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FASCIITE NECROSANTE : diagnostic en imagerie

J. Malghem, F. Lecouvet, P. Simoni, B. Maldague, B. Vande Berg


Cliniques St- Luc, Université de Louvain, Bruxelles

La fasciite nécrosante est une affection rare caractérisée par une infection profonde
rapidement progressive, avec toxicité systémique sévère. Les germes sont variés :
streptocoques fréquemment, flore pluri-microbienne dans plus de la moitié des cas, flore
mixte anaérobie dans la gangrène de Fournier (région scrotale chez des hommes jeunes),
clostridium dans la gangrène gazeuse (compliquant des contusions musculaires mal
traitées)… [5,7,11]
L’extension rapide de la nécrose est liée à une thrombose des vaisseaux cheminant
dans les territoires des fascias : de la peau (fascia superficialis, inconstant et de profondeur
variée selon les sites), des aponévroses musculaires superficielles et profondes.
La nécrose empêche la pénétration efficace des antibiotiques et l’antibiothérapie qui doit être
mise en route de façon massive a pour but essentiel non pas de guérir mais de limiter
l’extension de l’infection. En fait, cette lésion nécessite un traitement chirurgical en urgence,
avec ouverture des fascias, qui se déchirent facilement, et excision des tissus nécrosés. C’est
une affection dont la morbidité est majeure (hospitalisation prolongée, séjours en soins
intensifs, chirurgie itérative, séquelles …) et dont la mortalité est importante (15 à 30 %),
dépendant essentiellement de la précocité de la chirurgie [2,5,12].
L'aspect clinique peut être
très trompeur: l’atteinte est
généralement très douloureuse
mais peut être indolore [13] et les
signes cutanés souvent pauvres
[12]. Il n’y a pas de corrélation
entre l’atteinte cutanée, qui est
souvent faussement rassurante
(fig.1), et la réalité des atteintes
sous-jacentes. Les lésions
profondes se propagent selon le

Figure 1 : Fasciite nécrosante chez un homme de 53 ans présentant une


fièvre élevée et une altération marquée de l’état général depuis 1
semaine: a : l’aspect cutané révèle un simple gonflement et un érythème 1
de l’hémi-thorax gauche, sans phlyctène ni nécrose focale.
« principe de l'iceberg » : la lésion cutanée extérieure reste souvent limitée alors que la
nécrose des tissus sous-jacents est beaucoup plus étendue (fig. 2). C’est la raison pour laquelle
la mise à plat chirurgicale initiale est souvent insuffisante et que les reprises sont très
fréquentes [5].

a b

Figure 2 : A. La large ouverture chirurgicale chez le même patient que la figure 1 (réalisée après les mises au
point en imagerie des figures suivantes), montre l’aspect dissocié du plan hypodermique profond. B : La coupe
histologique du tissus réséqué (Dr. Ch.Galant) montre de larges plages tissulaires nécrotiques avec infiltrat
inflammatoire massif. La bactériologie a révélé des streptocoques béta-hémolytiques.

Le diagnostic différentiel fondamental qui se pose est de reconnaître si l’atteinte


infectieuse cutanée visible est une atteinte superficielle susceptible de bien répondre à un
traitement médical ou s’il s’agit d’une atteinte profonde nécessitant, en urgence, un traitement
chirurgical. Cette différenciation doit être établie de façon rapide et précise et la transmission
de l'information doit veiller à éviter toute ambiguïté. Il y a en effet d'importants problèmes de
sémantique, qui résultent notamment de confusions de terminologie entre littérature française
et anglo-saxonne (cf. pour détails l’article de F. Zech). En particulier, le terme de cellulite,
regroupe des entités très variées et de gravités différentes (érysipèle, fasciites nécrosantes et
même lésions inflammatoires non infectieuses …) [5]. Ce terme est source de confusion car il
intéresse des entités histologiques variées et devrait être abandonné [2] … sans parler de la
« cellulite » du langage courant, fléau typiquement féminin résultant d’une accumulation de
graisse dans l’hypoderme superficiel. Une conférence de consensus rassemblant des
spécialistes divers (infectiologues, dermatologues, chirurgiens …) [ibid.] a récemment
proposé de classifier les infections cutanées graves en trois catégories :

