possible d'en faire des sociétés unipersonnelles. Une SPRLU, qui était une société à
responsabilité limitée, mais une société de personne, c’est-à-dire profondément intuitu personae. On l’a
remplacée par la société à responsabilité limitée, la SRL. C’est devenu aujourd’hui la forme de base des
sociétés qui auront la responsabilité limitée. Ça peut être unipersonnel, mais ça peut aussi être constitué
sans capital. Avant, il fallait mettre une certaine somme, il fallait capitaliser la société et on ne pouvait pas
utiliser cet argent pour notre activité a priori. Ça pouvait être un problème pour les petits entrepreneurs qui
voulaient néanmoins obtenir une forme qui les mette un peu à l’abri. On obligeait à capitaliser les sociétés
pour donner une garantie aux créanciers. A priori, ils étaient sûrs qu'il y avait au moins ça dans la société.
Aujourd’hui, si on fait une société sans capital, on doit donner d’autres garanties, on doit démontrer qu’on
est capable d'exercer l’activité de la société pendant 2 ans. On a remplacé ces conditions de financement
par des garanties de bon fonctionnement et de solidité dans les premières années de la société.
On a aussi admis les apports en industrie alors qu’on n’admettait pas ça avant. L’apport en industrie, c’est
apporter son travail. On n’a pas de camion, pas d’argent, mais on fait les pizzas. Notre apport dans la
société sera rémunéré par des droits sociaux et non pas par un salaire, on sera rémunéré via le profit qui
sera fait par la société. C’est un véritable apport, et ça peut faire de la personne un associé, même s’il n’a
pas apporté de l’actif en argent ou en biens.
On a simplifié la société coopérative, on a ressuscité l'esprit coopératif de la société, cette idée que ce sont
des sociétés qui fonctionnent directement avec et dans l'intérêt de leurs associés, qui participent à la
société elles-mêmes. Les coopératives, ce n’est jamais qu'un regroupement de personnes qui travaillent en
commun dans le but d’obtenir plus de profit ensemble. Et la coopérative a été reliftée pour se focaliser sur
les besoins des associés.
C’est vraiment un travail de fond, ils ont tout remis à plat et ils ont reconstruit quelque chose de cohérent.
- On le rend plus flexible et attractif: c’est l’instrumentalisation du droit dans le but de booster l’activité
économique. On utilise le droit pour relancer, d’une certaine manière, l’économie. Comment la relancer?

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En rendant plus attractifs les outils juridiques qui permettent d’exercer une activité économique, et l’outil
juridique qui est fait pour ça, c’est la société. On va faire en sorte que l’outil s’adapte mieux aux besoins
spécifiques de chaque entrepreneur ou groupement d’entrepreneurs. C’est pour ça qu’on a diminué le
carcan de dispositions impératives, notamment pour les SRL, et on a rouvert largement le champ
contractuel et statutaire. Autrement dit, il y a une beaucoup plus grande capacité des associés à modaliser
leur outil en fonction de leurs besoins propres (ce qui était quasi impossible avant vu le nombre trop
important de dispositions impératives du code, qui ne laissait aucune marge de manœuvre aux associés).
L’absence de capital joue un rôle aussi dans la flexibilisation et l’assouplissement.
On a rendue possible et plus facile la transformation d’une association en société aussi par exemple.
Les SA peuvent aussi être unipersonnelles, ce qui est étonnant vu la lourdeur de la structure, mais on a
ouvert également.
On a vraiment un outil flexible.
- On l’adapte au droit européen: on a vu le contexte de concurrence entre pays membres de l’UE, qui ont
de multiples intérêts à ce que les entrepreneurs viennent créer leurs sociétés chez eux et pas chez le voisin.
On a fait en sorte que la mariée soit la plus belle possible en rénovant le code des sociétés, et on a changé
le critère de rattachement (le critère permettant de déterminer quelle est la loi applicable à la société). Le
problème, c’est que is chaque pays a un critère différent, on ne s’en sort pas. Et nous étions les seuls à
avoir un critère totalement différent des autres, notre critère était le lieu du siège réel de la société, donc
pas le lieu indiqué dans les statuts, mais le lieu où on a notre activité réelle. C’est essentiel sur notre
territoire pour savoir quel était le tribunal compétent, mais aussi pour la question de loi applicable, qui
était de savoir quel était le droit applicable à la société, puisque si une société étrangère avait son activité
réelle en Belgique, via le rattachement du site effectif, la Belgique se reconnaissait le pouvoir de lui
appliquer son droit des sociétés, même si les statuts indiquaient que la société était hollandaise. On avait
un conflit avec des critères de rattachement d'autres pays, donc on a laissé tomber cela.

La définition de la société se trouve à l’art 1:1 et 1:2 du nouveau CSA.


Un petit mot sur ce qui a mené à la construction d’un ensemble de règles applicables tant aux associations
qu'aux sociétés et la révolution que constitue ce code:
Au départ, le droit civil, le contrat de société est un contrat civil. Le code civli organise la société civile. Si
l'objet est civil, c’est-à-dire si l’objet n’est pas d’exercer une activité commerciale, on peut constituer une
société au sens du code civil. s'il s’agit d'une activité commerciale, dès le début, on nous redirige vers les lois
commerciales.
Il y a une forme de principe qui s’appelle la théorie des cadres légaux obligatoires: on ne peut pas exercer
une activité économique sous la forme d'une société civile. Si on le fait quand même, on sera requalifié en la
forme la plus simple de société, et on sera aussi sanctionné. Ça a disparu en 1995.
Deuxième évolution en 1999: il est possible d’avoir une société à objet civil mais sous la forme d'une société
commerciale. C’était un objet civil mais avec une forme commercial, c’était très complexe. On pouvait avoir
toutes les combinaisons possibles, en appliquant chaque fois des règles différentes.

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Dans le premier code des sociétés, on a abrogé les règles du code civil, mais on les a rentrées dans le code
lui-même en disant que ces règles qui proviennent du code civil, c’est le droit commun du droit des sociétés.
Le code construisait les différents types de sociétés sur base d’un socle de règles communes qui étaient, en
fait, issues des règles anciennes du code civil.
Dernière étape: le dernier code fait disparaître toute différence entre les règles issues du droit civil et les
règles issues du droit commercial. C’est pour ça que toutes les sociétés, maintenant, sont des entreprises.
Une société a un but de lucre et a une activité économique, donc elle sera une entreprise. On ne fait plus de
différence entre les types de sociétés, la nature de la société est et reste d’être une société, et on ne fait plus
de distinction entre les sociétés civiles et commerciales.

On retrouve encore des traces de l’ancienne mouture du contrat civil de société dans les règles communes qui
sont applicables tant aux associations qu’aux sociétés qui ont la personnalité morale. C’est le socle commun.
On reprend la philosophie du code, mais les règles ont tellement évolué que ça n’a plus rien à voir, mais là
dedans, on peut encore retrouver certaines traces des règles initiales des sociétés. Mais aujourd’hui tout est
fondu. On a mis ensemble les sociétés civiles et commerciales, mais aussi on a mis dans le même code les
associations, qui fonctionnent sur base de règles communes qui, aussi, trouvent leur source dans le socle
commun des règles des sociétés issues du dernier code.

L’identification du CSA se fait aussi par livres puis par articles, mais on utilise des chiffres arabes et pas
romains et on met un double point, donc par exemple 1:1
La construction en livres est assez classique, c’est la règle pour les codes aujourd’hui pour pouvoir obtenir
une souplesse dans la modification de la structure des codes (ajouter un livre, en enlever un…).
Dans le CSA, on n’a pas encore touché aux livres qui ont été créés et qui sont parus en 2019.
Il y a 5 parties et 18 livres dans le CSA. On a d’abord 3 livres qui visent des règles générales.
Livre 1: il prévoit des définitions
Livre 2: règles communes aux personnes morales (sociétés, associations et fondations qui ont la personnalité
morale)
Livre 3: principes généraux de droit comptable propre aux sociétés. On vise des règles générales.

Ensuite on a des dispositions propres aux sociétés du livre 4 jusqu’au livre 8:


Livre 4: la société simple et ses variants qui ont la personnalité morale (la SNC et la société en commandite
par exemple)
Livre 5 à 8: on va de la SRL la plus simple à la plus complète.

Puis il y a une troisième partie qui regroupe les livres 9 à 11. Ça regroupe les dispositions sur les associations
et fondations. On verra la différence qui existe entre les deux, c’est principalement que dans une fondation, il
n’y a pas de membres alors que dans une association, on a des membres qui correspondent plus ou moins aux
associés de la société.

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Quatrième partie: livres 12 à 14: on vise les restructurations et les transformations des sociétés (fusion,
passage d’une forme à l’autre)

Dernière partie: livres 15 à 18: les formes légales européennes. On a vu que des structures européennes ont
été créées pour faciliter les transferts de sociétés d'un pays membre à l’autre. C’est là qu'on va trouver les
dispositions sur la société européenne, une espèce de SA homogène dans l’Union, ou encore la société
coopérative européenne, et d’autres structures plus particulières comme les partis politiques européens, les
GEIE et la fondation politique européenne.

Chapitre 2. La définition de la société et la taxinomie


Section 1. La définition
L’art 1:1 CSA donne la définition de ce qu’est une société.
On dit qu’une société est constituée par un acte juridique par lequel une ou plusieurs personnes, appelés
associés, font un apport. Elle a un patrimoine et a pour objet l’exercice d’une ou plusieurs activités
déterminées. Un de ses buts est de distribuer ou procurer à ses associés un avantage patrimonial direct ou
indirect.
Il y a plein de critères qui amènent à la définition de la société.

Quelques remarques:
- On parle d’un acte juridique, pas d’un contrat. C’est une des nouveautés de la nouvelle définition: avant,
on parlait d’un contrat et il y avait des exceptions (comme avoir une société constituée d'une personne,
donc pas de contrat). Ici, on part du principe que le principe est un acte juridique qui sera soit
unipersonnel si c’est une société créée par une seule personne (SRLU) ou un contrat avec plusieurs
personnes. La définition prend le terme le plus générique, l’acte juridique.
- On indique que toutes les sociétés ont un patrimoine, c’est une nouveauté de la définition. Avant, on
considérait que seules les sociétés qui avaient une personnalité juridique se voyaient reconnaître
l'existence d’un patrimoine propre, puisque seules ces sociétés avaient une personnalité distincte des
associés de la société.
- Autre point de différence avec le passé: on dit qu’un de ses buts est de distribuer ou procurer à ses
associés un avantage patrimonial, donc ça veut dure qu’une société peut avoir un autre but qu’un but
d’enrichissement. Ça change au niveau des actes que, le cas échéant, elle peut poser dans le cadre de son
activité. Avant, on considérait qu’une société avec personnalité morale ne pouvait pas poser d’actes à titre
gratuit. Aujourd’hui, elles peuvent, mais on verra dans quelles conditions. Il n’empêche que le but de
lucre est la caractéristique de toutes les sociétés. Il n’y a pas de société au sens de cette disposition s’il n’y

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a pas un but de lucre, même si ce n’est pas le seul. Même si ce n'est pas la finalité de la création de la
société, il n’empêche qu’une société implique la recherche de profit pour elle et ses associés.

Caractéristiques essentielles que l’on va analyser:


- Il y a une ou différentes personnes
- Qu’est-ce qu’un apport?
- Il faut déterminer une activité qu’on va poursuivre dans un intérêt commun aux associés
- Le fameux but de lucre

Avant de se lancer dans une analyse plus précise de la société, il faut d’abord aborder ce concept en le
comparant avec d’autres et en essayas de voir comment on peut comprendre et rassembler les différents
types de sociétés qui vont tomber sous le champ d’application de la définition générale, puisque cette
définition, bien entendu, devra être respectée, ou en tous cas les conditions de validité et les éléments
constitutifs de la société qu’elle vise doivent se trouver pour toutes les sociétés régies par le CSA.
La première distinction de ce CSA, c’est la distinction entre société et association.

Section 2. Les sociétés et les associations


On connaît déjà cette distinction, du fait qu’on en a déjà parlé dans le cadre du CDE et de la notion
d’entreprise.
On avait trouvé et on a intégré, dans la définition tant de la société que de l’association, un nouveau critère
de distinction qui est cette distribution ou absence de distribution selon qu’il s’agit d’une société ou d’une
association.
Il faut revenir aux définitions: on l’a déjà dit pour la société, un de ses buts est de distribuer un avantage
patrimonial direct ou indirect. On fait du profit, et on redistribue tout ou partie du profit aux associés, parce
que c’est le but ou un des buts de la société.

Prenons maintenant la définition donnée à l’association, à l’art 1:2: une association est constituée par une
convention entre 2 ou plusieurs personnes, dénommées membres.
La différence, c’est qu’une convention n'est pas un acte juridique. Il n’y a pas d’association tout seul. Il faut
une convention avec au moins 2 personnes, qui sont des membres, et qui vont constituer ensemble
l’association.
On nous dit aussi qu’elle poursuit un but désintéressé. Donc la caractéristique de l’association, c’est son but
désintéressé, qui l’oppose à la société, dont le but est un but de lucre.
La conséquence est directement insérée dans l’art 1..2: elle ne peut distribuer ni procurer directement ou
indirectement un quelconque avantage patrimonial à ses fondateurs, banques, administrateurs, sauf dans le
but désintéressé déterminé par les statuts.

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Donc on voit bien ici que le critère de distinction, c’est l’absence de but de lucre qui s’exprime par l’absence
de distribution des profits aux membres (opposé à la société qui a ce but de lucre et qui va, précisément,
distribuer les profits aux associés).
On remarque que le profit vise ici un bénéfice patrimonial et pas extrapatrimonial (donc ce sont des biens ou
de l’argent qui se distribuent).

On remarque aussi que dès l’instant où on admet cette définition, on admet aussi que l’association peut
exercer une activité économique, dans le cadre de son but désintéressé, et les profits qu’elle fera de cette
activité économique, elle ne les distribuera pas, elle les réintégrera dans son patrimoine qu’elle met à la
disposition de ce but désintéressé. Et les statuts expliquent comment on doit s’organiser pour réinvestir
directement les profits dans la poursuite de ce but désintéressé. Et on évite de grosses discussions sur ce
qu’on appelle la spécialité légale.
La spécialité légale, c’est simplement le fait que lorsqu’on reconnaît une personnalité morale à une
organisation, normalement, elle ne peut utiliser cette personnalité morale dans un autre but que celui qui a été
choisi par le législateur. Donc la spécialité légale d’une association qui a la personnalité juridique (c’est-à-
dire la plupart, les ASBL et ASBLI) est exprimée dans l’art 1:2 et exclut normalement les actes qui violent
cette finalité poursuivie par la reconnaissance de la personnalité morale.
Ici, on ne peut pas admettre l’acte d’enrichissement, et l’acte d’enrichissement est devenu l’acte de
distribution.
C’est pour ça qu’à la fin de la définition, on dit que toute opération violant cette interdiction est nulle. Donc
la sanction, c’est la nullité de l’acte.
On verra qu’en fait, les sanctions sont encore plus graves que ça pour les associations qui ont introduit cette
distribution dans les statuts. Si on prend l’art 9:4, 5° par exemple, ou l’art 2:113.
On a toute une série de sanctions qui tentent d’éviter que des actes contraires aux finalités de création de
l’association puissent être posés.
Le problème de la société, ce n'est pas l’interdiction de distribuer, ce sont des actes qui s’avèreraient
contraires à cette obligation de distribution. Jusqu’où irait-on pour distribuer l’argent? Par exemple, donner
un salaire à sa fille alors qu’elle ne fait rien dans la société. Ce n'est pas conforme au principe de spécialité
légale de la société.

Un mot sur la distribution indirecte: on a l’art 1:4 qui explique un peu ce qu’on entend par distribution
indirecte. On dit que c’est toute opération par laquelle les actifs de l’association ou de la fondation
diminuent, ou les passifs augmentent et pour laquelle celle-ci soit ne reçoit pas de contrepartie, soit reçoit
une contrepartie manifestement trop faible par rapport à sa prestation.
Par exemple, c’est un bien qui sort du patrimoine ou une somme d’argent qui sort du patrimoine.
Le patrimoine est composé d’actifs et de passifs, les actifs, c’est tout ce qu’on fait rentrer dans la société, qui
ont une valeur et qui appartiennent à la société, faisant partie de son patrimoine. Les passifs, c’est le

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contraire. Ici, on peut imaginer des distributions indirectes qui ne prennent pas la forme d’une distribution
d’une partie des profits en fin d’année aux membres de l’association.
On peut imaginer que des avantages soient donnés aux membres. Le fait de prévoir un avantage n’est pas
contraire à ce texte! Ce qu’on vise ici, c’est l’avantage sans contre-prestation raisonnable. L’important, c’est
de ne pas détourner l’association pour en retirer des profits alors que la nature de l’association, c’est
précisément de ne pas chercher des profits pour ses membres.

L’idée de la fondation, c’est d’affecter un patrimoine à la poursuite d’un but désintéressé. Ce ne sont pas des
membres, c’est quelqu’un qui a un patrimoine et qui le « donne » dans une structure, pour remplir les
missions ou pour les besoins qu’il a choisis.

Le GEIE: ce n’est pas vraiment une société mais pas une association non plus, c’est une structure d’origine
européenne qui a été réglementée dans les années 80 (règlement du 25 juillet 1985) et c’est une personnalité
morale dont le but est de faciliter ou développer l’activité des membres. Donc ce sont souvent des
associations professionnelles qui peuvent former un GEIE, et le but est alors pas une activité économique,
mais le but est d’œuvrer pour le confort et les intérêts de ses membres. On ne peut pas dire que c’est
vraiment une société puisqu’elle n’a pas d’activité économique déterminée, mais ce n'est pas vraiment non
plus une association, le but est de réaliser des économies d’échelle entre les sociétés et de pouvoir tirer des
avantages de cette économie d’échelle du fait de ce GEIE.

Voilà pour nous la distinction majeure du CSA.

Section 3. Les sociétés avec personnalité juridique et les sociétés sans


personnalité juridique
Voilà une deuxième distinction, ça distingue assez bien les différents types de sociétés.
C’est sans doute la distinction principale qu’on trouve aujourd’hui entre les sociétés.
La summa divisio, c’est cette distinction entre sociétés avec ou sans personnalité juridique.
Pour les distinguer, on va à l’art 1:5, et on nous explique au §1 que la société simple est dépourvue de
personnalité juridique.
Ce n’était pas évident d’avoir une société qui pouvait fonctionner sans personnalité juridique, on ne
connaissait pas ça avant 1995. Depuis, c’est possible, c’est le reliquat de l’ancienne société civile du code
civil et qui est régie par le livre 4. Il utilise une structure sans personnalité juridique, étant entendu qu’en
réalité, sur base de l’organisation de base de la société simple, on peut construire 2 types de sociétés avec
personnalité (la SNC et la société en commandite).
Mais donc la société simple est la seule société du code sans personnalité juridique.

Et puis viennent les sociétés avec personnalité juridique, et elles sont toutes listées dans l’art 1:5, §2.

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Au §4, on liste aussi les associations qui ont la personnalité juridique. C’est là qu’on apprend que l’ASBL a
la personnalité juridique.

Dernière remarque: le code les organise selon l'intensité de la personnalité juridique. On part de la SRL et on
va jusqu’aux formes de sociétés plus complexes (SA et société avec agrément).

Différence entre les SRL et les sociétés à responsabilité illimitée:


Cette distinction transcende la distinction entre les sociétés avec et sans personnalité morale.

Une SRI est par exemple la société en nom collectif, mais aussi la société simple. Ce sont des sociétés où les
associés sont responsables des dettes sociales au-delà de leur apport. Ça veut dire qu’au moment de la
liquidation ou de la mise en faillite de la société, s'il y a des dettes sociales qui n’ont pas été payées, il faudra
qu’ils paient.
À tout moment, théoriquement, on pourrait imaginer que les créanciers, faisant face à un défaut de paiement
de la SRI, les actionnent pour obtenir paiement. c’est très théorique, ça ne se fait pas en pratique. En
pratique, le défaut de paiement doit être constaté par un tribunal, il faut un jugement avant de pouvoir se
retourner contre les associés. Mais en pratique, ça n’arrive jamais, soit parce que la société ne sait pas faire
face à ses dettes et elle tombe en faillite, soit il y a une raison pour son non paiement et on trouve une
solution. Donc c’est théorique et exceptionnel, mais ça peut arriver.

Dans les SRL, les associés ne sont pas engagés au-delà de leur apport. Si la société tombe en faillite, on paie
avec ce qu’on a dans les caisses, et s’il n’y a plus rien dans les caisses, on ne paie pas. On voit tout de suite
que le risque des tiers est différent à l'égard d’une SRL ou à l’égard d’une SRI. Les tiers prennent moins de
risques avec une SRI. S'engager avec une SRL, c’est prendre un risque plus important, puisqu’on coupe
l’accès au patrimoine des associés en cas de défaut de paiement.

Pour une SRL, il y a une stricte distinction entre le patrimoine des associés et de la société durant toute la vie
et même à la mort de la société.

Section 4. Les sociétés de personnes avec personnalité juridique et les


sociétés de capitaux
Une société de personnes, c’est une société dans laquelle la personne des associés est déterminante (intuitu
personae). Et on peut qualifier de société de personnes les sociétés qui sont à responsabilité illimitée. Les
deux sont nécessairement liés parce que, puisque le risque est plus grand puisque les fondateurs et associés
risquent de devoir mettre main à leur poche, il est important pour eux de se connaître bien et de se choisir, et
de ne pas s’engager avec le risque de voir un associé remplacé par un autre, à qui on n’aurait pas voulu
s’engager et partage ce risque réel de devoir perdre beaucoup d’argent dans l’aventure. On ne veut pas être

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solidaire avec n’importe qui. Le risque est grand, et le meilleur moyen de limiter ce risque, c’est de bien
choisir les personnes avec qui on s’associe.

Pour les SRL, on peut aussi l’apercevoir et l’organiser comme étant une société intuitu personae, mais il n’y
a pas les mêmes effets. C’est moins pur que la SRI. Mais là aussi, les associés sont identifiables, on fait en
sort qu’ils ne puissent pas être remplacés facilement, et donc on limite la possibilité de céder des titres. En
réalité, on met alors fin à la société à la mort d’un associé par exemple.

On retrouve donc des sociétés de personnes dans les SRI (la SNC et la société en commandite).
La SNC est la plus rudimentaire, la plus simple à gérer.
La société en commandite est spéciale, c’est le premier modèle de société dans l’histoire: on a 2 types
d’associés: les commanditaires (les financiers, ceux qui apportent les moyens de fonctionner à la société, ils
ont une responsabilité limitée) et les commandités (ils gèrent et sont solidairement responsables des dettes de
la société). C’est une société mixte.

Et puis on peut organiser des SRL sur le modèle de société de personnes, avec les SRL et les sociétés
coopératives.
Quelles sont les caractéristiques des sociétés de personnes, qu’on retrouve principalement dans les SRI et qui
forcent vraiment le trait du caractère intuitu personae?
- Le principe d’incessibilité des parts: normalement, les parts sont incessible, sauf, dit l’art 4:6, « à moins
qu’il n’en soit convenu autrement ». C’est dans les règles pour les sociétés simples, et donc aussi pour les
SNC et les sociétés en commandite
- La mort et le retrait d'un associé ont une conséquence directe sur la société puisque normalement elle est
dissoute de plein droit du fait de ces événements qui ont trait à un associé. Non seulement la mort, mais
aussi par exemple l’incapacité ou la faillite, ou la déconfiture, ou la liquidation d’un associé. Sauf
convention contraire, la société va être dissoute (art 4:16 qui énonce les causes de dissolution des sociétés
simples). C’est la logique intuitu personae en plein.
Il y a des possibilités d’exceptions en ce qui concerne le décès (art 4:18) mais il faut le prévoir.
- La responsabilité illimitée des associés dans ce cas (art 4:22).
- Les statuts ne peuvent, en principe, être modifiés que moyennant le consentement unanime des associés.
Comme c’est intuitu personae, il n'est pas question qu’on nous impose une autre activité que celle choisie
initialement, puisqu’il y a un lien entre l’activité initiale et le choix des associés.
- Les associés ne peuvent pas faire concurrence à la société, il faut respecter le principe de l’exécution de
bonne foi.

