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la même bactérie, soit de comparer des bactéries différentes vis-à-vis


du même antibiotique. Les CMI des antibiotiques sont donc
94 d’autant plus basses que le produit est actif. En pratique, il ne faut
cependant pas oublier que ces CMI sont déterminées dans des condi-
tions optimales de culture et d’activité de l’antibiotique. In vivo, ces
ANTIBIOTIQUES conditions sont le plus souvent bien différentes et les conditions de
l’activité plus aléatoires…
B. Schlemmer
CONCENTRATIONS CRITIQUES
Les concentrations critiques résultent d’abord de la confronta-
L’objectif de ce chapitre est de se placer délibérément dans tion des CMI observées dans une population de souches
l’optique du réanimateur. Il n’appartient pas à un tel ouvrage de bactériennes de la même espèce et des données cinétiques observées
vouloir présenter l’ensemble de ce qui peut être trouvé dans un livre chez l’homme après administration de l’antibiotique; elles sont
de pharmacologie ou de thérapeutique anti-infectieuse. On ne ensuite ajustées en fonction des résultats obtenus lors des essais
recherchera donc pas l’exhaustivité. En revanche, nous avons cliniques menés durant le développement du produit. Elles permet-
souhaité apporter au lecteur un certain nombre de réponses aux tent donc de dire si l’antibiotique a des chances d’être actif in vivo
questions que nous savons être régulièrement posées dans la compte tenu de sa concentration au site de l’infection (ou le plus
pratique quotidienne de la réanimation, ou plus largement aux souvent de la concentration sérique observée) et de la CMI vis-à-vis
questions dont nous pensons qu’elles doivent être abordées de de l’espèce bactérienne responsable de l’infection.
manière à assurer un meilleur usage de l’antibiothérapie en réanima- La concentration critique inférieure, dite « c », représente la CMI
tion [1]. en dessous de laquelle on dira qu’une espèce bactérienne est
sensible, et susceptible d’être éradiquée in vivo sous l’effet du traite-
MODE D’ACTION DES ANTIBIOTIQUES ment antibiotique.
La concentration critique supérieure, dite « C », est la CMI au-
dessus de laquelle on dira qu’une espèce bactérienne est résistante à
ACTIVITÉ ANTIBACTÉRIENNE PHARMACODYNAMIE [2-6] l’antibiotique : les concentrations à atteindre pour obtenir une
bactériostase sont supérieures à celles qui peuvent être observées in
Les antibiotiques sont des substances naturelles capables
vivo après administration de l’antibiotique.
d’inhiber la croissance bactérienne ou de tuer les bactéries. Elles sont
actives sur les cellules procaryotes mais respectent en effet les Lorsque la CMI de l’antibiotique vis-à-vis d’une bactérie est
cellules des espèces eucaryotes. La plupart des antibiotiques récents comprise entre les valeurs des concentrations critiques inférieure et
sont en fait maintenant des produits élaborés par hémisynthèse ou supérieure, cette bactérie est dite de sensibilité modérée (ou intermé-
par synthèse totale. Il appartient maintenant aux chimistes de diaire) à l’antibiotique : celui-ci n’est que modérément actif et ne
l’industrie pharmaceutique de s’attacher aux relations structure-acti- sera efficace qu’à la condition que des concentrations élevées puis-
vité et de parvenir à élaborer les produits ayant l’activité sent être obtenues au site de l’infection (soit du fait de propriétés de
antibactérienne recherchée, les caractéristiques pharmacocinétiques diffusion particulières, soit du fait de la possibilité d’utiliser des
les plus adaptées à l’utilisation souhaitée et la moindre toxicité ou le posologies élevées).
moindre risque d’interférences médicamenteuses.
ANTIBIOGRAMME
CIBLES DES ANTIBIOTIQUES Lorsqu’on dispose de la souche bactérienne responsable d’une
infection, après mise en culture d’un prélèvement clinique, il est
Les antibiotiques entravent la croissance bactérienne en agis- possible de déterminer la sensibilité de cette souche aux antibioti-
sant sur des cibles vitales. Il s’agit principalement pour les grandes ques. L’antibiogramme est, par son résultat, indicateur de la
classes d’antibiotiques : probabilité que tel ou tel antibiotique a de permettre l’éradication
bactérienne d’une souche identifiée au site de l’infection. À condi-
• de la paroi bactérienne : c’est le cas pour les bêtalactamines ou
tion que l’antibiotique y diffuse, et compte tenu des concentrations
pour les glycopeptides; les bêtalactamines entravent la formation de
critiques connues, l’antibiogramme indiquera si la souche bacté-
la paroi bactérienne en se fixant sur des enzymes indispensables à la
rienne isolée est sensible, modérément sensible ou résistante à
synthèse du peptidoglycane appelées protéines de liaison à la péni-
l’antibiotique. En pratique, si l’antibiogramme est bien évidemment
cilline (PLP);
d’un grand intérêt pour la conduite du traitement des infections, et
• du système nécessaire à la synthèse des protéines avec inhibition tout particulièrement des plus sévères d’entre elles, il faut que le
de la transcription de l’ARN messager : cible ribosomale et interfé- clinicien utilisateur de la technique et prescripteur sache que ses
rence avec le tARN (aminosides, cyclines, phénicolés) ou inhibition résultats sont issus de techniques parfaitement standardisées utili-
de la formation des chaînes peptidiques (macrolides, acide sées avec un inoculum bactérien connu et une concentration
fusidique); d’antibiotique déterminée et stable dans le temps, ce qui n’est
• du système de synthèse des acides nucléiques : par action sur les presque jamais le cas en clinique. Si l’antibiogramme est indicateur
précurseurs de cette synthèse (co-trimoxazole) ou sur ses enzymes d’une probabilité de succès, c’est « au mieux », c’est-à-dire à condi-
(rifampicine); les quinolones empêchent la synthèse de l’ADN en tion que la marge de sécurité soit grande, du fait de l’extrême
entravant le fonctionnement des enzymes indispensables à l’obten- sensibilité de la souche ou des concentrations attendues au site de
tion de son organisation spatiale (topo-isomérases). l’infection. Il faut donc apprendre en revanche à se méfier des situa-
tions dans lesquelles l’antibiogramme ne fait apparaître qu’une
MÉCANISME D’ACTION, ACTIVITÉ ANTIBACTÉRIENNE [2-3] sensibilité modérée (intermédiaire) de la souche responsable de
l’infection.
Pour exercer leur effet, bactériostatique ou bactéricide, les anti-
biotiques doivent se trouver à une concentration suffisante dans le RÉSISTANCE
milieu où se fait la croissance bactérienne. La concentration d’anti-
La résistance est la propriété qu’a une souche bactérienne de ne
biotique nécessaire et suffisante pour empêcher cette croissance est
pas voir sa croissance inhibée sous l’effet de l’antibiotique aux
dite concentration minimale inhibitrice (CMI). La concentration
concentrations obtenues in vivo après administration de ce médica-
minimale bactéricide (CMB) est la concentration nécessaire à
ment aux posologies recommandées.
l’obtention de moins de 0,01 % de survivants de la culture initiale.
Pour les antibiotiques bactéricides, la CMB est proche de la CMI. La résistance naturelle est une propriété de l’ensemble des
souches d’une espèce : on dit alors que l’espèce est naturellement
résistante. Aucune activité thérapeutique ne peut être attendue. La
ACTIVITÉ ANTIBACTÉRIENNE INTRINSÈQUE
connaissance de ces résistances naturelles est indispensable au clini-
In vitro, dans des conditions de laboratoire standardisées, la CMI cien qui doit connaître les « trous d’activité » des antibiotiques mis à
peut être mesurée. La mesure de la CMI est donc le reflet de l’activité sa disposition.
antibactérienne intrinsèque d’un antibiotique. La comparaison des La résistance acquise, en revanche, n’est pas une propriété de
CMI permet soit de comparer des antibiotiques entre eux vis-à-vis de l’espèce. Elle résulte de l’acquisition par une partie des souches de
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1000 Affections et leurs traitements

