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Droit de la responsabilité internationale des États et des

Organisations internationales

Cours de M. Alexandre NEGRUS

Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - 31 Rue de Poissy 75005 Paris

www.institut-ega.org – secretariat@institut-ega.org

N°RNA : W712004835 - N°SIRET : 849 769 906 00025


Introduction

Dans le cadre de ce cours, deux matières distinctes du droit international vont être abordées ;
le droit de la responsabilité internationale de États d’une part et le droit de la responsabilité
internationale des Organisations internationales. La première partie de ce cours se concentrera sur
l’étude du premier sujet du droit international, l’État.

Avant d’étudier plus en détail le droit de la responsabilité internationale des États, il


convient de saisir quelques notions à titre liminaire. La compréhension de la matière exige de
comprendre les grands principes de droit international public car sans eux, il n’est pas possible de
saisir instinctivement en quoi les États peuvent engager leur responsabilité et en vertu de quelles
normes. L’étude du droit de la responsabilité internationale des États exige d’être à l’aise avec la
notion fondamentale d’État puis de responsabilité. Mais, l’engagement de la responsabilité d’un
État repose sur des sources, lesquelles feront aussi l’objet d’une étude détaillée.

[Focus sur l’État]

I. Formation de l’Etat

La notion « État » est un terme qui fait directement référence à la notion d’indépendance. Il
suffit de porter un regard sur l’actualité pour se rendre compte à quel point ce principe
d’indépendance est régulièrement brandit par les chefs d’État et de gouvernement, par des
responsables politiques et autres personnes s’intéressant à la chose publique. À l’intérieur même de
l’Union européenne, des États mettent régulièrement en avant leur indépendance, voire leur perte
d’indépendance pour justifier une politique économique ou sociale, voire des actions diplomatiques.

Dans un avis de la Commission d’arbitrage pour la Yougoslavie du 29 novembre 19911,


l’État est « communément défini comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une
population soumis à un pouvoir politique organisé ».

Avant de voir précisément le principe d’égalité souveraine, corrélatif à la notion


d’indépendance, il convient de porter une attention particulière aux différents modes de formation
de l’État. Comme vu ci-dessus, l’État se forme soit par accession à l’indépendance de peuples
anciennement colonisés - référence directe au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes - soit par
séparation avec un autre État préexistant, ou encore par son éclatement en plusieurs États nouveaux.
Ainsi, l’État est une personne morale de droit public qui n’a pas besoin d’être reconnue par les
autres États pour exister.

II- Les éléments constitutifs de l’Etat

L’État est un phénomène sociologique. À l’origine, c’est un fait qui va être appréhendé par
le droit international, lequel va établir les règles de formation de l’État. En effet, il y a des règles
posées par le droit international en vertu desquelles une entité peut se réclamer du statut d’État.

1 Commission d’arbitrage pour la Yougoslavie, 29/11/1991, Avis n°1, RGDIP, 1992, p. 264.
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Le premier élément constitutif de l’État est le territoire (A), sur lequel doit vivre une
population (B), laquelle vivra sous les règles d’un pouvoir politique établi (C).

A. Le territoire

Le territoire est le premier des éléments constitutifs car sans territoire, pas d’État. Pour
exercer des compétences exclusives, de manière autonome et souveraine, il faut un socle : celui-ci
se matérialise par un territoire délimité par des frontières.

Si le territoire disparaît, dans ce cas l’État disparaît de facto à condition que la disparition du
territoire soit totale. En effet, le fait de perdre une partie de son territoire n’engendre pas la
disparition automatique de l’État. L’exemple devenu classique est celui de l’annexion de la Crimée,
amputée à l’État ukrainien. Bien que la Russie ait annexé la Crimée, cela n’engendre pas la
disparition de l’État ukrainien.

Si ce territoire est le socle de l’État et ce qui le matérialise le plus, il est important de faire
un rappel des trois types de territoires :

- Le territoire terrestre (1) ;


- Le territoire maritime (2) ;
- L’espace aérien (3).

1. Le territoire terrestre

Le territoire terrestre est celui auquel on pense instantanément pour plusieurs raisons : c’est
celui que l’on voit le plus, du moins celui sur lequel la population est le plus souvent, mais aussi
parce que la médiatisation de l’espace maritime et aérien est moins importante. Le territoire
terrestre est quelque chose de très « matérialisable », ainsi dit vulgairement.

