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Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique


T. Petitclerc

La stabilité du pH du milieu intérieur est d’importance vitale pour l’organisme. Elle nécessite que la quantité
d’ions H+ produite soit égale à la quantité éliminée dans le même temps. Les ions H+ proviennent d’une
part de la dissociation partielle en H+ et bicarbonate du CO2 dissous qui est un acide volatil parce qu’il peut
s’échapper par le poumon (sous forme de gaz carbonique) de la solution qui le contient, d’autre part de la
dissociation des acides minéraux (non métabolisables) et organiques (métabolisables) appelés acides fixes
parce qu’ils ne peuvent s’échapper de l’organisme qu’en solution (élimination rénale ou perte digestive).
Normalement, en l’absence de trouble acidobasique, une quantité d’ions H+ égale à celle provenant
de la dissociation partielle du CO2 dissous est éliminée par le poumon sous forme de gaz carbonique.
Une quantité égale à celle provenant de la dissociation des acides fixes organiques est consommée par
le métabolisme. Une quantité égale à celle provenant de la dissociation des autres acides fixes (environ
70 mmol d’ions H+ par jour) est excrétée par le rein et prise en charge par les tampons phosphates (acidité
titrable) et par l’ammoniac (ammoniurie). Le diagnostic précis d’un trouble acidobasique nécessite une
mesure du pH, de la pression partielle en gaz carbonique (PCO2 ) et de la concentration plasmatique en
bicarbonates dans le sang artériel (gaz du sang). Une acidose respiratoire est définie comme un excès
de concentration de l’acide volatil CO2 dissous (hypercapnie) lié à un défaut d’élimination pulmonaire
du gaz carbonique. Inversement, une alcalose respiratoire est définie comme un défaut de concentration
de l’acide volatil (hypocapnie) lié à une hyperventilation alvéolaire. De manière analogue, une acidose
métabolique est définie comme un excès de concentration des acides fixes et une alcalose métabolique
comme un défaut de concentration des acides fixes. Cet article détaille la physiopathologie des troubles
acidobasiques afin de faire comprendre les règles diagnostiques et thérapeutiques.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Acidose métabolique ; Acidose respiratoire ; Alcalose métabolique ; Alcalose respiratoire ;


Trou anionique

Plan ■ Troubles acidobasiques d’origine respiratoire 9


Acidose respiratoire 9
■ Introduction 1 Alcalose respiratoire 10
■ Bilan des ions H+ 1
Origine des ions H+ 2
Rôle des systèmes tampons 2  Introduction
Élimination des ions H+ 2
Bilan entrées-sorties des ions H+ 3 Dans les conditions physiologiques, le pH du milieu intérieur
■ Troubles acidobasiques 3 est remarquablement stable et mesuré dans le sang artériel à
Classification 3 7,40 ± 0,02 en dépit d’une charge quotidienne acide très impor-
Compensation 4 tante. Cette stabilité est d’importance vitale car une variation
Mise en évidence 4 significative du pH est susceptible d’entraîner une dégradation

structurale ou fonctionnelle des enzymes qui catalysent les réac-
Acidoses métaboliques 5
tions biochimiques indispensables à la vie.
Diagnostic positif 5
Signes cliniques 5

 Bilan des ions H+


Diagnostic étiologique 5
Traitement 7
■ Alcalose métabolique 8
Dans les conditions physiologiques, la stabilité du pH de
Physiopathologie 8
l’organisme est assurée par un bilan nul des ions H+ : la quantité
Diagnostic positif 8
d’ions H+ produite est égale à la quantité éliminée dans le même
Diagnostic étiologique et traitement 8
temps.

EMC - Endocrinologie-Nutrition 1
Volume 9 > n◦ 4 > octobre 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1155-1941(12)51207-2
10-354-A-10  Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique

Les acides fixes minéraux sont principalement représentés par


Glucose l’acide phosphorique provenant du métabolisme de la caséine et
(C6H12O6) par l’acide sulfurique provenant du métabolisme des acides ami-
Glycolyse
anaérobie nés soufrés. L’apport d’ions H+ lié à leur dissociation est de l’ordre
(fermentation de 0,5 mmol par jour et par kg de poids corporel, soit environ
Acide lactique lactique) 35 mmol/j. Les anions provenant de la dissociation des acides fixes
(2 CH3-CHOH-COOH) minéraux (phosphates, sulfates, etc.) ne sont pas métabolisables.
Les acides fixes organiques sont principalement représentés par
l’acide lactique (dont la production est d’environ 15 à 20 mmol
2 H+ Lactate par jour et par kg de poids corporel) provenant de la première
(2 CH3-CHOH-COO-) 6 O2 étape (anaérobique) du catabolisme du glucose (Fig. 1), mais aussi
par les acides pyruvique, citrique, etc. et par les acides gras pro-
Glycolyse venant de la lipolyse. Ainsi 2 000 à 2 500 mmol d’acides fixes
aérobie organiques sont-elles ainsi produites chaque jour par le métabo-
(combustion) lisme. Les anions provenant de la dissociation des acides fixes
2 HCO3-
organiques (lactate, acétate, citrate, etc.) sont en quasi-totalité
métabolisables : seule une très faible partie (environ 35 mmol/j)
n’est pas métabolisée.
2 CO2 + 2 H2O 4 CO2 + 4 H2O