2
1. la dermohypodermite bactérienne simple ou érysipèle ("cellulitis" des anglo-saxons) qui
ne s’accompagne pas de nécrose et n’atteint pas l’aponévrose superficielle ;
2. la dermohypodermite bactérienne nécrosante (« necrotizing cellulitis »), classiquement
intitulée « cellulite » par les cliniciens français, qui associe une nécrose du tissu conjonctif
et du tissu adipeux mais sans atteinte de l’aponévrose superficielle;
3. la fasciite nécrosante ("necrotizing fasciitis"), dans laquelle la nécrose dépasse
l’aponévrose superficielle, avec atteinte plus ou moins profonde des fascias
intermusculaires et des muscles.
La première est d’ordre médical, les deux suivantes d’ordre chirurgical.

L’apport de l’imagerie est donc, par principe, limité aux cas de diagnostic douteux,
puisque la chirurgie est indiquée d’emblée si le diagnostic clinique présomptif est élevé.
1- L’examen radiologique simple est peu contributif : visualisation seulement d’un
épaississement et d’une hyperdensité relative des tissus mous, avec présence de gaz
reconnaissable seulement dans de rares cas [4].
2- La TDM montre la même chose que la radio standard mais en mieux. L’anomalie la plus
habituelle est l’épaississement asymétrique des fascias et l’infiltration des plans graisseux,
présents dans 80% des cas [13] (fig. 3 ).

Figure 3 : TDM du patient des figures précédentes :


a : la coupe transverse montre une tuméfaction diffuse b
des tissus mous le long de la paroi thoracique
(flèches) ; b : une coupe coronale reconstruite montre
l’extension de la tuméfaction vers la paroi
abdominale (têtes de flèche).

Cet épaississement de la peau et l’infiltration réticulée de la graisse hypodermique se


rencontre tout autant dans les atteintes superficielles que dans les fasciites nécrosantes, la
différence entre les deux étant donc l’atteinte des structures plus profondes dans le second cas
[3]. L’atteinte inflammatoire localisée plus ou moins étendue de la graisse hypodermique la

3
différencie de celle qui résulte d’un simple œdème de stase, qui est plus symétrique et plus
diffus [13]. La présence de gaz est considérée comme rare [11], ou présente dans 55% des cas
[13] ou fréquente [3]. L’atteinte des fascias profonds peut être mieux visible par examen avec
injection de contraste mais celui-ci est souvent contre-indiqué chez ces patients qui sont
fréquemment en insuffisance rénale aiguë [4]. Des abcès peuvent être observés dans une
minorité de cas [13].
3- L’IRM est, bien sûr, la technique la plus efficace pour objectiver les anomalies des tissus
mous et leur distribution :
• anomalies communes aux lésions superficielles et profondes : l'aspect d’infiltration
réticulée de la graisse sous-cutanée, en hyposignal en T1 et hypersignal en T2 ou en T1
sous contraste est présente dans les deux cas [4,9,10,11]. Dans l’atteinte non nécrosante
(« medical cellulitis »), l’infiltration en hypersignal T2 se limite à la graisse sous-cutanée
et aux fascias superficiels, sans anomalies de signal dans les fascias profonds ni dans les
muscles [10]. L'aspect de cette atteinte inflammatoire se distingue d'un simple œdème de
stase par son caractère asymétrique et plus ou moins localisé. En outre, sous contraste,
l'œdème inflammatoire présente un rehaussement de signal ce qui permet de le distinguer
de l'œdème de stase qui n’en présente pas [6] ("œdème chaud" ou "œdème froid") ;
• anomalies spécifiques de la fasciite nécrosante : l’anomalie principale est un
épaississement des fascias, superficiels et profonds, en hypersignal en T2 ou T1 sous
contraste [4,9,11], résultant d'une accumulation du liquide et à une réaction hyperhémique
le long des fascias nécrotiques (fig. 4-6). Les muscles présentent, de façon généralement
modérée, un hypersignal en T2 [11]. Des abcès plus profonds peuvent être inconstamment
objectivés, dans un peu moins ou un peu plus de la moitié des cas selon les séries [9-11].
Ils apparaissent en signal intense en T2, avec un centre en hyposignal et une périphérie en
hypersignal en T1 sous contraste. L’os est normal. Des bulles gazeuses sont
occasionnellement (mais difficilement) visualisables, sous forme de petites plages vides
de signal [4].

