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CAS CLINIQUE
a
Samu, Smur, pôle urgences, CHU de Grenoble, 38043 Grenoble, France
b
Service de toxicovigilance, CHU Grenoble, 38043 Grenoble, France
MOTS CLÉS Résumé Cette observation rapporte le cas d’une intoxication médicamenteuse aiguë volon-
Intoxication taire chez une femme de 24 ans, initialement annoncée comme une mono-intoxication à la
médicamenteuse aiguë venlafaxine. Son intérêt relève de l’analyse du déroulement des étapes qui ont conduit au
volontaire ; diagnostic, en particulier l’anamnèse, le diagnostic du syndrome toxicologique et l’identification
Syndrome toxicologique des toxiques. Elle montre les difficultés d’établir aux urgences un diagnostic de certitude et un
diagnostic de gravité.
# 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
0993-9857/$ — see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jeur.2009.06.002
56 S. Gennai et al.
minute), avait une saturation pulsée en O2 (SpO2) de 96 % et à H + 48. La stabilisation hémodynamique a permis le sevrage
une PAS de 160 mmHg. À l’admission au SAU, la patiente en amines en moins de 48 heures. Le réveil de la patiente
présentait des hallucinations visuelles, une hypertonie mus- après arrêt de la sédation a autorisé l’extubation dans les
culaire, des tremblements diffus et une sécheresse des mêmes délais. Une pneumopathie de la base droite diag-
muqueuses. L’état pupillaire n’était pas consigné. Il n’existait nostiquée à ce moment a motivé la mise en route d’une
pas de globe urinaire. La température était de 37,5 8C, antibiothérapie par amoxicilline—acide clavulanique. Le
l’hémodynamique était stable (PA : 148/44 mmHg ; FC : 77 bat- traitement de la patiente, connu secondairement,
tements par minute), la SpO2 était de 98 % mais la patiente comprenait : venlafaxine LP 75 mg/j, hydroxyzine 75 mg/j
restait polypnéique (FR : 30 par minute). L’ECG montrait alors et rispéridone 4 mg/j. Trois jours après son admission en
un rythme sinusal, un axe gauche, un bloc de branche droite réanimation, la patiente était transférée en centre hospita-
incomplet, des extrasystoles supraventriculaires bigéminées lier spécialisé (CHS).
et un QT corrigé allongé (540 millisecondes). L’analyse biolo-
gique initiale retrouvait une hyperkaliémie (5,8 mmol/l), une 3. Discussion
acidose métabolique (pH : 7,36 ; bicarbonates : 12 mmol/l ;
PCO2 : 3,58 kPa) avec un trou anionique élevé (32 mmol/l) et Cette observation présente plusieurs intérêts pédagogiques.
des lactates à 13 mmol/l. La patiente, initialement annoncée comme intoxiquée par
Une demi-heure plus tard, la patiente présentait une la venlafaxine, avait absorbé plusieurs spécialités ; ce que les
tachycardie à complexes larges (FC : 165 battements par antécédents de psychose auraient pu faire suspecter. De fait,
minute) avec une hémodynamique conservée (PA : 131/ le Samu avait bien noté la présence de venlafaxine et de
51 mmHg) et une conscience préservée. Après avis cardiolo- rispéridone mais l’information s’était ensuite perdue dans la
gique, la patiente était transférée en USIC pour suspicion de chaı̂ne de transmission.
tachycardie ventriculaire. Finalement, c’est le diagnostic de Cette situation clinique devait faire évoquer de principe la
tachycardie sinusale avec bloc de branche gauche qui a été présence d’un effet stabilisant de membrane, principale-
retenu. L’échographie cardiaque retrouvait une FEVG conser- ment caractérisé par un allongement du QT et un élargisse-
vée (70 %). Après échec d’une tentative de ralentissement ment du QRS et devait faire suspecter une intoxication par
par Striadyne1, la patiente était transférée en unité de cardiotoxique (antidépresseur tricyclique, neuroleptique,
réanimation médicale. buflomédil, dextropropoxyphène ou antihistaminique H1).