Si la responsabilité est limitée mais qu’on veut quand même faire une société intuitu personae, on conserve
une partie des caractéristiques mais elles sont moins marquées. Il y a moyen de limiter la cessibilité des
actions en conditionnant celles-ci, par exemple avec des clauses de rachat par les associés. On peut modifier
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les statuts mais on limite ou on conditionne les modifications de statut. On peut aussi prévoir certains cas où
la situation décrite ci-avant de l’associé ne va pas nécessairement entraîner la dissolution de celle-ci, par
exemple en indiquant que la mort d’un associé n’ouvre pas la voie à la dissolution de la société. Donc des
caractéristiques qui sont moins marquées pour des SRL intuitu personae.

Ces sociétés de personnes sont opposées aux sociétés de capitaux. Les sociétés de capitaux présentent des
caractéristiques inverses et dans lesquelles les caractéristiques personnelles des associés sont a priori
indifférentes pour la société elle-même. L’objet et la finalité de la société étant de rassembler des capitaux,
des moyens financiers permettant à la société d’exercer son activité économique de manière plus efficace et
confortable. Donc l'idée ici, c’est d’imaginer une structure qui permette, en elle-même, de rassembler
facilement des capitaux sans devoir, par exemple, passer par une banque pour obtenir un prêt.

Évidemment, ce type de société et ce but impliquent en lui-même qu’il n’y a pas besoin de connaître les
associés ni de leur faire particulièrement confiance. Le seul acte qu’ils vont poser, c’est d’acheter une part.
Donc les associés ne se connaissent pas et sont d’ailleurs susceptibles de changer à tout moment (c’est la
revente de parts).
Donc on retrouve les caractéristiques inverses de celles qu’on a données pour les sociétés intuitu personae:
- Les actions sont cessibles, et ça fait partie de l’attraction de ces sociétés.
- Le statut personnel des associés est sans incidence sur la société.
- Les statuts de la société peuvent être modifiés assez normalement. C’est toujours un acte assez important
et grave, c’est l’objet même de l’activité d’une société, donc des majorités qualifiées seront sans doute
prévues, mais c’est possible. La société peut donc évoluer avec une certaine souplesse concernant son
activité.
- Ces sociétés se caractérisent aussi par le fait qu’elles ont la responsabilité limitée, la responsabilité des
actionnaires est limitée à l’apport. On comprend pourquoi: c’est propre à cette idée de capitalisation de la
société, on veut attirer l'investisseur et donc on va aussi diminuer ses risques pour rendre plus confortable
cet investissement et cette prise de risque.
- Autre particularité pour les sociétés anonymes: le capital est a priori intangible. Ça veut dire que la valeur
du capital qui a été constitué par les apports en capital (les « paiements » pour l’obtention des actions) ne
va normalement plus bouger. Si on a constitué une SA et que les fondateurs ont apporté chacun 100
millions d’euros, dans 30 ans lors de la liquidation, il y aura encore un poste au passif de 100 millions
d’euros, qui est une dette à l'égard des associés, une dette au passif. C’est ce qu’on appelle le capital de la
société, qui représente, au passif, une dette de la société à l’égard des créanciers apporteurs, mais ces
sommes d’argent représentent aussi de l’actif, cet argent va sur les comptes de la société, et grâce à cet
actif, la société va trouver des moyens de fonctionner. C’est le but de l’opération!
On voit aussi que le capital est une valeur théorique. Elle ne se modifie pas parce qu’elle vise le montant
de la créance, mais en réalité, le côté actif de la contrepartie de la reconnaissance des droits, lui, va se
modifier durant toute la vie de la société.
97
Il y a une règle particulière pour les SA: la société ne peut pas faire descendre son actif net sous le capital
minimum. C’est-à-dire qu’on doit injecter un minimum d’argent dans le capital pour lui permettre de
fonctionner (art 7:2 CSA pour le minimum). Ça veut dire que la valeur de ce qui a été entré dans la
société du côté actif ne peut pas descendre sous la valeur minimum de la créance envers les associés.
Donc l’actif bouge, le cas échéant, on investit des choses mais on n’a rien en retour, et on a moins d’actif.
Et on considère qu'une fois que l’actif descend sous le capital minimum, on se met en danger mais on met
aussi en danger les tiers. On considère que ce capital des sociétés de capital, c’est le gage de paiement des
créanciers.

La vraie valeur d’une société est donc l’actif, ce qu’elle a en avoirs, et la valeur d’une société, ce n'est pas sa
capitalisation boursière! Si une société dépasse les mille milliards en capitalisation boursière, ça ne veut pas
dire que c’est la somme qu’on a investie dans la société! Ça veut dire que pour revendre les actions, il
faudrait mettre mille milliards pour devenir le propriétaire plein et entier de la société. C’est la valeur de
revente de la société au jour dit et au cours du jour. C’est dû au fait qu’il y a 2 marchés: un marché primaire
où on fait entrer l’argent (on devient actionnaire, on entre en bourse), les gens achètent, et le marché
secondaire, où on a les reventes successives des actions entre le fondateur et le premier acheteur, puis le
deuxième, troisième, etc. Chacun espérant faire une plus-value.
Quand le cours s’effondre, en soi, ça ne veut pas dire que la société perd de l’argent. Ça veut dire qu’elle
vaut moins cher. Son vrai problème, c’est qu'une fois qu'elle vaut moins cher, les tiers lui font moins voire
plus du tout confiance. Donc le phénomène de chute de bourse sera, le cas échéant, pris en considération
pour l’octroi d’un prêt à la société par exemple. Donc ça a des conséquences, pas en termes de pertes
financières mais en termes de confiance. Et c'est cette perte de confiance qui se transformera en perte
financière si on n’a plus la confiance des investisseurs.

Il y a encore quelques définitions dans le CSA qui permettent, le cas échéant, une distinction entre les
sociétés, par exemple l’art 1:11 qui parle des fameuses sociétés cotées. La société cotée est la société dont
les parts (qui prennent la forme d’actions ou d’autres instruments) sont mises sur un marché et vont se
négocier sur ce marché, étant entendu que ça se fait selon une procédure extrêmement réglementée et dans
des conditions tout à fait particulières.
Ces sociétés cotées ont toujours été des SA jusqu’à présent. les SRL peuvent maintenant l'être aussi, et elles
sont soumises à des dispositions particulières qui s’appliquent spécifiquement à ces sociétés, compte tenu de
l’influence qu’elles peuvent avoir et du risque pris par les tiers (qui sont les investisseurs et qui peuvent avoir
des intérêts très différents).

Section 5. Les grandes, petites ou moyennes sociétés


On trouve cette distinction à l’art 1:24. On fait une distinction entre les petites et micro sociétés. Ce sont des
qualifications qui ont une importance dans la partie sur la comptabilité: on ne soumet pas au même devoir
comptable les sociétés, selon leur taille et leur importance. On les catégorise au nombre de travailleurs.
98
Section 6. Les groupes de sociétés
On en parle souvent, et on va en parler nous en droit de la concurrence.
Il n’y a pas de définition ou de règles générales sur les groupes de sociétés. Là aussi, c'est une notion qui va
être abordée de manière peu importante en matière de droit comptable, parce qu’il va y avoir des bilans
consolidés entre sociétés du même groupe, elles ont le droit de tenir des comptes communs.
Et un groupe de sociétés, même si ce n'est pas défini tel quel, c'est un ensemble constitué de sociétés
juridiquement indépendantes, mais qui sont unies par des liens juridiques ou économiques en vertu desquels
une société a le contrôle des autres. C’est la notion de contrôle qui est essentielle, savoir qui contrôle. C’est
un jeu de société mère et de sociétés filiales.

Cours du 16 mars

Chapitre 3. L’acte de société


Nous avions vu, via la définition du contrat de société qu’il s’agissait d’un acte juridique et non pas d’un
contrat, en tout cas pas de manière générique, ce qui permettait de penser déjà qu’en réalité, une société peut
être le fruit d’un acte juridique unilatéral ou multilatéral. À ce moment-là, les parties poursuivent un but
commun, et si un contrat est conclu, il est consensuel, synallagmatique, à titre onéreux et il peut être assorti
d’un terme ou d’une condition.
Ce qui nous intéresse, c’est l’acte en lui-même et les conditions particulières qu’il doit remplir.

Section 1. La forme
La première question qui se pose est de savoir quelle forme doit prendre cet acte juridique. Ça va dépendre
des caractéristiques de la société. Si on est devant une société dépourvue de personnalité morale (société
simple dans sa version de base), à ce moment-là, il n’y a même pas d’écrit qui est exigé, il n’y a pas
d’obligation de forme spécifique. Donc la convention peut naître d’une convention verbale.
Pour des raisons de preuve, il faudrait être un peu téméraire de ne pas passer un écrit pour se constituer les
preuves des engagements réciproques.
Une fois qu’on passe à des sociétés un peu plus complexes, on va retrouver des conditions de forme plus
contraignantes. Là, on va faire une différence entre les sociétés à responsabilité illimitée et limitée.
Si on prend l’art 2:5, §1: il s’agit de sociétés ayant la personnalité morale, et c’est une forme relativement
souple. On peut décider de passer devant notaire, mais ça implique des frais, donc pourquoi le faire devant
notaire alors que la loi permet simplement de dresser un acte sous seing privé entre parties qui ne coûtera
rien du tout?
Si les sociétés sont à responsabilité limitée, on augmente d’un cran les conditions de forme. Il y a une
logique à cela: pour les sociétés à responsabilité limitée, elles doivent être constituées par acte authentique, à
peine de nullité. Donc on doit aller chez un notaire pour passer un acte authentique constitué du contrat et
99
des statuts de la société. Ce qui explique aussi que les notaires, ou en tous cas les notaires dans les grandes
villes, sont souvent des spécialistes de droit des sociétés. Ils sont amenés, par ce biais, à conseiller des clients
sur la forme la plus adéquate à leurs besoins, et en plus, ils sont seuls habilités à passer l’acte. C’est assez
rémunérateur aussi, puisqu’ils sont payés sur la valeur des actifs ou du capital de la société.

Pourquoi cette gradation? Plus le tiers voit ses droits possibles à l’égard des associés limités, plus les
conditions de forme augmentent. Pourquoi? Parce que ce qu’on veut, dans les sociétés à responsabilité
limitée, c’est apporter un confort maximum au créancier, qui n’a de droits qu’à l’égard du patrimoine de la
société et qui, a priori, ne peut pas se nourrir, en cas de défaillance, auprès des associés et donc le fait de
passer un acte authentique augmente le confort, tant des associés que des tiers. À ce moment-là, on impose
aussi une plus grande transparence.

Section 2. Les conditions générales de validité


Outre les conditions de forme, elles sont connues:
S’il s’agit d’une convention, on retrouve les conditions générales de validité de toutes les conventions
(capacité, objet, cause, absence de vice de consentement…).
La cause se vérifie par rapport au statut et à la convention des parties. Ce n’est pas la cause subjective de
l’engagement de chaque associé.

Section 3. Les éléments caractéristiques ou conditions spécifiques


Ensuite viennent les caractéristiques particulières de la convention ou de l’acte, telles qu’elles découlent de
la définition que nous avons étudiée à l’art 1:1 CSA.

§1. Le nombre d’associés


S’il y a pluralité de fondateurs, il y a contrat. S’il n’y a qu’un seul fondateur, c’est uniquement dans les SRL
et les SA, sinon on doit passer un contrat entre associés, et il faut a priori au moins 2 associés (art 4:1 pour la
société simple).
Attention: parfois il en faut plus! Pour une société coopérative, il faut 3 associés au minimum (art 6:3).
Quand il faut 2 associés, la réunion de toutes les parts entre les mains d’un seul associé va, le cas échéant,
avoir des conséquences radicales pour la société, puisqu’il faut au moins 2 associés. S’il n’y a plus qu’un
associé qui est propriétaire de toutes les parts, c’est une cause de dissolution de la société.
Il y a des règles particulières pour les SA et les SRL, encore une fois parce qu’on veut maximaliser la
sécurité juridique. Ce n’est pas très confortable de voir une société, le cas échéant, qui a 10-15 ans d’activité
et dont toutes les parts sont réunies entre les mains d’un associé, à cause d’un historique sans doute
impossible à suivre pour les tiers, et la société est dissoute, elle disparaît. C’est un risque qu’on a voulu
limiter pour les SA et les SRL, où on a des périodes transitoires organisées par le code pour permettre à la
personne qui se retrouve seule de retrouver d’autres associés.

100
Donc, une ou deux personnes.

§2. La participation aux bénéfices


Avant, on parlait de la contribution aux pertes, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

La finalité du but de lucre, ce but de créer du bénéfice au travers de l’activité économique de la société est
une condition essentielle du contrat de société, elle caractérise l’acte de société. L’idée est bien de permettre
aux associés de se partager du profit, le profit qui va naître de l’activité. Le profit est un bénéfice
patrimonial.
Une chose nouvelle aujourd’hui, c’est que la proportion de bénéfice prise par chaque associé n’est pas
forcément égale (avant, elle l’était). Ils peuvent négocier les parts de bénéfice, c’est déterminé librement par
convention. Ça n’est plus nécessairement proportionnel aux apports. Avant on évaluait les apports, on avait
100, et on regardait quelle était la valeur des apports qu’on avait apportés dans la société pour déterminer les
droits sociaux qui allaient nous être octroyés en contrepartie, et dans ces droits sociaux, il y a les droits aux
bénéfices potentiels de la société, qui étaient proportionnels à la valeur de l’apport par rapport à la valeur
globale de l’ensemble.

Mais il y a quand même une limite qui s’impose toujours aux associés, limite qui naît d’une autre
caractéristique au contrat de société: le risque. Quand on se lance dans une activité économique dans le cadre
d’une société, on va prendre un risque, le risque sur l’apport.
L’investissement qu’on va faire, au départ, on n’est jamais certain de le retrouver.
Donc il est normal qu’on ne puisse pas non plus priver un des associés de tout bénéfice attendu dans la
société, parce que cette société peut engranger tant des bénéfices que des pertes. Et ces pertes, il devra les
supporter le cas échéant.
Donc on a inséré des règles qui interdisent les clauses léonines. Les clauses léonines, ce sont des clauses qui
permettraient aux associés d’exclure un ou plusieurs d’entre eux des bénéfices et des profits de la société.
Il y a diverses dispositions, une pour chaque type de société.
Si on va voir l’art 4:2, al 2: on ne comprend pas très bien cet ajout (« à moins qu’elle puisse recevoir une
autre qualification qui la rendrait valable »). Soit c’est une clause léonine et elle est effectivement nulle, soit
elle peut recevoir une autre qualification et on n’est plus dans le champ d’application de la disposition. Donc
cette disposition est un peu étrange.

On a aussi des règles différentes selon les types de société concernant la sanction. Pour les sociétés simples,
la sanction est radicale. La société est nulle, tout simplement. Lorsqu’on fait le lien avec le fait que pour la
société simple, c’est une nullité avec effets rétroactifs, on comprend tout de suite les conséquences que ça
peut avoir, notamment pour les tiers qui sont en relation avec la société simple.

101
C’est pour ça que pour les sociétés à responsabilité limitée, on a imaginé des règles spécifiques qui
permettent d’éviter cette sanction, par exemple l’art 5:14. Dans ce cas, la convention va subsister, c’est juste
la clause qui sera réputée non-écrite et à laquelle on ne pourra donner aucun effet. Une fois de plus, on
assouplit la sanction, ce qui est un bénéfice, tant pour les associés qui n’ont pas tous les mêmes droits.

§3. Les apports


L’art 1:1 prévoit que chaque associé doit faire un apport.
Chaque associé est obligé de participer à la création des moyens qui vont permettre à la société de
fonctionner. Chaque associé, en opérant l’apport, constitue une partie du patrimoine social de la société, et
donc chaque associé est débiteur de l’apport dès l’instant où il signe la convention. On parle d’ailleurs de la
souscription des apports (quand on s’engage à apporter quelque chose) et de la libération des apports (quand
on exécute l’engagement).
Du reste, tous les apports ne sont pas nécessairement libérés lors de la constitution de la société. On peut
s’engager à apporter une certaine somme, et au moment de la création de la société, on libère la moitié et on
laisse l’engagement dans le patrimoine de la société, en se disant que le jour où il faudra plus de moyens, on
exigera la libération du reste des apports. C’est tellement vrai que la première chose que va faire un curateur
de faillite au moment où le dossier arrive chez lui, ou même le liquidateur, c’est regarder s’il y a encore des
apports non libérés, parce que parfois, on les oublie totalement. Ou alors on se dit comme on n’a pas dû
mettre l’argent, on ne devra plus en mettre. Mais en réalité, l’engagement est définitif. Même à la fin, au
moment de la mise à mort on va regarder la créance qui sera exigible, du fait qu’on met à mort la société.

On trouve, à l’art 1:8, une explication des apports qui n’existait pas dans l’ancien code des sociétés. Il
simplifie la vie. L’apport est la condition d’accès au bénéfice, puisqu’on va être « payé », non pas par un
versement d’argent par exemple, mais par des droits. Et le droit qui est rappelé ici, c’est un des droits
sociaux, celui de pouvoir participer aux bénéfices.
Le fait d’apporter est un acte juridique qu’il est difficile de qualifier, parce qu’il ne se ramène pas aux
contrats nommés qu’on connaît. Quand on apporte quelque chose à une société, on ne fait pas un don
puisqu’on reçoit quand même des droits. Peut-être qu’on n’aura rien, qu’on va quand même se planter et
qu’on ne pourra jamais retirer de profit, mais peut-être même pas récupérer la mise, mais ce n’est pas un don
parce qu’on reçoit quand même quelque chose qui a une valeur potentielle, et d’ailleurs espérée.
Est-ce que c’est un prêt? On met à disposition de la société une somme d’argent, mais cette somme devient
une dette pour la société, elle doit la valeur des apports aux associés qui ont exécuté cet apport. Ce jeu de
mise à disposition et de remboursement, est-ce que ce n’est pas le propre d’un prêt, même avec des intérêts
qui seraient les dividendes qu’on perçoit tout au long de la vie de la société? Non, parce qu’un prêt suppose
la restitution de ce qui a été prêté, or ici, ce ne sera jamais le cas. Si on apporte un immeuble, on ne va pas
nous rendre l’immeuble. On va nous rendre la valeur, mais si ça tombe on ne nous rendra rien.
C’est un acte sui generis, il ne se ramène pas à un autre acte juridique. C’est une convention particulière par
laquelle l’associé va apporter quelque chose à l’organisation sociétale et il va recevoir des droits.

102
Par rapport à l’opération d’apport elle-même, il faut bien comprendre que ce qui est apporté doit sortir du
patrimoine, doit être mis à disposition de la société. Ça veut dire que si on apporte un immeuble à la société,
la société devient propriétaire de l’immeuble.
Et pour que cette cession soit valable, il faut que ces droits représentent une valeur. Les droits qui vont être
cédés ou reconnus à la société et qui vont rentrer dans son actif, ces droits vont devoir répondre à certaines
conditions.
Attention: la condition d’égalité n’est pas une condition applicable aux apports!

Et il faut bien retenir que si on s’engage à apporter quelque chose, on ne s’engage qu’à apporter cette valeur.
Donc pas question de recapitaliser la société si un jour elle ne va pas bien, il n’y a aucun engagement au-delà
de la valeur d’apport telle qu’elle a été fixée et évaluée au moment où la convention est passée, il n’est
jamais obligé de recapitaliser, d’augmenter ses investissements et donc son risque.

Par contre, il faut que cet apport ait un objet réel et licite. Licite, c’est assez facile à comprendre. Réel, on
peut avoir des discussions: il faut l’existence d’une valeur patrimoniale objective qui puisse être reconnue et
attribuée à l’objet de l’apport.
Par exemple, si on apporte un brevet, on va céder les droits qu’on a obtenus sur une invention à la société.
Mais on se rend compte que ce brevet n’a pas été renouvelé à temps, et il ne vaut plus rien. C’est un apport
qui n’est pas évaluable en argent.
Si on apporte des créances (parce qu’on peut tout apporter, de l’argent, des biens et même du travail), il faut
qu’on puisse l’évaluer et obtenir un chiffre déterminable au moment où on effectue l’apport.
Donc une créance à l’égard d’un créancier notoirement insolvable n’a pas de valeur.

Quel type d’apport peut-on imaginer?


D’abord, l’apport en numéraire est l’apport d’une somme d’argent (art 1:8, §2).
Le §2 continue en expliquant ce qu’est un apport en nature: tout autre bien corporel ou incorporel peut
constituer l’objet de l’apport, pour autant qu’il soit susceptible d’une évaluation économique. Ça peut être
l’apport de droits (intellectuels, de créance, de jouissance…). Tant qu’ils sont transférables et évaluables en
termes de valeur économique, puisque même si les associés ont une capacité de négocier les droits sociaux
qui sont données en contrepartie, la première manière d’évaluer ces droits sociaux, c’est d’évaluer la valeur
de l’apport qu’on a effectué, même s’il n’y a pas de lien direct et proportionnel entre les deux.

L’apport en nature est susceptible de poser problème: contrairement à l’argent, l’immeuble apporté à la
société doit encore être évalué, et l’opération d’évaluation peut poser problème. On se méfie des situations
où les associés en viendraient à surestimer les apports. Pourquoi? Parce que cette surévaluation du bien
apporté pourrait constituer, in fine, un danger pour les tiers. Encore une fois, il y a cette idée de base dans la
construction de la société que les apports qui constituent l’actif et qui constituent le passif de la société à

103
l’égard des associés, constituent la garantie des tiers qui vont être amenés à avoir des relations d’affaires
avec la société, qui vont, le cas échéant, obtenir des créances à l’égard de cette société, ils doivent avoir une
idée de la capacité financière de cette société à s’engager au remboursement ou au paiement, à l’exécution
des engagements. Et pour ça, il est important de savoir comment elle est financée.
La solvabilité qui découle des moyens qui ont été mis à disposition de la société peut être biaisée si on
surévalue les biens.
C’est aussi un problème pour les associés: il s’agit de savoir quelle est la valeur des apports effectués par
chaque associé, même si on s’est départis de la règle de proportionnalité par rapport à la valeur de chaque
apport. Même s’il n’y a pas de règle égalitaire, c’est quand même un point essentiel dans la négociation et ça
va être un jeu de compensation par r apport aux droits qui vont être octroyés.

Donc cette surévaluation est problématique, tant pour les tiers que pour les associés. C’est pourquoi, mais
pour certaines sociétés seulement, les sociétés à responsabilité limitée, on va imposer des procédures de
contrôle et d’évaluation des apports en nature. Par exemple, art 5:7: en cas d’apport en nature, les associés
doivent rédiger un rapport spécial où ils doivent expliquer quel est l’intérêt pour la société d’acquérir l’objet
de l’apport en nature, expliquer aussi quelle est la méthode d’évaluation qu’ils ont suivie et les modes
d’évaluation appliqués. Cette justification fait partie des documents constitutifs de la société. Mais ce n’est
pas tout, en réalité, une fois que ce rapport a été dressé, on impose un rapport du réviseur d’entreprise, il doit
examiner les explications des associés, des fondateurs relativement à l’utilité de l’apport et à l’évaluation qui
en a été faite par les associés. Et soit tout le monde est d’accord, il n’y a rien à redire, le réviseur comprend la
façon dont on a évalué le bien, soit il y a une contradiction, il ne comprend pas, il dit que le bien a été
surévalué. Il indique tout ça dans son rapport, qui rejoint les documents constitutifs de la société, et dans ce
cas, les fondateurs doivent reprendre la plume. S’ils ne suivent pas les critiques et l’évaluation qui sera faite
par le réviseur, ils doivent se justifier en expliquant pourquoi ils n’ont pas suivi le rapport, pourquoi ils
s’écartent des recommandations du réviseur d’entreprise. Tout ça va, encore une fois, faire partie des
documents constitutifs de la société, qui vont être publiés et déposés, ce qui fait que les tiers auront une
information quant à l’évaluation qui a été faite des apports en nature dans la société.
C’est aussi toujours une idée d’augmentation de la sécurité juridique, qui est en fait la contrepartie: on
augmente la sécurité juridique des tiers parce qu’on a augmenté le confort des associés dans les sociétés à
responsabilité limitée.

