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Faculté des sciences juridiques, politiques et

sociales de Tunis
Mastère Recherche Droit des affaires

Droit du marché
financier
Inès YOUSSEF

2022/2023
SOMMAIRE

Chapitre 1 : le marché financier


Chapitre 2 : les valeurs mobilières
Chapitre 3 : l’appel public à l’épargne
Chapitre 4 : les acteurs du marché financier
Chapitre 5 : les opérations sur le marché financier

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INTRODUCTION

Le financement d’une économie. Le financement d’une économie peut


s’opérer soit sur ressources propres ou autofinancement, soit sur appel aux fonds
extérieurs. Dans ce dernier cas, les agents économiques disposent de deux
techniques pour obtenir des ressources :
La première consiste à emprunter auprès des intermédiaires bancaires ou non
bancaires (intermédiation bancaire (bank-based system)). Ceci correspond au
circuit de la « finance indirecte ».
La seconde repose sur l’émission d’instruments financiers sur le marché
financier (désintermédiation (market-based system)). Ceci correspond au circuit
de la « finance directe ».

En droit tunisien, le marché financier est placé dans un cadre juridique spécial
visant la protection de l’épargne publique.
C’est ainsi que les principaux textes juridiques en la matière sont :

- CSC
- Code des OPCVM

- Loi n° 88-92 du 2 aout 1988 sur les sociétés d’investissement


- Loi n°94-117 du 14 novembre 1994, portant réorganisation du marché
financier
- Loi n°2000-35 du 21 mars 2000, relative à la dématérialisation des titres
- Loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité
des relations financières
- Loi n° 2009-64 du 12 août 2009, portant promulgation du code de
prestation des services financiers aux non résidents
- Loi n° 2012-24 du 24 décembre 2012, relative à la convention de pension
livrée
- Loi n° 2013-30 du 30 juillet 2013, relative aux sukuks islamiques et ses
textes d’application
- Loi n° 2016-71 du 30 septembre 2016, portant loi de l’investissement
- Loi n° 2016 -48 du 11 juillet 2016 relative aux banques et aux
établissements financiers
- Loi n° 2020-37 du 6 août 2020, relative au « Crowdfunding »

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- Décret n°99-2478 du 1er novembre 1999 portant statut des intermédiaires
en bourse
- Décret n°99-2773 du 13 décembre 1999 relatif à la fixation des conditions
d’ouverture des « Comptes Epargne en Actions », des conditions de leur
gestion et de l’utilisation des sommes et titres qui y sont déposés tel que
modifié par les décrets n°2002-1727 du 29 juillet 2002 et n°2005-1977 du
11 juillet 2005 et le décret présidentiel n°2022-531 du 3 juin 2022
- Décret n°2005-3018 du 21 novembre 2005 Portant application des
dispositions de l’article 329 du code des sociétés commerciales
- Décret n°2006-1208 du 24 avril 2006 fixant les conditions et les modalités
d’émission et de remboursement des bons de trésor

- Règlement du conseil du marché financier relatif au dépositaire central


des titres.
- Règlement général de la BVMT
- Règlement du CMF relatif à l’APE
- Règlement du CMF relatif à la lutte contre les manquements sur le
marché
- Arrêté du ministre des finances du 1er avril 2009, fixant les conditions de
constitution, d’organisation et de fonctionnement du fonds de garantie de
la clientèle du marché des valeurs mobilières et des produits financiers.

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CHAPITRE 1 : Le marché financier

La notion générale de marché. La notion de marché est en vérité, assez


difficile à appréhender.
D’une manière générale, cette notion comporte trois principaux sens :
- Tout d’abord, le marché est souvent défini comme un lieu fictif de
rencontre entre acheteurs et vendeurs où se déroulent des
transactions. Il convient à ce titre de distinguer le lieu de rencontre
entre offre et demande, de la localisation géographique des places de
marché.
- Ensuite, le marché peut également être identifié aux contrats conclus
entre acheteurs et vendeurs.
- Enfin, le marché peut être assimilé à sa régulation, dont le rô le est en
réalité de délimiter les contours du marché.
Dans ces conditions, il apparaît qu’un marché financier peut aussi avoir
trois sens.

La notion de marché financier. La notion de marché financier peut


désigner un lieu de rencontre entre l’offre et la demande de biens d’une
nature originale qui sont les instruments financiers.
On considère souvent les marchés financiers comme le lieu de rencontre
entre capacités de financement et besoins de financement.
Les marchés financiers permettent donc d’allouer les ressources de la
manière la plus optimale possible entre des agents de profils opposés.
Ainsi, le marché financier dans sa conception classique est désigné par
« bourse de valeurs mobilières ».
Cette notion peut également se référer à certains contrats conclus entre les
différents investisseurs.

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Le marché financier peut aussi désigner la régulation, puisqu’il est
généralement doté d’une autorité de régulation.
Toutefois, la question demeure de savoir ce qu’il faut entendre,
concrètement, par marché financier.
Au sens large des termes, il s’agit du marché de l’argent à long terme, quels
que soient les emplois auxquels il est affecté.
Dans un sens plus étroit, l’expression est réservée au marché des capitaux à
long terme, utilisant pour support les valeurs mobilières.
Le marché financier s’oppose alors au marché monétaire, défini comme le
marché des capitaux à court et moyen termes.
Habituellement, le marché monétaire est celui des banques alors que le
marché financier est ouvert à tous les opérateurs économiques.
Cependant, cette distinction s’est estompée puisque le marché monétaire
s’est ouvert à d’autres opérateurs et à d’autres produits à moyen terme;
tandis que le marché financier a connu une mutation remarquable.

La mutation des marchés financiers. Cette mutation est caractérisée par


la « révolution des trois D » à savoir, dérèglementation, décloisonnement et
désintermédiation.
- La déréglementation est un phénomène de substitution d’une
régulation par le marché, c'est-à -dire par le jeu de la concurrence, à
l’encadrement autoritaire par la puissance publique des activités
financières. Bien qu’elle soit libre, la concurrence impose un
encadrement normatif et ainsi la déréglementation ne correspond pas
à la disparition de toute règle.
- Le décloisonnement des marchés, signifie que les agents économiques
ont un libre accès aux marchés. Cela entraîne une déspécialisation des
opérateurs économiques, le développement de l’arbitrage permanent
entre le court et le long terme et la suppression du contrô le des
changes et stimule une interconnexion des places financières.
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- La désintermédiation est le recours direct des agents économiques
aux marchés financiers. Ces agents vont alors se financer sur les
marchés financiers sans passer par des intermédiaires
S’y sont ajoutées les opérations de titrisation.
- La titrisation est un montage financier permettant la conversion
d'actifs peu liquides en valeurs mobilières aisément négociables dont
le rendement est fonction du risque titrisé. Elle est un instrument de
gestion de bilan pour les banques.
Par cette technique financière, on va transformer des actifs sous-
jacents en valeurs mobilières par l'émission de titres (par exemple
titres de créances) adossés à un panier d’actifs (créances).
L’expression « titrisation » signifie donc transformer en titre. Les
revenus versés au détenteur du titre proviennent du produit des
actifs sous-jacents, d’où l’utilisation du terme : « Asset-Backed
Securities (ABS) ».
La titrisation a permis aux banques de ne plus porter les prêts au
bilan ; c’est-à -dire que les banques ont accordé des prêts, puis elles
ont transféré le risque de crédit sous-jacent à des investisseurs au
travers de produits financiers exotiques (titres). En d’autres termes,
les banques ne supportaient plus le risque attaché au prêt que celles-
ci accordaient.
Cette mutation a sensiblement dégradé les arêtes saillantes de la définition
du marché financier.
Ainsi, le critère de l’échéance a subi l’effet du désenclavement des différents
compartiments du marché, qui conduit à la mise en place progressive
d’un continuum de titres négociables accessibles à tous.
De même, cette mutation du système financier a permis l’ouverture à la
concurrence des marchés financiers.

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La concurrence des marchés financiers. Au sens classique, la bourse est «
un processus d’enchères réservé aux valeurs mobilières cotées et imposé à
toutes les transactions sur celles-ci »
En d’autres termes « la bourse, c’est le monopole des transactions sur les
titres cotés » .
La conception anglo-américaine est différente : ce n’est plus celle d’une «
bourse », mais d’un marché.
Le marché représente la liberté de concurrence.
Aujourd’hui, c’est cette dernière conception qui règne, à tel point qu’on
parle de la « fin de la bourse » , en considérant que : « la bourse n’est plus,
mais les marchés financiers demeurent » . Ces marchés sont même
hégémoniques et très variés.
A l’origine de cette mutation, on trouve le progrès technologique et
l’innovation financière qui ont provoqué une révolution dans l’architecture
des marchés financiers et leurs fonctionnements.
Par conséquent, contrairement à l’opinion largement admise, le marché
financier ne s’identifie plus à la « bourse ».

SECTION I : Le déclin de la notion de bourse de valeurs mobilières

La vocation initiale du marché financier était le financement des entreprises


( §1).
Malgré son importance économique, cette vocation s’est altérée marquant
alors l’évolution dans les infrastructures du marché et rendant ainsi plus
impérieuse la tâ che de l’identification de cette notion ( §2).

§1 La vocation initiale de financement d’une bourse de valeurs mobilières

Historiquement, l’idée dominante était de voir dans l’introduction sur le


marché boursier le moyen d’accroître les possibilités de financement de
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l’entreprise (A). Pour assurer cette fonction économique principale, l’enjeu
de l’efficience du marché boursier est primordial (B).

A. Le marché boursier, un marché de financement de l’entreprise

Le financement de l’entreprise. La vocation initiale du marché boursier


est le financement de l’entreprise. Cette vocation demeure essentielle, et ce
d’autant que l'on a assisté à une importante diversification des valeurs
mobilières. Cette faculté d’accroître ses sources de financement aboutit
aussi à accroître l’indépendance financière de la société lui permettant
d’échapper plus facilement à la domination des banques.
Dans ce contexte, il convient de distinguer deux marchés : le marché
primaire et le marché secondaire. Entre ces deux marchés, on trouve le
marché gris.

Notion de marché primaire, de marché secondaire et de marché gris.


- Le marché primaire est défini comme étant le marché des émissions
de titres.
En ce qui concerne les actions d’une société, ce marché apparaît à
l’origine de la société lorsque celle-ci constitue son capital, ou encore
lors des diverses augmentations du capital social.
Pour les obligations, le marché primaire se réalise avec la mise en
vente auprès du public des titres par le « syndicat de placement »
choisi par l’émetteur.
- Quant au marché secondaire, il représente un instrument de
mobilisation de l’épargne investie à long terme. Il permet la
réalisation immédiate des transactions et assure la liquidité des titres,
à condition, qu’on ait une rencontre satisfaisante de l’offre et de la
demande.

