Cabinet Laboratoire
Crêtes en lame de couteau
et crêtes négatives
à la mandibule édentée
T. DELCAMBRE, V. BOITELET , G. MAYER
et B. PICART
Chirurgiens-dentistes
Comment distinguer les crêtes
en lame de couteau des crêtes
négatives chez l’édenté total ?
Quelles sont les conséquences
anatomo-physiologiques d’un port
de prothèses inadaptées ?
Comment améliorer les limites
de sustentation prothétique
à la mandibule ?
Stratégie prothétique février 2007 • vol 7, n° 1
il est aisé d’identifier et de
S’
comparer les schémas de
coupe représentant une
classe IV et une classe VI
de la classification de
Cawood et Howell (2) pour l’une des plus
célèbres, il devient nettement plus diffici-
le d’apprécier cliniquement ces différences
anatomiques. Souvent associée au port de
« micro » prothèses non réadaptées à
l’évolution de la résorption osseuse, la
muqueuse jugale a tôt fait de recouvrir le
versant vestibulaire de ce qui reste de la
crête mandibulaire, masquant ainsi les
repères conventionnels nécessaires à la
confection des prothèses amovibles.
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Crêtes mandibulaires édentées - T. Delcambre et coll.
Schéma 1 Classification physiopathologique des différents stades de résorp-
tion alvéolaire de Cawood et Howell.
A la palpation, la proéminence de la ligne
oblique interne est souvent prise pour le
sommet de la crête osseuse mandibulai-
re et la concavité due à la résorption
extrême de l’os, pour le fond de vestibu-
le. Il en résulte bien souvent un choix
erroné des matériaux et des techniques
d’empreinte mais également des règles
de montage des dents prothétiques et
des limites des prothèses amovibles.
ÉTIOLOGIE DE LA RÉSORPTION
OSSEUSE
Bien que Carlsson (1) ait conclu qu’aucun
facteur ne soit cliniquement reconnu
comme dominant dans le phénomène de
la résorption osseuse post extractionnel-
le, la majorité des auteurs s’accorde à
reconnaître que certains facteurs géné-
raux comme l’ancienneté de l’édentation,
la morphologie faciale, les états patholo-
giques entraînant des troubles du
métabolisme phosphocalcique, certains
traitements médicamenteux (corticosté-
roïdes, thyroxine…), mais aussi certains
facteurs locaux comme les parodontopa-
thies, les extractions mutilantes ainsi que
les variations de pression entraînées par
le port de prothèses amovibles déséquili-
brées, sont impliqués dans la résorption
de l’os alvéolaire. Mercier et Vinet (8)
soulignent que la résorption osseuse est
plus importante chez les porteurs de
prothèses amovibles que chez les
patients non appareillés, et que le port
nocturne de prothèse amovible entraîne
également une perte osseuse plus
élevée.
Stratégie prothétique février 2007 • vol 7, n° 1
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VARIATION DU DEGRÉ
DE RÉSORPTION OSSEUSE
Si la résorption est inéluctable après la
perte des dents et qu’elle est plus ou
moins rapide et importante en fonction
des sollicitations, celle-ci intéresse
essentiellement l’os alvéolaire. L’os basal
n’est concerné que dans les cas de
résorption extrême au niveau des régions
latérales postérieures mandibulaires. La
surface supérieure de la mandibule
devient concave, en hamac tendu entre
les lignes obliques interne et externe
davantage sollicitées par les insertions
des muscles mylohyoïdien et buccinateur
et donc moins résorbées. La réalisation
de prothèse amovible nécessite alors des
techniques de mise en condition tissulai-
re, d’empreintes et de montage
spécifiques.
Cawood et Howell (2) ont proposé une
classification physiopathologique des
différents stades de résorption alvéolaire.
Six classes la composent (schéma 1) :
• Classe I : denté
• Classe II : post-extraction
• Classe III : crête arrondie, hauteur et
largeur suffisantes
• Classe IV : crête en lame de couteau,
hauteur suffisante, largeur insuffisante
• Classe V : crête plate, hauteur et
largeur insuffisantes
• Classe VI : crête concave (avec perte
d’os basal)
A partir des trous mentonniers, cette
classification distingue la résorption des
zones antérieure et postérieure de la
mandibule.
MODIFICATION DES TISSUS MOUS
L’évolution de la résorption osseuse
aggravée par l’absence de butée occlusa-
le modifie également l’orientation des
fibres musculaires des muscles péribuc-
caux et le modiolus, point de rencontre
des différents muscles de la mimique, va
migrer vers l’intérieur et l’arrière (2). Les
muscles mylohyoïdien et buccinateur se
placent également en position haute et
superficielle par rapport à la partie supé-
rieure de la crête mandibulaire et seule la
palpation des faces latérales supérieures
de la branche horizontale de la mandibule
permet de différencier les éléments
anatomiques susceptibles d’assurer la
 Cabinet Laboratoire