On peut imaginer apporter du travail (apport en industrie). Des prestations vont être effectuées par l’associé,
et en contrepartie il va obtenir des droits sociaux. On en parle aussi à l’art 1:8 §2.
Ça ne vaut pas dans les SA. Avant on l’excluait de toutes les SRL également.
Pourquoi est-ce qu’on se méfie de ce type d’apport? Pour des raisons déjà évoquées: il y a des problèmes
d’évaluation de ces prestations. Comment peut-on évaluer ces engagements de manière objective afin
d’éviter ces problème de surévaluation?

104
Et puis il y a un autre problème: comment obtenir l’exécution forcée directe de la prestation d’engagement?
On ne va pas faire de pression physique ou psychologique sur les gens. La seule chose qu’on peut faire, c’est
les mettre à l’amende, prévoir une clause pénale en cas de non-exécution, mais pour beaucoup de gens, une
amende de plus ou de moins, ils s’en fichent puisqu’ils ne savent quand même pas payer.
Donc cet apport en industrie a toujours fait l’objet d’une méfiance du législateur.
On peut aussi être rassurés par le fait que dans le code, il fait partie des apports en nature, on va récupérer
certaines garanties propres aux apports en nature.
Il y a des conditions particulières (art 1:9, §2, 3°). Un rapport doit être dressé, des justifications doivent être
données, des comptes doivent être rendus particulièrement par ce débiteur de l'apport en industrie. On dit
aussi qu’il ne peut pas faire concurrence directement ou indirectement à la société pendant toute la durée de
son apport.

Précision: les apports peuvent être faits en propriété ou non! On peut apporter un droit personnel, pas
forcément un droit réel et ce n’est pas nécessairement une cession ou une propriété. Mais il faut des droits
transférables.

§4. L’affectio societatis


Il y a des choses qui ne sont pas inscrites dans la définition et qui, pourtant, sont reconnues comme étant des
caractéristiques de la société. La condition qui est souvent mise en avant et qui est reconnue par la
jurisprudence, même si un peu contestée aujourd’hui, c’est l’affectio societatis, l’affection dans la société.
Que veut-on dire par affectio societatis? C’est « l’élément romantique » de la société, dans le sens où cette
affection, ce sentiment particulier d’attachement à la société traduirait l’esprit de collaboration et d’égalité
qui devrait régner entre les associés. Les associés doivent collaborer ensemble, la définition de l’art 1:1 le
met en exergue. Ils vont partager cette aventure commune et aussi les risques de l’aventure. C'est tout un
programme.
Ce n’est pas seulement une histoire d’intérêts convergents, ça ne se réduit pas à l’intérêt commun des
associés. Si on relit l’art 4:1, on nous dit que la société est faite dans l’intérêt des associés.
L’affectio societatis est différent de l’intérêt commun de l’ensemble des associés, dans le sens où on aborde
cet intérêt subjectivement, dans le chef de chaque associé. Chaque associé doit être mu par cette volonté
subjective de participer à l’aventure sociétale. C’est pour ça qu’on y voit un côté romantique, c’est un peu la
même chose que ce que l’amour est au mariage. Ce n’est pas seulement une convention, il y a un élément
subjectif en plus de la convention.

À quoi ça sert? On pourrait faire une société sans, bien sûr, mais ça sert surtout à permettre de sortir de
certaines situations de blocage et, le cas échéant, de pouvoir sortir de l’aventure sociétale, à partir du moment
où cet affectio societatis n’existe plus. Si on en fait une caractéristique essentielle, son absence devient une
cause possible de remise en question de l’existence de la société elle-même. C’est pour ça qu’on dit que son
absence peut constituer une justification de la dissolution de la société (ex: art 2:73).

105
§5. Une organisation économique ayant un intérêt propre
Il y a l’intérêt commun des associés, l’affectio societatis qui est l’intérêt subjectif de chacun subjectivement,
et il y a l’intérêt social de la société, qui est encore différent.
C’est l’idée que la société en tant que telle est une organisation qui, le cas échéant, va avoir une vie propre,
indépendante des personnes qui la constituent, principalement quand on va lui reconnaître la personnalité
morale. Et on reconnaît la personnalité morale à toutes les sociétés, sauf la société simple! Donc la plupart du
temps, il y a une société qui a la personnalité juridique, et on va lui reconnaître un intérêt propre. C’est ça
l’intérêt social de la société. Ce n’est pas réductible à l’intérêt commun de chacun des associés ni à l’intérêt
subjectif de chacun des associés non plus. C’est autre chose, c’est l’intérêt de la structure elle-même.
Cette notion a une grande importance pratique, puisqu’elle va permettre de jauger les décisions qui sont
prises par les organes de la société. Quand ils prennent une décision qui va engager la société, les organes
doivent le faire dans le respect de l’intérêt social de la société. Puisqu’ils sont la société, ils doivent êtres
loyaux par rapport aux intérêts de la société, et pas par rapport à leur intérêt propre ou celui des uns et des
autres.
Les décisions, notamment des conseils d’administration, pourront être appréciées au regard de la conformité
de l’engagement, au regard de cet intérêt social.
L’utilité de la notion dépendra de ce qu’on est. Si on réduit l’intérêt social à l’intérêt de l’associé, l’intérêt
sera un peu ténu, ce sera l’intérêt des associés. C’était la première compréhension de la notion et un peu
l’intérêt spontané de la notion, qui était de dire, que principalement, l’intérêt social est l’intérêt de l’ensemble
des associés. Ce n’est pas très révolutionnaire. Quand on va avoir une société très hiérarchisée et
sophistiquée, comme par exemple une SA, ce ne sont pas les mêmes qui gèrent et qui sont propriétaires de la
société, donc dans ce cas, on peut imaginer que les associés; après une décision prise par le conseil
d’administration, disent que cette décision est contraire à leurs intérêts et la contestent.
Mais on a été plus loin dans la compréhension de cette notion, notamment grâce aux approches de la
corporate governance, et on a aujourd’hui une vision élargie de l’intérêt social de la société. C’est un intérêt
au sens de la société au sens large, qui devra s’apprécier en fonction des circonstances dans lesquelles la
décision devra être prise. On va se dire que l’intérêt de la société n’est pas que l’intérêt des associés, c’est
aussi l’intérêt des autres détenteurs d’enjeu, des autres acteurs qui, même s’ils ne sont pas associés, ont des
intérêts liés directement à la société et les décisions qu’elle prend. Par exemple, des employés, des
créanciers, des fournisseurs et pourquoi pas même la société civile? On précise que la société appartient aux
associés, ce sont eux qui ont les droits, car ce sont eux qui prennent les risques. On ne peut donc pas, sous
couvert de l’interprétation de l’intérêt social, nier l’existence des associés, mais lorsqu’on va évaluer l’intérêt
social et l’intérêt des actionnaires, on va tenter de garantir un équilibre au travers de l’intérêt des associés,
avec l’intérêt des autres détenteurs d’enjeu. On va dire qu’on doit prendre en considération non seulement
l’intérêt des associés, mais en relation avec l’intérêt des associés, l’intérêt des autres détenteurs d’enjeu qui
vont être, le cas échéant, impactés par la décision.

106
C’est ce qui s’était passé dans l’affaire Fortis. Le contrôle effectué par la présidente en première instance de
l’intérêt social: on avait vu que l’enjeu, c’était l’application d’une clause de la charte de corporate
governance, et en première instance, la présidente a rejeté la demande. Et il y avait un autre argument, et
c’était que la décision du conseil d’administration de vendre les parts de la banque à BNP Paribas était une
décision contraire à l’intérêt social. C’est ce que disaient les actionnaires. Ils auraient dû mieux négocier le
deal avec les français et obtenir un meilleur prix, ils n’ont pas tenu compte de l’intérêt social de la société, et
par là même, de l’intérêt des associés. La juge dit que s’agissant de l’intérêt social, c’est à tort que les
demandeurs ont contesté l’ensemble des décisions en arguant une violation. Elle admet la conformité à
l’intérêt social, en disant d’abord que la décision est conforme à l’intérêt de la continuité des activités. Parce
que ce dont on avait peur, c’est que la banque tombe en faillite. Le premier intérêt de la société, c’était de ne
pas tomber en faillite, et donc la décision doit aussi être jaugée d’abord en fonction de cette finalité de
l’accord. Il fallait aussi transférer tant les opérations de banque que d’assurances. Il y avait un intérêt à
trouver un repreneur qui pouvait insérer les deux activités dans ses propres activités. La juge dit qu’elle
entend bien que les petits porteurs se plaignent, il faut prendre ça en considération, mais il faut également
jauger ces intérêts avec les conséquences d’une hypothèse où il n’y aurait pas eu de plan de sauvetage, où on
n’aurait pas obtenu de deal avec BNP Paribas. Qu’est-ce qui se serait passé? Il y aurait eu faillite,
anéantissement total des activités de la banque. Et là, ce sont les autres porteurs d’enjeux, les autres acteurs
dont on parle, ces acteurs dont les intérêts doivent être pris en considération au travers de l’intérêt social qui
sont directement touchés. Les premiers, ce sont d’abord les épargnants, les clients, qui risquaient alors de
perdre l’intégralité de leurs avoirs mis en banque. Et elle va même plus loin: par voie de conséquence, ça
aurait eu un impact sur l’économie belge toute entière. On fait rentrer dans l’intérêt social même des parts
d’intérêt général!
Et donc c’est en prenant l’intérêt des clients, des travailleurs, des employés de Fortis en compte, les
employés de Fortis sont les premiers touchés en cas de faillite, or Fortis emploie des milliers de personnes,
donc il y a aussi leur intérêt qui doit être pris en considération. Il fallait faire une balance d’intérêts pour
jauger de la bonne décision qui a été prise, et elle dit que s’agissant de la balance des intérêts, les
demandeurs vont insister sur l’urgence à obtenir les mesures sollicitées, et elle dit que la décision du conseil
d’administration lui paraît totalement justifiée, parce qu’elle a été prise en tenant compte des intérêts de tous
les autres détenteurs d’enjeux et que pour eux, au nom de ces intérêts, on pouvait justifier qu’un certain
dommage soit subi par les actionnaires en question.
On voit donc à quoi sert cette notion d’intérêt social, ce n’est pas une notion théorique. C’est une notion qui
va directement permettre d’analyser et d’évaluer une décision des organes (et en l’espèce, de considérer que
la décision garantissait un équilibre entre tous ces intérêts).

C’est aussi une notion suffisamment souple que pour faire rentrer de nouveaux intérêts ou de nouvelles
préoccupations dans le cadre des décisions prises par certaines sociétés (c’est ce qu’on appelle la
responsabilité sociale de certaines sociétés à l’égard des détenteurs d’enjeux). Grâce à ça, on peut aussi

107
s’attaquer à des décisions qui ne prendraient pas en compte l’intérêt des acteurs à long terme et qui se
focaliseraient sur un profit de maximalisation des bénéfices à court terme.

Mais cet intérêt social ne peut pas réduire à néant l’intérêt des associés! Les droits fondamentaux des
associés sont principalement le droit de continuer à faire partie de la société. C’est le droit premier de
l’associé. Si on prend l’associé comme associé, il n’est pas question de remettre en cause sa présence. Il est
partie à la convention, il peut en sortir dans les cas fixés par la convention et par la loi sur les sociétés, mais
en dehors des hypothèses restrictives, on devra faire avec lui, et s’il ne veut pas partir, il ne partira pas.

Le deuxième droit, c’est de contrôler la gestion. Dans les petites structures, quand il y a identification et
quand les associés mettent la main à la pâte et sont eux-mêmes les exploitants, ce besoin de contrôle est
moins présent et on le comprend moins. Mais plus la structure devient évoluée, et plus se dégagent et se
créent des intérêts divergents entre ceux qui exploitent et ceux qui sont les propriétaires de la structure. Et
donc il est essentiel que les associés puissent contrôler la gestion qui est faite de la société par des organes de
gestion spécifique, donc principalement le conseil d’administration et les administrateurs.
Comment s’exerce ce contrôle? Par l’assemblée générale. Il y a de toute façon une assemblée générale
annuelle, et à cette assemblée, on va évaluer le travail qui a été fait par les gestionnaires. On va voter ou pas
la décharge de responsabilité aux administrateurs pour le travail qu’ils ont fait et la gestion qu’ils ont faite
pendant l’année. Les administrateurs vont expliquer, notamment, par le biais aussi de la comptabilité et du
bilan qui doit être dressé, la santé financière de la société et les conséquences de leur gestion sur celle-ci. Et
donc l’assemblée va avaliser ou désavouer cette gestion. C’est aussi l’assemblée qui peut imposer la
démission des administrateurs ou des personnes qui sont chargées de l’exécution des activités de la société.
C’est eux aussi qui peuvent demander, s’ils ont un doute, que des contrôles soient effectués, par exemple sur
certaines opérations financières qui apparaissent ou non dans les comptes. Là, on va demander à un expert
externe de contrôler.
Donc ce sont eux aussi qui peuvent actionner les administrateurs en responsabilité. Ce sont alors eux aussi
qui prendront certaines décisions importantes dans la société, comme par exemple la modification des
statuts. C’est l’assemblée générale qui doit normalement prendre des décisions de modification de l’objet
social.

Autre droit social: le droit à la distribution d’une partie des bénéfices. Ce n’est pas un droit aux bénéfices!
Personne n’a un droit aux bénéfices, on ne peut pas actionner la société parce qu’elle n’a pas dégagé de
bénéfices. Mais si elle dégage des bénéfices, en tant qu’associé, dans le respect des conventions qui ont été
signées, on a le droit à ce qu’on nous fasse bénéficier de cela, et donc toucher les dividendes liées aux parts
sociales et représentatives qui nous ont été octroyées. On peut décider aussi, en assemblée générale, qu’on ne
va pas distribuer, et c’est l’assemblée générale qui va déterminer le montant qui va pouvoir être distribué. Le
cas échéant, l’assemblée générale peut aussi décider qu’on garde cet argent pour effectuer des
investissements futurs ou pour constituer une réserve financière pour faire face à des situations qu’on peut

108
prévoir comme difficiles dans la vie de la société. Mais attention: en jouant avec ça, on ne peut pas porter
atteinte au droit des associés, parce que c’est la contrepartie du risque qu’ils ont pris en se lançant dans
l’aventure sociétale.

Droit aussi à une égalité de traitement, même si c’est plutôt formel que matériel, mais l’art 5:80 reprend
cette idée pour la SRL.

Section 4. La nullité
À partir du moment où la convention est viciée, un élément de validité n’a pas été respectée, la sanction
classique du droit des contrats et du droit commun est la nullité des conventions. Cette nullité des
conventions comme sanction du non-respect des conditions de validité du contrat de société est largement
assouplie en droit des sociétés, pour des raisons de sécurité juridique à nouveau. On ne peut pas être aussi
sévères dans l’application de cette sanction qu’au niveau du droit commun.
De nouveau, spécialement pour les sociétés à responsabilité limitée, des règles particulières ont été prises et
on va limiter très fort les causes de nullité de la convention de société pour les SRL. Donc on a des listes, et
en lisant ces listes, on se rend vite compte que les cas qui peuvent donner lieu à la nullité des conventions de
société pour les SRL sont extrêmement rare, ça prête même un peu à sourire. Art 5:13, 6:14, 7:15. À l’art
5:13, il n’y a que 4 hypothèses. Ce sont des cas extraordinaires. L’idée est de mettre à l’abri les associés
d’une SRL mais aussi, le cas échéant, les tiers devant cette situation où on fait disparaître la société en cours
d’activité, avec toutes les conséquences que ça peut avoir pour les tiers et les associés.

Pour les sociétés simples et les deux sociétés avec personnalité morale construites sur la base de la société
simple, c’est le droit commun qui s’applique, donc une nullité avec effets rétroactifs, mais une nullité
rétroactive qui devra être demandé par le(s) seul(s) associé(s) concerné(s), sauf si al nullité provient d’une
contradiction à l’ordre public, mais c’est peu fréquent.

L’absence d’écrit, pour les SNC et les sociétés en commandite est une cause de nullité, et dès lorsque nous
sommes devant des sociétés intuitu personae, la nullité peut aussi être la suite de la nullité de l’engagement
de l’un des associés.
Il y a également la clause léonine dont la sanction est aussi la nullité, en tous cas pour la société simple de
base.

Modalités de la nullité:
Elles divergent selon que l’on est devant une SRL ou une SRI. Pour les sociétés qui ont la personnalité
juridique, toutes les sociétés qui l’ont, la nullité doit être prononcée par une décision judiciaire ou une
sentence arbitrale (art 2:34). Elle n’est pas de plein droit.
Mais à ce moment-là, cette nullité produit ses effets à dater de la décision qui la prononce, donc pas d’effets
rétroactifs du droit commun. C’est un assouplissement au bénéfice de toutes les sociétés qui ont la
109
personnalité morale, puisque nous sommes dans le second livre du CSA, qui s’applique à toutes les sociétés
et associations qui ont la personnalité morale.

Cette nullité ne sera opposable aux tiers qu’à partir du moment de la publication de la décision ( art 2:34).
Encore aussi une mesure de protection des tiers et de sécurité juridique.
Autre règle qui tente d’assouplir la sanction qui n’est décidément pas aimée par le code, en tous cas pas pour
les sociétés avec personnalité morale: si une régularisation est possible, alors le juge peut accorder des délais
pour que la société se mette en ordre (art 2:38).

Pour la société simple, la nullité est avec effets rétroactifs.

Chapitre 4. La personnalité morale


C’est la caractéristique essentielle de toutes les sociétés, sauf la société simple.

Qu’est-ce que ça veut dire, juridiquement parlant, de reconnaître la personnalité morale? A veut dire qu’on
accorde la qualité de sujet de droit à une entité créée par l’homme en vue de la poursuite d’intérêts distincts
de ceux qui l’ont créée, des personnes physiques ou morales qui la composent.
C’est une fiction, puisque c’est une entité juridique abstraite qui est créée. Par cette fiction, elle doit être
considérée comme une personne à part entière.
C’est une construction abstraite qui aura besoin, pour fonctionner, de la présence et de l’activité de personnes
physiques, mais qui agiront en une qualité particulière, comme membres des organes de la société.
Ce n’est que la loi qui peut accorder cette personnalité morale dans des conditions qu’elle va déterminer, ce
qu’elle fait ici, ce que fait le CSA. Il détermine les conditions et les modalités d’acquisition et de perte de
cette personnalité morale.
Une fois qu’on a attribué la personnalité juridique à la société, normalement, cette société va avoir la même
capacité juridique qu’une personne physique.
Qu’est-ce que ça veut dire? Ça veut dire qu’en tant que personne, elle va répondre de ses engagements, de
ses obligations sur son patrimoine propre. Elle a un patrimoine, des droits, des obligations, de l’actif, du
passif, et elle va avoir la capacité de s’engager elle-même, elle va acquérir des droits, des biens. Elle va
s’engager à effectuer des prestations, des paiements, elle va aussi avoir des dettes… comme n’importe quelle
personne physique.

Normalement, elle possède les mêmes attributs de la personnalité juridique que ceux que l’on reconnaît à une
personne physique. Ce n’est pas tout à fait vrai, il y a des limitations propres aux sociétés qui ont la
personnalité juridique, mais de manière générale, elle a à peu près les mêmes attributs. On va lui donner un
nom, une adresse, elle peut être elle-même administratrice d’une autre société via un de ses organes. Mais il
y a parfois des limitations particulières, et aussi des limitations anecdotiques, comme le fait qu’une société,
en tant que telle, ne pourra pas être titulaire d’un droit d’auteur de manière originaire, elle ne peut pas créer,
110
en tant que société, une œuvre protégée par les droits d’auteurs parce que seules les personnes physiques ont
cette capacité. Il y a des règles, parfois il y a des présomptions de cession des droits à la société, il va falloir
régler cette problématique de l’acquisition par un employé de droits lorsqu’il exécute son travail, et on va
régler ça en général par une clause de cession dans le contrat de travail. Parfois, la loi présume cette session
(comme la loi sur les logiciels).
Il n’y a pas non plus de relation de travail possible entre une société et un employeur. Donc des capacités
analogues, mais pas identiques.
Mais par contre, une société qui a la personnalité juridique pourra se voir reconnaître l’existence d’un
préjudice moral (l’atteinte à l’honneur par exemple). Et on dira que l’atteinte à l’jhonneur est le
prolongement de son droit au respect de la vie privée (art 8 CEDH). La CEDH lui accorde des droits de ce
type.
Elle va aussi être responsable de ses comportements, elle risque de voir engagée sa responsabilité civile,
mais aussi pénale.

Section 1. L’acquisition de la personnalité morale


Depuis l’abandon des cadres légaux obligataires (une vieille théorie qui disait que dès l’instant où on exerçait
une activité économique au sein d’une société, on pouvait voir le statut de cette société requalifié à titre de
sanction). Aujourd’hui, le processus d’attribution est volontaire, il faut que les fondateurs posent certains
actes et accomplissent certaines formalités pour que la société acquière la personnalité morale. C’est donc
qu’elle ne l’acquiert pas automatiquement, même si elle est listée comme étant une société qui a la
personnalité morale.
Art 2:6 CSA: on dit quelles sont les conditions, et il y en a 2. Les « documents visés à l’art 2:8 », ce sont
une partie des documents qui forment la convention de base de la société, ce sont des extraits des actes
constitutifs. Et de quel dépôt s’agit-il? Il s’agit d’un dépôt au greffe du tribunal de l’entreprise.
Donc il faut un écrit puisque cet écrit doit obligatoirement faire l’objet d'un dépôt au greffe du tribunal de
l’entreprise.
Une fois que ce dépôt a lieu, à ce moment-là, la personnalité juridique va se maintenir durant toute la vie de
la société. La personnalité juridique est reconnue et va fonctionner, non seulement jusqu’au moment où on
prendra la décision de mettre à mort la société (dissolution de la société, les organes décident d’y mettre fin),
ou bien on va être mis en faillite et la personnalité morale va perdurer pour les opérations de liquidation qui
vont suivre.
Pour dissoudre la société, il faut vendre les actifs et payer les dettes. Pour les besoins de la liquidation, on
reconnaîtra (art 2:76) que la personnalité morale ne prendra fin qu’à la clôture des opérations de liquidation.

