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Séminaire

« Le plaisir »

René LEFEVRE

2012
Rennes 1

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Option Philosophie pratique L2 S1 René Lefebvre

Le plaisir

Dans la philosophie antique, on peut avoir affaire à quatre courants :


- Hédonisme : (on le fait venir avec réserve de l’épicurisme, et avec plus de force des
cyrénaïques (fondée par Aristippe de Cyrène)) Cette filiation n’est pas sans importance,
le premier Aristippe est censément socratique, donc semble plutôt discuter les doctrines
socratiques, tandis que son petit fils, le second Aristippe, côtoie Epicure, et est dit avoir
systématisé la pensée cyrénaïque. Ils sont vraiment dans la recherche des sensations
fortes, multiples qu’ils considèrent comme des sensations propres, ils conceptualisent le
plaisir comme quelque chose de positif et sans référence à la fin ultime : le bonheur, qui
serait différent du plaisir. Ils sont hédonistes sans être eudémonistes.
- Epicurisme : le souverain bien est le plaisir. Toutefois la tradition est rigide, il n’y a
presque aucune variation dans le temps des doctrines. Ce qui distingue les épicuriens
des hédonistes, c’est la façon dont ils caractérisent le plaisir, en négatif : absence de
douleur et de troubles.
- Aristotélisme : Dans EN, il a consacré 2 dissertations au plaisir. Livre VII plaisir et acrasie,
et Livre X plaisir.
- Platonisme : considérations critiques sévères à l’égard du plaisir et de l’hédonisme
(Philèbe) qu’il oppose à la vie de pensée. Les deux orientations y sont rejetées comme
présentant le même défaut : l’unilatéralisme. Toutefois le choix du plaisir est considéré
comme moindre mais intégré de plein droit dans la vie bonne. De même dans le Phédon
est rejeté tout ce qu’il y a de corporel dans la vie. Dans le Gorgias aussi, l’hédonisme est
critiqué. Dans le Protagoras, il développe une doctrine qui semble étrangement
hédoniste.

Comment comprendre le plaisir dans sa multitude ? Le plaisir est-il bon, mauvais, faut-il le rejeter en
bloc, y trouver des nuances ?
Peut-il y avoir des quantités différentes et précises du plaisir ? S’il y a lieu, peut-on avoir des
conduites de calcul à son égard (Bentham).
Plaisir et sensation.
Plaisir et désir.
Valeur du plaisir.

I- La diversité du plaisir

Sucer son pouce, manger un carré de chocolat // assister à une représentation de théâtre. Ce qui
semble apparaitre c’est la différence de complexité entre diverses expériences et divers objets. Il
faudrait savoir si cette distinction simple/complexe peut se transposer effectivement dans le plaisir
même.
Dans la diversité des expériences plaisantes et des plaisirs, un élément de différenciation peut se
faire jour entre ce qui est plutôt physique et ce qui est plutôt psychique. En première approche, les
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deux premiers exemples sont corporels, mais il faut se ranger à admettre que des conduites
psychiques sont aussi en branle. En sens inverse, on pourrait dire pour le théâtre qu’il requiert une
culture intellectuelle, donc un plaisir psychique, mais la musique est physique.
Qu’en est-il de la différence quantitative entre manger 1 carreau de chocolat et 2 carreaux de
chocolat !? Peut-être le plaisir est-il quantifiable, donc est-il susceptible d’être exprimé en langage
mathématique. Quels sont ces aspects ? Le nombre, la durée, l’intensité, la qualité du matériau qui
déclenche le plaisir. Dans une pièce de théâtre, tous les moments ne sont pas égaux.
Si le plaisir est quelque chose qui donne de la valeur à la vie, alors on pourrait présupposer que la vie
elle-même a de la valeur. On serait assez vite dans l’idée que la valeur de la vie est proportionnelle
au taux de plaisir dedans. Principalement dans les pays de langue anglaise, une philosophie s’est
développée qui accorde beaucoup de valeur au plaisir, qui ont le projet de comparer des quantités
de plaisir attendues selon telle ou telle conduite. Ces philosophes préconisent de choisir les options
comportementales qui maximisent le plaisir. Le fondateur de ce mouvement est Jeremy Bentham
(1748-1832) qui a écrit The principles of Morals and Legislation (1781). On connait plus John Stuart
Mill en France.
On trouve chez Bentham une liste des plaisirs. Ch5 Principles où on trouve les plaisirs simples :
sensoriels, liés à la richesse, liés à l’habileté, de l’amitié, liés au fait de porter un nom, exercice des
pouvoirs, piété, exercice de la bienveillance, malveillance, mémoire, imagination, attente, associés
(jeux de hasard, association d’avoir de la chance au jeu de hasard et de la perspective du gain), et
enfin le plaisir de se détendre.
Soit on peut arriver à faire mieux, soit la diversité du plaisir est irréductible et il est vain d’en
produire une typologie.
A propos de la quantification, le projet se heurte à des difficultés : on peut se demander s’il y a
vraiment une commensurabilité entre elles (nombre, durée, intensité). Sachant que toute expérience
de plaisir présente les 3 aspects, comment peut-on se prononcer à terme sur celle qui présente le
plus de plaisir ? Autre difficulté : peut-on mettre sur le même plan le plaisir pris à aller au théâtre et
celui pris à manger du chocolat. On peut supposer de la valeur différente et hiérarchisée de ces deux
exemples.
S’il y avait des plaisirs à hiérarchiser, cela poserait déjà problème quant à la pure quantification, sauf
à admettre une convertibilité entre eux. Chez Bentham, il y a refus de prendre en considération une
différence de valeur entre les plaisirs due à la différence qualitative. Il garde Intensité, durée,
certitude, distance dans le temps. Mill écrit « il est tout a fait compatible avec ce principe d’utilité de
reconnaitre le fait que certaines espèces de plaisir sont plus désirables et plus précieuses que
d’autres alors que lorsqu’on évalue toutes les autres choses, on évalue la qualité et la quantité, il
serait absurde que pour les plaisirs l’estimation soit censée ne dépendre que de la quantité. »
Admettons que Mill ait raison et que certaines espèces de plaisir l’emportent de façon intrinsèque.
Qui serait alors fondé à dire qu’une expérience plaisante est supérieure à une autre, sur quels
critères ? De même, on ne peut plus non plus faire intervenir les processus de la quantification Le
programme de calcul comparatif utilitariste est-il encore capable d’être mis en œuvre.

Pour en terminer sur la question de la diversité, on oppose couramment le cadre du travail


au loisir, l’effort et le repos, la recherche et de la possession. Si on identifie au moins cette bipolarité
là, on se heurte alors effectivement à l’idée qu’il y a quelque chose de très différent sous ce qu’on a
l’habitude de recouvrir du même terme.