sustentation de la future prothèse empreintes et le risque de voir une

amovible. prothèse amovible « s’asseoir » sur la
De plus, la muqueuse attachée a tendan- ligne oblique interne est alors très impor-
ce à se raréfier avec la résorption osseuse. tant.
La présence d’une prothèse amovible mal Au cours d’un examen pré-implantaire
limitée en périphérie associée à un chez un patient désirant augmenter la
ensemble musculaire para-mandibulaire stabilité de sa prothèse amovible complè-
relativement actif au sommet de la crête te (PAC) mandibulaire, il nous a semblé
mandibulaire, entraîne le plus souvent une intéressant d’apprécier les rapports de
mobilité importante de la fibromuqueuse l’intrados et des bords de cette prothèse
souvent non adhérente, fragile et avec les bases osseuses mandibulaires.
montrant de nombreuses plicatures
masquant les repères classiques néces-
saires à l’étude des éléments favorables à
la sustentation de la future prothèse.
De visu, dans les classes VI de Cawood et
Howell la crête para-linguale correspon-
dant à l’insertion du muscle mylohyoïdien
risque de passer pour le sommet de la
crête (appelé crête en lame de couteau
dans la classe IV) et la zone de résorption
centrale de l’os basal, pour le fond de
vestibule (fig. 1, schéma 2). Seul, un
examen attentif et une palpation minu-
tieuse de la région permettent
d’apprécier les limites interne et externe
du bord supérieur de la crête osseuse
mandibulaire. La mise en œuvre d’une
technique d’empreinte mal adaptée à ce
type de remodelage osseux, sans prépa-
ration des tissus mous ne permettra en
aucun cas la localisation des limites de la
prothèse sur les modèles issus de ces Schéma 2

Schéma 2 Coupe frontale passant par

les sites post-extractionnels molaires à
différents stades de résorption alvéolai-
re (classes III et VI de Cawood et
Howell) montrant l’évolution des limites
vestibulaire et jugale.
Fig. 1 Limite externe d’une PAC mandi-
bulaire à l’aplomb de la cavité su-
périeure d’une résorption alvéolaire de
classe VI de Cawood et Howell (en bleu,
la limite vestibulaire réelle).