Il est situé entre les frontières de l’État et ce terme « frontière » est fondamental dans notre
étude. La carte du monde est partagée en territoires terrestres qui sont séparés, chacun, par des
frontières. Celle-ci a été définie dans une sentence arbitrale dans l’affaire « Guinée c. Sénégal » en
1989 comme étant « la ligne formée par la succession des points extrêmes du domaine de validité
spatiale des normes de l’ordre juridique d’un État ».

Le raisonnement doit ici s’effectuer en deux étapes successives :

- Délimitation des frontières = déterminer jusqu’où l’État rencontre une autre souveraineté ;
- Démarcation = reporter sur le sol la ligne identifiée ;
- Abornage = placer des bornes, des murs, etc.

Les États ont le choix entre deux types de frontières, à savoir une frontière purement
artificielle, soit une frontière appelée « frontière naturelle », qui se matérialise par exemple par un
fleuve.

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2. L’espace maritime

La principale notion à retenir au titre de cette introduction sur l’espace maritime est celle de
la théorie de la contiguïté. Dans une sentence arbitrale « Canal de Beagle », de 1977, un principe
général du droit est exposé, en vertu duquel une attribution de territoires doit ipso facto entraîner
l’attribution des eaux dépendantes du territoire attribué. Ainsi, il faut retenir que le sort des eaux
adjacentes aux côtes suit le sort du territoire terrestre.

Une grande Convention, très connue, est à connaître puisqu’elle régit actuellement
l’ensemble des règles de droit international en ce qui concerne l’espace maritime. Il s’agit de la
Convention de Montego Bay en 1982, qui modifie radicalement les règles de l’espace maritime
ainsi posées des siècles auparavant.

En vertu de cette Convention, le territoire maritime fait référence aux eaux intérieures, à savoir les
ports, les grandes baies... La mer territoriale, quant à elle, est étendue à 12 miles marins (ce qui
correspond à 22,22 km).

La délimitation de cet espace maritime représente un enjeu fondamental, parfois trop négligé par la
presse ou peu considéré par l’opinion publique. Pourtant, cet espace maritime est source de tensions
considérables entre les États et d’enjeux géopolitiques majeurs, pour des raisons aussi bien
économiques que politiques. En effet, sur l’espace maritime, l’État exerce la plénitude de ses
compétences économiques et de police, avec une limite posée par le droit international de la mer
avec le droit de passage inoffensif des navires étrangers2.

a. La zone contiguë

Au-delà des 12 miles marins, on a la zone contiguë. Dans cette zone, l’État n’est plus
souverain mais peut exercer des droits souverains. Il peut, par exemple, prévenir des actes de
pollution ou les réprimer. La police maritime française peut immobiliser le navire étranger puis
arrêter l’équipage (le capitaine).

b. La zone économique exclusive

Cette ZEE s’étend jusqu’à 200 miles marins. Il s’agit de l’espace maritime où l’État peut
librement exploiter les ressources économiques : il peut s’agir aussi bien d’activités de pêche que de
forage pétroliers ou gaziers. Cela fait directement écho aux grands enjeux économiques et
stratégiques évoqués ci-dessus et permet de se rendre compte de l’importance de la délimitation de
cette ZEE. Celle-ci fait l’objet de nombreuses tensions entre États souverains, qui se disputent des
ZEE où de grandes découvertes ont été faites, notamment en terme de ressources naturelles.

c. La haute mer

2La France peut suspendre ce droit mais seulement de manière temporaire. Cette suspension doit avoir préalablement
publiée et droit être sans discrimination et seulement pour des raisons indispensables à sa sécurité.
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Celle-ci est inappropriable. Si un crime est commis en haute mer, il dépend de la nation du
navire.

3. L’espace aérien

À quoi correspond l’espace aérien en droit international ? Précisément, il s’agit de la couche


atmosphérique qui surplombe l’espace terrestre et maritime. Ainsi, chaque État a la souveraineté
complète et exclusive sur l’espace atmosphérique au-dessus de son territoire. C’est en vertu de ce
principe qu’un survol non autorisé par un avion est une violation de la souveraineté de l’État et de
l’intégrité de son territoire. Il faut préalablement demander l’autorisation et si tel n’a pas été le cas
avant le survol, l’État violé sur son territoire peut intercepter l’avion et le forcer à atterrir. Il faut que
l’État victime de la violation de son espace aérien envoie des avions militaires pour escorter l’avion
qui enfreint les règles jusqu’à l’atterrissage de force.

B. La population

Il existe des États dits multinationaux comprenant plusieurs « nations » ou ethnies comme la
Russie ou la Chine. La nationalité peut être temporaire (Vatican), retirable (déchéance de nationalité
= Belgique, Canada) ou double (France).