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A propos de la quantification des plaisirs, il y a une dimension dont on peut se demander si elle peut
entrer ou non dans la détermination quantitative du plaisir : la distance temporelle. Un plaisir
attendu peut se trouver à une distance temporelle d (proche) du moment présent, ou bien à d+n
(plus lointaine). La question est de savoir si le premier plaisir a plus de valeur que le second.
De fait on juge très souvent que c’est le cas. Exemple : une cigarette permet un plaisir immédiat,
alors que la perspective de ne pas avoir de maladies liées au tabac plus tard est un plaisir lointain.
Autre exemple : on pourrait se dire que dans cette manière de procéder, il y a une part de rationalité
dans ce calcul liée à la proximité temporelle de l’expérience plaisante et sa certitude.

Il faut toutefois objecter à ces arguments que la distance qui sépare T1 et T2 n’a pas d’incidence sur
la nature intrinsèque de l’événement vécu en T2. La distance ne devrait donc pas être prise en
compte dans la quantification du plaisir. Reste à savoir pourquoi nous avons fortement tendance à
privilégier le plaisir situé dans un futur immédiat, s’il n’y a pas de différence dans la qualité ; au delà
du fait qu’un plaisir dans un futur immédiat se réalise sans doute plus facilement qu’un plaisir
lointain.

Existant comme nous existons, nous n’avons pas le « point de vue de nulle part » (non situé dans le
temps ni dans l’espace ?), cf. Thomas Nagel. Nous le pouvons avec efforts, mais ce n’est pas notre
démarche naturelle. Nous n’englobons pas immédiatement sous un même regarde ce qui se passe à
l’instant T1 et à l’instant T2 de façon équidistante.
Cette représentation, à certains égards est de nature à appréhender les propriétés en quelque sorte
objectives d’un plaisir en l’enlevant de notre rapport particulier au présent. Présent qu’on peut
définir comme la « coprésence du sujet et de l’objet ». De même, l’étymologie de présent vient de
prae (qui se présente, qui est là) ens (part.prés. ese, être). D’un certain point de vue, nous ne
confondons pas le passé et le futur avec le fictif. On dira que ce qui est passé ou futur « n’est
plus//pas encore ».
Le travail pour expliquer un plaisir immédiat engage toute la question de notre relation au temps.
On retrouve quelque chose de similaire chez Platon, Protagoras, 356c, qui fait la comparaison entre
la distance au sens strict, donc spatial, et la distance au sens élargi, pour traiter de ce qui est
temporel. La distance dans l’espace génère une illusion de la perception puisque ce qui se trouve
plus éloigné dans l’espace nous apparait plus petit et ce qui est plus proche nous semble plus grand.
Il aborde avec cette remarque ce qui se passe pour nous dans le temps, qu’il dit analogue aux
illusions de la perception, relativement au plaisir.
Il faut mettre en place des procédés pour redresser nos jugements perceptifs (se rapprocher,
prendre des mesures, etc.). Platon dit qu’il faut faire de même avec les plaisirs, les mesurer.
Selon Bentham, la distance est un facteur valable et séparé de la certitude. Chez Platon, la
quantification des plaisirs requiert une technique qui neutralise les effets de cette distance.
Sur les rapports de Platon et l’utilitarisme, c’est le philosophe ancien que lisait attentivement John
Stuart Mill.

Les facteurs d’évaluation chez Bentham sont en ordre


1) L’intensité
2) La durée
3) La certitude/l’incertitude
4) La proximité/l’éloignement
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5) La fécondité (probabilité qu’un plaisir soit suivi d’autres)
6) La pureté (probabilité plus ou moins grande qu’un plaisir ne soit pas suivi de déplaisir)
7) La portée (le nombre de personnes auquel le plaisir s’étend)

Ch. IV Principles of Morals and Legislation, plaisir et évitement des peines sont des fins, plaisirs et
peines sont des instruments (ils servent aussi dans le cadre de la rétribution légale). Il faut toutefois
distinguer le plaisir ou la peine de l’expérience globale dont ils sont une partie (plaisir ou
peine//conséquences).
Ce qui la rend si intéressante, c’est qu’elle peut proposer un programme de décision collective. Ce
qui la rend si impossible c’est sa mise en œuvre, et sa définition même de la valeur du plaisir. Est-ce
qu’on pourrait sacrifier une partie de la population pour « le plus grand bonheur du plus grand
nombre » ? Qu’une décision fasse des heureux et des malheureux est inévitable, mais quelle
compensation pour les malheureux, si compensation il y a. Exemple : imposer le don d’organes
obligatoire parce que cela maximiserait le plaisir général. Cela serait totalement antilibéral (au sens
de libéralisme politique, doctrine qui accorde pleine valeur à la liberté individuelle).

L’introduction par Bentham du critère de la portée permet de distinguer deux approches : égoïste ou
pas.
- L’approche égoïste : je considère mon plaisir et déplaisir, et j’apprécie les conduites
futures en fonction du plaisir qu’elles sont susceptibles de ME procurer. C’est ce qu’on
trouve au cœur de l’épicurisme. Cette attitude est première dans la façon d’aborder les
plaisirs.
- L’autre approche, qui n’est pas égoïste : on peut la théoriser si on pose que le plaisir est
une valeur en soi, indépendamment de la question de qui l’éprouve. On peut refuser
cette coupure entre moi et les autres en tentant simplement de maximiser le plaisir
global. On peut représenter en différents cercles concentriques l’ensemble des autres
qui importent dans la prise en compte du plaisir global.
Le cercle des proches, qui est très peu différent de moi
Le cercle politique, des concitoyens
Le cercle de l’humanité
Et puis en petits caractères, le cercle du vivant qui fait preuve de sensibilité. Les bêtes diffèrent des
hommes par l’absence de raison mais s’en rapprochent par leur capacité à ressentir du plaisir et de la
douleur, ce qui pourrait amener à conclure qu’elles ont des intérêts.

Tables des sources de l’action, où l’on trouve « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre », et
une autre formule qui ne provient pas de la source citée plus haut : « chacun compte pour un ». On
refuse le point de vue égoïste, il n’y a pas un individu dont le sort serait plus important. Autre
aspect : on transforme les individus en données arithmétiques.

Il est plutôt compliqué de prendre en compte la pureté et surtout la portée à propos d’une décision
politique dans une société utilitariste. Parler de communauté est peut être un peu maladroit, sachant
qu’on considère plutôt un point de vue atomiste par rapport aux membres de la société.
Un calcul inspiré par l’utilitarisme nécessiterait une instance particulière de calcul, qui doit prendre
en compte, à l’échelle de l’humanité, le bonheur des personnes présentes et futures, et appliquer
des décisions politiques. Une telle instance n’est pas trouvée… gg
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« Le plus grand bonheur du plus grand nombre » est conceptualisable au niveau de l’état.
Les animaux, pour AR, n’ont pas le rapport réflexif au bonheur, que l’on peut trouver dans le « eu- »
de « eudaimonia » ; mais les utilitaristes, utilisant assez indifféremment plaisir et bonheur, seraient
sans doute moins choqué

