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Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 1080–1083

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Cas clinique

Rhabdomyolyse aiguë lors d’une intoxication au butane.


À propos de deux cas
Acute rhabdomyolysis due to butane inhalation.
Report of two cases
M. Khatouf a,b,*, B. Ifkharen a, M. Drissi a, B. Housni a, M. Harandou a, N. Kanjaa a
a
Service d’anesthésie réanimation chirurgicale, CHU Hassan-II, Fès, Maroc
b
Faculté de médecine et de pharmacie de Fès, BP 1893, route Sidi-Harazem, 30000 Fès, Maroc

Reçu le 15 avril 2004 ; accepté le 7 septembre 2004


Disponible sur internet le 05 novembre 2004

Résumé

L’exposition prolongée au butane est responsable essentiellement de manifestations neurologiques et cardiovasculaires. Nous rapportons
deux cas exceptionnels de rhabdomyolyse aiguë au décours d’une intoxication au butane. Le diagnostic précoce et le traitement adapté ont
permis une évolution favorable chez les deux patients. Le mécanisme physiopathologique et l’attitude pratique devant de telles complications
sont discutés au vu des données de la littérature.
© 2004 Publié par Elsevier SAS.

Abstract

Prolonged inhalation of gas butane induced mostly neurological and cardiovascular symptoms. We reported two very rare cases of acute
rhabdomyolysis caused by accidental prolonged inhalation of butane. The early diagnosis and the symptomatic treatment were associated with
favourable evolution in the two cases. The mechanism of this complication is discussed and compared with the literature.
© 2004 Publié par Elsevier SAS.