4
a b

Figure 4 : Coupes en IRM pondérée T1,


sans (a) et avec (b) contraste chez le même
patient que les figures précédentes :
visualisation d’une zone en hyposignal,
sans rehaussement sous contraste et qui
apparaît en signal intense en pondération
T2 (c) sous les muscles de la paroi
thoracique (flèches). Ce territoire
correspond à une collection liquidienne
profonde. Noter une infiltration de type
liquidien également dans la couche
graisseuse sous-cutanée (têtes de flèches),
de type oedémateux simple (pas de
rehaussement de signal sous contraste).
c

a b c

Figure 5 : Les coupes axiales du même patient que les figures précédentes, en IRM pondérée T1, sans (a) et avec (b)
contraste et en pondération T2 (c) montrent une collection liquidienne profonde (*) avec un rehaussement périphérique
intense sous contraste (flèches en b), pénétrant dans les muscles adjacents.

5
a

Figure 6 : Fasciite nécrosante de la cuisse gauche (autre patient), associée à une septicémie à
staphylocoques dorés. Les coupes axiales respectivement en pondération T1, sans et avec
contraste et en STIR (a,b,c) montrent, dans la partie médiale de la cuisse gauche un
épaississement de la peau et une infiltration de la graisse hypodermique (tête de flèche) et
surtout un épaississement des fascias profonds intermusculaires (flèches blanches), en signal
intense en STIR et en rehaussement périphérique sous contraste. Les muscles adjacents
présentent une infiltration modérée. Noter la différence que présente l’œdème de stase de
topographie postéro-latérale bilatérale (flèches creuses), qui présente l’aspect
d’accumulations liquidiennes simples (signal intense en STIR, sans rehaussement sous
contraste).

6
L’extension en profondeur des anomalies permet donc de différencier les fasciites nécrosantes
s’étendant dans les espaces intermusculaires des lésions qui se limitent au plan graisseux
hypodermique profond (fig. 7) et des lésions plus superficielles de type érysipèle (fig. 8).
Il faut cependant noter que cette évaluation de l’extension en profondeur des lésions est
volontiers surestimée : dans 9/23 cas d’infections superficielles non nécrosantes, les bandes en
hypersignal T2 s’étendaient jusqu’à l’interface entre la graisse sous-cutanée et la surface des
muscles [9]. Dans une série de 11 fasciites nécrosantes chirurgicalement prouvées et de 6
atteintes superficielles, la sensibilité de l’IRM pour reconnaître les lésions profondes était de
100% mais avec une spécificité de 86% [11]. Dans cette même série, parmi les 42
localisations d’atteintes profondes des fascias en IRM, 34 seulement étaient retrouvées
comme caractéristiques en chirurgie [ibid.]. En outre, l’extension de l’infection est facilement
surestimée: l’aspect d’une infiltration oedémateuse simple ou qui résulte d’un tissu nécrotique
infecté est pratiquement similaire en IRM.