Le passage de l’égoïsme à l’universalisme de va pas de soi : la recherche du plaisir pour soi même se
passe de raison. Mon plaisir constitue de fait pour moi un mobile spontané. On n’est pas du tout
dans la même situation quand on envisage le rapport à la maxime universaliste : je ne me sens pas
spontanément concerné par le plaisir des autres en général.
Du coup, pour pouvoir imaginer qu’un individu fasse sienne la maxime universaliste, il a besoin d’une
raison. Trouver la source de ce renversement est assez difficile. On se heurte à un problème si on
tente de la trouver dans l’hédonisme égoïste. Mon plaisir compte de fait pour moi comme une
valeur, la recherche de mon plaisir s’institue comme norme de mon comportement.
Ce problème se rattache à un problème plus vaste d’un passage d’un hédonisme à un autre : constat
d’un état de fait / affirmation d’une valeur et d‘une norme. Le premier est un hédonisme
psychologique est une constatation théorique du fait que nous recherchions le plaisir comme un
principe universel de motivation. Les anciens soulignaient que déjà chez les tout petits et chez les
bêtes, le plaisir était mobile premier. Ce n’est pas ce qu’on appelle l’hédonisme éthique, qui lui, pose
que en effet, le plaisir a de la valeur. Cela l’établit donc comme norme et comme chose à rechercher.
Il n’est pas dit qu’on puisse déduire un « ought » d’un « is ».

La douleur occupe une place dans le calcul de l’utilité. Elle est le souverain mal. En première
approche, elle se présente comme l’opposé du plaisir :
- Le plaisir se présente comme un oui, une sorte d’approbation sans jugement, tandis que
la douleur se présenterait comme une forme de non.
- D’un point de vue dynamique, on voit que le plaisir et la douleur vont induire des
mouvements de polarité opposée ; le plaisir poussera à rechercher l’objet qui le procure
(désir d’objet) et la douleur va pousser à fuir l’objet qui la procure.
- Sans entrer dans la « psychologie des profondeurs », les rapports entre plaisir et douleur
apparaissent beaucoup plus complexes : certains plaisirs peuvent être poussés jusqu’à la
douleur, la douleur ne serait pas une opposition tranchée. Certaines douleurs peuvent
être source de plaisir, rapport de connivence. Il y a des expériences qui sont des mixtes :
expérience du spectacle tragique. On peut se demander s’il n’y a pas même dans tout
plaisir, une certaine douleur : le plaisir est d’abord désir du plaisir, et donc contemplation
de l’objet de plaisir hors de sa portée : manque, sentiment de manque, douleur, volonté
de combler ce manque. On en arrive à l’idée que la douleur est originelle dans le plaisir.
On peut même penser que la condition de la continuation du plaisir est le désir. Il ne peut
pas y avoir de plaisir sans la continuation du sentiment douloureux du manque.

Typologie des plaisirs mêlés chez Platon : dans le Philèbe, il distingue 3 groupes au sein de cet
ensemble
- Plaisirs corporels mêlés : avoir froid et se réchauffer, se gratter quand on a la gale, jouir à en
mourir.
- Plaisirs psychiques mêlés : il mentionne la colère, la peur, le regret, les chants de deuil,
l’amour, l’envie, la jalousie.
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- plaisirs dans lesquels le psychique et le corporel s’opposent : souffrir physiquement du
manque et avoir l’espoir psychologique de la jouissance ; plaisir de l’anticipation.

Si on envisage d’intégrer dans un même calcul la prise en considération des chances de plaisir et de
déplaisir (pureté), eh bien cela pose le problème de la commensurabilité ou non des plaisirs et des
douleurs. On pourrait utiliser des valeurs négatives, mais évidemment c’est trop schématique, et
cela minimise le rôle et la différence entre l’expérience du plaisir et de la douleur.

III. Question des rapports entre plaisir et sensation

Y a-t-il une vérité ou une fausseté des plaisirs ? Est-ce une variation pertinente ?
On peut dire que l’on « ressent un plaisir ou une douleur ». On peut imaginer lier plaisir et sensation,
mais la sensation est plutôt extravertie, tandis que le plaisir est intraverti.
Dans le cas de la sensation, le cerveau utilise un ou plusieurs des 5 sens pour se procurer de
l’information sur l’environnement proche présent.
Le plaisir est plutôt introverti en ceci que ressentir un plaisir ou prendre plaisir, c’est se sentir soi
même, avoir conscience d’un état personnel.

Cette distinction n’est pas totalement satisfaisante : du côté de la sensation, il n’est pas absolument
certain que toute sensation soit tournée vers l’extérieur, en effet on a parfois recours à une notion
qui suggère que ce qui va être ressenti est quelque chose d’interne (=sens interne). Au-delà de la
question même du sens interne, il faut dire qu’une sensation quelle qu’elle soit nous informe aussi
sur nous même.
L’expérience des plaisirs ne se présente pas comme purement introvertie. C’est certainement une
manière de se ressentir soi même, quand est-ce que nous avons ce ressenti qui est nôtre ?
Généralement dans le cadre d’une activité qui nous permet d’établir une relation plus ou moins
active à autre chose.

Assez souvent, au niveau le plus élémentaire, nous avons une perception, au niveau supérieur, une
sensation de plaisir s’adjoint, on goûte un plat, puis le goût même suscite du plaisir.
Si on adopte cette solution là, on a deux ressentis. On peut aussi le prendre, pour simplifier, comme
un aspect d’une expérience sensorielle, ou donc une qualité du contenu sensoriel.

L’idée c’est que les choses ne se présentent pas toujours comme ça, ce n’est pas toujours à une
sensation qu’un plaisir vient s’ajouter. Parce qu’il y a aussi des plaisirs intellectuels (Platon, Rep.)
quand on travaille à résoudre une expérience théorique, il n’y a pas de ressenti primaire. Dans ce cas,
pourrait-il y avoir du plaisir qui ne soit pas du ressenti ?
La durée et la répétition affecte l’expérience du plaisir plus que la simple expérience sensorielle.
Dans l’ensemble, si je fixe un objet, la sensation dure sans changement majeur, la durée de
l’expérience ne change pas son contenu. Il y a une sorte d’indépendance entre sensation et temps.
La durée de l’expérience, pour le plaisir, est amenée à modifier en profondeur l’intensité et la qualité
du plaisir. Il n’est pas certain que prendre plaisir à une certaine expérience une fois garantisse d’en

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retirer encore une seconde fois. L’expérience du plaisir est beaucoup plus tributaire du reste du vécu
qui est le nôtre.
La sensation au sens strict est plus attachée au temps présent que l’expérience du plaisir. Si on
clarifie ce qu’est une sensation : quelque chose qui requiert la coprésence du sujet et de l’objet.
On dit que la sensation est une représentation « in praesentia », et que l’imagination ou la mémoire
est une représentation « in absentia ».
Pour AR, il s’agit de mémoire à proprement parler quand on a une représentation du temps qui
sépare la rencontre première de l’objet et maintenant.
Dans la sensation, un ressenti de plaisir est présent. Mais je peux prendre du plaisir à quelque chose
de passé (cf. nostalgie etc.) ou d’a venir (anticipation). L’expérience du plaisir est toujours présente
mais son objet intentionnel peut très bien ne pas l’être.
Dans les plaisirs anticipés, il n’y a pas de désir du corps, mais c’est une attitude psychique. On se rend
bien compte que le corps de l’objet intentionnel n’est pas là. On veut rencontrer quelque chose
comme un objet de mémoire, donc associé à des sensations.