Figure 1. Catabolisme du glucose. La réaction globale du catabolisme Rôle des systèmes tampons
du glucose est donc : C6 H12 O6 + 6 O2 → 6 CO2 + 6 H2 O.
La valeur physiologique du pH correspond à une concentra-
tion d’ions H+ libres d’environ 40 nmol/l (0,04 ␮mol/l), ce qui
Origine des ions H+ représente une quantité totale d’ions H+ libres dans l’organisme de
l’ordre de 2 ␮mol alors que la charge quotidienne de l’organisme
Un acide est une substance capable de libérer en solution, par sa en ions H+ s’exprime en milliers de mmol. Ceci est rendu pos-
dissociation, un ion H+ . À l’inverse, une base est capable de fixer sible grâce aux systèmes tampons qui prennent immédiatement
un ion H+ . La présence d’ions H+ dans une solution rend compte en charge les ions H+ sur leur lieu de production tant qu’ils ne sont
de son acidité. De manière quantitative, l’acidité d’une solution pas métabolisés ou éliminés.
est mesurée par sa concentration en ions H+ , ou de manière plus Un tampon est une substance qui peut fixer de manière réver-
usuelle par le pH. En réalité, l’ion H+ est toujours associé à une sible un ion H+ . Ainsi en est-il par exemple du tampon bicarbonate
molécule d’eau H2 O et circule donc sous forme de H3 O+ , mais HCO3 – /CO2dissous ou du tampon phosphate HPO4 2– /H2 PO4 – .
nous gardons la notation H+ par facilité d’écriture. Le tampon bicarbonate est le principal tampon de l’organisme.
Dans les conditions physiologiques, l’apport d’acide est très net- C’est un tampon ouvert en ce sens qu’il peut quitter l’organisme,
tement supérieur à l’apport de base si bien qu’il existe un apport soit sous forme de gaz carbonique par voie pulmonaire, soit sous
net d’ions H+ lié à la dissociation partielle ou totale des acides. Il forme de bicarbonate par élimination rénale. Sa localisation est
est important de distinguer deux types d’acide : les acides volatils principalement extracellulaire.
et les acides non volatils, encore appelés acides fixes. Les autres tampons sont essentiellement cellulaires (phos-
phates, protéines, hémoglobine) et osseux. Hormis le bicarbonate,
Acides volatils le compartiment extracellulaire contient peu de tampons (pro-
téines, essentiellement l’albumine plasmatique, et phosphates).
Un acide volatil est un acide qui peut s’échapper de la solution Tous les tampons autres que le bicarbonate sont appelés tam-
dans laquelle il est dissous. Le groupe des acides volatils est pons « fermés », car non seulement ils sont fixes puisqu’ils ne
représenté dans l’organisme par le seul acide volatil CO2 . En peuvent, comme les acides fixes, s’échapper de la solution qui
effet, le dioxyde de carbone CO2 est un acide parce que, dissous les contient, mais encore ils sont en quelque sorte emprisonnés
dans les compartiments aqueux de l’organisme, sa dissociation dans l’organisme du patient, soit parce qu’ils se trouvent dans un
conduit à la libération d’un ion H+ selon la réaction : secteur fermé de l’organisme (tampons intracellulaires, tampons
osseux), soit parce qu’ils sont macromoléculaires et ne peuvent
CO2dissous + H2 O → H+ + HCO3 − donc être filtrés par les reins (protéines). Même si la concentra-
tion des tampons fermés peut varier et en particulier diminuer au
L’apparition d’un ion H+ est accompagnée de celle d’un ion cours de certaines maladies (anémie, dénutrition, déminéralisa-
HCO3 – dont la dénomination officielle est hydrogénocarbonate, tion osseuse, etc.), cette variation est relativement lente si bien que
mais habituellement appelé bicarbonate en pratique médicale. La la concentration des tampons fermés peut être considérée comme
dissociation du CO2dissous est incomplète au pH physiologique : constante sur la durée d’étude d’un trouble acidobasique.
c’est donc un acide faible. Enfin, CO2dissous est un acide volatil,
car il peut s’évaporer de la solution dans laquelle il est dissous
et s’échapper de l’organisme à travers la membrane alvéolaire Élimination des ions H+
et les voies aériennes sous forme de gaz carbonique. Chaque
jour, 15 000 à 20 000 mmol d’acide volatil CO2dissous (soit plus de Il existe trois voies d’élimination des ions H+ : le métabolisme,
10 mmol/min) sont produites par l’organisme, principalement à la voie pulmonaire et l’élimination rénale.
partir du catabolisme aérobique (combustion) des glucides (Fig. 1). Le métabolisme des anions organiques, comme par exemple
celui du lactate, nécessite de l’oxygène (phase aérobique du
métabolisme glucidique) et conduit à la formation d’un anion
Acides fixes bicarbonate qui reprend en charge l’ion H+ libéré lors de la disso-
Les autres acides, qui ne peuvent s’échapper de la solution dans ciation de l’acide organique (Fig. 1). Ainsi le catabolisme quotidien
laquelle ils sont dissous, mais qui peuvent néanmoins s’échapper des 2 000 à 2 500 mmol d’acides fixes organiques ne conduit-il
en solution du récipient qui les contient, par exemple si ce réci- pas dans les conditions physiologiques à une charge nette d’acides
pient est ouvert sur l’extérieur par un robinet (représenté dans fixes pour l’organisme, mais seulement à une charge d’acide faible
le cas de l’organisme par les reins), sont appelés acides « fixes ». volatil CO2dissous . En revanche, si le métabolisme est bloqué ou
Les acides fixes sont en pratique totalement dissociés au pH de incomplet, par exemple en raison d’un manque d’oxygène dans
l’organisme : ils se comportent donc comme des acides forts. Il les cellules (hypoxie), il en résulte une charge majeure en acides
existe deux classes d’acides fixes : les acides fixes minéraux et les fixes totalement dissociés mettant rapidement en cause le pronos-
acides fixes organiques. tic vital (acidose lactique).

2 EMC - Endocrinologie-Nutrition
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La réaction inverse de la dissociation du CO2dissous montre que Bilan entrées-sorties des ions H+
le poumon intervient dans l’élimination de la charge acide. Cette
élimination ne peut cependant se faire qu’au prix de la consom- L’alimentation et surtout le métabolisme conduisent à une
mation d’un ion bicarbonate, seul capable d’éliminer un ion charge quotidienne importante en ions H+ dont le bilan est sché-
H+ sous forme gazeuse par sa liaison avec celui-ci. matisé sur la Figure 4. En résumé, afin d’éviter une production ou
Enfin, le rein est capable d’excréter les ions H+ dans l’urine une consommation continuelle de bicarbonate empêchant la sta-
(Fig. 2). Contrairement au poumon, le rein élimine les ions H+ sans bilité de sa concentration, le poumon doit éliminer une quantité
consommation de bicarbonate. Bien sûr, l’ion H+ excrété dans d’ions H+ égale à celle provenant de la dissociation partielle du
l’urine ne reste pas sous forme libre (sinon l’urine deviendrait très CO2dissous produit chaque jour ; le métabolisme doit consommer
acide et responsable de brûlures urinaires insoutenables !), mais une quantité d’ions H+ égale à celle provenant de la dissociation
il est immédiatement pris en charge, pour un tiers environ de la des acides organiques ; le rein doit éliminer le reste des ions H+ ,
quantité excrétée, par le tampon phosphate (filtré puis concen- c’est-à-dire une quantité correspondant à celle provenant de la dis-
tré dans l’urine par les reins) et pour les deux tiers restants par sociation des acides fixes minéraux augmentée de celle provenant
l’ammoniac NH3 synthétisé dans le rein (Fig. 3). En effet, chaque de la faible quantité d’acides fixes organiques non métabolisés,
molécule de NH3 synthétisée dans les cellules tubulaires rénales soit au total une quantité d’environ 70 mmol/j (1 mmol/j et par kg
fixe un ion H+ présent dans les urines pour former l’ion ammo- de poids corporel).
niaque NH4 + . Cette fixation est irréversible aux valeurs de pH
observées dans les urines. L’ion NH4 + est éliminé dans les urines
(ammoniurie), accompagné d’un anion (généralement Cl– ) pour
respecter l’électroneutralité.
 Troubles acidobasiques
Un trouble de l’équilibre acidobasique est défini comme une
anomalie de la concentration plasmatique des acides fixes et/ou
volatils.
Membrane Membrane
+ 2 mV -70 mV 0 mV
apicale basale
Lumière tubulaire Cellule tubulaire Espace péritubulaire Classification
Selon que l’anomalie de la concentration plasmatique des
Ultrafiltrat
Plasma acides atteint primitivement le stock d’acide volatil CO2dissous ou le
glomérulaire
stock d’acides fixes, on parle respectivement de trouble acidoba-
sique d’origine respiratoire ou de trouble acidobasique d’origine
HCO3- HCO3- + H+ métabolique. Une augmentation de la concentration plasmatique
des acides dans le sang artériel définit l’acidose, une diminution
définit l’alcalose.
H+ H+ CO2 CO2
La concentration du dioxyde de carbone dissous [CO2dissous ]
est mesurable et habituellement exprimée sous forme de pres-
sion partielle en gaz carbonique (PCO2 ) selon l’équation suivante :
Anhydrase
carbonique
[CO2dissous ] (mmol/l) = 0,03 PCO2 (mmHg)
(H+)urine (H+)plasma

Figure 2. Excrétion rénale de la charge acide. L’excrétion rénale


Ainsi, une PCO2 à 40 mmHg correspond-elle à une concentra-
de la charge acide repose sur un transport actif des ions H+ à tra-
tion en CO2dissous égale à 1,2 mmol/l. En revanche la concentration
en acides fixes n’est pas mesurable : seule sa variation (en excès
vers+ la membrane  apicale de la cellule tubulaire. Le bilan −global ou en défaut) est calculable (cf. infra). En pratique, on classe les
Hplasma → H+urine peut aussi s’écrire : CO2plasma → H+
urine
+ HCO3plasma,
différents troubles acidobasiques sur les mesures du pH et de la
ce qui montre bien qu’éliminer un ion H+ dans les urines revient à régé- concentration du bicarbonate (Tableau 1).
nérer un ion bicarbonate dans le plasma et donc qu’une modification Une acidose respiratoire (excès d’acide volatil CO2dissous se
de la bicarbonatémie provoquée par le rein (ou par apport ou perte de traduisant par une augmentation de la PCO2 ) provoque une aug-
bicarbonate) est équivalente à une modification en sens opposé de la mentation du taux plasmatique du bicarbonate en raison de la
concentration des acides fixes. dissociation partielle du CO2dissous en excès et tend à diminuer

Membrane Membrane Figure 3. Prise en charge des ions H+ dans l’urine.


apicale basale
Lumière tubulaire Cellule tubulaire Espace péritubulaire

Ultrafiltrat Plasma
glomérulaire
Glutamine

H+
Tampons urinaires NH3 NH3
(phosphates)

Acide glutamique
Acidité NH4+
titrable ammoniurie

(H+)urine Acidité titrable


+ ammoniurie

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20 000 mmol/j Figure 4. Bilan des ions H+ .


