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Ben Hamida Walid. L'arbitrage Etat-investisseur face à un désordre procédural : la concurrence des procédures et les conflits
de juridictions. In: Annuaire français de droit international, volume 51, 2005. pp. 564-602.
doi : 10.3406/afdi.2005.3898
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/afdi_0066-3085_2005_num_51_1_3898
ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LI - 2005 - CNRS Éditions, Paris
(*) Walid Ben HAMIDA, maître de conférences à l'Université d'Évry-Val d'Essonne et à Sciences Po,
Paris. Cet article est tiré d'une communication au colloque international « Où va le droit de
l'investissement ? », organisé par le laboratoire « Droit des relations internationales, des marchés et des
négociations » de la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis », Gammarth, 3-4 Mars 2006.
1. G. Guyomar, « L'arbitrage concernant les rapports entre États et particuliers », cet Annuaire,
1959, pp. 335-345.
2. Ibid., p. 335.
3. Ibid., p. 345. Voy. aussi pour une description historique plus complète du rôle des particuliers
dans le contentieux international, D. SCHULÉ, Le droit d'accès des particuliers aux juridictions interna
tionales, thèse, Paris, 1934.
4. F. HORCHANI, « Le droit international des investissements à l'heure de la mondialisation », JDI,
2004, p. 369.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 565
Egypte, un tribunal arbitral a admis pour la première fois qu'une personne privée
pouvait se fonder sur une loi nationale prévoyant le recours à l'arbitrage pour
engager une procédure arbitrale contre un État, en l'absence d'une clause
compromissoire ou d'un compromis. Deux ans plus tard, un autre tribunal arbi
tral s'est déclaré compétent pour trancher le litige opposant la société AAPL au
Sri Lanka, sur le seul fondement du traité bilatéral de protection des investiss
ements conclu entre le Royaume-Uni et le Sri Lanka qui contenait une disposition
renvoyant à l'arbitrage du CIRDI.
Depuis ces sentences historiques, le nombre des instances arbitrales enga
gées sur le fondement des traités d'investissement ne cesse d'augmenter. On
assiste ainsi à une vague continue d'arbitrages de ce type. Un rapport publié par
la CNUCED 5 fait état d'au moins deux cent vingt-neuf affaires fondées sur un
traité bilatéral ou multilatéral d'investissement. Pour la seule année 2005, au
moins quarante-huit arbitrages ont été engagés sur le fondement de ces traités.
Le rapport montre également qu'au moins soixante et un gouvernements se trou
vent aujourd'hui défendeurs devant des investisseurs privés. En haut de la liste,
on trouve l'Argentine avec au moins quarante-deux procédures arbitrales
mettant en cause majoritairement les mesures d'urgence adoptées pour sortir de
la crise économique. Le Mexique vient en deuxième position avec dix-sept récl
amations arbitrales fondées essentiellement sur le chapitre 11 de l'ALENA.
Certains États développés tels que l'Allemagne, le Canada et les États-Unis ne
sont pas épargnés par ce phénomène. Il est très révélateur de souligner que les
États-Unis sont le troisième pays impliqué dans des arbitrages fondés sur un
traité d'investissement, avec onze procédures arbitrales engagées sur le fondement
du chapitre 11 de l'ALENA.
À ces deux cent dix-neuf affaires fondées sur des traités internationaux, on
peut ajouter une dizaine d'affaires introduites sur le fondement d'une législation
nationale relative aux investissements mettant en cause des États comme l'Egypte,
la Tunisie, l'Albanie, la Géorgie, le Cameroun, le Kazakhstan et la République
kirghize.
2. Ce « baby boom »6 des arbitrages fondés sur les traités d'investissement
modifie radicalement la nature des moyens transnationaux de règlement des
différends. On note que le recours de plus en plus fréquent aux arbitrages
transnationaux consentis dans les TBI et les TMI ne semble pas ralentir le
développement et la progression des traités d'investissement. Les États conti
nuent à conclure de tels accords. Le rapport de la CNUCED sur l'investiss
ement dans le monde de 2005 7 fait état d'au moins deux mille trois cent quatre
vingt-douze traités bilatéraux d'investissement conclus au 31 décembre 2004. Il
est significatif de relever qu'en 2004, le nombre des TBI conclus entre pays en
développement dans le cadre de ce que l'on peut appeler la « coopération sud-
sud » dépasse le nombre des TBI conclus entre pays en voie de développement
et pays développés. Il résulte également du même rapport qu'au 31 avril 2005,
il existe deux cent douze traités multilatéraux contenant des dispositions sur
les investissements 8.
9. Ch. LEBEN, « La juridiction internationale », Droits n" 9 : La fonction déjuger, 1989, p. 145.
10. Y. BANIFATEMI, « Le droit au juge et l'arbitrage commercial international », in Libertés, justice,
tolérance. Mélanges en hommage au Doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, vol. I, p. 168.
11. Voy. sur le phénomène, Y. SHANY, The Competing Jurisdictions of International Courts and Tri
bunals, Oxford, 2003 ; P-M. DUPUY, « La multiplication des juridictions internationales menace-t-elle le
maintien de l'unité de l'ordre juridique international ? », in Clés pour un siècle, Dalloz, 2000, p. 1223.
12. Pour une étude de l'arbitrage fondé sur les traités internationaux et les lois nationales, voy.
W. BEN HAMIDA, L'arbitrage transnational unilatéral - Réflexions sur une procédure réservée à l'initia-
tive d'une personne privée contre une personne publique, thèse sous la direction de Ph. FOUCHARD, Pans
II, 2003 et A. PRUJINER, « L'arbitrage unilatéral : un coucou dans le nid de l'arbitrage conventionnel ? »,
Rev. arb., 2005, p. 61.
13. J. CAZALA, « La contestation de la compétence exclusive de la Cour de justice des Communautés
européennes. Étude des relations entre divers systèmes internationaux de règlement des différends »,
RTDE, 2004, p. 513.
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I. - LE DÉSORDRE
14. Sur les procédures ouvertes aux particuliers, voy. F. ORREGO-VlCUNA, « Individuals and Non-
states Entities before International Courts and Tribunals », Max Planck UNYB, 2001, p 53.
15. Ainsi pour les États-Unis, l'existence d'une telle offre est une exigence imperative pour la
conclusion d'un TBI, K. VANDEVELDE, United States Bilateral Investment Treaties . Policy and Practice,
Kluwer, 1992, p. 159.
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16. B. CREMADES & D. CAIRNS, « Contract and Treaty Claims and Choice of Forum in Foreign
Investment Disputes », ICC Institute of World Business Law : Parallel State and Arbitral Procedures in
International Arbitration, 24th annual meeting, 15 novembre 2004, (à paraître), p. 3.
17. Voy. p. ex. la décision du comité ad hoc dans l'affaire Wena cl Egypte, JDI, 2003, p. 167 et sur la
question, E. GAILLARD, « L'arbitrage sur le fondement des traités de protection des investissements »,
Rev arb., 2003, p. 853 et Y. Shany, « Contract Claims vs. Treaty Claims : Mapping Conflicts between
ICSID Decisions of Multisourced Investment Claims »,AJIL, 2005, p. 835.
18. B. Cremades & D. Cairns, op. cit.
19. « The choice of rights by the investor will determine the course of investment disputes », B. CREMADES
& D. Cairns, ibid., p. 3.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 569
20. On pense, à titre d'exemple, à la règle du traitement juste et équitable et à la règle du respect
des engagements.
21. Voy. sur cette question, Z. DOUGLAS, « The Hybrid Foundations of Investment Treaty Arbitration »,
BYIL, 2003, p. 242.
22. Sentence du 8 décembre 2000, ILM, 2002, p. 896, § 127.
23. Colloque organisé par l'Institut des Hautes Études Internationales de Paris II, Nouveaux déve
loppements dans le contentieux arbitral transnational relatif à l'investissement international, Anthemis-
LGDJ, 2006, table ronde, pp. 195-200.