Légitimons le couple « vrai/faux » à propos des plaisirs : imaginons l’attente d’un plaisir qui ne se
réalisera pas.
Dorothée Frede, commentatrice de Platon, a proposé une typologie de ce que Platon considère
comme des plaisirs faux. Exemple de Perette et le Pot au Lait, chez Lafontaine. Elle pense aux petites
choses qu’elle pourra acheter avec l’argent du lait, et des choses qu’elle pourra acheter en revendant
les petites choses… jusqu’à ce qu’elle casse le pot. Platon introduit des justifications techniques assez
lourdes pour justifier cette qualification de fausseté.

J’ai froid ici, ou bien, je ressens le froid de cette pièce, ou bien, il fait froid dans cette pièce. De tels
énoncés traduisent l’idée que quelque chose est le cas dans la pièce, mais inégalement, et que mes
perceptions m’informent sur ce qui est le cas. Est-ce qu’on va parler de vérité ou de fausseté dans les
sensations. Un certain nombre de philosophes répugnent à introduire la distinction entre vrai et faux
dans les sensations mêmes, ils diront que les sensations nous informent bien ou mal, mais en toute
rigueur c’est plutôt à une proposition qu’on attribue une valeur de vérité. (Un jugement c’est lier un
prédicat à un sujet.) (Une assertion est soit affirmative soit négative). Le vrai et le faux n’apparaissent
pour eux que lorsque l’on mène une action judicative relativement à nos percepts.
Pour Epicure, toute sensation est vraie.
Il y a donc comme un contenu plus ou moins objectif relatif à la représentation sensorielle, plus ou
moins conforme au réel. S’agissant du ressenti de plaisir, les choses ne doivent pas forcément se
présenter dans les mêmes termes. La sensation de toute évidence comporte aussi une dimension
subjective en ce qu’elle est quelque chose qui arrive au sujet.
Dans le percept il y aurait ce qui vient de l’objet et ce qui vient du sujet, il y aurait un certain type de
réaction qui se produit, qui est le percept même. Beau relativisme.
Quand on perçoit alors qu’il n’y a rien à percevoir, on peut parler de fausseté. Les membres fantômes
chez les amputés, par exemple.

La distinction moderne entre qualités premières et secondes. Cf. Démocrite (les corps sont constitués
d’atomes, qui ont un très petit nombre de qualités premières : taille et forme) les qualités premières
sont ce qui appartient réellement aux objets telles qu’elles permettent une ressemblance entre

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l’objet et sa représentation chez un sujet. Les qualités secondes sont ce qui arrive au sujet sans lien
avec l’objet. Le froid de la pièce n’a rien de semblable avec que je décris quand je dis que j’ai froid.
La représentation sensorielle n’est pas à la ressemblance de ce qui appartient réellement à l’objet.
Il n’y a pas de rapport de ressemblance entre l’agitation moléculaire (fait) et l’impression de chaleur
(perception).
Puisque les sensations ne sont pas à la ressemblance de l’objet, ce que nous constatons c’est qu’un
sujet quel qu’il soit met beaucoup de lui-même dans la sensation.

Certains énoncés par lesquels on rend compte du plaisir peuvent être analogues sur certains points
aux énoncés par lesquels on rend compte de sensations. De même qu’une sensation renseigne plus
ou moins bien sur une réalité plus ou moins indépendante, un ressenti de plaisir renseigne plus ou
moins bien sur une réalité plus ou moins indépendante. On pourrait donc considérer qu’il existe
quelque chose comme la vérité du plaisir.
Ceci ne colle pas du tout avec la conception intuitive du plaisir.
On ne pense pas directement que le plaisir se réduit à un strict ressenti, de sorte que s’il y a un
ressenti de plaisir, cela suffirait à faire qu’il y ait réellement du plaisir sans ensuite qu’il y ait matière
le moins du monde à faire intervenir une distinction entre des plaisirs vrais et faux. Selon cette
conception, le plaisir n’est pas autre chose que le ressenti. (Alors que la taille de l’objet est en portée
autre chose que l’impression de taille ?)

Bernard Williams, dans Pleasure and Belief, remonte à des doctrines platoniciennes pour établir une
nouvelle conception du plaisir. Il invoque les plaisirs vrais et faux. A quoi bon ?
Petite distinction conceptuelle : le couple réel/vrai. Chez Platon il n’est pas totalement différentié. Le
vrai peut être utilisé au niveau des pensées et du langage qui les formulent. Le réel se base sur du
factuel pur.
On peut faire la supposition que plaisirs vrais et faux sont des concepts utilisés pour embarrasser les
hédonistes (Protarque et Philèbe) dans le Philèbe. Si il y a des plaisirs vrais et faux, certains sont
défectueux, donc il n’est plus possible de dire que le plaisir pris en général est bon.
Protarque rejette absolument la notion de plaisirs faux ; Socrate explique cela par l’attachement de
Protarque aux plaisirs. Socrate s’oppose à la définition du plaisir comme souverain bien, qu’il désigne
être au début comme la pensée. Toutefois, comme dans la Rép VI, cette conception du summum
bonum comme pensée est unilatérale. Socrate s’oriente vers un éloge de la vie mixte : plaisir et
pensée ftw. De sorte que l’adversaire de Socrate dans le Philèbe n’est pas l’hédonisme mais
l’unilatéralisme éthique. Le Philèbe n’est donc pas une simple critique de l’hédonisme car le Gorgias
le fait déjà.
Dans ce dernier texte on voit une ambivalence des vertus : plaisirs liés à la vertu et liés aux vices, et il
y a une mise en évidence des plaisirs « laids ». Le Protagoras permet de mettre en évidence que
certaines actions plaisantes pourraient être mauvaises, sur le plan conséquentiel (« pureté » chez
Bentham).
L’addition de vrai et de faux aux plaisirs, dans le Philèbe, sert sans doute à dégager tout bonnement
des plaisirs valables. Socrate essaie de dégager ce qu’il y a de meilleur et de plus pur dans la pensée
mais aussi dans le plaisir. En Rep IX, Platon cherche à montrer que la vie bonne est plaisante mais pas
uniquement, et il a besoin de la notion de plaisir vrai pour ce faire.
Rep IX : Il parle de plaisirs purs et vrais, parfois de façon indifférente. Il ne parle pas de plaisirs faux
mais « en trompe-l’œil ».
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Voir les rapports entre plaisir et raison, et entre plaisirs et douleurs.

Dans la République, 3 arguments se développent en faveur de la justice.