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Le marché secondaire accueille les titres déjà émis et cotés. C’est donc
le marché de la bourse pour l’essentiel.
- Le marché gris se situe entre les deux marchés décrits
précédemment. C’est un marché de négociation des titres entre le
moment de leur émission et celui de leur entrée en bourse.
Ainsi, la fonction initiale et principale du marché boursier est le
financement de l’entreprise ; De cette fonction découle d’autres
fonctions économiques.

Les autres fonctions économiques. Une fois cotée sur le marché boursier,
la notoriété de la société s’accroît car la presse financière lui accorde
désormais son attention. Observée et évaluée, la cotation incite alors à
l’amélioration de ses résultats.
Comme le marché boursier confère en permanence une valeur à
l’entreprise, il apparaît ainsi comme un outil irremplaçable de valorisation
des actifs. Le marché exerce ainsi une grande influence sur la gestion et le
contrô le des entreprises émettrices. Le cours des titres peut donc être un
puissant facteur de motivation dès lors qu’il traduit les efforts accomplis
par le personnel.
La cotation offre aussi la possibilité d’ouvrir à l’international le capital
social des entreprises étrangères.
Qu’il s’agisse d’une entreprise étrangère ou nationale, le marché assure
également la pérennité de l’entreprise.
Le cours des titres est déterminé par l’information disponible. Si cette
information disponible est fiable on est alors en présence d’un marché
efficient.

B. Notion de marché efficient

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La théorie des marchés de capitaux efficients (efficient capital market
hypothesis), Cette théorie préconise que le prix d’une valeur mobilière
reflète rapidement toute l’information disponible sur le marché qu’elle soit
fournie par la société ou générée essentiellement par des analystes.
C’est à FAMA que revient le mérite d'avoir formulé de manière précise en
1965, la théorie de « la marche au hasard »1 des prix spéculatifs et d'avoir
montré que le prix pratiqué pour un actif financier sur un marché efficient
reflète à tout moment, sa valeur intrinsèque.
Le marché boursier a la spécificité, par rapport aux autres secteurs, d’avoir
consacré l’information, ou la transparence, comme instrument central de
son équilibre et de son bon fonctionnement.
L’information n’est pas seulement une condition de la concurrence comme
sur les autres marchés. En effet, sur le marché boursier, les économistes ont
montré que l’information ne se limitait pas à ce rô le, mais qu’elle était la
condition principale de son bon fonctionnement, dans la mesure où les
produits échangés ne sont perceptibles que par l’information qui les décrit :
L’investisseur ne peut ni examiner ni essayer les produits proposés,
lesquels constituent économiquement des droits sur des revenus futurs. De
fait, toute nouvelle information concernant les valeurs mobilières est
susceptible de modifier la perception des investisseurs sur leur nature et
partant, sur leur prix. L’information tient alors un rô le fondamental dans le
processus de formation du prix.
Il reste que les investisseurs n’ont pas tous des motifs d’investissement.
Alors que certains se fondent sur ces informations pour investir dans telle
entreprise et participer réellement à son développement, d’autres sont
guidés uniquement par la spéculation. C’est là où réside la différence entre
un comportement d’entreprise et un comportement spéculatif.
1
Si les prix reflètent l’information disponible, les fluctuations de prix des titres ne peuvent être dues qu’à la
survenance d’événements purement incertains, c’est-à-dire totalement imprévisibles. Dans la mesure où il en est
ainsi, ces fluctuations de prix ne peuvent être elles-mêmes que purement aléatoires. Cette hypothèse théorique
est connue sous le nom de marche au hasard (random walk).
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Comportement d’entreprise et comportement spéculatif. L’investisseur,
se préoccupe de l’activité réelle de l’entreprise alors que le spéculateur
cherche la maximisation de la rentabilité financière.
L’opération spéculative peut s’entendre comme un achat ou une revente
dont le but est de réaliser des gains à court ou à moyen termes. Le
placement serait alors la recherche d’un revenu régulier et d’une sécurité
du capital par l’achat d’un produit dans un objectif à plus long terme. De la
sorte, l’investissement est une activité consistant à prévoir le rendement
attendu d’un actif tout au long de sa vie, tandis que la spéculation est une
activité consistant à prévoir la psychologie du marché.
Dans la pensée commune, la bourse est associée à la spéculation en raison
de la présence d’agioteurs. De ce fait, elle a fait l’objet de « jugements
péremptoires de dénigrement divers ». Elle est souvent qualifiée de casino,
de loterie et de jeu de hasard2.
Néanmoins, au moment où on assimilait la bourse à un jeu, elle était
réservée à une petite catégorie d’initiés et les joueurs étaient sélectionnés.
Aujourd’hui, on assiste à la démocratisation de la bourse et à la
transformation du jeu : le marché boursier a glissé d’un marché de
financement à un marché des dérivés.

Du marché de financement au marché des dérivés. A sa création, la


bourse n’était qu’une toute petite place d’échanges puis elle a évolué pour
devenir « l’organisation mondiale de la finance », grâ ce notamment à
l’émergence des produits dérivés.
En effet, outre lever des fonds, les entreprises ont besoin de s’assurer
contre les incertitudes sur les prix qu’elles peuvent subir. Pour cela, elles
2
Cette idée trouve son origine dans les excès spéculatifs qui avaient transformé Wall Street en un véritable
casino. D’ailleurs, ces excès ont laissé une trace durable dans le vocabulaire boursier américain, comme l’atteste
le terme « jeton bleu » (blue chip), apparu vers 1929 et qui désigne une valeur de premier ordre. Ce terme est
dérivé de l’univers des casinos où les jetons bleus sont ceux qui ont le plus de prix.
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vont utiliser un autre type de produit que l’on appelle « produit dérivé », car
dérivé des produits de base : actions, obligations, mais aussi matières
premières, devises, etc.
Outre la couverture, on avance généralement deux autres finalités à ces
produits : la spéculation et l’arbitrage.
Ces produits sont ainsi réputés très risqués. Il n’en demeure pas moins que
la notion même de marché financier est associée à la notion de risque.
Le risque du marché s’est accentué particulièrement avec la révolution dans
l’architecture des marchés financiers.

§ 2 La révolution dans l’architecture des marchés financiers

La diversification des marchés financiers marque une révolution dans


l’architecture de ces marchés et résulte juridiquement du passage du
monopole boursier (A) à la concurrence entre des marchés financiers (B).

A. Le monopole boursier

Descriptif économique. D’un point de vue technique, axé sur le mode


d’organisation, les marchés financiers peuvent être classés en deux grands
systèmes : d’une part les marchés gouvernés par les prix ( a) et d’autre part
les marchés gouvernés par les ordres ( b).

a) Le marché gouverné par les prix.


Dans le système de marché gouverné par les prix (market-making), de
tradition dans les pays « anglo-saxons », les cours cotés résultent des prix
offerts à l’achat comme à la vente par les « market-makers » (littéralement
faiseurs de marchés).
Ce sont des marchés de professionnels qui proposent des prix différents,
principalement à l’achat et à la vente, en fonction des quantités et à raison
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de la qualité du client. Les intermédiaires jouent un rô le fondamental,
puisque le marché même n’existe pas en dehors d’eux et se confond avec
eux. En effet, ils ne sont pas de simples collecteurs et transmetteurs
d’ordres. Au contraire, ils opèrent des négociations bilatérales avec les
donneurs d’ordres. Ainsi, il n’y a pas de mécanisme de confrontation
collective mais simplement une concurrence entre les professionnels et une
conjonction à un moment donné de transactions individuelles. Les
différences de prix entre les professionnels ne sont pas grandes, en raison
de la concurrence qui règne, du moins sur les titres les plus recherchés.
Habituellement, les marchés gouvernés par le prix ont tendance à être plus
efficaces, grâ ce à leur souplesse : c’est-à -dire grâ ce à l’adaptation des prix
aux caractéristiques essentielles des ordres. Ils sont présumés être plus
favorables à la liquidité des titres, mais à l’inverse des marchés gouvernés
par les ordres, ils sont fragmentés et conduisent à une multiplicité des prix,
souvent difficiles à connaître. Par ailleurs, ils peuvent être plus au moins
opaques, ce qui est surtout dommageable pour les petites transactions et la
masse des « petits investisseurs ».

b) Les marchés gouvernés par les ordres.


Dans le système de marchés gouvernés par les ordres (order-driven),
auquel se rattachent, traditionnellement, les pays latins, les cours cotés
résultent de la confrontation des ordres présentés sur le marché, d’où les
obligations corrélatives de centralisation des ordres sur le marché et
d’intermédiation, ainsi que la neutralité imposée aux négociateurs dans la
constatation des cours.
- La neutralité des intermédiaires est affirmée comme l’un des
principes de l’organisation boursière. Cette neutralité n’implique pas
leur abstention systématique, mais signifie que les opérateurs
boursiers ne doivent pas perturber les mécanismes de formation des
cours par leurs interventions personnelles. Ils doivent s’abstenir de
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toute opération de nature non seulement à porter préjudice aux
intérêts des clients, mais aussi à la libre formation des cours.
En principe, les professionnels ne font que transmettre les ordres au
marché et ne se portent pas contreparties de leurs clients. Par voie de
conséquence, ces marchés gouvernés par les ordres réduisent le rô le
des professionnels à de simples intermédiaires.
C’est le marché qui joue le rô le central et fonctionne par lui-même et
pour lui-même, indépendamment des professionnels.
Sur ces marchés, le mécanisme de confrontation des ordres, dit de
confrontation générale, est collectif et non bilatéral, égalitaire et non
diversifié.
Il permet de dégager, à un moment donné pour les ordres
compatibles, un prix d’équilibre : celui auquel le plus grand nombre
va pouvoir être exécuté. Le résultat est que ce prix d’équilibre est un
prix unique qui s’impose à tous : à l’achat et à la vente, aux grands
ordres comme aux petits et aux « clients professionnels » comme aux
« clients particuliers ».
- L’égalité est un principe fondamental du marché. Elle signifie que
chacun doit avoir un égal accès au marché et que le prix de la
transaction ne peut faire acception ni de la qualité du donneur
d’ordres ni de la quantité traitée. Il ne peut y avoir de prix de gros
différent des prix de détail : le prix établi s’impose à tous.
La continuité des transactions a, néanmoins, changé cette optique : si
à l’ouverture de la séance de bourse les ordres sont traités à un prix
unique dit de fixing, le marché continu se traduit par une succession
de prix au cours de la séance : le principe de l’égalité va supposer
dans ce cas non plus un prix égal unique mais un égal accès au
marché.
Ce sont donc des marchés plus transparents et plus favorables aux petits
ordres qui savent être traités comme les gros. Néanmoins, ils sont moins
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actifs car ils ne sont pas soutenus par des « market-makers » : aucun
professionnel ne joue ce rô le. Un donneur d’ordres est alors, moins sû r d’y
trouver une contrepartie. Par conséquent, les marchés de ce type sont
réputés moins liquides.
Cette typologie permet d’identifier le marché centralisé et le marché
décentralisé.

