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Le leadership
quelques années, émergent des
recherches scientifiques et des témoi-
gnages d’entreprises qui mettent en
efficace :
avant de nouvelles façons de gérer les
organisations centrées sur l’autono-
mie, la confiance et le collectif. Isaac
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> Le leadership efficace : partage, émotion et spiritualité
approches complémentaires : celle des > placez la barre très haut et res- meilleur » plutôt que sur le « être
psychologues qui décrivent un leader ponsabilisez chacun pour atteindre bon ». Le potentiel n’est pas figé. Le
émergent (une personne qui focalise l’objectif ; voyage est aussi important que la
l’attention) et celle des gestionnaires > ne cédez jamais, au grand jamais, destination finale ;
qui valorisent le leader formel (celui le contrôle ; > ayez du cran, c’est-à-dire sachez
qui symbolise l’autorité grâce à son > faites passer le bon message au bon affronter les difficultés ;
pouvoir). Un point commun rassemble moment ; > musclez votre volonté en vous met-
ces deux points de vue : le leader > préparez vous à vaincre ; tant des défis accessibles ;
est reconnu pour ce qu’il fait (voir > misez sur le pouvoir de l’observation ; > ne tentez pas le sort, ne relevez pas
l’exemple de Ferguson ci-après). > ne cessez jamais de vous adapter. deux défis à la fois ;
Selon H. Grant Halvorson (2010), > focalisez-vous sur ce que vous ferez
Les secrets de Ferguson les recherches scientifiques ont mon- et non ce que vous ne ferez pas. Pour
tré que les personnes qui réussissent changer un comportement, demandez-
Sir Alex Fergusson a été pendant mieux que les autres atteignent leurs vous ce que vous devez faire à la place.
vingt-six ans le manager du club de buts non pas uniquement à cause de L’auteur conclut en une phrase à
football Manchester United, une des ce qu’ils sont, mais le plus souvent en méditer : « Vous n’avez pas besoin de
meilleures équipes au monde. Son raison de ce qu’ils font. Elle résume devenir une personne différente pour
rôle de leader a été l’un des facteurs ces recherches autour de neuf axes : devenir une personne qui réussit. »
décisifs des multiples succès rempor- > soyez précis dans l’énoncé de votre Le champ des recherches en leader-
tés par l’équipe. Anita Elberse (2013, objectif ; ship est très large (Plane, 2012) et il est
p. 88-89) a analysé les facteurs clés > trouvez le moment de vous consacrer intéressant d’en synthétiser les prin-
du succès de son management unique à l’accomplissement de vos objectifs ; cipaux courants (tableau ci-dessous).
et en a tiré huit leçons de leader- > sachez exactement quel chemin Trois approches émergentes
ship. Elles peuvent être appliquées il vous reste à parcourir en vérifiant méritent d’être développées car elles
au monde de l’entreprise et servir de régulièrement (chaque jour, chaque semblent correspondre aux évolutions
base de réflexion à ceux qui veulent semaine) l’état d’avancement ; des organisations et de leurs styles
devenir leader : > soyez un optimiste réaliste et ayez de management. Il s’agit des théories
> commencez par les fondations ; confiance en vous ; transformationnelles, émotionnelles
> osez rebâtir votre équipe ; > concentrez-vous sur le « devenir et spirituelles.
Les styles de qui atteignent voire dépassent leurs leadership du tout. » Il pense que
leadership aujourd’hui résultats, mais ceux qui ont une l’évolution des organisations ne peut
recherchés capacité d’influence sur les autres, plus se faire sous la houlette d’un seul
ceux avec qui on souhaite travailler. individu, elle nécessite un change-
Le contexte des organisations évo- Cette évolution remet en question le ment radical de culture dont l’essence
lue et transforme à la fois le métier de leadership en tant qu’attribut d’une repose sur le projet et le dévelop-
manager et le rôle personne, elle valorise un leadership pement d’individus responsables et
des leaders. Ainsi, collaboratif ou partagé. engagés. Dans ce contexte, le leader
Les le numérique joue ne peut être que collaboratif.
directement sur Le leadership partagé Cette prise de position est confir-
dysfonctionnements les relations hié- mée par d’autres auteurs qui mettent
émotionnels rarchiques, ce n’est Dans les organisations matri- en avant la même idée nommée « le
plus celui qui pos- cielles ou les coopératives, le leader- leadership partagé ». Dans La Pratique
peuvent altérer
sède l’information ship partagé s’est progressivement du leadership partagé : une straté-
les décisions qui a le pouvoir imposé. Symbole des organisations gie gagnante (2013), Edith Luc nous
mais celui qui la matricielles ou en projet (méthode explique que l’époque où le patron
fait circuler et sait Scrum, par exemple), il valorise le décidait seul est bel et bien révolue.