On peut se poser une autre question: quid des actes posés au moment de la société en formation? C’est
théorique d’imaginer, quand on va négocier le contrat et puis qu’on va aller chez le notaire et qu’on va aller
faire le dépôt. On fait un peu tout à la fois, et il y a une activité très importante entre les fondateurs qui
négocient et qui donnent un contenu à l'acte juridique à la base de la société, mais aussi, très souvent, on
111
prend déjà des engagements avec des tiers, c’est-à-dire qu’on pose des actes juridiques en vue de permettre
la future activité économique de la société qu’on est en train de créer. On a besoin de louer des bureaux, d’un
compte bancaire, on va déjà faire tout ça. Qui va alors être engagé par ces acres qui ont été posés au moment
de la formation de la société mais avant le dépôt des extraits des documents au greffe? Que fait-on de ces
actes? Est-ce que c’est déjà la société qui est engagée ou est-ce que ce sont les fondateurs, chacun en ce qui
les concerne ou tous ensemble?
La question est réglée par le CSA, art 2:2: on y trouve une disposition qui est là depuis très longtemps, elle
était déjà là dans l’ancien code des sociétés et est reprise mot à mot dans le CSA. Le principe, a priori, c’est
que ce sont les fondateurs qui sont personnellement tenus, mais si certaines conditions sont remplies, une
présomption va jouer et seule la société, une fois qu’elle aura été constituée, sera présumée avoir été engagée
au regard des tiers concernés par les actes. Il faut bien lire cette disposition, chaque partie est importante!
- « À défaut de convention contraire »: on peut déroger au texte
- Il faut prendre un engagement au nom de la personne morale en formation: de quel engagement s’agit-il?
Ce n'est pas un engagement entre les associés, c’est un engagement à l’égard d’un tiers, et peu importe la
nature de l’engagement! Ce n’est pas forcément une dette. Ça peut aller dans le sens de l’acquisition de
droits ou d’obligations à l’égard de tiers. Ça peut même être une action en justice.
- Qui prend l’engagement? On dit bien « ceux qui ont pris un engagement au nom de la société en
formation ». Ça veut dire que lorsqu’on achète un bien pour la société en formation, il faut l’indiquer. Il
ne faut absolument pas oublier d’indiquer sur la facture qu’on demande une facture en notre nom, mais
agissant au nom d’une société en formation et on indique la dénomination attendue. Mais il faut
nécessairement indiquer, qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le fait qu’en réalité, on compte agir pour la
société en formation! Sinon la disposition ne s’appliquera pas, il y aura un défaut de forme.
On est responsable solidairement avec la société. Ça veut dire que si on a engagé la société pour un
paiement et qu’il est échu, on va payer et on n’a pas trop le choix. Mais il se peut que la société reprenne
ensuite les engagements des fondateurs. 2 conditions sont mises en avant par le texte: pour qu’il y ait
reprise, il faut (1) que la personnalité juridique ait été acquise dans les 2 ans de l’engagement et (2) si la
personne morale a repris ces engagements dans les 3 mois de l’acquisition de la personnalité juridique. La
notion de reprise des engagements, c’est que normalement il faut une décision de l’organe compétent pour
la reprise de ces engagements. Ça se fait normalement lors de la première assemblée générale.
On peut aussi se contenter d’une reprise tacite, il ne faut pas nécessairement une décision formelle. On
peut déduire cette décision de certains actes (pour autant qu’il ne puisse pas y avoir le moindre doute). Par
exemple, en tant que fondateur, on a passé un acte, un bail commercial avec un bailleur et on a signé au
nom de la société en formation. C’est en août. En septembre, le paiement du loyer ne se fait plus via notre
compte, mais via le compte de la société. On peut y voir la décision tacite de reprise de l'engagement par
la société, puisqu’elle exécute maintenant elle-même la décision qui avait été prise par le fondateur.
Ou bien on peut admettre que tacitement, par l’exécution des engagements, on puisse présumer cette
reprise de l’engagement.
Si ces deux conditions sont remplies, les engagements sont réputés avoir été contractés par la personne
112
morale dès l’origine. Elle est censée avoir conclu la convention et être tenue de tous les engagements
depuis la date de la convention (ça joue avec effets rétroactifs).
Encore un exemple du confort qui est apporté par le droit des sociétés aux entrepreneurs qui veulent
exercer une activité ensemble! Le droit commun ne permettrait pas une reprise de ce type, il faudrait sans
doute passer par une convention de cession, voire plusieurs. Il faudrait respecter pas mal de conditions.
Ici, c’est super simple.

Ça peut ne pas bien se passer, il peut y avoir un petit grain de sable qui se trouve dans le rouage et dans le
processus, par exemple parce que distraitement, on n’a pas indiqué qu’on agissait au nom de la société en
formation. Mais ça peut aussi être parce qu’on n’a pas fait ce qu’on demandait. Donc il peut y avoir un refus
de la société, pour une certaine raison, elle ne pose pas l’acte par lequel elle va reprendre l’engagement de la
société. À ce moment-là, la règle s’applique assez cruellement, les fondateurs qui se sont engagés restent
tenus.
Et même si la société voulait, dans le premier cas de figure par exemple, elle ne pourrait plus bénéficier du
système. Si elle veut reprendre l’engagement, il faudra passer par le système de contrats classique, conforme
au code civil.
Donc la société est aussi totalement libre de reprendre ou pas.

Section 2. Les attributs de la personnalité morale


Les attributs, principalement c’est l’acquisition d’un patrimoine, avec cette idée que la société avec
personnalité juridique va agir au travers de ses organes. Les organes (le conseil d’administration, l’assemblée
générale) sont la société à l’égard des tiers, puisque la société est une fiction, un être abstrait. Il faut bien
qu’il vive et qu'il agisse au travers de personnes qui peuvent poser les actes, et ces personnes se retrouvent au
sein des organes qui constituent, qui sont la société. Et la société personne morale va être engagée
directement par les actes qui vont être posés par ses organes dans le cadre des compétences que ces organes
ont obtenues au regard du code.
Ça veut dire aussi que si l’organe commet une faute qui risque de provoquer un dommage sur un bien par
exemple, c’est la société qui est directement engagée. La personne pourrait aussi être actionnée à titre
personnel, mais a priori, l’acte posé par l’organe est l’acte posé par la société, et c’est la société qui va ainsi
répondre des fautes commises par les organes. Il n’y a pas de mandat, il n’y a pas de jeu où il y aurait un
intermédiaire entre la société et les tiers, l’organe n’est pas un intermédiaire. Il est la société pour les tiers.
C’est ainsi que la société pourrait voir engagée sa responsabilité non seulement civile, mais pénale, alors que
l’acte a nécessairement été commis par une personne physique! l’un n’excluant pas nécessairement l’autre.

Il y a des limitations de cette capacité. Le principe de base, c’est que la société personne morale acquiert une
capacité pleine et entière, sauf limitations particulières.

§1. La spécialité légale et la spécialité statutaire


113
La spécialité, ce sont des principes qui limitent la capacité de la société qui acquiert ou a acquis la
personnalité morale. La spécialité est liée à la reconnaissance de la personnalité morale et est liée à la finalité
de la reconnaissance de la personnalité morale.

La spécialité légale:
On en a déjà parlé dans les ASBL et le fait qu’avant, elles ne pouvaient pas poser d’actes à finalité
économique, puisqu’elles n’avaient pas de but lucratif.
Le même principe s’applique pour les sociétés. Une organisation qui reçoit, par le jeu de la loi, la
personnalité morale, ne peut pas accomplir d’actes qui sortiraient de la finalité pour laquelle cette
personnalité morale a été reconnue ou instituée. Donc par la personnalité morale, l’organe ne peut poser que
des actes qui correspondent, qui tombent sous le champ de la finalité pour laquelle le législateur a reconnu
cette personnalité morale.
C’est facile à comprendre: la finalité première de la société, c’est le but de lucre, le profit. Ce qu’on va
admettre, c’est que la société ne peut pas poser des actes en contradiction avec cette finalité de but de lucre!
En tous cas, c’est comme ça qu’on l’a interprété jusqu’au CSA. Si la société a une finalité de but de lucre,
alors a priori elle ne peut pas poser d’actes gratuits. Elle ne peut pas le faire et jouir en même temps de la
personnalité morale. On n’a pas reconnu cette personnalité morale pour faire autre chose que du profit.
Et en réalité, on a interprété le but de lucre de manière tellement large que cette règle, finalement, est
devenue appliquée de façon assez marginale et exceptionnelle. La cour de cassation a interprété de manière
extrêmement large la notion de but de lucre. Pour que l’acte soit considéré comme en concordance avec cette
finalité, il suffisait, même indirectement, qu’il ait été accompli en vue d’atteindre l’objet social. Octroyer des
subsides, des donations pour des recherches, toutes les activités de mécénat, tout ça avait été admis alors que
juridiquement ce sont des actes à titre gratuit, mais ça n’a pas été considéré comme étant en contradiction
avec la finalité de but de lucre.

La sanction de base de l’acte qui aura quand même été accompli en violation du principe de spécialité légale,
c’est la nullité. L’acte pouvait être annulé.

Mais il y a le nouveau critère retenu dans le CSA, le critère de distribution des profits qui remplace le critère
fondé sur la qualification des actes posé, comment comprendre ce nouveau critère au regard du principe de
spécialité? Que devient le non-respect de la spécialité légale?
Il y a des actes évidents: on ne peut pas distribuer si on est une ASBL. L’acte de distribution, s’il n’est pas
permis par la finalité de l’organisation, est un acte qui sera considéré comme contraire au principe de
spécialité légale et donc annulable en tant que tel.
Mais il y a aussi, pour les sociétés, la mention dans la définition elle-même que seule une des finalités doit
être une finalité de profit et de distribution, et donc on pourrait faire n’importe quoi en termes d’activité. Ce
n’est pas la même chose de réserver de l'argent pour nourrir le fils du directeur qui ne fait rien de sa vie, et de

114
réserver de l'argent pour le donner à une association qui lutte contre la pauvreté par exemple, et peu importe
qu’on le sache ou pas, on ne le fait pas dans le cadre d’une publicité.
Dans le second cas, on pourrait dire que dans le fond, c’est une finalité sociale que l’on peut se donner dans
une société, à côté d’une finalité de lucre. Ça paraît défendable.
Par contre, dans le premier cas, en réalité, ça porte atteinte aux effets de la distribution pour les autres
associés! Ils se sont tous mis ensemble pour faire un maximum de profit et voir un retour sur investissement.
La société sert à ça, c’est pour ça qu’on lui a donné une personnalité morale. À partir du moment où l’acte
peut être considéré comme portant atteinte à l’activité normale de distribution, c’est contraire à la finalité de
lucre qui s’exprime par la distribution de profit. Ici, cette part de profit ne sera plus distribuée, et ça rompt
l’équilibre entre associés. Il faudra voir ce qu’en dira la jurisprudence.

La spécialité statutaire:
La spécialité légale, c’est but de lucre ou non. La spécialité statutaire, c’est l'acte juridique de base de la
société, et on tire de cet acte une limitation de la capacité.

L’idée est assez simple: si on accorde la personnalité juridique à une société, c’est pour lui permettre
d’exercer son activité, l’activité qu’elle se choisit dans les statuts, donc l’objet statutaire. L’objet statutaire,
c’est, dans les documents de base de la société, une disposition où on décrit la future activité de la société, et
c’est important, en vertu de cette spécialité statutaire, parce qu’on va considérer que tous les actes qui
tomberaient en dehors de la description de l’activité ne sont plus des actes qui jouiront de la personnalité
morale donnée à la société.
Autrement dit, si on fonde une société et qu’on lui donne comme objet, par exemple, des prestations
juridiques et d’assistance en justice (une société d’avocats), pas question pour cette société, le lendemain,
parce que le marché immobilier se porte bien, de se dire qu’ils vont acheter de l’immobilier et développer de
l’immobilier dans la société, ce sera en dehors de l’objet décrit dans les statuts.
C’est une limitation de la capacité de la personne morale à agir sous le couvert de la personnalité juridique,
limitation issue de la description de l’objet social dans le statut. On ne peut faire, en tant que personne
morale, que l’activité prévue dans les statuts.
Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas le prévoir, mais il faut le prévoir!
C’est pour ça qu’on fait des statuts très larges, on veut éviter le problème. On veut aussi éviter le problème
parce que la violation de la spécialité statutaire aura des conséquences dommageables pour les associés ou
les organes de la société.
Sanction normale du dépassement de l’objet social: la société n’est pas tenue par l’acte. En tant que
personnalité morale, la société d’avocats n’est pas tenue, par exemple, de la dette contractée en achetant des
immeubles.
Ça peut être aussi compris comme une limitation du pouvoir de représentation des organes qui ont agi.

115
C’est la règle normale, mais cette règle a été tempérée dans le cadre des SRL. Des règles spécifiques existent
encore dans le cadre de ces sociétés. Pourquoi? Encore une fois, pour préserver une sécurité juridique
suffisante aux tiers, et notamment aux créanciers. Si le patrimoine de la société n'a pas été engagé, le tiers va
perdre son gage, on prévoit donc des règles particulières qui vont faire qu’en réalité, la société va quand
même être engagée même si on sort de l’objet statutaire. Le dépassement de cet objet n’est pas opposable par
la société aux tiers, pour autant que ces tiers soient de bonne foi.
Attention: la publication des statuts avec la publication de l’objet social ne rend pas le tiers de mauvaise foi!
Ce n'est pas parce qu’il y a eu une publication et qu’il pouvait savoir que le tiers est de mauvaise foi, parce
que si tel était le cas, la règle ne jouerait jamais et le tiers perdrait toujours le bénéfice de la bonne foi.
On trouve cela aux art 5:74, 6:62 et 7:96 (respectivement pour la SRL, la SNC et la SA).

La responsabilité de l’administrateur au regard de la société pourra être engagée, la société va se retourner


contre l’administrateur en cause pour demander des comptes, mais le tiers aura été payé.

§2. Le patrimoine social


La société a une capacité, cette capacité lui permet d’apporter des biens, de contracter des dettes, d’acquérir
des droits.
Ces dettes et ces droits constituent le patrimoine propre de la société. Chaque société a son patrimoine.
Dans la définition de la société, le premier élément qu’on retrouve dans le patrimoine, ce sont les apports qui
ont été faits par les associés. Et on a vu le fonctionnement par lequel ces droits rentrent dans l’actif de la
société, qui sera elle-même tenue de dettes à l’égard des fondateurs associés.

Donc chaque société avec personnalité juridique a son patrimoine propre, et la conséquence, c’est que les
créanciers n’ont de droits à faire valoir qu’à l’égard de la société. C’est une dette de la société et pas, a priori,
des associés. Donc le créancier doit mettre en demeure la société de payer et, le cas échéant, obtenir un
jugement qui va forcer la société a payer ce qu’elle doit. Mais le créancier n’a de droits que vis-à-vis de la
société, étant entendu que dans certains cas, c’est-à-dire pour les SRI, si la société est en défaut (et il faut un
jugement qui condamne la société au paiement pour dire qu’elle est en défaut), le créancier peut se retourner
contre les associés tenus dans le cadre d’un système de responsabilité illimitée. Étant entendu que le
problème se posera plutôt au moment de la liquidation de la société.
Logiquement, et l’effet premier de la personnalité morale, c’est le fait que ces créanciers n’ont normalement
de droits à faire valoir qu’à l’égard et qu’au regard du patrimoine de la société.
Évidemment, pour les créanciers des associés, même si les associés et la société sont la même personne, la
séparation entre le patrimoine de la société et celui des associés fait qu’on se retrouve sans droits à l’égard de
la société, le créancier des associés ne peut pas agir et se faire payer sur le patrimoine des associés.

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On a dit que le patrimoine est l’attribut de toute société ayant la personnalité juridiques, mais ce n’est pas
vrai, toute société a un patrimoine, même sans personnalité juridique. Donc ce n’est pas un attribut de la
personnalité morale.
Le fait de dire qu’une société sans personnalité morale peut avoir un patrimoine semble contraire à la théorie
traditionnelle du patrimoine, qui est une théorie qui veut que le patrimoine soit lié à une et une seule
personne juridique. Tout le patrimoine appartient à une et une seule personne, et toute personne juridique a
un patrimoine, qui est en principe unique. C’est assez simple et clair. Mais alors, comment est-ce possible de
reconnaître ce patrimoine à une société qui n’a pas de personnalité juridique? Avant, on disait très clairement
que la société sans personnalité juridique n’avait pas de patrimoine. Cette idée de patrimoine est neuve et elle
est reconnue même aux sociétés qui n’ont pas de personnalité juridique.

Ça a aussi posé des problèmes en matière de faillite: comment fait-on pour mètre en faillite une société qui
n’a pas la personnalité juridique? Logiquement, pour la mettre en faillite, il faut identifier le patrimoine, il
faut identifier les biens de la société qui vont servir à payer les dettes de la société. Mais s’il n’y a pas de
personnalité juridique, comment fait-on pour identifier ce patrimoine et faire la distinction entre les biens, les
créances et les dettes des associés d’une part, et de la société d’autre part, d’autant plus qu’alors on est dans
une société à responsabilité totalement illimitée où les associés sont responsables de toutes les créances de la
société? On passait par des « trucs », et notamment par des systèmes où on considérait que tous les associés
participaient à alimenter un compte courant par lequel passaient tous les avoirs de la société, mais c’était
assez bancal.
Le CSA a changé la donne. À l’art 4:13, on nous dit que dès qu’on apporte un bien à la société, ces apports
rentrent dans une indivision, et l’objet même de l’indivision, c’est de permettre aux associés et à la société
d’exercer son activité. Et on va soumettre les associés à un devoir de ne pas enrayer la machine.
Ce n’est pas l’indivision qu’on retrouve dans le code civil! Il y en a plein, mais ce sont des règles différentes
qui vont s’appliquer. Ici, on applique les règles du CSA et pas celles qui seraient prévues par d’autres
dispositions et notamment par le code civil.
Évidemment, art 4:21, cette indivision prendra fin à la fin des opérations de liquidation.

Comment comprendre les droits des créanciers sociaux, quels sont les droits des créanciers de la société?
C’est prévu à l’art 4:14. On va faire la différence selon l’origine de la créance ou de la dette. Si la créance
provient de l’exercice de l’activité de la société, les créanciers pourront se faire payer sur l’ensemble du
patrimoine social, c’est-à-dire le contenu actif de l’indivision. À ce moment-là, bien entendu, parce qu’on se
trouve dans une société à responsabilité illimitée, les associés sont solidairement et subsidiairement tenus à
leur égard sur leur patrimoine propre. Quand on définit le droit des créanciers, on doit tenir compte de cette
réalité. C’est pour ça que l’art 4:14 prévoit le droit pour le créancier d’actionner le patrimoine constitué par
cette indivision, dès l'instant ou la créance est trouve sa source dans l’activité, et les associés doivent mettre
leur main au portefeuille si on n’arrive pas à les payer.

117
Que se passe-t-il pour les créanciers personnels des associés? Il faut le prévoir, et la loi le prévoit. Nous
sommes à l’art 4:15. Que veut-on dire par cet article? Comme on a dit que le lien était le lien entre la
créance et l’activité de la société, il y a de l’argent qui se retrouve chez l’associé et qui provient de l’activité.
On dit qu’ils n’ont de recours que sur le patrimoine des associés, en ce compris l’argent qui proviendrait de
la société, mais pas tout l’argent qui proviendrait de la société puisqu’il n’y a pas de différence réelle,
physique de patrimoine, il y a juste une différence abstraite avec la conclusion de l’indivision. Ils n’ont de
recours que sur la valeur de l’apport et les bénéfices qui sont distribués.

Avec tout ça, on voit comment on va pouvoir faire le tri et savoir ce qui rentre dans la patrimoine de la
société et ce qui reste dans le patrimoine des associés. Tout en sachant que les associés devront suppléer les
carences de la société puisqu’on est dans une société à responsabilité illimitée.

§3. La représentation par des organes


Les sociétés agissent par leurs organes. C’est de nouveau une abstraction: l’organe en soi, ce n’est jamais
qu’une personne ou un groupe de personnes à qui on donne des compétences spécifiques au sein de la société
pour agir comme s’ils étaient la société. Et les sociétés ne peuvent agir qu’au travers de leur organe, en
respectant les règles de fonctionnement de ces organes, qui sont prévues par la loi. Et c’est la loi, le CSA et
la marge de manœuvre laissée pour les statuts, qui déterminent quels sont les organes. On ne peut pas créer
d’organes qui ne sont pas déterminés par la loi, c’est le code qui détermine ça, pour une question de sécurité
juridique des tiers, ils doivent savoir.
C’est aussi pour pouvoir déduire la qualité et la compétence de la personne qu’on a en face de soi de la loi et
des statuts qui sont eux-mêmes publiés.
Il y a des organes de différents types, qu’on classe. Pour chaque type de société, il faut aller voir dans le code
comment sont organisés les organes de chaque société, et chaque société a des organes différents, surtout
pour les organes de gestion.

- Les organes de délibération: on vise l’assemblée des fondateurs et des associés (l’assemblée générale).
Elle prend des décisions qui concernent la société et l’organisation interne de la société (par exemple
savoir combien ils vont se distribuer comme dividendes).
- Les organes de gestion sont les organes qui exercent l’activité économique en tant que telle. Le conseil
d’administration, par exemple, pour les SRL, ce sont eux qui vont prendre les actes qui relèvent des actes
d’administration ou de disposition communs de la société. On va donner la compétence à des personnes
qui vont assurer la gestion journalière de la société. On fait ça pour une facilité de gestion.
- Les organes de représentation: on les charge de représenter la société à l’égard des tiers, de poser des
actes juridiques (introduire une action en justice pour la société, etc). En général, ce sont les organes
d’administration, mais au sein des administrateurs, on peut en nommer certains qui auront, en plus, la
qualité de représentation. Toujours pour une facilité de gestion (ne pas devoir demander la signature de
tous les administrateurs).
118
- Les organes dont le but est d’organiser un contrôle sur les agissements, ce sont par exemple les
commissaires. Art 3:55: Il y a un contrôle organisé des comptes de la société et la société, elle, doit
nommer un organe particulier qui est le commissaire. À 3:58, on nous explique comment on nomme le
commissaire. Dans ces sociétés plus sophistiquées, la tenue de la comptabilité est une chose assez
complexe, il faut la tenir pratiquement au jour le jour. Dans une grande société, on ne va pas le faire soi-
même, on va passer par des comptables. Et en plus du comptable, il y a ce contrôle interne de la
comptabilité qui doit être approuvé chaque année par l’assemblée générale. Si l’AG conteste, c’est parce
qu’il y aurait des indices d’actes illicites ou en tous cas pas clairs posés par les administrateurs. Mais on
voit que l’organisation même des sociétés implique la mise en place d’organes spécifiques qui
sauvegardent les intérêts des uns et des autres. Ici, le contrôle est fait principalement à l’égard des
associés, qui ne participent pas à la gestion et ils ont besoin de contrôler l’activité. Ça passe entre autres
par le contrôle des comptes et la nomination d’un commissaire. Pas dans toutes les structures, seulement
dans les plus grosses sociétés.
- Les organes de liquidation: à un moment donné, la société a une fin, même si elle peut être créée à durée
indéterminée. Quand on dissout la société, c’est-à-dire que quelqu’un prend la décision de mettre fin à la
société, on se lance dans les opérations de liquidation, et on nomme alors un organe particulier, le
liquidateur. C’est un organe qui a une mission particulière de procéder à la mise à mort effective et
d’accompagner la société jusqu’au bout réel de ses activités (art 2:82).

Il est vraiment important de comprendre que l'organe incarne la société, quand il agit, il est la société, tant
qu’il reste dans le cadre de la société. Même s’il commet des fautes, il engage la société. C’est comme si la
société avait agi par le biais de son organe. On a d’ailleurs vu que souvent, même lorsqu’il sort de ses
compétences, même là il y a des exceptions qui permettront d’engager la société pour les actes posés par les
organes, pour des raisons de sécurité juridique, même si en principe on est en dehors de l’engagement de
base.