Marché centralisé et marché décentralisé. En général, le marché


gouverné par les prix est un marché décentralisé, c’est-à -dire, un marché
qui permet les négociations sur d’autres places, des titres qu’il référence.
Tandis que, le marché gouverné par les ordres est un marché centralisé, qui
attire à lui tous les ordres : il concentre toutes les négociations qu’il recense.
Par voie de conséquence, les bourses traditionnelles jouissent, dans les pays
latins, d’un monopole boursier.

Le monopole boursier. Le marché centralisé « forme une sorte d’aimant


qui attire à lui seul tous les ordres. Il concentre toutes les négociations qu’il
recense par les intermédiaires ». Pour accéder à ces marchés financiers, le
recours aux « professionnels » est obligatoire. Il se traduit par l’obligation
d’intermédiation qui est considérée comme le meilleur gage de protection
des droits des investisseurs.
Cependant, malgré les avantages du choix de ce modèle, le développement
financier et technologique et les exigences de compétitivité des places
boursières ont rendu nécessaire son dépassement.
Le paysage des infrastructures des marchés connaît alors, une
transformation surprenante, avec l’apparition de « nouvelles bourses », en
concurrence avec les marchés règlementés traditionnels.

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B. Le principe de concurrence entre les marchés financiers

La concurrence sur les marchés financiers. Les marchés financiers, « s’ils


sont le théâ tre de la concurrence, en sont également devenus les acteurs » ,
en ce sens qu’on assiste aujourd’hui, à une concurrence entre les marchés
financiers, en plus de celle existante sur les marchés financiers.
La concurrence, se situe au cœur des marchés financiers.
Cette constatation permet de contribuer à la classification des marchés
financiers.

Classification des marchés financiers et principe de concurrence. La


classification des marchés financiers selon le système de marchés
gouvernés par les ordres ou par les prix, permet de se prononcer sur
l’existence ou le dépassement du monopole boursier et ainsi la consécration
du principe de concurrence.
Néanmoins, il importe de préciser qu’il n’existe pas une application exacte
de ces systèmes. Les marchés « purs » sont rares et la tendance est à la «
mixité» des deux systèmes.

SECTION II : La mutation de la notion de marché financier : de la notion de


bourse à la notion de marchés financiers

La notion de marché financier entre l’approche juridique et l’approche


économique. En France et aux Etats-Unis, les marchés financiers ont fait
l’objet d’une évolution similaire. Pourtant, certaines divergences culturelles
persistent et la notion de marché financier en est, par voie de conséquence,
naturellement affectée.
L’approche française des marchés financiers est une approche juridique.
L’approche américaine de la notion de marché financier est plutô t
financière et économique.
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En droit américain, le droit n’est qu’un moyen au service de l’efficacité des
marchés, alors que l’objectif du droit français est de rationaliser les
marchés financiers et les risques qu’ils impliquent.
Le droit tunisien consacre un monopole au profit de la BVMT (§1), ce qui
impacte la notion même de marché (§2).

§1 La notion de marché financier en droit tunisien : Le monopole historique


de la BVMT

Obligation de centralisation. Aux termes de l’article 70 Loi 1994:


« à l’exception des cas de succession, les transactions portant sur des
valeurs mobilières et des droits s’y rapportant, émis par les sociétés et
les organismes faisant appel public à l’épargne, ainsi que les produits
financiers dont la négociabilité en bourse est reconnue, doivent être
effectuées sur un marché de négociation, dans les conditions fixées par
le règlement général de la bourse ». Le législateur dans l’article 73 Loi 1994
a prévu la nullité des opérations conclues, transgressant les dispositions de
cet article.
Toutefois, cette obligation est assortie de certaines exceptions.

Exceptions. Sont enregistrées, sans négociation, dans les conditions fixées


par le RGBVMT, certaines transactions.
Une transaction qui n’a pas lieu sur le marché central est une opération de
bloc. Ainsi le marché des blocs est un marché de gré à gré.
En droit tunisien, il y’a trois types de transactions en bloc :
1) La transaction de bloc dans le cadre des exceptions légales à
l’obligation de négociation sur le marché : Art. 70, 73. Loi 1994
2) La transaction de bloc prévue dans le cadre du RGBVMT: Art. 106,
107 (nouveau) RGBVMT

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3) La transaction de bloc dans le cadre d’une offre publique : Art.6 Loi
1994
Notons ici que selon l’article 71 Loi 1994, les titres des sociétés ne faisant
pas appel public à l’épargne ne sont pas négociés mais soumis à une simple
formalité d’enregistrement en Bourse.
Ainsi, on peut affirmer que le marché financier tunisien est un marché
centralisé et gouverné par les ordres introduits par les intermédiaires, d’où
l’obligation d’intermédiation.

Obligation d’intermédiation. Les actionnaires de la BVMT, sont


uniquement les intermédiaires en bourse agréés à cet effet qui bénéficient
du monopole de négociation traduit par l’obligation d’intermédiation.
En effet selon l’art.63 Loi 1994: « Les intermédiaires en bourse doivent
constituer une société anonyme, ayant pour mission la gestion du marché
des valeurs mobilières. Son siège est à Tunis. Elle est dénommée « Bourse
des Valeurs Mobilières de Tunis ».
La consécration de l’obligation d’intermédiation en droit tunisien n’est pas
nouvelle. Elle était déjà consacrée dans l’article 12 de la loi n°69-13 le 28
février 1969 et reprise dans l’article 55 Loi 1994 qui prévoit que « les
intermédiaires en bourse sont les agents chargés, à l’exclusion de toute
autre personne, de la négociation et de l’enregistrement des valeurs
mobilières à la BVMT, des droits s’y rapportant et des produits financiers. »
Les intermédiaires en bourse peuvent accomplir aussi, les opérations qui
sont en relation avec ces missions. Ainsi, la BVMT dispose du monopole de
l’activité boursière.
La logique du droit tunisien prévoit que c’est à travers le recours à des
professionnels, grâ ce notamment à l’obligation légale d’intermédiation, que
l’investisseur trouve la meilleure protection contre les risques du marché.
Cependant, il est étonnant de remarquer cette situation de monopole dont
bénéficie la BVMT dans un pays qui consacre le principe de la concurrence.
19
§2 Le principe de la concurrence, le monopole de la BVMT et la notion de
marché

La bourse tunisienne. La Tunisie a maintenu la tradition des bourses qui


suppose un monopole des transactions des titres cotés. Peu d’espace est
donc consenti au système de rapprochement des intérêts autre que ce
marché règlementé. La BVMT est le seul marché financier en Tunisie. Il
importe aussi de signaler que cette bourse représente un marché au
comptant. Il n’existe pas de marché dérivé en Tunisie .
Consacrant un monopole boursier au profit de la BVMT, il n’y a, à l’évidence,
aucune concurrence entre des marchés sur la place boursière tunisienne.
Le monopole boursier n’est pas seulement lié au modèle de marché choisi,
mais il est aussi en étroite liaison avec le développement du marché reflété
essentiellement par la sophistication des moyens technologiques et
l’innovation financière. Or, à cet égard, la Tunisie n’est pas encore parvenue
à dynamiser son marché et à fortiori à développer davantage les
infrastructures de marché .
La notion de marché financier désigne donc, en droit tunisien, un lieu de
rencontre entre l’offre et la demande de valeurs mobilières suivant ainsi le
premier sens de la définition.
Tandis qu’on consacre encore en droit tunisien la conception classique du
marché financier, on assiste à l’exploitation de nouveaux modes de
négociation en France et aux Etats-Unis.

Le marché nord-américain, le plus ancien et le plus animé, bénéficiant


d’un fort attachement collectif aux vertus du marché, est «
extraordinairement développé et diversifié ».

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Il présente différents marchés gouvernés par les prix, des marchés
d’intermédiaires et de professionnels : les teneurs de marché (market
makers).
Ce sont surtout des marchés sans monopole. La concurrence entre ces
marchés financiers a toujours été la règle . Le Congrès Américain a rejeté le
modèle de marché unique, mais il a prévu que les lieux de négociation
seraient reliés par des réseaux de diffusion des données (communication
and data processing facilities). A cette fin il a chargé la SEC (Securities and
Exchange Commission) de la mission de faciliter l’établissement du «
Système national de marché » (« National market system » (NMS)) .

Le marché financier français, connaît, sous l’influence du droit


communautaire, une mutation de ses infrastructures commandée par le
principe de concurrence.
Par voie de conséquence, le paysage des marchés financiers français se
rapproche de celui des marchés américains. Un instrument financier
référencé sur un marché règlementé peut être négocié en dehors de ce
marché par d’autres moyens, c'est-à -dire sur d’autres marchés règlementés
français ou étrangers ou des marchés de gré à gré, ou par des systèmes
multilatéraux de négociation ou bien des systèmes d’internalisation des
ordres.

21
CHAPITRE 2 : Les valeurs mobilières

Instruments financiers, produits financiers et valeurs mobilières. La


notion d’instrument financier ou de produit marque son entrée en droit
tunisien de façon timide. On retrouve ce terme dans quelques articles 3.
Cependant, en général, c’est la notion de valeur mobilière qui est la plus
utilisée.
Il n’y a pas de définition générale de la notion de valeur mobilière. On se
réfère plutô t à la méthode énumérative.