CO2
Non dissocié
Acide volatil
Partiellement Expiré
CO2dissous
20 000 mmol/j dissocié HCO3-
Poumon
Dissocié

Acides fixes
Totalement X- 70 mmol/j
non métabolisés Ions H+ H+
dissociés 70 mmol/j libres Rein urinaire
70 mmol/j
2 Excrété
00
2 000 mmol/j 0 (urines)
m
Acides fixes m
Totalement ol/ Métabolisme
métabolisés j CO2dissous
2 000 mmol/j dissociés

Anions
organiques
Y- (lactate, etc.) O2

le pH (par excès d’acide). De manière analogue, une alcalose immédiate, la modification de l’excrétion rénale des ions H+ à
respiratoire (diminution de la PCO2 ) conduit à une diminution l’origine de la compensation rénale d’un trouble respiratoire met
du bicarbonate et tend à augmenter le pH. plusieurs dizaines d’heures à s’établir, et aussi à disparaître lors de
En revanche, une acidose métabolique (excès d’acides fixes) pro- la disparition du trouble respiratoire.
voque une diminution du bicarbonate qui tamponne une partie La compensation d’un trouble acidobasique permet d’atténuer
de l’excès d’ions H+ (l’autre partie étant prise en charge par les la variation du pH et ses conséquences délétères sur l’organisme,
tampons fermés) et tend à diminuer le pH (par excès d’acide). De mais elle aggrave la variation de la concentration du bicarbonate
manière analogue, une alcalose métabolique (défaut d’acides fixes (ce qui n’a pas d’effet délétère). Par exemple, la compensation
correspondant à un excès de base) conduit à une augmentation d’une acidose respiratoire, à l’origine d’une augmentation de la
du bicarbonate et tend à augmenter le pH. concentration du bicarbonate, consiste en une diminution de la
Le diagnostic d’un trouble acidobasique peut cependant être concentration des acides fixes, à l’origine également d’une aug-
plus difficile, d’une part en raison de phénomènes compensa- mentation de la concentration du bicarbonate. La compensation
toires qui minimisent la variation du pH, ce qui rend moins facile peut ramener le pH dans l’intervalle des valeurs normales : on dit
sa mise en évidence, d’autre part parce que différents troubles alors que le trouble acidobasique est complètement compensé.
acidobasiques sont assez fréquemment associés. Cependant une compensation complète ne signifie pas la guéri-
son du trouble acidobasique, car la concentration des acides fixes
et celle de l’acide volatil CO2dissous ne sont pas revenues toutes les
Compensation deux à la normale.
Connaissant la valeur du pH mesurée, de nombreuses formules
Parce que le rein et le poumon participent tous les deux à permettent de calculer la valeur attendue de la PCO2 ou de la
l’excrétion de la charge acide de l’organisme, ils participent tous concentration en bicarbonate qui correspondent à un trouble aci-
les deux au contrôle du pH de l’organisme. Ils peuvent donc dobasique simple. Si la valeur effectivement mesurée de la PCO2
s’entraider pour tenter de minimiser la variation délétère du pH ou de la concentration en bicarbonate diffère significativement
provoquée par un trouble acidobasique. de la valeur calculée, on est en présence d’un trouble acidoba-
Ainsi une acidose métabolique simple (c’est-à-dire en l’absence sique associant un trouble métabolique et un trouble respiratoire,
de trouble respiratoire associé) est-elle compensée, au moins en et alors appelé trouble acidobasique « complexe ».
partie, par une diminution de la concentration en acide volatil
CO2dissous obtenue par une hyperventilation permettant la dimi-
nution de la PCO2 , et inversement en cas d’alcalose métabolique. Mise en évidence
De façon analogue, une acidose respiratoire simple (c’est-à-dire
en l’absence de trouble métabolique associé) est compensée, au Le diagnostic d’un trouble acidobasique repose sur la déter-
moins en partie, par une diminution de la concentration en mination du pH, de la PCO2 et de la concentration plasmatique
acides fixes obtenue par une augmentation de la sécrétion rénale du bicarbonate. La mesure de deux de ces trois paramètres suffit
d’ions H+ , et inversement en cas d’alcalose respiratoire. Alors puisque le troisième peut être obtenu à partir de la formule
que la modification de la ventilation pulmonaire à l’origine d’Henderson-Hasselbach :
de la compensation respiratoire d’un trouble métabolique est
pH = 6,1 + log10 ([HCO3 – ] [mmol/l]/0,03 PCO2 [mmHg])

Tableau 1.
Classification des troubles acidobasiques simples. La mesure de ces paramètres plasmatiques doit être effec-
tuée dans un échantillon de sang artériel (mesure des gaz du
PCO2 HCO3 − a pH b sang) qui doit être prélevé à l’abri de l’air pour éviter que
Acidose respiratoire Augmentée Augmenté Diminué l’acide CO2dissous ne se volatilise, modifiant ainsi l’équilibre aci-
Alcalose respiratoire Diminuée Diminué Augmenté dobasique. Les intervalles de valeurs normales sont [7,38-7,42]
pour le pH, [22-26 mmol/l] pour la concentration du bicarbo-
Acidose métabolique Diminuée c Diminué Diminué
nate et [36-42 mmHg] pour la PCO2 . Le pH et la PCO2 sont
Alcalose métabolique Augmentée c Augmenté Augmenté habituellement mesurés par des électrodes spécifiques et la
a
La compensation aggrave la variation du taux de bicarbonate. concentration du bicarbonate est alors calculée à partir de la
b
Un pH resté dans l’intervalle des valeurs normales traduit une compensation formule d’Henderson-Hasselbach. L’appareil de mesure permet
complète du trouble. habituellement d’estimer l’excès ou le défaut de concentra-
c
Du fait de la compensation. tion des acides fixes en calculant le base excess (qui en est la

