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Management stratégique ETUDE DE CAS (type Examen)

Première partie : Mini-cas EGG FRANCE (par Pascal REYBARD) (sur 10 points)
L’analyse du marché bancaire au Royaume-Uni préalable au lancement d’EGG UK
En 1998, Prudential, le deuxième groupe anglais d’assurances, décide de lancer au Royaume-
Uni une banque à distance sans agence (direct banking/home banking) à laquelle les clients
ne peuvent accéder que par courrier, téléphone, internet. La décision de lancer cette banque
résulte de trois constats :
- Les nouvelles technologies permettent de distribuer des produits financiers à
distance et de réduire le coût d’entrée sur le marché. Elles font tomber la principale barrière
à l’entrée dans le « retail banking » : l’obligation de disposer d’un réseau de distribution
étendu et donc couteux.
- Prudential dispose d’un portefeuille de clientèle important. L’activité bancaire peut
donc démarrer en ciblant prioritairement cette base de clientèle pour exploiter au maximum
les opportunités de cross selling (vente croisée de produits d’assurances et de produits
financiers).
- Le marché bancaire au Royaume-Uni présente des caractéristiques favorables à
l’irruption de nouveaux entrants.
L’analyse du marché bancaire au Royaume-Uni est en effet la suivante :
- Les banques sont chères, que ce soit pour les crédits, les moyens de paiement ou les
frais prélevés sur l’épargne. Elles font partie des plus chères d’Europe avec les banques
espagnoles pour la clientèle des particuliers. Cela explique aussi qu’elles soient les plus
rentables d’Europe.
- Le taux de satisfaction de la clientèle mesurée à partir de multiples études qualitatives
converge sur un point : la qualité de service offerte par les banques est insuffisante (manque
de réactivité, peu de conseil, gamme de produits pauvres, pas de GAB/DAB). Les banques du
Royaume-Uni figurent parmi les moins bien classées d’Europe sur ce critère.
- Les clients se rendent de moins en moins dans les agences et la qualité des services
qui sont offerts ne les y incite pas. De plus, les plages horaires d’ouverture sont étroites et
inadaptées aux besoins de la clientèle. Tout est d’ailleurs fait par les banques pour dissuader
les clients de venir en agence, car elles cherchent à réduire la taille de leur réseau commercial,
estimant que ces agences sont trop coûteuses. Elles ferment des points de vente.
- Le maillage du territoire est faible (une agence pour 5 015 habitants, ce qui est un des
ratios les moins élevés d’Europe).
- Le taux d’équipement de la clientèle est faible (moins de deux produits par client).
Le lancement d’Egg au Royaume-Uni
Prudential lance sa banque directe en 1998 en revendiquant un positionnement décalé ne
serait-ce que par son nom, aux antipodes des codes austères du monde financier.
Le concept est le suivant :

- Une gamme de produits étroite (bouquet de services centrés sur les besoins principaux de la
clientèle : carte bancaire, crédits à la consommation et immobiliers, comptes d’épargne rémunérés) ;

- des prix compétitifs (mais pas de discount) justifiés par l’absence de guichets et le recours
aux nouvelles technologies bancaires ;

- des offres promotionnelles de bienvenue : taux de 0% sur les crédits durant les six premiers
mois de l’adhésion et système de cash back (rétrocession annuelle de 1% du montant des achats
effectués par les clients avec leur carte bancaire) ;

- une communication décalée servie par un budget publicitaire très lourd pour recruter
rapidement une clientèle importante.

Egg rencontre un immense succès commercial et financier au Royaume-Uni. La banque totalisait fin
2003, 2,5 millions de clients. En novembre 2001, elle atteint son point mort.

Les études préalables et le lancement d’Egg SA en France


En 2002, conscient d’avoir atteint un seuil de développement, Prudential s’interroge sur les
relais de croissance possibles et sur les marchés sur lesquels il serait possible de dupliquer ce concept.
Son choix s’arrête sur la France qui est le troisième marché bancaire de l’Union européenne après le
Royaume-Uni et l’Allemagne. Egg identifie 9 millions de clients potentiels.