La méthode énumérative, absence de concept. Devant la difficulté de


conceptualiser la notion de valeur mobilière ou d’instrument financier,
donner une définition substantielle n’est pas aisé.
3
Certes, on trouve dans l’article 3 du code de prestation des services financiers aux non-résidents(CPSFNR) une
définition des instruments financiers, mais ce code régi uniquement la fourniture des produits et services
financiers et de certaines opérations pouvant s’y rattacher à des personnes physiques ou morales non-résidentes
au sens de la législation de change en vigueur, par les prestataires des services financiers non-résidents.
V. Article 3. CPSFNR: « Au sens du présent code, les instruments financiers sont :
1- les titres financiers qui comprennent :
- les valeurs mobilières émises en Tunisie telles que définies par la législation en vigueur ;
- les titres financiers étrangers négociés sur un marché réglementé soumis à une autorité de régulation membre
de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs. Ces titres sont :
Les titres de capital émis par les sociétés de capitaux qui comprennent les actions et les titres donnant ou pouvant
donner accès au capital ;
Les titres de créance, à l'exclusion des effets de commerce et des bons de caisse ;
Les parts ou actions d'organismes de placement collectif.
2- les contrats financiers à terme négociés sur un marché réglementé, soumis à une autorité de régulation
membre de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs. Et lorsque leurs sous-jacents sont des
valeurs mobilières, ces valeurs doivent être émises sur un marché réglementé soumis à une autorité de régulation
membre de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs. Ces contrats recouvrent : les contrats
d’option, les contrats à terme fermes, les contrats d'échange, les accords de taux futurs et tous autres contrats à
terme relatifs à des instruments financiers, des matières premières négociées sur un marché étranger, des devises,
des taux d'intérêt ayant pour support des obligations.
Ces contrats doivent réponde à des conditions fixées par décret. »
22
Confondant « définition » et « énumération », le législateur, essentiellement
dans le Code des sociétés commerciales (CSC) et le Code des organismes de
placement collectif (COPC), ne donne pas une définition de l’une des deux
notions et se contente d’une énumération.
Le code des sociétés commerciales ne donne pas une définition de la
notion mais il fixe dans six sous–titres un cadre juridique à certaines
valeurs mobilières (il s’agit des actions, des actions à dividendes
prioritaires sans droit de vote, des certificats d’investissement, des
titres participatifs, des obligations et des obligations convertibles en
actions).
De même, l’article 1er de la loi n°2000-35 du 21 mars 2000, relative à la
dématérialisation des titres, a adopté la même méthode énumérative.
Les valeurs mobilières en Tunisie sont citées d’une façon limitative. A
priori, il n’y a aucune possibilité de création d’autres catégories non citées
dans la loi et obéissant à une volonté contractuelle des parties. Cela peut
diminuer l’intérêt de la conceptualisation et pourtant cet intérêt existe.

Intérêt de la conceptualisation. L’intérêt de la conceptualisation réside


dans l’admission à la cô te officielle et l’application des règles concernant le
marché des valeurs mobilières de l’émission à l’achat, à la vente et l’échange
des titres.
La conceptualisation a également des conséquences en droit des sociétés
commerciales, en droit civil, en droit fiscal, en droit des voies d’exécution et
même en droit pénal.
Par ailleurs, non seulement la loi n’encadre pas certains instruments
comme les stocks-options mais en plus, elle ne permet pas d’encadrer les
nouveaux instruments qui pourraient apparaître.
Dans cette optique, la méthode énumérative a été largement critiquée.

23
Critique de la méthode énumérative. Pour une notion utilisée dans
plusieurs branches du droit, il est légitime de penser qu’« il serait donc
inquiétant que, dans des domaines aussi divers, les incertitudes de la notion
entraînent des applications contradictoires, lorsqu’il s’agit de titres qui ne
bénéficient pas d'une reconnaissance bien établie ».
Avec la méthode énumérative, la notion de valeur mobilière a longtemps été
considérée comme une notion introuvable, ambiguë et négative.
Expliquant cette démarche énumérative en droit tunisien, certains auteurs 4
ont avancé l’argument de l’innovation financière qui a semé des
perturbations dans cette notion.
En outre, on a précisé que le phénomène de diversification des valeurs
mobilières dans le cadre du droit tunisien se révèle par la création de
nouvelles catégories de valeurs mobilières par la loi n°92-107 du 16
novembre 1992 portant institution de nouveaux produits financiers pour la
mobilisation de l’épargne, telles que les actions à dividendes prioritaires
sans droit de vote, les certificats d’investissement, les certificats de droit de
vote, les obligations convertibles en action, les prêts participatifs et les
parts du fond commun de placement (FCP).
A vrai dire, bien que cette loi ait introduit de nouvelles valeurs mobilières,
on ne peut parler d’une véritable innovation financière.
En effet, depuis la promulgation de cette loi, on n’a pas assisté à
l’introduction ou la substitution de nouvelles valeurs jusqu’à en 2001 où a
été promulgué le code des organismes de placement collectif introduisant le
fonds commun de créances (FCC)5 .
Cette timide initiative a été suivie par l’admission en 2006 à la négociation
sur la BVMT des bons de Trésor6.

4
A.BOUKAMCHA, Conservation et propriété des valeurs mobilières, thèse droit privé, FDSPT, 2008-2009, dir.
N.BEN AMMOU ; Du même avis. V. H.BCHIR, La bourse des valeurs mobilières comme mécanisme de
soutien à l’entreprise économique, RJL, mai 2009, n°5, année 51, p. 132.
5
Loi n°2001-83 du 24 juillet 2001 portant promulgation du code des organismes de placement collectif
24
En 2013, le législateur a introduit les sukuks islamiques en droit tunisien 7 et
les a considérés comme des valeurs mobilières.
En vertu de l’article premier Loi 2013-30 : « Les sukuk sont des titres
négociables qui représentent des parts communes à valeur égale dans la
propriété de biens, d’usufruit, de services, de droits, existants ou qui seront
créés ou un mélange de biens, d’usufruit, de services, de monnaies et
créances du produit de la souscription. Ils sont émis dans le cadre d’un
contrat conformément aux normes charaïques et sur la base du principe de
partage de profits et de pertes. »
Certes, c’est l’influence du système anglo saxon qui permet le mieux
d’expliquer la démarche pragmatique d’énumération ,mais elle trouve sa
limite dans l’hostilité du législateur tunisien à s’adapter avec l’innovation
financière et avec l’évolution de la notion.

Innovation financière et évolution de la notion. La diversification


financière et l’évolution de la notion de valeur mobilière qui s’en suit, sont
dues à l’innovation financière et au progrès technologique. Une évolution
qui se heurte à tout effort de détermination de la notion.
Dans une logique du droit des marchés, l’innovation des produits est le
critère de la concurrence.
Ainsi, depuis la fin des années 1980, on a assisté à un développement
impressionnant des produits dérivés.
Parallèlement au développement de ces instruments financiers à terme, se
sont également développés des instruments de nature « hybride »
empruntant leur forme aux valeurs mobilières et leur fonction aux
instruments financiers à terme .
6
V. Décret N°2006-1208 du 24 avril 2006 fixant les conditions et les modalités d’émission et de remboursement
des bons de Trésor, en particulier : Article 3: « Les Bons du Trésor sont admis aux opérations de la Société
Tunisienne Interprofessionnelle pour la Compensation et le Dépôt des Valeurs Mobilières. Les bons du Trésor
dont la durée à l’émission est supérieure à un an peuvent être négociés à la Bourse des valeurs mobilières de
Tunis »;
7
Loi n° 2013-30 du 30 juillet 2013, relative aux Sukuk islamiques ( Loi 2013-30).
25
Dans ce contexte, force est de constater que le législateur tunisien n’est
parvenu ni à dépasser la notion devenue « classique » de « valeur mobilière
» et à développer les valeurs mobilières existantes depuis 1992, ni à
introduire d’autres nouveaux types de produits financiers (hybrides ou
dérivés).
Somme toute, l’offre d’instruments financiers sur le marché financier
tunisien manque d’innovation et paraît marquée par une conception
conservatrice quant à l’opportunité d’introduction de nouveaux produits
très répandus sur les marchés financiers les plus développés, notamment
les dérivés.

SECTION I : Enumération des différentes valeurs mobilières.


Enumération. Pendant longtemps, il n’y avait que les « actions » et les
« obligations » comme valeurs mobilières. Ces valeurs ont subi soit une
décomposition (action privée de droit de vote, certificat d’investissement et
certificat de droit de vote), soit une composition (valeurs transformables,
valeurs composées).
Naturellement, cette extension pose un problème de définition générale. La
diversité rend difficile la recherche de toute unité en la matière.
En effet, selon l’article premier de la loi n°2000-35 du 21 mars 2000,
relative à la dématérialisation des titres « sont considérés comme valeurs
mobilières, les actions, les actions à dividende prioritaire sans droit de vote,
les certificats d’investissement, les titres participatifs, les obligations, les
obligations convertibles en actions, les parts des fonds communs de
placement en valeurs mobilières, les droits rattachés aux valeurs mobilières
précitées et les autres instruments financiers négociables sur des marchés
organisés ».
- Cette énumération légale concerne « les valeurs mobilières nommées
» qui sont les actions, les actions à dividende prioritaire sans droit de
vote, les certificats d’investissements, les titres participatifs, les
26
obligations, les obligations convertibles en actions et les parts des
fonds communs de placement en valeurs mobilières (FCP).
Elle comprend aussi « les droits rattachés aux valeurs mobilières
précitées ».
Ces droits rattachés sont négociables indépendamment de la
négociation des valeurs mobilières qui leur servent de support et
concernent, en particulier, le droit préférentiel de souscription à une
augmentation de capital ainsi que le droit d’attribution en cas
d’augmentation de capital par incorporation des réserves.
- L’énumération légale désigne encore des valeurs mobilières
innommées . Ce sont « les autres instruments financiers négociables
sur des marchés organisés ».
A cette liste, il convient d’ajouter les parts des FCC qui sont des valeurs
mobilières en vertu de l’article 37 COPC.
En droit français, les valeurs mobilières représentent, désormais, la sous-
catégorie des instruments financiers qui est « les titres financiers » .
Selon l’article L.211-1 Code monétaire et financier (Co.mo.fi), les différents
« titres financiers » sont regroupés en trois catégories, à savoir les titres de
capital émis par les sociétés par actions , les titres de créance, à l’exclusion
des effets de commerce et des bons de caisse et les parts ou actions
d’organismes de placement collectif (OPC).
L’énumération permet ainsi la classification des valeurs mobilières.

Classification des valeurs mobilières. La distinction traditionnelle


demeure celle qui oppose les valeurs mobilières représentatives du capital
à celles qui représentent un droit de créance
Cette distinction découle de l’opposition « classique » entre l’action et
l’obligation.

27
L’opposition classique entre l’action et l’obligation est établie d’un point de
vue juridique : alors que l’actionnaire est un associé, l’obligataire est un
créancier.
On peut alors classer les différentes valeurs mobilières en deux catégories
les titres de capital (§1) et les titres de créance (§2).

§1 Les titres de capital

Les catégories des titres de capital. Il est possible de regrouper dans


cette catégorie les actions, les actions à dividende prioritaire sans droit de
vote et les certificats d’investissement.