- Il vaut mieux subir l’injustice que de la commettre.
- La vie juste est la meilleure
- Le plaisir dans la vie juste est un plaisir de meilleure qualité.
Le plaisir des gens pas sages est un plaisir en trompe-l’œil. Platon a divisé l’âme en 3, et il a attribué
des désirs et des plaisirs propres aux 3.
586d : Socrate explique à propos des désirs qui émanent des parties inférieures de l’âme que s’ils
obéissent à la raison et à la science et sont guidées par la partie rationnelle de l’âme (to phronimon),
ils recevront les plaisirs les plus vrais du fait qu’ils suivent la vérité et pour autant qu’il est en leur
pouvoir d’en saisir des vrais.
Il y a des nourritures de l’âme qui sont plus consistantes que celles du corps. Les nourritures de l’âme
sont l’opinion vraie, la science, l’intellect ; ceci participe davantage de l’être pur. La réplétion
(plèrôsis) intellectuelle permet de vivre plus réellement (mallon ontôs) et plus véritablement (réalité
 vérité). On a une notion de plaisirs vrais presque parents de l’intelligence.
Hiérarchie des biens :
- Mesure
- Vie mixte qui associe intellect et plaisirs
- Intelligence comme délimitation du bon mélange
- Intelligence prise dans la modalité de ses opérations.
- Meilleurs plaisirs

C’est à propos des plaisirs anticipés qu’apparait dans le Philèbe l’éventualité de plaisirs faux. Lorsque
cette notion de fausseté apparait, Protarque la rejette et dit qu’il peut toutefois y avoir de la vérité et
de la fausseté dans l’opinion qui fait apparaitre le plaisir anticipé. Un plaisir peut être tributaire d’une
opinion fausse mais le plaisir en tant que tel n’est pas faux.
38b. La verbalisation de la sensation peut être fautive. La proposition produite à l’occasion d’une
telle verbalisation est susceptible d’être mise en mémoire. Platon évoque une remise en image, et
des images de cette sorte peuvent être des préfigurations de l’avenir (on voit un homme au loin, on a
l’impression de le connaitre, on se rappelle qu’on le voit arriver, on va pouvoir discuter avec etc.
/fail). Réduction de la différence entre ce qui relève du logos et de ce qui est imagé pour revenir à
l’idée qu’il y a un contenu propositionnel du plaisir. Thèse destinée à être généralisé pour tous les
plaisirs et les désirs. Il y a un contenu propositionnel, qui peut donc être vrai ou faux.
La prise de position philosophique de Platon est celle qui consiste à dire que vérité et fausseté se
disent du plaisir même, via la vérité ou la fausseté du contenu propositionnel.
B. Williams « pleasure and belief » 1959. Dans cet article il ne mentionne pas Platon mais rapproche
le plaisir de l’attention et de la désignation :
- X croit que ce tableau est un Giorgione et l’apprécie
- X se réjouit du spectacle de ce supposé Giorgione
Dans le premier cas, X pourrait continuer à apprécier le tableau même s’il est détrompé à propos de
l’auteur du tableau, dans le deuxième cas, X apprécie le tableau pour ce qu’il est censé être, de sorte
que si X apprenait que le tableau n’était pas un Giorgione, le plaisir de X se trouverait compromis.

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Certains ont établi le lien avec Platon, notamment Irwing Thalberg, dans « false pleasures », 1962. On
ne peut jouir d’une victoire qu’à condition de croire qu’on a/va gagner. Il y a un contenu
propositionnel de la jouissance en question.
- Il établit un lien explicite avec ce qu’on trouve dans le Philèbe de Platon
- Il va plus loin que Williams puisqu’il dit que le plaisir est une attitude propositionnelle.
Assez souvent, des interprètes contemporains attribuent à Platon la thèse que le plaisir est
une attitude propositionnelle. A condition de faire attention aux risques d’anachronismes,
cette démarche peut être légitime. E. Penner, D. Frede, G.-R. Canone.

Feldman, philosophe contemporain, écrit, non plus à propos de Platon mais bien dans sa thèse, dans
Pleasure and the good life « ce qui fait d’un plaisir un ressenti sensoriel selon moi est le fait que la
personne qui éprouve le ressenti adopte une attitude intrinsèque de plaisir envers le fait d’être elle-
même en train de l’éprouver. »

L’attitude propositionnelle :
Soit une proposition « p », X croit que « p ». « p » peut être faux, mais cela n’affecte pas la
valeur de vérité de X croit que « p ». La croyance est un exemple paradigmatique de
l’attitude propositionnelle.

Considérons la typologie des plaisirs faux qu’a cru pouvoir établir D. Frede à partir du Philèbe de
Platon.

- 1) Le plaisir de la laitière qui se met dans une attitude propositionnelle


- 2) Le plaisir d’Ésaü qui abandonne son droit d’ainesse contre un plat de lentille parce
qu’il surévalue grandement le plaisir qu’il en aura.

Dans les plaisirs 1) et 2), on est dans une anticipation des plaisirs. D. Frede « même les plaisirs pris
immédiatement contiennent des propositions cachées ou implicites portant sur les objets de ces
plaisirs. » S’il y a un contenu propositionnel dans les plaisirs, peut-on dire pour autant qu’il y a une
attitude propositionnelle dans ces plaisirs, et trouve-t-on cette thèse chez Platon ?
Il faudrait qu’il considère qu’un plaisir faux (fondé sur une croyance fausse) est vraiment un plaisir.
Sur ce point, des formulations tirent dans les deux côtés.
 37b : « celui qui prend plaisir, qu’il prenne plaisir à bon droit ou à tort, il est évident que la
réalité de sa jouissance (to ontôs edesthai) n’est jamais éliminée. » Il semble que cela n’est
pas à prendre au sens fort du terme quant à la jouissance, mais à entendre dans le sens où
Socrate essaie, contre Protarque, de lui faire admettre une réalité des plaisirs.
 51a : « certains (affects) semblent constituer des plaisirs alors qu’ils n’en sont nullement. » ce
sont ceux qui reposent sur une proposition fausse.
 40c ces simples simulations « ridiculisent les vrais plaisirs ».
Un plaisir qui n’est pas vrai n’est pas vraiment un plaisir, tandis qu’une croyance qui n’est pas vraie
est vraiment une croyance, donc il semble que le plaisir ne soit pas de l’ordre d’une attitude
propositionnelle, mais uniquement de l’ordre du contenu propositionnel.

Si on confronte la leçon du Philèbe et celle de Rep IX, Philèbe ajoute quelque chose.