a b

c d

Figure 7 : Infection du plan sous-cutané profond chez une patiente greffée rénale : les coupes
transverses, en pondération T1 sans (a) et avec contraste (b), en T2 (c) et en STIR (d) de la
région iliaque gauche montrent une bande d’infiltration irrégulière du plan graisseux
hypodermique profond (flèches), partiellement dans le territoire du prolongement d’un fin fascia
hypodermique (têtes de flèches). L’infiltration présente un rehaussement de signal sous contraste
(en b). La séquence en saturation de la graisse (d) renforce sa visualisation, de même qu’elle
montre mieux une légère infiltration immédiatement sous-cutanée. L’histologie a montré une 7
« pandermite nécrosante ».
Figure 8 : Infection cutanée superficielle (érysipèle) : les coupes sagittales respectivement
en pondération T1, T1 sous contraste et T2 (a,b,c) et la coupe dans le plan coronal oblique
en T2 avec saturation de la graisse (d) objectivent un important épaississement des tissus
cutanés et sous-cutanés de la face dorsale du pied. Cette infiltration, en hypo/hypersignal en
T1/T2 se limite au territoire graisseux hypodermique, sans extension nette dans les plans
musculo-tendineux sous-jacents. Noter que sous contraste (en b), l’épaississement cutané
présente un très net rehaussement de signal (aspect « hyperémique ») (flèche) de même
qu’une partie de l’infiltration la graisse hypodermique sous-jacente.

L’apport du contraste intraveineux est limité : il permet une meilleure visualisation des abcès
mais ne détecte pas de lésion nouvelle par rapport à l’examen en pondération T2 [4,9,11].
Avec saturation du signal de la graisse, les modifications inflammatoires sont même plus
souvent reconnues sur les séquences en T2 qu’en T1 sous contraste et l’usage du contraste en
routine ne paraît donc pas justifié [8].

8
La sensibilité de détection des lésions est supérieure en T2 avec saturation de la graisse, y
compris par rapport aux séquences en T1 sous contraste avec saturation de la graisse [4].
Cette sensibilité de détection des anomalies plus élevée encore en T2 avec saturation de la
graisse (ou en STIR) a comme corollaire une surestimation accrue des lésions et donc une
diminution de la spécificité.
4- L’apport de l’échographie paraît marginal, du moins chez l’adulte : tout le monde connaît
la difficulté de l’analyse fine des modifications d’échostructure dans des tissus épais et
infiltrés. L’infiltration présente l’aspect d’un épaississement et d’une hyperéchogénicité du
tissu sous-cutané, traversé par de fines bandes hypoéchogènes dissociant les lobules
graisseux. Cet aspect est aspécifique et indistinguable des autres causes d’œdème des tissus
mous [1]. L’utilisation de l’échographie est cependant considérée comme utile en âge
pédiatrique [4].

En conclusion :
La détection des lésions résulte de la visualisation d’une infiltration oedémateuse ou
de collections liquidiennes par les séquences habituelles (T1 pour reconnaître l’infiltration de
la graisse, T2 et T1 sous contraste pour reconnaître les infiltrations profondes et collections
liquidiennes).
Le diagnostic différentiel des lésions, superficielles ("médicales") ou profondes
("chirurgicales"), est en théorie facile mais en pratique souvent difficile. Sans trop
d’ambiguïté, les anomalies ne portant que sur la peau et la graisse hypodermique
correspondent en principe à une atteinte superficielle non nécrosante non chirurgicale. A
l'inverse, l’atteinte des fascias profonds et des espaces intermusculaires est caractéristique
d’une fasciite nécrosante nécessitant une intervention d'urgence. Reste cependant
l’interprétation très difficile des anomalies situées à l’interface entre les couches profondes de
la graisse hypodermique et la surface des aponévroses musculaires superficielles.
Très important, il ne faut surtout pas oublier que l’imagerie n’a qu'un rôle secondaire
et qu'elle ne doit en tout cas pas retarder la prise en charge chirurgicale des fasciites
nécrosantes profondes, dont la précocité du traitement est tellement importante pour le
pronostic, y compris vital.

Remerciements aux nombreux collègues qui ont participé aux discussions de ce sujet difficile
(notamment N. de Visscher, Ch. Galant, R. Gheerardyn, A. Laffosse, P-F. Laterre, B.
Lengele, B. Vandercam, R. Vanwijck, J-C. Yombi, et F. Zech,)

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