À l’admission dans ce service, la patiente était La survenue d’un trouble de la conduction intraventriculaire
consciente, en ventilation libre, avec une hémodynamique et de convulsions permettait de renforcer cette hypothèse.
stable. Deux heures plus tard, elle présentait une crise De fait, la patiente était traitée par venlafaxine et rispéri-
convulsive généralisée ainsi qu’une défaillance hémodyna- done, tous les deux susceptibles d’allonger le QT lors d’une
mique (PA : 60/40 mmHg ; FC : 45 battements par minute ; intoxication aiguë [2—6].
FEVG : 28 %) résistante au remplissage (Voluven1 500 ml). Un Plusieurs autres syndromes toxiques peuvent être recen-
traitement était alors entrepris, associant oxygénation, sés dans cette observation.
sédation, intubation orotrachéale (Diprivan1 230 mg, Célo- À la phase initiale, l’hyperthermie, la sécheresse des
curine1 25 mg, puis Hypnovel1 4 mg par heure et Sufenta- muqueuses, la tachycardie sinusale, les hallucinations et
nyl1 20 mg par heure), amines (noradrénaline 0,5 mg par l’hyperventilation militaient en faveur d’un syndrome anti-
heure et dobutamine 20 gamma par kilogramme par minute), cholinergique (pouvant être rattaché par exemple à la prise
poursuite du remplissage (Voluven 500 ml et sérum salé d’un antidépresseur tricyclique), mais aucun trouble de
isotonique 3000 ml) et administration de lactate de sodium conscience n’était présent.
molaire (200 ml). Une séance d’hémodialyse a été effectuée De façon moins évidente, l’association tachycardie,
devant l’aggravation de l’acidose métabolique (pH : 7,26 ; hypertonie, hyperthermie et tremblements pouvait faire
bicarbonates : 9 mmol/l ; PaCO2 : 3,30 kPa) et de l’hyper- évoquer la possibilité d’un syndrome sérotoninergique, alors
kaliémie (6,9 mmol/l). relié à la prise connue de venlafaxine (ou rétrospectivement
L’analyse toxicologique initiale était négative pour l’étha- à la prise de citalopram).
nol (Radiative Energy Attenuation), le méthanol, l’éthylène Enfin, l’acidose métabolique à trou anionique élevé et
glycol et le méprobamate (chromatographie phase gazeuse hyperlactatémie n’a pas été complètement expliquée par le
avec espace de tête), le paracétamol et les benzodiazépines tableau initial (hémodynamique stable, pas de trouble de la
( fluorescence polarisation immuno assay [FPIA]) et la digo- conscience). L’hypothèse d’une intoxication par méthanol ou
xine (immuno-enzymologie). En revanche, la recherche des éthylène glycol a été éliminée. La présence de salicylés n’a
antidépresseurs tricycliques était positive (FPIA). La chro- pas été recherchée. La possibilité de la survenue de convul-
matographie liquide haute performance (CLHP) avec détec- sions répétées passées inaperçues en lien avec l’acidose
tion sur barrette de diodes, effectuée après hémodialyse, à métabolique apparaı̂t peu vraisemblable.
H + 25 de l’admission au SAU, retrouvait de la venlafaxine L’analyse toxicologique n’a été que peu contributive à la
(733 mg/l pour une fourchette thérapeutique du laboratoire phase initiale de l’intoxication. La recherche qualitative
(FT) comprise entre 250 et 750 mg/l), de la rispéridone positive pour les antidépresseurs tricycliques ne pouvait être
(346 mg/l, FT : 10—90 mg/l), du citalopram (149 mg/l, FT : reliée à un faux positif (carbamazépine, phénothiazines) ;
20—200 mg/l) et de la dosulépine (137 mg/l, FT : 50—150 mg/ elle n’a été que tardivement rattachée à la prise de dosu-
l). La recherche de cannabis, de dérivés amphétaminiques, lépine. La réalisation différée de la CLHP/barrette de diodes
de cocaı̈ne et d’opiacés effectuée à H + 44 était négative. après une séance d’hémodialyse a vraisemblablement sous-
Les extrasystoles ventriculaires ont persisté 24 heures estimé les concentrations sanguines de venlafaxine, rispéri-
après l’admission aux urgences pour finalement disparaı̂tre done, citalopram et de dosulépine. Or, l’intoxication aiguë
Difficultés diagnostiques d’une intoxication médicamenteuse aiguë volontaire 57