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All content following this page was uploaded by D'Incau Emmanuel on 24 June 2020.
L’usure est la détérioration que produit l’usage. Au niveau des structures dentaires, elle est généralisée
et importante dans les populations du passé mais elle est considérée comme physiologique, normale.
Dans ces populations, elle est en effet corrélée au régime alimentaire, à l’âge, à l’environnement,
au mode de vie, au comportement social, à la culture, aux activités et à l’état sanitaire des individus.
Cette idée est souvent mal comprise car actuel- science et technologie initiée en 1966 par Peter
lement, bien que moins développée, elle est Jost regroupe l’étude de la friction, de la lubrifi-
souvent considérée comme pathologique. Pour cation et de l’usure. Elle étudie des phénomènes
ajouter à la confusion l’usure dentaire dépend de susceptibles de se produire entre différents sys-
nombreux mécanismes complexes, synchrones ou tèmes matériels en contact, immobiles ou animés
séquentiels, synergiques ou additifs qui souvent de mouvements relatifs.
masquent sa véritable origine. Selon cette approche, l’attrition correspond à la
Aussi, dans le but d’améliorer la prévention et le friction de deux corps solides en mouvement dont
diagnostic des lésions d’usure pathologiques et les surfaces sont en contact direct [2]. C’est une
de mieux comprendre leurs diverses expressions, usure abrasive à deux corps dont la compréhen-
les principaux objectifs de cet article sont de pré- sion est facilitée en se plaçant à l’échelle micros-
senter les mécanismes tribologiques dont elles copique. Aucune surface n’est alors complètement
dépendent (attrition, abrasion, érosion…), les cri- lisse. Lorsque des contacts adviennent entre diffé-
tères permettant de faire un diagnostic différentiel rents corps c’est par le biais de leurs aspérités qui
et certaines recommandations lorsqu’une prise en se comportent comme autant de particules abra-
charge est nécessaire. sives. Selon la microrugosité de ces corps plus ou
moins de microcontacts s’établissent et définissent
Attrition une surface effective significativement plus faible
Approche tribologique que la surface maximale théorique. Aussi, même si
L’usure est un terme générique communément la pression globale exercée entre différents maté-
Les auteurs employé en odontologie pour décrire différents riaux est faible, la pression locale développée au
ne déclarent phénomènes que la tribologie (du grec ancien tri- niveau de chaque microcontact est parfois telle-
aucun lien d’intérêt. bos, frottement) permet de systématiser [1]. Cette ment importante qu’elle peut entraîner lors d’un
1a b
déplacement leur déformation voire leur rupture. ces modèles et se désolidarisent si bien que l’effet
Différents modèles d’attrition existent. Leur cumulatif des pertes microscopiques aboutit à
survenue dépend de l’angle d’attaque et de la géo- l’usure macroscopique [2].