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valeur opposée), ce qui permet de quantifier l’importance de absente et seulement prouvée par l’hypocapnie si celle-
la composante métabolique du trouble acidobasique ou de la ci est modérée. Il s’agit d’une dyspnée ample et évidente
compensation d’un trouble respiratoire. (dyspnée de Kussmaul), sine materia (auscultation et radio-
Dans le sang veineux, la PCO2 est plus élevée et le pH est plus graphie pulmonaire normales) avec une PO2 élevée (supé-
faible parce que les cellules ont rejeté dans le sang le CO2dissous et les rieure à 100 mmHg), sauf en cas d’affection pulmonaire
acides fixes provenant du catabolisme. Cependant, en l’absence associée.
de trouble acidobasique, la concentration en bicarbonate du sang Les formes sévères et prolongées d’acidose métabolique aiguë
veineux (24 ± 3 mmol/l) n’est pas significativement différente de peuvent être responsables d’une défaillance cardiaque aiguë par
celle dans le sang artériel (24 ± 2 mmol/l) parce que la tendance effet dépresseur myocardique de l’acidose et associées à des
à l’augmentation liée à l’augmentation du CO2dissous est compen- troubles neuropsychiques (torpeur, confusion), sans qu’il soit pos-
sée par la tendance à la diminution liée à l’augmentation de la sible de dire si ces troubles sont directement liés à l’acidose ou en
concentration en acides fixes. Dans le sang veineux, c’est géné- rapport avec la cause.
ralement le CO2total , égal à la somme de la concentration du
bicarbonate et du CO2dissous , qui est mesurée. La valeur normale Acidose métabolique chronique
est 25 ± 3 mmol/l.
Ainsi un trouble acidobasique est-il fréquemment suspecté en En cas d’acidose métabolique chronique, le contexte clinique
routine clinique sur la mise en évidence d’un taux anormal de la est très différent. À l’exception des acidoses tubulaires proximales,
concentration du bicarbonate ou du CO2total dans un prélèvement les acidoses métaboliques chroniques sont toujours liées à une
veineux. Cependant le sens de la variation de la concentration du insuffisance d’excrétion urinaire de la charge acide à l’origine d’un
bicarbonate ne permet pas de juger à lui seul s’il s’agit d’une aci- déséquilibre permanent du bilan des ions H+ , les sorties restant
dose ou d’une alcalose (Tableau 1). Le contexte clinique n’étant constamment inférieures à la production.
pas toujours suffisamment évocateur, la mesure du pH plasma- La surcharge progressive en acides fixes est responsable
tique dans un échantillon de sang artériel (gaz du sang) est alors d’une fonte musculaire et d’une consommation de la réserve
nécessaire. de tampons, en particulier osseux, à l’origine de l’apparition
d’une ostéomalacie (ou d’un rachitisme vitaminorésistant chez
l’enfant), de lithiase calcique, voire d’une néphrocalcinose. Les
 Acidoses métaboliques signes cliniques révélateurs de ces états d’acidose métabolique
chronique peuvent être des douleurs osseuses ou une fracture
L’excès d’acides fixes définissant l’acidose métabolique peut être pathologique par ostéomalacie (ou un retard de croissance chez
en rapport avec : l’enfant).
• une augmentation de la production endogène des acides fixes
(par exemple : acidocétose) ou, beaucoup plus rarement, à un Diagnostic étiologique
excès d’apports par intoxication ;
• une diminution de leur élimination par le métabolisme (par En raison de la loi d’électroneutralité de toute solution, l’excès
exemple : acidose lactique) ou par le rein (par exemple : insuf- d’ions H+ responsable de l’acidose doit être compensé par une aug-
fisance rénale, acidoses tubulaires) ; mentation de la concentration d’un ou plusieurs anions. L’ion
• une perte de bases (origine digestive). Cl– ayant pour seul rôle d’assurer l’électroneutralité par une adap-
tation adéquate de sa concentration, une fois posé le diagnostic
Diagnostic positif d’acidose métabolique, la seconde étape du diagnostic consiste
alors à regarder si l’excès d’ions H+ est effectivement compensé
L’acidose métabolique est le plus souvent suspectée sur une par une augmentation de la concentration de l’anion Cl– (ce qui
diminution dans le sang veineux du bicarbonate ou du CO2total revient à dire que l’acidose métabolique est en rapport avec un
au-dessous de l’intervalle normal. Le contexte clinique et biolo- excès d’acide chlorhydrique HCl) ou si cette augmentation n’est
gique, souvent évocateur de l’étiologie, permet habituellement pas nécessaire parce qu’il s’agit d’une acidose liée à un excès
d’orienter vers une acidose métabolique plutôt que vers une alca- d’acides fixes autres que HCl (le plus souvent un acide orga-
lose respiratoire liée à une hyperventilation alvéolaire primitive. nique tel l’acide lactique) lors de laquelle l’excès d’ions H+ est
En cas de doute, un prélèvement artériel effectué pour la mesure compensé par l’apparition de l’anion provenant de la disso-
des gaz du sang montre une diminution du pH et/ou de la ciation de l’acide (par exemple le lactate). Ainsi distingue-t-on
PCO2 (par compensation respiratoire) associée à la diminution du classiquement les acidoses hyperchlorémiques et les acidoses non
bicarbonate (au-dessous de 22 mmol/l). La diminution du pH (aci- hyperchlorémiques.
démie) est plus ou moins marquée selon l’importance de l’excès Il est cependant des situations lors desquelles l’excès
de concentration des acides fixes et de la compensation respira- d’acide chlorhydrique n’entraîne pas d’hyperchlorémie : ainsi
toire. La comparaison entre la PCO2 mesurée et la valeur attendue l’augmentation de la chlorémie liée à l’excès d’ions H+ peut être
permet de déterminer si l’acidose métabolique est simple ou s’il masquée par une hyponatrémie et/ou une hypokaliémie qui
s’agit d’une acidose complexe associant un trouble respiratoire. nécessitent d’être compensées sur le plan de l’électroneutralité
L’acidose est responsable d’une sortie de potassium des cellules à par une diminution de la chlorémie. C’est pourquoi la mesure,
l’origine d’une augmentation de la kaliurèse pouvant induire une effectuée sur un simple prélèvement veineux, du trou anionique
déplétion potassique. L’augmentation de la kaliurèse est habituel- plasmatique, qui est défini comme la différence entre les cations
lement suffisante pour éviter l’hyperkaliémie. Celle-ci ne devient dosés en routine (Na+ et K+ ) et les anions dosés en routine (Cl– et
généralement patente qu’en cas d’insuffisance rénale (organique HCO3 – ) dans le plasma, est plus précise que la simple mesure de
ou fonctionnelle) et/ou de prise concomitante de médicaments la chlorémie.
hyperkaliémiants (inhibiteurs de l’enzyme de conversion [IEC], La démarche permettant le diagnostic étiologique d’une acidose
antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 [ARA2], diurétiques métabolique est présentée sur la Figure 5.
épargneurs de potassium, etc.).
Acidose métabolique sans augmentation du trou
Signes cliniques anionique plasmatique
L’absence d’augmentation du trou anionique plasmatique
Les signes cliniques accompagnant une acidose métabolique
(valeur normale : 16 ± 4 mmol/l) en présence d’une acidose méta-
sont différents suivant que l’acidose est aiguë ou chronique.
bolique signifie que l’excès d’acides fixes correspond à un excès
d’acide chlorhydrique HCl : il s’agit le plus souvent d’un défaut
Acidose métabolique aiguë d’élimination des ions H+ (compensé par un défaut d’élimination
Un signe majeur de l’acidose métabolique aiguë est l’hyper- du chlorure Cl– pour respecter l’électroneutralité) ou d’une perte
ventilation compensatoire, qui peut cependant être cliniquement excessive de bicarbonate (compensée par une augmentation du

EMC - Endocrinologie-Nutrition 5
10-354-A-10  Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique

Acidose métabolique

Trou anionique plasmatique


Normal Na+ + K+ - Cl- - HCO3- Élevé
(12-20 mmol/l) ( > 20 mmol/l)

Trou anionique urinaire Insuffisance


Na+u + K+u - Cl-u rénale sévère ?

Négatif Positif Oui Non

Origine extrarénale Origine rénale Origine rénale Origine extrarénale

Lactacidémie ?
Élevée
Normale ( > 5 mmol/l)

Pertes digestives Acidose métabolique


Acidoses tubulaires Acidocétose Acidose lactique
de bicarbonate de l’insuffisance rénale

Figure 5. Démarche diagnostique devant une acidose métabolique.

