Intelligence Artificielle / Décryptage
Réinventer les RH de demain
avec l’intelligence artificielle
La notion d’intelligence artificielle
n’est pas nouvelle. Dans les années
50 déjà, le mathématicien Alan
Turing abordait la question d’une
conscience des machines. On en
retient le test de Turing qui permet
de qualifier ou non une machine de
“consciente”. 70 ans plus tard, l’IA
est devenue omniprésente et prend
fonction dans chaque industrie. Le
domaine des ressources humaines
n’échappe pas au phénomène et
fait face à une série de questions
d’ordre à la fois éthique et orga-
nisationnel. Quel est le champ de
possibles de l’IA dans les RH, quels
en sont les impacts sur le modèle
RH des entreprises et enfin, com-
ment accompagner le changement
en interne ? Voici ce qu’il faut rete-
nir des deux tables rondes organi-
Olivier DEVIN
Partner Conseil RH,
SOPRA STERIA CONSULTING
P.22 | JUILLET 2019 | N°74 LA REVUE RH&M
sées lors du Congrès Global RH le
27 mars 2019.
IA et RH, pour quoi faire et
comment l’implémenter ?
Intégrer l’IA dans les processus RH
présente de nombreux avantages
et permet une limitation des coûts,
mais son utilisation ne doit pas
être anecdotique et doit prendre en
compte les objectifs de l’entreprise.
Son intégration dans les activités
des ressources humaines s’inscrit
dans une démarche globale de
transformation de la structure.
Qu’il s’agisse d’améliorer l’engage-
ment des collaborateurs, recruter
des talents, favoriser la mobilité,
faciliter les processus de paie, il
est essentiel de définir les résul-
tats attendus. Par ailleurs, qui dit
nouvelles technologies dit délai de
compréhension et d’adoption. Les
experts RH n’échappent pas à cette
réalité, qui implique de démystifier
ces innovations par la communica-
tion et de légitimer la valeur de l’IA
dans le quotidien des fonctions RH
par une approche pédagogique.
Cela peut être favorisé par la mise
en contact des collaborateurs avec
d’autres écosystèmes qui en ont
déjà une utilisation vertueuse.
Pour engager les collaborateurs
dans la mise en place d’outils qui
utilisent l’IA, l’entreprise doit
adopter une approche « test and
learn » qui permettra de faire la
démonstration des bénéfices de
ces technologies dans leur travail
au quotidien.
Faciliter la mobilité et
la gestion des talents
La mobilité figure parmi les nom-
breux sujets RH qui bénéficient
d’une nouvelle avancée grâce à
l’IA. La gestion des talents est
ainsi personnalisée : elle prend en
compte la singularité des profils
pour construire des parcours dans
la continuité de leurs aspirations
professionnelles et personnelles.
Cette approche individualisée
implique une appréciation plus
fine des besoins de développe-
ment pour les salariés et implique
de raisonner en termes de compé-
tences, ce qui est aujourd’hui de
plus en plus approprié. Pour l’en-
treprise, l’implication de l’IA pré-
sente un intérêt particulier dans le
domaine de la gestion des données
de carrière. Elle rend désormais
possible le traitement de données
complexes et évolutives comme les
niveaux de compétences, les for-
mations, les descriptifs de postes,
afin d’identifier de potentiels can-
didats à la mobilité. Bénédicte De
Raphelis Soissan, CEO et Fonda-
trice de Clustree, précise : « Si on
raisonne en termes d’équation glo-
bale et que l’on parvient à identi-
fier correctement les compétences,
il sera possible de résoudre des
problèmes de pénurie de postes
ouverts sur de longues périodes
qui coûtent de l’argent à l’entre-
prise. L’IA permet d’améliorer la
planification stratégique des effec-
tifs, puisqu’elle permet d’identi-
fier, sur des périodes de 3 à 5 ans,
les postes qui ne pourront pas être
pourvus faute de compétences
existantes. Nous devons adopter
un raisonnement global sur la
mobilité, la carrière ou encore la
rétention des profils les plus stra-
tégiques »
La gestion de carrière, une
responsabilité partagée
Rendre les employés et managers
parties prenantes de leur vie pro-
fessionnelle est un sujet phare