570 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
d'abord conclue pour donner un for arbitral international aux contrats d'investi
ssement,quelle que soit la loi applicable, et qu'il n'existe pas de principe de
division du travail entre les arbitres CIRDI, gardien du respect du droit internat
ional,et l'arbitre du contrat à qui serait dévolue la tâche moins noble de vérifica
tion de la bonne exécution contractuelle 24.
9. Dans le même ordre d'idée, on souligne que le critère de la source de la norme
violée a été élaboré par les arbitres statuant sur le fondement des traités d'investi
ssement.Il n'est pas certain que les arbitres ou les juges qui statueront sur le fonde
ment d'une clause contractuelle de règlement des différends consacreront ce critère.
La solution élaborée par le juge du traité ne s'impose pas théoriquement au juge du
contrat. Libre dans la détermination de sa compétence, ce dernier peut décider
souverainement d'examiner les violations d'un traité d'investissement. Il serait donc
intéressant de suivre la position du juge du contrat lorsqu'il se prononce sur sa
compétence alors qu'un arbitre s'est déjà déclaré compétent pour trancher un litige
en application d'un traité d'investissement. La relation entre traité d'investissement
et contrat implique un débat. Pour l'instant, une partie seulement s'est prononcée...
10. Enfin, on ne peut pas manquer de souligner une certaine hypocrisie
doctrinale et jurisprudentielle dans le traitement de cette question. Durant des
années, un effort gigantesque a été déployé pour apporter une justification théo
rique à l'application du droit international au contrat d'État. Comme cela a été
relevé, certains auteurs considèrent qu'un État qui viole un contrat soumis au
droit international engage sa responsabilité internationale25. Aujourd'hui, avec
l'avènement de l'arbitrage fondé sur les traités d'investissement, on rattache le
contrat d'État au droit interne, oubliant qu'il peut aussi être soumis au droit
international afin de distinguer les deux sources de normes et de permettre à
l'investisseur d'utiliser le deux mécanismes.
27. Ibid. , p. 419. Voy. sur l'approche de la Common law, R-M. HALL, « Waiver of Arbitration
Rights », [http://www.robertmhall.com/articles/WaivArbRights.htm#_edn2] .
28. Sur cette question, nous sommes redevable des analyses de Y. SHANY, « Jurisdictional Competit
ion Between National and International Courts : Should International Jurisdiction-Regulating Rules
Apply ? », (à paraître).
29. G. SCELLE, « La phénomène juridique du dédoublement fonctionnel », Rechsfragen der Intena-
tionalen Orgmzatwn. Festschrift fur Hans Wehberg, 1956, p. 324.
30. H KOH, « Transnational Legal Process », Nebraska Law Review, 1996, p. 184.
31 « Epistemological Community of National and International Courts », A-M. SLAUGHTER,
« A Global Community of Courts », Harv. Int'l L.J., 2003, p. 191.
32. Voy , p. ex. la décision du comité ad hoc dans l'affaire Vivendi cl Argentine, JDI, 2003, p. 195 ;
la décision Sahni cl Maroc, JDI, 2002, p. 196 et la décision CMS cl Argentine, JDI, 2004, p. 249.
572 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
33. W-S. DODGE, « National Courts and International Arbitration : Exhaustion of Remedies and Res
Judicata under Chapter Eleven of NAFTA », Hastings Int. and Comp. Law Review, 2000, p. 367.
34. CIJ Recueil 1989, p. 15.
35. Donnelly cl Royaume-Uni, requête n° 5577-5583/72, décision du 5/4/1973, YB Euro. Conv. on HR
XVI, 1973, p. 212. La dissociation entre litige interne et litige international ne se limite pas au contentieux
transnational. Il a été souligné que même entre États, « un différends interétatique interne » peut coexister
avec un différend international. Un État dans la mesure où sa personnalité juridique est reconnue dans
l'ordre interne d'un autre État peut agir devant les juridictions internes de ce dernier en cette qualité. Ainsi,
le Conseil d'État français admet la recevabilité des recours intentés par des États étrangers contre l'État
français pour excès de pouvoir, CE, Ass., 15 octobre 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et
Gouverneur de la colonie royale de Hong Kong, Rec. CE, p. 267 et 14 décembre 1994, Confédération Helvéti
que, Rec. CE, p. 549, voy. C. SANTULLI, Droit du contentieux international, Montchrestien, 2005, p. 7.
36. Sur la question du droit applicable, voy. B. TAIDA, Applicable Law in International Investment
Arbitration, Eleven International Publishing, 2005.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 573
tral, présidé par P. Weil, l'un des fervents défenseurs de l'internationalisation des
contrats d'État, après avoir mis l'accent sur le retour remarquable du droit inter
national dans les relations transnationales, a pris soin de relativiser son affirmat
ion. Il a noté que l'« internationalisation des rapports d'investissement - qu'ils
soient contractuels ou non - ne conduit certes pas à une "dénationalisation" radi
cale des relations juridiques nées de l'investissement étranger, au point que le
droit national de l'État hôte serait privé de toute pertinence ou application au
profit d'un rôle exclusif du droit international. Elle signifie seulement que ces
relations relèvent simultanément- en parallèle, pourrait-on dire - de la maîtrise
souveraine de l'État d'accueil sur son droit national et des engagements interna
tionaux auxquels il a souscrit » 37. Il en résulte que dans le domaine des relations
transnationales, une application exclusive et radicale du droit international pour
raitparaître injustifiée.
Inversement, le juge national peut aussi appliquer le droit international. On
remarque d'ailleurs une tendance générale de la prise en considération de la
norme internationale par les juges internes 38. Rien n'empêche le juge national
d'appliquer les règles internationales prévues dans les traités d'investissement.
Ainsi, d'après certains auteurs, les TBI, comme les traités d'amitié, de commerce
et de navigation, posent des obligations précises et sont directement invocables
devant les juridictions internes 39. Dans le même sens, la jurisprudence améri
caine n'a pas hésité à appliquer les règles des traités d'amitié, de commerce et de
navigation dont les dispositions substantielles se rapprochent de celles des
traités d'investissement 40.
Enfin, l'introduction du critère de la source de la norme violée pour trancher
les conflits de compétences entre arbitrage État-investisseur et juridictions étatiques
est étrangère à la théorie de l'arbitrage. Les juridictions internes, en application
du principe de l'effet négatif, se déclarent incompétentes dès qu'elles constatent
l'existence d'un accord d'arbitrage sans aucune investigation sur le droit appli
cable au fond. Le critère de la source de la norme peut aussi entraîner une multi
plication indéfinie de litiges. S'il suffit de démontrer une norme différente pour
déduire l'existence d'un litige différent, on pourrait imaginer plusieurs juges
compétents, chacun sur le fondement de son propre système juridique. Une telle
analyse, si elle était étendue à l'arbitrage traditionnel, pourrait ruiner tout le
mécanisme arbitral. Elle signifie, en effet, que l'existence d'une clause d'arbitrage
n'oblige les juridictions étatiques à se déclarer incompétentes que dans la mesure
où la demande arbitrale n'est pas fondée sur le droit national de la juridiction
saisie. Si la demande arbitrale repose, en revanche, sur un droit étranger, sur le
droit international ou sur la lex mercatoria, le litige soumis au juge interne diffé
rerait de celui soumis à l'arbitre. Un État dont le droit national n'a pas été
appliqué par les arbitres pour une raison ou pour une autre pourrait démontrer
l'existence d'un litige distinct résultant de la violation de son propre droit et
37. Sentence Antoine Goetz cl Burundi, 9 février 1999, 15 ICSID Review-FILJ, 2000, p. 457.
38. Sur cette tendance, voy. L. Paradell Trius, International Law m National Legal Systems :
Constitutional Obstacles and Opportunities, European Public Law Series, vol. XXVI, Esperia Publica
tions Ltd, London, 2002, pp. 29-31.