chlorure Cl– ). L’excès de concentration des acides fixes (en mEq/l) urinaire restant positif puisqu’en l’absence d’excès d’apports ou
peut être estimé de manière très simple à partir du prélèvement de synthèse des acides fixes, il n’y a pas d’élimination urinaire
de sang veineux par : 42– (Na+ + K+ – Cl– ). accrue des acides fixes. En conséquence, le pH urinaire, qui
La mesure du trou anionique urinaire, défini comme la diffé- n’est pas adapté à l’acidose (ce qui témoigne du caractère rénal
rence entre les cations dosés en routine (Na+ et K+ ) et les anions de l’anomalie qui empêche la correction spontanée de celle-ci
dosés en routine (Cl− ) dans les urines, permet de savoir si l’excès par une élimination urinaire accrue des acides fixes), s’acidifie
d’acide chlorhydrique est d’origine rénale ou extrarénale. correctement sous une charge acide ainsi qu’en témoigne la néga-
tivation du trou urinaire. Tout se passe comme si l’organisme
Trou anionique urinaire négatif régulait physiologiquement la concentration des bicarbonates
La négativation du trou anionique urinaire correspond à une à une valeur inférieure à la normale (et donc la concentra-
réponse rénale adaptée à l’excès de HCl, indiquant que cet excès tion des acides fixes à une valeur supérieure à la normale),
est d’origine extrarénale, le plus souvent lié à une perte diges- sans aucune tendance à l’accumulation indéfinie d’acides fixes
tive de bicarbonate (diarrhée aiguë, drainage de liquides digestifs dans l’organisme. L’acidose tubulaire proximale peut être isolée
autres que le liquide gastrique, dérivation urétérosigmoïdienne). ou associée à d’autres atteintes tubulaires (glycosurie normogly-
La perte de bicarbonate sous forme de bicarbonate de sodium et de cémique, aminoacidurie, hypophosphorémie ou hypo-uricémie
bicarbonate de potassium peut entraîner un déficit sodé à l’origine d’origine rénale, etc.) réalisant au maximum un syndrome de
d’un tableau de déshydratation extracellulaire avec natriurèse blo- Toni-Debré-Fanconi. Parmi les principales causes d’acidose tubu-
quée et un déficit potassique qui n’entraîne pas nécessairement laire proximale, citons les causes héréditaires (cystinose, maladie
une hypokaliémie en raison du transfert de potassium (du sec- de Wilson, etc.), médicamenteuses (acétazolamide, tétracyclines
teur intracellulaire vers le secteur extracellulaire) lié à l’acidose. périmées, etc.), toxiques (métaux lourds, etc.), endocriniennes
L’hyperchlorémie peut être masquée par une éventuelle hypona- (hyperparathyroïdie, etc.) ou autres (myélome, amylose, trans-
trémie et/ou hypokaliémie. plantation rénale, etc.).
L’acidose tubulaire distale consiste en l’incapacité du tubule dis-
Trou anionique urinaire restant positif tal à excréter la quantité nécessaire d’ions H+ . Dans ce cas, le pH
Un trou anionique urinaire qui reste positif en situation urinaire, inadapté au degré de l’acidose, est incapable de s’abaisser
d’acidose métabolique liée à un excès de HCl traduit l’absence de sous charge acide. Il existe une rétention chronique de plus en
réponse adaptée du rein et donc un défaut de l’acidification uri- plus importante d’acides fixes si on ne prend garde de compen-
naire à l’origine d’un excès de HCl d’origine rénale. En dehors de ser cet excès par la prescription d’apports de base (bicarbonate de
l’insuffisance rénale sévère où l’acidose est associée à une augmen- sodium). Les acidoses tubulaires distales sont de différents types
tation du trou anionique plasmatique, les anomalies rénales sont et peuvent être dues à un défaut de la sécrétion active des ions
d’origine tubulaire, puisque c’est le tubule qui participe physio- H+ (anomalie de la pompe à protons apicale), à une production
logiquement à l’élimination des ions H+ . Les acidoses tubulaires d’ammoniac NH3 insuffisante pour prendre en charge les ions H+ ,
rénales sont toutes hyperchlorémiques. Il existe deux grands types à un hypoaldostéronisme (acidose tubulaire hyperkaliémique). La
d’acidoses tubulaires : l’acidose tubulaire proximale et l’acidose détermination précise du type d’acidose tubulaire distale reste du
tubulaire distale. domaine du spécialiste et sort du cadre de cet article.
L’acidose tubulaire proximale est en rapport avec une dimi-
nution de la capacité de réabsorption des bicarbonates par le
tubule proximal à l’origine d’une diminution de la bicarbona- Acidose métabolique avec augmentation du trou
témie (équivalente à un excès d’acides fixes). Cependant, ce
défaut de base est stable, car il se produit une nouvelle situa-
anionique plasmatique
tion d’équilibre : la diminution de la concentration plasmatique L’augmentation du trou anionique plasmatique en présence
des bicarbonates est à l’origine d’une diminution de la quantité d’une acidose métabolique suggère que l’excès d’acides fixes cor-
filtrée qui devient stable lorsqu’elle ne dépasse plus la capa- respond à un excès d’acides fixes autres que l’acide chlorhydrique.
cité de réabsoption rénale du bicarbonate. Le bilan des ions Dans cette situation, la mesure du trou anionique urinaire n’est
H+ reste donc équilibré (sorties égales aux entrées), avec un trou d’aucune utilité.