Le marché français présente les caractéristiques suivantes :

-forte densité d’agences (1 480 habitants par agence contre 5015 au Royaume-Uni avec une
forte présence de la « banque postale » qui offre des services bancaires de qualité à des prix très bas
(La Poste) ;

-distribution multicanaux. Les banques commercialisent leurs produits par l’ensemble des
canaux existants : agences, téléphone, Internet (les banques françaises ont rapidement mis sur pied
une offre sur internet car elles ont bénéficié des effets d’expérience acquis avec le Minitel, une
spécificité française) ;

-satisfaction de la clientèle à l’égard des services offerts (plus de 95% de taux de satisfaction) ;

-très forte règlementation du marché qui encadre les tarifs et les caractéristiques des produits
(certains produits ne peuvent être commercialisés que par certains réseaux. Ex : le livret bleu pour le
Crédit Mutuel. La plupart des produits d’épargne s’insèrent dans le cadre d’une règlementation fiscale
stricte, les taux de rémunération sont encadrés pour ce qu’on appelle l’épargne réglementée, c’est-à-
dire les livrets (livret A, CEL, PEL) ;

-taux d’équipement élevé de la clientèle bancaire (six à sept produits par client). Les banques
distribuent en outre des produits qui sont par nature fidélisants et qui se prêtent à des offres groupées
(ex : un crédit immobilier a une durée moyenne de 15 ans permet de vendre à l’emprunteur une
assurance décès, une multirisque habitation et la domiciliation des revenus). Les banques françaises
sont devenues expertes en cross-selling. Elles ont par ailleurs un accès privilégié à la clientèle, car elles
sont teneurs de compte ;

-gratuité des moyens de paiement. Les comptes courants de la clientèle ne sont pas rémunérés
mais les moyens de paiement sont gratuits ou disponibles à des prix parmi les plus bas d’Europe. Cela
a contraint les banques françaises à rechercher très tôt des solutions pour accroître leur productivité
dans tout ce qui touche au back office, où les effets de la taille prédominent. Elles ont eu précocement
une approche industrielle de ces questions ;

- fin 1990. Les banques françaises, alors confrontées à une faible rentabilité, avaient toutes
décidées de réduire leur réseau d’agences. Elles ont rapidement fait marche arrière et ont au contraire
investi pour moderniser ce réseau qui est un des plus denses et des plus performants d’Europe :
élargissement des plages horaires d’ouverture, généralisation des guichets automatisés (GAB/DAB) qui
ont permis d’augmenter la productivité et les revenus ;

- forte concurrence émanant de la grande distribution notamment (ex : Carrefour). La grande


distribution commercialise à prix attractifs des cartes privatives qui permettent de bénéficier de crédits
revolving et d’offres commerciales promotionnelles dans les réseaux de distribution où elles sont
acceptées. Les banques offrent également des cartes bancaires couplées à des systèmes de fidélisation
permettant aux clients de disposer d’avantages multiples : promotions, remises, etc. Les banques ont
tout intérêt à favoriser les cartes bancaires, car elles sont moins coûteuses à traiter que les chèques
(de l’ordre de 10 fois moins en coût unitaire) ;

- problèmes juridiques non résolus pour les transactions bancaires en ligne (ex : la signature
électronique n’a pas de valeur de preuve, ce qui limite les possibilités de réaliser des opérations de
banque à distance et contraint le client à se rendre en agence) ;

- clientèle multibancarisée (un client a en moyenne deux banques, sans compter les cartes
dites privatives telles que la carte Printemps, BHV, etc.)