39. W. SACHS, « The New U.S. Bilateral Investment Treaties », Int. Tax and Bus. Law, 1984, p. 197
et les auteurs cités. Voy. aussi R. E. DALTON, « National Treaty Law and Practice : United States », in
National Treaty Law and Practice (Austria, Chile, Colombia, Japan, Netherlands, U.S.), M. LEIGH,
M. BLAKESLEE et L-B. EDERINGTON, (éd.), Washington DC, ASIL, Studies in Transnational Legal Policy,
1999, n° 30, p. 13, Consultable sur le site [http://www.asil.org/dalton.pdf].
40. Spiess v. Itoh, 643 F.2d 353 (5th Cir. 04/24/1981) ;Asakura v. City of Seattle, 265 US 332 (1924).
On souligne que dans l'affaire Elettronica Sicula, l'Italie a soutenu devant la CIJ que son traité d'amitié
avec les États-Unis avait un effet direct dans l'ordre juridique interne italien.
574 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
songer à « régler son compte » avec l'investisseur étranger devant ses juridictions
internes.
15. Une vingtaine d'État consentent à l'arbitrage dans les traités d'investi
ssement,tout en exprimant également un consentement d'arbitrage dans leur
législation nationale sur les investissements. Se pose alors la question de savoir
comment articuler l'arbitrage fondé sur le traité international et l'arbitrage fondé
sur la législation interne.
Une première façon de résoudre le problème peut consister à distinguer entre
le litige fondé sur la loi nationale et le litige fondé sur le traité international
d'investissement. L'arbitre statuant sur le fondement de la loi contrôle le respect
des engagements législatifs, l'arbitre statuant sur le fondement du traité le
respect des engagements internationaux. Ce problème s'est posé dans l'affaire
Petrobart cl Kirghizstan. Le litige est survenu en raison du défaut de paiement
de certaines factures émises à l'occasion d'un contrat de vente de gaz conclu par
la société Petrobart, société incorporée à Gibraltar et une entité publique
kirghize. Petrobart a saisi en premier lieu un tribunal arbitral CNUDCI sur le
fondement de la loi kirghize sur l'investissement du 24 septembre 1997, qui
contenait un consentement à l'arbitrage CNUDCI. Dans une sentence du 13 févier
2003, le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent au motif que le contrat de
vente de gaz ne constituait pas un investissement protégé au sens de ladite loi. Le
1er septembre 2003, la même société a saisi un autre tribunal arbitral CNUDCI
sur le fondement de l'article 26 de la charte de l'énergie. Devant ce second
tribunal, la République kirghize a soulevé l'incompétence en invoquant principa
lementles principes de Yestoppel et de la res judicata. Dans une sentence rendue
le 29 mars 2005 41, le tribunal a rejeté ce moyen en soulignant l'absence d'identité
entre les deux litiges. Il a relevé que le premier litige était fondé sur une disposi
tion législative alors que le second reposait sur un traité international 42. Après
avoir remarqué que la charte de l'énergie n'interdisait pas à un investisseur de
bénéficier de deux mécanismes arbitraux, le tribunal a affirmé que même si la loi
kirghize et la charte de l'énergie se référaient au règlement de la CNUDCI, les
deux instruments ne prévoyaient pas les mêmes modalités de désignation des
arbitres 43.
16. La solution élaborée pour fixer les relations entre le mécanisme arbitral
prévu dans la loi nationale et le mécanisme arbitral offert dans le traité d'inve
stissement encourt les mêmes critiques que celles formulées précédemment. À la
dualité : arbitre statuant sur le fondement de la loi et arbitre statuant sur le
fondement d'un traité, ne correspond pas une dualité : norme interne/norme
internationale. L'arbitre statuant sur le fondement d'un code d'investissement
peut être conduit à appliquer le droit international et les traités d'investissement.
De même, l'arbitre statuant sur le fondement d'un traité d'investissement peut
appliquer le droit interne et les dispositions d'un code national d'investissement.
On note qu'une offre législative d'arbitrage peut soulever, en outre, un conflit
de compétences lorsqu'elle coexiste avec une clause contractuelle de règlement
des différends. Selon un auteur, si le CIRDI est saisi sur le fondement d'une loi
nationale sur l'investissement, les arbitres CIRDI ne peuvent, dans un tel cas,
examiner que les réclamations fondées sur la loi nationale à l'exclusion des récl
amations contractuelles44. Il n'en demeure pas moins qu'une telle analyse peut
paraître très difficile à justifier si le contrat est soumis au droit de l'État hôte, à
moins que les arbitres puissent séparer deux réclamations distinctes et parvien
nent à distinguer à l'intérieur du droit interne entre violation du code d'investi
ssement et violation des autres sources de droit commun prévues dans le contrat.
On peut d'ailleurs imaginer une situation dans laquelle quatre mécanismes
différents pourraient être saisis : l'arbitrage prévu dans le traité d'investissement,
l'arbitrage offert dans la loi nationale, le mécanisme contractuellement convenu,
et éventuellement les juridictions étatiques 45.
II convient ici de distinguer les traités d'investissement (1) des autres traités
internationaux contenant des mécanismes de règlement des différends applica
bles au contentieux économique international (2).
17. Le premier cas de conflit survient dans le cadre du même traité d'inves
tissement. Les traités d'investissement prévoient généralement deux méca
nismes de règlement des différends : un mécanisme interétatique et un arbitrage
transnational. Il convient donc d'examiner leur relation (a). Toutefois, le conflit
de compétences ne surgit pas seulement entre mécanismes transnationaux et
mécanismes interétatiques. L'existence de plusieurs offres d'arbitrage peut
engendrer des conflits entre les arbitrages État-investisseur (b).
44. A-S. EL-KOSHERI, « Contractual Claims and Treaty Claims within the ICSID Arbitration
System », ICC Institute of World Business Law, 24th annual meeting, op. cit., p. 5.
45. Dans le contexte spécifique de la loi égyptienne n° 43, les arbitres statuant dans l'affaire SPP
semblent trouver une solution à ce dilemme dans la hiérarchie pyramidale qu'ils ont établie entre la
clause contractuelle de règlement des différends, l'arbitrage prévu dans un TBI et l'arbitrage offert dans
la loi nationale, decision sur la compétence du 27 novembre 1985, JDI, 1994, p. 219, obs. E. GAILLARD.
Voy. sur cette décision, L LANKARANI EL-ZEIN, « Quelques remarques sur la sentence SPP c. La Républi
que arabe d'Egypte », RBDI, 1994, pp. 535-536.
46. Pour les mécanismes interétatiques prévus dans les TBI, voy. P. PETERS, « Dispute Settlement
Arrangements in Investment Treaties »,NYIL, 1991, pp. 102-117.
47. TBI Suisse-Ukraine (1995).
48. TBI États-Unis-Haïti (1983).
49. Article 27 de la charte de l'énergie et chapitre 20 de l'ALENA.
576 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
54. G. DELAUME, « Consent to ICSID Arbitration », in The Changing World in International Law in
the Twenty-First Century : A Tribute to the Late Kenneth R. Simmonds, The Hague, Boston, Kluwer,
1998, pp. 175-176.
578 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
55. Citons, à cet égard, les possibilités contentieuses qui s'offrent à un groupe dont la structure est
très compliquée tel que Royal Dutch/ Shell. Ce groupe comprend au sommet deux sociétés mères : l'une
hollandaise et l'autre anglaise, trois sociétés holding, onze sociétés de services et des centaines de socié
tésopérant dans cent vingt-huit États différents entretenant entre elles des rapports de contrôle très
compliqués, P. PETERS, « Some Serendipitous Findings in BITs : The Barcelona Traction Case and the
Reach of Bilateral Investment Treaties », In Reflections on International Law from the Low Countries in
Honor of Paul de Waart, E. DENTERS et N. SCHRIJVERS, (eds ), Martinus Nijhoff, 1998, p. 36.
56. K. HOBER, « Parallel Arbitration Proceedings. Duties of the Arbitrators : Some Reflections and
Ideas », ICC Institute of World Business Law, op. cit., p. 4.