6 EMC - Endocrinologie-Nutrition
Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique  10-354-A-10

Acidose métabolique de l’insuffisance rénale L’acidocétose peut également se voir en l’absence de diabète.
L’acidose métabolique de l’insuffisance rénale sévère (clairance Il s’agit alors d’une acidocétose sans hyperglycémie. La cause la
de la créatinine inférieure à 20 ml/min) est la seule cause rénale plus fréquente en est le jeûne (normalement responsable d’une
d’acidose métabolique avec élévation du trou anionique plasma- cétose sans acidose) chez un patient alcoolique ou présentant
tique. En pratique, la simple association d’une diminution de la une hépatopathie sévère. Citons également certaines intoxica-
bicarbonatémie à une clairance de la créatinine mesurée ou esti- tions (méthanol, éthylène glycol, etc.).
mée à moins de 20 ml/min fait évoquer le diagnostic d’acidose
métabolique liée à l’insuffisance rénale.
L’acidose métabolique de l’insuffisance rénale est en rapport
Traitement
avec une diminution de la sécrétion tubulaire des ions H+ comme Le traitement de l’acidose métabolique consiste à faire dispa-
dans les acidoses tubulaires rénales et devrait donc être une raître l’excès d’acides fixes, mais il diffère suivant le caractère aigu
acidose hyperchlorémique sans élévation du trou anionique. ou chronique de l’acidose.
Cependant, l’insuffisance rénale est également responsable d’une
rétention d’anions indosés, en particulier d’anions minéraux
Acidose métabolique aiguë
(phosphates, sulfates etc.) à l’origine d’une élévation du trou anio-
nique. Le pH urinaire est habituellement bas (c’est-à-dire adapté à Les acidoses métaboliques aiguës sont le plus souvent dues à
l’acidose métabolique en dépit de son origine rénale) : en effet, une surproduction (acidocétose) ou à une accumulation (acidose
bien que l’excrétion urinaire des ions H+ soit diminuée, ceux- lactique) d’acides organiques. L’alcalinisation par le bicarbonate
ci ont plus tendance à rester sous forme libre dans les urines de sodium est controversée en raison de ses complications éven-
(et donc à rendre le pH acide) parce que la quantité de tam- tuelles. C’est de toute façon le traitement de la cause qui importe
pons (phosphate filtré et ammoniac synthétisé) nécessaire pour en premier lieu.
les prendre en charge est diminuée. En fait, les néphrons sains En cas d’acidose lactique, le traitement vise avant tout la cor-
travaillent correctement et sécrètent chacun une charge acide rection de l’hypoxie tissulaire. La perfusion de bicarbonate reste
maximale et donc une urine acide mais, en raison de la réduction de toutes les façons insuffisante et peut être dangereuse parce que,
néphronique (diminution du nombre de néphrons foctionnels) lors de la restauration de l’oxygénation cellulaire par le traitement
définissant l’insuffisance rénale chronique, leur nombre est insuf- de la cause, la reprise du métabolisme du lactate réutilisera les
fisant pour excréter la quantité nécessaire d’ions H+ . ions H+ qui ont été produits, corrigeant ainsi l’acidose. L’apport de
En dehors des situations d’insuffisance rénale, les acidoses méta- bicarbonate peut alors être responsable d’une alcalose secondaire
boliques avec augmentation du trou anionique plasmatique sont néfaste.
d’origine extrarénale. La mesure de la lactacidémie permet alors L’acidocétose diabétique nécessite un apport d’insuline et la cor-
de savoir si cet excès est lié ou non à un excès d’acide lactique rection de l’hypovolémie, en plus bien sûr de celle de la cause de
(Fig. 5). la décompensation diabétique. L’apport de bicarbonate n’est pas
utile, voire dangereux, comme dans le cas de l’acidose lactique.
Acidoses lactiques L’alcalinisation (habituellement par le bicarbonate de sodium
L’acidose lactique est définie par une élévation de la lactacidé- en perfusion intraveineuse) peut cependant être justifiée pour les
mie (supérieure à 5 mmol/l pour une valeur habituelle inférieure patients en acidose sévère avec un pH inférieur à 7,10 et une
à 1,5 mmol/l) dans un contexte d’acidose (dans un contexte concentration du bicarbonate plasmatique inférieure à 12 mmol/l
d’alcalose, l’augmentation du lactate correspond habituellement afin de les extraire de la zone dangereuse. La quantité de bicarbo-
à la perfusion d’une quantité trop importante de lactate de nate qui permettrait de ramener la concentration d’acides fixes à
sodium dont le catabolisme, qui consomme un ion H+ , peut la normale est égale à l’excès d’acides fixes. Elle sert d’une part à
conduire à une alcalose métabolique). L’étiologie la plus fré- remonter la concentration des bicarbonates à la normale, d’autre
quente en est l’hypoxie tissulaire à l’origine d’une diminution part à tamponner les ions H+ qui avaient été initialement pris en
du catabolisme du lactate et d’une augmentation de la glycolyse charge par les tampons fermés, de manière à régénérer ces tam-
anaérobique, toutes deux facteurs d’augmentation de la concen- pons. Elle est fonction du volume de distribution apparent des
tration en lactate. La production importante d’acide lactique (plus bicarbonates qui est d’autant plus grand que l’acidémie est sévère
de 1 500 mmol/j) explique que le blocage du métabolisme du lac- (c’est-à-dire que le pH plasmatique est bas), parce que la quantité
tate entraîne une acidose aiguë d’aggravation très rapide et grevée de tampons fermés à régénérer est alors plus importante. Cepen-
d’une mortalité importante. dant, il ne faut pas chercher à atteindre la correction totale et, en
L’acidose lactique peut également survenir en dehors d’une pratique, pour calculer la quantité de bicarbonate à perfuser lors
situation d’hypoxie, en particulier lors d’une insuffisance hépa- d’une acidose sévère, il est classique de prendre un volume de dis-
tique sévère ou lors d’une cytopathie mitochondriale primitive tribution apparent (en l) égal à la moitié du poids corporel (en kg),
ou secondaire à une intoxication médicamenteuse (biguanides, et de considérer que la moitié de cette quantité doit être perfusée
etc.) ou non (cyanure, etc.). rapidement.
En réalité, seul le suivi du taux de bicarbonate plasmatique et du
Autres cas pH de manière rapprochée permet d’ajuster précisément la réani-
Si le taux plasmatique du lactate est normal, l’acidose est en mation hydroélectrolytique. Si l’acidose n’est pas d’origine rénale,
rapport avec l’excès d’un autre type d’acide. Il s’agit le plus sou- la perfusion ainsi débutée permet généralement de se rappro-
vent d’une acidocétose diabétique, complication classique de la cher suffisamment de l’état physiologique pour que la régulation
carence en insuline : le glucose ne peut rentrer dans les cellules et rénale puisse terminer d’ajuster correctement la concentration
s’accumule dans le compartiment extracellulaire. Les cellules sont des acides fixes. En cas d’insuffisance rénale très sévère, une
contraintes d’utiliser un autre substrat énergétique, en particulier séance d’épuration extrarénale utilisant un dialysat enrichi en
les lipides. La lipolyse accrue entraîne une production de corps bicarbonate peut être indiquée. En cas d’insuffisance rénale chro-
cétoniques, d’acide ␤-hydroxybutyrique et d’acide acétylacétique. nique ancienne, il importe de prêter particulièrement attention
Le contexte est évocateur : diabète décompensé avec hyperglycé- à la calcémie, souvent abaissée dans cette situation. La correc-
mie importante. L’hyperglycémie est responsable d’une polyurie tion de l’acidose diminue encore la fraction ionisée du calcium
osmotique à l’origine d’une déshydratation extracellulaire qui et peut rendre symptomatique une hypocalcémie qui ne l’était
peut être responsable d’une insuffisance rénale fonctionnelle. pas jusqu’alors. Il importe dans ce cas d’apporter préventivement
La déplétion potassique est fréquente, soit par augmentation de du calcium, en sachant que les sels de calcium ne doivent pas
la kaliurèse en raison de l’hyperaldostéronisme secondaire à la être mélangés avec le bicarbonate, y compris en Y dans la même
déshydratation extracellulaire et de la tendance à l’hyperkaliémie tubulure, du fait de la précipitation immédiate en carbonate de
de transfert liée à l’acidose, soit d’origine extrarénale en rapport calcium.
avec l’association fréquente de vomissements qui peuvent mas- Les effets secondaires de l’apport de bicarbonate sont, outre
quer l’hyperkaliémie et diminuer l’acidose en y ajoutant une part l’apparition précédemment signalée d’une alcalose métabolique,
d’alcalose métabolique. la survenue d’une hyperosmolarité (principalement à craindre en

EMC - Endocrinologie-Nutrition 7
10-354-A-10  Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique

cas d’utilisation de bicarbonate hypertonique), d’une hypokalié- Ainsi, l’hypokaliémie et l’acidose intracellulaire (paradoxale !)
mie par transfert de potassium à l’intérieur des cellules (justifiant sont-elles des composantes habituelles de l’alcalose métabo-
la surveillance électrocardiographique) ou d’une surcharge hydro- lique. Par ailleurs, l’hypochlorémie, nécessaire sur le plan de
sodée par apport concomitant de sodium (surtout à craindre en l’électroneutralité pour compenser l’augmentation des anions
cas d’insuffisance cardiaque ou d’insuffisance rénale sévère). La tampons (bicarbonates et tampons fermés), est constante et
transformation du bicarbonate en CO2dissous qui traverse rapide- provoquée par une fuite rénale ou extrarénale d’ions chlo-
ment la membrane cellulaire peut être responsable d’une acidose rure lors de la phase d’installation de l’alcalose métabolique.
intracellulaire paradoxale dont les conséquences restent contro- Une fois l’alcalose métabolique installée, le dosage de la chlo-
versées. rurie permet de déterminer l’origine rénale ou extrarénale de
l’alcalose métabolique : en effet, dans cette situation, le rein
Acidose métabolique chronique doit, pour tenter de corriger l’alcalose, préférer l’élimination
d’un anion bicarbonate à celle d’un anion Cl– : une chlorurie
Les acidoses métaboliques chroniques sont le plus souvent
bloquée (inférieure à 20 mmol/l) représente donc une réponse
dues à une insuffisance d’élimination rénale des acides fixes
rénale adaptée et témoigne ainsi d’une origine extrarénale de
(insuffisance rénale, acidoses tubulaires distales) ou à une perte
l’alcalose.
digestive de bases (implantation digestive des uretères, etc.) res-
ponsables d’une surcharge progressive en acides fixes. Dans ce cas,
l’alcalinisation est toujours indiquée pour éviter les complications
liées à cette surcharge. Elle consiste en un apport chronique de Diagnostic positif
bicarbonate de sodium (2 à 6 g/j sont habituellement nécessaires L’alcalose métabolique est le plus souvent suspectée sur
pour maintenir un taux de bicarbonate plasmatique au moins égal l’augmentation dans le sang veineux du bicarbonate ou du
à 20 mmol/l), sous forme de poudre ou d’eau bicarbonatée (1 l CO2 total qui doit être recherchée devant toute hypochlorémie.
d’eau de Vichy contient environ 3 g de bicarbonate de sodium, L’absence de pathologie respiratoire élimine raisonnablement une
correspondant à 35 mmol de bicarbonate). On tient compte de acidose respiratoire pouvant expliquer cette augmentation. En
l’apport sodé concomitant, surtout en cas d’insuffisance cardiaque cas de doute, un prélèvement artériel effectué pour la mesure
et/ou d’insuffisance rénale sévères associées. des gaz du sang montrera une augmentation du pH associée
L’acidose tubulaire proximale représente un cas particulier à l’augmentation du bicarbonate (au-dessus de 26 mmol/l). La
d’acidose métabolique chronique dans lequel l’alcalinisation est comparaison de la valeur mesurée de la PCO2 à sa valeur atten-
inutile. En effet l’apport de bicarbonate ne modifie en rien l’excès due permet de déterminer si l’alcalose métabolique est simple
d’acides fixes, qui reste stable dans cette situation (cf. supra) : il ou s’il s’agit d’une alcalose complexe associant un trouble
ne fait que diminuer l’élimination urinaire d’acides fixes de la respiratoire.
quantité titrée par l’apport de bicarbonate. Il n’y a pas de signe clinique spécifique de l’alcalose méta-
bolique. L’hypoventilation compensatoire, toujours modérée en
raison du risque d’hypoxie, reste généralement infraclinique et
 Alcalose métabolique n’empêche pas l’augmentation du pH qui reste donc souvent
franche sur la mesure effectuée dans le sang artériel (gaz du sang).
L’alcalose métabolique est beaucoup moins fréquente que En revanche, l’alcalose métabolique, par son effet dépresseur sur la
l’acidose métabolique. ventilation, peut décompenser une insuffisance respiratoire chro-
nique préexistante.
Physiopathologie Les manifestations cliniques apparaissent seulement dans les
formes sévères et témoignent de la mauvaise tolérance de
Le défaut de concentration plasmatique des acides fixes défi- l’alcalose métabolique. Ces manifestations sont essentiellement
nissant l’alcalose métabolique nécessite l’existence d’un facteur en rapport avec l’hypokaliémie souvent associée à l’alcalose
d’entretien qui peut être : (troubles du rythme cardiaque, allongement de l’espace QT, appa-
• soit une insuffisance rénale empêchant l’élimination d’une sur- rition de l’onde U) et avec la diminution du calcium ionisé liée
charge alcaline liée à un apport alcalin (généralement une à l’augmentation du pH (crises convulsives, crises de tétanie,
perfusion) ou une perte d’acides (vomissements) qui surpasse crampes, paresthésies, etc.).
la production endogène d’acides fixes non métabolisés : cette
situation est cependant rare, l’insuffisance rénale étant beau-
coup plus souvent une cause d’acidose métabolique liée à Diagnostic étiologique et traitement
une diminution de la capacité à excréter les acides fixes.
L’alcalose métabolique tend à provoquer une sortie d’ions S’il existe une insuffisance rénale sévère (clairance de la créa-
H+ intracellulaires compensée par une entrée de K+ à l’origine tinine estimée à moins de 20 ml/min), habituellement cause
d’une diminution de la kaliémie qui tend à masquer, voire d’acidose métabolique, le diagnostic étiologique de l’alcalose
à inverser, la tendance à l’hyperkaliémie liée à l’insuffisance métabolique est souvent évident par le contexte : en effet,
rénale ; l’alcalose métabolique est nécessairement liée à un excès d’apports
• soit, situation beaucoup plus fréquente, un facteur stimulant alcalins (bicarbonate de sodium, apports importants de citrate de
l’excrétion urinaire des acides fixes : ce facteur peut être : sodium par transfusion massive ou anticoagulation par citrate) ou
◦ une hypokaliémie : celle-ci entraîne une sortie du potassium à une perte d’acides fixes (vomissements importants). Une fois éli-
intracellulaire compensée en partie par une entrée d’ions minée l’insuffisance rénale sévère, le diagnostic étiologique d’une
H+ à l’origine d’une alcalose dans le secteur extracellulaire alcalose métabolique nécessite d’apprécier le volume extracellu-
et d’une acidose intracellulaire qui stimule l’excrétion rénale laire et la pression artérielle (Fig. 6).
des acides fixes,
◦ ou surtout une déshydratation extracellulaire : en effet, Alcalose métabolique avec contraction du volume
l’hyperaldostéronisme secondaire à cette déshydratation
extracellulaire provoque une augmentation de l’excrétion extracellulaire
rénale d’ions H+ (facteur direct d’alcalose métabolique) et S’il existe une tendance à l’hypotension, a fortiori une déshy-
d’ions K+ (facteur d’hypokaliémie et donc d’alcalose métabo- dratation extracellulaire patente, facteur majeur d’alcalose, le
lique). Par ailleurs, la diminution de la natriurèse en raison dosage de la chlorurie permet de préciser l’origine rénale ou extra-
de l’augmentation de la réabsorption rénale du sodium rend rénale de l’alcalose.
plus difficile l’excrétion du bicarbonate de sodium et de Une chlorurie supérieure à 20 mmol/l est inadaptée et témoigne
plus, l’insuffisance rénale fonctionnelle, habituelle en cas de d’une origine rénale de l’alcalose. Il peut s’agir d’une alcalose
déshydratation extracellulaire patente, diminue la quantité métabolique en rapport avec la prise de diurétique, une déplétion
de bicarbonate filtrée. en magnésium, un syndrome de Bartter ou de Gitelman.

8 EMC - Endocrinologie-Nutrition
Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique  10-354-A-10

Alcalose métabolique

Débit estimé
de filtration glomérulaire
< 20 ml/min > 20 ml/min

VEC et TA Déshydratation
Perte d’acides Excès d’apports HTA extracellulaire
fixes alcalins

Aldostéronémie Chlorurie
Augmentée Diminuée < 20 mmol/l > 20 mmol/l
Apports
Vomissements de bicarbonate,
de citrate
Rénine Pseudohyperaldostéronisme Origine extrarénale Origine rénale
Élevée Diminuée

Sténose de l’artère rénale Réglisse Vomissements Diurétiques


Hyperaldostéronisme Cushing Déplétion en
HTA maligne Aspiration
primaire Syndrome de magnésium
Tumeur à rénine gastrique
Liddle Syndrome de
Bloc surrénalien Bartter
Syndrome de
Gitelman
Figure 6. Démarche diagnostique devant une alcalose métabolique.

À l’opposé, une chlorurie inférieure à 20 mmol/l témoigne  Troubles acidobasiques d’origine