métrie des aspérités, du coefficient de frottement,
de la vitesse de déplacement, de la pression, de la Spécificités odontologiques
distance et du différentiel de dureté entre les deux Au niveau des structures dentaires, l’attrition est
surfaces en contact [3]. un phénomène progressif et cumulatif qui advient
• Lorsque deux surfaces ont des duretés éloignées essentiellement mais non exclusivement au niveau
(ex : émail et dentine), les micro-aspérités de la sur- des faces occlusales. Son origine est multifacto-
face la plus dure creuse la surface la plus ductile rielle, car elle peut être liée [4] :
selon un mécanisme de microlabourage. À l’échelle - aux contacts dento-dentaires physiologiques, fur-
microscopique, une proue se forme devant chaque tifs et inconstants qui s’établissent au niveau occlu-
particule abrasive en mouvement et des berges sal lors de la déglutition et de la mastication ;
symétriques adjacentes à un sillon central se for- - à des conditions occlusales particulières comme
ment latéralement. Avec la répétition des passages, une supraclusion (fig. 1a-b), une édentation non
de nombreux sillons se forment parallèlement à la compensée (fig. 2a-b), une malocclusion (fig. 3a-b)
direction de déplacement des aspérités abrasives. ou encore une malposition (fig. 4a-b) qui exposent
Leur proximité finit par affaiblir le matériau le plus de manière préférentielle et souvent pathologique
ductile qui se déforme localement avec enlèvement certaines surfaces dentaires antagonistes ;
de matière selon un mécanisme de microfatigue. - à certaines activités de l’éveil comme les para-
• Lorsque deux surfaces cassantes ont des duretés fonctions qui s’exercent arbitrairement et qui s’im-
proches et élevées (ex : céramiques, métaux hau- posent en dehors de toute fonction normale, tout
tement durcis), les micro-aspérités de la surface la en se servant des éléments même de la fonction
plus dure coupe de façon nette, sans déformation (ex : mâcher du chewing-gum, grincer ou serrer des
plastique la surface la plus ductile selon un méca- dents, « tapoter » des dents, se ronger les ongles
nisme de microcoupage. La forme et le volume ou leur peau) ;
du sillon produit correspondent exactement au - à certaines dystonies oromandibulaires (en ferme-
volume de matériel déplacé. Si ces deux surfaces ture, mixtes) ;
sont de plus soumises à une forte pression, cer- - à certains troubles moteurs liés au sommeil comme
taines aspérités de surface peuvent se détacher le bruxisme du sommeil. Dans ce cas elle est à mettre
selon un mécanisme de microcraquelage. De en relation avec les épisodes de grincements den-
petites craquelures se forment alors le long d’un taires qui adviennent lors de l’activité rythmique des
sillon principal, se propagent puis se réunissent muscles masticateurs (ARMM). Certaines conditions
au sein des matériaux qui peuvent se détacher en physico-chimiques (importantes contraintes, hypo-
blocs. Avec la répétition des passages, toutes les sialie, acidité intrabuccale) sont en effet susceptibles
aspérités de surface subissent un ou plusieurs de d’être rassemblées. Cependant la non-corrélation
2a b
Fig. 3a-b -
Malocclusion de classe
III prédisposant à une
attrition des faces
vestibulaires des dents
maxillaires antérieures.
Elle est pathologique
car associée à une
gêne fonctionnelle et
une mortification des
dents 22 et 23 chez ce
patient âgé de 73 ans.
3a b
Fig. 5 - Importante
usure interproximale
caractéristique des
populations du passé
(série Nubienne
de Mirgissa, vers
2180-1552 av. J.-C.,
collections UMR 5199
PACEA, Université
de Bordeaux,
Pessac, France).
Elle entraine une
réduction significative
de la longueur
des arcades lorsqu’elle
est concomitante
avec la dérive mésiale
des arcades.
l’âge en surfaces de contact qui doivent impéra- aucune marge. Les bords libres des incisives et les
tivement être respectées et reproduites par toutes sommets cuspidiens sont plats. Qu’elles soient loca-
techniques restauratrices [8]. lisées sur des tissus dentaires, des matériaux res-
Le diagnostic de l’attrition repose sur la mise en évi- taurateurs ou les deux simultanément, les facettes
dence de surfaces caractéristiques présentes sur les d’usure de dents antagonistes se correspondent en
tissus dentaires et/ou les matériaux restaurateurs. occlusion d’intercuspidie maximale (OIM) ou lors
Lorsque ce mode d’usure prévaut sur les autres de faibles mouvements mandibulaires (fig. 6a-b).