la trouver rapidement. Alors qu’hier travail d’équipe et la performance Les modèles traditionnels de mana-
de nombreuses entreprises évaluaient collective1. Son influence irrigue, à gement et de gouvernance sont de
les personnes par rapport à des résul- présent, de plus en plus d’organisa- moins en moins acceptés et le lea-
tats, des standards de performance, tions, mais il reste prédominant dans dership doit être envisagé comme un
aujourd’hui elles s’aperçoivent que l’économie collaborative 2 centrée processus d’influence réciproque entre
cela ne suffit pas à reconnaître les sur « le pouvoir par l’action », par- des personnes mobilisées pour une
talents. Ceux qui doivent être valo- fois appelé « do-ocracy » et où les cause commune. Elle affirme qu’en
risés ne sont plus seulement ceux décisions majeures se prennent par devenant un acteur influent et non
consensus ou consentement, comme plus un observateur dirigé, chaque
en sociocratie (A. Comte). individu doit prendre conscience que
L’exemple de l’association OuiShare Le leadership partagé ou colla- développer une compétence en lea-
OuiShare est une association qui met boratif se caractérise par un style de dership partagé n’est plus une option
en avant toute sorte de projets issus de leader qui ne va pas se mettre spé- mais une nécessité. L’auteur préco-
l’économie collaborative. Les membres
adhèrent à une conviction commune cialement en avant mais va valoriser nise sept stratégies pour que chacun
– « il faut passer à des relations pairs à les individus de son équipe. Le projet devienne un acteur du leadership
pairs1* » – et le numérique facilite cette passera avant le leader. Ce mode de partagé :
démarche. Créée en 2012, cette nou- fonctionnement est particulièrement > se libérer des divers conformismes ;
velle forme d’entreprise s’est construite présent dans les entreprises qui ont > appliquer l’apprentissage en T ;
autour de l’émergence d’une quarantaine
réalisé leur mue digitale, ont aplati > construire un sentiment d’efficacité ;
de leaders, appelés « connectors », qui
sont davantage reconnus pour leur réa- les lignes hiérarchiques et valorisent > renforcer sa résilience ;
lisation que pour leur charisme. L’objectif autonomie et collaboration. Dans son > apprendre des autres ;
est de donner à chacun de la visibilité et ouvrage Presence: Human Purpose > définir une vision ;
de la reconnaissance en s’appuyant sur and the Field of the Future (2004), > et, surtout, agir.
la réussite des projets. « La légitimité ne Senge soutient cette thèse : « Une Ces stratégies deviennent de
vient pas de l’élection mais de l’action. »
Ce mode d’organisation n’est pas fondé communauté de leaders ou pas de puissants catalyseurs lorsqu’elles
sur un leader fondateur, comme de nom- s’articulent autour d’aspirations per-
breuses start-up, mais sur l’émergence 1 > Le numéro spécial de la revue Personnel sonnelles ou collectives.
simultanée de leaders différents dans de février 2014 lui est consacré. Ce que change ce courant, ce
> économie & management
leurs projets et leurs personnalités mais 2 > L’économie collaborative désigne l’en-
semble des pratiques et modèles écono- n’est pas tant de dire qu’il n’y a plus
identiques quant à leur objectif : valoriser miques reposant sur une communauté, qui de leader, car il y aura toujours des
une économie collaborative. s’organise généralement autour de projets
et d’un lean management (c’est-à-dire plu- individus charismatiques qui influen-
* > Flore Berlingen, cofondatrice et connector tôt horizontal). Les trois grands axes sont la ceront les autres, c’est de dire que les
de OuiShare, « OuiShare, vers une gouvernance consommation collaborative (faire circuler
organique » in C. Dartiguepeyrou (dir.), Cahier de des biens et services), produire en commun
organisations attendent que chacun
la prospective : leadership et nouvelles expres- par le partage de ressources et de savoirs des individus développe un sens du
sions de pouvoir dans le numérique, Paris, Fon- (fab labs, makers, logiciels libres, coworking),
dation Telecom, 2014, p. 61-63.
collectif, de l’influence et de l’impact.
financer un projet (crowdfunding, prêts entre
particuliers, etc.). On ne peut plus travailler caché.
