Le droit, Philippe JESTAZ, 2021,

DALLOZ

CHAPITRE I - Éléments d’une définition

Ubi societas, ibi jus (là où il y a société, il y a droit)→ la notion de droit n’a aucun sens pour
⇒
un homme seul mais les sociétés animales connaissent des phénomènes de pouvoir, sans
vraiment parler de droit (faute de langage).

“Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : ceci est à moi, et
trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la
société civile. “ Rousseau

Suum cuique tribuere (rendre à chacun le sien)→ le droit procède par répartition des
richesses (pour les Romains) ⇒ le droit fixe la part de chacun
Le droit vise à influer sur les comportements, mais pas forcément de façon directe. Les
justiciables, eux, modèlent leur comportement en fonction du droit, mais parfois pour le
contourner.

Le droit vise à s’exprimer sous formes de règles qui ont vocation à s’appliquer un nombre
de fois indéfini→“Toute personne qui occupe indûment le local d’autrui en sera expulsée” ⇒
chaque mot pèse son poids d’abstractions (qu’est-ce qu’une personne? un local?).

Ce qui est différent des commandements individuels discontinus qui épuisent leurs
effets dans l’instant→ “Sortez du local!” ⇒
on exécute ou pas et il faudra redonner
l’ordre à la prochaine occasion.

Le droit possède un caractère normatif→ le droit dit ce qui doit être (en principe) mais ce
⇒
qui doit être ne sera pas toujours la règle juridique n’indique pas de conséquences
nécessaires (la loi de Newton dit qu’un corps livré à lui-même tombe nécessairement, mais
rien ne garantit que la voiture s’arrêtera au feux rouge).

CHAPITRE II - Droit et autres systèmes sociaux

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 “Je préfère l’injustice au désordre.” Goethe (romancier allemand XVIIIe)

→ C’est ce qu’il proclama à propos d’un suspect accusé sans preuve, pour dire qu’il
préfèrerait l’injustice d’un crime impuni au désordre d’un innocent condamné.
Le législateur rappelle que sa mission n’est pas de se substituer aux élus du peuple en
réécrivant la loi.

“Le Conseil constitutionnel travaille avec une gomme et non avec un

crayon.” Georges Vedel (ancien membre du Conseil constitutionnel de
France)

Les moeurs sont un réseau de règles sociales disparates qui ont en commun trois choses :

Une origine anonyme

Absence de contrainte sociale → la contrainte résulte de la pression sociale

indifférenciée, mais il n’y a pas de sanctions à proprement parler (c’est la différence entre
les moeurs et le droit)

Une grande efficacité→ se rendre à un dîner avec un cadeau ou faire une lettre de
condoléance est très respecté

Moeurs extra-juridiques → le droit n’intervient pas ⇒règles de politesse, de bienséance,

usages vestimentaires ou alimentaires ⇒ces règles n’ont souvent aucune résonance morale
(les Français mangent le fromage avant le dessert alors que les Britanniques font l’inverse →
cela relève de l’habitude)

⇒
Moeurs para-juridiques→ ont des implications morales dans l’échange économique
(honorer les contrats même en l’absence de preuve écrite), règles de moralité professionnelle
(reconnaître son enfant naturel), codes des moeurs civiques ou politiques (devoir et pas
seulement droit de vote)
La morale se propose de diriger les conduites humaines selon un système de valeurs→
elle est la partie des moeurs qui se fondent sur des valeurs nobles, par opposition à l’autre
partie (codes vestimentaires ou alimentaires) qui se fondent sur l’habitude.
Individualisation→ la morale tend à se détacher des moeurs pour ne relever que du
⇒
choix personnel même si elle reste sociale par sa source, la morale est individuelle dans
son application ⇒chacun adapte la morale aux situations qui se présentent à lui et
l’applique ou non sou le contrôle de sa seule conscience, ou presque.
Cette quasi-absence de sanction sociale fait dire à Kant que la morale est autonome (elle
s’impose à elle-même sa propre loi), alors que le droit est hétéronome (il est imposé par
autrui).

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 CHAPITRE III - De l’ordre juridique

Le droit renvoie aux règles applicables, mais aussi aux institutions (les rouages de la machine
juridique). Parler d’ordre juridique revient à dire que le droit structure la société à l’aide
d’un corpus.
⇒ ⇒
Le droit légiféré = le droit positif le droit imposé par l’autorité publique il se compose
de textes (lois, décrets,…) qui portent une ou plusieurs signatures et qui n’ont donc rien
d’anonyme comme le droit coutumier, c’est du droit voulu.
La loi de Hume→ aucune norme ne découle jamais d’une simple constatation de fait

🔴 La coutume est une source qui coule en abondance dans les anciennes sociétés,
mais dont le débit est devenu pour le moins intermittent.

Les coutumes se transforment en quasi-législation au 15e et 16e siècle lorsque le

pouvoir royal, pour leur donner davantage de certitude, en prescrit la rédaction officielle par
des juristes de métier.
La force de la coutume est celle de l'habitude non contrariée. Informulée par définition et
informulable parce que gestuelle, la coutume s'évanouit dès qu'on la formule ou plutôt se
transforme en une autre source.
La règle jurisprudentielle est générale par extrapolation au lieu de l’être par définition.

Dans les pays de common law en général, la jurisprudence a longtemps été la source
principale du droit avant que naisse le droit positif.
La Cour de cassation ne rejuge pas l’affaire dans son ensemble, mais évalue la décision
rendue par les cours d’appel au regard de la loi applicable; elle ne statue pas en fait mais en
droit.