celles-ci sont planes, bien délimitées, à angles aigus Ces traces spécifiques qui peuvent être locales
et parfois brillantes. Lorsque la dentine est expo- (fig. 7a-b) ou globales (fig. 8a-b) sont fondamen-
sée, elle se situe au même niveau que l’émail, sans tales pour mettre en évidence ce mode d’usure
Fig. 8a-b - Attrition notamment chez les individus qui présentent ou Abrasion
générale liée à un qui ont présenté des épisodes parafonctionnels [9]. Approche tribologique
possible bruxisme
En effet, si les surfaces ne se correspondent pas L’abrasion correspond au déplacement de deux
du sommeil. Elle est
considérée comme exactement ou s’il existe une différence de l’avan- corps solides l’un contre l’autre avec interposition
pathologique car elle cée de l’usure entre deux arcades opposées, alors de particules abrasives qui constituent le troisième
entraine un préjudice un ou plusieurs autres mécanismes prévalent ou se corps. Son importance est essentiellement liée à la
esthétique chez surajoutent et doivent être recherchés. Il peut s’agir taille, à la forme et à la dureté des particules inters-
cette patiente âgée
de 43 ans. d’une dissolution acide localisée des tissus den- titielles [2]. La tribologie distingue deux modèles
taires (érosion dans son acception odontologique) d’abrasion en fonction de la proximité des corps
ou d’une abrasion provoquée par l’alimentation solides en mouvement :
au niveau des plages dentinaires exposées. Le dia- - lorsque les deux corps sont distants, les particules
gnostic différentiel est souvent difficile. abrasives sont libres de se déplacer et agissent
comme une suspension abrasant l’ensemble des
Prise en charge des lésions surfaces. Seule une faible proportion de particules
pathologiques est responsable de l’abrasion. Les surfaces des deux
Selon un consensus d’experts [10], comme toutes corps ne se correspondent pas car elles ne sont pas
les formes d’usure, l’attrition peut être considérée en contact direct ;
comme pathologique lorsqu’elle engendre de la - lorsque les deux corps se rapprochent suffisam-
douleur, perturbe la fonction, altère l’esthétique ment, les particules abrasives sont progressive-
et/ou lorsqu’elle n’est pas corrélée à l’âge des indi- ment piégées entre la surface de l’un ou des deux
vidus. Dans ces rares cas [11] il est alors impératif corps et ne sont plus en suspension. Elles sont alors
de déterminer son origine et de prévenir sa pro- entraînées par les deux corps en mouvement cau-
gression. Il est également fondamental d’évaluer la sant des rainures et des striations spécifiques, en
cinétique de son évolution à l’aide de moulages, particulier dans les corps rugueux. Les surfaces sou-
de photographies ou éventuellement d’empreintes mises à ce type d’usure se correspondent parfois
optiques. car les particules font partie intégrante des corps
Bien que chronophage, une cotation des lésions qui subissent alors une usure proche de l’attrition.
selon une classification adaptée est également
souhaitable. Celle proposée par Johansson et col- Spécificités odontologiques
laborateurs [12] est classiquement utilisée mais Au niveau des structures dentaires l’abrasion
le système modulaire proposé par Wetselaar et physiologique est un phénomène progressif et
Lobbezoo [13] semble plus adapté car il propose en cumulatif. Elle peut être globale ou focalisée dans
plus de la quantification et de la qualification des certaines zones particulières. Lorsqu’elle est glo-
lésions des directives quant à leur prise en charge bale, son origine est essentiellement liée à la charge
restauratrice. abrasive du bol alimentaire qui affecte l’ensemble
9a b
Fig. 9a-b - Étude en microscopie confocale de l’abrasion présente sur une dent néandertalienne (protoconide de la seconde molaire
inférieure gauche néandertalienne LP01 E10 Rem Hom01 des Pradelles, Marillac-le-Franc).
des faces des dents lors de la mastication. Lors Fig. 10 - Usure abrasive
de cette fonction, deux phases en accord avec le particulièrement
marquée au niveau
modèle tribologique se succèdent. Leur survenue des faces occlusales.
dépend de la proximité des dents antagonistes et Une marge sépare
de la dilacération du bol alimentaire. l’émail de la dentine
Lors d’une première phase d’écrasement, les par- du fait du différentiel
de minéralisation.
ticules contenues dans le bol sont libres de se
Ce type d’usure est
déplacer et abrasent préférentiellement les aires caractéristique des
occlusales n’établissant pas de contact (AONC). Au populations du passé
niveau des faces vestibulaires et linguales dépour- (série médiévale
vues de plaque bactérienne, le frottement de la de Sains-en-Gohelle,
Pas-de-Calais,
langue et des tissus mous contribue également à Dans les populations du passé et certaines popu- France; Fouilles
développer cette usure. lations actuelles faiblement industrialisées, l’abra- Archéosphère).