l’espèce d’un caractère de résistance. L’acquisition de la résistance fréquence de la résistance acquise est telle que le produit ne peut
résulte d’un événement génétique : soit mutation d’un individu plus être recommandé en traitement probabiliste des infections dues
bactérien au sein de la population de l’espèce (il s’agit d’une résis- à cette bactérie mais non (ou non encore) documentées
tance de novo); soit acquisition d’un gène de résistance porté par un microbiologiquement.
plasmide ou un transposon et venu d’un autre individu bactérien. La Le spectre d’activité antibactérienne fait partie intégrante du
répartition de la population bactérienne selon l’échelle des CMI de texte de l’AMM des antibiotiques et figure dans son intégralité au
l’antibiotique montre une répartition bimodale des souches de Vidal et dans tous les documents d’information sur le produit diffusé
l’espèce : une partie de la population demeurée sensible à l’antibio- par le fabricant.
tique se répartit dans des valeurs de CMI inférieures à la
concentration critique inférieure; l’autre partie de la population s’en
distingue du fait de l’acquisition d’un caractère de résistance et se PHARMACOCINÉTIQUE [3]
range en regard de CMI supérieures aux concentrations critiques.
Parler de résistances acquises et de populations de souches de la La pharmacocinétique est un élément déterminant des condi-
même espèce, différenciées par leurs CMI, renvoie à des notions tions de l’activité des antibiotiques. Ses grandes lignes doivent être
d’épidémiologie de la résistance. connues ou recherchées par le prescripteur en cas de besoin pour
évaluer dans une situation donnée le potentiel thérapeutique d’un
antibiotique. Sans pouvoir ici reprendre l’ensemble des éléments de
MÉCANISMES DE LA RÉSISTANCE ACQUISE pharmacologie relatifs à l’absorption, la distribution, le métabo-
Les mécanismes de la résistance acquise sont nombreux. Cepen- lisme, l’élimination ou les interférences d’un produit, il est
dant, pour la majorité d’entre eux, ils résultent soit d’une cependant utile de signaler ceux des points qui paraissent plus parti-
inactivation enzymatique de l’antibiotique, soit d’une modification culièrement importants pour la pratique de l’antibiothérapie en
de cible, soit de facteurs empêchant l’antibiotique d’atteindre sa réanimation.
cible (imperméabilité) ou aboutissant à l’extrusion de l’antibiotique
hors de la bactérie (efflux). Certains mécanismes de résistance sont ABSORPTION DIGESTIVE
spécifiques : c’est le cas des résistances s’effectuant via la production
d’enzymes bactériennes, bêtalactamases par exemple. D’autres sont Pour les produits administrables par voie orale, son apprécia-
moins spécifiques et peuvent expliquer des résistances associées à tion est un facteur déterminant de l’efficacité. Si autrefois nombre
des antibiotiques de classes différentes vis-à-vis d’une même bactérie d’antibiotiques administrables par voie orale ne délivraient dans
(résistances par imperméabilité ou efflux). l’organisme que des quantités faibles de produit actif, à de rares
exceptions près, on dispose depuis quelques années d’antibiotiques
dont la biodisponibilité par voie orale est telle qu’il y a équivalence,
ÉPIDÉMIOLOGIE DE LA RÉSISTANCE ou presque, des traitements oraux et des traitements parentéraux.
NOTION DE SPECTRE ANTIBACTÉRIEN C’est le cas par exemple de certaines des fluoroquinolones (FQ) qui
Le caractère inconstant de la résistance acquise, du moins en sont utilisables oralement, même pour le traitement d’infections
théorie, permet de comprendre que l’on puisse parler d’une épidé- sévères. Dans d’autres classes thérapeutiques, certaines présentations
miologie de la résistance. La fréquence de la résistance acquise peut galéniques ont permis d’améliorer la biodisponibilité orale par
en effet varier selon l’espèce bactérienne, selon le type de malades ou rapport à des produits de référence (amoxicilline contre ampicilline
de pathologies, selon la géographie, ou selon l’existence d’éventuels par exemple).
facteurs de risques parmi certaines populations de malades. Certaines réserves doivent cependant être faites :
La connaissance par le prescripteur des grands traits de l’épidé- • la biodisponibilité peut varier avec le jeûne ou l’alimentation;
miologie de la résistance acquise est indispensable à la pratique • l’absorption digestive peut être compromise chez des malades en
quotidienne de l’antibiothérapie, soit pour les principales espèces situation hémodynamique précaire, du fait d’une hypoperfusion
bactériennes rencontrées et les grandes classes d’antibiotiques, soit intestinale, ou chez des patients atteints de parésie gastrique ou
de manière plus spécifique, et particulièrement en réanimation, pour d’iléus digestif;
certaines espèces bactériennes responsables d’infections nosoco- • elle peut être entravée par l’utilisation de pansements gastriques
miales et dont le profil de sensibilité aux antibiotiques peut varier ou d’antiacides;
d’un hôpital à un autre ou d’un service à l’autre au sein du même • elle peut être normale mais ne délivrer dans l’organisme aux poso-
établissement. logies utilisables (en général pour des raisons de tolérance) que des
Dans le cadre de l’antibiothérapie dite empirique, c’est-à-dire quantités relativement faibles d’un antibiotique, inadaptées au trai-
instituée avant identification bactérienne et antibiogramme ou en tement d’infections sévères de réanimation.
l’absence de l’une et de l’autre, la connaissance du potentiel théra-
En pratique, dans le cadre de la réanimation, l’urgence et la
peutique habituel d’un antibiotique, dans ses grandes lignes, est
gravité font habituellement privilégier le recours à la voie parenté-
utile au prescripteur. Ce potentiel est bien évidemment fonction de
rale. Les traitements oraux doivent cependant être privilégiés, dès
l’activité antibactérienne intrinsèque de l’antibiotique, mais égale-
qu’ils sont utilisables, pour des traitements de relais chez un malade
ment de l’épidémiologie de la résistance acquise. Il est matérialisé
stabilisé dès lors qu’ils apparaissent adaptés à la prise en charge opti-
par le spectre d’activité de l’antibiotique, qu’il faut cependant savoir
male du malade.
moduler en fonction de la situation épidémiologique locale, particu-
lièrement vis-à-vis d’espèces impliquées dans les infections
DISTRIBUTION
nosocomiales.
Le spectre d’activité d’un antibiotique résulte de la connais- La distribution est variable selon les produits, et principalement
sance des caractères de sensibilité de populations bactériennes des liée à leurs caractéristiques physico-chimiques. Elle est sommaire-
différentes espèces figurant dans le spectre. Il est un élément indi- ment appréciée par la valeur du volume apparent de distribution :
catif qui permet de différencier : celui-ci est d’autant plus élevé que pour une certaine quantité admi-
• les espèces habituellement sensibles, pour lesquelles la résistance nistrée du médicament, les concentrations sériques à l’équilibre sont
acquise est un événement rare; certaines de ces espèces peuvent plus basses. On déduit de cette valeur théorique de volume de distri-
n’être que modérément sensibles (de sensibilité intermédiaire); bution que l’antibiotique a une plus ou moins grande distribution
• les espèces inconstamment sensibles au sein desquelles coexistent des extracellulaire (secteur plasmatique et interstitiel) ou à la fois extra-
souches sensibles et d’autres ayant acquis un mécanisme de résis- et intracellulaire.
tance. Lorsque l’infection est microbiologiquement identifiée et que Parmi les antibiotiques habituellement utilisés, les bêtalacta-
l’activité de l’antibiotique peut être évaluée par l’antibiogramme sur mines, les aminosides ou les glycopeptides ont une distribution
la souche isolée, on saura si l’on a à faire à une souche sensible ou à plasmatique et interstitielle prépondérante (volume apparent de
une souche résistante de cette espèce. En revanche dans les situa- distribution de 0,10 à 0,50 l.kg–1), les macrolides ou les FQ ont en
tions d’incertitude diagnostique et de traitement « probabiliste », le outre une très large diffusion tissulaire et intracellulaire.
spectre d’activité de l’antibiotique sera alors indicateur d’une incerti- Chez les patients les plus gravement atteints, comme les
tude sur la capacité de l’antibiotique à assurer l’éradication patients neutropéniques, les brûlés et certains des patients de réani-
bactérienne de cette espèce et la guérison clinique; mation, on observe des augmentations des volumes de distribution.
• les espèces résistantes, c’est-à-dire celles qui sont naturellement résis- La cause exacte de ces perturbations n’est pas connue; on peut les
tantes à l’antibiotique, mais également celles pour lesquelles la imputer à des perturbations circulatoires, à des altérations de la
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Antibiotiques 1001