57. B. LEGUM, « Defining Investment and Investor : Who is Entitled to Claim ? », Making the Most
of International Investment Agreements : A Common Agenda, symposium co-organisé par le CIRDI,
l'OCDE et la CNUCED, Paris, 12 décembre 2005.
58. Voy. aussi les risques de conflit découlant de l'admission d'une nouvelle théorie baptisée
« investisseur de facto » dans la sentence Sedelmayercl Russie du 7 juillet 1998. Sentence disponible sur le site
[www.iisd.org/pdf/2004/ investment_sedelmayer_v_ru.pdf]. Voy. W. BEN Hamida, « La notion d'investisseur »,
Gazette du Palais, Cahiers de l'arbitrage, n° 2005/3, 14 et 15 décembre, p. 33 et W. Ben Hamida, « Mr. Franz
Sedelmayer v. The Federation of Russia », Stockholm International Arbitration Review, 2005, nc 2, p. 76.
59. Ch. BROWER, « A crisis of Legitimacy », National Law Journal, Oct. 7, 2002.
60 W. KÛHN, « How to Avoid Conflicting Awards- The Lauder and CME Case », JWIT, 2004, p. 7.
61. «Absolutely ludicrous, and highly regrettable for the fact that it makes the law looks stupid », « Clifford
Chance entangled in bitter lauder arbitration », Legal Bus., Oct. 2001, p. 108, cité par Ch. BROWER, op. cit., p. 216.
62. Voy. pour une description de l'affaire Ch. BROWER et J. SHARPE, « Multiple and Conflicting
International Arbitral Awards », JWIT, 2003, p. 211.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 579
63. Ronald S. Lauder cl République tchèque, sentence du 3 septembre 2001 et CME B.V cl Répub
lique tchèque, sentence du 13 septembre 2001, disponibles sur le site [www.cnts.cz]. Voy. B. BEZDEK,
« Lauder, CME Battle Czech Republic on Media Investment : Panels in London and Stockholm Reach
Opposite Results », News and Notes from the Institute for Transnational Arbitration, 2001, n° 4, p. 1.
64. Décision de la Cour d'appel de Seva, ILM, 2003, p. 919, [www.cetv-net.com]. Voy. sur cette
affaire D. RlVKIN, « The Impact of Parallel and Successive Proceedings on the Enforcement of Arbitral
Awards », ICC Institute of World Business Law, op. cit., pp. 3-7.
580 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
65. J. ALVAREZ, « The Emergent Foreign Investment Regime », ASIL Proc, 2005, p. 94.
66. F. ORREGO-VlCUNA, op.cit., p. 63. Voy. pour les entreprises communautaires, W. BEN HAMIDA,
L'application des règles de l'OMC aux entreprises dans la Communauté européenne, Mémoire DEA de
droit communautaire, Paris II, 1998, pp. 68-87.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 581
67. Il s'agit des affaires, Corn Products International, Inc cl Mexique et Archer Daniels Midland
Company and Tate & Lyle Ingredients Americas cl Mexique. Une demande adressée par le Mexique pour
consolider ces deux affaires a été rejetée. En outre, une troisième demande impliquant la même mesure
a été introduite par la société américaine Cargill contre le Mexique, voy. infra.
68 Rapport du Groupe special, Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool et autres bois
sons WT/DS308/R, États-Unis cl Mexique, 7 octobre 2005, disponible sur le site de l'OMC, § 3.4
69. §§ 4. 74-4.76.
70. § 4. 294.
71. § 8. 232 et § 7.15.
72. Rapport de l'Organe d'appel, Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool et autres bois
sons, WT/DS308/AB/R.
582 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
27. En outre, le long différend sur les bois d'œuvre résineux entre les États-
Unis et le Canada a soulevé un certain nombre d'interrogations sur l'impact des
procédures interétatiques de règlement des différends, engagées notamment
dans le cadre de l'OMC, sur les arbitrages relatifs aux investissements.
Les mesures américaines imposant des droits compensatoires et ant
idumping aux exportateurs canadiens de bois d'œuvre résineux ont suscité
plusieurs contentieux devant diverses autorités 73. Pour défendre les intérêts des
exportateurs canadiens de bois, le Canada a contesté ces mesures devant des
groupes spéciaux binationaux formés en vertu du chapitre 19 de l'ALENA relatif
aux droits anti-dumping et aux droits compensatoires, devant le Tribunal de
commerce international des États-Unis, et devant l'ORD de l'OMC 74. Parallèl
ement à l'action du Canada, plusieurs investisseurs canadiens (Canfor, Tembec
Inc et Terminal Forest Products) ont contesté la même mesure sur le fondement
du chapitre 11 de l'ALENA75.
Après des négociations très difficiles, le 27 avril 2006, le Canada et les États-
Unis ont conclu une entente sur la résolution de ce conflit. L'entente prévoit que
les deux parties prendront les mesures nécessaires pour mettre fin à toutes les
procédures en cours 76. Le problème qui se pose actuellement est de savoir si cette
clause met fin aux procédures de règlement des différends interétatiques seul
ement ou si elle s'étend également aux procédures engagées par les investisseurs
privés. Ce problème se pose avec d'autant plus d'acuité que la presse rapporte que
certains producteurs canadiens, appuyés par certaines provinces, ne sont pas
favorables à l'entente conclue77. L'impact de cet accord interétatique sur les
procédures arbitrales en matière d'investissement sera, sans doute, l'une des
questions posées devant les arbitres statuant actuellement sur le fondement du
chapitre 11 78.
28. Enfin, il a été soutenu que la référence faite par les traités d'investiss
ement au droit international comme droit applicable au fond du litige, ainsi que la
généralité du prescrit de certaines règles substantielles d'investissement, telle la
règle relative au traitement juste et équitable, attire dans le champ de l'arbitrage
État-investisseur les règles prévues dans les accords de l'OMC. Une telle analyse
a pour conséquence d'autoriser les investisseurs à utiliser l'arbitrage État-inves
tisseur afin de garantir l'exécution des obligations prévues dans les accords de
l'OMC. Ces derniers peuvent contester directement devant les tribunaux arbitraux
termes de cette loi, car elle est contrôlée par 10 % d'intérêts étrangers. Le problème
découle du fait que l'article 10 de la loi russe sur les investissements contient une
« offre blanche d'arbitrage ». Elle se contente d'exprimer le consentement de la
Russie à l'arbitrage sans prévoir une procédure arbitrale particulière ou les modal
itésde la désignation du tribunal arbitral92. Dans les prolongements de cette
affaire, la société Yukos a demandé au juge du Texas de l'autoriser à se placer sous la
protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. Elle a également
requis de celui-ci la désignation des arbitres afin de rendre effectif l'engagement
arbitral législatif russe. Le juge américain s'est déclaré incompétent pour connaître
de la procédure de faillite et n'a pas examiné la demande de désignation des arbitres 93.
Enfin, récemment, la société lituanienne Amto a engagé une procédure arbi
trale sur le fondement de la charte de l'énergie contre l'Ukraine devant la
chambre de commerce de Stockholm. En même temps et parallèlement à cette
procédure, la filiale ukrainienne d'Amto, Elektroyuzhmontazh-10, a saisi la Cour
européenne des droits de l'homme pour contester des violations de la convention
européenne des droits de l'homme commises par l'Ukraine 94.
Ces affaires sont survenues dans le cadre du système européen de la protec
tion des droits de l'homme95. Mais des observations similaires pourraient être
faites à propos de la convention interaméricaine des droits de l'homme ou de la
convention interafricaine des droits de l'homme.
92. L'article 10 intitulé « Guarantee of Proper Settlement of Disputes Related to Investment and
Business Activities of Foreign Investments in the Russian Federation » dispose : « Any dispute involving a
foreign investor and related to the investment and business activities of such investor in the Russian Fede
ration shall be settled in compliance with the international treaties of the Russian Federation and federal
laws in a court, an arbitration court, or international arbitration ».