Un mot sur la responsabilité des administrateurs ou des organes chargés de la gestion de la société: ça a une
importance, et le régime a été fortement modifié par le CSA. On trouve les principes aux art 2:56 et
suivants.
Il faut bien comprendre qu’en matière civile, il y a 2 voies d’engagement de la responsabilité civile des
administrateurs (ou de ceux, d’une manière générale, qui ont le pouvoir de gérer la personne morale).
- Il y a un lien contractuel avec la société: c’est un peu contradictoire avec cette idée d’organe. À l’égard
des tiers, c’est un organe, mais vis-à-vis de la société, l’administrateur travaille dans le cadre d’un contrat
de mandat. Il s’agit donc là d’une responsabilité contractuelle.
- Mais il y a aussi une possible responsabilité extra-contractuelle, lorsque l’administrateur commettrait un
acte qui peut être qualifié de faute extra-contractuelle (pas une simple inexécution de ses engagements à
l’égard de la société), mais lorsqu’il pose une faute extra-contractuelle, il peut également engager sa
responsabilité personnelle.
119
Mais attention: le nouveau régime légal a voulu réduire de manière importante l’engagement de la
responsabilité de l’administrateur, partant du principe qu’on vivait dans une époque où cette responsabilité
était de plus en plus mise en œuvre, par des associés de la société par exemple (eux aussi, d’ailleurs,
pourraient voir leur responsabilité extra-contractuelle engagée en tant que personne). Il faut néanmoins
démontrer le caractère manifeste de cette faute, donc c’est un contrôle marginal du comportement de ces
administrateur. Si on se focalise sur la condition de la faute, qui est la contrariété à la norme de prudence et
du bon père de famille, on va interpréter cette norme plus strictement quant à ces conditions. Il faut
réellement qu’aucun administrateur n’ait pu prendre cette décision dans les circonstances d’espèce. C’est
d’évidence un acte que ne prendrait pas l’administrateur prudent et diligent, alors que normalement dans le
principe de la faute, c’est tout acte, même pa faute la plus légère qui engage son auteur (art 1382 c civ). Ici,
on prend vraiment de la distance et on ne retiendra la faute que pour les actes ou comportements qui
excèdent manifestement la marge dans laquelle les administrateurs normalement prudents et diligent peuvent
avoir une opinion divergente. Ça veut dire qu’on admet déjà qu’un administrateur n’est pas l’autre, et qu’en
fonction des circonstances, on prend des décisions différentes selon nos intérêts ou nos stratégies. Ce n'est
pas parce que quelqu’un se comporte différemment qu’on est forcément fautif.
Mais on voit bien ce qu’on recherche: c’est laisser une marge de manœuvre suffisante aux administrateurs
pour ne pas les empêcher de travailler et qu’ils soient trop freinés dans la prise de risques inhérente à leur
activité. C’est un peu trop facile de pouvoir se retourner contre tous les administrateurs parce que l’aventure
tourne mal.
C’est l’idée de base qui a été retenue dans le code et qui a fait couler beaucoup d’encre, certains disant
« pourquoi aller chouchouter comme ça l’administrateur alors qu’on ne parle nulle part de la responsabilité
potentielle de l’associé? ». Or dans des grandes entreprises, les actionnaires poussent les administrateurs
dans certaines directions de stratégie de gestion de la société. Or on n’engage jamais que la responsabilité
des administrateurs. Pourquoi punir la main et pas la tête? C’est un vrai problème des sociétés qui ont la
personnalité morale. On fait des sociétés pour se cacher, pour ne pas être à l’avant-poste. Dans le monde
économique, on se cache par des sociétés-écrans (une société actionnaire d’une autre, actionnaire d'une autre,
elle-même actionnaire d’une autre). Au fond, ça reste la même personne derrière tout ça. Quand on se cache,
la personnalité morale, surtout liée à la responsabilité, permet de diminuer énormément le risque de voir sa
responsabilité, le cas échéant, engagée. Et ça, étrangement, on ne l’a pas changé, on n’a pas facilité la mise
en cause de la responsabilité d’un associé. C’est vrai que l’organe est censé être distinct légalement, et les
associés bien évidemment ne peuvent pas dicter aux administrateurs et aux gérants ce qu’ils doivent faire,
mais forcément, pour des décisions importantes, il y a des contacts. Et dans pas mal de boîtes, certains
actionnaires suivent de près la gestion de la boîte, même sans être administrateurs, et ils font pression.

Des juristes s’émeuvent de cette situation et se disent que c’est sans doute une des réformes à imaginer si on
veut mettre en œuvre des nouvelles politiques, notamment sociétales, au travers de la gestion économique.
C’est un peu le serpent qui se mange la queue: du fait que seuls les administrateurs prennent, maintenant on

120
diminue la responsabilité des administrateurs, on se rend compte que tout mettre sur eux n’est pas forcément
justifié, et on met en péril la société si aucun associé ne veut plus prendre la responsabilité. Il n’y a pas que
sur le principe de la faute, mais il y a aussi un système de limitation des montants dans la responsabilité des
administrateurs.
Art 2:56 et 2:57: les principes et les limitations de responsabilité quant aux montants. Quand l’organe
d’administration forme un collège, les personnes sont solidairement responsables des décisions et des
manquements de ce collège. Ça veut dire qu’éventuellement, la victime peut aller exiger le montant total
auprès d’une seule personne, qui va s’arranger après pour diviser le montant des indemnités.
Même sans collège, ils sont quand même tenus solidairement si la faute est un violation du code ou des
statuts de la société. Cette solidarité est donc renforcée. C’est tant à l’égard des tiers que vis-à-vis de la
personne morale, donc tant la faute contractuelle qu’extra-contractuelle.

Il y a un système de décharge: quid de l’administrateur qui n’a pas participé à la décision litigieuse, ce serait
injuste qu’il soit condamné aux mêmes sanctions que les autres. On peut se décharger si on n’a pas pris part à
la décision. Mais il faut alors qu’on ait dénoncé la faute à tous les autres membres de l’organe
d’administration! Là, on peut alors échapper à la responsabilité.

L’art 2:57 introduit ce système de limitation de la responsabilité. On peut s’attaquer à la condition de


causalité, à la faute, au dommage. Ici, on joue sur le dommage. On a toute une série de montants, selon
l’importance de la société. Cette limitation est proportionnelle au chiffre d’affaires, à l’activité et donc au
risque. Plus on est dans une grande société, plus le risque que prend l’administrateur est important.

§4. La dénomination sociale


C’est le nom de la société. Chaque société est baptisée, on lui donne un nom. Dans le jargon, c’est la
dénomination sociale de la société.
Là, le régime est identique pour toutes les sociétés ayant la personnalité morale (art 2:3).
C’est un peu différent des noms et prénoms: le principe de base, c’est qu’on ne peut pas prendre une
dénomination qui a déjà été prise et par laquelle une autre société exerce déjà son activité économique,
puisqu’elle doit diverger de celle de toute autre personne morale.
On protège particulièrement bien la dénomination qui lui est attribuée: si la dénomination est identique à une
autre, on raisonne au niveau abstrait. Si la ressemblance peut induire en erreur sur la personne (même
homonymie), tout intéressé, c’est-à-dire tout le monde mettant en avant un intérêt peut la faire modifier et
réclamer des dommages et intérêts s’il y a lieu. C’est très efficace par rapport aux autres moyens de protéger
sa personnalité et son identité dans le monde des affaires. Dès le moyen où il peut y avoir une erreur qui est
faite, ça suffira. Non seulement à ce moment-là, on se retrouve en infraction par rapport au code, mais en
plus, toute personne peut demander des dommages et intérêts. C’est donc un raisonnement abstrait par lequel
on va réfléchir autour de cette idée de ressemblance. Ça se distingue d’autres moyens de défense juridique de
signes distinctifs, par exemple en matière de marques ou de droits d’auteurs. Là aussi, on peut avoir des

121
noms qui sont protégés parce qu’ils sont originaux, et là, c’est protégé sur base des régimes particuliers de la
propriété intellectuelle. Là, les régimes sont plus stricts que pour la dénomination sociale.
C’est pareil pour le nom commercial: beaucoup de marques de produits et de services utilisent un nom
commercial plutôt que la dénomination sociale dans les contacts avec les clients. Si quelqu’un agit avec le
même nom commercial que nous, on n’aura pas la protection du CSA et les conditions seront plus strictes,
parce qu’on devra prouver in concreto la confusion possible entre les deux sociétés en tenant compte de
toutes les circonstances. L’appréciation va aussi se focaliser sur les risques de concurrence déloyale du fait
d’un nom commercial trop proche.

Donc la dénomination sociale, avec son système d’unicité de la dénomination et de l’interdiction de toute
autre dénomination identique ou ressemblante est une protection plus large.

§5. Le siège social et la loi applicable


Le siège social de la société est l’adresse. Ce siège social sera normalement indiqué dans les statuts ou l’acte
constitutif. C’est là qu'on a une disposition nouvelle qui est intéressante: l’art 2:4. Elle dit que les statuts
doivent indiquer la région dans laquelle le siège de la personne morale est établi. Les statuts peuvent aussi
indiquer le siège auquel la personne morale est établie. Donc ce n’est pas une obligation! Évidemment,
l’adresse sera mentionnée ailleurs, mais dans les statuts, ce n’est pas obligatoire. L’idée, c’est qu’on a voulu
assouplir et rendre plus flexible la possibilité de modifier l’emplacement de travail et le lieu de vie de la
société. Si on veut changer le siège, le conseil d'administration pourra le faire par une simple décision, alors
que si c’était dans les statuts, ce sera l’assemblée générale qui devra prendre la décision dans une procédure
assez longue. L’idée est donc de favoriser les déplacements, mais pas entre régions! Là, il n’y a pas
l’exception et il faut passer par la décision normale en assemblée générale.
C’est une drôle de règle, bien belgo-belge, mais l’idée est vraiment de faciliter la mobilité des sociétés sur le
territoire belge, ou en tous cas principalement dans les régions.

Quelle est la loi applicable à la société? C’est la loi qui rattache l’être moral à l’Etat dont la loi régit son
statut, son fonctionnement, sa création, ses habilitations… c’est important de savoir quelle loi s’applique.
3 critères de rattachement sont connus en droit des sociétés:
- La loi applicable au lieu de création de la société: c’est le système anglo-saxon. C’est la théorie de
l’incorporation: si on a créé une société au Texas, cette société est régie par la loi du Texas.
- La loi applicable au lieu de direction effective: on regarde où la société vit et prend ses décisions les
plus importantes. Jusqu’au CSA, on vivait sur la base de ces principes. Le lieu du siège effectif permettait
le rattachement à la loi belge. On a changé de système avec le CSA et on a pris la 3è option.
- La loi applicable au lieu du siège statutaire: c’est l’adresse qui figure dans les statuts ou dans les
documents de base de la société.
Art 2:146.

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Chapitre 5. La dissolution de la société
À voir par nous-mêmes. Ce n’est qu’une liste de dispositions qui donnent tous les cas dans lesquels on peut
dissoudre une société selon sa catégorie.

Section 1. Les causes de dissolution communes à toutes les sociétés dotées


de la personnalité juridique
Section 2. Les causes de dissolution propres à certaines sociétés de
personnes
Section 3. Une cause de dissolution propre aux sociétés anonymes.

123
124
Livre V. Le droit européen de la concurrence
Introduction
Le droit européen alimente lui aussi l’espace des libertés économiques. Force est de constater que la liberté
de concurrence a pris une place particulière dans le droit économique, même si les dispositions qui le
concerne sont peu nombreuses, mais des applications qui font beaucoup de bruit et qui sont importantes dans
la régulation du grand marché européen qu’on construit.
On a vu que la liberté d’entreprendre est celle qui permet d’offrir des biens et services dans le cadre d’une
activité qu’on a librement choisie. C’est très bien de pouvoir choisir son activité et de pouvoir faire des
choses pour la développer, mais ça ne servirait pas à grand chose si cette même liberté ne se déclinait pas en
liberté de concurrence. Qu’entend-on par la libre concurrence et la liberté de concurrence? C’est un pouvoir
juridique qui permet à l’entreprise d’entrer sur un marché ou de développer un nouveau marché pour tenter
d’acquérir et de développer une clientèle nouvelle ou pour augmenter sa clientèle en prenant la clientèle
d’autres prestataires. Cette prise de clientèle est le résultat de la rivalité et de la concurrence que se mènent
les deux prestataires. On peut librement aller démarcher la clientèle d’autrui pour pouvoir croître sur ce
marché. Quand on augmente le chiffre d’affaires et les ventes, en général ça se fait au détriment des autres
entreprise qui offrent des produits ou des services identiques ou analogues.
En réalité, dans ce principe, du fait des théories économiques libérales qui sont derrière notre gestion de
l’économie, on y voit une vertu particulière à ce pouvoir de rivaliser égalitairement (puisque cette liberté de
concurrence est reconnue à toutes les entreprises), et on pense que c’est la meilleure manière d’atteindre les
plus grands bénéfices pour tous les acteurs du marché, tant les acteurs économiques que pour les
consommateurs et même pour l’intérêt général.

On retrouve la vieille théorie de la main invisible d’Adam Smith: si chacun agit égoïstement pour
maximaliser ses propres intérêts, il apparaîtrait un espèce de phénomène de coordination invisible sur le
marché entre toutes ces actions individuelles qui permettraient non seulement d’atteindre un équilibre, mais
de favoriser l’intérêt général. Cette théorie est facile à comprendre, c’est presque naïf.
Il y a 2 boulangers dans la même rue, et on veut exercer notre liberté d’entreprendre et de concurrence et on
veut augmenter le profit. Comment faire cela? Il y a 2 manières:
- Pour avoir plus de clients, on baisse le prix.
- Pour avoir plus de clients, on augmente la qualité des services.
C’est l’exercice de la libre concurrence. Concurrencer, c'est augmenter le profit en prenant les clients
potentiels qui sont sur le marché, même s'ils sont chez quelqu’un d’autre.
Dans cette théorie, tout le monde est gagnant à part le deuxième boulanger. Globalement, le consommateur
va y gagner, puisqu’il va bénéficier soit d’un produit moins cher soit d’un meilleur produit. Et le boulanger
qui a exercé sa liberté de concurrence sera satisfait aussi puisqu’il va augmenter son profit. Il ne l’a pas fait
pour les clients et pour qu’ils soient mieux servis, il l’a fait égoïstement pour augmenter ses bénéfices. Et si
tout le monde fait ça, c’est l’idée que ce bénéfice va croître et s’équilibrer entre les différents prestataires
125
(pour autant qu’ils soient bons) et l'augmentation de tous ces profits individuels va également nourrir
l’intérêt général de tous, notamment par le truchement de l'augmentation du profit du consommateur. C’est
encore aujourd’hui la vertu première de la concurrence: plus il y a de concurrents, moins le consommateur
paiera cher, parce que la première manière de faire concurrence, c’est de baisser ses prix. De ce simple point
de vue-là, c’est souvent vérifié. Ce n'est pas pour ça que la richesse va s’équilibrer et va se répartir de
manière égalitaire entre tous les prestataires ni augmenter la richesse globale!

Le principe debase, c'est le modèle économique de la concurrence parfaite. Sur le marché, il y a une
concurrence parfaite, chacun a des chances égales de se concurrencer, ce qui va contribuer à la diversité et la
quantité des offres. Si on veut attirer plus de clients, on va inventer de nouveaux produits et services pour le
bien-être le plus grand des consommateurs. Et les produits et services vont voir leur qualité augmenter dans
ce processus. On assure aux entreprises les  plus efficaces le débloquement nécessaire, puisque c’est une
prime à l’efficacité: plus on est efficace et on fait de meilleurs produits, plus on sera récompensé puisqu’on
augmente notre chiffre d’affaire. On a cette idée que si chacun devient riche, tout le monde devient riche.

Cette vision de base est totalement idyllique. Mais le droit de la concurrence est conçu lui-même pour lutter
contre les comportements qui ne permettraient pas à la concurrence de s’exercer normalement. On sait que
les opérateurs économiques ne vont pas nécessairement attendre les suites attendues de leur comportement,
ils peuvent être tentés de biaiser, de ne pas respecter les règles du jeu et de rechercher leur intérêt propre, au
détriment de l’intérêt d’autrui ou du marché lui-même. D’où la nécessité d’intervention de ce droit de la
concurrence, qui est presque un droit de police économique. On va sanctionner les comportements qui
s’opposent au jeu normal de la concurrence. C’est l’objet matériel du droit de la concurrence.

Ce qui nous amène à la finalité du droit de la concurrence: pourquoi ce droit de la concurrence a-t-il pris
autant d’importance dans le droit économique et surtout le droit économique européen? D’abord il a pris de
l’importance parce qu’il est vu comme une condition nécessaire de la construction du grand marché. Si on
fait un grand marché, il faut que chaque entreprise puisse librement concurrencer les entreprises établies dans
les autres pays. On doit rendre ça effectif, ne fut-ce que pour contrer les aides d’Etat. Les aides d’Etat
faussent le jeu normal de la concurrence. C’est pour ça que lorsque les États sont venus aider les entreprises
en pleine crise covid, ils ont dû, pour la plupart, passer par la case « UE » pour être couverts et voir leur plan
d’aide être couvert et établi. Le principe même de l’aide d’Etat à l’entreprise pose problème en droit de la
concurrence, c’est normalement interdit. C’est pour ça que les gouvernements ne peuvent pas, quand une
entreprise va mal, venir en aide, parce que venir en aide, c’est déjouer les règles normales de la concurrence.
Il faut se rendre compte que le droit de la concurrence, dans le jeu du grand marché, est un droit qui va être
fortement instrumentalisé par la politique et par la manière dont on va appliquer les règles et les interpréter.
Il y a des accents qui sont mis et qui s’expriment à travers les règles du droit de la concurrence sans former
une finalité globale. Ce sont des voies d’utilisation du droit de la concurrence.

126
D’abord, il y a un accent de loyauté dans la concurrence. Attention: c’est différent des pratiques
commerciales déloyales. Essayer de forcer l’adhésion d’un client en lui mentant, c’est faire de la concurrence
déloyale, et ce n’est pas dans cette partie-ci. Là, on va viser un acte qui peut provoquer un dommage chez le
concurrent, donc on protège le concurrent, et on intervient dans un différent potentiel et dans une
contradiction d’intérêts et de droits entre deux concurrents. Le droit de la concurrence, ce n’est pas ça. On
intervient, non pas pour aider un concurrent à l’égard d’un autre, mais pour le marché lui-même, pour que le
marché fonctionne bien. C’est ici que des accents sont mis, en particulier pour donner une sous-finalité, et on
retrouve la finalité de loyauté de la concurrence, en disant qu’il doit y avoir une égalité formelle des
entreprises, qui doivent être soumises aux mêmes règles. Le droit de la concurrence va aider à garantir
l’égalité formelle des entreprises, dans le sens où elles sont soumises, chacune d’entre elle, a priori aux
même lois du marché. Par exemple, on ne va pas imaginer, par notre comportement, des empêchements
d’entrer sur le marché sur lequel on est dominant. Le droit de la concurrence aide à garantir cette égalité
formelle.
Il y a aussi cette finalité de pluralité: le droit de la concurrence, en ce qu’il favorise notamment l’accès au
marché des nouveaux entrants, favorise la pluralité d’acteurs. Or plus il y a d’acteurs, plus ils se font
concurrence. Plus ils se font concurrence, plus le consommateur va être gagnant puisqu’ils vont baisser les
prix, augmenter la qualité de service, etc. Le droit de la concurrence peut avoir cette finalité, qui n’est pas sa
finalité première mais où on va instrumentaliser le droit et favoriser cette situation de pluralité de
prestataires. Parfois, on n'y arrive pas (ex: les prestations de téléphonie mobile en Belgique).
Troisième accent: une utilisation spécifique du droit de la concurrence: une finalité d’efficacité. ·      Les
entreprises, dans un système de concurrence qui fonctionne bien, vont atteindre plus facilement l’efficacité,
c’est-à-dire d’augmenter notre production en restant autant que faire se peut à coûts constants. Si chaque fois
qu’on produit plus, on augmente de beaucoup, on ne va pas être gagnant. On doit augmenter notre
production à coûts constants, parce que c’est à ce moment-là qu’on va créer du bien-être social.
Quatrième finalité: la finalité libre-échangiste: il faut décloisonner, élargir et fusionner les économies
nationales dans le grand marché. Le droit de la concurrence va pousser à décloisonner et va booster le libre-
échange entre les Etats. Dès l’instant où les mêmes règles s’appliquent à tous les mêmes joueurs sur tout le
marché européen, ça va favoriser ce libre-échange entre les joueurs européens.
La finalité générale du droit de la concurrence, dans le cadre de la construction européenne, c’est de protéger
le marché lui-même, et au travers de lui, l’intérêt général. Et l’intérêt général, on lui donne un sens
particulier parce qu’on retombe sur l’intérêt des consommateurs au sens large (les personnes physiques, les
sociétés qui se fournissent auprès d’une autre société et devient alors consommateur au sens large). C’est la
finalité globale et essentielle du droit de la concurrence. Le marché, au travers de l’intérêt général et au
travers de lui, les consommateurs au sens large. C’est pour ça que c’est une police économique qu’on va
mettre en jeu. D’ailleurs, le contrôle du bon respect du droit de la concurrence se fait par le biais
d’institutions de contrôle spécifiques, et relativement peu devant les cours et tribunaux du judiciaire, parce
qu’en droit de la concurrence, c’est un peu comme en droit pénal, on a les bons policiers qui courent apr ès

127
les méchants sur le marché. D’ailleurs, la Commission est le policier européen, et c’est elle qui va poursuivre
et arrêter les mauvaises entreprises qui se jouent du droit de la concurrence européen.

Le but du droit de la concurrence, ce n’est pas de protéger les concurrents, c’est de protéger le marché,
comme le droit pénal protège la société. Et puis le droit civil prend le relais et permet l’indemnisation civile
pour les dommages. Mais l’amende qu’on va payer, c’est une amende à la société et pas en liaison directe
avec le dommage subi par la victime. On paie notre dette à la société quand on exécute notre peine, et c’est la
même logique en droit de la concurrence. Depuis peu, le droit européen de la concurrence s’occupe à faciliter
les actions en responsabilité civile des victimes des violations du droit de la concurrence. Des nouvelles
règles ont été insérées dans le livre V du CDE et permettent une facilité plus confortable d’obtenir un
dédommagement suite à la violation du droit de la concurrence. Pour l’instant, c’est surtout un outil utilisé
par les entreprises entre elles, mais on pourrait parfaitement imaginer des organisations de consommateurs
qui l’utilisent via des actions en responsabilité collective.
Il faut aussi comprendre que la liberté de concurrence est arrivée en amont de la liberté d’entreprendre. C’est
grâce à cette concurrence, cette ouverture du marché et cette possibilité qu’on aura d’offrir ses biens et
services qu’on peut vraiment dire qu’on est libre, puisqu’on pourra après accéder à des marchés pour rendre
effective l’exercice de celle-ci.
Si la finalité première du droit européen de la concurrence est d’assurer la concurrence, ce n’est pas pour
autant un droit de la concurrence aveugle. Le droit européen de la concurrence ne consid ère pas qu’il faut
garantir à tout prix le jeu normal du marché. Ce n’est pas une fin en soi, c’est plutôt un outil au service de
l’intérêt général. Ce qui va expliquer qu’il va y avoir des exceptions, on va pouvoir, le cas échéant,
enfreindre les règles du marché si, in fine, l’intérêt général prévaut.