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Crêtes mandibulaires édentées - T. Delcambre et coll.
2a
Fig. 2a Empreinte au silico-
ne de la PAC mandibulaire.
b et c Duplication de la PAC
avec une résine autopoly-
mérisable + sulfate de ba-
ryum.
16
b c
L’interrogatoire du patient nous apprend
que les PAC maxillaire et mandibulaire
ont 2 ans d’existence et que, bien qu’un
peu instables durant la fonction, elles ne
provoquent aucune douleur et sont relati-
vement bien acceptées. Toutefois, au
dire de notre patient, une stabilité accrue
de la prothèse mandibulaire serait plus
confortable.
L’examen clinique révèle un effondre-
ment important des reliefs osseux
mandibulaires et une fibro-muqueuse
peu adhérente, plissée mais non inflam-
matoire. Seule la palpation permet
d’apprécier les bords, le volume et le
relief des branches horizontales de la
mandibule. Pour ce faire, la fibro-
muqueuse doit être déplissée et refoulée
afin de palper les lignes obliques externe
et interne ainsi que les zones favorables
à la sustentation de la prothèse comme
les poches de Fish et les tubercules
rétro-molaires.
L’examen prothétique révèle des PAC de
conception acceptable. Le volume de
résine mandibulaire traduit une perte
osseuse sous-jacente importante mais le
respect des règles de montage et d’oc-
Stratégie prothétique février 2007 • vol 7, n° 1
clusion (9) et l’appréciation générale favo-
rable nous autorisent à dupliquer la PAC
mandibulaire actuelle pour réaliser un
guide radiologique, voire chirurgical.
RÉALISATION DU GUIDE
RADIOLOGIQUE
Le guide radiologique est réalisé à partir
d’un duplicata de la PAC mandibulaire
existante (fig. 2a). Afin de ne pas laisser
le patient sans prothèse, ce duplicata est
réalisé au cabinet. Pour ce faire, nous
utilisons une boîte à prothèse en plas-
tique rigide en guise de « Duplicator® »
(4) et comme matériau à empreinte, un
silicone putty (fig. 2a). L’empreinte de la
PAC et son traitement prennent environ
30 minutes puis la prothèse est rendue
au patient. La réalisation du guide peut se
faire en dehors de heures de cabinet et
nécessite une résine autopolymérisable,
du sulfate de baryum, un polymérisateur
et des pointes montées pour la correction
et le polissage de la résine (fig. 2b et c).
Outre l’obtention d’une résine blanche, le
sulfate de baryum mélangé à la résine
autopolymérisable permet d’obtenir au
scanner des images radio-opaques du
3
Fig. 3 Coupes scannogra-
phiques des régions man-
dibulaires latérales posté-
rieures droite et gauche
(guide radiologique en
occlusion).
Fig. 4 Rebasage direct de
la PAC mandibulaire et
rectification des limites
vestibulaires à l’aide d’une
résine autopolymérisable.

4a b

volume de la prothèse par rapport au

support osseux (10). Cette technique de
duplication, dérivée de la technique utili-
sant le Duplicator® de Lang (4) est simple
à mettre en œuvre au cabinet, suffisam-
ment fiable et précise pour reproduire
une PAC et est surtout très intéressante
en ce qui concerne le temps d’immobili-
sation de la prothèse. Une fois réalisé, le
guide radiologique est perforé en fonc-
tion de l’émergence souhaitée des
implants (fig. 2d) ainsi qu’en fonction des c