Mots clés : Butane ; Inhalation prolongée ; Rhabdomyolyse aiguë

Keywords: Butane; Prolonged inhalation; Acute rhabdomyolysis

1. Introduction rhabdomyolyse aiguë au décours d’une intoxication au gaz


butane associée à une évolution favorable.
La rhabdomyolyse se définit comme une lyse des fibres
musculaires striées squelettiques, dont le contenu est libéré
dans la circulation générale. Les enzymes musculaires (créa- 2. Observations
tine phosphokinase ou CPK) et la myoglobine sont les prin-
cipaux composés libérés [1]. La gravité de la rhabdomyolyse 2.1. Cas no 1
est liée essentiellement au risque d’hyperkaliémie et d’insuf-
fisance rénale. Les circonstances de survenue de ce syn- Un patient âgé de 24 ans, pesant 70 kg pour une taille de
drome sont très variables [2]. Nous rapportons deux cas de 1,76 m, sans antécédents pathologiques notables, était vic-
time d’une exposition accidentelle au gaz butane pendant
* Auteur correspondant. 12 heures dans sa salle de bain. Il était retrouvé inconscient à
Adresse e-mail : khatouf@voila.fr (M. Khatouf). côté d’une bouteille à gaz butane de 9 kg avec fuite continue
0750-7658/$ - see front matter © 2004 Publié par Elsevier SAS.
doi:10.1016/j.annfar.2004.09.003
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et odeur de gaz butane dans toute la pièce par ses voisins. Une L’examen du patient deux mois plus tard montrait une
heure après son évacuation, l’état neurologique s’améliorait force musculaire normale du membre supérieur droit avec
et ne persistait que des céphalées, une obnubilation et une persistance d’une parésie du sciatique poplité externe du côté
désorientation temporospatiale à son admission aux urgen- droit.
ces. La pression artérielle était à 130/70 mmHg, la fréquence
cardiaque à 100 b/min. La respiration était calme et régulière 2.2. Cas no 2
à 24 c/min. La température était à 37 °C. Par ailleurs, l’exa-
men avait mis en évidence des myalgies diffuses spontanées Un patient âgé de 50 ans, pesant 65 kg avec une taille de
et provoquées par la palpation des mollets, un œdème avec 160 cm, sans antécédents pathologiques notables, était admis
tension musculaire marquée au niveau de tout l’hémicorps en réanimation pour intoxication au butane (fuite d’une bou-
teille à gaz dans une salle de bain) après exposition de cinq
droit (membre supérieur et inférieur) avec déficit moteur sur
heures. À l’admission, il était confus, obnubilé sans déficit
le territoire du nerf sciatique poplité interne et externe. Les
neurologique, la pression artérielle était à 100/70 mmHg, la
membres étaient chauds et tous les pouls périphériques
fréquence cardiaque à 120 b/min et le sondage urinaire rame-
étaient présents. L’écho–Doppler avait montré un réseau vei-
nait 50 ml d’urines noirâtres. La respiration était régulière à
neux et artériel perméable des membres supérieur et infé-
20 c/min. La température était à 37,5 °C. Il existait par
rieur. Le sondage urinaire avait ramené 100 ml d’urines très
ailleurs des myalgies diffuses spontanées et provoquées par
foncées. Le dosage de la carboxyhémoglobine réalisé à son
la palpation et un œdème important des membres inférieurs.
admission était négatif.
Les pouls périphériques des membres inférieurs étaient pré-
Le syndrome de rhabdomyolyse était confirmé par une sents des deux côtés. Une intoxication au monoxyde de
myoglobinurie positive aux bandelettes à l’orthotoluidine, et carbone était exclue compte tenu des circonstances de l’in-
par le dosage des CPK qui étaient à 3340 UI/l (valeur nor- toxication et confirmée par un dosage de carboxyhémoglo-
male < 300 UI/l). Les aspartate aminotransférases (ASAT) bine négatif à l’admission.
étaient à 1800 UI/l. Le taux d’urée sanguine était à 0,75 g/l et Le syndrome de rhabdomyolyse était confirmé par une
la créatininémie à 24 mg/l. La kaliémie était à 5,1 mmol/l. La myoglobinurie positive aux bandelettes de l’orthotoluidine et
radiographie pulmonaire et l’électrocardiogramme étaient des CPK à 37450 UI/l (valeur normale inférieure à 300 UI/l).
sans anomalies. Le bilan biologique mettait évidence une insuffisance rénale
Le patient bénéficiait d’une oxygénothérapie par sonde avec un taux d’urée à 0,84 g/l et une créatininémie à 28 mg/l,
nasale à 6 l/min, une réhydratation par du sérum salé 0,9 % une calcémie à 81 mg/l et une kaliémie à 4,8 mmol/l.