12
En Rep IX, Platon envisageait un plaisir vrai comme un plaisir intellectuel ou pris sous la conduite de
la raison (ressenti par une des parties inférieures de l’âme quand elle se subordonne à la raison).
Dans le Philèbe, il ajoute à ce qui précède, le fait qu’un plaisir vrai est un plaisir dont le contenu
propositionnel est vrai.
Regardons les deux autres variétés de plaisir faux de D. Frede :
- 3) les plaisirs de l’ascète : le plaisir est un affranchissement vis-à-vis de la douleur.
Ici on a du mal à identifier qui sont ces ascètes. On suppose qu’au moins Speusippe est visé.
Speusippe s’oppose à Eudoxe qui est un hédoniste. (Speusippe VS Eudoxe renvoie à un autre
couple structurel : cyniques VS cyrénaïques). Les ascètes sont désignés comme les véritables
ennemis de Philèbe, qui considèrent uniquement le plaisir comme celui le plus intense. En
bon platonicien, Speusippe voit une corrélation entre plaisir et douleur : se gratter, plus ca
gratte plus ca fait du bien quand on se gratte. On comprend que finalement les gens qui
envisagent le plaisir sous cet angle en ont finalement une répugnance.
L’opinion envisagée ici est de croire qu’on jouit quand on ne souffre pas. Il ne faut donc pas
rechercher le plaisir, parce que ca fait mal, et ce qu’il peut nous arriver de mieux c’est la
disparition de toute espèce de sensation de cet ordre. Il leur est arrivé d’identifier l’état
« neutre » avec une jouissance plus authentique. (On retrouve cette position chez Epicure)
Un passage de Rep IX aide à comprendre ce propos (583b et suivants, voir poly, 4.) Le niveau
2 est fantasmé par les épicuriens comme le niveau suprême de plaisir alors que la doctrine de
Platon montre qu’il y a encore un autre niveau, mais on ne peut pas y passer via le niveau 2.
- 4) les plaisirs de Calliclès : ceux qui sont intrinsèquement mêlés de douleur.

Les plaisirs de type 3) et 4) reposent certainement eux aussi sur un contenu propositionnel faux, et
pour en comprendre la fausseté nous sommes amenés à étudier les rapports entre plaisir et douleur.
La douleur se base sur un ressenti de manque, qu’il soit corporel ou intellectuel.
Les plaisirs ordinaires étant mêlés de douleur, ils ne sont pas vraiment des plaisirs, Platon veut un
plaisir pur ! (comme les produits laitiers…). S’il n’y avait pas la douleur il n’y aurait pas cet apparaitre
différentiel plaisant. De sorte que nous serions conduits en direction d’une thèse selon laquelle il ne
suffit pas qu’il y ait un certain ressenti de plaisir pour qu’il y ait réellement du plaisir.
Rep IX 584b : « des plaisirs non précédés de souffrance, pris soudainement, extraordinaires par la
grandeur (cette condition saute dans le Philèbe) sont tels que surtout une bonne odeur ». Il illustre
par un plaisir corporel. Est un plaisir qui n’a pas été précédé par un manque ? Il semble que ça puisse
être soit un manque soit un ressenti de manque (plutôt ça). Donc il y aurait quand même du manque
et tout le plaisir serait lié au comblement d’un manque.
Or il est très courant chez Socrate de dénoncer l’absence de conscience de quelque chose, donc le
plaisir vrai est un DOUBLE manque : le manque, et le manque du ressenti de manque.
Concernant cette difficulté, on peut se rapporter au Timée.

Dans le Philèbe, les plaisirs vrais sont « ceux qui se rapportent aux couleurs qu’on dit belles, aux
formes, à la plupart des parfums, aux sons, à tout ce dont le manque reste inaperçu et ne fait pas
souffrir, alors que ces plaisirs sont source de réplétion et purs de toute douleur. »

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Qu’est ce qui vient en premier, du plaisir ou du désir ?

On pourrait répondre sans trop chercher que le désir est ce qui nous fait rechercher le plaisir, et que
le plaisir est ce qui couronne la satisfaction des désirs, donc le désir serait premier.
Comme dans le Gorgias, où Platon dit que le plaisir est lié à la réplétion d’un vide.
On devrait distinguer d’une part le plaisir pris à être en train de satisfaire un désir, et le plaisir à avoir
satisfait ce désir. Cette distinction n’est pas souvent faite chez Platon, et ce schéma ne vaudrait pas
pour ce qu’il appelle des plaisirs purs, puisqu’ils ne résultent pas du comblement d’un manque
ressenti, et donc pas non plus du désir de combler ce manque.
La première voie de l’alternative est une expérience dynamique, plutôt du type de plaisir
valorisé par les cyrénaïques.
La deuxième, le plaisir pris à ne plus être dans le manque, est une expérience plus statique,
qui conduit davantage du côté de l’épicurisme.

Selon un autre point de vue, l’expérience du plaisir précède l’expérience du désir d’un objet. C'est-à-
dire qu’il faudrait avoir eu une expérience préalable du plaisir pris avec cet objet, ou un objet de ce
type. Si on envisage en ces termes le rapport entre plaisir et désir, le plaisir n’est pas que le produit
de la satisfaction d’un désir, mais aussi comme un principe de motivation.

Il y a donc une certaine forme de circularité dans les rapports entre plaisirs et désirs.
L’expérience des plaisirs purs semble indiquer qu’il existe des plaisirs subits, donc non précédés de
désir. D’un autre côté, il semble que des désirs naissent tous seuls. Certains désirs ne sont pas suivis
de désir : je peux avoir eu une expérience plaisante que je ne souhaite pas renouveler. Certains
désirs ne sont pas suivis de plaisirs : je n’obtiens pas ce que je désire = frustration.
Un peu plus subtil : Il peut se faire que j’obtienne l’objet que je désire mais que je n’en éprouve pas
de plaisir = déception.
On peut se dire que certains désirs sont de nature à conduire inévitablement à la déception, on peut
penser aux désirs qui sont de nature à renaître de manière incessante, ou aux désirs qui sont tournés
vers une forme de toujours plus.
Satis = assez, facere = faire.

On peut se demander dans quelle nature il est pertinent de faire du plaisir l’objet intentionnel du
désir ?
Assez souvent on décrirait le désir comme l’aspiration à une activité ou à la possession d’une chose.
Ayant ce type de désir, nous souhaitons être bons dans ladite activité, ou avoir des possessions de
qualité. On modalise. Assez souvent, on peut produire une description suffisante et sensée du désir
sans faire intervenir le plaisir.
Si on se représente soi même comme désirant du plaisir, c’est le meilleur moyen de ne pas en avoir,
ou de le diminuer (même si c’est une sorte d’illusion).

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Exemple de plaisir intéressé : je désire gagner une certaine somme d’argent pour la dépenser, je la
gagne et je la dépense.
Exemple de plaisir désintéressé : l’expérience du beau chez Kant (distingué du plaisir de l’agrément
qui est intéressé car il nécessite l’existence réelle de l’objet – de consommation –).

CriPur : philo de la connaissance = La connaissance porte sur ce qui est.


CriPra : vie morale = a affaire à ce qui doit être
CriFaJ : aborde et le beau et le sublime (1° partie) et la faculté de juger téléologique, c'est-à-dire au
rôle que l’étude des fins joue dans la connaissance de la nature.

§1
Quand nous disons qu’une chose est belle, ce n’est pas en vue d’une connaissance, la représentation
n’est pas rapportée à l’objet mais au sujet et spécialement à son sentiment de plaisir. Il ne s’agit donc
pas d’un jugement de connaissance ou à un jugement logique. La représentation apportant du plaisir
est celle du jugement de goût.
Le jugement esthétique est subjectif, de l’ordre du ressenti de plaisir. Une sensation peut avoir un
contenu objectif (par rapport à un objet réel). Esthétique = ce dont le principe déterminant ne peut
être que subjectif.