Lors d’une seconde phase de glissement, les dents sion est systématique, intense et sa cinétique est
se rapprochent de plus en plus avec la dilacération importante [14]. Dans ces populations elle met
du bol alimentaire et les particules abrasives sont en jeu les dents antagonistes et des aliments pas
progressivement entraînées puis piégées entre nécessairement abrasifs mais souvent chargés de
leurs surfaces. Elles forment alors des gouges, particules microscopiques plus dures que les tissus
stries, puits et arrachements microscopiques dispo- dentaires (phytolithes, quartz, silice amorphe). Elle
sés de façon aléatoire et de renouvellement rapide altère progressivement la morphologie cuspidienne
(deux à trois semaines). Leur étude en micro-usure selon un processus macroscopique laissant appa-
est source de nombreux renseignements car leur raître des facettes d’usure amélaire puis la dentine
longueur, largeur, profondeur, densité, complexité sous forme de points et d’îlots de coalescence pro-
et anisotropie sont caractéristiques des cycles mas- gressive (fig. 10).
ticatoires et des aliments mastiqués (fig. 9a-b). Dans les populations actuelles industrialisées, l’abra-
Lors de cette phase masticatoire rapide et incons- sion est beaucoup moins intense que celle des popu-
tante, des rapports dento-dentaires s’établissent lations du passé. Elle engendre des facettes d’usure
au niveau des aires occlusales de contact (AOC) dont la surface augmente physiologiquement avec
qui subissent alors une usure proche de l’attrition. l’âge et l’apparition de plages dentinaires est fré-
Simultanément les particules piégées entre les dents quente au niveau des sommets cuspidiens et des
provoquent une abrasion au niveau des AONC. bords libres des dents des personnes âgées dont
11a b
12a b c
Fig. 12a-c - Évolution physiologique de la morphologie et de la couleur de dents progressivement abrasées chez des patients
respectivement âgés de 19 ans (a), 55 ans (b) et 86 ans (c).
H H
O H2O O
C C + 3H+
H H H H
HC C CH HC C CH
HO O O δ- O
C C C C
O δ O
-
HO O HO O O δ- O Phosphate Carbonate
HA
Déminéralisation par dissolution de l’hydroxyapatite par combinaison des ions H+ avec PO4 et/ou Co3
Citrate
H
O
Calcium
C
H H
HC C CH
O δ- O HA
C C
O δ- O O δ- O
Ca2+
Hydroxy Apatite
Fig. 15 - vomissement, qui peut être spontané en cas d’al- valeurs dites critiques, soit un pH voisin de 5,5. De
Déminéralisation
coolisme chronique ou provoqué en présence d’un plus, elle forme une pellicule protéique protectrice
de l’hydroxyapatite
dentaire par trouble du comportement alimentaire (TCA) de et possède un pouvoir de reminéralisation qui
dissolution et type anorexie-boulimie [20]. Notons enfin que la limite les effets délétères sans toutefois pouvoir les
chélation induite salive joue un rôle fondamental de modulation de prévenir.
par l’acide citrique
l’érosion grâce à son effet tampon essentiellement Au niveau des structures dentaires, l’aspect des
fréquemment présent
dans les sodas. lié à la présence d’ions phosphates et bicarbo- lésions érosives est polymorphe. D’une manière
nates qui compensent les baisses du pH jusqu’aux générale, les surfaces sont lisses par effacement
21a b
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