Avant toute chose, la population est à distinguer du terme « peuple ». Cette distinction est
largement utile puisque l’un des termes est politique (peuple), l’autre non. Cette distinction
conceptuelle entre ces deux termes a un impact certain en matière de protection internationale des
droits de l’homme puisqu’en utilisant le terme de « peuple », de grands principes de droit
international sont nés, comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui a un impact
direct sur le droit à l’autodétermination et à l’indépendance. Il convient toutefois de préciser qu’il
n’existe pas de définition juridique du mot « peuple ».

Sans population, il n’y a pas d’État. En revanche, sans État il peut y avoir une population. Il
existe un cas unique, celui de l’État hébreux car on voit clairement qu’une population « faible »
n’empêche pas la formation d’un État.

Il existe deux types de populations :

- La population qui forme l’État (1)


- Les résidents (2)
1. La population qui forme l’État

Il s’agit de l’ensemble des individus qui sont rattachés à l’État par un lien juridique stable,
caractérisé par la nationalité. Ce lien de nationalité3 est important dans le sens où il crée non
seulement un sentiment d’appartenance, mais il constitue aussi une allégeance personnelle de
l’individu envers son État de nationalité. Cela engendre un certain nombre de droits et de devoirs.
L’individu sera soumis à des règles et cela fonde la compétence personnelle de l’État.

3 CIJ, 6 avril 1955, « Nottebohm ».


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2. Les résidents

Il s’agit de la population qui vit sur le territoire de l’État et cela vise aussi bien les
nationaux, vu ci-avant, que les étrangers. Il n’est donc pas possible, juridiquement, de se fonder sur
la notion de résident pour identifier un État.

C. Un pouvoir politique

Notion de gouvernement : appareil politique permettant à l’État d’exercer son autorité. L’État
survit à un gouvernement qui disparaît. La reconnaissance de gouvernement n’est pas une
condition de sa légalité mais de son effectivité. Les relations diplomatiques peuvent être rompues
sans que cela affecte la reconnaissance.

Cet élément est le troisième et dernier critère constitutif de l’État. Sans un pouvoir politique
propre, l’État ne peut pas exercer ses compétences et ne peut donc pas être souverain et
indépendant. Le pouvoir politique est propre à la vie de l’État et sans lui, l’État ne peut avoir
d’existence.

Le droit international est indifférent sur la nature du régime politique. Ce qui importe, c’est
l’existence d’une autorité politique sur une population donnée, avec des règles préalablement
déterminées pour la conduite des citoyens dans la cité.

Dans un avis très connu, l’avis du Sahara Occidental de 1975, le principe de l’autonomie
constitutionnelle des États est posé. En effet, rien n’exige que l’État ait une structure déterminée.
L’Organisation des Nations Unies elle-même affirme qu’il n’existe pas un seul modèle de
démocratie. Cependant, si le droit international pose un critère précis, c’est bien celui du critère
effectif. Cela s’entend par le fait que l’État doit avoir les moyens et la capacité d’exercer toutes les
fonctions étatiques, notamment le maintien de l’ordre et l’exécution des engagements
internationaux.

III - Les compétences de l’État

Selon Jellinek, l’État est doté de la « compétence de sa compétence ». Assurément, il exerce


sur son territoire la souveraineté territoriale, laquelle est, en vertu de l’affaire du « Détroit de Corfou
»4, « une des bases essentielles des rapports internationaux ». De plus, l’État exerce sur son
territoire des prérogatives relevant de son domaine réservé, sa compétence nationale attribuée par
l’article 2§7 de la Charte des Nations Unies, interdisant à un État de s’immiscer dans les affaires
extérieures et intérieures d’un autre État : c’est le principe de non-intervention fixé dans l’affaire
des « Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci »5.

La notion de souveraineté est apparue avec la notion de l’État et conceptualisée par Jean
Bodin. Initialement, cette notion est apparue pour marquer l’émancipation du pouvoir politique des
États vis-à-vis du pouvoir religieux et du Pape. Dans une sentence arbitrale « Ile de Palmas » de
1928, l’arbitre Max Huber a écrit que « la souveraineté dans les relations entre États signifie
l’indépendance ». La souveraineté est donc le critère de l’État et la source de ses compétences,

4 CIJ, 9 avril 1949, Détroit de Corfou.


5 CIJ, 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua.
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lesquelles sont limitées par le droit international. C’est justement parce que l’État est souverain
qu’il a la faculté d’exercer des droits et d’être soumis à des obligations. Dans la vie juridique d’un
État, un acte est primordial, lequel est également un facteur déterminant des relations
internationales et des rapports diplomatiques : la faculté de contracter des engamants
internationaux. Cette faculté est un attribut de la souveraineté6. Cela constitue un argument
juridique de poids dans le discours européen, pour lutter contre les discours faisant croire que les
États auraient perdu leur souveraineté en adhérent à l’Union européenne. Tout État membre de
l’Union européenne, en intégrant l’Union, a exercé sa souveraineté car il a conclu un traité.