Les tentatives de pénétration de nouveaux entrants et les enseignements à en tirer


Plusieurs banques étrangères ont tenté de s’implanter en France avant Egg. Elles ont toutes
dû se retirer du marché ou revoir leurs ambitions à la baisse (Barclays, Deutsche Bank). Les rares qui
demeurent vivotent (Caixa) ou occupent des niches ultraspécialisées (ex : les banques portugaises
ciblent la clientèle des Portugais résidant en France et se concentrent sur la gestion des flux financiers
entre les deux pays). Les nouveaux entrants français ont subi de cuisants échecs (la Maaf qui avait
décidé de se lancer sur ce marché à la fin des années 1990 a du précipitamment en sortir).

Les banques directes lancées par des établissements français ont au mieux atteint l’équilibre
(Banque Directe lancée par Paribas, rachetée par Axa et rebaptisée Axa Banque, Cortal). Zebank, qui
se voulait une copie d’Egg, lancée par Bernard Arnault, le PDG de LVMH, et Dexia (une banque française
spécialisée dans le financement des collectivités locales) a été un échec, tant commercial que financier.

Les seules réussites, modestes au regard des parts de marché ou des revenus générés, sont celles :

-des banques à distance qui proposent des crédits à la consommation, et/ou de l’épargne rémunérée
(Covefi, une filiale des 3 Suisses et de Cetelem, ING Direct) ;

-des courtiers en ligne qui ont capté des parts de marché considérables à la faveur du boom des
marchés financiers en 2000.

Les raisons de leur percée sont les suivantes :

-offre des banques en matière de courtage très chère ;

-pauvreté des services (les courtiers en ligne ont mis à la disposition du grand public des moyens
réservés aux professionnels : possibilité d’acheter et de vendre en temps réel, services d’analyses, etc
à des prix très compétitifs) ;
-retard technologique : les banques travaillent encore par courrier en exécutant des ordres avec
plusieurs jours de décalage.

Egg décide malgré tout de s’implanter en France et, pour ce faire, rachète pour 36 millions d’euros, en
mai 2002, une structure existante : Zebank (détenue par la holding personnelle de Bernard Arnault et
Dexia). Le rachat est une bonne solution car Zebank bénéficie des agréments bancaires qui sont longs
à obtenir. Cette banque est alors exsague financièrement. Egg envisage de consentir 164 millions
d’euros d’investissement sur trois ans pour la relancer avant de diminuer cette enveloppe pour tenir
compte du retard pris sur le business plan.

Egg se positionne comme seconde banque et mise sur sa carte de crédit et son offre de cash back pour
recruter une clientèle. Elle offre une retrocession de 5% qui est ensuite ramenée à 1%. L’offre de base
est constituée de :

-d’une carte de paiement vendue deux à trois fois moins chère que dans les banques à réseau ;

-d’un livret bancaire rémunéré à un taux supérieur à celui des autres livrets du marché.

Les objectifs ne seront jamais atteints : Egg France escomptait conquérir 250 000 à 300 000 clients fin
2003 et ne parviendra qu’à 140 000 clients environ. Le nombre de détenteurs de cartes fin 2003 est de
l’ordre de 70 000 pour un objectif de 150 000. Le business plan très optimiste prévoyait 1 000 000 de
clients fin 2005. L’objectif est ramené à 400 000 pour tenir des difficultés éprouvées dans le
développement. L’équilibre financier devait être atteint fin 2005, la date est repoussée à fin 2006.

Epilogue
L’échec d’Egg SA se paie cher :
-250 millions d’euros de pertes cumulées depuis l’acquisition de Zbank en 2002 ;
-comptabilisation d’une provision de 170 millions d’euros en 2004 dans les comptes de la
maison mère Prudential représentative du coût de sortie de la France ;
-chute du cours de titre de la maison mère d’Egg, Prudential.
Egg a cessé certaines activités et cède des actifs (l’activité de crédit a été cédée à Banque
Accord, une filiale d’Auchan, pour 140 millions d’euros en Octobre 2004, les activités
d’épargne et de courtage pourraient être cédées à ING Direct).
Questions
1- Quelles sont les raisons de l’échec de l’implantation d’Egg en France ?
2- Quelles étaient les trois stratégies possibles et pourquoi conduisent-elles toutes à
l’échec ?

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