perméabilité capillaire, à des variations de fonctions hépatiques ou nues sont très souvent très supérieures aux taux sériques et rendent
rénales, etc. compte de propriétés thérapeutiques particulières.
En pratique, ces perturbations rendent compte d’une très Les données de diffusion tissulaire fournies par le fabricant à
grande variabilité intra- et interindividuelle des cinétiques observées propos d’un antibiotique permettent de situer quelle concentration
chez les patients de réanimation. Elles font parfois courir le risque d’antibiotique pourra au mieux être obtenue dans tel ou tel tissu ou
d’une inefficacité du traitement, particulièrement lorsque doivent organe. Savoir, pour le clinicien, que la quantité d’antibiotique actif
être utilisés des produits à index thérapeutique étroit (aminosides, disponible localement sera également tributaire de la vascularisation
glycopeptides) : la crainte des effets indésirables d’ordre toxique du tissu infecté, de l’existence de pus, de dépôts fibrineux, d’une
limite les posologies, si bien que les perturbations des volumes de abcédation des lésions, etc., est évidemment déterminant pour la
distribution risquent de voir les taux sériques ou tissulaires d’anti- conduite de l’antibiothérapie.
biotiques s’abaisser en dessous des CMI des bactéries responsables de Connaître, pour certains tissus ou compartiments de l’orga-
l’infection. Le recours aux dosages d’antibiotiques devient alors nisme, quels sont les antibiotiques à privilégier pour des raisons de
nécessaire pour guider le choix des posologies et des rythmes diffusion est à la base de la réflexion sur le choix d’un traitement
d’administration et maintenir les conditions d’une efficacité des (tableau 94.1).
traitements.
Tableau 94.1. Diffusion des antibiotiques selon les tissus
LIAISON AUX PROTÉINES
La proportion d’antibiotique fixée aux protéines, en général à Méninges Diffusion faible à moyenne, mais favorisée par
l’albumine (bêtalactamines, FQ, glycopeptides) varie selon les l’inflammation méningée, et compatible avec une
produits. Elle détermine l’importance de la fraction libre, seule utilisation clinique : pénicilline G, ampicilline et
active, contrairement à la fraction liée. La fixation protéique amoxicilline, pénicillines M, uréidopénicillines,
prolonge la demi-vie de l’antibiotique et diminue en théorie sa capa- céfotaxime, ceftriaxone, ceftazidime, céfépime, cefpirome,
aztréonam, imipénème-cilastatine; FQ (ofloxacine et
cité de diffusion extravasculaire. En fait, la liaison protéique est
péfloxacine plus que ciprofloxacine), vancomycine (en
instable, du fait d’une affinité souvent moindre pour les protéines perfusion continue à fortes doses), rifampicine,
plasmatiques que pour les protéines cellulaires; il en résulte un équi- amphotéricine B
libre permanent entre fraction libre et fraction liée qui garantit le Diffusion forte : fosfomycine, phénicolés, imidazolés, TMP-
maintien d’une diffusion tissulaire et d’une activité antibiotique SMX, isoniazide, pyrazinamide, éthambutol, fluconazole,
équivalente à celles qui sont observées pour des produits de même flucytosine
catégorie à fixation protéique faible.
Les seules conséquences de la fixation protéique à prendre en Cerveau Diffusion faible : pénicillines G et M, ampicilline et
compte en pratique sont : amoxicilline
Diffusion forte : phénicolés, sulfamides, imidazolés
• le risque de saturation de la fixation en cas d’élévation des posolo-
gies au-dessus des valeurs préconisées; Poumons Diffusion en général assimilée à la diffusion interstitielle
• le risque d’interférences médicamenteuses avec d’autres produits pour les antibiotiques les plus utilisés (bêtalactamines)
également fortement liés aux protéines (déplacement de la liaison Diffusion tissulaire élevée : macrolides, cyclines, FQ, TMP-
par le produit ayant la plus forte affinité); SMX
• la réduction de la fraction liée aux protéines dans les situations Séreuses Diffusion pleurale et péritonéale assimilée à la diffusion
d’hypoalbuminémie. interstitielle
DIFFUSION TISSULAIRE Prostate Diffusion forte : macrolides, FQ, TMP-SMX
La diffusion tissulaire devrait être un paramètre déterminant du Os Diffusion moyenne : pénicillines M, céphalosporines de
potentiel thérapeutique d’un antibiotique, auquel on va demander deuxième et troisième génération, aminosides
d’exercer son effet bactériostatique ou bactéricide au siège de l’infec- Diffusion forte : macrolides, lincosamides, synergistines,
tion. La diffusion tissulaire d’un antibiotique est déterminée par ses acide fusidique, rifampicine, fosfomycine, FQ
caractéristiques physico-chimiques, sa plus ou moins grande capa-
cité à franchir les membranes qui est fonction de sa liposolubilité, de MÉTABOLISATION
son degré d’ionisation, et des caractéristiques des tissus eux-mêmes.
À vrai dire cependant, la pharmacocinétique tissulaire des antibioti- La métabolisation est variable selon les produits. Elle est faible
ques est souvent difficile à apprécier avec précision et les résultats de pour les produits hydrosolubles qui peuvent être éliminés directe-
son étude sont souvent entachés de biais méthodologiques majeurs ment, le plus souvent par voie rénale. Dans certaines classes
ou d’une variabilité liée aux techniques utilisées. thérapeutiques, comme les bêtalactamines, la majorité des produits
Les études de diffusion tissulaire de tel ou tel antibiotique sont utilisés en milieu hospitalier sont peu métabolisés. Il en va différem-
souvent menées lors de prélèvements chirurgicaux après administra- ment pour les macrolides ou pour certaines FQ, dont l’élimination
tion unique d’une dose de l’antibiotique à étudier. Les résultats nécessite une métabolisation préalable hépatique.
obtenus, avec des méthodologies souvent différentes d’un produit à La connaissance des caractéristiques de métabolisation et
un autre ou selon les tissus étudiés, avec des posologies variables et d’élimination est particulièrement importante pour le maniement
des horaires de prélèvements différents, rendent les comparaisons des antibiotiques en réanimation, et ce à double titre :
difficiles entre produits de la même classe. Les données obtenues et • en raison de la fréquence des perturbations rénales ou hépatiques
présentées aux cliniciens dans le cadre de l’information sur le observées, l’atteinte de l’une ou l’autre des fonctions pouvant
produit par le fabricant sont en fait souvent purement indicatives et amener à préférer tel ou tel antibiotique en raison de sa plus ou
ne permettent pas d’aller au-delà de ce qui est finalement connu de moins grande maniabilité en insuffisance rénale ou hépatique;
la classe thérapeutique ou du type d’antibiotique. • en raison du grand nombre de médicaments reçus par les malades
Ce qui doit être connu du clinicien se résume donc à ce qui est de réanimation et du risque accru d’interactions médicamenteuses
tiré globalement des multiples études menées sur les différentes observé lors de l’utilisation d’antibiotiques et d’autres médicaments
classes d’antibiotiques. Les différences au sein de ces classes d’un subissant un métabolisme hépatique par des voies analogues.
produit à un autre sont le plus souvent peu pertinentes
cliniquement. ÉLIMINATION
La diffusion tissulaire des antibiotiques suivants est pour : ADAPTATIONS POSOLOGIQUES
• les bêtalactamines : diffusion extracellulaire prépondérante; diffu- L’élimination est essentiellement rénale ou hépatique, parfois
sion interstitielle amenant à des concentrations proches des taux mixte. La disparition du médicament de l’organisme s’évalue
sériques; diffusion tissulaire variable, en règle générale autour de 30 souvent par la demi-vie d’élimination (T1/2), qui représente le temps
à 40 % des taux sériques; nécessaire pour que la concentration plasmatique diminue de
• les aminosides : diffusion interstitielle à des concentrations équiva- moitié.
lentes aux taux sériques; diffusion tissulaire faible, sauf dans le rein; Pour les antibiotiques éliminés par voie rénale, la clairance
• les quinolones et les macrolides, de même que les cyclines : fort rénale suffit à exprimer la capacité d’élimination du produit. Elle
pouvoir de diffusion tissulaire et cellulaire. Les concentrations obte- n’indique cependant pas toujours quels sont les mécanismes
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1002 Affections et leurs traitements

impliqués : filtration glomérulaire exclusive ou associée à des méca- l’antibiotique (CMI), de la nature du foyer infectieux, des conditions
nismes de sécrétion-réabsorption tubulaires. La réabsorption physico-chimiques locales, enfin des moyens de défense de l’orga-
tubulaire joue un rôle majeur dans le devenir de certains nisme. La pharmacodynamie permet d’apprécier l’interaction dans
antibiotiques : elle explique par exemple la concentration impor- le temps entre l’antibiotique et sa cible bactérienne. In vitro ou in
tante des aminosides dans le cortex rénal et le risque que fait courir vivo, elle permet, par l’étude des conditions de la bactéricidie,
leur accumulation intracellulaire tubulaire. Les antibiotiques d’apprécier le mode d’action de l’antibiotique et d’en déduire des
éliminés par voie rénale doivent faire l’objet d’adaptations posologi- modalités d’utilisation optimales, en termes de posologies ou de
ques au cours de l’insuffisance rénale : celles-ci varient cependant modalités d’administration [5].
avec la part que prend le rein à l’élimination du produit, avec le L’étude de la bactéricidie porte sur une population bactérienne
degré d’atteinte de la fonction rénale, enfin avec le profil de sécurité d’inoculum connu, soumise à des concentrations d’antibiotique
de l’antibiotique concerné. proches de celles qui peuvent être obtenues in vivo.
Pour les produits éliminés en totalité ou partiellement par le
foie, la clairance totale représente la somme de la clairance rénale et, CINÉTIQUE DE L’ANTIBIOTIQUE ET CMI
le plus habituellement, de la clairance hépatique. Les mécanismes
d’élimination hépatique sont complexes et font appel à des systèmes Les paramètres importants à prendre en compte sont
de transport actif transmembranaire. (fig. 94.1) : le pic (ou concentration maximale, Cmax); l’aire sous la
C’est l’étude de ces paramètres d’élimination qui permet de courbe (AUC), représentative de la cinétique plasmatique d’un
définir les schémas posologiques préconisés, de même que leur adap- temps 0 à l’infini. Rapportées à la valeur de la CMI de l’antibiotique
tation en cas de dysfonction hépatique ou rénale [6]. vis-à-vis de la population bactérienne étudiée, on peut ainsi définir
La fréquence de la dysfonction rénale en réanimation un rapport pic/CMI (ou quotient inhibiteur), et un rapport AUC/
complique l’utilisation des antibiotiques à clairance rénale élevée. CMI (ou AUIC). On peut aussi mesurer le temps pendant lequel la
Les adaptations posologiques visent à assurer l’absence de toxicité concentration sérique de l’antibiotique est supérieure à la CMI (T
du traitement (néphro- et ototoxicité des aminosides, toxicité supérieur à CMI).
encéphalique des pénicillines ou de l’imipénème ou de certaines FQ,
etc.), mais aussi à préserver les conditions d’efficacité des antibioti-
ques utilisés. Les adaptations sont simples pour des antibiotiques
exerçant une activité bactéricide temps-dépendante (bêtalactamines, Concentration mg/l
glycopeptides), puisque l’altération de la fonction rénale prolonge le
temps pendant lequel les concentrations d’antibiotique demeurent
élevées et donc efficaces. Elles sont plus difficiles pour les antibioti-
ques concentration-dépendants, du fait de l’espacement des
injections nécessité par l’insuffisance rénale. Cette difficulté est
contournée chez les patients les plus graves, dialysés, par l’adminis-
tration de l’antibiotique après chaque séance de dialyse, du moins
en dialyse conventionnelle, dès lors que la dialysance en est connue.
Les caractéristiques de l’élimination des antibiotiques et les Q.I.
ajustements posologiques à appliquer en cas d’atteinte rénale ou
hépatique figurent dans le Vidal. On devra s’y reporter. Cependant
les ajustements proposés ne concernent que les posologies usuelles
adaptées au traitement des infections de gravité modérée.
Ces schémas ne sont pas applicables en toute sécurité (tolérance
et efficacité) à tous les malades de réanimation, en particulier ceux AUIC
atteints de défaillance multiviscérale, chez qui les résultats des
études menées chez le volontaire sain ou des patients de sévérité
modérée ne sont pas toujours extrapolables.
CMI
C’est la raison pour laquelle le maniement des antibiotiques en
réanimation doit répondre à certaines contraintes en termes de défi-
nition des posologies et des schémas d’administration :
• préférer des produits peu métabolisés, à marge de sécurité Temps
étendue : c’est le cas par exemple des bêtalactamines et tout particu- t1 t2
lièrement des céphalosporines injectables; T > CMI
• s’assurer pour d’autres produits, par des dosages répétés, que les
paramètres d’administration sont adaptés, à la fois en termes d’effi-
cacité et de sécurité (aminosides, glycopeptides).
L’élimination des antibiotiques dans le tube digestif est le plus Q.I. = Cmax/CMI
souvent négligeable, sauf pour les produits à élimination biliaire très AUIC = AUC0 24 h/CMI
prédominante. Cependant, pour de nombreux antibiotiques, des T > CMI = T avec C > CMI
concentrations significatives sont observées dans le liquide intestinal
du fait d’une élimination biliaire, même très partielle, et d’un
passage transépithélial par diffusion simple et parfois par excrétion Figure 94.1. Cinétique de l’antibiotique et CMI.
active vers la lumière intestinale. À ces quantités d’antibiotique peut
s’ajouter la fraction non absorbée des produits administrés par voie
orale, du fait d’une biodisponibilité incomplète. ANTIBIOTIQUES CONCENTRATION-DÉPENDANTS
L’élimination intestinale de certains produits, comme des bêta- Ce sont des antibiotiques pour lesquels la vitesse de bactéricidie
lactamines ou des FQ, peut expliquer l’impact écologique de s’accroît quand on élève les concentrations. Les aminosides et les FQ
l’antibiothérapie sur l’écosystème intestinal, et son rôle dans la sélec- sont des antibiotiques concentration-dépendants. L’activité in vitro
tion de souches bactériennes résistantes en cours de traitement est la plus élevée quand le pic plasmatique est le plus haut (amino-
(céphalosporines et entérocoques, FQ et colibacilles résistants, etc.). sides, FQ), ou quand le rapport AUC/CMI est le plus grand (FQ). Les
données de bactéricidie obtenues in vivo, tant dans des modèles
PHARMACODYNAMIE animaux que dans des études cliniques, permettent de privilégier des
modalités d’administration assurant des pics élevés d’antibiotiques
Il n’existe pas, en antibiothérapie, de relation dose-effet au sens pour une bactéricidie optimale et la prévention de l’émergence de
pharmacologique habituel du terme. Il existe cependant une relation mutants résistants en cours de traitement.
entre la pharmacocinétique, qui détermine la concentration d’anti- Pour les aminosides, il est aisé d’appliquer à la pratique clinique
biotique au site de l’infection, et l’effet obtenu, qui dépend de les enseignements tirés des études de pharmacodynamie. La réalisa-
l’antibiotique lui-même, mais aussi des caractéristiques de la popula- tion des dosages d’antibiotique au pic permet d’adapter très vite les
tion bactérienne responsable de l’infection et de sa sensibilité à posologies de manière à assurer des concentrations élevées et des
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Antibiotiques 1003