§2
Qu’on trouve qu’un bâtiment est beau ne veut pas dire que l’on sait comment il a été construit, à
quoi il sert etc. Si on commence à identifier le matériau, la fonction etc. du bâtiment, on est dans une
perspective de cognition, ce n’est plus strictement un jugement esthétique.
On dira que j’ai un intérêt à l’objet si je désire que cet objet existe réellement, ceci afin de pouvoir le
percevoir et me l’approprier réellement. L’existence de cet objet me permet une satisfaction
intéressée = sachem iroquois qui n’aime que les rôtisseries, satisfaction intéressée.
Par opposition, on a le caractère désintéressé du plaisir pris au beau : on désire uniquement savoir si
la seule représentation de l’objet est accompagnée en moi par une satisfaction. On ne fait que
prendre acte d’une satisfaction sans se soucier de l’existence de la chose. Ce qui compte c’est « ce
que je découvre en moi en fonction de cette représentation et non ce par quoi je dépends de
l’existence de l’objet ».

§3
La satisfaction relative à l’agréable est liée à l’intérêt. Critique des deux sens du terme sensation.
Kant se prépare à rejeter l’idée selon laquelle tout plaisir serait intéressé. Se fait la jonction entre la
notion d’agréable et de plaisir intéressé. (On ne voit qu’un seul type de plaisir intéressé, mais il
semble y en avoir 2 : agrément et connaissance.)
La sensation est soit :
- La représentation d’une chose par les sens, rapportée à l’objet : source de connaissance.
- Une représentation qui est uniquement rapportée au sujet : une détermination du
sentiment de plaisir et de peine.
Sur cette base, Kant peut dénoncer l’identification pure et simple de toute satisfaction quelle qu’elle
soit, à la sensation ou à l’agréable, parce qu’il y a place pour une satisfaction désintéressée, qui n’est
autre que l’expérience du beau.

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§4
La satisfaction relative au bien est intéressée. Le bon plait par son simple concept. Le bon ayant
toujours dans son concept rapport à un but, par conséquent le rapport de la raison à un acte de
volonté.
L’agréable et le bon s’accordent en ceci qu’ils sont toujours liés par un intérêt à l’objet.

Le bon est lui aussi source de plaisir, le plaisir en question est un plaisir lié à une pensée (le but)
plutôt qu’à une sensation et il faut savoir ce qu’il est. On trouve qu’un objet est bon quand on pense
qu’il est conforme à sa norme (son concept) ou qu’il est en état de remplir sa fonction. Exemple d’un
remède, il est bon s’il joue son rôle de remède. On suppose que le but des choses est bon (la santé
est un bien en soi) et que les biens utiles visent les biens en soi. Nous aspirons donc à leur existence
réelle = expérience intéressée.
Il y a matière à le distinguer de l’agréable, l’agréable convient immédiatement aux sens mais pas
médiatement, c'est-à-dire envisagé par la raison selon les conséquences de la chose qui cause de
l’agrément.

§5
Chacun appelle agréable ce qui lui fait plaisir, beau ce qui lui plait simplement, bon, ce qu’il estime,
c'est-à-dire une valeur objective.
Les trois relations amènent de la satisfaction, mais l’agréable et le bon sont celles qui attendent de
l’objet qu’il existe réellement pour pouvoir se satisfaire.
Le beau suscite une attitude seulement contemplative : selon le jugement de goût, un objet envisagé
comme beau est un objet de nature à me procurer du plaisir, que l’objet existe ou non. Toutefois si
on dit que l’attitude vis-à-vis du beau est strictement contemplative, on pourrait être tenté de
confondre le rapport au beau avec une attitude d’ordre cognitif. On pourrait penser qu’il ne s’agit
que de connaissances. C’est seulement se prononcer sur l’effet que produit l’objet sur le sujet. Il
s’agit donc d’un certain effet produit sur les facultés de l’entendement et de l’imagination. Ainsi un
objet réel, artistique ou imaginaire peut produire cet effet. Ce jugement est désintéressé et libre.

§7
L’agréable est « ce qui me fait plaisir ». (faire plaisir =/= plaire)
Le beau c’est « ce qui plait universellement ». On ne peut pas dire à propos du beau « à chacun son
goût » car ça reviendrait à dire que le goût n’existe pas et qu’il n’existe pas de jugement esthétique.
Le bon serait une satisfaction prise à l’idée qu’il s’agit d’une bonne chose. Réflexivité du jugement.
Dans le §6 Kant a introduit la notion d’universalité, le beau plait universellement.
En première approche, dire « c’est agréable » et « ce n’est pas agréable » a l’apparence d’une
contradiction, mais étant émis par deux personnes différentes, même s’il est question du même
objet, les deux énoncés sont prononcés par des personnes distinctes pour qui la chose n’est pas la
même.
Quand il y a deux jugements qui ont pour objet une connaissance, s’ils sont contradictoires, il y en a
au moins un qui est faux, et c’est dans ce genre de cas qu’il y a matière à discuter.
Le jugement de goût aurait pour but de rendre compte de la façon dont le sujet est affecté, mais pas
strictement de rendre compte de la façon dont le sujet seul est affecté. Dire c’est beau c’est aussi
dire que c’est beau pour les autres sujets. Le sujet dit que ce qu’il trouve beau est de nature à plaire à
tous « on exige l’adhésion des autres ». C’est un énoncé qui en semblant descriptif est normatif en
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même temps. L’objet et ’être humain étant tels, chacun devrait éprouver du plaisir en présence de
cet objet. Attente qui est a priori et non pas a postériori. On pourrait la dire a posteriori si seulement
elle était fondée sur l’expérience du gout des uns et des autres et en en tirant une induction.
Il y a un paradoxe du jugement de goût, il porte sur quelque hcose qui arrive au sujet sans que ce soit
un événement strictement particulier, il se prononce sur ce qui arrive au sujet humain en général,
c’est l’universelle subjectivité. Sans doute est-ce en grande partie le caractère désintéressé du
jugement de goût qui permet son universalité.

Plaisir et valeur

A supposer qu’il existe quelque chose de tel que le plaisir, il y a matière à s’interroger sur sa valeur.
Soit la diversité est telle qu’il n’y a pas de valeur globale du plaisir, soit il existe tout de même
quelque chose de tel que le plaisir et un jugement de valeur globale est concevable.
Pour les besoins de la cause, on se place dans la seconde position, et on regardera les différents
types de jugement d’approbation possible.

- Quand on considère que le plaisir est un bien parmi d’autres.


- Quand on juge que le plaisir est un bien parmi d’autres, mais il est le bien suprême.
o Soit en le considérant de manière comparative comme le bien le plus précieux.
o Soit en envisageant le plaisir comme la fin de toutes les actions : les choses
bonnes ne sont bonnes que pour autant qu’elles constituent des moyens de se
procurer du plaisir.
- Quand on juge que le plaisir est le seul bien.