(6 l/24 h) avec alcalinisation par du sérum bicarbonate 1,4 % Le patient était mis sous oxygène par sonde nasale à
(250 ml toutes les 6 heures) quand le pH urinaire était 5 l/minute (SaO2 : 98 %) et bénéficiait d’une réhydratation à
inférieur ou égal à 6, avaient permis d’avoir une diurèse raison de 6 l de sérum salé 0,9 % par 24 heures avec alcali-
horaire supérieure à 100 ml/h. Une vitaminothérapie (vit. nisation (sérum bicarbonate 250 ml/6 h pour obtenir un pH
B1–B6–B12) était mise en route. urinaire > 6,5), puis recours aux diurétiques devant la surve-
nue d’une anurie malgré le remplissage (furosémide
L’évolution clinique était marquée par une disparition des 1 g/24 h). L’installation d’une insuffisance rénale anurique
troubles neurologiques centraux après 24 heures. La régres- motivait le recours à l’épuration extrarénale.
sion de l’œdème et de la tension musculaire s’est faite sur une L’évolution a été marquée par une amélioration progres-
semaine mais un déficit moteur distal au niveau du membre sive de la fonction rénale avec reprise d’une diurèse après
inférieur droit persistait. Sur le plan biologique, une amélio- trois séances d’hémodialyse ; une régression progressive de
ration progressive de la fonction rénale et une régression du la tension musculaire et du taux de CPK (Tableau 1) qui
taux de CPK (Tableau 1) qui se sont normalisées au dixième s’était normalisé au quinzième jour. Le patient quittait l’hô-
jour. Le patient quittait l’hôpital le quinzième jour. pital un mois après son admission sans séquelles.
Un électromyogramme réalisé une semaine après la sortie
de l’hôpital a montré une atteinte myogène des muscles de
l’hémicorps droit, associée à une atteinte tronculaire multiple 3. Discussion
des membres supérieur et inférieur droits évoquant une neu-
La survenue d’une rhabdomyolyse aiguë au cours de l’ex-
roapraxie.
position prolongée au butane est un fait clinique très rare, il
n’y a à notre connaissance que deux cas rapportés dans la
Tableau 1 littérature médicale en rapport avec une intoxication mixte au
Évolution du taux de CPK (UI/l) des deux patients gaz butane et propane [3,4]. Les observations que nous rap-
j0 j2 j4 j6 j8 j10 portons ont été liées à une intoxication au gaz butane large-
Patient 1 ment utilisé dans notre région et distribué sous forme de
3340 2800 1900 800 550 200 bouteille à gaz de 9 kg. En revanche, la rhabdomyolyse a été
Patient 2 rapporté au cours d’intoxications au monoxyde de carbone
37 450 20 500 13 000 7000 3100 1900 par plusieurs auteurs [5,6].
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Les manifestations cliniques de l’intoxication au butane toxique direct du butane sur le muscle squelettique ne peut
sont dominées par les signes neurologiques (obnubilation, être exclu ; les effets observés sur les cellules HeLa après
désorientation, coma de profondeur variable), les signes car- exposition aux dérivés du butane sous forme de perturbations
diovasculaires décrits sont essentiellement des troubles de de l’activité mitochondriale rapporté en 1994 n’a jamais été
rythme mortels ou d’altération de la contractilité myocardi- confirmé sur les cellules musculaires striées [15]. Il est par
que [7]. ailleurs intéressant de faire des biopsies musculaires chez
Dans les deux cas rapportés, le syndrome de rhabdomyo- tout malade présentant une rhabdomyolyse au butane afin de
lyse était au premier plan et avait constitué le motif d’admis- pouvoir confirmer la nature de cette toxicité.
sion en réanimation, les troubles neurologiques étaient mini- Devant une suspicion d’intoxication au butane, il convient
mes et les troubles du rythme observés chez le deuxième tout d’abord d’écarter une intoxication par le monoxyde de
patient étaient tardifs (troisième jour). carbone surtout par le dosage du taux de carboxyhémoglo-
Les alcanes tels que le butane et le propane sont des bine, une intoxication éthylique par dosage de l’alcoolémie
hydrocarbures aliphatiques de bas poids moléculaire classés ou l’association d’une intoxication médicamenteuse. Dans
parmi les gaz inertes et donc responsable d’une hypoxie par les deux cas rapportés, la disparition rapide des troubles
remplacement d’oxygène dans l’air ambiant, conduisant le neurologiques dès la soustraction de l’atmosphère toxique
malade à respirer dans une ambiance hypoxique [3,8]. Ceci écarte l’intoxication éthylique ou médicamenteuse associée,