93. Sur les procédures de faillite devant les juridictions américaines, voy. J.-L. VALLENS, « L'affaire
Youkos ou l'instrumentalisation du droit de la faillitite », Recueil Dalloz, 2005, p. 778 et M. WlNKLER,
« Arbitration Without Privity and Russian Oil : The Yukos Case before the Houston Court », University
of Pennsylvania Journal of International Economic Law, 2006, p. 115.
94. L. PETERSON, « Latvian firm sues Ukraine in ninth (known) claim to be filed under Energy
Charter », Investment Treaty News (ITN), April, 27 2006.
95. Dans l'affaire Ares International S.r.l. et MetalGeo S.r.l. cl Géorgie, les deux investisseurs ita
liens ont contesté l'expropriation de leur investissement par le gouvernement géorgien. Les deux inves
tisseurs avaient déclaré, au début de 2005, leur intention de soumettre leur litige à la Cour européenne
des droits de l'homme. Mais, finalement ils ont décidé de soumettre leur litige au CIRDI sur le fonde
ment du TBI Italie-Géorgie. Voy. L. Peterson, « Italians drop human rights claim against Georgia, initi
ateinvestment treaty claim », Investment Treaty News (ITN), March 29, 2006.
96. Voy. pour les accords mixtes, Mixed Agreements, D. O'KEEFFE, H. G. SCHERMER, (éd.), Kluwer
1983 et E. Neframi, Recherches sur les accords mixtes de la Communauté européenne. Aspects commun
autaires et internationaux, thèse sous la direction de Ch LEBEN, Pans II, 2000.
97. Déclaration souscrite par la CE auprès du secrétariat de la charte, JOCE, 1998, L65 /115.
586 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
d'une part, et leurs États membres, d'autre part, ont signé le traité sur la charte
de l'énergie et doivent donc répondre au niveau international de l'exécution des
obligations qui y figurent, selon leurs compétences respectives » semble admettre
cette solution. Cependant, les compétences nationales et communautaires sont
étroitement interdépendantes et leur répartition est une question très complexe.
Il se peut dès lors qu'il soit malaisé à un investisseur d'identifier l'entité qui est
engagée par une obligation déterminée imposée dans la charte. Cette difficulté
n'est cependant pas insurmontable : la charte incorpore, en effet, un engagement
parallèle à l'arbitrage émanant aussi bien de la CE que de ses États membres. À
défaut de précision sur l'entité responsable, on peut considérer que la Commun
autéet ses membres sont conjointement responsables de l'exécution de
l'ensemble des obligations de la charte. La solution préconisée se justifie sur le
plan théorique : la Communauté et ses États membres sont, en effet, parties à
l'ensemble de l'accord mixte, et non aux seules dispositions touchant les matières
qui relèvent de leurs compétences respectives.
Encore faut-il que le système d'arbitrage auquel l'investisseur s'adresse
admette l'hypothèse d'un arbitrage multipartite auquel participe un ou plusieurs
États et une organisation internationale. S'il en était ainsi, un tribunal arbitral
fondé sur l'article 26 serait la première, et à ce jour la seule, juridiction ouverte
aux particuliers, qui soit investie de la compétence pour statuer sur une action en
responsabilité dirigée à la fois contre la Communauté et un ou plusieurs États
membres 98.
Pour ne pas en arriver là, la déclaration de la CE prend soin de mentionner
que « si nécessaire, les Communautés et les États membres concernés détermine
ront lequel d'entre eux est la partie défenderesse dans une procédure d'arbitrage
engagée par un investisseur ou par une autre partie contractante. Le cas échéant,
à la demande de l'investisseur, les Communautés et les États membres concernés
procéderont à cette désignation dans un délai de trente jours sans préjudice du
droit de l'investisseur d'intenter un [recours] contre la communauté et contre
[ses] États membres) » ". Il va de soi que certains systèmes d'arbitrage prévus
dans la charte tels que le CIRDI ou son mécanisme supplémentaire ne peuvent
pas être utilisés lorsque la CE est partie. Les deux procédures ne sont accessibles
que contre des États ou des autorités infra-étatiques.
31. Le second problème concerne l'avenir de l'arbitrage État-investisseur
dans les relations entre les États membres de la Communauté européenne. Les
traités communautaires consacrent une mobilité des personnes, des biens, des
services et des capitaux. Parmi les libertés consacrées, on trouve la liberté
d'établissement prévue dans l'article 43 du traité CE. Dans la mesure où celle-ci
« comporte l'accès sur le territoire de tout autre État membre à toutes sortes
d'activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion
d'entreprises, la création d'agences, de succursales ou de filiales » 10°, elle fait
largement écho aux opérations d'investissement visées par les traités d'investi
ssement 101. De même, les principes communautaires qui interdisent la discrimination
98. En matière de responsabilité à l'égard des personnes privées, le droit communautaire distingue
entre la responsabilité de l'État qui est discutée devant les juridictions nationales et la responsabilité de
la Communauté qui relève de la compétence des juridictions communautaires.
99. Op. cit.
100. CJCE, 30 novembre 1995, Aff., C-55/94, Gebhard, Rec, p. 4165.
101. En ce sens B. POULAIN, « L'investisseur international : définition ou définitions », Travaux du
Centre d'étude et de recherche de l'Académie de droit international de La Haye 2004, Les aspects nou
veaux du droit des investissements internationaux, sous la direction de Th. Walde et Ph. KAHN, (à paraît
re),p. 18.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 587
102. Selon B. Poulain, il n'existait que deux TBI en vigueur dans l'Europe des 15, le TBI Grèce-All
emagne et le TBI Portugal-Allemagne qui ont été conclus avant l'adhésion de ces pays à l'Union européenne.
103. Article 59 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
104. Voy. la liste des TBI conclus entre les anciens membres d'une part, et les nouveaux membres
ou les pays candidats d'autres part, « EU Enlargement List of Bilateral Investment Treaties of the EU
Accession Candidates », [http://www.freshfields.com/practice/corporate/publications/pdfs/8215 pdf].
105. CJCE, 14 février 1984, Aff. 278/82, Rewe-Handelsgeselltschafl Nord mbH et Rewe-Markt Herbt
Kurcit cl Hauptzollumter Flensburg, Itzehoe et Lubec/c-West, Rec, 1984, p. 721.
106. CJCE, 16 mai 1984, Aff. 105/83, Pakvnes BV' cl Ministère néerlandais de l'Agriculture et de la
pêche, Rec, 1984, p. 2101.
107. On citera, à titre d'exemple, l'affaire Interbrew cl Slovénie sur le fondement du TBI Pays-Bas-
Slovénie, l'affaire Trident Marine cl Lituanie sur le fondement du TBI Danemark-Lituanie et l'affaire
Vivendi Universal cl la Pologne sur le fondement du TBI France-Pologne.
588 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
108. M-R. SANTUCCI, « Les divergences de jurisprudence dans l'ancien droit », in Les divergences de
jurisprudence, sous la direction de P. ANCEL et M-C RlVIER, Publications de l'Université de Saint-
Étienne, 2003, pp. 27-38.
109. Voy. J-H. BAKER, An introduction to English Legal History, Butterworths, 1990, pp. 15-154.
110. B. STERN, Rev. orb, 1980, pp. 117-131.
111. Y. SHANY, op. at, p. 123. En ce sens, F. ORREGO-VlCUftA, « Foreign Investment Law : How Cus
tomary is Custom », ASIL Proc, 2005, p. 99.
112. P. CLAUDEL, Le soulier de satin, Gallimard, 1929.
113. J-F. GUILHAUDIS, Relations internationales contemporaines, Litec, 2002, p. 499.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 589
des pays de tradition civiliste que dans les pays de la common law (1) et des tech
niques s'inspirant plus spécifiquement du droit de la common law (2).
114. Voy. le rapport de l'International Law Association , « Res judicata and Arbitration », Confé
rence de Berlin, 2004, [http://wviw.ila-hq.org/pdf7Int %20Commercial %20Arbitration/Report %20 2004.pdf] ;
A. Cem BUDAK, « Res judicta in Civil Proceedings in Common law and Civilian Systems with Special
Reference to Turkish and English law », Civil Justice Quarterly, 1994, p 261.