quotients inhibiteurs de 8 à 10, en tenant compte de la CMI de la Il importe donc d’en assurer la synthèse d’une manière géné-
souche bactérienne à éradiquer. Néanmoins les grandes variations de rale, mais surtout individuellement pour chaque patient, en
volume de distribution observées chez les malades de réanimation, intégrant à la fois :
avec le risque d’obtenir des concentrations plasmatiques subopti- • des données sur le potentiel thérapeutique de l’antibiotique sur la
males, doit être considéré, et encourager des posologies fortes (les) bactérie(s) responsables de l’infection : activité antibactérienne
d’aminoside dès le début du traitement. intrinsèque (CMI et CMB) et données sur l’épidémiologie de la
Pour les FQ, l’appréciation immédiate des rapports AUC/CMI, résistance;
et même des quotients inhibiteurs, est plus délicate, ce d’autant que • les caractéristiques de pharmacocinétique de l’antibiotique, aux
les dosages d’antibiotique ne sont pas réalisables en routine. En posologies utilisables et compte tenu de l’état du malade et de la
pratique il est raisonnable de considérer que des posologies fortes nature du foyer infectieux à atteindre;
doivent être recommandées dans les infections sévères, dès lors que • les caractéristiques pharmacodynamiques de l’antibiotique : carac-
l’on a recours à des antibiotiques bien connus, à marge de sécurité téristiques de la bactéricidie vis-à-vis de l’espèce bactérienne
importante. Des données importantes ont été obtenues à cet égard responsable, impliquant la recherche de pics élevés ou le maintien in
dans le traitement d’infections respiratoires sévères par la situ de concentrations supérieures à la CMI pendant un temps
ciprofloxacine : tant les résultats cliniques en termes d’efficacité prolongé entre deux administrations, risque de sélection de résis-
(vitesse d’éradication) que les données microbiologiques en termes tance en cours de traitement, existence d’un effet post-antibiotique.
de prévention de l’émergence de la résistance sont associés à l’utilisa-
tion de posologies générant des AUIC élevés. La relative faiblesse des
concentrations sériques de FQ obtenues, ne générant que des index PRESCRIPTION ANTIBIOTIQUE
inhibiteurs modestes sur certaines espèces bactériennes, doit être EN RÉANIMATION
tempérée par le fait que les concentrations tissulaires obtenues sont
très supérieures aux concentrations sériques. CHOIX D’UN TRAITEMENT INITIAL
ANTIBIOTIQUES TEMPS-DÉPENDANTS DÉTERMINANTS DE LA PRESCRIPTION
La vitesse de bactéricidie ne s’accroît pas au-delà d’un certain La pratique de la réanimation rappelle quotidiennement que la
seuil de concentration de l’antibiotique. Le paramètre le plus signifi- prescription antibiotique est modulée par un certain nombre de
cativement associé à la bactéricidie est le temps pendant lequel déterminants propres à ce type d’activité :
l’antibiotique se trouve à des concentrations supérieures à la CMI (T • la gravité des malades, tant celle qui est liée au terrain que celle qui
supérieur à CMI). Ce paramètre est celui qui détermine l’activité des est liée à la maladie sous-jacente ou à l’infection elle-même;
bêtalactamines et des glycopeptides. Il est montré dans certains • l’urgence thérapeutique que détermine cette gravité; son senti-
modèles animaux que la concentration de l’antibiotique doit être ment est renforcé par les données maintenant nombreuses qui
supérieure à la CMI pendant plus de 40 à 50 % de l’intervalle sépa- attestent qu’un retard à la mise en route d’un traitement efficace est
rant deux injections discontinues. Ces données suggèrent que la l’un des éléments du pronostic;
perfusion continue de tels antibiotiques pourrait être le mode • l’incertitude diagnostique fréquente; elle concerne tout autant
d’administration qui garantisse au mieux le maintien prolongé de certaines des infections communautaires (la sévérité des tableaux
concentrations d’antibiotique supérieures à la CMI. Les données réalisés accentuant encore la faible spécificité de la symptomato-
sont rares cependant chez l’homme, au moins pour les bêtalacta- logie, au moins pour certaines pathologies, comme les
mines. La perfusion continue n’est logique que pour des pneumopathies), que les infections nosocomiales, dont les bactéries
antibiotiques à demi-vie brève. En supprimant des pics sériques, elle responsables dépendent tout autant de l’histoire de la maladie et de
peut entraver la diffusion extravasculaire de l’antibiotique et ne ses particularités que de l’environnement hospitalier et de ses parti-
déterminer que des concentrations tissulaires suboptimales. Elle ne cularités épidémiologiques;
peut être recommandée de manière courante et doit être discutée au • la nécessité des paris diagnostiques et donc thérapeutiques
cas par cas pour des situations très particulières. D’une manière auxquels cette incertitude et la gravité des maladies conduisent le
générale, la connaissance des caractéristiques de bactéricidie des prescripteur.
bêtalactamines invite à tenir compte, même sans recourir à la perfu-
sion continue, de leur demi-vie en administration discontinue et à Ces déterminants conduisent à une fréquente inflation de
plaider pour des réinjections à intervalles rapprochés, permettant à l’antibiothérapie : la conjonction de la gravité, de l’incertitude et de
la fois de maintenir des pics plasmatiques favorisant la diffusion l’angoisse favorise des choix maximalistes, fondés sur l’usage de
extravasculaire et des concentrations dépassant la CMI de la bactérie produits à large spectre et d’associations antibiotiques multiples.
à éradiquer pendant un temps suffisant. Parmi les glycopeptides, Pour justifiés que soient parfois ces choix, il faut s’efforcer de les
seule la vancomycine est concernée, du fait de la demi-vie très limiter, à la fois en nombre de malades et en durée. Le bon usage des
prolongée de la teicoplanine. L’efficacité du traitement est liée au antibiotiques en réanimation passe certainement par une politique
maintien prolongé de concentrations supérieures à cinq ou dix fois volontariste, dans chaque unité, d’obtention de diagnostics micro-
la CMI, facilement mesurables en routine et en pratique supérieures, biologiques de certitude et de maîtrise de l’antibiothérapie.
en cas de perfusion continue, à 20-25 mg.l–1.
CHOIX D’UN TRAITEMENT INITIAL
EFFET POST-ANTIBIOTIQUE (EPA) Le choix d’un traitement initial doit autant que possible
découler d’une démarche analytique rigoureuse de la situation puis
L’EPA est le maintien de l’inhibition de la croissance bacté- d’une synthèse permettant de définir le choix le plus approprié,
rienne observé pour certains antibiotiques, alors même que les compte tenu des éléments de gravité ou des incertitudes précédem-
concentrations sont devenues inférieures à la CMI (ou que in vitro, ment mentionnées. Les questions à se poser peuvent être déclinées
pour son étude, les bactéries ont été soustraites à l’antibiotique). de la manière suivante.
L’EPA est plus important in vivo qu’in vitro, du fait de l’interaction
avec les polynucléaires. Sa durée est variable selon les antibiotiques
et selon l’espèce bactérienne. INFECTION DOCUMENTÉE OU TRAITEMENT EMPIRIQUE?
D’une manière simplifiée on doit retenir que l’EPA est une Dans certains cas, le doute n’est pas permis du fait de la certi-
caractéristique des aminosides et des FQ. Il n’existe pas d’EPA des tude étiologique que fournit le résultat d’un prélèvement
bêtalactamines vis-à-vis des bactéries à gram négatif, sauf pour microbiologique, dans un contexte où sa sensibilité et sa spécificité
l’imipénème. ne peuvent être mises en doute : ECBU dans une pyélonéphrite
aiguë compliquée de choc, LCR dans un tableau de méningite coma-
BASES BIOLOGIQUES DE LA PRESCRIPTION ANTIBIOTIQUE teuse, hémoculture positive à un germe indiscutablement pathogène
que la clinique et les investigations complémentaires rapporteront à
L’utilisation des antibiotiques en pathologie humaine, et tout une porte d’entrée rapidement identifiable avec certitude, etc.
particulièrement dans le traitement des infections sévères observées Les choses sont plus compliquées lorsque les prélèvements
chez les malades de réanimation, doit tenir compte des connais- réalisés ne garantissent pas tous la spécificité des résultats microbio-
sances accumulées sur les conditions de l’activité de ces logiques apportés. L’exemple le plus illustratif est ici apporté par le
médicaments. problème du diagnostic microbiologique des pneumopathies appa-
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1004 Affections et leurs traitements