🔴 La doctrine désigne l'ensemble des publications (traités, manuels, articles, thèses,

commentaires de jurisprudence) consacré à la science juridique et à l'ensemble de
ses auteurs.

CHAPITRE IV - Variables et invariance

Le droit naturel (18e) est fondé sur la raison→ l’objet était de combattre l’absolutisme,
fondé sur une certaine tradition.

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 🔴 L’acculturation est l’importation par un groupe social d’une culture étrangère.

Une légère divergence dans l’interprétation du même texte aura d’un pays à un autre, un
impact social très différent, bientôt suivi de modifications en chaîne.

Les limites du droit :

⇒
La difficulté de preuve l’injustice consisterait à condamner un plaideur sur la seule
affirmation de son adversaire

⇒
Les phénomènes d’ineffectivité le droit ne vaut que par son application pratique ⇒
l’existence d’une loi sur le divorce habitue les esprits à la possibilité du divorce. Le
divorce a été autorisé par la loi de 1884 mais c’est dans les années 60 que les
⇒
divorces se sont multipliés, avec l’avènement d’une société permissive ce n’est
pas l’institution du divorce qui a libéralisé les moeurs, mais la libéralisation des
moeurs qui a banalisé le divorce.

Le non-droit

🔴 Le non-droit est un secteur de la vie sociale où, pour des raisons diverses; le droit
ne pénètre pas ou par intermittence seulement. Il caractérise des activités qui ne
sont ni conformes à la loi, ni contraires à elle, mais extérieures. Ces activités ne
présentent en général aucun danger social.

Si en tant que professeur je note les élèves selon leur religion ou leur couleur de peau,
j’attente à des principes de droit fondamentaux, mais s’il me plaît de recevoir à dîner que des
⇒
Afro-américains féministes d’extrême gauche, cela fait partie de ma liberté le droit ne peut
pas pénétrer partout, sous peine de tomber dans le totalitarisme→ la santé d’une société
postule une dose judicieuse de non-droit.

CHAPITRE V - Technicité du droit

🔴 Les biens meubles sont ainsi généralement considérés comme pouvant être
déplacés ou se déplacer par eux-mêmes. Par opposition, les biens immeubles
sont statiques et ne peuvent pas être mus de manière pratique ou raisonnable.

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 Le raisonnement juridique repose sur une logique fonctionnelle→ pas que sur une
logique formelle car le droit n’a pas pour finalité d’établir la validité d’une proposition, mais
d’aboutir à un résultat pour la recherche duquel entrent en jeu des arguments de justice et
d’opportunité, l’intention du législateur, la cohérence avec d’autres solutions,…

Au triptyque des effets souhaitables (structuration, rationalisation, adaptation)

correspond trait pour trait celui des effets pervers : déformation, occultation, rigidité.

Déformation→ si je vole une voiture et que l’abandonne, étant donné que quand je l’ai
volé je voulait en être le propriétaire, je l’abandonne par la suite en tant que “propriétaire”
parce que tout propriétaire peut renoncer à sa propriété, donc il l’avait soustraite pour me
l’approprier→ le juge déforme la réalité en qualifiant l’utilisateur de voleur.

“Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète
n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.”
Giraudoux

Occultation→ la technique du droit occulte la réalité du pouvoir, le droit apparaît comme

⇒
un euphémisme→ le langage du droit masque les enjeux réels qu’est-ce qui se cache
derrière le mot de débiteur? de créancier?

CHAPITRE VI - La quête d’une science du droit

Les sciences visent à établir des liens de causalité, le droit quant à lui, cherche ce qu’il
paraît souhaitable de prescrire dans une situation donnée, par conséquent, ce serait
plutôt un art, celui de régler le mieux possible les conflits sociaux.

Le juriste qui se veut scientifique utilise une méthode critique fondée sur l’observation.

Refus de l’idéalisme

🔴 L’idéalisme consiste à expliquer le monde par les idées et à prendre celles-ci pour
l’expression de la réalité. En droit, cette démarche laisse croire à la réalité des
théories, voire des fictions.

Refus de l’illogisme

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 🔴 L’illogisme va jusqu’à se tromper sur le contenu de la loi même ou sur sa
signification.

La loi qui autorise ou interdit le divorce n’est ni vraie, ni fausse : elle ne se mesure pas à
cette aune→ mais il est faux de dire que l’incapacité de la femme mariée tient à la
faiblesse, réelle ou supposée, de son sexe alors que la femme célibataire à sa pleine
capacité !

L’impératif juridique traduit d’abord un impératif social → le salarié exécute les ordres de
son employeur, cela tient-il à ce que la loi reconnaît la subordination comme un élément
essentiel du contrat de travail ou n’est-ce pas plutôt parce que cette subordination
découle du rapport économique? ⇒ mais ce déterminisme ne permet de dégager aucune
loi au sens scientifique du terme.

CHAPITRE VII - Jugements sur le droit

🔴 Le jugement de fait dit ce qu’est l’objet observé (un mouvement de foule est une
manifestation, voire une révolte), alors qu’un jugement de valeur tend à porter une
appréciation (la foule avait raison de manifester ou de se rebeller).

Le droit est flexible parce que “trop humain pour prétendre à l’absolu de
la ligne droite.” Carbonnier

Le droit vaut-il mieux que l’absence de droit?

Une forme sans contenu n’assure pas la justice, mais il reste nécessaire→ il vaudrait
⇒
mieux avoir le contenu sans la forme, la justice spontanée mais “cela ne se trouve pas sous
le galop d’un cheval.”

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