115. B. CHENG, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals, Lon
don, Cambridge, 1987, pp. 336-372, voy. CPJI, Affaire du service postal polonais a Dantzig, CPJI, Rec,
1925, pp. 28-30.
116. Voy. p. ex., la sentence CCI n° 6363 de 1991, YCA 1992, p. 186 et les sentences CCI n° 2745 et
n° 2762 de 1997, Collection of ICC Arbitral Awards 1974-1985, ICC Publishing, Paris, 1990, p. 325. Voy.
sur la question, B. HANOTIAU, « The Res Judicata Effect of Arbitral Awards », ICC International Court of
Arbitration Bulletin, special supplement, 2003, Complex Arbitrations, p. 43 ; P. Mayer, « Litispendance,
connexité et chose jugée dans l'arbitrage international », Liber Amicorum Claude Reymond, Autour de
l'arbitrage, Litec, 2004, p. 185 et M. Beeley et H. Seriki, « Res Judicata. Recent Développements in
Arbitrations », International Arbitration Law Review, 2005, p. 111.
117. Sentences CCI n° 2745 et n° 2762, op.cit. , Fomento, Bull ASA 2001, p 16 et Rev arb., 2001,
p. 835. En ce sens, A. SHEPPARD, « Res Judicata and Estoppel », ICC Institute of World Business Law,
op. cit., pp. 11-12.
118. 1. BrOwNLIE, Principles of Public International Law, 6th ed, Clarendon Press, Oxford, 2003,
p. 50. L'auteur affirme que « There is no effect of res judicata from the decision of a municipal court so far
as an international jurisdiction is concerned... », voy. aussi, W-S. DODGE, op. cit., p. 367.
590 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
119. Affaire de l'Usine MOX (Irlande cl Royaume-Uni), Affaire n° 10, ordonnance du 3 décembre
2001, § 51, [http://www.itlos.org/start2_frhtml]. L'affaire de l'Usine MOX a opposé l'Irlande au RU.
L'Irlande a prétendu qu'en installant à Sellafield, sur les rivages de la mer d'Irlande une usine de pro
duction de combustible nucléaire, dite usine Mox singulière, le RU a violé des obligations de droit inter
national. L'affaire a donné lieu à quatre procédures de règlement des différends sur le fondement de
trois instruments différents. Sur les développements de cette affaire, voy. P-M. ElSEMANN,
« L'environnement entre terre et mer. Observations sur l'instrumentalisation du tribunal de
Hambourg », m La mer et son droit. Mélanges offerts à Laurent Lucchim et Jean-Pierre Quéneudec,
Pedone, Paris, 2003, pp. 221-238, Ph. WECKEL, « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP,
2003, pp. 984-994 et J. CAZALA, op. cit.
120. Voy. aussi, la sentence Alex Genin, Eastern Credit Limited, Inc. andA.S. Baltoil cl Estonie,
25 juin 2001, § 330 et s., [http://www.worldbank.org/icsid/cases/genin.pdf].
121. Op. cit., p. 20. «It is not uncommon that acts and omissions of States (or other international
actors) are subject to more than one treaty instrument, and therefore more than one dispute settlement
mechanism. In theory, actions brought under different instruments constitute different "causes". In some
cases, however, this might be an artificial distinction, for example if the legal obligation (e.g. not to expro
priate an investment) is the same ».
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 591
b) La litispendance
37. Si le principe res judicata interdit des instances successives portant sur le
même litige, la fonction du principe de litispendance ou lis pendens est de faire
obstacle à la soumission simultanée d'un même litige à deux juridictions. Il
aboutit normalement à accorder la priorité à la juridiction saisie en premier lieu
et commande au juge saisi en deuxième lieu de se dessaisir de l'affaire.
122. Avis de droit du 20 juin 2002 adressé au tribunal arbitral statuant dans l'affaire CME Czech
Republic BV cl The Czech Republic, Transnational Dispute Management, vol. 2, issue 03, June 2005,
[http.V/www.transnational disputemanagement.com] .
123. A. CRIVELLARO, « Consolidation of Arbitral and Court Proceedings in Investment Disputes »,
The Law and Practice of International Courts and Tribunals, 2005, p. 373.
124. Affaire des thons à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande et Australie cl Japon), sentence sur la
compétence et la recevabilité, 4 août 2000, [http://www.worldbank.org/icsid/highlights/bluefintuna/
award080400 pdf].
125. Sentence partielle du 13 septembre 2001, op. cit., § 436.
126. A. Sheppard, op. cit., p. 16.
127. Voy. supra.
592 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
128. Voy. sur l'utilisation de ce principe devant les jurisdictions internationals, A. REINISCH, « The
Use and Limits of Res judicata and Lis pendens as Procedural Tools to Avoid Conflicting Dispute Settl
ement Outcomes », The Law and Practice of International Courts and Tribunals, 2004, p. 48.
129. Voy. Benvenuti & Bonfant cl Congo, sentence du 8 août 1980, YCA 1983, p 144 ; Condesa,
19 décembre 1997, Tribunal fédéral suisse, ATF 124 III 83 ; Fomento, op.cit. Voy. sur la question, E. GEI-
SINGER et L. Levy, « La litispendance dans l'arbitrage commercial international », Bull de la CCI 2003,
p. 56 et D. REICHERT, « Problems with Parallel and Duplicate Proceedings : The Litispendence Principle
and International Arbitration », Arb. Int., 1992, p. 237.
130. F. ORREGO-VICUNA, « Lis pendens Arbitrahs », ICC Institute of World Business Law, op. cit., p. 3.
131. Décision du 27 novembre 1985, 3 ICSID Rep., p. 129.
132. SGS cl Philippine, décision sur la compétence, 29 janvier 2004, 8 ICSID Rep., p 518.
133. Affaire de l'Usine MOX, ordonnance n° 3 du 24 juin 2003, § 28, [http://www.pca-cpa.org/PDF/
MOX %20Order %20no3.pdfJ.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 593
39. En terme généraux, l'exception forum non conveniens désigne une tech
nique particulière du droit international privé permettant aux juridictions d'un
État de décliner leur compétence lorsqu'elles estiment qu'elles ne constituent pas
un for approprié pour connaître du litige ou qu'un for étranger le serait davan
tageau regard des intérêts des parties et d'une bonne administration de la
justice 134. La théorie est moins bien connue en droit international public et en
droit de l'arbitrage 135, mais on peut l'envisager pour coordonner des instances
transnationales .
Il n'en demeure pas moins que l'effet d'une telle théorie reste limité. Dans la
mesure où chaque juge apprécie unilatéralement le caractère approprié de sa
compétence, elle ne fournit pas un remède efficace au problème de la multiplica
tion des juridictions. La théorie risque, en outre, de compromettre la sécurité juri
dique et le caractère prévisible de la compétence des juges. Bien plus, dans un
monde global, avec l'essor des moyens de communication et de transports, la
proximité géographique doit être relativisée. N'importe quel tribunal peut être
considéré comme un tribunal « proche » des faits litigieux, quel que soit l'endroit
précis du globe où la contestation se localise 136.
134. A. NUYTS, L'exception de forum non conveniens. Étude de droit international privé comparé,
Bruylant - LGDJ, Bruxelles, Paris, 2003, p. 1.
135. A. ROGERS, « Forum non conveniens in Arbitration », Arb. Int., 1988, p. 240.
136. A. NUYTS, op. cit., p. 635.
137. E. TEYNIER, « Procédures : les anti-suit injunctions », Gazette du Palais, 5-7 décembre 2004,
Cahiers de l'arbitrage, 2004, p. 9. Sur l'ensemble de la question, S. CLAVEL, « Anti-suit injunctions et
arbitrage », Rev. arb., 2001, p. 669 ; E. GAILLARD, « II est interdit d'interdire • réflexions sur l'utilisation
des anti-suit injunctions dans l'arbitrage commercial international », Rev. arb , 2004, p. 47 et E. Gaillard,
(éd.), Anti-Suit Injunctions m International Arbitration, LAI Series on International Arbitration, n° 2,
2005.