peut expliquer l’amélioration des troubles neurologiques ob- et le dosage du taux de carboxyhémoglobine à l’admission
servés dès la soustraction de la victime de l’atmosphère avait permis d’exclure une intoxication au monoxyde de
toxique comme cela fut le cas pour nos deux malades. carbone.
Certains auteurs ont évoqué un effet toxique direct du Sur le plan thérapeutique, en l’absence de traitement spé-
butane sur des organes notamment le myocarde [7,9] et le cifique, le traitement est essentiellement symptomatique et
cerveau [8,10] et les ont considérés parmi les gaz toxiques vise à corriger l’hypoxie par administration d’oxygène et à
non irritants. prévenir l’installation d’une insuffisance rénale par une réhy-
Sur le plan physiopathologique, toute diminution de la dratation avec contrôle du pH urinaire et administration de
concentration en acide adénosine triphosphate (ATP) dans la bicarbonates en cas d’acidurie dans le but d’empêcher la
cellule musculaire striée, due à un défaut de production ou stagnation de myoglobine au niveau des tubules rénaux [1].
d’utilisation d’ATP, peut conduire à une rhabdomyolyse [11]. Dans tous les cas, le débit de perfusion visera à corriger
Quand il s’agit d’une origine ischémique, les lésions de la rapidement l’hypovolémie et à obtenir une diurèse alcaline
cellule musculaire apparaissent principalement au moment (pHu > 6,5) supérieure à 2 ml/kg par heure.
du rétablissement de débit sanguin : l’arrivée de l’oxygène au
niveau de la cellule musculaire squelettique ischémique
conduit alors à une production importante de radicaux libres 4. Conclusion
de l’oxygène et donc à une augmentation de leurs effets
délétères avec une inhibition de la chaîne respiratoire mito- La survenue d’une rhabdomyolyse au cours de toute in-
chondriale [12]. Dans les deux cas rapportés, nous n’avons toxication au butane doit être détectée précocement et traitée
pas noté d’ascension des CPK dans les jours qui ont suivi de façon intensive pour éviter les complications. La fré-
l’admission et dans l’observation 2, aucun signe clinique de quence de survenue de cette complication est méconnue et
syndrome des loges n’avait été observé. certainement sous estimée, le dosage des CPK devrait être
D’un autre côté, l’immobilisation prolongé au cours du systématique devant toute intoxication au butane.
coma ou d’interventions chirurgicales prolongées a été rap-
porté par plusieurs auteurs comme facteurs favorisant la
survenue de la rhabdomyolyse [13,14]. Chez le premier pa- Références
tient, les signes cliniques prédominaient du côté droit suggé-
[1] Adnet P, Forget A, Halle I, Boittiaux P. Rhabdomyolyses. In: Con-
rant un rôle aggravant de la posture (décubitus latéral droit férences d’actualisation. Sfar, editor. 39e Congrès national d’anes-
pendant une durée de 12 heures) mais pas suffisant puisqu’ils thésie et de réanimation. Paris: Elsevier; 1997. p. 366–79.
n’ont pas été retrouvés dans le deuxième cas. En plus le taux [2] Boles J, Garo B, Garre M. Rhabdomyolyses non traumatiques: étude
de CPK était moins élevé chez le premier patient (3340 UI/l prospective de 100 cas en 3 ans. Réanim Soins intens Med Urg
par rapport à 37 450 UI/l) malgré la période relativement 1988;4:9–15.
[3] Frangides CY, Tzortzatos GV, Koulouras V, Pneumatikos IA. Acute
longue de décubitus par rapport au second (12 heures par massive rhabdomyolysis due to prolonged inhalation of liquid gas.
rapport à 5 heures). Cette différence pourrait être expliquée Eur J Emerg Med 2003;10:44–6.
par l’âge du deuxième patient si on suppose une fragilisation [4] Betrosian RA, Palamarou CA. Rhabdomyolysis and suicidal hydro-
des fibres musculaires liée à l’âge. carbon inhalation. Ann Emerg Med 1997;29:301–2.
Dans les cas rapportés, il semble que l’hypoxie induite par [5] Berlango Jimenez A, Jimenez Murillo L. Rhabdomyolysis as a com-
plication of carbon monoxide poisoning. Ann Med Intern 1999;16:
l’inhalation de butane associée aux effets de la compression 109.
posturale et l’immobilisation prolongée lors du coma ont [6] Sangur M, Guven M. Rhabdomyolysis due to carbon monoxide poi-
favorisé la survenue de la rhabdomyolyse aiguë. Un effet soning. Clin Nephrol 2001;55:336–7.
M. Khatouf et al. / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 1080–1083 1083

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