- Les actions. Les actions sont les titres des actionnaires d’une société
par actions. Représentative d’une fraction du capital social et
contrepartie de l’apport, l’action est classée selon la nature de cet
apport en action de numéraire et actions d’apport.
Selon l’article 316 CSC. Les actions d’apport sont celles émises pour
rémunérer un apport en nature, alors que les autres sont celles dont
le montant est libéré en espèces ou par compensation d’une créance
ou celles émises par suite de l’incorporation des réserves des
bénéfices ou des primes d’émission
Les actions sont en principe librement négociables et confèrent à
leurs titulaires des droits identiques, à savoir des droits pécuniaires
et des droits extra-pécuniaires ou extrapatrimoniaux.
 Quant aux droits pécuniaires l’actionnaire a droit à des
dividendes et à l’attribution d’actions gratuites à la suite
d’une augmentation du capital par incorporation de
réserves.
Il a également un droit de préférence à la souscription des
actions de numéraire émises pour réaliser une
28
augmentation du capital, un droit au remboursement de
l’apport lors de la liquidation de la société et un droit au
boni de liquidation.
 Quant aux droits extra-pécuniaires, l’actionnaire a le
droit de faire partie de la société. L’actionnaire a un droit
de vote et de participation dans les décisions collectives,
un droit d’éligibilité aux fonctions sociales et un droit
d’information.

- Les actions à dividende prioritaire sans droits de vote (ADPSDV).


Ces actions8 confèrent à leurs titulaires une fraction de dividendes
plus importante que celle attribuée aux autres actions. Ce
renforcement du droit pécuniaire a comme contrepartie la
renonciation au droit de vote.
Il faut, toutefois, souligner que l’exclusion du droit de vote n’est pas
absolue, le titulaire peut recouvrer son droit de vote si la société
n’assure pas le dividende prioritaire.
La suppression du droit de vote laisse intact le droit à l’information
sur la situation de la société et le droit au dividende prioritaire n’est
pas exclusif du droit au superdividende.

- Les certificats d’investissement. Dans ce cadre, l’action sera


scindée en deux certificats. D’une part, le certificat d’investissement
représentatif des droits pécuniaires attachés à l’action et d’autre part,
le certificat de droit de vote représentatif des autres droits de
l’actionnaire.
Alors que le certificat d’investissement est proclamé «valeur
mobilière» par le législateur (article 381 CSC), le certificat de droit de
vote n’a pas cette caractéristique et n’est donc pas négociable ou «
8
Seule la société anonyme peut procéder à la création des ADPSDV (Art. 346 et 347. CSC ; Art. 4 COPCVM).
29
dématérialisable » et n’est en aucun cas, susceptible de procurer des
revenus.
Selon l’art. 381. CSC, le certificat d’investissement a une valeur
nominale obligatoirement égale à celle de l’action.
 Le titulaire de certificats d’investissement jouit des droits
pécuniaires rattachés aux actions ordinaires (droit aux
dividendes, droit préférentiel de souscription, droit à
l’actif social, droit au boni de liquidation, etc.).
 Il est cependant, privé définitivement du droit de vote.
 En outre, il a le droit de se réunir en assemblée spéciale,
le droit de s’opposer aux opérations de fusion, le droit de
négocier les certificats d’investissement et un droit
d’information. Il a le droit d’obtenir communication des
documents sociaux dans les mêmes conditions que les
actionnaires (Art. 382. CSC).

§2 Les titres de créance

- Les parts des FCC, les parts des FCP, des titres de créance. Dans le
COPCVM, le législateur a clairement prévu que les parts des FCC sont
des valeurs mobilières
Le FCC est « une copropriété ayant pour objet unique l’acquisition de
créances saines détenues par les banques ou d’autres organismes
prévus par décret, en vue d’émettre des parts représentatives de ces
créances. L’émission des parts s’effectue en une seule fois » Art. 35
COPCVM .
Le régime des parts de FCC est très proche de celui qui gouverne les
FCP.

30
Selon l’article premier de la loi n°2000-35 du 21 mars 2000 relative à
la dématérialisation des titres, les parts des FCP sont considérées
comme des valeurs mobilières.
L’OPCVM est une entité qui recueille des capitaux auprès du public et
les investit collectivement dans un ensemble de valeurs mobilières.
C’est le véhicule de la gestion collective.
En droit tunisien, la matière est codifiée dans le Code des organismes
de placement collectif (COPCVM). On ne trouve pas une définition de
la gestion collective ou de l’OPCVM. L’article premier du COPC se
contente de citer les deux formes que peut prendre un OPCVM à
savoir un FCP, ou une société d’investissement à capital variable
(SICAV).
Il est à remarquer qu’en droit tunisien, les valeurs mobilières sont des
titres émis par catégorie et le FCP est une copropriété dépourvue de
la personnalité morale.
Le rattachement des parts des FCP à la catégorie des valeurs
mobilières est théoriquement discutable en raison de l’inexistence de
personnalité morale des FCP. Cette qualification est inhabituelle car
elle consacre un droit de créance sur un fonds, alors que celui-ci n’a
pas de personnalité juridique.
Toutefois, elle empêche un tiraillement entre le régime applicable aux
SICAV et celui applicable aux FCP.
A cô té des parts des OPCVM, on trouve en droit tunisien, d’autres
catégories de titres de créance.

- Les catégories de titres de créance. Ces catégories comprennent les


obligations ordinaires, les obligations convertibles en actions et les
titres participatifs.

31
 Les obligations ordinaires. En vertu de l’article 327 CSC,
les obligations sont des valeurs mobilières négociables
émises pour une durée minimale de 5 ans.
L’obligataire se définit comme un prêteur d’argent. Il est
titulaire d’un droit de créance à l’encontre de la société
émettrice qui peut être soit, une société anonyme soit,
une société en commandite par actions (Art. 329 et 391
CSC).
Ce droit de créance se traduit par le remboursement à
l’échéance de la somme prêtée augmentée des intérêts. Le
taux d’intérêt est déterminé par la société émettrice.
Aucune disposition du CSC ne réglemente ce taux.
Les obligataires ont également des droits extra-
pécuniaires comme le droit de se réunir en assemblée
spéciale des obligataires, le droit de s’opposer aux
opérations de fusion (Art. 419 CSC) le droit de négocier
leurs obligations et le droit d’information.
Sur le marché tunisien, on constate le succès des
emprunts obligataires subordonnés. Ce sont des
emprunts obligataires auxquels est rattachée une
clause de subordination. De ce fait, ils sont soumis
aux règles et textes régissant les obligations,
notamment l’article 331 CSC.
 Les obligations convertibles en actions. Les
obligations convertibles en actions sont des obligations
dont les conditions d’émission prévoient qu’elles
comportent une option de transformation en actions sur
la demande de leur porteur. La conversion des obligations
en actions réalise une augmentation de capital. Ainsi, un
créancier devient un actionnaire.
32
 Les titres participatifs. Ces valeurs mobilières sont
émises par les sociétés anonymes. Au regard de la
réglementation boursière, les titres participatifs sont
considérés comme des titres de créance (Art. 47.
RGBVMT).
Ce sont des titres de créance, mais ils ne sont remboursés
qu’après les créanciers chirographaires et souvent
uniquement lors de la dissolution de la société.
Les droits des propriétaires de titres participatifs
concernent le droit à une rémunération et le droit au
remboursement. La rémunération des titres participatifs
fixée au niveau de la notice d’émission comporte
obligatoirement une partie fixe et une partie variable
calculée par référence à des éléments relatifs à l’activité
ou aux résultats de la société et liée au nominal du titre.
(Art. 369 CSC).
Le remboursement des titres participatifs ne peut être
envisagé que dans l’une des situations envisagées dans
l’article 370 du CSC.
C’est ainsi qu’aux termes de l’article 370 CSC « La société
ne rembourse les titres participatifs qu'à l'expiration d'un
délai qui ne peut être inférieur à sept ans
ou en cas de liquidation.
Les titres participatifs ne sont remboursables en cas de
liquidation qu'après désintéressement de tous les autres
créanciers privilégiés ou chirographaires à l'exclusion des
titulaires des titres participatifs. »
Le propriétaire d’un titre participatif a le droit de se
réunir en assemblée spéciale, le droit d’opposition aux

33
opérations de fusion et le droit de communication des
documents de la société (Art. 373. CSC).
Il a également le droit de négocier ses titres. Comme il a été
précisé dans l’article 369. CSC : « Les titres participatifs sont
des valeurs mobilières négociables. ».
Ce droit de négociabilité est ainsi un droit commun à
toutes les valeurs mobilières déjà présentées. En effet, la
négociabilité est l’une des caractéristiques des valeurs
mobilières. Néanmoins, elle est devenue un facteur
d’incertitude sur la notion.
SECTION II : Les incertitudes dues à certaines caractéristiques des valeurs
mobilières

Les différentes caractéristiques des valeurs mobilières. De l’examen


des différentes catégories de valeurs mobilières déjà exposées et des textes
s’y rapportant, il est possible de tirer une liste type des principales
caractéristiques des valeurs mobilières :
-Les valeurs mobilières sont des biens meubles ;
-Les valeurs mobilières sont des biens fongibles, c’est-à -dire « choses
de genre». Au sein d’une même émission, les titres sont
interchangeables et remplaçables les uns par les autres
indifféremment : Ils ont les mêmes droits. D’ailleurs, c’est cette
fongibilité qui permet la négociation en bourse qui se fait sans
distinction entre titres de même catégorie et relevant d’une même
émission. Au sein d’une même émission, elles confèrent les mêmes
droits et font supporter les mêmes obligations ;
-les valeurs mobilières peuvent être cotées en bourse ;
-les valeurs mobilières sont susceptibles de procurer des revenus ;

34
-les valeurs mobilières donnent accès, directement ou indirectement,
à une quotité du capital ou à un droit de créance général sur le
patrimoine de la société émettrice ;
-les valeurs mobilières sont des titres négociables ;
-les valeurs mobilières sont dématérialisées ;
-les valeurs mobilières sont des biens incorporels. Cette
caractéristique signifie que les valeurs mobilières n’existent pas
matériellement sous forme de titre.

Parmi ces caractéristiques, deux ont sensiblement perturbé l’effort de


conceptualiser la notion de valeur mobilière. La dématérialisation (§1) et la
négociabilité (§2) se fondent sur le procédé de l’inscription en compte. Par
les multiples questions que ce procédé suscite, c’est la notion même de
valeur mobilière qui est remise en cause.

§1La dématérialisation

Dématérialisation ou scripturalisation. La dématérialisation a changé la


nature même des valeurs mobilières de biens corporels à des biens
incorporels.
Les valeurs mobilières sont représentées sous la forme d’une inscription en
compte. Ce phénomène, connu sous l’appellation de « dématérialisation »
ou « scripturalisation », a eu pour conséquence de supprimer « l’enveloppe
corporelle » qui était considérée comme incorporant les droits associés et
conférait aux titres la nature de biens corporels.
La dématérialisation était d’abord imposée par des contraintes pratiques de
sorte qu’on a assisté à une dématérialisation de fait avant sa proclamation
légale.