138. Pour le texte intégral de la décision avec une note mtroductive de M. Lau, voy. Arb. Int., 2003, p. 179.
594 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
41. Traduite en français par les termes « croisée des chemins » 143 ou « option
irrévocable » 144, la clause « fork in the road » consacre l'adage latin « electa una
via non datur regressus ad alteram » 145. Elle interdit à l'investisseur d'introduire
une demande arbitrale sur le fondement d'un traité d'investissement une fois
qu'il a saisi les juridictions internes ou un autre mécanisme compétent et vice
versa. En ce sens, le TBI États-Unis-Estonie (1994) dispose
« If the dispute cannot be settled amicably, the national or company concerned may
choose to submit the dispute for resolution :
(a) to the courts or administrative tribunals of the Party that is a party to the
dispute ; or (b) in accordance with any applicable, previously agreed dispute-settle-
139 §§ 18-27.
140 Le Tnbunal a ordonné la communication d'une copie de l'ordre qu'il a pris à l'arbitre siégeant à
Islamabad.
141. SGS cl Pakistan, 16 octobre 2002, [http://www.worldbank.org/icsid/cases/SGS-order.pdfl.
142. E. GAILLARD, « Chronique des sentences arbitrales CIRDI », JDI, 2004, pp. 272-273.
143. E. GAILLARD, « L'arbitrage sur le fondement des traités d'investissement », op. cit.
144. E. GAILLARD, « Chronique des sentences CIRDI », JDI, 2003, p. 231.
145. Lorsqu'on a choisi une voie on ne peut plus recourir à l'autre.
ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL 595
statuant sur le fondement du chapitre 11, l'autre devant les juridictions internes
de l'État hôte ou devant un autre mécanisme 151. Il en ressort qu'un investisseur
peut introduire une demande d'arbitrage sur le fondement du chapitre 11 même
après avoir préalablement porté le litige devant les tribunaux internes. Toutefois,
les demandes successives sont interdites lorsque le Mexique est partie au litige.
En effet, l'annexe 1120.1 de l'ALENA, s'agissant des seules réclamations impli
quant cet État, interdit à l'investisseur d'alléguer un manquement à l'ALENA à
la fois dans le cadre d'un arbitrage fondé sur le chapitre 11 et d'une procédure
devant un tribunal judiciaire ou administratif mexicain 152. Face au Mexique,
l'investisseur doit donc choisir entre les deux procédures. Il ne peut pas recourir
aux tribunaux internes mexicains pour y renoncer en cours de route et invoquer
l'offre d'arbitrage exprimé et dans l'ALENA, alors que cette hypothèse serait
concevable si l'Etat défendeur était le Canada ou les États-Unis.
D'autre part, la solution ébauchée par la majorité dans la première sentence
Waste Management est infirmée indirectement par le tribunal arbitral statuant
sur l'affaire Feldman cl Mexique. Le problème s'est posé pour le Mexique qui
interdit dans l'annexe 1120.1 à tout investisseur d'alléguer une violation à une
obligation de l'ALENA à la fois dans le cadre d'un arbitrage fondé sur le chapitre
11 et d'une procédure soumise à un tribunal judiciaire ou administratif mexicain.
Le tribunal arbitral a affirmé que la prohibition prévue dans cette annexe ne
s'appliquait que lorsque l'instance interne portait sur une violation de l'ALENA.
Le tribunal semble donc abandonner le critère de la « mesure litigieuse » retenu
par la sentence Waste Management pour consacrer un critère portant sur la
source de la norme violée ou le fondement légal de la prétention 153. De ce fait, le
débat sur le contenu de la renonciation aux procédures internes exigée par
l'ALENA est de nouveau ouvert.
43. On note enfin que, plus récemment, la Cour suprême vénézuélienne a
retenu une position proche de la solution adoptée par la majorité dans l'affaire
Waste Management, quoi que moins formaliste154. Le problème est survenu à
l'occasion de l'affaire Vannessa Ventures Ltd. cl Venezuela 155 soumis au méca
nisme supplémentaire du CIRDI sur le fondement du TBI Canada-Venezuela. Ce
traité subordonne dans son article XII 3) b) tout recours à l'arbitrage à une renon
ciation de l'investisseur (ou d'une entreprise dont il est directement ou indirecte-
151. Dans le même sens, voy C Pearce et J. COE, « Arbitration under NAFTA Chapter Eleven :
Some Pragmatic Reflections upon the First Case Field Against Mexico », Hastings Inter and Comp Law
Review, 2000, p. 324.
152. On souligne que l'annexe 1120 1 n'interdit que le cumul des procédures du chapitre 11 avec le
recours aux juridictions internes mexicaines. Le recours préalable à un arbitrage fondé sur une clause
contractuelle de règlement des différends ne semble donc pas fermer la voie de l'arbitrage du chapitre 11
contre le Mexique.
153. Le tribunal a affirmé « this prohibition applies, however, only if the Claimant alleges in procee
dingsbefore a Mexican court or administrative tribunal that Mexico has breached an obligation under
Section A. In any event, since the Respondent expressly confirms that the Claimant has also not sought to
submit an alleged breach of the NAFTA to the Mexican courts, so there is no conflict with Annex
1120.1... Nor is an action determined to be legal under Mexican law by Mexican courts necessarily legal
under NAFTA or international law. At the same time, an action deemed to be illegal or unconstitutional
under Mexican law may not rise to the level of a violation of international law », sentence du 16 décembre
2002, § 66 et s., [http://ita.law.uvic.ca/documents/feldman_mexico-award-english.pdf].
154. TSJ/SPA/3.229, 28 de octubre de 2005, Minera Las Cristinas, C.A. c I Corporaciôn Venezolana
de Guayana, voy. sur cette affaire, A. De JESUS O., « La solicitud de arbitraje en el marco del Mecanismo
Complementario del CIADI implica una renuncia a los recursos ante los tribunales estatales ? Reflexio-
nes sobre el arbitraje internacional bajo el Mecanismo Complementario del CIADI, el TBI Canada-
Venezuela y su articulation con el derecho positivo venezolano », (à paraître), Revista de Derecho del Tri
bunal Supremo de Justicia, n° 23, Tribunal Supremo de Justicia de Venezuela, Caracas, 2006.
155. Case n° ARB (AFV04/6, pendante.
598 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
2. La consolidation
CCI, elle avait pour effet de rendre impossible l'exécution au Liban de toute
sentence rendue sur le fondement de cette clause. En juin 2002, les investisseurs
ont notifié à l'État une seconde demande d'arbitrage en application du règlement
CNUDCI, sur le fondement du TBI France-Liban. Les demanderesses ayant
effectué une offre de consolidation des deux arbitrages, portant respectivement
sur les questions contractuelles et la protection de l'investissement en application
du TBI, l'État libanais a accepté cette demande. Un accord de consolidation a été
signé, permettant à chaque partie de soumettre des demandes fondées sur le TBI
et des demandes d'origine contractuelle. Le tribunal a examiné successivement
les griefs relatifs aux TBI et les griefs d'ordre contractuel. Il a noté que les répa
rations éventuelles relatives à l'un et à l'autre chef ne sauraient se cumuler.
La même position a été adoptée dans l'affaire SCC n° 12/2001 soumise à
l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (IACCS). La
société américaine CCL avait invoqué trois bases pour fonder la compétence de
cette institution arbitrale : une clause contractuelle d'arbitrage prévue dans un
contrat de cession d'actions, la loi kazakhe sur les investissements du 27 décembre
1994 qui exprimait une offre d'arbitrage IACCS et le TBI États-Unis- Kazakhstan
de 1992. Les parties ont décidé de consolider les trois procédures devant un même
tribunal qui a examiné sa compétence au regard de chaque instrument 160.