Quel est le lien entre les sciences économiques et le droit de la concurrence? Il y a un lien au niveau de la
légitimation de ces règles de droit, mais il y a aussi des liens dans l’application de ce droit. Le droit de la
concurrence est sans doute la réglementation qui est la plus liée intrinsèquement aux sciences économiques.
Et ce n’est pas seulement dans l’application, mais aussi dans l’interprétation des règles que se marque cette
influence des sciences économiques, dans l’interprétation, jusque dans la manière dont on va résoudre les
conflits, dans la manière dont on va apprécier l’étendue des dommages. L’économiste, ce qui lui importe,
c’est l’efficacité. Si on lui demande ce qu’il faut interdire comme comportements dans le droit de la
concurrence, il dira que dès qu’un comportement a pour effet de freiner la concurrence, pour lui, c’est un
comportement illicite. Donc il faut regarder les effets du comportement. Cette approche n ’est pas l’approche
juridique. L’approche juridique, ce n’est pas tellement les effets. Bien sûr, on veut éviter les effets négatifs
d’un comportement fautif, mais ce qui intéresse le juriste, c’est d’abord de pouvoir déterminer, identifier le
comportement qui va être interdit, et surtout que ce comportement soit prévisible pour les acteurs, de sorte
qu’il ait encore le choix  de ne pas commettre l’acte illicite. Le droit veut décrire les comportements
contraires à la concurrence, et seuls les comportements qui rentreront dans les qualifications qui ont été
arrêtées pourront alors être considérées comme interdites, et des sanctions pourront être prises. Ce n’est pas

128
la logique de l’économiste. Imaginons un feu rouge: l’économiste dirait qu’on va sanctionner la personne qui
brûle le feu et qui a provoqué un accident. Et d’ailleurs, l’important n’est pas la couleur du feu, mais le fait
qu’il ait provoqué un accident. Tout comportement qui mène à l’accident est le comportement illicite. Le
juriste dira que ce n’est pas ça. Bien entendu, il faut punir celui qui a brûlé le feu, même s’il n’y a pas eu de
dommage, mais il faut que le feu ait été rouge. Il faut décrire le comportement, le qualifier, pour qu’il rentre
dans la description qui va constituer l’objet de l’infraction. Ce sont deux approches différentes, et ça ne va
pas simplement se marquer dans des discussions, mais on va retrouver ça dans la faute elle-même et le
problème de la caractérisation de l’infraction. Il y a des tendances où on met le doigt sur les effets (ex: on
n’arrive plus à rentrer sur les marchés). Le juriste va dire qu’est ce qui nous permet de dire que ce n’est pas
la qualité intrinsèque du moteur de recherche de Google qui fait la différence, ce sont des probl èmes réels
d’entrée sur le marché. Le juriste va dire qu’il faut un abus de position dominante, mais quelle est la
définition de l’abus de position dominante? C’est déjà illicite d’être en position dominante dans certains cas,
ou d’accroître sa position dominante. L’économiste sait que quand on va croître, on va diminuer la
concurrence sur le marché, mais lui va plus facilement y voir une faute, alors que le juriste ne raisonne pas
comme ça. Il y a vraiment un antagonisme dans les raisonnements en droit de la concurrence, qui naît
précisément de l’essence même de ce droit, qui est une fusion entre les sciences économiques et des théories
juridiques.
Comment un juriste devant le tribunal de l’entreprise, dans une action en responsabilité entre des prestataires
de services, doit-il aller prouver le dommage de la victime de l’abus de position dominante? C’est-à-dire
qu’il aurait joué sur les prix, manipulé les prix pour, par exemple, nous empêcher d’acquérir de nouvelles
parts, et on baisse les prix en dessous des coûts présumés du concurrent et on attend qu’il meure, parce qu’il
ne peut pas survivre en vendant sous ses coûts parce qu’il fait chaque fois des pertes. Abuser de sa position
dominante, c’est mettre en place une pratique d’éviction. Par cette pratique, on va empêcher quelqu’un
d’entrer sur le marché. On est obligés de travailler avec des spécialistes qui vont nous aider à convaincre le
juge, notamment sur les problèmes de causalité.

Le droit de la concurrence est paradoxal: il est assez ancien si on se réfère aux sources américaines de cette
science juridique, puisque les premières législations apparaissent fin du 19è siècle. C’est assez tardif, mais ça
l’est encore plus en droit européen, même si on se concentre toujours, dans les matières de base, autour de la
réglementation de quelques pratiques, quelques comportements qui peuvent s’avérer souvent anti-
concurrentiels.

Il y a 3 régimes spécifiques qu’on étudie (en principe, il y en a 4) et qui sont à la base de ces matières:
l’interdiction des ententes illicites, l’interdiction de l’abus de position dominante et le contrôle des
concentrations.
Il s’agit bien, comme objet de la matière, d’un contenu normatif: la règle va interdire ou réglementer certains
comportements sur le marché. Tout a son importance: il s’agira de définir quels sont les comportements et ce
qu’est un marché, sinon on ne pourra pas appliquer et limiter le champ d’application des interdictions.

129
Donc il y a un contenu normatif, c’est du droit matériel, et il y a aussi tout un contenu procédural qui est
important parce qu’on a créé des institutions spécifiques à la matière, qui contrôlent le respect de
l’application de ces règles sur le marché, et ces institutions sont un peu en marge du système juridictionnel
traditionnel.
Ce sont des institutions un peu hybrides qui, au départ, sont des autorités administratives indépendantes
mais avec des pouvoirs de juridictions (c’est le cas de l’autorité de concurrence en Belgique). Ce sont des
autorités qui font la police sur le marché, elles recherchent les infractions, un peu comme la police en droit
pénal, elles constatent les infractions et appliquent des sanctions aux entreprises qui n’ont pas respecté le
droit de la concurrence. C’est leur mission principale, même s’il y a d’autres choses.

Ce qui est intéressant, c’est précisément ce droit procédural qui organise les missions, les compétences de
ces autorités mais également organise les procédures qui mènent aux décisions de ces autorités, mais aussi
les procédures qui existent et qui sont ouvertes aux entreprises pour contester, le cas échéant, les décisions
prises. Ce sont des procédures qui doivent évidemment respecter les droits de la défense.
C’est en dehors du code judiciaire, c’est compliqué parce que parfois on applique le code judiciaire, mais ce
sont des règles qui se trouvent dans des dispositions particulières mais qui sont nettement moins nombreuses
et fouillées, et puisque c’est un droit qui existe depuis pas très longtemps, il y a plein de belles questions
juridiques autour des limites des pouvoirs et des compétences de ces autorités, qui ont des pouvoirs très
larges.
Les pouvoirs d’investigation des autorités sont énormes, ils valent les pouvoirs d’instruction des juges
d’instruction dans le judiciaire. Sauf qu’au niveau réglementation, c’est moins précis et moins clair.

Et en plus, c’est du droit matériel européen. C’est une matière principalement européenne dans son ADN. Le
siège de la matière se trouve, depuis le début, dans les traités. Le TFUE contient les deux textes de base pour
les ententes (art 101) et les abus de position dominante (art 102). Pour les concentrations, il faudra aller
dans un règlement qui ne se trouve pas dans le traité, un règlement du 20 janvier 2004 sur le contrôle des
concentrations entre entreprises. Ce sont les 3 comportements qui posent le plus de problèmes et qui sont à
la base du droit de la concurrence.

Évidemment, le droit européen ne sera applicable que pour autant qu’on puisse rattacher le comportement à
une réalité trans-frontières qui permette l’application du droit européen, sinon ce sera un problème de droit
national. L’acte anti-concurrentiel devra présenter une dimension européenne.
Mais même si on n’est pas en droit européen et qu’on bascule en droit national, le contenu de droit matériel
est quasi identique.

Les ententes:

130
Que sont les ententes? Ce sont des types d’accords par lesquels les entreprises renoncent à se faire
concurrence parce qu’elles trouvent un intérêt à ne pas le faire, ce qui, le cas échéant, leur permet d’éviter
des guerres concurrentielles ou en tous cas des efforts pour attirer la clientèle.
L’entente illicite absolue, c’est une entente sur les prix. Une entente sur les prix, c’est lorsque des entreprises
fixent un prix sur des produits et services qui les arrangent tous, et décident de ne pas se faire concurrence
sur les prix. Pour eux, c’est facile, tout le monde est content, mais pour le consommateur c’est dommageable,
puisque s’ils se faisaient concurrence, le prix serait moins cher.
C’est l’idée de renonciation volontaire à l’exercice de la liberté de concurrence, au préjudice du marché et de
l’intérêt des consommateurs.
Il y a pas mal d’affaires dont on entend parler dans la presse. Une des grosses dernières pratiques d’entente
qui a été sanctionnée par la CJUE, c’est une entente qui portait sur la problématique du liquide adblue qu’on
ajoute au diesel pour diminuer l’émission d’azote, et qui rend les gaz d’échappement de voitures
particulièrement nocifs. La commission a enquêté et a poursuivi BMW, Volskwagen, Audi et Porsche. Elle
s’est rendu compte que les différents producteurs s’étaient entendus pour ne pas se faire concurrence sur les
technologies qui permettaient de diminuer l’émission d’azote. Elles ont discuté de choses qu’elles n’auraient
pas dû discuter. Quand on développe un produit de ce type-là, s’il y a une chose qu’on ne fait pas, c’est en
parler à sees concurrents. Une norme européenne imposait une technologie de base ou en tous cas une
émission minimale d’oxyde d’azote, et elles se sont dit qu’elles pouvaient diminuer encore plus l’émission,
et elles ont convenu entre elles qu’elles n’iraient jamais plus loin que ce qui était imposé légalement, pour ne
pas se faire concurrence, et qu’elles n’utiliseront pas la caractéristique spécifique de leurs voitures qui
pourrait être « elle pollue moins parce qu’on a développé une technologie qui permet de le faire ».
C’est grave, non seulement pour les consommateurs qui auront un véhicule de moins bonne qualité, mais
aussi pour l’intérêt général, parce qu’ils ont renoncé à rendre les voitures plus vertes. Elles ont eu une
amende de 875 millions d’euros. C’est pour ça que le droit de la concurrence fait peur, les amendes qu’on
inflige, en termes de pourcentages, peuvent atteindre des sommes astronomiques.

Une entente est aussi appelée un cartel.


Attention: toutes les ententes ne sont pas interdites! On peut s’entendre en diminuant la concurrence sur
certains marchés, par exemple en développant un réseau de distribution. On va mettre des conditions
spécifiques, particulières, qui vont s’imposer aux distributeurs et qui vont faire que n’importe qui ne pourra
pas accéder à la distribution des produits. Il y aura une diminution de la concurrence avec des barrières à
l’entrée, et on va cloisonner ces marchés.
Ces contrats ne sont pas nécessairement illicites, on va les admettre lorsque certaines conditions sont
remplies et lorsque les avantages seront plus grands si on admet cette pratique que si on l’interdit au nom du
principe de concurrence.

131
Parfois, les ententes peuvent être positives: par exemple, en cas de crise sanitaire, on s’entend pour pouvoir
créer un vaccin qu’on peut mettre très rapidement sur le marché. En théorie, ça aurait dû être la guerre pour
mettre le vaccin le premier sur le marché, mais là ils s’entendent et ce n’est pas illicite.
L’abus de position dominante:
Aujourd’hui, il est un peu personnifié par les GAFA et notamment Google, qui vient de se prendre une
amende de presque 2,5 milliards d’euros, imposée par la commission pour une pratique qui était l’abus de
position dominante.
Avoir une position dominante, c’est avoir une position forte dans l’offre de certains biens et services. Google
a une position super dominante sur l’offre des moteurs de recherche sur internet. Être en position dominante,
ce n’est pas illicite. Si les autres n’arrivent pas à nous faire concurrence parce que nos produits sont les
meilleurs, ça ne doit pas être sanctionné.
Ce qui doit être sanctionné, c’est de profiter de ce pouvoir pour se donner des avantages concurrentiels qu’on
ne pourrait pas avoir sans utiliser cette puissance spécifique à notre avantage et dans notre intérêt purement
personnel.

Histoire de Google: Google est en position dominante sur les moteurs de recherche mais offre plein d’autres
services aux internautes ou aux entreprises: des services de publicité (les entreprises peuvent faire leur
publicité sur les pages de recherche du moteur ou sur GoogleAd) par exemple, et aussi des comparateurs de
prix de services sur internet. Ils ne sont pas les seuls à offrir ce type de service, mais Google a bidouillé son
service pour que ce soit son comparateur qui sorte quand on recherche un comparateur de prix. Elle n’a pas
laissé faire l’algorithme normal, elle l’a modifié pour faire en sorte que les résultats qui sortent soient les plus
favorables à son service et que le nom des concurrents n’apparaissent que loin dans les résultats des
recherches après son propre service. Et donc les concurrents étaient concurrentiellement atteints par cette
pratique, et cette pratique n’est possible que parce qu’ils sont en position dominante.

L’abus de position, c’est aller chercher dans son pouvoir un comportement qui nous amène à un avantage
concurrentiel qu’on n’aurait pas eu si on n’avait pas été en position dominante et si on avait laissé jouer les
lois normales du marché.
En principe, cet abus de position dominante est toujours interdit, mais il y a des exceptions.

Le contrôle des concentrations:


Que sont les concentrations? C’est lorsqu’une ou plusieurs entreprises prennent le contrôle d’une ou
plusieurs autres entreprises. Il y a plusieurs manières de prendre le contrôle, la manière la plus connue, c’est
de fusionner avec une autre entreprise. Il y a tout un aspect de droit de la concurrence qui est très important,
et c’est facile de comprendre pourquoi: bien souvent, un des intérêts à la fusion, c’est d’éliminer un point de
concurrence. 2 entreprises sont susceptibles d’entrer en concurrence parce qu’elles offrent les mêmes biens
ou services, et au lieu de se faire la guerre, on pourrait se dire qu’une des solutions c’est de manger l’autre et
de prendre le contrôle de l’autre. Ce n’est pas nécessairement un mal, c’est aussi une des manières de

132
grandir. C’est grandir et permettre l’apparition de géants qui sont, le cas échéant, capables aussi d’aller
concurrencer d’autres géants.
L’Union est un peu entre 2 chaises aujourd’hui: au départ, dans les années 50 et la reconstruction
économique de l’Europe, elle a favorisé les acquisitions et les regroupements, d’ailleurs ce n’était pas
réglementé. Aujourd’hui, on n’est plus là du tout, on se rend compte que les effets de la concurrence sur le
marché peuvent être extrêmement négatifs, donc on est devenus très stricts en la matière, on a pris 2
règlements en 90 et en 2004, et aujourd’hui on se pose des questions sur la sévérité de ces règlements.
Certains remettent en cause la capacité des entreprises européennes à créer des géants, notamment en matière
de nouvelles technologies, du fait des limitations imposées par le droit de la concurrence européenne.
Il y a sans doute un fond de vérité dans le fait que ce droit impose des balises dans le développement d’un
grand groupe.
Il suffit de se rappeler d'un des derniers gros groupes qui a été refusé par la commission (parce qu’il faut
obtenir l’autorisation de la commission pour mettre en œuvre l’accord de concentration qui a été obtenu). Ici,
c’était un refus du mariage entre Alstom et Siemens mobility. Alstom fabrique notamment le Thalys, c’est
une grosse entreprise d’équipement ferroviaire, et Siemens mobility sont aussi des leaders mondiaux pour
certains produits d’équipements ferroviaires. Un mariage à 15 milliards, c’est un gros deal et assez
stratégique puisque c’est entre les 2 superpuissances européennes: la France et l’Allemagne. Leur problème,
disent-ils, c’est qu’ils veulent se renforcer sur les marchés de signalement et de freinage. C’est ce qui
justifierait leur mariage. Et on a dit non. La commission en a déduit qu’il y aurait nécessairement une
augmentation importante des prix, à cause de l’absence de concurrence entre les 2 géants suite à la fusion. Si
2 géants se marient sur un marché, il ne reste plus de place à la concurrence. Plus ils sont gros, plus le
pourcentage restant est difficile à contrer. Il est évident, et c’est le problème de la concentration, qu’on perd
des concurrents suite à l’opération. En général, au moins deux: pour se faire concurrence, il faut être
minimum 2, et quand on fusionne, on empêche la concurrence.
C’est pour ça que la commission avait refusé. La France et l’Allemagne ont tellement râlé et en ont appelé à
une réforme du droit de la concentration, en disant qu’avec ces règles, il n’y aurait plus jamais moyen de
créer des champions capables d’aller combattre, sur les marchés mondiaux, les géants chinois ou américains.
Margaret a répondu qu’une analyse du marché montrait que les chinois du groupe, visés comme étant
concurrents, avaient 90% de leurs activités en Chine et donc il n’y avait pas vraiment de concurrence. C’est
aussi ce qui a justifié le refus.

On voit donc le malaise.


Pour l’instant, on réfléchit à un nouveau système, c’est sur la table.

Une des dernières grosses opérations de concentration, qui a aussi eu un refus, c’est une décision du 13
janvier 2022. C’est dans un secteur qui fait beaucoup parler de lui aujourd’hui: le secteur de l’énergie. Une
entreprise voulait en acquérir deux autres, des entreprises coréennes. C’est là qu’on comprend que le droit
européen a des effets extraterritoriaux, el critère de rattachement n’a rien à voir avec le lieu d’établissement

133
des sociétés. Les deux sociétés sont sud-coréennes et principalement actives dans la construction navales, ce
sont eux qui produisent les gros navires qui transportent les gaz naturels liquéfiés. Pour les européens, c’est
essentiel d’avoir les meilleures conditions de marché pour acheter ou développer de tels navires.
Ils ont voulu donc acheter ces deux entreprises, et on a dit non, parce qu’ils sont déjà dominants sur le
marché et que la nouvelle entreprise qui naîtrait de cette fusion réduirait à rien la concurrence. Il fallait
absolument une diversité d’offre pour une diversification des sources d’énergie, et donc la commission a
refusé.
C’est super stratégique: on mêle souvent la géopolitique, la politique et l’économie. C’est un problème de
concurrence, et ce qu’on met en avant, c’est la sécurité énergétique européenne et sa capacité ou son
incapacité à trouver des prestataires de services à de bonnes conditions. On instrumentalisé les règles
juridiques dans l’intérêt du gouverneur, du gouvernement mais aussi de l’autorité et des institutions
européennes.

Chapitre 1. Les ententes et l’abus de position dominante


(articles 101 et 102 TFUE): les règles communes
Section 1. Le domaine d’application du droit européen et la répartition des
compétences de contrôle
Dans le §1 de l’art 101, on n’a pas la notion d’entente, il y a 3 comportements spécifiques qui sont visés par
la notion d’entente.

On l’a déjà compris: il y a une coexistence entre, d'une part, le droit européen de la concurrence et, d’autre
part, les droits nationaux qui sont aussi des droits de la concurrence et qui comportent, en plus, des
dispositions matérielles quasi équivalentes.
Se pose donc nécessairement la question de la ligne de démarcation entre l’application des règles nationales
et l’application des règles européennes.
La question même de la démarcation ne se pose que si le droit européen n’est pas applicable. Il faut savoir si
le droit européen, a priori, s’applique ou pas.
Il y a des situations simples comme les entreprises établies sur le territoire de l’Union ou sur l’espace
économique européen, dans des pays tiers à l’UE.
Ni 101 ni 102 ne prévoient un critère de rattachement qui serait lié au lieu d’établissement de l’entreprise. On
en tire comme conclusion que ce n’est pas le critère de rattachement. Le critère de rattachement, ce sont les
les effets des comportements de l'entreprise sur le territoire de l’UE. Il faut toujours que l’opération ou que le
comportement ait un effet tangible sur le territoire de l’UE. c’est ce qui explique qu’il y a une application
extra-territoriale possible dès l’instant où le critère spécifique prévu est rempli, c’est-à-dire l’affectation du
commerce entre Etats membres, alors le droit européen sera susceptible de s’appliquer.

134
Affecter le commerce entre Etats membres, disent 101 et 102. On va avoir l’impression que c’est le critère
de répartition de compétences entre l’UE et les Etats membres, mais c’est le critère de rattachement qui
détermine l’application du droit européen. Soit les comportements affectent le commerce entre Etats
membres et le droit européen s’applique, soit les comportements n'affectent pas le commerce entre Etats
membres, et le droit européen ne s’applique pas, mais d’autres dispositions issues des législations nationales
sont susceptibles de s’appliquer, mais il faut aller voir dans la législation nationale quel est le critère de
rattachement et si ça s’applique ici ou pas.

Que veut dire maintenant affecter le commerce entre Etats membres? L’idée du commerce entre Etats
membres vise toute activité économique entre Etats membres, quelle que soit sa modalité ou les modalités de
prestation.
Il faut que la pratique soit susceptible d’affecter les activités économiques entre Etats membres. Être
susceptible, ça veut dire qu’on ne doit pas constater qu’elle affecte réellement le commerce entre Etats
membres, il faut une probabilité suffisante qui débouche de l’analyse qu’il y ait réellement un effet de la
pratique sur le commerce entre Etats membres.
Première condition: un degré suffisant de probabilité.
Seconde condition: le degré doit porter sur une influence directe ou indirecte, fusse-t-elle potentielle, sur les
courants d’échange entre les Etats. On a peur que les comportements aient un effet sur la réalisation du grand
marché et que les comportements impliquent une diminution de concurrence sur les marchés en cause.

Exemple: arrêt Manfredi du 13 juillet 2006: c’est une question préjudicielle dans le cadre de recours en
indemnité par des assurés contre des compagnies d’assurance italiennes. Les assurés se plaignent parce qu’ils
prétendent qu’ils ont été soumis à des majorations de primes d’assurance (il s’agissait de RC auto). Ils
prétendent que les compagnies d’assurance se sont mises d’accord sur les niveaux de prix des primes pour ne
pas se faire concurrence sur les primes d’assurances.
En assurance, on peut se faire concurrence sur l’étendue ou la qualité de la couverture, mais aussi sur les
primes d’assurances versées par les consommateurs. Décider de ne pas se faire concurrence sur ces primes,
c’est un comportement qui est susceptible d’avoir un effet important sur la concurrence.
Il y a de quoi justifier l’enquête dès l’instant où on a recueilli des preuves de réunions et de comportements
coordonnés des différentes compagnies. Les assurés disent qu’ils auraient payé moins cher s’il n’y avait pas
eu d’entente.
On pose une question, parce que le juge italien n’arrive pas à s’en sortir sur le droit à appliquer. La question
qu’il pose à la cour est celle-ci: est-ce qu’une entente comme celle qui paraît apparaître dans le dossier, qui
constitue une infraction potentielle aux règles nationales de concurrence, est-ce que cette entente peut
constituer une violation de l’art 101, compte tenu notamment de la participation à l’entente d’entreprises
appartenant à différents Etats membres? Dès l’instant où il y a des entreprises autrichiennes ou espagnoles
par exemple qui offrent des couvertures d’assurance sur le territoire italien, est-ce que ça n’impose pas
d’utiliser le droit européen plutôt que le droit italien?

135
La cour construit une interprétation qui est devenue classique en la matière: l’interprétation du commerce
entre Etats membres résulte de la réunion de différents critères qui, pris isolements, ne seraient pas
nécessairement déterminants dans l’analyse. Donc il faut faire une application cumulée des différents critères
pour être sûr d’arriver à la conclusion du rejet du droit européen puisque c’est ça l’enjeu.
Oui, l’existence d’entreprises participant à l’entente qui sont des opérateurs qui viennent d’autres Etats et qui
ont des activités dans différents pays, c’est un élément important qui doit être pris en considération par le
juge national pour déterminer s'il y a ou pas affectation du commerce entre Etats membres. C’est facile à
comprendre ici, puisqu’on a des entreprises actives et qui créent elles-mêmes un flux d’activité économique
et qui se situent en dehors de l’Italie, il est fort probable que ça corresponde à une affectation du commerce
entre Etats membres.

Le deuxième critère mis en avant par la cour, c’est de dire que d’autre critères devraient être pris en
considération et notamment l’étendue géographique de la pratique: si l’entente n’a d’effets que sur la
commercialisation ou l’offre d’un produit sur le territoire d’un seul Etat, à ce moment-là, on ne pourra pas en
conclure qu’il y a affectation du commerce entre Etats membres.
On ne voit pas en quoi le flux d’activité sont énervées par l’entente.
La cour va néanmoins encore plus loin: le fait qu'il y ait des établissements à l’étranger est un critère qui peut
avoir des effets, l’étendue géographique aussi, mais même si l’étendue géographique de la pratique est
limitée à un seul Etat, il faut se poser une dernière question: celle de savoir si cette pratique, même limitée à
un Etat, ne risque pas de provoquer un cloisonnement du marché unique sur une base nationale? C’est-à-dire
est-ce que l’entente ne va pas créer des barrières à l’entrée sur le marché national pour les prestataires à
l’entrée?
Est’ que la pratique, analysée au regard d’une entrée ou d’une offre potentielle en provenance de l’étranger,
n’aura pas un effet de cloisonnement, d’impossibilité pour ceux-ci d’offrir leurs biens et d’entrer sur le
marché?
Dans le cas d’espèce, la cour dit qu’il faut vérifier si l’entente sur les assurances ne peut pas avoir un effet
dissuasif sur les compagnies d’autres Etats membres n’ayant pas d’activité à ce moment-là mais qui auraient
voulu entrer plus tard sur le marché.

Dans cette affaire, la cour répond que oui, pourrait constituer une violation de l’art 101 si, au regard des
caractéristiques du marché national, il existe un degré suffisant de probabilité que l’entente puisse exercer
une influence, directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur la vente de polices d’assurance dans cet Etat
par ces opérateurs établis dans d’autres Etats.