Dans l’antiquité on déjà vu, en passant très vite, qui avait professé une hostilité au plaisir :
Speusippe, Platon dans le Gorgias et le Phédon, et par les Cyniques avant eux, qui forment un refus
de la culture en mettant en avant des normes naturelles avec l’animalité comme paradigme naturel,
ils préconisent des pratiques d’endurcissement puisqu’ils sont conscients que les choses ont de
bonnes chances de mal tourner. Antisthène « si je mettais la main sur Aphrodite, je la percerai de
flèches [Reverse cupidon 36°] pour avoir corrompu tant de nos vertueuses femmes »
« L’amour est un vice de nature / divine maladie ».
Selon Diogène Laërte, Vie et doctrine des philosophes illustres VI, 2 Ch., Antisthène démontrait que
la souffrance est un bien par l’exemple du valeureux Héraclès de Cirrus. En gros Hercule c’était pas
une tapette pour faire tous ses travaux ! Antisthène continue : « la volupté est le souverain mal » et
« le plaisir est plutôt la folie que la sensation »
On regardera d’où vient l’hostilité envers l’hèdonè chez les stoïciens.

Dans la conception de bonheur plus contemporaine, on a tendance à avoir une sorte de perception
réflexive. C’est pourquoi on aurait du mal à dire quelqu’un heureux, selon nos critères, quand bien

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même la personne peut se dire heureuse. Mais dans la notion ancienne d’eudaimonia, « vie
réussie », on est porté à donner un contenu plus objectif : vie de vertu, etc.

La notion de bonheur et celle de plaisir doivent être distinguées : bonheur = bilan global. Ce n’est que
par extension que l’on pourrait parler de moments de bonheur, ou d’instants de bonheur.
Dans ce bilan, on doit se demander à propos de qui on fait le bilan/qui aurait les capacités requises
pour se prononcer sur le fait qu’une vie ait été heureuse. Seul l’individu qui s’évalue lui-même peut-il
rendre un jugement ?
Autre question à se poser : quand un bilan pourrait-il intervenir, à quel moment cela aurait-il un
sens ? Après la mort ? Juste au moment de la mort en supposant que rien ne puisse juste après le
bilan le remettre en cause ? Une mauvaise mort pourrait-elle effacer le bilan ? (On ne vit pas pour
mourir, pétition de principe !)
Puis aussi, la question du contenu objectif : le quoi, qu’est ce qui doit entrer en ligne de compte, etc.

La grande majorité des philosophes antiques est eudémoniste, c’est une sorte d’évidence. L’idée de
démontrer qu’il convient de rechercher le bonheur aurait été saugrenue. Seuls les cyrénaïques ne
sont pas eudémonistes : ils privilégient les sensations intenses sur le moment = hédonisme sans bilan
global.
Concernant l’eudémonisme, il y a au moins deux formes principales :
- Hédonisme éthique : le plaisir est le souverain bien (voir une page plus haut)
positionnement de type axiologique, sur ce qui a de la valeur.
- Hédonisme psychologique : on recherche de fait le plaisir. On peut dire que c’est la
doctrine selon laquelle le plaisir constitue le mobile fondamental des actions humaines.
« L’argument des berceaux ». Voir Histoire de la philosophie M1-2 S1, p13

Dans une conception hédoniste égoïste, seul mon plaisir est bon.
Il y a une position un degré plus universelle, sans l’être totalement : dire que le plaisir est un
souverain bien et qu’il est bon pour chacun, il est ce qu’il convient que tous recherchent. Mais cela
n’ouvre pas de perspective pour sortir de l’hédonisme égoïste.
Pour ce faire, il faut aller jusqu’à affirmer que le plaisir des autres ne concerne pas seulement la
personne qui le ressent, mais qu’il me concerne. Cela ouvre des possibilités d’utilitarisme.

On trouvera souvent chez les hommes l’hédonisme éthique et l’hédonisme psychologique. De fait,
l’hédonisme éthique entreprend de se fonder dans l’hédonisme psychologique, c'est-à-dire,
comment justifier le fait que le plaisir relève de l’axiologique, au nom de quoi poser que le plaisir est
le souverain bien ?

Au début de Rep II, Glaucon introduit une distinction entre ce qui est recherché pour lui-même, ce
qui est recherché pour autre chose, et ce qui est recherché et pour lui-même et pour autre chose (=
la justice qu’on recherche pour ses conséquences mais aussi et surtout pour elle-même).

L’index qui fait référence en matière de stoïciens, c’est la division Lang & Sedley Les philosophes
hellénistiques. Avant c’était Van Armin, SVF.
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Qui travaille sur les stoiciens doit faire face à trois générations de stoiciens
Les anciens. Zénon de Kition, Chrysippe, Cléante
Les moyens. Panétius, Positanius
Les néo-stoïciens. Epictète, Marc-Aurèle.

Les Stoïciens et le plaisir (tradition intellectualiste post socratique).

65 A, Stobée, anthologoiste dit qu’ils le situent dans le cadre général de ce qu’ils appellent passion.
Les stoiciens ont une position de désapprobation par rapport au phénomène passionnel en le
qualifiant de contraire à la nature, ou d’irrationnel.
Ils réduisent ces passions à 4 premières et dominantes : appétit et la peur (mobiles) // la peine et le
plaisir (ressentis).
Si on satisfait son appétit/éviter des objets de peine  plaisir.
65 E, Stobée, anthologiste, fait la liste des autres passions :
A l’appétit => la colère, le désir sexuel intense ou différentes formes damour telles que l’amour des
plaisirs, des richesses, des honneurs.
A la peur => l’indécision l’angoisse la stupéfaction la honte la confusion la superstition l’effroi la
terreur
A la peine => la méchanceté l’envie la jalousie la pitié le chagrin le souci la tristesse le
mécontentement la souffrance mentale l’ennui.
Au plaisir => la joie du malheur des autres, l’autosatisfaction, la « ruse »

Andronicos de Rhodes. 65 B. Les 4 passions majeures sont irrationnelles, avec l’introduction de deux
closes : la contraction ou le gonflement (un état physique = phénomènes physiologiques) ET une
opinion.
Cette opinion en question est double : dans le cas du plaisir, on a l’opinion que quelque chose de bon
est là, et qu’il est correct de réagir à elle comme on réagit physiologiquement.
Nous sommes en mesure de comprendre ce qu’il y a d’irrationnel : puisque le plaisir et la peine sont
des opinions, elles peuvent être fausses. Et puisque ce sont des opinions, elles sont TOUJOURS
fausses.
Pourquoi ? il faut convoquer la doctrine stoïcienne des indifférents. C'est-à-dire qu’il n’importe pas
de vouloir éviter ou avoir ces choses : les indifférents sont tout ce qui ne dépend pas strictement de
moi.
Ce qui dépend de moi (malgré une philosophie du destin), c’est ma pensée et jusqu’à un certain
point, ma volonté.
La vie même fait partie des indifférents, les seuls biens pour les stoïciens sont constitués par le bon
usage des pensées et de la volonté.
Sur la doctrine des indifférents se greffe une doctrine des préférables. Il est malgré tout préférable
d’être en bonne santé plutôt que d’être malade.

Epictète : La peur de la mort. Ce ne sont les choses elles mêmes qui troublent mais les jugements que
l’on a sur les choses. A chaque fois que l’on est troublé, il ne faut blâmer personne autre que nous
même.

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