d’une origine extrarénale de l’alcalose : elle est observée lors
des excès de base liés à une perte de liquides acides (vomis- respiratoire
sements, aspirations gastriques) ou à un hyperaldostéronisme
secondaire à la déshydratation extracellulaire latente ou patente. Les troubles acidobasiques d’origine respiratoire sont définis par
Il peut également s’agir d’une alcalose métabolique observée après une anomalie de la concentration plasmatique de l’acide CO2dissous
un arrêt récent d’un traitement diurétique (par persistance de et donc par une valeur anormale de la PCO2 . Un trouble de la
l’hyperaldostéronisme secondaire jusqu’à complète restitution du production de CO2 n’entraîne pas de variation de la PCO2 qui reste
stock sodé) ou observée lors de la correction rapide d’une hyper- régulée par un ajustement correct de la ventilation. Un trouble
capnie (persistance de l’alcalose métabolique compensatoire après d’origine respiratoire ne peut donc être dû qu’à un trouble de
correction de l’acidose respiratoire). l’élimination (respiratoire) du CO2 nécessitant un ajustement de
Le traitement symptomatique repose sur l’apport de chlorure de la PCO2 (et donc de la concentration en acides volatils [CO2dissous ])
sodium et de potassium afin de corriger la déshydratation extracel- en dehors des valeurs normales pour permettre un bilan équilibré
lulaire et l’hypokaliémie. En cas d’alcalose d’origine rénale, cet du CO2 (élimination = production).
apport n’est efficace que si la cause est traitée (arrêt des diuré-
tiques, correction d’un déficit en magnésium) et c’est pourquoi
les alcaloses d’origine rénale sont assez habituellement appe-
Acidose respiratoire
lées « alcaloses chloro-insensibles ». Un traitement acidifiant n’est L’acidose respiratoire est définie par l’augmentation de la
nécessaire qu’en cas exceptionnel d’alcalose sévère et persistante : concentration en acide volatil CO2dissous mise en évidence par
acétazolamide (diurétique provoquant une élimination urinaire l’augmentation de la PCO2 (généralement supérieure à 45 mmHg).
du bicarbonate, mais aggravant l’hypokaliémie), perfusion d’une La diminution du pH est plus ou moins importante selon le degré
solution de HCl (150 mmol de HCl dans 1 l de glucosé isotonique de compensation rénale.
à perfuser en 12 h au minimum), de chlorure d’ammonium NH4 Cl L’excès d’acide volatil (hypercapnie) est lié à un défaut
(risque d’encéphalopathie) ou de chlorhydrate d’arginine (risque d’élimination pulmonaire : obstruction des voies aériennes,
d’hyperkaliémie). trouble de la ventilation-perfusion, pneumothorax, traumatisme
thoracique, maladie neurologique (poliomyélite, myasthénie),
dépression des centres respiratoires en rapport avec des médi-
Alcalose métabolique sans contraction du volume caments (barbituriques, morphiniques) ou avec une pathologie
extracellulaire intracérébrale inflammatoire, dégénérative, tumorale, trauma-
L’hypertension artérielle est fréquente et l’hypokaliémie cons- tique, vasculaire ou infectieuse. Exceptionnellement, il peut s’agir
tante. La démarche diagnostique est celle préconisée devant de la respiration dans une atmosphère enrichie en CO2 . Le tableau
une hypertension artérielle avec hypokaliémie : le dosage de clinique et biologique est différent selon que l’acidose respiratoire
l’aldostérone permet de distinguer un hyperaldostéronisme pri- est aiguë ou chronique.
maire ou secondaire (à une sténose de l’artère rénale, une
hypertension artérielle maligne ou une tumeur à rénine) d’un Acidose respiratoire aiguë
pseudohyperaldostéronisme en rapport avec la prise de réglisse, L’acidose respiratoire aiguë survient le plus fréquemment chez
un syndrome de Cushing, un syndrome de Liddle (maladie géné- un patient sans pathologie respiratoire connue. Elle est facilement
tique autosomique dominante) ou une synthèse surrénalienne suspectée sur une augmentation dans le sang veineux du bicarbo-
exagérée de minéralocorticoïde différent de l’aldostérone (bloc nate ou du CO2total dans un contexte de dyspnée aiguë. Dans cette
génétique surrénalien). L’alcalose est généralement modérée et situation, la compensation rénale n’a pas le temps d’intervenir et
son traitement est avant tout étiologique. La spironolactone ou on doit s’attendre à une augmentation modérée de la concentra-
l’amiloride peuvent être utiles. tion du bicarbonate d’environ 1 mmol/l pour une augmentation

EMC - Endocrinologie-Nutrition 9
10-354-A-10  Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique

de la PCO2 de 10 mmHg. Si l’augmentation de la concentration Alcalose respiratoire


du bicarbonate n’est pas celle attendue, l’acidose respiratoire est
complexe en raison d’un trouble métabolique associé ou plus rare- L’alcalose respiratoire est définie par la diminution de la concen-
ment d’une anomalie de la concentration des tampons fermés. tration en acide volatil CO2 que traduit la diminution de la PCO2
Le traitement de l’acidose respiratoire aiguë, durant laquelle (en règle inférieure à 35 mmHg), associée à une augmentation du
prédominent les conséquences de l’hypoxie, consiste d’abord pH. Elle entraîne une diminution généralement modérée de la
à lever l’obstacle éventuel (corps étranger, crise d’asthme) et à concentration des bicarbonates (2 mmol/l pour une diminution
combattre l’hypoxie par la mise en route d’une oxygénothérapie, de 10 mmHg de la PCO2 ) et une augmentation plus ou moins
voire d’une ventilation assistée. Sur le plan acidobasique, il peut importante du pH. Cependant, si le trouble est chronique, la dimi-
être exceptionnellement utile, si l’acidémie est sévère, de l’extraire nution des bicarbonates peut être plus importante (environ le
de la zone dangereuse par un apport de bicarbonate de sodium, double), du fait de l’association d’une discrète acidose métabo-
de manière à compenser l’acidose respiratoire par une alcalose lique compensant partiellement la variation du pH.
métabolique. Le maniement du bicarbonate est cependant déli- La diminution de la PCO2 est toujours en rapport avec une
cat, car il expose à la surcharge hydrosodée et au risque de passage hyperventilation alvéolaire le plus souvent secondaire à une
en alcalémie (en raison de la disparition lente de la compensa- hypoxie quelle qu’en soit la cause. Cependant, l’hyperventilation
tion rénale), si l’acidose respiratoire est rapidement corrigée alors peut parfois être primitive, d’origine neurologique ou psycho-
qu’une quantité importante de bicarbonate a déjà été perfusée. gène. Il peut aussi s’agir d’une hyperventilation forcée d’origine
iatrogène chez un patient mécaniquement ventilé.
Acidose respiratoire chronique Le traitement symptomatique n’est en général pas nécessaire. Le
traitement se limite à celui de la cause. En l’absence d’hypoxémie
L’acidose respiratoire chronique est en rapport avec une mala-
(hyperventilation d’origine neurologique), l’usage de dépresseurs
die pulmonaire chronique. La compensation rénale (diminution
respiratoires paraît logique, mais il est mal codifié.
de la concentration des acides fixes) se traduit par une augmen-
tation supplémentaire de la concentration en bicarbonate qui, en
l’absence de trouble métabolique associé, devient égale à environ Conflit d’intérêt : aucun.
3 mmol/l pour une augmentation de la PCO2 égale à 10 mmHg.
Dans les situations d’acidose respiratoire chronique, la compen-
sation rénale est généralement effective, et il n’y a pas d’indication
à la perfusion de bicarbonate. L’acidose respiratoire chronique Pour en savoir plus
témoigne habituellement d’une insuffisance respiratoire sévère, Kraut JA, Madias NE. Serum anion gap: Its uses and limitations in clinical
à un stade où l’hypoxémie devient majeure. En effet, au début de medicine. Clin J Am Soc Nephrol 2007;2:162–74.
l’évolution, la tendance à l’hypoxémie entraîne une hyperven- Battle DC, Hizon M, Cohen E, Gutterman C, Gupta R. The use of the urinary
tilation, responsable au contraire d’une alcalose respiratoire en anion gap in the diagnosis of hyperchloremic metabolic acidosis. N
rapport avec la diminution de la PCO2 . Engl J Med 1988;318:594–9.
Le traitement de l’acidose respiratoire chronique est celui de Morgan TJ. The Stewart approach–one clinician’s perspective. Clin Biochem
l’hypoventilation alvéolaire (médicaments favorisant la toux, Rev 2009;30:41–54.
fluidifiants des expectorations, bronchoaspiration). Au stade Koeppen BM. The kidney and acid-base regulation. Adv Physiol Educ
d’acidose respiratoire chronique, il importe de manier avec pré- 2009;33:275–81.
caution les apports d’oxygène, car la correction de l’hypoxémie Kraut JA, Madias NE. Metabolic acidosis: pathophysiology, diagnosis and
peut être à l’origine d’une diminution de la stimulation de la management. Nat Rev Nephrol 2010;6:274–85.
ventilation, aggravant alors l’hypercapnie et donc l’acidose. La Kraut JA, Madias NE. Consequences and therapy of the metabolic acidosis
ventilation assistée peut ainsi être nécessaire. of chronic kidney disease. Pediatr Nephrol 2011;26:19–28.

T. Petitclerc, Professeur des Universités, praticien hospitalier (thierry.petitclerc@auraparis.org).


Centre hospitalier Pasteur Vallery-Radot, Association pour l’utilisation du rein artificiel (AURA), 68, rue des Plantes, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Petitclerc T. Bilan des ions H+ et équilibre acidobasique. EMC - Endocrinologie-Nutrition 2012;9(4):1-10
[Article 10-354-A-10].

Disponibles sur www.em-consulte.com


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