rues sous ventilation mécanique, et la valeur diagnostique, défendue NATURE DU FOYER INFECTIEUX
par certains, de prélèvements « invasifs » endobronchiques plutôt
Elle peut conditionner la diffusion des antibiotiques, ou réduire
que de résultats de prélèvements n’assurant pas une différenciation
leur activité du fait des conditions physico-chimiques locales.
correcte de la colonisation et de l’infection.
Enfin, bien souvent, l’urgence thérapeutique que légitime la
EXISTENCE D’UN CORPS ÉTRANGER
gravité de l’infection conduit à des décisions d’antibiothérapie empi-
rique. Une infection « non documentée » (ou non encore Elle peut réduire la bactéricidie d’un traitement, en perturbant
documentée) ne justifie pourtant pas des traitements « aveugles » les fonctions de défense de l’organisme, comme cela a été montré
ciblant à l’excès toutes les éventualités envisageables. L’antibiothé- dans des modèles expérimentaux; elle peut expliquer la persistance
rapie empirique doit répondre à certaines règles fondées sur les de l’infection, ou sa réapparition à l’arrêt du traitement (cathéter
probabilités diagnostiques les plus grandes et la connaissance du veineux, sonde urétrale et prostatite, etc.).
potentiel thérapeutique des différents antibiotiques utilisables. Par
définition, elle « procède de l’expérience » et doit donc intégrer à la TAILLE DE L’INOCULUM BACTÉRIEN
fois ce qui est connu du malade (de son passé et de son présent), de
son environnement épidémiologique et des antibiotiques utilisables. Elle peut réduire l’activité des antibiotiques, particulièrement
de certaines bêtalactamines et contribuer à un risque plus élevé
d’émergence de résistances bactériennes en cours de traitement. La
INFECTION COMMUNAUTAIRE OU NOSOCOMIALE? réduction de la population bactérienne est la raison d’être du traite-
Les « paris » diagnostiques sont plus aisés, et plus codifiés, dans ment chirurgical des foyers infectieux, lorsqu’il est possible. Les
les infections communautaires. On sait ici rattacher une présenta- mécanismes qui contribuent à l’expression de la résistance bacté-
tion clinique donnée à un certain nombre de probabilités rienne aux antibiotiques, source d’échec secondaire du traitement,
diagnostiques. Les choix de traitement antibiotique sont fréquem- sont variables : soit production d’une grande quantité d’enzymes
ment déterminés par des algorithmes intégrant à la fois les données d’inactivation des antibiotiques (par exemple, production de bêta-
cliniques du patient et les données épidémiologiques de la maladie, lactamase), soit probabilité accentuée, du fait de la taille de la
et ont souvent fait l’objet de recommandations d’experts ou de population bactérienne, de retrouver des mutants résistants en plus
conférences de consensus. Celles-ci identifient parfois dans leurs grand nombre au sein de la population bactérienne de départ, sélec-
typologies de situations les malades de réanimation, isolés en raison tionnés sous l’effet de l’antibiothérapie. Les risques sont les plus
de leur gravité particulière. grands pour certaines espèces bactériennes telles P. æruginosa,
D’une manière générale, les infections communautaires bacté- Serratia, Enterobacter, etc.
riennes sont le plus souvent dues à un éventail limité de pathogènes
connus pour les déterminer avec la plus grande fréquence : strepto- SENSIBILITÉ DE LA SOUCHE BACTÉRIENNE RESPONSABLE
coques, pneumocoques et staphylocoques, E. coli, H. influenzæ, Elle est appréciée par les valeurs des CMI des antibiotiques utili-
clostridies, Bacteroides, etc. Leur profil de sensibilité aux antibioti-
sables en théorie. L’antibiogramme, lorsqu’il est disponible, devrait
ques est connu, et dans la majorité des cas ne conduit pas à des
rassurer quand il indique que la bactérie responsable est sensible. Les
surprises lors de la documentation de l’infection.
souches de sensibilité « intermédiaire » doivent être regardées avec
Il en va différemment des infections nosocomiales, largement méfiance, surtout dans des infections sévères ou chez des malades à
déterminées par le profil microbiologique de l’écosystème hospita- haut risque : le succès ne peut être garanti, du fait d’une activité
lier, l’histoire du malade et les traitements antibiotiques déjà reçus.
modérée de l’antibiotique; celle-ci ne peut être compensée que par
Les stratégies thérapeutiques sont ici moins codifiables, ou ne
une diffusion remarquable de l’antibiotique (ce peut être le cas dans
peuvent tout au moins faire l’objet de recommandations de valeur
les urines mais pas obligatoirement dans le parenchyme rénal), ou
universelle, encore moins de recettes! Seule peut être définie une
stratégie de réflexion préalable au choix de l’antibiothérapie. Elle par l’élévation des posologies quand elle est possible et compatible
doit prendre en compte l’épidémiologie des colonisations ou infec- avec la tolérance de l’antibiotique. Même parmi les souches sensi-
tions nosocomiales dans l’unité en cause, les données bles, les données doivent être regardées d’un œil critique. Certaines
microbiologiques rassemblées au préalable chez le patient concerné, espèces bactériennes doivent être considérées, compte tenu des CMI
les probabilités diagnostiques compte tenu du tableau réalisé, et des antibiotiques actifs, comme des bactéries « peu sensibles » : c’est
enfin évaluer l’impact des antibiothérapies préalables en considérant le cas de certaines entérobactéries ou de P. æruginosa, ou encore des
les failles dans l’activité antibactérienne des produits déjà reçus et entérocoques. Ces espèces « à problèmes » doivent être particulière-
leur potentiel de sélection secondaire de souches bactériennes résis- ment considérées en réanimation pour les soucis thérapeutiques
tantes. Dans certaines unités de réanimation à haut risque, la qu’elles peuvent occasionner dans des infections graves ou chez des
probabilité de disposer d’une antibiothérapie efficace en monothé- malades aux défenses amoindries.
rapie dans le traitement empirique d’une infection nosocomiale
tardive peut ne pas dépasser 60 %. Cette constatation explique le ÉTAT « IMMUNITAIRE » DES PATIENTS
recours fréquent aux associations d’antibiotiques. Le risque est grand
Il est souvent déficient, du fait de la maladie sous-jacente, des
d’accentuer encore l’effet de sélection sur les flores bactériennes
traitements reçus, de l’état hypercatabolique, de l’état nutritionnel,
responsables de l’infection, ou surtout sur la flore résidente du
malade. Il doit encourager à la réalisation des prélèvements micro- etc. Il peut compromettre l’efficacité d’un traitement en ne permet-
biologiques aptes à identifier l’infection et la bactérie responsable tant pas la clairance bactérienne naturelle et l’action bactéricide
avec certitude. d’un traitement. C’est chez les malades les plus gravement atteints,
chez les sujets neutropéniques ou dans les endocardites que les
D’une manière plus générale, la prise en compte des données
performances des antibiotiques ont souvent été le mieux évaluées
épidémiologiques locales est ici d’une importance déterminante
dans la littérature. C’est en pratique chez ces malades, comme chez
pour la conduite optimale de l’antibiothérapie. Seul un suivi épidé-
miologique régulier de l’unité, du risque infectieux nosocomial, et bien des malades de réanimation, que l’optimisation des traitements
des espèces identifiées ainsi que de leur sensibilité aux antibiotiques anti-infectieux doit être recherchée impérativement.
permet, dans le cadre général d’une politique de qualité des soins, de
mettre en place une politique d’utilisation raisonnée des antibioti- QUEL CHOIX D’ANTIBIOTIQUE?
ques, associée à une indispensable politique de maîtrise de la
transmission de l’infection nosocomiale. Il est évidemment impossible à schématiser en général. On se
reportera donc à d’autres chapitres de cet ouvrage, où les choix sont
discutés pathologie par pathologie, ou selon les bactéries à atteindre.
QUELLES SERONT LES CONDITIONS D’ACTIVITÉ Il est cependant possible de donner quelques indications sur les
DES ANTIBIOTIQUES UTILISÉS? antibiotiques (le plus souvent injectables) utilisables en réanimation
Certains éléments propres à la nature de l’infection doivent (tableau 94.2). Doivent être considérés : l’activité antibactérienne
systématiquement faire l’objet d’une analyse rigoureuse, car certains (spectre d’activité et activité intrinsèque appréciée par les CMI), le
d’entre eux sont réputés pouvoir influencer l’activité du traitement profil pharmacocinétique et la diffusion tissulaire, le profil de tolé-
antibiotique et expliquer que les résultats obtenus in vivo ne soient rance, d’une manière générale et en fonction des posologies à
pas ceux que les données microbiologiques permettaient d’attendre. envisager, enfin les coûts [4, 6].
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Antibiotiques 1005