Il y a encore une condition qui n’est pas dans la disposition ni même dans le wording du text: on va exiger, et
c’est aussi l’aspect économique de la matière, que cet effet ne soit pas insignifiant, qu’il ait une certaine
importance. Il faut que l’effet sur le commerce entre Etats membres soit suffisamment sensible pour
impliquer l’application du droit européen de la concurrence.

136
Si l’entente n’a pas d’effets économiques appréciables, l’idée du droit européen, c’est qu’il ne peut pas
affecter le commerce entre Etats membres, ni porter atteinte à la concurrence, en tous cas sur le marché
européen.

Donc dans les lignes directrices, c’est du soft law qui est édicté par les autorités européennes mais qui ne
sont pas des règles obligatoires mais qui sont appliquées par la commission, on donne des critères à partir
desquels on peut vérifier si la pratique va donner lieu à une application du droit européen de la concurrence
ou pas, et on va apprécier ça en fonction du volume des échanges concernés par l’entente, du chiffre d’affaire
réalisé sur les produits ou les services concernés et les parts de marché détenues par les entreprises en cause.
Si les parts de marché des participants sont plus petites que 5% du marché et que les chiffres d’affaire
paraissent trop importants, le droit européen ne s’appliquera pas. On considérera que le critère de
rattachement n’est pas rempli.
Ça ne veut pas dire que cette situation ne pourrait pas donner lieu à des sanctions, mais ce ne sera pas des
sanctions de droit européen, ça pourrait être une application du droit national, qui s’appliquerait en fonction
de ses propres critères de rattachement.

Attention: les choses ne sont pas si simples: si le droit européen s’applique, il y aura une possible
participation des autorités nationales qui vont avoir compétence pour appliquer les art 101 et 102. Au départ,
ce n’était poursuivi que par la commission, mais depuis un règlement 01/2003, on a impliqué une véritable
révolution en droit de la concurrence parce que depuis ce moment, les autorités de concurrence des Etats
membres qui constatent une entente ou un abus de position dominante doivent également appliquer 101 et
102 si les conditions d’application sont remplies. Et donc les autorités nationales vont faire le travail de
constatation et de sanction à la place de la commission, ce qui rend le système beaucoup plus efficace.
C’est aussi ce règlement qui a imposé à tous les Etats membres de se doter d’une autorité de concurrence.
Donc le droit européen va s’appliquer et courir après les voleurs, mais il y a aussi des autorités nationales qui
ont cette compétence de rechercher l'infraction et d’appliquer le droit européen alors même qu’ils sont saisis
dans le cadre d’une procédure nationale.

Ces autorités nationales sont des autorités administratives un peu particulières, ce n'est pas un tribunal qui
intervient. Ce qui se passe, c’est une autorité administrative indépendante de l'exécutif et du judiciaire, qui
est là pour constater les infractions et pour assurer la correcte application de la loi sur la concurrence
nationale, mais aussi de la correcte application des règles de concurrence de droit européen.
Les décisions des autorités nationales vont alors faire l’objet de recours, et ces recours se font devant la cour
d’appel de Bruxelles. Il y a une chambre particulière, la chambre des marchés, à qui on a attribué la
compétence d’intervenir pour contrôler la légalité des décisions prises par l’autorité nationale de la
concurrence. Elle n’intervient pas comme organe d’appel traditionnel par rapport à une décision d'un
tribunal, c’est un organe de recours introduit contre une autorité administrative, un peu comme le conseil

137
d’Etat! C’est tout à fait particulier, et la cour d’appel intervient avec une casquette différente de son rôle
d’organe d’appel des décisions.
Cette chambre des marchés est une chambre particulière de la cour d’appel et elle ne connaît pas seulement
des recours à l’égard de l’autorité nationale de concurrence, c’est elle qui connaît également des recours
contre les décisions de l'autorité de protection des données. Elle regroupe un peu tous les recours qu’on a
aujourd’hui à l’égard de toute une série d’autorités administratives qui interviennent de plus en plus dans le
jeu de l’activité économique pour imposer des règles et une police économique particulière, à coté des
institutions juridiques spécifiques.
D’autres problématiques peuvent surgir, ou l’infraction de droit européen de la concurrence peut surgir dans
d’autres contentieux (action en responsabilité civile, action en cessation contre des pratiques déloyales…).
C’est tellement vrai qu’on trouve des dispositions particulières (art 6 du règlement 01/2003) qui disent que
les juridictions nationales sont compétentes pour appliquer les art 101 et 102 TFUE, indépendamment de la
procédure dont on vient de parler, et de faire appliquer le droit européen par les juridictions normales, dans le
cadre d’une procédure classique.

Il faut bien comprendre qu’il y a différentes voies pour y arriver, mais dès l’instant où il s’agit de
directement contester la décision de l’autorité, ça se fait devant la cour d’appel, chambre des marchés.

Le règlement qui impose la création d’autorités nationales de concurrence leur donne aussi des compétences
minimales, tant au niveau de la recherche d’infractions qu’au niveau des sanctions (art 5). C’est similaire au
pénal pour la recherche des infractions. Il y a plusieurs sanctions aussi.

L’objet même du droit national de la concurrence, c’est organiser d’organiser ces autorités nationales de
concurrence, organiser les procédures qui permettent l’application des sanctions, organiser les procédures qui
permettent des recours à l’égard des décisions de l’autorité. C’est cela le véritable objet des droits nationaux
de la concurrence.

Tout ça doit aussi se comprendre avec un arrière fond de petite guéguerre entre la commission et les Etats
membres quant au contrôle et quant à la maîtrise des dossiers, parce qu’on se rend bien compte qu’il y a des
dossiers qui impliquent des entreprises, le cas échéant de plusieurs pays, qui vont affecter le commerce entre
Etats membres, et qui sera compétent pour connaître du dossier a priori? Une autorité nationale. Or, qui est le
gardien de la concurrence dans l’Union? C’est d’abord la commission, et donc on va organiser un système
d’information de la commission des affaires qui arrivent jusqu’aux autorités nationales, un système qui
permettra également à toutes les autorités nationales de s’informer entre elles des cas d’application des art
101 et 102 et qui vont permettre, à ce moment, à la commission de reprendre le dossier. Si on lit l’art 11, on
voit que dès l’instant où une autorité nationale initie une enquête où elle sait qu’elle risque d’appliquer 101
et 102, elle doit déjà prévenir la commission (art 11, al3 du règlement).

138
Deuxième information: elle doit, avant l’adoption d’une décision, à nouveau informer la commission, et la
commission, elle, peut ouvrir une procédure, à tout moment, en vue de l’adoption d’une décision
d’application des articles. Et on nous dit que si une autorités de concurrence d’un Etat membre traite déjà de
l’affaire, la commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale.
Donc si elle décide de s’occuper d’une affaire, l’autorité nationale doit laisser la main. On va la consulter et
on utilisera les informations déjà trouvées si ça a déjà débuté, mais l’autorité nationale n’a pas le choix, elle
doit laisser la main à la commission, qui garde le contrôle de la police de la concurrence. Elle ne veut pas se
retrouver dans une situation où ce serait les autorités nationales qui lui dicteraient quoi faire ou auraient une
influence trop importante sur sa stratégie. Quand elle sent que l’affaire est importante pour l’Union ou
entraîne des prises de position sur certaines interprétations des dispositions etc et qu’elle veut garder la main
là-dessus, elle reprend l’affaire, indépendamment de savoir si l’autorité nationale est déjà saisie.
 
Il y a plein de dispositions, mais une grosse partie de ce règlement a pour objet d’organiser, autour de ces
principes, le travail des différentes autorités nationales et de la commission et d’assurer une cohérence dans
la mise en œuvre de ces compétences, qui sont des compétences parallèles. On verra qu’on a des dispositions
qui concernent la coopération (sur les échanges d’informations entre les autorités et la commission,
coopération entre juridictions nationales puisqu’elles sont aussi compétentes, dispositions aussi sur les
pouvoirs d’enquête qui sont attribués aux autorités nationales lorsqu’elles font application des dispositions
du traité).

Que se passe-t-il lorsque plusieurs autorités nationales de concurrence sont susceptibles d’intervenir? Qui est
compétent? Il a fallu aussi prendre des règles particulières dee coexistence qui vont régler ce typesde conflits
et qui vont permettre de désigner l’autorité la mieux placée pour l’examen de l’affaire, selon différents
critères (où a lieu principalement la pratique, où sont les moyens disponibles, voir l’efficacité possible d’une
sanction…).

Section 2. Le champ d’application personnel des articles 101 et 102 TFUE


On en a déjà parlé dans l’introduction.
À qui sont destinées les règles? Aux entreprises.
Il n’y a pas de définition telle quelle de l’entreprise qui serait donnée par un texte ou par le TFUE lui-même,
c’est donc une définition prétorienne qui a été dégagée par la CJUE au gré de sa jurisprudence et qui donne
toujours lieu à des interprétation au gré des cas, dès lors que cette notion n’est pas figée dans un texte une
fois pour toutes.
La définition telle qu’elle est rappelée par la cour est: une entreprise est toute entité exerçant une activité
économique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement.
Par rapport à ce qu’on a dit à la seconde définition employée dans le CDE: elle provient directement de la
définition donnée par la cour, et c’est analogue dans le wording, même si chacune a ses spécificités. Ce n’est
pas la même chose, l’entreprise au sens du CDE et la définition prétorienne telle qu’elle est interprétée et
139
analysée concernant le droit européen de la concurrence. C’est une véritable troisième définition qui
s’impose à nous, même si elle est similaire à l’ancienne définition générale du CDE.

Le critère essentiel est l’exercice d’une activité économique, c’est-à-dire offrir des biens et des services sur
un marché. Sont donc exclues de la notion d’entreprise les activités non économiques, c’est-à-dire les
activités souvent mais pas toujours exercées par les autorités publiques quand elles exercent les activités de
puissance publique qui sont les leurs. Par exemple, on a aussi l’exercice des compétences dans l'activité
sociale (les organismes de sécurité sociale). Dès l’instant ù c’est gouverné par le principe de solidarité et que
ça se fait sous la supervision de l’Etat et son activité, c’est une activité non économique.
Donc on exclut toutes les activités non économiques du champ d’application.
Mais ce n’est pas aussi simple dans la réalité, parce qu’on peut avoir des entités qui exercent des missions de
service public tout en étant pas des autorités publiques statutairement ou judiciairement parlant, ou les
sociétés mixtes comme Proximus ou la poste.
À ce moment-là, le droit européen a sa propre interprétation, qui consiste à élargir autant que faire se peut la
notion d’entreprise, pour faire rentrer les entreprises mixtes dans le champ d’application personnel du TFUE.
On avait aussi parlé du fait que les interprétations de la cour de la notion d’entreprise peuvent être différentes
selon la matière. On avait vu l’arrêt BKK, un organisme de sécurité sociale allemand qui avait été actionné
par un groupement de consommateurs alors qu'il exerçait des missions d’autorité publique. Il avait
néanmoins été qualifié d’entreprise par la cour. l'interprétation qu'en donne la cour dans l’arrêt BKK n’est
pas du tout celle qu’elle appliquerait en droit de la concurrence.
Elle applique la théorie de l’acte détachable, donc elle va se demander si l'activité économique poursuivie
par l’entité est détachable de ses activités, fussent-elles principales, qui seraient des activités non-
économiques. Et pour ces activités détachables, on pourra la considérer comme une entreprise au sens du
droit européen de la concurrence. Le principe est toujours le même: c’est de dire que tout le monde doit être
soumis aux mêmes règles. donc si une entité mixte offre des biens et des services sur un marché, la cour va
se demander s'il est possible d’isoler ces activités et d’imposer, pour ces activités, les règles de droit de la
concurrence.
On s’est posé la question, par exemple, pour Eurocontrol qui assure la navigation aérienne, mais à côté de
cette mission de service public, elle offre aussi des biens et des services aux compagnies aériennes. Une
jurisprudence de la cour s'est demandé si cette offre peut être détachée du service principal et être considérée
comme le lieu d’application des art 101 et 102.

Ceci dit, la définition dit bien que cette approche est indépendante du statut juridique et de son mode de
financement. Ça veut dire aussi que peu importe, finalement, la finalité de l'entité juridique. Autrement dit,
comme en droit belge, une entreprise ne doit pas nécessairement viser un but lucratif d’enrichissement pour
être considérée comme une entreprise. Un organisme sans but lucratif pourrait être considéré comme une
entreprise au sens du droit européen de la concurrence, mais avec une différence, par exemple avec les
ASBL. On a vu qu’en droit belge, elles sont toujours des entreprises (art 1:1, 2° CSA). Ici, un organisme

140
sans but lucratif pourrait devenir une entreprise, pour autant qu’elle réponde au critère principal de l'exercice
d’une activité économique. Si elle n’exerce pas d’activité économique, elle ne sera pas considérée comme
une entreprise au sens du droit de la concurrence.

Renvoi à un arrêt du 10 janvier 2006 de la CJUE: tout part d'une demande d’une caisse d’épargne italienne,
elle demande l’exonération d’une retenue fiscale sur les dividendes (c’est-à-dire quand une entité décide de
distribuer le bénéfice de l’année précédente et les associés ou les fondateurs reçoivent un émolument qui est
le retour sur investissement du fait de l’acquisition des parts). Quand on distribue des dividendes, il y a
souvent une retenue à la source, on prend l’impôt qui est dû sur l’enrichissement consécutif à
l’investissement.
En Italie, les dividendes distribués sont soumis à un précompte, et la loi fiscale italienne prévoyait un régime
fiscal particulier, en fait une exemption de retenue pour des fondations qui poursuivent exclusivement des
buts de bienfaisance, d’éducation, d’enseignement, d’étude et de recherche scientifique. Et en Italie, il existe
des fondations bancaires qui poursuivent ce type de but non lucratif. Se pose la question de savoir si ces
fondations bancaires peuvent bénéficier de ces exemptions ou pas. A priori, on est dans un litige purement
fiscal. La caisse va demander à l'administration fiscale de lui accorder le régime, elle rejette, il y a toute une
procédure jusqu’en cassation, et la cour de cassation se pose une question qui est la compatibilité du régime
de l’exemption avec le régime des aides d’Etat. Il a fallu que la cour se prononce sur la question de savoir si
cette caisse d’épargne italienne, agissait-elle en tant qu’entreprise, de sorte que la question des aides se pose
ou pas?
La cour, assez logiquement, pose d’abord le principe que s’il s’agit d’une fondation bancaire qui exerce une
activité qui se limite au versement de contributions à des organismes sans but lucratif (vraisemblablement,
c’était son objet), c’est une activité purement sociale et surtout, ça n’est pas a priori exercé sur un marché en
concurrence avec d’autres opérateurs. Comme organisme de bienfaisance, on ne peut pas imaginer le
qualifier d’entreprise.
Par contre, lorsque cette même fondation ou lorsqu’une fondation de ce type, agissant dans l’exercice de ses
finalités (donc dans les domaines d’intérêt public ou d’utilité sociale) va utiliser l’habilitation ou la
compétence qui lui est donnée d’effectuer des opérations autres que des opérations de bienfaisance, elle est
susceptible d’offrir des biens ou des services sur un marché en concurrence avec d’autres opérateurs.
Donc la cour dit ce qu’on a déjà vu en parlant des ASBL dans l’introduction au droit des sociétés et des
associations: parfois, un organisme sans but lucratif va pouvoir, si le droit national est d’accord, exercer une
activité économique, par exemple pour se procurer un financement supplémentaire et avoir plus de moyens
en vue d’exercer ses finalités sans but de lucre. C’est ce que la cour vise ici. À ce moment-là, l’organisme
sans but lucratif va exercer certaines activités sur des marchés en concurrence avec d’autres opérateurs,
d’autres prestataires de services, et à partir de ce moment-là, les règles sont identiques. On est soumis aux
mêmes règles du jeu à partir du moment où on rentre sur le marché.
Donc la fondation doit être considéré comme entreprise dès lors que son offre se trouve en concurrence avec
celle d’opérateurs poursuivant un tel but, nonobstant l’absence de but lucratif.

141
En droit belge, l’entreprise peut être une personne morale comme une personne physique. C’est moins
fréquent que des personnes physiques soient impliquées dans des ententes, puisqu’il y a cette règle des
minima qu’on va retrouver plusieurs fois, il faut que le comportement entraîne des troubles importants sur le
marché pour que le droit européen intervienne, et c’est rarement le cas quand on a une entreprise dirigée par
une personne physique, mais ce n'est pas exclu. Et donc peu importe le but lucratif, peu importe son
financement et son statut juridique.

Néanmoins, il y a une particularité dans l’interprétation de la notion d’entreprise en droit européen de la


concurrence, qu’on n’a pas vue dans la notion d’entreprise au sens du droit belge, et qui est propre au droit
de la concurrence.
Le droit de la concurrence est fortement imbibé de science économique, et cette couche de science
économique amène à devoir lisser les concepts juridiques dans un sens qui va vers l’efficacité. C’est ce qu'on
retrouve ici: la notion d’entreprise a une connotation économique. Elle peut viser, dans l’application de 101
et 102, une unité économique indépendante, c’est-à-dire un groupe de sociétés. C’est bizarre pour un juriste:
les sociétés ont normalement une personnalité juridique distincte, et s'il s’agit de les qualifier d’entreprise, on
les qualifiera chacune ou pas.
Ici, il s'agit de dire que dans certaines circonstances, plusieurs sociétés vont être considérées comme une et
une seule entreprise au sens du droit européen de la concurrence, lorsqu’elles sont transcendées par une unité
économique. Qu’est-ce qu’une unité économique? C’est quand on va pouvoir identifier une unité de
comportements sur le marché. C’est extrêmement important, notamment pour statuer en matière d’ententes.
Pour qu’il y ait une entente, il faut au moins 2 ou plusieurs entreprises. Si, dans l’analyse, on en vient à dire
qu’il n’y a qu’une unité économique indépendante parce que toutes les unités ont le même comportement sur
le marché, on n’appliquera pas l’art 101, ou on l’appliquera à des unités différentes. Ça peut avoir des
conséquences en termes de responsabilité. Ça reste un peu théorique. 2 exemples pour nous aider à
comprendre:

L’exemple d’agents intermédiaires, c’est-à-dire des gens qui ont comme profession de faire le lien entre un
prestataire de services et le client final. Il s’agissait d'un arrêt du tribunal de première instance du 15
septembre 2005 et c’est un recours visant à l’annulation d'une décision de la commission, prise sur base de
l’art 101. En cause, le groupe Chrysler, une société mère d’un groupe de sociétés qui produit et
commercialise des véhicules automobiles. Depuis 1995, des plaintes de consommateurs avaient été
transmises à la commission concernant des entraves à l’exportation de véhicules neufs Mercedes. L’entrave à
l’importation est très fréquente dans le secteur automobile. On utilise un réseau de distribution officiel,
particulier, donc on doit passer par un distributeur agréé, qui fait partie d’un réseau de distribution très
particulier et qui obéit à des règles spécifiques. Ce que détestent les constructeurs automobiles, c’est que les
réseaux commencent à se faire concurrence, ils préfèrent qu’on puisse garder des préférences nationales dans
chaque Etat et qu’un distributeur du même groupe n’aille pas piquer les clients d’un autre Etat. Or c’est

142
justement ça qu’on veut permettre: que le consommateur allemand puisse aller acheter des produits en
Belgique, par exemple. Il y a des différences en termes de taxes, ou des réductions. Ce que font souvent les
importateurs et les constructeurs, c’est qu’ils font pression sur les distributeurs ou leur imposent des règles
pour éviter qu’ils exportent les véhicules qu’ils doivent normalement vendre sur le territoire national. Ces
limitations à l’exportation sont évidemment considérées par le droit européen comme des entraves graves à
la construction du marché et à la concurrence dans le marché. C’est une affaire emblématique de ce type de
comportements.
On reprochait donc à Mercedes Benz d’avoir limité les possibilités d’exportation des véhicules. Mercedes
Benz, il y avait la maison mère et puis les filiales, et on doit faire le nettoyage et on se rend compte qu’en
plus des filiales, il y a des intermédiaires qui sont mêlés à la pratique et auraient pu avoir participé à la
pratique. La question qui se pose alors est: est-ce que les agents intermédiaires forment des sociétés du
groupe ou est-ce que c’est une entreprise unique, chaque intermédiaire étant une entreprise spécifique
participant à l’entente? Le tribunal développe alors une interprétation et un critère qui doit permettre à la
commission de répondre à cette question.
Elle rappelle elle-même que cette question est importante, on est dans l’identification des entreprises relevant
du champ d’application. Elle dit que si l’intermédiaire obéit au commettant (celui qui donne certaines
instructions ou en tous cas qui est à la source des produits qui sont, le cas échéant, distribués ou vendus par
l’intermédiaire des représentants de commerce), s’ils agissent strictement sous les ordres ou sous l’autorité
du commettant, normalement, ils doivent être en principe considérés comme organes auxiliaires intégrés
dans l’entreprise, tenus de suivre les instructions du commettant et formant ainsi avec cette entreprise, à
l’instar d’un employé de commerce, une unité économique. A priori, le critère de base, c’est la question de
savoir si on travaille sous autorité et si on est tenu de suivre les instructions du commettant, de sorte qu’il
n’est plus possible de nous distinguer de lui. Le renvoi à l’employé est intéressant: l’employé n’est jamais
une entreprise, puisqu’il exerce l’activité économique sous l’autorité de l’employeur. La cour va raisonner
par analogie: elle va regarder quelle est la marge de manœuvre de l’intermédiaire. Il pourrait en être
autrement si cet agent prend des risques autonomes, et principalement des risques financiers dans le cadre de
l’activité exercée pour le commettant.
Quand on est un agent intégré dans la société, a priori, si on intervient dans la vente d’un véhicule, que le
véhicule soit vendu ou pas, on sera sans doute payé de la même manière. On travaille sous autorité, on ne
prend pas le risque financier de l’opération. La cour dit qu'on peut isoler l’agent à partir du moment où il
prend des risques financiers liés à la transaction finale.
Il faut regarder toute une série de critères: une commission sur la vente, mais aussi toute une prise de risques
par rapport à la propriété des matériaux avant la vente. Ça peut être un des critères pris en considération par
rapport à cette analyse des risques de l’agent intermédiaire. On peut imaginer qu'il contribue à certains coûts
de stockage par exemple, c’est lui qui prend en charge des coûts de parking des automobiles par exemple.
Toute une série de critères seront vérifiés pour qu’on soit bien certain qu’il ne prend pas de risques. S’il ne
prend pas de risques, il ne s’agit pas d'une entreprise. S’il prend des risques, il s'agit d’une entreprise.

143
Deuxième exemple: les groupes de sociétés qui lient une maison mère avec des filiales. Il y a, pour
beaucoup de raisons, des constructions qui utilisent le droit des sociétés dans les groupes de sociétés, avec
une prise de contrôle de certaines sociétés sur les autres, parce que c’est plus facile à gérer.
Dans les groupes d’entreprises, souvent, la filiale est détenue à 70, 80, 90, 100% par des entreprises qui font
partie du groupe d’Etats membres. et qui détermine les stratégies globales de vente, les stratégies e prix, les
stratégies de distribution? La maison-mère, ou une société fait tiers qui dirige toute une série d’autres
sociétés. Souvent, dans ce cas, la maison-mère et ses filiales auront une unité de comportement sur le
marché. Pourquoi? Parce que les filiales n’auront pas de marge de manœuvre pour déterminer des
comportements concurrentiels à l’égard d’autres entreprises. Elles feront ce qu’on leur dit de faire, elles
agiront sur les instructions de la maison-mère, de manière analogue à ce qu’on vient de voir sur les agents.