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> Le leadership efficace : partage, émotion et spiritualité
HOPE/ + +
VISION CALLING
FAITH Make a difference +
+ Life has meaning/Purpose
+
Organizational commitment & Productivity
INNER LIFE
+ Financial performance
Spiritual practice
Employee life satisfaction
Corporate social responsability
+
+
MEMBERSHIP +
ALTRUISTIC LOVE Be understood/Be appreciated
+
Le leadership émotionnel C’est avec son ouvrage L’Erreur ainsi à faire face à des situations dif-
de Descartes (1994) que Damasio ficiles… mais les émotions ne jouent
En complément du courant pré- met en lumière les ressorts de la pas nécessairement contre la rationa-
cédent, dans lequel les organisations prise de décision dans l’activité du lité, et la rationalité n’exclut pas les
créent les conditions pour que chacun dirigeant. Il montre que les dysfonc- émotions ». Les auteurs montrent que
développe des capacités de leader- tionnements émotionnels peuvent l’état émotionnel des dirigeants influe
ship dans une logique de valorisation altérer les décisions et qu’à l’inverse, sur la qualité des décisions. Selon Isen
du collectif, celui du leadership émo- les émotions peuvent accélérer la (2004), celles-ci sont en général meil-
tionnel se centre sur l’individu et prise de décision car l’organisme peut leures lorsqu’elles sont prises dans un
sa capacité introspective. Il renvoie réagir inconsciemment. Romelaer état émotionnel modéré.
à la capacité du leader à gérer ses et Lambert (2001) démontrent que les
propres émotions et celles des autres. émotions sont une aide à la rationa- Le leadership spirituel
En d’autres termes, il place le concept lité ; Haag et Laroche (2009) exposent
de « compétences émotionnelles » au une étude qui prouve l’influence du Il revient à Fry de poser les pre-
cœur de la définition du leadership. leader sur les émotions de ses col- mières bases du courant du leadership
Bien qu’il soit toujours controversé, laborateurs ; Sanchez et Huy (2009) spirituel. En France, c’est Catherine
le courant des compétences émotion- montrent que c’est en fonction de Voynnet-Fourboul qui réalise les
nelles continue de susciter de nom- leur propre capacité émotionnelle que premières recherches sur ce thème
breux travaux. les leaders sont plus ou moins atten- en 2009 et les présente en 2010 à
Le concept d’intelligence émo- tifs aux émotions d’un groupe dans l’Academy of Management. Depuis,
tionnelle permet de mesurer l’ap- le cas d’un changement stratégique. de nombreuses recherches ont été
titude d’une personne à gérer ses Dejoux et al. (2006) exposent que menées3.
émotions et celles des autres. Deux les compétences émotionnelles des Fry (2003, 2005) a conduit plus
courants existent pour la repré- dirigeants et des managers sont dif- d’une centaine de recherches dans
senter et la mesurer : les modèles férentes. Haag et Laroche (2009) ont différentes organisations (écoles,
« mixtes » (Bar-On, 1997 ; Gole- étudié les compétences émotionnelles unités militaires, petites et grandes
man, 1995) et le modèle de Mayer des dirigeants à partir de leurs dis- organisations publiques, privées et
et Salovey (1997) qui repose sur des cours au sein de comité de direction, sociales) et ses résultats montrent
habiletés ou capacités cognitives. Il lorsqu’ils sont face à des situations qu’il existe une influence très posi-
comporte quatre branches corrélées de crise. Il en ressort que les leaders, tive du leadership spirituel sur la
entre elles : la capacité de perce- conscients de leurs compétences qualité de vie au travail, l’engage-
voir et d’exprimer des émotions, la émotionnelles, arrivent, à travers leur ment, la productivité et la croissance
capacité d’accéder à ses émotions, communication verbale, à réaliser une
la capacité de comprendre et de rai- contagion émotionnelle vers les sui- 3 > Fry 2003, 2005, 2009; Malone et Fry,
sonner avec ses émotions, la capa- veurs. À l’inverse, les leaders insen- 2003 ; Fry et Matherly, 2006 ; Fry et Slocum,
cité à réguler ses émotions et celles sibles aux émotions « préserveraient 2008 ; Fry et Cohen, 2009 ; Korac-Kakabadse,
Kouzmin et Kakabadse, 2002 ; Giacalone et
des autres. leur capacité à être rationnels et Jurkiewicz, 2003.
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