- Dématérialisation de fait :
35
L’idée de dématérialisation a été évoquée dans un premier temps par
la loi 1994 en vue de faciliter la circulation des valeurs mobilières sur
le marché boursier.
En effet, elle était étroitement liée à la création par cette loi du
dépositaire central (la STICODEVAM désormais Tunisie Clearing).
La dématérialisation résultait alors du dépô t des valeurs mobilières à
la STICODEVAM, lequel constitue une condition nécessaire à
l’admission des valeurs mobilières à la cote de la bourse. On parlait
alors d’une dématérialisation de fait.
Dans le cadre de ce régime, les titulaires de valeurs mobilières,
conservent la possession des titres physiques qui sont en même
temps l’objet d’une inscription en compte auprès du dépositaire
central. Dès lors, il s’agit d’un système hybride assurant la coexistence
entre les titres physiques et les titres dématérialisés sous forme
d’écriture en compte où les titres tout en étant conservés par la
STICODEVAM ( Tunisie clearing) , demeurent en la possession de
leurs propriétaires. Il fallait attendre l’an 2000 pour introduire la
dématérialisation de droit.

- Dématérialisation de droit. La loi n° 2000-35 du 21 mars 2000,


relative à la dématérialisation des titres, énonce dans son article 2
que « les valeurs mobilières visées par l’article premier ci-dessus sont
dématérialisées et sont représentées par une inscription au compte
de leur propriétaire, auprès de la personne morale émettrice ou d’un
intermédiaire agréé ».
L’article 3 de la même loi, explique le mécanisme de la
dématérialisation en précisant que «les valeurs mobilières, quelle que
soit leur nature, émises sur le territoire tunisien et soumises à la
législation tunisienne, doivent être nominatives et inscrites dans des

36
comptes tenus par la personne morale émettrice ou par un
intermédiaire agréé ».
Il en découle que la dématérialisation est obligatoire puisqu’elle ne
dépend nullement de la volonté des propriétaires de valeurs
mobilières.
Elle est généralisée étant donné qu’elle s’étend à toutes les valeurs
mobilières sans se limiter aux seules valeurs prises par la
STICODEVAM (désormais Tunisie Clearing).
Enfin, elle est irréversible puisque les propriétaires des valeurs
mobilières ne peuvent plus les convertir en titres physiques tout en
ayant perdu leur détention à titre définitif.
Cette dématérialisation repose sur la suppression des titres au porteur. Par
conséquent, elle implique la disparition de la distinction entre les titres au
porteur et les titres nominatifs.

La disparition de la distinction entre les titres au porteur et les titres


nominatifs. Cette distinction a été instaurée en droit tunisien depuis près
d’un siècle, mais elle a été abandonnée depuis mars 2000 suite à la
dématérialisation des titres.
Deux causes principales peuvent expliquer le recours à cette solution :
d’une part les titres au porteur présentaient la difficulté de sauvegarder et
de perte et d’un autre cô té l’échange de ces titres peut se faire discrètement
ce qui constitue un rideau pour des opérations illicites ou de blanchiment
d’argent.
Plusieurs dispositions consacrent alors la nominativité comme l’article 314
CSC qui prévoit que « les valeurs mobilières émises par les sociétés
anonymes, qu’elle qu’en soit la catégorie, doivent être nominatives ».
En revanche, certaines dispositions sont moins claires comme l’article 407
CSC, qui dispose que « les actions ou coupons d’actions seront nominatifs
même après leur entière libération ».
37
Il n’en demeure pas moins, que différentes dispositions du Code des
sociétés commerciales portent toujours sur l’action au porteur9.
Le changement de la forme des titres qu’a opéré la dématérialisation
nécessite la création de tout un système d’inscription en compte.
Or, la nature de l’inscription en compte est discutable.

La nature de l’inscription en compte. En doctrine, deux principaux


courants se sont dégagés quant à la nature de l’inscription en compte.
- D’après les partisans du premier courant, la dématérialisation aurait
ramené les titres à de simples droits personnels entre l’émetteur et le
titulaire . L’inscription en compte permettrait de rendre opposables
les transferts de ces droits personnels. Il y aurait donc, d’une part, des
droits personnels : droits de créance ou droits d’associés et, d’autre
part, une forme de publicité constituée par l’inscription en compte et
permettant l’opposabilité du transfert des droits.
- Pour les seconds, la dématérialisation se serait contentée de
transformer l’apparence du titre, de la forme papier à la forme
scripturale , de sorte que c’est le titre scriptural qui incorporerait les
droits personnels afin de circulation. L’inscription n’est pas un titre
probatoire, elle est l’instrument financier lui-même. Dans ce sens, le
Professeur FG.TREBULLLE a considéré que « c’est bien l’existence
même du titre qui est liée à l’inscription en compte. Le titre ne
pourrait être envisagé autrement que par l’inscription en compte ou
sans elle ».
Le Professeur D.R.MARTIN a même soutenu l’hypothèse du caractère
corporel de l’inscription en compte en affirmant que les inscriptions
informatiques s’analysent en de véritables biens corporels .
L’avènement de la dématérialisation entraîne donc, du moins en apparence
une modification substantielle du régime des valeurs mobilières.

9
V. par ex., les articles 347, 355, 377, 378 CSC.
38
Si la dématérialisation des titres a été analysée par la doctrine française
comme une détitrisation, cette position n’a pas été partagée par M.
A.BOUKAMCHA qui trouve cette position exagérée. L’auteur considère, en
effet, que même si la dématérialisation avait entraîné la suppression de la
représentation matérielle des valeurs mobilières, elle n’empêche pas leur
qualification de titres. Il s’agit alors pour lui, d’une simple modification de la
forme des titres qui a entraîné la substitution du titre papier par un titre
scriptural à travers un système d’inscription en compte.

Système d’inscription en compte. Le système d’inscription en compte a


fait émerger une autre subdivision des valeurs mobilières. C’est ainsi que
les valeurs mobilières peuvent être classées en deux catégories :
1. Les valeurs mobilières qui doivent être obligatoirement admises
aux opérations du dépositaire central (ce sont les titres admis à la
cote de la bourse (Art. 79 al 1. Loi 1994 et. Art.29 RGBVMT).
2. Les titres dont l’admission à ses opérations est simplement
facultative).
Les valeurs mobilières admises aux opérations du dépositaire central, font
l’objet d’une conservation à double niveau.
- D’une part, elles sont inscrites au nom de leurs propriétaires auprès
des teneurs de comptes adhérents au dépositaire central.
- D’autre part, chaque teneur de compte adhérant dispose d’un compte
auprès du dépositaire central à travers lequel sont inscrites toutes les
valeurs dont il assure la tenue de compte.
Les deux niveaux de conservation sont étroitement liés. La comptabilité
mise en place par ce système est alors une comptabilité à partie double.
L’inscription en compte avait également des incidences sur la négociabilité
des valeurs mobilières.

39
§2 La négociabilité

Définitions. Les valeurs mobilières sont des titres négociables.


La négociabilité est définie comme étant « la qualité attachée à certains
titres représentatifs d’un droit ou d’une créance, qui en permet une
transmission plus rapide et plus efficace que les procédés du droit civil ».
Autrement dit, la négociabilité serait l’aptitude à circuler selon les voies
simplifiées du droit commercial, sans avoir à respecter le formalisme exigé
dans l’article 205 COC.
Les valeurs mobilières se transmettent ainsi selon les procédés du droit
commercial: selon une inscription en compte ou tradition, et non selon
celui, plus lourd, de la cession de créances.
La négociabilité permet de distinguer les actions des parts sociales,
lesquelles ne sont pas négociables mais seulement cessibles. Sur le plan
formel, la cession des parts est entourée d’un formalisme exorbitant.
Exemple : la cession des parts sociales dans les sociétés à responsabilité
limitée. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 110. CSC : « La cession des parts
sociales doit être constatée par un écrit comportant une signature légalisée
des parties.
Cette cession ne sera opposable à la société que si les conditions fixées à
l'article 109 précédent ont été respectées et qu'elle aura été signifiée à la
société. »
Précisément, l’article 315 du CSC dispose que « les valeurs mobilières sont
négociées par leur transfert d’un compte à un autre ».
Caractéristique essentielle des valeurs mobilières, la négociabilité est
souvent confondue avec la cotation.

Distinction négociabilité–cotation. Une action peut ne pas remplir les


conditions permettant son admission sur un marché réglementé, tout en
demeurant éligible à la qualification de valeur mobilière. Il ne faut donc pas
40
confondre la négociabilité d’une valeur mobilière et son aptitude à être
cotée en bourse.
En effet, certaines transactions n’ont pas lieu sur le marché central bien
qu’elles soient parfois même des valeurs mobilières cotées.
Il s’agit des opérations de bloc qui représentent un marché de gré à gré.
En droit tunisien, il y a trois types de transactions en bloc :
1. La transaction de bloc dans le cadre des exceptions légales à
l’obligation de négociation sur le marché.
En effet, aux termes de l’article 70 Loi 1994, à l’exception des cas
de succession les transactions portant sur des valeurs mobilières
cotées doivent être effectuées sur le marché.
Le non-respect de cette obligation de négociation sur le marché
rend la transaction nulle d’après les dispositions de l’article 73 de
la même loi.
Toutefois, sont enregistrées sans négociation dans les conditions
fixées par le règlement général de la Bourse les transactions ayant
lieu entre :
1. conjoints ou entre ascendants et descendants
jusqu’au troisième degré
2. deux sociétés dont l’une d’elles détient directement
34% au moins du capital de l’autre ;
3. une personne morale autre qu’une société et une
société lorsque la personne morale détient directement
34 % au moins du capital de la société ;
4. deux personnes physiques ou morales lorsque la
transaction, incluse dans une convention autre qu’une
simple vente, en constitue un élément nécessaire ;
5. le porteur et le cocontractant dans une convention
de portage lorsqu’une copie de ladite convention est
déposée simultanément auprès du Conseil du Marché
41
Financier et de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis
dès l’achèvement des formalités juridiques de
l’établissement de cette convention ;
6. deux actionnaires lorsque la transaction porte sur
des actions destinées à servir de garantie de gestion
exigée des administrateurs.
7. Sont aussi enregistrées en Bourse, sans négociation,
les opérations décidées dans le cadre de la
restructuration des entreprises publiques et à
participation publique ou à majorité publique, et qui sont
notifiées à la Bourse par l’autorité compétente.
2. La transaction de bloc prévue dans le cadre du règlement général
de la bourse.
En vertu de l’article 106 (nouveau) RGBVMT : « Est considérée
comme transaction de bloc, la transaction portant sur un montant
convenu entre l’intermédiaire en bourse acheteur et
l’intermédiaire en bourse vendeur, et autorisée selon les règles
définies par le présent chapitre ».
L’article 107 (nouveau) du même règlement apporte plus de
précision en disposant que : Les transactions de blocs sont
réalisées en dehors du carnet d’ordres central.
Les transactions de blocs ne peuvent porter que sur l’une des
valeurs dont la liste est arrêtée par la Bourse.
Le règlement du parquet de la BVMT a encadré les transactions de
blocs dans son article 9.
Le principe est que l’exécution d’un ordre en dehors du carnet
d’ordres central requiert l’accord explicite du client. La négociation
qui en découle doit être déclarée à la Bourse.
Seules les valeurs faisant partie de la liste arrêtée par la Bourse
sont éligibles à la négociation de bloc.
42
Les transactions de bloc sont autorisées à l'issue de la clô ture de la
séance de bourse.
3. La transaction de bloc dans le cadre d’une offre publique. La
Bourse est autorisée d’enregistrer les transactions portant sur une
marge plus élevée, lorsque la transaction est réalisée en
application de l’article 6 Loi 1994, qui traite des offres publiques.
D’après l’article 5 de la loi 1994 , est considérée offre publique,
l’offre émanant d’une personne physique ou morale, en vue
d’acheter, échanger, vendre ou retirer un bloc de titres émis par
une société faisant appel public à l’épargne, à des conditions de
réalisation et de prix différentes de celles du marché.
La cotation ou l’aptitude d’une valeur mobilière à être cotée ne peut
constituer alors ni un critère, ni une condition de validité d’une valeur
mobilière.
En revanche, c’est parce qu’il est négociable et fongible qu’un titre est
qualifié de valeur mobilière et qu’il peut, en principe, être coté en bourse.
La négociabilité est un élément intrinsèque de la définition classique. Celle-
ci est considérée comme consubstantielle aux valeurs mobilières et
pourtant on peut se demander si la négociabilité constitue bien un critère
de la définition ?