La ratio de tout ça, c’est de se dire pour appliquer le droit de la concurrence, il faut que les entreprises à qui
on applique le droit de la concurrence soient en concurrence, ou puisse en tous cas exercer un comportement
indépendant sur le marché à l’égard d’autres entreprises. Si ces 10 sociétés d’un groupe automobile obéissent
toutes aux instructions d’une société-mère, elles ne sont pas capables de déterminer, chacune pour ce qui la
concerne, un comportement indépendant. Et donc le droit européen va considérer que l’entreprise, c’est tout
le groupe. Idem quand on parle de succursales, qui n’ont pas de personnalité juridique, etc.
C’est particulier au droit européen de la concurrence. Ce sont principalement les ententes qui ont construit
l’interprétation.

Section 3. Le « marché en cause »


L’objet des explications ici, c’est la définition du marché qu’est-ce qu’un marché. Or, tous les
comportements concurrentiels impliquent, que ce soit en matière d’entente, d’abus ou de concentration, il est
nécessaire d’identifier quels sont les marchés qui vont être en cause, c’est-à-dire qui vont être touchés par les
conséquences dommageables du comportement en termes de concurrence.

Le marché est une notion capitale, c’est ce qui va permettre de délimiter et jauger la porte du comportement
concurrentiel et les effets concurrentiels. Si on veut apprécier l'impact d'une pratique sur la concurrence, il
faut délimiter le marché dont le comportement risque d’être impacté. Le marché est le lieu spécifique de
concurrence entre les entreprises qui sont concernées par le comportement réglementé, que ce soit l'entente,
l'abus ou la concentration.
Plus fondamentalement, pour appliquer le droit de la concurrence, il faut trouver un lieu où la concurrence
existe, sinon le droit de la concurrence n’a rien à faire là.
Le marché en cause doit être appréhendé tant d’un point de vue matériel que géographique. Ces deux
approches se confondent dans la définition et l’identification du marché en cause.

144
Niveau matériel: il s’agit d’identifier l’ensemble des produits et/ou services qui sont en concurrence. Le
marché regroupe des produits et des services qui sont en concurrence et qui sont mis en concurrence par les
entreprises qui les offrent.

Niveau géographique: c’est le niveau matériel, sur un territoire donné. C’est le lieu de l’offre des services et
produits qui sont en concurrence, sur un territoire donné.

Quand on a identifié ces produits et services, on identifie forcément les entreprises qui les offrent. Donc le
marché est le périmètre abstrait à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre entreprises.
Quand on parle du grand marché unique, ce n’est pas la notion du droit de la concurrence, mais c’est la
même idée, sauf que toutes les entreprises ne sont pas en concurrence.
Ici, c’est une notion beaucoup plus spécifique et précise: on regroupe de manière abstraite les produits et
services et donc les entreprises qui sont en concurrence sur un marché donné, voire sur plusieurs marchés, en
fonction du résultat de l’application.

Pour comprendre l’approche, c’est un peu, au départ, comme le marché qu’on a dans nos villes: un lieu où se
rencontrent de l’offre et de la demande. Abstraitement, on a un lieu dans lequel on va avoir des offreurs et
des demandeurs. Mais pas n’importe quels offreurs, et c’est là toute la difficulté! Il faut que les produits et
services soient en concurrence, et donc on ne retient que les biens et services interchangeables
(substituabilité). Les biens et produits substituables vont permettre de délimiter le marché matériellement.
Ensuite, on va regarder sur quel territoire cette offre de biens et services susbtituables et cette concurrence
est susceptible de se réaliser.

Par exemple: une chaudière à mazout ou au gaz: même marché ou marché différent? Ce sont des
caractéristiques techniques différentes, elles ne polluent pas de la même manière, ce sont des caractéristiques
qui peuvent les rendre moins substituables.
Autre exemple: les offres téléphoniques prepaid ou postpaid, ou la téléphonie fixe et mobile. Ça n’a rien à
voir, on n’y accède pas de la même manière, mais ça reste de la téléphonie. Est-ce que c’est interchangeable
ou pas?

C’est fondamental, parce que suivant la réponse qu’on va donner, certaines entreprises vont être exclues et
d’autres inclues, et ça va avoir une importance extrêmement prégnante quand on va se poser la question de
savoir si une entreprise est une position dominante. Il faut savoir exactement à l’égard de quels services elle
va être en dominance ou pas.
Il y a un enjeu très important dans toutes ces affaires de concurrence, sur la question de savoir quel est le
marché en cause. Ce n’est pas du tout une question théorique, c’est une question éminemment pratique,
d’autant plus que la réponse à ces questions n’est pas du tout évidente. Après avoir déterminé ça, il faudra se
poser la question de sur quel territoire on va appliquer cela, quel territoire sera visé par le marché en cause.

145
Certains prestataires ne prestent pas leurs services sur le même territoire que les autres.
Ce n’est pas parce qu’on a des offres et services équivalents qu’on sera forcément sur le même marché.
La question se pose encore différemment si on offre nos produits et services via internet.
Tout ça va avoir une influence sur la détermination du marché, la détermination matérielle liée à la
détermination géographique. c’est la rencontre des deux qui va déterminer le marché en cause.

Pour déterminer si 2 biens ou services sont substituables, il y a 2 approches qui tournent autour de la même
logique: l’idée de se demander si, pour le consommateur, c’est la même chose et s’il peut passer de l’un à
l’autre presque indifféremment, parce que le bien/service va répondre au même besoin.
- Approche qualitative: c’est un questionnement sur le produit lui-même et les qualités du produit. On se
pose des questions du type: les produits ont-ils les mêmes caractéristiques? Ce sont souvent les
caractéristiques du produit qui vont faire que pour le consommateur, l’un ou l’autre est souvent assez
équivalent. Deux téléphones ont a priori les mêmes caractéristiques. Mais, vraiment? N’y a-t-il pas des
différences? Il y a des caractéristiques qui font que les produits ne sont pas nécessairement
interchangeables, donc les caractéristiques des produits vont avoir une importance.
L’usage qu’on va en faire aussi aura une importance, il évolue. L’évolution de l’utilisation du téléphone,
par exemple, est énorme. Avant, ça permettait d’entrer en communication avec un correspondant.
Aujourd’hui, cette fonction est devenue secondaire, on l'utilise surtout pour aller sur les réseaux sociaux
ou sur internet. Rien à voir avec le téléphone fixe. Est-ce la même utilisation que l’on fait du petit Nokia
des années 2000 ou d’un iPhone 12? Non, alors qu'au départ ça semblait identique. L’usage n’est donc pas
forcément identique.
La méthode de commercialisation va aussi jouer et permettre de déterminer, par ce critère quantitatif, des
produits qui ne sont peut-être pas aussi substituables qu’il n’y paraît. Exemple: le papier toilette: on le
trouve en accès direct dans les supermarchés, mais ceux qu’on trouve dans les hôpitaux, on ne les trouve
pas partout, ce sont des producteurs particuliers et un réseau de production particulier. Même marché ou
marché différent? Bien interchangeable ou pas,?
Donc plusieurs critères tournent autour des caractéristiques du bien et de comment on le vend.
- Approche quantitative: c’est plus compliqué, on va modaliser, on va faire un modèle, et par un
raisonnement, on va se poser une question de substituabilité qui aura 2 consonances, selon qu'on se mette
du côté de la demande ou de l’offre.
‣ Du côté de la demande: on se pose une question: si on augmentait, de manière durable, le prix d’un
des deux biens qu’on compare, les consommateurs vont-ils se diriger vers l’autre? On doit imaginer le
marché, le modaliser, et se demander, si on augmentait le prix, si ça changerait quelque chose ou pas.
Si oui, s’il y a ce transfert de la demande de l’un à l’autre, alors on va dire que ce sont des biens
interchangeables, ils sont dans le même marché.
Si pas, si on peut augmenter le prix et que ça ne change rien, on se dira que les deux biens ne sont pas
substituables.
Dans le fond, c’est la même logique que pour le qualitatif, c’est toujours la question de savoir si l’un
146
vaut l’autre, mais le raisonnement est différent.
Le problème, c’est que si on applique seulement cette approche par la demande, on risque de morceler
très vite le marché. Donc on va le coupler avec une autre interrogation sur la substituabilité du côté de
l’offre.
‣ Du côté de l’offre: on ne se met plus du côté de l’acheteur, mais du côté du vendeur. On se demande si
l’offreur pourrait réorienter sa production, son service d’un produit vers un autre (ex: de téléphonie fixe
à mobile) en cas de variation de prix, sans impliquer pour lui une augmentation de coûts et de risques
trop importants qui l’empêcheraient de le faire.
Ça permet de mieux équilibrer l’étendue du marché.
C’est l’ensemble de ces deux approches qui font la définition du marché matériel. C’est un enjeu
extrêmement important en pratique, avant même de se poser la question de l’entente ou de l’abus de
position dominante. Il y a un vrai débat sur l’étendue du marché.
Ça se comprend bien en matière d’abus de position dominante: plus le prestataire va convaincre le tribunal
que le marché est grand et qu’il y a plein de produits substituables, plus sa part de marché va être
identifiée comme petite ou amoindrie. L’enjeu est donc terriblement important.
Idem si on fait une fusion, les prestataires auront sans doute aussi intérêt à convaincre le juge d’un
élargissement de concurrence et d’un marché extrêmement large, parce que les conséquences de la fusion
seront moindres. Plus on étend le marché, plus les conséquences de la fusion sont diminuées.
C’est l’inverse pour un policier par exemple, il va plaider la position dominante et essayer de démontrer
que le marché est petit.
Comme il n’y a pas de méthode magique, en pratique, on arrive à des situations très étranges où à Liège et
à Bruxelles, les marchés ne sont pas les mêmes.
Ça pose question en termes de sécurité juridique. Et la commission ou l’autorité nationale de concurrence
vont peut-être encore dire autre chose.
Ça donne au marché une importance pratique terrible en cas de contentieux parce que l’identification du
marché est la première ligne de défense, et on va essayer qu’on le construise à notre avantage.

Outre le critère matériel, il y a aussi le critère géographique. Le marché au sens géographique du terme est la
zone qui présente des conditions de concurrence homogènes et analogues pour toutes les entreprises
présentes. Une zone où les conditions de concurrence sont homogènes, analogues où que l’on se situe.
Le territoire va devoir être identifié, et il peut y avoir, ne fut-ce que par les autorités nationales, des
différences dans les conditions de concurrence sur un territoire par rapport à un autre. Donc là, on va devoir
avoir égard à toute une série de critères qui permettent de déterminer cette zone homogène (la structure de la
demande, les différences de prix ou de coûts entre les territoires sur lesquels sont établies les différentes
entreprises, la distance entre l’offre et la demande…).
Il faudra tenir compte de plein de particularités territoriales, culturelles, qui vont faire que ça pourra avoir
une influence dans la détermination géographique.

147
Il y a aussi des barrières légales et des contraintes. À l’entrée d’un marché national, par exemple, il fait
parfois des licences pour entrer. Ça veut dire que n’entre pas qui veut sur les marchés, donc il peut y avoir
des restrictions territoriales sur les marchés même si, a priori, les entreprises offrent les mêmes biens et
services.

Chapitre 2. Les ententes (article 101 TFUE)


Section 1. Généralités
L’art 101 dit qu’on interdit certains accords entre entreprises, des décisions d’association et des pratiques
concertées. Quels sont ces accords, ces décisions et ces pratiques?
On remarque que quand on dit « à l’intérieur du marché intérieur », c’est encore différent de ce qu'on vient
de voir, on ne parle pas du marché en cause dans les art 101 et 102.
Ce qu’on veut dire, c’est que les ententes qui auront des effets anti-concurrentiels dans le grand marché sont
interdites, mais on va aussi devoir déterminer quels sont les marchés en cause touchés par l’entente.

On a 3 parties dans l’article: l’interdiction, la sanction et des exceptions à des ententes qui pourraient être
interdites en vertu du paragraphe 1.
Bien entendu, on n’a que ça dans l’art 101, il ne dit rien d’autre. Il a fallu imaginer des modalités
d’application de ces dispositions. Comment va-t-on faire pour déterminer les accords interdits et comment
va-t-on faire pour les contrôler?
Au départ, il y avait un règlement européen édicté en 1962 (le règlement 17). Il imposait aux entreprises qui
concluaient une entente de notifier cet accord auprès de la commission et d’attendre une autorisation de la
commission avant de pouvoir la mettre en œuvre, le cas échéant.
Il y a des ententes qui sont bonnes, in fine, pour le consommateur, pour l’intérêt général. Toutes les ententes
ne sont pas à jeter! La distribution sélective des automobiles est licite, pourtant il s’agit d’un accord entre
entreprise et un accord qui a des effets importants sur la concurrence, puisqu’on cadenasse l’entrée des
distributeurs sur le marché de la conclusion.
C’est pour ça qu’il faut comprendre la logique de la notification: dans tous ces cas susceptibles de tomber
sous l’exception, il fallait demander l’autorisation préalable à la commission, qui acceptait ou refusait la mise
en œuvre de l’accord. En attendant, il fallait suspendre l’exécution.
C’était donc un système de notification individuelle, et chaque entreprise devait obtenir une autorisation
individuelle.

On se rend compte de la lourdeur de l’approche, et donc un nouveau système est vite arrivé: un système
d’exemption par catégories d’accords. La commission prend des règlements et dit quelles clauses sont
acceptées, quelles clauses ne le sont pas, et quelles clauses on peut encore discuter. Quand on respectait ces
règlements, on pouvait se lancer sans avoir besoin d’une notification individuelle. C’était un flop total, parce
que directement, la commission a été débordée par le flux de demandes. Sachant la sévérité de la commission

148
à l’égard des ententes et des accords restrictifs de concurrence, sachant le montant des amendes qu’on
risquait, sachant l’insécurité juridique qu’impliquait l’exécution d’un accord qui n’avait pas été notifié
préalablement à la commission, dès que les entreprises avaient un doute, elles notifiaient.

Il y a eu tout le développement de l’activité économique dans l’UE et l’extension des membres. À 20, ça
devient vite très compliqué. N’oublions pas en plus qu’à l’époque, seule la commission pouvait autoriser ou
pas, c’est-à-dire que les autorités nationales, le cas échéant, n’avaient rien à dire dans cette procédure, ce qui
rendait encore le système plus lourd. On n’avait pas d’aide localement, il fallait nécessairement aller auprès
de la commission.
C’est ce qui a amené la commission à prendre ce fameux règlement 1/2003 donc on a déjà parlé et grâce
auquel les autorités nationales peuvent intervenir.
Le système qu’on connaît est né de la réforme du système des ententes.
Le règlement 1/2003 a 3 idées maîtresses qui naissent de la réforme des ententes:
- Plus question de devoir notifier quoi que ce soit préalablement à la commission. On substitue un régime
d’exceptions légales à un régime d’autorisations individuelles. Ça veut dire que chaque entreprise doit
prendre son code, lire l’article et se demander si elle est dans l’exception ou pas. Si elle y est, elle prend
ses responsabilités et met en œuvre ses accords de distribution par exemple. Et on verra s'il y a un contrôle
a posteriori d’une autorité de concurrence. On est passés d’un contrôle a priori à un contrôle a posteriori.
C’est une des raisons pour lesquelles les avocats en droit de la concurrence sont si fructueux, parce qu’on
prend une grosse responsabilité donc on préfère vérifier qu’on est bien dans les conditions.
La sécurité juridique diminue, on comprend tout de suite l'idée de risque. L’entreprise prend un risque,
elle n’est pas sûre, et on verra bien (étant entendu que les amendes qu’on peut payer pour ce type
d’infraction sont très élevées).
- On reconnaît la compétence des autorités nationales d’appliquer les art 101 et 102. Quand on a vu qu’on
ne s’en sortait pas en centralisant le contrôle, on a étendu le nombre de policiers et on a créé ces autorités
nationales de contrôle dans chaque Etat membre. Elles peuvent sanctionner les entreprises qui ne
respectent pas les conditions du §3, étant entendu que la compétence première reste celle de la
commission, donc la commission reprendra la maîtrise du dossier.
Conséquence: du fait de cette multiplication d’autorités, se pose un problème d’harmonisation de
l’interprétation. On va donc prendre des mesures dans la matière pour harmoniser les interprétations du
droit communautaire. Il y a le système classique des recours et des questions préjudicielles, mais pas que.
Dans cette matière, on a vu depuis la commission se lancer dans un travail extrêmement important
d’édiction de normes d’interprétation, qui ne sont pas obligatoires mais ce sont des textes qui expliquent
comment elle interprète les notions de base des art 101 et 102. Et elle le fait dans des textes qu’on appelle
lignes directrices ou communications, qui sont très importants dans cette matière parce qu'ils éclairent la
manière dont il faut appliquer les textes, mais qui ne sont pas obligatoires en tant que tels. On va souvent
en rencontrer dans cette matière.

149
Section 2. Accords, décisions d’associations d’entreprises, pratiques
concertées: la conception large de l’entente

Section 3. Le « marché en cause »


On l’a remonté au chapitre 1.

Section 4. Une entente qui a pour objet ou pour effet de restreindre la


concurrence

Section 5. Les ententes prohibées par l’article 101, §1er TFUE et les
ententes légitimes au sens de l’article 101, §3 TFUE
§1. Les ententes prohibées

§2. Les ententes admises dans le cadre de l’application de l’article 101

§3 TFUE - principes généraux

Chapitre 3. L’abus de position dominante (article 102 TFUE)


Introduction
Section 1. La position dominante: notion et critères
§1. La notion de position dominante
§2. Les critères de la position dominante
Section 2. L’abus
§1. Généralités
§2. Les cas d’abus de position dominante définis par l’article 102 TFUE

150
Chapitre 4. Les concentrations
Section 1. Le champ d’application du règlement n°139/2004
Section 2. La procédure et l’examen d’admissibilité par la Commission
§1. La procédure
§2. L'examen d’admissibilité

151
Livre VI. Les pratiques du marché et la protection du consommateur
Titre I. Les pratiques du marché et la protection du consommateur
dans le livre VI du Code de droit économique
Chapitre 1. Définitions et champ d'application du livre VI du Code de
droit économique
Chapitre 2. Les pratiques déloyales
Chapitre 3. Le régime de la publicité
Chapitre 4. De quelques pratiques réglementées
Titre II. L'encadrement des contrats conclus à distance et par voie
électronique dans les livres VI et XII du Code de droit
économique
Chapitre 1. Articulation des textes applicables
Chapitre 2. Les obligations d'information préalables à la commande
Chapitre 3. Règles spécifiques à la conclusion du contrat
Chapitre 4. Le régime de la preuve et l'accomplissement des formes
dans l'environnement numérique

152
Droit de l’entreprise 1
Livre 1. Théorie générale du droit de l’entreprise 1
Titre 1. Généralités 1
Introduction 1
L’agent économique 2

Le marché 2

Le contrat 2

Le risque 3

Nuancement et définition 4

Chapitre 1. Bref historique du droit de l'entreprise 5


Section 1. Du Moyen-Âge au Code de commerce de 1807 5

Section 2. Du code de commerce à nos jours 6

Chapitre 2. Conceptions et principes du droit de l’entreprise 9


Section 1. Du droit commercial au droit de l’entreprise 9

Section 2. Les principes du droit de l’entreprise 12


§1. Les principes du droit commercial issus du Code de commerce de 1807 12

§2. Les principes actuels du droit de l’entreprise 12

Chapitre 3. Les sources du droit de l’entreprise 23


Section 1. Le Code de droit économique 23

Section 2. Les sources internationales 30

Section 3. La coutume, les usages et l’autorégulation 31


§1. La coutume et les usages 31

§2. L’autorégulation 31

Titre II. L’entreprise comme destinataire du droit 34


Chapitre 1. L'entreprise: une notion large et polysémique 34
Chapitre 2. Règles encadrant l’accès au marché des entreprises 44
Section 1. Liberté d’établissement et prestation de services 44
§1. Champ d’application défini négativement 45

§2. La liberté d’établissement des prestataires 45

§3. Le régime de la libre prestation de services 46

Section 2. Banque-carrefour des entreprises (BCE) 50


153
Section 3. Autres exigences générales applicables aux entreprises 52

Livre II. Introduction au droit des sociétés 55


Titre I. Les principes et les concepts 55
Chapitre 1. Les fondements et les sources du droit des sociétés 55
Section 1. Les fondements du droit des sociétés 55

Section 2. Les sources du droit des sociétés 61

Chapitre 2. La définition de la société et la taxinomie 65


Section 1. La définition 65

Section 2. Les sociétés et les associations 65

Section 3. Les sociétés avec personnalité juridique et les sociétés sans personnalité juridique 67

Section 4. Les sociétés de personnes avec personnalité juridique et les sociétés de capitaux 68

Section 5. Les grandes, petites ou moyennes sociétés 70

Section 6. Les groupes de sociétés 70

Chapitre 3. L’acte de société 70


Section 1. La forme 70

Section 2. Les conditions générales de validité 71

Section 3. Les éléments caractéristiques ou conditions spécifiques 71


§1. Le nombre d’associés 71

§2. La participation aux bénéfices 71

§3. Les apports 72

§4. L’affectio societatis 74

§5. Une organisation économique ayant un intérêt propre 75

Section 4. La nullité 77

Chapitre 4. La personnalité morale 78


Section 1. L’acquisition de la personnalité morale 78

Section 2. Les attributs de la personnalité morale 80


§1. La spécialité légale et la spécialité statutaire 80

§2. Le patrimoine social 82

§3. La représentation par des organes 83

§4. La dénomination sociale 86

§5. Le siège social et la loi applicable 86

Chapitre 5. La dissolution de la société 87

154
Section 1. Les causes de dissolution communes à toutes les sociétés dotées de la personnalité juridique 87

Section 2. Les causes de dissolution propres à certaines sociétés de personnes 87

Section 3. Une cause de dissolution propre aux sociétés anonymes. 87

Livre V. Le droit européen de la concurrence 89


Introduction 89
Chapitre 1. Les ententes et l’abus de position dominante (articles 101 et 102 TFUE): les règles
communes 95
Section 1. Le domaine d’application du droit européen et la répartition des compétences de contrôle 95

Section 2. Le champ d’application personnel des articles 101 et 102 TFUE 99

Section 3. Le « marché en cause » 102

Chapitre 2. Les ententes (article 101 TFUE) 105


Section 1. Généralités 105

Section 2. Accords, décisions d’associations d’entreprises, pratiques concertées: la conception large de


l’entente 106

Section 3. Le « marché en cause » 106

Section 4. Une entente qui a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence 106

Section 5. Les ententes prohibées par l’article 101, §1er TFUE et les ententes légitimes au sens de l’article
101, §3 TFUE 106
§1. Les ententes prohibées 106

§2. Les ententes admises dans le cadre de l’application de l’article 101 106

§3 TFUE - principes généraux 106

Chapitre 3. L’abus de position dominante (article 102 TFUE) 106


Introduction 106

Section 1. La position dominante: notion et critères 106


§1. La notion de position dominante 106

§2. Les critères de la position dominante 106

Section 2. L’abus 107


§1. Généralités 107

§2. Les cas d’abus de position dominante définis par l’article 102 TFUE 107

Chapitre 4. Les concentrations 107


Section 1. Le champ d’application du règlement n°139/2004 107

Section 2. La procédure et l’examen d’admissibilité par la Commission 107


§1. La procédure 107

155
§2. L'examen d’admissibilité 107

Livre VI. Les pratiques du marché et la protection du consommateur 108


Titre I. Les pratiques du marché et la protection du consommateur dans le livre VI du
Code de droit économique 108
Chapitre 1. Définitions et champ d'application du livre VI du Code de droit économique 108
Chapitre 2. Les pratiques déloyales 108
Chapitre 3. Le régime de la publicité 108
Chapitre 4. De quelques pratiques réglementées 108

Titre II. L'encadrement des contrats conclus à distance et par voie électronique dans
les livres VI et XII du Code de droit économique 108
Chapitre 1. Articulation des textes applicables 108
Chapitre 2. Les obligations d'information préalables à la commande 108
Chapitre 3. Règles spécifiques à la conclusion du contrat 108
Chapitre 4. Le régime de la preuve et l'accomplissement des formes dans l'environnement
numérique 108

156

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