Tableau 94.2. Antibiotiques utilisables en réanimation

Pénicillines Antibiotiques de référence des infections à streptocoques ou à entérocoques (pénicilline G, amoxicilline), à staphylocoque sensible à la
méticilline (pénicillines M), à clostridies, etc.
Les pénicillines à large spectre (carboxy- et uréidopénicillines) conservent, pour certaines d’entre elles seulement, le bénéfice de l’activité
vis-à-vis des streptocoques et entérocoques (pipéracilline) et sont les pénicillines de référence anti-Pseudomonas (souches ticarcilline-
sensibles).
L’association à des inhibiteurs de bêtalactamase restaure l’activité perdue par inactivation enzymatique (amoxicilline-acide clavulanique,
pipéracilline-tazobactam). La récupération est parfaite pour certaines espèces (Staphylococcus aureus, Hæmophilus influenzæ, Bacteroides et
Prevotella, etc.), mais pas pour d’autres : elle est fonction du type d’enzyme, de la bêtalactamine associée et de son activité antibactérienne
propre sur les souches non productrices d’enzyme, de la quantité d’enzyme produite au site de l’infection (rôle de la taille de l’inoculum),
enfin de la diffusion simultanée au sein du foyer infectieux de la bêtalactamine et de l’inhibiteur en quantité suffisante. Leur efficacité est
aléatoire chez certains malades atteints d’infections à P. æruginosa, à E. coli ou à Klebsiella, et ce malgré des antibiogrammes parfois plutôt
rassurants! Il faut savoir alors discuter leur intérêt en fonction de la pathologie à traiter, avec l’aide des microbiologistes. Ces
combinaisons sont en revanche particulièrement adaptées au traitement des infections à flore mixte aéro-anaérobie en pathologie
abdominale ou cutanée et des tissus mous.
La résistance du pneumocoque à la pénicilline, due à une modification de cible et non à une inactivation enzymatique, est croisée à
l’ensemble des bêtalactamines. Elle ne pose en pratique de problème en réanimation que pour le traitement des méningites. Ailleurs, comme
dans les pneumonies, l’amoxicilline à une posologie de 100 mg.kg–1.j–1 ne semble pas associée à des échecs thérapeutiques. Lorsqu’une
association amoxicilline-acide clavulanique est utilisée dans le cadre d’un traitement empirique visant à couvrir le pneumocoque et d’autres
espèces bactériennes, la posologie d’amoxicilline doit être ajustée de manière à atteindre ces valeurs, mais sans que la quantité totale d’acide
clavulanique administrée dépasse, pour des raisons de tolérance, 1 200 mg.j–1 ; il faut alors savoir recourir à des présentations adaptées, ou
ajouter de l’amoxicilline au traitement par une présentation associant l’amoxicilline et l’inhibiteur de bêtalactamase.
Céphalosporines L’activité des céphalosporines de troisième génération, les plus utilisées, est variable dans son spectre. Elles ont une activité anti-gram
négatif remarquable, très supérieure à celle des pénicillines sur les entérobactéries, du fait de CMI souvent très basses et de leur stabilité
vis-à-vis d’un grand nombre de pénicillinases. Elles sont en revanche inactivées par des céphalosporinases ou par des bêtalactamases à
spectre étendu. Céfotaxime et ceftriaxone ont les mêmes caractéristiques d’activité antibactérienne et ne se distinguent que par leurs
propriétés pharmacocinétiques. La cefpirome et le céfépime demeurent actifs vis-à-vis de souches hyperproductrices de céphalosporinase,
résistantes à la céfotaxime, rencontrées chez Serratia, Enterobacter, Citrobacter, etc. Le recours à la ceftazidime est particulièrement justifié
en cas d’infection suspectée ou prouvée à P. æruginosa.
Vis-à-vis des infections à gram positif (streptocoques, pneumocoques – y compris de sensibilité diminuée à la pénicilline –,
staphylocoques sensibles à la méticilline) seules certaines d’entre elles sont recommandées, comme la céfotaxime, la ceftriaxone toutes
deux indiquées dans les méningites, ou le cefpirome. La ceftazidime ne peut être recommandée. Toutes les céphalosporines sont inactives
sur Listeria, de même que dans les infections à entérocoques. Elles sont administrées en deux ou trois fois par 24 h. L’administration en
perfusion continue, surtout étudiée pour la ceftazidime, est en théorie possible, encore qu’elle doive être discutée en fonction des taux
d’antibiotique obtenus, sériques et tissulaires, en regard des CMI vis-à-vis des bactéries à atteindre.
Monobactams Ne doit être retenu que pour sa structure monocyclique et l’absence habituelle d’allergie croisée avec les autres bêtalactamines; ne peut
(aztréonam) être utilisé que dans des infections à gram négatif. Les résistances aux céphalosporines de troisième génération n’épargnent pas
l’aztréonam.
Pénèmes Le spectre d’activité de l’imipénème est large (à l’exception des S. aureus résistants à la méticilline). Produit de recours dans des infections
hospitalières à germes multirésistants. Dans certains centres, 20 à 30 % des P. æruginosa sont résistants par un mécanisme
d’imperméabilité. Les posologies sont limitées du fait d’un risque convulsivant. L’ertapénème est inactif sur les entérocoques, P. æruginosa
et Acinetobacter.
Fluoroquinolones Leur activité bactéricide concentration-dépendante vis-à-vis des bactéries à gram négatif, ainsi que de S. aureus sensibles à la méticilline,
leur excellente diffusion tissulaire en a fait des produits de choix, particulièrement dans des infections urinaires, rénales ou prostatiques.
La péfloxacine a vu son usage se réduire du fait des accidents de tendinopathie qui lui ont été imputés. L’ofloxacine, la lévofloxacine et la
moxifloxacine, douées d’une meilleure activité antipneumococcique et plus encore la ciprofloxacine du fait de son activité plus marquée
sur les germes à gram négatif dont P. æruginosa, sont largement utilisées. L’usage de la ciprofloxacine dans des infections sévères fait
maintenant appel à de fortes posologies, garantes d’une activité bactéricide renforcée et d’un moindre risque d’émergence de résistances
en cours de traitement. L’usage des FQ en association à des bêtalactamines, ou à un aminoside, s’est répandu sans preuve évidente de son
bien-fondé; l’effet de l’association est en effet rarement synergique et le plus souvent simplement additif.
Les mécanismes de résistance, par modification de cible du fait de mutations sur les gènes des enzymes assurant le surenroulement de l’ADN
bactérien, ou par mécanisme d’efflux, sont croisés à l’ensemble des FQ, et sont détectés a minima par une résistance à l’acide nalidixique : si
les FQ demeurent actives, elles le sont moins que sur des souches sensibles à l’acide nalidixique. Parmi les bactéries responsables d’infections
hospitalières, les taux de résistances peuvent être préoccupants. L’utilisation préalable de FQ est significativement associée à la résistance. Les
données sur l’apparition de la résistance, les résistances croisées dans la classe, font considérer par beaucoup ces produits comme des produits
de deuxième ligne, ou de relais, que facilite d’ailleurs leur mise à disposition par voie orale, sous des formes à excellente biodisponibilité et de
coût bien moindre. Les correspondances entre les posologies IV et orales doivent être connues (par exemple 1 500 mg de ciprofloxacine orale
équivalent à 1 200 mg du même antibiotique administré par voie veineuse).
Intéressantes par leur activité sur des pathogènes associés aux cellules (particulièrement dans la légionellose), les FQ se trouvent encore
limitées dans leur activité anti-gram positif, à l’exception des staphylocoques sensibles à la méticilline. Ofloxacine et ciprofloxacine sont
inactives sur les streptocoques, les entérocoques, et d’activité très marginale sur le pneumocoque. Des quinolones antipneumococciques
sont apparues. La lévofloxacine, qui est la forme lévogyre active de l’ofloxacine, peut être utilisée par voie IV ou orale dans le traitement
des infections respiratoires basses, en dépit de CMI sur le pneumocoque de 1 mg.l–1. Elle a été utilisée dans le traitement de pneumonies
communautaires sévères sans état de choc. La moxifloxacine, d’activité antipneumococcique plus marquée in vitro (CMI ≤ 0,25 mg.l–1),
est utilisable par voie orale, et sa forme IV est en attente.
Aminosides La meilleure connaissance de la pharmacodynamie concentration-dépendante de ces antibiotiques a permis de redéfinir leur place dans le
traitement d’infections sévères. Utilisés en réanimation en association, ils sont le plus souvent utilisés à posologies renforcées, pour des
traitements de courte durée, et souvent en administration uniquotidienne.
Pour le traitement des infections à gram positif, la gentamicine doit être recommandée, du fait de la démonstration solide de la synergie
exercée vis-à-vis des streptocoques, entérocoques et staphylocoques, en association aux pénicillines ou aux glycopeptides. La synergie est
perdue en cas de résistance à haut niveau. Dans les infections à gram négatif, l’amikacine peut être préférée en milieu hospitalier, du fait
de la moindre fréquence des résistances parmi des bactéries responsables d’infections nosocomiales. L’isépamicine n’apporte d’avantage
que sur quelques souches résistantes à l’amikacine. La tobramycine a sur les souches sensibles de P. æruginosa les CMI les plus basses. Les
dosages sériques doivent être recommandés dès lors que le traitement doit être prolongé plus de 24 à 48 h, de manière à s’assurer que des
taux optimaux sont obtenus au pic : les grandes variations de volume de distribution observées chez certains malades obligent parfois à
recourir à des posologies quotidiennes inhabituellement élevées. Ils sont en outre utiles à l’ajustement de l’espacement entre les injections
chez les patients à fonction rénale altérée, lorsque, exceptionnellement, des traitements prolongés doivent être préconisés.
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1006 Affections et leurs traitements

Tableau 94.2. Antibiotiques utilisables en réanimation (suite)

Aminosides L’administration en une seule fois de la totalité de la dose quotidienne d’aminoside (chez le sujet à fonction rénale normale) garantit
l’obtention de la bactéricidie concentration-dépendante et apparaît réduire la néphrotoxicité des traitements par les aminosides. La
démonstration en clinique humaine d’une activité supérieure n’est cependant pas faite, malgré des bases microbiologiques solidement
étayées in vitro et dans des modèles animaux. Sur certaines espèces vis-à-vis desquelles la recherche d’une synergie est indispensable du
fait d’une activité limitée des bêtalactamines (entérocoques, P. æruginosa, etc.), des modalités d’administration classiques, par exemple en
deux fois par jour, sont peut-être préférables, de manière à observer à intervalles plus rapprochés l’expression de la synergie. Ailleurs, il
est possible qu’une à deux administrations d’aminoside à forte dose en début de traitement suffisent à obtenir l’effet attendu de
bactéricidie et de réduction rapide de l’inoculum. Les traitements de très courte durée lèvent peut-être définitivement l’hypothèque de la
toxicité cumulative des traitements par les aminosides. Ils dispensent alors quasiment du contrôle des taux sériques : l’efficacité est
garantie par l’emploi de posologies élevées (4 à 5 mg.kg–1.j–1 pour la gentamicine et la tobramycine, 8 à 10 pour la nétromicine, 20 à 25
pour l’amikacine), la tolérance étant en pratique assurée par la brièveté du traitement.
Glycopeptides Ils sont largement utilisés, en cas de résistance, ou plus rarement d’allergie aux bêtalactamines, dans les infections à bactéries à gram
positif, streptocoques, entérocoques, ou staphylocoques résistants à la méticilline. La teicoplanine, de demi-vie très prolongée,
administrable par voie IV directe ou IM, est surtout intéressante en traitement de relais. La vancomycine, moins onéreuse, est administrée
en perfusions courtes répétées, voire en perfusion continue, à une posologie d’environ 30 mg.kg–1.j–1, après l’administration d’une dose
de charge d’un gramme chez l’adulte. Les glycopeptides exercent une bactéricidie temps-dépendante, retardée; des taux sériques résiduels
supérieurs à 15 mg.l–1, ou de l’ordre de 20 à 25 mg.l–1 en perfusion continue doivent être préconisés. L’usage exagéré de glycopeptides,
générateur d’un risque à long terme d’émergence de résistances chez les entérocoques et les staphylocoques, doit être maîtrisé par le
contrôle, en réanimation, de la transmission des staphylocoques résistants à la méticilline. L’incidence en France des souches
d’entérocoques résistants aux glycopeptides est faible, du moins parmi les souches responsables d’infections. Elle commence à croître en
réanimation parmi les souches de colonisation. Le phénotype Van A (résistance conjointe à la vancomycine et à la teicoplanine) est le plus
fréquent en France. Des souches de Staphylococcus epidermidis résistantes à la teicoplanine, mais sensibles à la vancomycine, sont
détectées. Enfin des souches de staphylocoques de sensibilité anormale aux glycopeptides (VISA ou GISA) sont isolées, parfois au cours
de petites épidémies, sans poser pour le moment de véritables problèmes thérapeutiques, mais inquiétantes pour l’avenir. Le linézolide
peut être utilisé en recours, comme d’autres anti-gram +, lorsque les glycopeptides apparaissent en défaut. L’expérience de ladaptomycine
est limitée, et son usage dans les infections sévères ne peut être recommandé. Dans le traitement par voie orale des colites à Clostridium
difficile, la vancomycine doit, pour les mêmes raisons d’« épargne » des glycopeptides, n’être utilisée qu’en deuxième ligne, après le
métronidazole.
Macrolides L’érythromycine en est le chef de file. Ils ne sont utilisés en réanimation que pour les traitements des exacerbations de bronchite
chronique, sans preuve réelle de leur efficacité, et dans le traitement des pneumopathies communautaires à germes atypiques.
L’érythromycine IV est utilisée pour le traitement de la légionellose. Sa toxicité veineuse locale impose souvent le recours à une voie
d’abord centrale.