A. Souveraineté territoriale

Sur son territoire, l’Etat a la plénitude de ses compétences (1) et l’exclusivité de leur exercice (2).

1. La plénitude des compétences

L’État est libre de choisir le degré de son intervention, dans le sens où il peut exercer
discrétionnairement toutes les fonctions destinées à réglementer les activités qui se déroulent sur
son territoire. Cela se traduit par la liberté du degré d’intervention de l’État : il peut être un État
providence, comme en France, ou plutôt un État interventionniste comme aux États-Unis.

L’État peut exercer ses compétences pour assurer toutes ses fonctions étatiques : la fonction
gouvernementale, juridictionnelle et judiciaire.

Les États peuvent cependant accepter de limiter leur compétence, mais cela n’est pas
contraire au principe de souveraineté. C’est justement en faisant acte d’abstention que les États
exercent, en quelque sort, leur souveraineté. Par exemple la France, dans le cadre de la politique
agricole commune (PAC) au sein de l’Union européenne, a accepté de ne plus règlementer
directement son agriculture car l’Union a une compétence exclusive dans ce secteur.

2. L’exclusivité de l’exercice des compétences

La souveraineté de l’État a une conséquence logique : il exerce seul ses compétences sur son
territoire.

Cette règle de l’exclusivité des compétences est protectrice pour les États souverains
puisqu’elle leur permet, d’abord, de s’opposer aux activités d’autres États sur son territoire. Par
exemple, dans l’affaire du Détroit de Corfou en 1949, la Cour internationale de justice pose ce
principe de compétence exclusive et dit au Royaume-Unis qu’il n’aurait pas du intervenir sur le
territoire grec.

Parce que l’État a une exclusivité des compétences sur son territoire, il en découle un principe de
non- intervention : aucun État ne peut exercer des compétences sur le territoire d’un autre État.

Les exceptions au principe de l’exclusivité des compétences :

° si l’État a accepté qu’un autre État exerce ses compétences sur son territoire. Il faut un traité pour

limiter ces compétences. ;

6 CPJI, 1923, « Wimbledon ».


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° une entité est autorisée à aller enquêter sur le territoire de tous les États Membres due l’accord : le
procureur de la Cour pénale internationale (CPI) ;

° si la Cour est saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU, elle peut exercer ses compétences même
pour un État non membre.

B. L’égalité souveraine

Tous les États sont souverains, donc tous les États sont égaux juridiquement. De facto, il
n’existe pas d’autorité supérieure aux États, ce qui est affirmé par l’article 2§1 de la Charte des
Nations Unies, qui dispose « l’organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine des
États ».

Résolution 2625 (XV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1970 : l’État ne peut pas
recevoir d’ordres d’un autre États car il n’est pas subordonné à un autre État.

C. La protection de la souveraineté

L’objet du droit international est de régir les rapports entre les États en assurant le respect
des règles de droit international public. Les États jouissent de la personnalité juridique, laquelle
affecte des droits et des obligations au sujet de droit, en l’occurrence l’État, premier sujet en droit
international.

Il n’est pas suffisant d’affirmer que les États sont égaux en vertu du principe de
souveraineté. Il faut aussi, nécessairement, créer des règles pour garantir l’effectivité de cette
souveraineté. La première règle protectrice en la matière est celle de la non-ingérence, qui a été
définie par la résolution 2625 (XV) : « Aucun État n’a le droit d’intervenir directement ou
indirectement pour n’importe quelles raisons dans les affaires intérieures et extérieures d’un autre
État ». Ce principe, posé par écrit en 1970, existait bien avant que les organes onusiens ne le
définissent. En effet, il s’agit d’une norme coutumière ancienne datant de 1986 dans l’affaire «
Nicaragua » de la CIJ, opposant les États-Unis au Nicaragua. Dans cette affaire, la Cour va rappeler
le principe de non-ingérence qui signifie que l’autonomie constitutionnelle de l’État est libre.

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