La négociabilité critère. La négociabilité est une caractéristique commune


à toutes les valeurs mobilières.
Sur un marché financier, ce sont les valeurs mobilières qui sont échangées
ou cédées. Dans ce sens on peut penser que « la négociabilité est
certainement le critère le plus opératoire pour déterminer ce qu’est un
instrument financier ».
Sans doute, la négociabilité du titre lui permet d’éviter la lourdeur des
procédés de transmission de créances ce qui permet de garantir au moins
théoriquement leur liquidité.
43
Il reste qu’à travers le procédé de l’inscription en compte, il n’y a plus de
place au « seul procédé de négociation qui ne faisait intervenir personne
d’autre que les parties à la cession ».
Ainsi, « même si l’inscription en compte se fait plus simplement qu’une
signification de cession de créances, elle suppose le recours à un tiers, le
teneur de compte, quand ce n’est pas à plusieurs, une véritable chaîne de
teneurs de comptes ».
De sorte que « l’inscription en compte peut s’avérer un moyen de
« transmission» qui manque d’efficacité et de rapidité. Concernant
l’efficacité, l’inscription en compte de l’acheteur ne constitue qu’une simple
constatation du droit qui nécessite pour être efficace une consolidation par
la livraison des titres. Concernant la rapidité, la mise en œuvre de
l’intervention du teneur de compte chargé de l’inscription en compte a pu
démontrer que cette opération n’est pas aussi rapide que l’on puisse croire
… »10.
Par conséquent, la négociabilité entendue comme la simplification du
procédé de transmission des valeurs mobilières n’est plus vérifiable. Il faut
plutô t dire que les valeurs mobilières se transmettent à travers un système
d’inscription en compte. Or, l’inscription en compte est parfois analysée
comme la valeur mobilière elle-même.
Ces incertitudes causées principalement par le progrès technologique
s’ajoutent à celles causées par la diversification, pour justifier la nécessité
de porter la réflexion autour de l’évolution de la notion : de la notion de
valeur mobilière à celle d’instrument financier.

10
Ch.MZOUGHI, La négociation des valeurs mobilières en droit tunisien Essai sur l’évolution du droit des
contrats, Ed Raslen, 2015, p. 236, n°377.
44
CHAPITRE 3 : L’appel public à l’épargne

Société faisant appel public à l’épargne. La société faisant appel public à


l’épargne est une société ouverte, par opposition à la société fermée dont
les fondateurs se contentent de souscrire la totalité du capital social.
Une société n’est pas forcément constituée selon le procédé de l’appel
public à l’épargne (APE). Elle peut initialement être formée en tant que
société fermée et ouvrir son capital social au public en cours de vie sociale.

Définition SFAPE dans le CSC. L’article 162 CSC prévoit que : « Sont
réputées sociétés faisant appel public à l’épargne celles qui émettent ou
cèdent des valeurs mobilières en appelant le public à l’épargne.
Il en est de même pour toutes les sociétés désignées comme telles par des
lois spéciales ».

Définition SFAPE dans loi 1994. L’article 1 er


de la loi 1994, fixe les
critères de l’APE : Sont réputés sociétés ou organismes faisant appel public
à l’épargne :
1. Les sociétés qui sont déclarées comme telles par leurs statuts.
2. Les sociétés dont les titres sont admis à la cote de la bourse.
3. Les banques et les sociétés d’assurances quel que soit le
nombre de leurs actionnaires.
4. Les sociétés dont le nombre d’actionnaires est égal ou supérieur
à cent.
5. Les Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières.
6. Les sociétés et les organismes autres que les organismes de
placement collectif en valeurs mobilières qui, pour le placement de
leurs titres, recourent soit à des intermédiaires, soit à des procédés
de publicité quelconques, soit au démarchage.

45
Le démarchage s’entend de l’activité de la personne qui se rend
habituellement à la résidence de personnes, sur leurs lieux de travail
ou dans les lieux publics, en vue de leur proposer la souscription ou
l’acquisition de titres. Est également considéré comme démarchage,
l’envoi de lettres, dépliants ou tous autres documents lorsqu’il est
utilisé, de façon habituelle, pour proposer la souscription ou
l’acquisition de titres .

Critères APE. La loi 1994 retient différents critères de l’APE


- Un critère formel déduit des statuts de la société la qualifiant
explicitement comme société faisant APE,
- Un critère matériel tiré de l’activité exercée (banque, assurance ainsi
que collecte de l’épargne)
- Un critère quantitatif de diffusion des titres (sociétés dont le nombre
des actionnaires est égal ou supérieur à 100) et de procédés de
diffusion (admission à la cote de la Bourse, placement des titres par
recours à des intermédiaires, à des procédés de publicité et au
démarchage).
Ces critères ne sont pas cumulatifs, mais cumulables. De plus, ils se
caractérisent par la mouvance, en ce sens que rien n’empêche une société
ouverte de se fermer volontairement ou involontairement.

SECTION I : La Procédure de l’APE

SFAPE et CSC. L’APE a lieu, soit à la constitution de la société par actions,


soit à l’occasion d’une augmentation de capital.
Le sous-titre deuxième du titre premier du livre quatrième du Code des
sociétés commerciales intitulé « De la constitution de la société anonyme »
réserve un chapitre I à la constitution de la société faisant APE et un
chapitre II à la constitution de la société ne faisant pas APE, même si ce
46
dernier comporte à ce jour une erreur matérielle, puisqu’il s’intitule « De la
constitution de la société "Faisant appel public à l’épargne"».

Constitution SFAPE. L’article 163 CSC impose aux fondateurs de la société


constituée avec APE d’élaborer un projet de statuts, de le signer et de le
déposer au greffe du tribunal de première instance du lieu du siège social,
avant toute souscription du capital. Ainsi, les éventuels investisseurs
pourront le consulter et souscrire au capital social en connaissance de
cause.
Le caractère successif de la constitution se traduit par l’existence de tout un
processus d’évaluation des apports en nature.
Le code des sociétés commerciales impose l’accomplissement de deux
formalités préalables avant toute souscription au capital par appel public à
l'épargne.
Il s’agit du dépô t d’un projet des statuts et de la publication d’une notice. A
ces deux formalités s'ajoute l'obligation de publier un prospectus prévue
par l’article 2 loi 1994. Après la souscription intégrale du capital, les
fondateurs doivent convoquer une assemblée générale constitutive. Le
statut de fondateur entraîne des obligations qui peuvent être sanctionnées
tant au civil qu’au pénal.

§1 Dépô t du projet des statuts


Avant toute souscription, les fondateurs doivent établir et déposer au greffe
du tribunal de première instance du futur siège social un projet des statuts.
À partir de la date de ce dépô t commence à courir un délai de six mois pour
la constitution définitive de la société. Tout intéressé peut prendre
communication du projet des statuts.

47
§2 Publication d’une notice
Les fondateurs, doivent, avant l’ouverture des souscriptions, publier une
notice destinée à donner au public des indications à caractère juridique sur
la société. La notice doit comporter certaines indications dont certaines
sont destinées à informer les épargnants sur les caractéristiques
essentielles de la société et les autres sur les droits d’actionnaires, les
éventuelles restrictions à ces droits ou les causes de rupture d’égalité. La
notice doit également indiquer les délais ouverts à la souscription, les
modalités de convocation à l’assemblée générale constitutive et le lieu de sa
réunion.

§3 Le prospectus
L’article 2 loi 1994, oblige tout société ou organisme qui émet des valeurs
mobilières ou produits financiers par appel public à l’épargne, à publier un
prospectus destiné à l’information du public et portant notamment sur
l’organisation de la société ou de l’organisme, sa situation financière et
l’évolution de son activité ainsi que les caractéristiques et l’objet du titre ou
du produit émis.
Lorsqu’il s’agit de la constitution d’une société par appel public à l’épargne,
les informations financières sont par définition de nature prévisionnelle.
Le prospectus est préparé selon des modèles fixés par le CMF et est soumis
au visa dudit conseil.
L’article 7 alinéa 1 du règlement du CMF relatif à l’APE détaille ces données
en prévoyant que : « Le prospectus doit comprendre toutes les informations
nécessaires au public pour fonder son jugement sur le patrimoine, l’activité,
la situation financière, les performances, l’évolution de l’émetteur, ainsi que
sur les droits attachés aux titres ».
La volonté de fournir aux souscripteurs une information fiable explique le
choix de ne pas laisser l’élaboration du prospectus à la discrétion de

48
l’émetteur. Effectivement, ledit prospectus est préparé selon des modèles
fixés par le CMF.
Le prospectus d’émission doit être remis ou adressé à toute personne dont
la souscription est sollicitée. Il doit en outre être déposé au siège de la
société et chez les intermédiaires chargés de recueillir les souscriptions.
L’offre de souscription des valeurs mobilières ou produits financiers de
sociétés faisant appel public à l’épargne sans respect de la formalité du
prospectus est sanctionné par une amende.
Il convient de signaler que le prospectus ne s’impose pas seulement à
l’occasion de la constitution de la société ou bien lors d’une augmentation
de son capital. Le législateur le maintient aussi quand les titres des
organismes émetteurs sont admis à la cote de la Bourse et lorsqu’il y a des
offres publiques. On parle selon le cas de prospectus d’admission ou de
prospectus d’offre.
Dans certaines hypothèses n’exigeant pas de l’émetteur de fournir aux
investisseurs une information poussée, un prospectus abrégé suffit. Ces cas
sont signalés par l’article 31 du règlement du CMF relatif à l’APE. Ils sont au
nombre de 5 :
- Les valeurs mobilières offertes proviennent de l’exercice d’un droit issu
de valeurs mobilières dont l’émission a déjà donné lieu à l’établissement
d’un prospectus.
- Les valeurs mobilières sont offertes en substitution d’actions de la
même société et leur émission n’entraîne pas une augmentation du
capital de l’émetteur.
- L’émetteur a obtenu un visa relatif à un placement depuis moins de 6
mois et désire faire un nouvel APE.
- L’APE est fait par un émetteur auprès de ses salariés et dirigeants ou de
ceux d’une société du même groupe, par la voie du placement de ses
propres titres.