MONOTHÉRAPIES OU ASSOCIATIONS D’ANTIBIOTIQUES? l’affaiblissement des défenses de l’organisme; de la présence de corps


étrangers, enfin de la nature du couple antibiotique-bactérie.
Il s’agit d’une question à laquelle en pratique tous les réanima- Certains antibiotiques sont associés à une fréquence spontanée plus
teurs sont quotidiennement confrontés. Le recours aux associations élevée d’apparition de résistances au sein des populations bacté-
d’antibiotiques est fréquent en France, plus que dans d’autres pays. riennes visées : la rifampicine, la fosfomycine, la fucidine, et à un
Le bien-fondé n’en est pas toujours évident; les associations contri- moindre degré les FQ (vis-à-vis de certaines espèces), sont exposées à
buent à l’inflation antibiotique si particulière à la réanimation, ce risque et ne doivent pas être utilisées en monothérapie. Certaines
accentuent la pression de sélection de l’antibiothérapie et doivent espèces bactériennes posent souvent plus de problèmes, telles que les
donc être mieux réfléchies. staphylocoques parmi les gram positifs et vis-à-vis des antibiotiques
précédemment cités, les bacilles pyocyaniques ou certaines entéro-
OBJECTIFS DES ASSOCIATIONS D’ANTIBIOTIQUES bactéries parmi les gram négatifs, comme les espèces
Ils sont au nombre de trois. potentiellement productrices de céphalosporinases déréprimées
• Élargir le spectre antibactérien du traitement. C’est (Serratia, Enterobacter, Citrobacter, etc.), que ce soit vis-à-vis des bêta-
une préoccupation parfois légitime, en particulier en traitement lactamines surtout, mais aussi des FQ. Les preuves cliniques de la
probabiliste d’infections sévères, dès lors que toutes les probabilités prévention, par les associations d’antibiotiques, de l’émergence de
étiologiques ne peuvent être couvertes avec un seul antibiotique, et résistances en cours de traitement sont en fait rares. La protection
qu’échappent au traitement par exemple des anaérobies, des entéro- d’un antibiotique par un autre nécessite en effet que les deux
coques ou des staphylocoques résistants à la méticilline. Dans les produits soient présents et actifs en même temps et à concentration
infections acquises en réanimation et non encore documentées, la suffisante au site de l’infection. Il faut ainsi tenir compte du fait que
probabilité qu’a un seul antibiotique, du fait des résistances bacté- l’optimisation des traitements antibiotiques n’est jamais assurée
riennes aux antibiotiques, d’être actif, ne dépasse souvent pas 50 ou dans les travaux publiés dans ce domaine, si bien qu’il est difficile de
60 %. L’infection nosocomiale par des bactéries multirésistantes est conclure définitivement sur l’inutilité des associations dans ce
un facteur d’inflation antibiotique, surtout si ne sont pas mis en contexte. Les arguments retenus en leur faveur sont donc souvent
œuvre les moyens diagnostiques appropriés, qui permettent l’identi- théoriques, quoique parfois vérifiés au quotidien par des observa-
fication bactérienne secondaire et l’ajustement des traitements tions faites chez les malades les plus sévères, chez qui l’émergence de
antibiotiques; résistance en cours de traitement est une cause d’échec possible de
• Prévenir l’émergence de souches résistantes en cours l’antibiothérapie. En revanche, on retiendra que les associations
de traitement [1]. La probabilité qu’une souche devienne résis- d’antibiotiques accentuent la pression de sélection des antibiotiques
tante à la fois à deux antibiotiques de classes différentes est très sur les écosystèmes de l’hôte : l’effet de prévention de l’émergence
faible, si l’on considère que l’on part d’une population bactérienne de résistances parmi la flore bactérienne cause de l’infection et cible
« sauvage », puisqu’il faut deux événements génétiques différents du traitement est « payé » par un effet délétère des antibiotiques sur
pour que l’acquisition d’une double résistance ait lieu (hormis le cas les flores endogènes, promoteur de résistances bactériennes
de l’acquisition d’un plasmide porteur des gènes de deux méca- secondaires;
nismes associés). C’est ce principe qui a fondé historiquement le • Améliorer l’efficacité du traitement. L’objectif est ici de
bien fondé des associations d’antibiotiques dans la tuberculose. La renforcer la bactéricidie du traitement, eu utilisant le concept de
démonstration du bénéfice des associations dans d’autres situations synergie. La synergie entre deux antibiotiques est obtenue quand
est loin d’être aussi évidente, les éléments apportés dans la discus- l’association des deux traitements permet l’obtention d’un effet
sion aboutissant à des résultats parfois contradictoires. On peut bactéricide qui est supérieur à la somme des effets des deux antibioti-
cependant retenir que des éléments favorisent l’émergence de cette ques considérés isolément. Pour espérer ce résultat, les deux
résistance et justifient le recours, au moins en début de traitement, à antibiotiques doivent être bactéricides (ce qui exclut les associations
des associations d’antibiotiques. Il s’agit de l’importance de d’un antibiotique bactéricide à un antibiotique bactériostatique), et
l’inoculum bactérien de départ, qui augmente le nombre d’individus se trouver en même temps et à concentration appropriée au site de
résistants dans la population bactérienne avant traitement; de l’infection; la diffusion des antibiotiques doit donc pouvoir être
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Antibiotiques 1007