de la prospective RH. Dévelop-
per cette aptitude constitue une
responsabilité sociale de l’entre-
prise : les postes et les carrières ne
s’abordent plus en silo, mais bien
par le prisme de l’évolution des
compétences. Avec la possibilité
de mettre le salarié au centre de
sa gestion de carrière, l’IA offre
à ce dernier un accès à la totalité
de ses données. Ce panorama lui
permet de piloter son évolution
tout au long de l’année, indépen-
damment du système d’évaluation
de l’entreprise. Ce nouveau para-
digme de gestion d’évolution de
carrière ne doit pas laisser l’em-
ployé seul acteur de son avenir
professionnel. Les RH doivent
guider les collaborateurs afin que
leurs ambitions rencontrent les
besoins réels de l’entreprise. Olga
Damiron, DRH Connected Home
Business de Technicolor précise :
« Les salariés peuvent avoir des
idées et envies pour leur carrière,
mais elles ne correspondront pas
forcément aux objectifs de l’en-
treprise. Le risque est de générer
des frustrations ». Cette réalité
implique une véritable évolution
du rôle des managers, qui auront
pour responsabilité de faire
grandir les membres de l’équipe
au-delà des objectifs de perfor-
mance. Dans ce cadre, le mana-
ger peut accéder au portfolio des
compétences, atouts et faiblesses
de ses équipes, et mettre en place
les mesures adéquates auprès des
collaborateurs.
Quelle place pour l’humain
face à l’intelligence
artificielle ?
L’IA dans le domaine des res-
“ Pour le domaine des RH, les intitulés
de postes perdent leur sens au profit de
carrières évolutives et non linéaires. Pour
les collaborateurs, les notions de formation
continue et d’employabilité deviennent des
enjeux clés. ”
sources humaines produit des notamment quand certains mana-
recommandations et laisse à gers évaluent plus durement que
l’homme la responsabilité des d’autres à compétences égales.
décisions finales. Elle permet par
exemple la recherche préalable Pour aller plus loin
de compétences en interne, mais L’ensemble des métiers de
il sera possible d’envisager une demain sera touché par l’IA et les
mobilité, un recrutement ou un nouvelles technologies. Pour le
recours à des freelances. L’entre- domaine des RH, les intitulés de
prise pourra également gérer ses postes perdent leur sens au pro-
besoins en compétences futures en fit de carrières évolutives et non
fonction de sa stratégie. L’IA reste linéaires. Pour les collaborateurs,
cependant une suite d’algorithmes les notions de formation continue
programmée par l’homme et peut et d’employabilité deviennent des
porter les biais de ses concepteurs. enjeux clés. L’IA implique une
Les résultats obtenus grâce à l’IA situation de test et d’apprentis-
sont la conséquence directe de sage permanent, sollicitant l'agi-
la façon dont il a été programmé lité de l’ensemble de l’entreprise.
et entraîné : même en dehors de La question de l’éthique autour
toute volonté de jugement, des du traitement des données RH
résultats de recherches peuvent reste un sujet majeur de préoc-
se révéler discriminants. Il est du cupation pour les responsables
rôle des ressources humaines de RH, car ce sont eux qui portent
veiller à ce que les outils soient la responsabilité du paramétrage
aveugles à certains biais, comme de l’IA. Sur cette problématique
l’âge ou le genre, et se basent sur repose un double enjeu du côté
un volume important de données. des gestionnaires des ressources
Cependant, même s’il est possible humaines dont le rôle évolue. Il
de limiter les appréciations de est désormais à la fois question
l’IA, il n’en reste pas moins que d’assurer la transparence dans la
l’homme porte lui aussi son lot gestion de bases de données et de
de subjectivités. Lors des évalua- faire un choix d’utilisation de l’IA
tions de compétences notamment, pertinent qui prenne en compte
il est encore aujourd’hui difficile la culture et les valeurs de l’en-
de cadrer des écarts de notations, treprise.
LA REVUE RH&M N°74 | JUILLET 2019 | P.23