Stratégie prothétique février 2007 • vol 7, n° 1

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Crêtes mandibulaires édentées - T. Delcambre et coll.
différentes possibilités de traitement de
l’édentement total mandibulaire (10),
choix qui sera laissé au patient en fonc-
tion de la faisabilité des différentes
solutions. Les perforations du matériau
radio opaque matérialisent en négatif les
sites implantaires sur les images scanno-
graphiques et les informations concernant
le volume, la forme de la PAC mandibulai-
re ainsi que l’épaisseur des tissus mous
sont parfaitement objectivés par rapport
au substratum sous-jacent. Cette visuali-
sation radiographique globale des PAC en
occlusion permet d’apprécier la difficulté
de l’enregistrement des bords de la
prothèse quand les tissus mous recou-
vrent un substrat osseux de faible
volume.
DISCUSSION
Si les coupes 56 à 70 (fig. 3) montrent
des limites de prothèse acceptables en
lingual par rapport à la ligne oblique inter-
ne et en vestibulaire au niveau de la
poche de Fish (bien qu’il eut été préfé-
rable de refouler davantage le fond de
vestibule à ce niveau), les coupes 17 à 25
(fig. 3) montrent des limites prothétiques
erronées par rapport aux repères osseux :
la limite vestibulaire de la prothèse s’ins-
crit au fond de la concavité creusée par la
résorption osseuse alors que le bord de la
branche horizontale de la mandibule se
situe bien plus à l’extérieur. La limite
linguale de la prothèse, quant à elle, se
AUTO-ÉVALUATION
1. La classe IV de résorption selon Cawood et Howell correspond
à la crête concave ❏ Vrai ❏ Faux
2. Les limites de la future prothèse peuvent être évaluées par la
palpation des crêtes résorbées ❏ Vrai ❏ Faux
3. A la mandibule, le praticien palpe les poches de Fish
❏ Vrai ❏ Faux
4. Les limites de la prothèse amovible complète peuvent être
rectifiées par un rebasage direct ❏ Vrai ❏ Faux
5. Une résine acrylique à prise retard peut être utilisée dans le
même but ❏ Vrai ❏ Faux
Stratégie prothétique février 2007 • vol 7, n° 1
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trouve déjetée à l’intérieur bien au-delà
du rempart interne de la branche horizon-
tale de la mandibule.
Bien que relativement stable au dire du
patient, la stabilité relative de la PAC
mandibulaire pourra être augmentée bien
évidemment par la pose d’implants mais
elle le sera également, en première inten-
tion, par la correction des bords de la
prothèse. Cette correction passe par l’ad-
jonction d’une résine dure permettant les
rebasages directs (en bouche) type
Baslin R® afin de refouler vers l’extérieur
la muqueuse jugale et de « remplir » la
zone linguale en regard de la L.O.I. en
fonction des mouvements physiolo-
giques fonctionnels du patient. L’état de
surface de l’intrados peut être amélioré
par la mise en place d’une résine acry-
lique à prise retardée type Fitt® pour
quelques jours, voire quelques semaines,
avant d’être surfacée par un élastomère
de faible viscosité juste avant l’envoi de
la prothèse au laboratoire pour un rebasa-
ge total de la résine de la PAC.
Afin d’éviter les erreurs de localisation
des limites postérieures mandibulaires
lors de la réalisation d’une PAC, il est judi-
cieux :
• d’apprécier la qualité de la fibro-
muqueuse, la position et la mobilité de la
muqueuse jugale,
• de palper les lignes obliques interne et
externe.
Si la PAC actuelle n’est pas aux limites :
(fig. 4) :
• de déplisser et de refouler la muqueuse
par la réalisation d’un rebasage direct
avec une résine dure amélioré ou non par
un surfaçage de résine acrylique à prise
retardée afin de redéfinir les limites de la
prothèse,
• de réaliser une empreinte primaire avec
un matériau relativement compressif
permettant de redéfinir le couloir prothé-
tique. La technique de l’empreinte à
l’alginate en 2 temps, 2 viscosités (3)
semble tout à fait indiquée. L’alginate
relativement consistant utilisé pour le
premier temps de cette technique se
substitue, après quelques modifications,
en un porte-empreinte individuel (PEI) qui
sera surfacé par un alginate beaucoup
plus fluide qui aura pour mission d’enre-
gistrer les détails de surface,
 Cabinet Laboratoire

• de confectionner un PEI aux limites CONCLUSION

parfaitement matérialisées sur le modèle
primaire et corrigé en fonction de l’obser-
vation clinique et de la dynamique jugale
et linguale.
Si l’empreinte secondaire reste une
étape délicate, elle devient beaucoup
moins difficile à appréhender si les
précautions sus citées ont été respec-
tées et si la mise en œuvre des matériaux
à empreinte est parfaitement dominée
par le praticien.
L’examen clinique en PAC demeure l’éta-
pe essentielle pour l’élaboration du plan
de traitement. Le choix des techniques,
des matériaux en dépendent et la
connaissance de l’évolution de l’anato-
mie du substrat osseux en fonction de la
résorption alvéolaire post-extractionnelle
reste incontournable.
La palpation des supports ostéo-
muqueux et des repères anatomiques
permettra d’apprécier les limites du
couloir prothétique indispensable à la
confection des bases et au montage des
dents prothétiques.

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Adresse des auteurs :

Thierry DELCAMBRE, Valérie BOITELET, Grégoire MAYER, Bruno PICART
Sous-section de prothèse Faculté d’Odontologie Place de Verdun 59000 Lille

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