À cette consolidation directe fait écho une consolidation indirecte ou « de
facto » 161, qui consiste à désigner les mêmes arbitres pour trancher des affaires
similaires. Cette procédure a été utilisée dans les affaires Salini cl Maroc et
RFC cl Maroc. Les deux affaires ont survenues à l'occasion de faits quasiment
identiques. Elles ont été fondées sur le même TBI. Le secrétariat du CIRDI a
recommandé aux investisseurs et à l'État du Maroc de désigner les mêmes arbi
tres et cette proposition a été acceptée par toutes les parties concernées. Les
deux affaires n'ont pas été consolidées formellement mais elles ont été conduites
séparément par les mêmes arbitres qui ont rendu deux décisions sur la compét
ence.
Qu'elle soit directe ou de facto, la consolidation volontaire n'en est pas moins
subordonnée à l'accord et la coopération des parties. Faute d'accord, la même
solution n'a pas été suivie dans certaines affaires concernant l'Argentine. Dans sa
décision sur la compétence, le tribunal statuant dans l'affaire CMS cl Argentine
a insisté sur cette coopération : « le Centre a fait tous les efforts possibles pour
éviter une multiplicité de tribunaux et de compétences, mais il n'est pas possible
d'empêcher différents investisseurs d'exercer les droits qu'ils sont susceptibles
d'avoir en vertu de différents instruments » 162.
46. La consolidation imposée a été inaugurée par le chapitre 11 de l'ALENA.
Elle a été prévue également dans les nouveaux accords de libre échange conclus
par les États-Unis et les TBI modèles des États-Unis et du Canada. L'ALENA
prévoit l'institution d'un « super-tribunal » 163, établi par le secrétaire général du
CIRDI et statuant conformément au règlement CNUDCI, devant lequel les
plaintes portant sur « un même point de droit ou de fait seront jointes ». La
demande de constitution de ce tribunal appartient à un État ou à un investisseur.
Elle doit être adressée au secrétaire général du CIRDI et signifiée aux parties
160. Sentence rendue en 2003 dans l'affaire SCC, n° 12/ 2001 avec les observations de H. Smit,
publiée sans l'identité de la demanderesse dans Stockholm International Arbitration Review 2005, n° 1,
p. 128.
161. A. CRIVELLARO, op. cit., p. 387.
162. Décision sur la compétence, 17 juillet 2003, JDI, 2004, p. 252.
163. Le terme appartient à J. PAULSSON, « Arbitration without Privity », ICSID Rev., 1995, n° 2,
p. 248.
600 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
partie » des plaintes soumises. Il n'en demeure pas moins qu'une telle consolida
tion partielle peut paraître très difficile à mettre en œuvre. On note aussi que,
deux mois après ce refus de consolidation, une nouvelle demande arbitrale
concernant la même mesure a été introduite contre le Mexique par la société
américaine Cargill 169.
En revanche, le 7 septembre 2005, un autre tribunal a accepté que soient
regroupées les trois demandes arbitrales distinctes présentées par les produc
teurscanadiens de bois d'oeuvre (Tembec, Canfor et Terminal Forest Products)
contre les États-Unis 170. Il est significatif que le tribunal arbitral évoque dans
son ordre de jonction « la regrettable non consolidation des affaires Lauder et
CME » m.
Quoi qu'il en soit, en instituant une telle procédure, l'ALENA singularise
l'arbitrage transnational et l'éloigné de l'arbitrage classique consensuel et
contractuel. H constitue une étape vers la judiciaiisation des procédures de règlement
des différends relatifs aux investissements. En effet, dans le droit de l'arbitrage
classique, la consolidation ne peut être imposée. Elle suppose le consentement de
toutes les parties impliquées dans la procédure arbitrale. L'ALENA apporte ainsi
une exception à la règle classique de la jonction consensuelle des procédures
d'arbitrage, et favorise ce faisant l'efficacité et l'harmonie des procédures, tout en
en limitant les coûts. Toutefois, dans la mesure où elle ne concerne que des
demandes fondées sur l'ALENA et ne peut s'étendre à d'autres demandes fondées
sur d'autres traités d'investissement, son effet peut paraître assez limité.
47. Il est très difficile de nier le désordre procédural qui caractérise le conten
tieuxéconomique international et d'une manière générale le contentieux internat
ional. L'éparpillement du contentieux, la multiplication des juridictions, le
conflit des décisions et des jurisprudences est une réalité. Certes, toute institu
tion humaine est par définition perfectible. Il y a des remèdes, il y a des correct
ifs. Mais il reste beaucoup à faire... Au final, comme l'a affirmé le juge Brower,
on est obligé d'accepter un certain degré de dysfonctionnement, inhérent à tout
système de règlement des différends 172.
Faut-il alors s'orienter vers l'option multilatérale pour trouver la solution au
désordre procédural qui affecte l'arbitrage transnational ? Un nouvel accord
multilatéral des investissements s'inspirant d'une expérience de vingt ans de
pratique des traités bilatéraux et régionaux des investissements pourrait sans
doute améliorer la qualité des normes et garantir l'harmonie des procédures.
169. INVEST-SD : Investment Law and Policy News Bulletin, Sept. 15, 2005.
170. [httpy/naftaclaims.com/Disputes/USA/Softwood/Softwood-ConOrder.pdf]. Sur ces deux déci
sions, voy. B. HANOTIAU, « NAFTA consolidation decision under Art. 1126 of the NAFTA», Transnational
Dispute Management, vol. 2, issue 05, November 2005 ; Y. ANDREEVA, « First NAFTA (non)Consolidation
Order : Corn Products et al. v. Mexico », Transnational Dispute Management, vol. 2, issue 05, November
2005 et L-A GONZALEZ GARCIA, « Is Consolidation of Claims a Step to Improvement ? The HFCS case »,
Symposium on Making the Most of International Investment Agreements : A Common Agenda, OCDE
Paris 12 décembre 2005, [http://www.oecd.org/dataoeccV5/55/36055400.pdf].
171. § 132. La société Tembec a déposé, le 17 février 2006, une demande d'annulation contre l'ordre
de consolidation devant les juridictions de Washington. Les États-Unis ont soutenu qu'un tel ordre ne
constituait pas une sentence arbitrale susceptible d'annulation. La requête de Tembec et la réponse des
Etats-Unis sont disponibles à la page [http://www.state.gOv/s/l/cl7639.htm].
172. Ch. Brower, op. cit.
602 ARBITRAGE ÉTAT-INVESTISSEUR ET DÉSORDRE PROCÉDURAL
Une cour globale, multilatérale, unique des investissements, ouverte aux États
comme aux investisseurs, assurerait, sans doute, le contrôle de la légalité
économique internationale et restaurerait l'harmonie des relations économiques
internationales 173. Mais, en l'état actuel des choses, l'option multilatérale est
politiquement inadmissible pour les États. Le scénario le plus probable serait-il
alors, inévitablement, pour un temps encore indéterminé, un statu quo
regrettable ? Le rêve multilatéral ne deviendra-t-il pas un jour réalité ?
Chargé par les organisateurs du congrès de l'International Council of
Commercial Arbitration (ICCA), tenu à Paris du 3 au 6 mai 1998, de suggérer des
voies et des moyens pour accroître l'efficacité internationale des sentences arbi
trales, le regretté Ph. Fouchard proposait de supprimer le recours en annulation
ou d'instituer un système international de contrôle des sentences arbitrales. Ces
propositions sont révolutionnaires. Ph. Fouchard a conclu son intervention en ces
termes: «Gardons une part de rêve... Rappelons-nous les revendications des
étudiants parisiens lors des événements de mai 68, un slogan magnifique, que je
vous invite à faire votre : "soyez réaliste : demandez l'impossible" » 174.
173. Pour une telle cour dans un cadre régional, voy. F. HORCHANI, L'investissement mter-arabe.
Recherche sur la contribution des conventions multilatérales arabes à la formation d'un droit régional des
investissements, CERP Tunis 1992, pp. 390-401 et W. BEN HAMIDA, « The First Arab Investment Court
Decision », (à paraître).
174. Ph Fouchard, « Suggestions pour accroître l'efficacité internationale des sentences arbitrales »,
Rev arb., 1998, p. 653, spé. p. 672.