49
- Le placement est réalisé auprès d’acquéreurs avertis, à savoir l’É tat et
ses démembrements ainsi que les banques, les compagnies d’assurance,
les caisses de retraite, les organismes de placement collectif en valeurs
mobilières et les intermédiaires en Bourse agissant pour leur propre
compte.

§4 La souscription au capital
La souscription dans un sens large est l’acte par lequel une personne
s’engage à faire des apports. L'apport peut être en numéraire ou en nature.
Le législateur n’a pas bouleversé les règles antérieures en cas d’apport en
numéraire.
Mais en cas d’apport en nature, la vérification de la valeur de l’apport est
assurée par un commissaire, aux apports désignés par le juge. Quant aux
apports en industrie, ils sont écartés expressément par l’article 166 alinéa 2
CSC. La loi permet, enfin, la stipulation d’un avantage particulier qui est
soumis à une procédure de vérification par un commissaire aux apports.

§5 L’assemblée générale constitutive


Selon l’article 165, la société n'est constituée qu'après la souscription de la
totalité du capital social. L'apporteur en numéraire doit verser au moins le
quart du montant des actions souscrites par lui. La libération intégrale des
actions de numéraire doit intervenir dans un délai maximum de 5 ans à
compter du jour de la constitution définitive de la société.

Ainsi, lorsque le capital se trouve entièrement souscrit et libéré de la part


exigible, les fondateurs convoquent une assemblée générale constitutive
pour délibérer sur les questions suivantes

 La vérification de la souscription intégrale du capital social et la


libération du montant exigible des actions.
 L’approbation le cas échéant de l’apport en nature
50
 L’approbation des statuts
 La désignation des premiers administrateurs
 La désignation des commissaires aux comptes conformément aux
dispositions des articles 189 et 260 CSC.
 La reprise le cas échéant des engagements pris par les fondateurs au
nom de la société en formation

SECTION II: Les obligations de la SFAPE


Le statut d’une SFAPE est contraignant à plusieurs égards :

§1 Obligation d’information
Les SFAPE sont astreintes à une obligation d’information.
Cette information est procurée à l’épargnant d’une manière occasionnelle, à
l’occasion de certains événements marquant l’entité, ou périodique, c’est-à -
dire continue, ou encore abstraction faite de la survenance d’un fait ou de la
réunion d’une assemblée générale ordinaire.

A. Information occasionnelle
L’article 2 de la loi de 1994 impose à toute société émettrice de valeurs
mobilières par APE de publier un prospectus d’information du public.
- L’article 3 sixis de la même loi prévoit l’obligation pour le
commissaire aux comptes d’une SFAPE
1-de signaler immédiatement au CMF tout fait de nature à
mettre en péril les intérêts de la société ou les porteurs de ses
titres,
2- remettre en même temps au CMF une copie de chaque
rapport adressé à l’assemblée générale.
- Dans le même contexte, l’article 36 du règlement du CMF relatif à
l’APE dispose que les SFAPE doivent porter à la connaissance du
public, dans un journal quotidien, dans le bulletin officiel du CMF et

51
dans le bulletin de la BVMT, tout fait important susceptible d’avoir
une incidence significative sur le cours ou la valeur de leurs titres.
- Une troisième information s’impose à l’occasion de la tenue d’une
assemblée générale extraordinaire (AGE), elle résulte de l’article 3
quinter de la loi de 1994. Ce texte oblige les SFAPE de déposer au
CMF et à la BVMT ou leur adresser quinze jours au moins avant la
date de la tenue de l'assemblée générale extraordinaire:
 l'ordre du jour et le projet des résolutions proposées par
le conseil d'administration ou par le directoire,
 le rapport du ou des commissaires aux comptes
éventuellement,
 les documents mis à la disposition des actionnaires
comme appui aux résolutions proposées.
Les résolutions sont adressées au CMF et à la BVMT dès leur adoption par
l'assemblée générale.

B. Information continue
L’information occasionnelle est doublée d’une autre, procurée d’une
manière continue, avant ou après la tenue d’une assemblée générale
ordinaire (AGO).

a) L’information préalable
Il s’agit d’une information préalable à la réunion de l’AGO, l’article 3 de la loi
de 1994 prévoit que les SFAPE doivent déposer ou adresser, sur supports
papiers et magnétique, au CMF et à la BVMT, dans un délai de quatre mois,
au plus tard, de la clô ture de l’exercice comptable et quinze jours au moins
avant la tenue de l’AGO :

 L’ordre du jour et le projet des résolutions proposées par le conseil


d’administration ou le directoire,

52
 Les documents et les rapports prévus par les articles 201 ou 235 CSC et
l’article 471 dudit code. Il s’agit essentiellement des états financiers, des
états des sû retés et du rapport annuel de gestion. A ces documents
s’ajoutent, pour le groupe de sociétés, les états financiers consolidés et le
rapport de gestion relatif au groupe. L’article 3 de la loi de 1994 exige un
certain nombre de mentions devant figurer dans le rapport annuel de
gestion, à savoir un exposé sur les résultats, leur évolution, les
changements des méthodes d’élaboration des états financiers et les
éléments du contrô le interne (article 44 du règlement du CMF relatif à
l’APE). Cette disposition marque la spécificité des sociétés ouvertes,
puisque le Code des sociétés commerciales ne réglemente le contenu du
rapport annuel de gestion que dans le cadre du groupe de sociétés.
 Les rapports du ou des commissaires aux comptes contenant une
évaluation générale du contrô le interne.
L’information préalable à la tenue de l’AGO résulte également de l’article 42
du règlement du CMF relatif à l’APE disposant que les sociétés ouvertes
doivent adresser au CMF, 15 jours au moins avant la réunion de l’AGO, leurs
états financiers annuels.

b) L’information postérieure.
Dans ce contexte, l’article 3 ter de la loi de 1994 impose aux SFAPE, dans les
4 jours ouvrables suivant la date de la tenue de l’AGO, de déposer ou
d’adresser au CMF et à la BVMT :
 les documents de l’article 3 de la loi de 1994, en cas de modification,
 les résolutions adoptées par l’AGO,
 l’état d’évolution des capitaux propres, en tenant compte de
l’affectation du résultat,
 le bilan après affectation du résultat,
 la liste ders actionnaires,

53
 la liste des titulaires des certificats de droit de vote,
 la liste des titulaires d’obligations convertibles en actions.
 Liste des membres du conseil d’administration comprenant leurs
principales activités professionnelles et, le cas échéant, leur mandat
dans d’autres conseils d’administration.
La plupart de ces documents sont publiés au bulletin officiel du CMF et dans
un quotidien paraissant à Tunis, 30 jours au plus tard après la réunion de
l’AGO, et ce, en vertu de l’article 3 quater de la loi de 1994.

§2 Sanction pénale
L’importance accrue de l’information dans les sociétés ouvertes explique
que sa mauvaise exploitation soit pénalement sanctionnée. ( article 81 loi
1994)

§3 Comité permanant d’audit


L’intérêt porté à l’information dans les SFAPE se traduit également par
l’obligation qui leur est faite de créer un comité permanent d’audit.
D’après l’article 256 bis CSC, ce comité « veille au respect par la société de la
mise en place de systèmes de contrô le interne performant de nature à
promouvoir… la fiabilité de l’information financière… ».

§4 Déclaration de franchissement des seuils


L’information du public des investisseurs peut porter sur l’évolution de
l’actionnariat, c’est l’objet de la déclaration de franchissement des seuils
prévue par l’article 8 de la loi de 1994. Ce texte impose à toute personne
venant à détenir plus du vingtième, du dixième, du cinquième, du tiers, de la
moitié ou des deux tiers d’une société faisant APE de déclarer ce
franchissement au CMF et à la BVMT, dans un délai de 5 jours à compter du
franchissement.

54
La déclaration de franchissement des seuils reste obligatoire même lorsque
l’actionnaire n’a procédé à aucune opération, notamment en cas de
variation du capital ou des droits de vote de l’émetteur suite à une
augmentation ou réduction du capital, à des conversions d’actions ou à des
privations des droits de vote (Article 57 du règlement du CMF relatif à
l’APE).
La déclaration de franchissement des seuils semble pallier la perte du
contrô le de l’actionnariat par les SFAPE, à travers l’interdiction qui leur est
faite d’insérer dans leurs statuts des clauses d’agrément et de préemption.
Cette prohibition, traduisant une autre contrainte pesant sur les entités
ouvertes, résulte de l’article 321 alinéa 1 CSC prévoyant que : « Sauf en cas
de succession ou de cession soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un
descendant, la cession à un tiers d’actions émises par une société ne faisant
pas appel public à l’épargne, peut être soumise à l’agrément de la société
par une clause statutaire ».
Une lecture a contrario de ce texte implique que la négociabilité des actions
d’une société ouverte ne peut être freinée par des clauses d’agrément et de
préemption.

§5 Paiement des dividendes


Une contrainte supplémentaire résultant de l’appel public à l’épargne
concerne le paiement des dividendes. Dans ce contexte, l’article 17 de la loi
de 1994 prévoit que la mise en paiement des dividendes d’une société
faisant APE doit avoir lieu dans un délai maximum de trois mois à partir de
la décision de l’AGO. Il s’agit là d’une véritable compression, dans la mesure
où l’action en paiement des dividendes ne se prescrit, aux termes de l’article
288 alinéa 2 CSC, que 5 ans à partir de la date de la tenue de l’assemblée
ayant décidé la distribution. D’ailleurs, le Code des sociétés commerciales
n’impose pas à la société anonyme une fréquence dans la distribution des
dividendes.
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