assurée. Le résultat de la synergie devrait pouvoir s’apprécier en à assurer le bien fondé du traitement lui-même, du choix du (ou des)
vitesse de bactéricidie, et donc de guérison. In vitro comme dans les antibiotique(s), des posologies et modalités d’administration.
modèles animaux, il existe de nombreuses preuves de cette synergie,
particulièrement entre bêtalactamines et aminosides, ou entre glyco- DIAGNOSTIC MICROBIOLOGIQUE
peptides et aminosides. Les associations avec les FQ sont souvent
indifférentes. Les démonstrations cliniques de l’intérêt de la synergie Le diagnostic microbiologique n’est souvent disponible que
sont rares : elles se limitent pour l’essentiel au traitement des endo- secondairement. C’est donc à ce moment que l’on peut décider soit
cardites à streptocoques, entérocoques et staphylocoques, et des d’interrompre un traitement considéré comme inutile, soit de
septicémies à bacille à gram négatif chez les sujets profondément l’aménager puisque d’empirique il peut devenir orienté sur des bases
neutropéniques. Il n’existe, en dehors de ces situations, que de rares microbiologiques. Chacune des questions envisagées auparavant
publications faisant état du bénéfice des associations d’antibiotiques, doit donc être reconsidérée.
en termes de résultats, comme dans les infections à Klebsiella ou à
P. æruginosa. D’une manière générale, la synergie doit être considérée CHOIX DES ANTIBIOTIQUES
comme la caractéristique d’un couple antibiotique-bactérie. Sa Il est possible de remettre en cause le choix des antibiotiques.
démonstration dans un cas n’est pas forcément extrapolable à L’idée autrefois classique qu’on ne touche pas à un traitement qui
d’autres. On peut cependant retenir qu’elle justifie souvent le marche est largement battue en brèche par la nécessaire prise en
recours aux aminosides (en l’absence de résistance à haut niveau). La compte de préoccupations écologiques ou économiques. Dès lors
recherche d’associations synergiques est plus particulièrement justi- que l’infection est documentée, le traitement le meilleur est à la fois
fiée pour le traitement d’infections sévères dues à des bactéries mal le plus actif, le mieux toléré et le moins cher. La préoccupation du
tuées par les antibiotiques, comme les entérocoques ou les bacilles coût ne doit pas occulter les deux premières. Il ne faut pas virer à
pyocyaniques. Elle se justifie alors surtout en début de traitement l’excès qui consisterait à ne pas maintenir un traitement optimal en
lorsque la bactéricidie la plus marquée doit être recherchée. Ailleurs, termes d’activité antibactérienne intrinsèque : l’activité de la céfo-
dans bien des cas, la synergie ne peut s’exprimer (sa recherche est taxime sur une souche sensible d’E. coli est 100 fois plus marquée
alors inutile), en raison de la puissance et de la rapidité de la bactéri- que celle de l’amoxicilline! Devant une infection documentée à
cidie observée en monothérapie, comme dans le traitement des germe « relativement » sensible, des antibiotiques particulièrement
infections à E. coli ou à pneumocoque. actifs sur des souches hospitalières multirésistantes (imipénème,
amikacine, ciprofloxacine) doivent cependant être épargnés pour
MODALITÉS DES ASSOCIATIONS D’ANTIBIOTIQUES l’avenir d’un malade gravement atteint dont on ne connaît pas
Si l’association est justifiée, du fait de la gravité du patient, de encore la durée de séjour en milieu hospitalier. D’autres peuvent être
l’incertitude diagnostique, ou parce qu’une souche « à problème » a préservés pour un traitement de relais par voie orale (toutes les FQ).
été identifiée, ses modalités doivent être précisées, pour un bénéfice Au-delà des préoccupations d’ordre individuel pour le malade
optimal. peuvent entrer en ligne de compte des préoccupations collectives,
Il faut recourir autant que possible à des associations déjà vali- visant à la protection de l’écosystème hospitalier et au souci de faire
dées par la littérature et l’expérience. varier dans une même unité les traitements reçus par les malades.
L’association doit être prescrite d’emblée, dès le début du traite-
ment, et pas en « rattrapage » : c’est à ce moment que l’inoculum est MAINTIEN D’UNE ASSOCIATION D’ANTIBIOTIQUES
le plus important, que la bactéricidie doit être la plus forte, que le Le maintien d’une association d’antibiotique est très souvent
risque de sélection d’une sous-population résistante est le plus injustifié, pour les raisons exposées ci-dessus. Dans la majorité des
grand, que les défenses de l’organisme sont dépassées; elle peut en situations cette reconsidération du traitement initial peut aboutir au
revanche dans bien des cas être interrompue rapidement, après deux retour à la monothérapie. Seuls de rares cas justifient qu’une bithé-
à cinq jours, sauf cas particuliers. rapie soit poursuivie de cinq à sept jours, pour le traitement par
Elle n’offre pas de sécurité par elle-même, si bien que les anti- exemple d’infections sévères à P. æruginosa, ou de manière plus
biotiques associés doivent être prescrits selon des modalités aptes à prolongée pour une infection à entérocoque, ou à un moindre degré
en assurer l’efficacité : il en est ainsi par exemple pour les amino- à staphylocoque. En outre, les traitements en association par les
sides, qui doivent être administrés à des posologies et selon des aminosides ne doivent le plus souvent pas être prolongés pour des
modalités qui garantissent des concentrations élevées au pic. raisons de tolérance, ceux par les FQ pour des raisons écologiques.
Lorsque les antibiotiques sont administrés de manière intermit-
tente, ce qui est le plus fréquent, il faut veiller à ce que le DURÉE DU TRAITEMENT
fractionnement de la posologie assure à intervalles réguliers la diffu-
sion au site de l’infection des deux antibiotiques en même temps. Le La durée du traitement doit être discutée a priori, lors de la mise
non-respect de cette contrainte peut être une cause d’échec de en route du traitement ou de sa reconsidération au 2e-3e jour. Elle
l’association. doit à nouveau faire l’objet d’une discussion vers le 7e-8e jour. En
En pratique, l’utilisation des associations paraît souvent exces- effet, à cette date, bien des traitements peuvent être interrompus, ou
sive, et manifestement plus anxiolytique pour le médecin que tout au moins voir leur date d’arrêt fixée en fonction de l’évolution.
réellement utile au malade! Une monothérapie bien choisie est Le recul est en effet suffisant pour en apprécier l’efficacité et avoir
suffisante : rassemblé toutes les données bactériologiques disponibles.
La durée des traitements est cependant très mal évaluée en
• lorsque son spectre couvre correctement les principales hypothèses infectiologie de réanimation, où l’habitude, probablement excessive,
diagnostiques microbiologiques; est souvent de poursuivre les traitements pour une quinzaine de
• lorsque la souche à traiter est « très sensible » à un antibiotique jours. La quantité d’antibiotiques reçus et la durée de l’antibiothé-
diffusant parfaitement au site de l’infection et utilisé à des posolo- rapie sont pourtant significativement associées dans un certain
gies adaptées; nombre d’études à des infections nosocomiales secondaires par des
• lorsque le risque d’émergence de résistance en cours de traitement bactéries multirésistantes, ou à une plus grande prévalence de résis-
apparaît faible, du fait de l’espèce bactérienne en cause et de l’anti- tance à telle ou telle classe d’antibiotiques. C’est tout l’intérêt des
biotique utilisé. situations dans lesquelles a été démontré (pneumopathies acquises
C’est lorsque ces situations ne sont pas réunies, et particulière- sous ventilation) le bénéfice, dans la majorité des cas, de traitements
ment en début de traitement, que le recours aux associations raccourcis.
apparaît raisonnable, dans la majorité des cas pour une période Pour certains malades, la réflexion sur la durée du traitement
brève. Seules certaines infections (à entérocoques, à P. æruginosa, peut s’accompagner d’une réflexion sur l’opportunité d’un relais par
endocardites, infections prothétiques sévères, infections osseuses ou voie orale. À ce titre les FQ ont un avantage considérable par rapport
cérébrales, etc.) relèvent de bithérapies souvent prolongées. aux autres classes d’antibiotiques. Elles peuvent ainsi relayer un trai-
tement initial par des bêtalactamines.
RECONSIDÉRATION SECONDAIRE DU TRAITEMENT ÉCHEC D’UN TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE
La reconsidération secondaire du traitement doit être systéma- Il est délicat de schématiser l’attitude à avoir lorsque cet échec
tique après deux à trois jours de traitement, et constitue une base est envisagé. La réflexion peut cependant être menée selon le
importante du bon usage des antibiotiques en réanimation. Elle vise canevas suivant, dès lors que la fièvre persiste ou que des signes de
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1008 Affections et leurs traitements

sepsis grave demeurent ou apparaissent. Elle doit s’accompagner thérapeutique, ou au moins de sous-classe d’antibiotiques. Les résis-
d’un contrôle des données microbiologiques (au site de l’infection, tances aux pénicillines peuvent avoir épargné d’autres
par des hémocultures, etc.). bêtalactamines (céphalosporines de troisième génération, imipé-
nème). Il n’est pas recommandé de substituer une association
EXISTE-T-IL DES RAISONS « CLINIQUES » À L’ÉCHEC? pénicilline-inhibiteur de bêtalactamases à une autre, le différentiel
d’activité étant souvent minime. Les résistances aux céphalosporines
Ce sont les causes d’échec qui ne remettent pas en cause le sont le plus souvent associées à une résistance à l’ensemble des bêta-
choix et les modalités de l’antibiothérapie. Il peut s’agir d’un foyer lactamines, à l’exception de l’imipénème. Les résistances croisées au
chirurgical occulte (abcès, rétention purulente, etc.), de la persis- sein d’une même classe, comme chez les FQ (péfloxacine, ofloxa-
tance de l’infection sur un corps étranger, de l’existence d’un foyer cine), doivent inciter à la prudence, et faire recourir à des posologies
de thrombophlébite septique continuant à décharger malgré traite-
élevées de l’antibiotique de recours (ciprofloxacine). Certains méca-
ment, d’une endocardite méconnue, etc. L’enquête à mener fait
nismes de résistance, comme l’imperméabilité, peuvent rendre
souvent appel à l’imagerie diagnostique. Il peut s’agir d’une
compte de résistances associées dans des classes thérapeutiques
deuxième infection méconnue au départ.
différentes.

ÉCHEC ATTESTÉ
AUTRES CAUSES DE PERSISTANCE DE FIÈVRE
En cas d’échec attesté, c’est alors l’antibiothérapie qui doit être
analysée de manière critique et systématique. Il peut s’agir :
• d’une fièvre médicamenteuse, surtout si existent des signes allergi-
CHOIX INAPPROPRIÉ ques, qui peuvent cependant manquer. La fièvre est souvent bien
Il peut s’agir d’une erreur de choix pour des raisons de spectre tolérée, peut s’accompagner d’une hyperéosinophilie, ou d’autres
d’activité (souche responsable résistante), ou pour des raisons de manifestations immunoallergiques (peau, rein);
diffusion du fait de l’obtention de concentrations insuffisantes au • d’une fièvre liée à la maladie sous-jacente (néoplasie par exemple);
site de l’infection.
• d’une fièvre « inflammatoire » telle qu’observée dans des états
POSOLOGIES ET/OU MODALITÉS « cytokiniques » des malades de réanimation.
D’ADMINISTRATION INAPPROPRIÉES
Des posologies insuffisantes d’antibiotique, eu égard à la gravité POLITIQUES ANTIBIOTIQUES EN RÉANIMATION
de l’infection, à sa localisation, ou aux caractéristiques du malade
peuvent expliquer l’échec. Des concentrations insuffisantes d’anti- De 60 à 70 % des malades de réanimation reçoivent des antibio-
biotique au site de l’infection peuvent être observées, malgré des tiques. La prévalence de la résistance aux antibiotiques en
posologies adéquates. Les grandes variations de volume de distribu- réanimation est élevée. La maîtrise des résistances bactériennes passe
tion observées chez des malades de réanimation peuvent en être la par deux étapes indispensables :
cause. Ceci étant connu, les concentrations d’antibiotiques facile-
ment dosables peuvent être mesurées, et les posologies adaptées • la prévention de la transmission croisée par l’application de strictes
(aminosides, glycopeptides). Pour les autres antibiotiques à large mesures d’hygiène;
marge de sécurité les posologies peuvent être augmentées. Les moda- • la mise en place de politiques de maîtrise de l’antibiothérapie [1].
lités d’administration doivent parfois être revues pour assurer au site
de l’infection des concentrations d’antibiotiques en accord avec leur
pharmacodynamie (concentrations élevées au pic pour aminosides EXPÉRIENCES DE POLITIQUES DE MAÎTRISE
et FQ, supérieures à la CMI de manière prolongée pour bêtalacta- DE L’ANTIBIOTHÉRAPIE
mines et glycopeptides).
Elles ne sont pas particulières à la réanimation. Des politiques
BACTÉRICIDIE INSUFFISANTE de restriction antibiotique et des politiques de simple éducation ont
Ce peut être du fait du choix du traitement, du non-recours à souvent été opposées. Elles sont pourtant probablement
une association synergique comme dans le cas d’une infection à complémentaires.
entérocoque, du fait des conditions locales (inoculum élevé, pus, La restriction passe par des mesures appliquées en collaboration
acidose, anaérobiose, débris tissulaires, vascularisation insuffisante, avec les pharmaciens. Elle peut reposer sur une mise à disposition
etc.), ou d’une interférence médicamenteuse. L’antagonisme est rare, limitée de certains antibiotiques, du fait d’un « formulaire » restrictif
mais cependant possible entre un antibiotique bactéricide et un anti- ou de modalités particulières de contrôle de l’accès à certains
biotique bactériostatique. La tolérance bactérienne aux antibiotiques produits. La philosophie est donc celle de la coexistence de produits
est définie in vitro comme un déficit de bactéricidie, avec un écart de premier choix et de produits de réserve. Le risque est ici de nuire à
anormal entre CMI et CMB. La démonstration de sa réalité en la prise en charge de certains malades dans le cadre de l’urgence, et
clinique est exceptionnelle.
pour des infections sévères. Certaines études ont cependant montré
qu’un accès restreint à certains antibiotiques, ou qu’une politique
ÉMERGENCE DE RÉSISTANCE OU SURINFECTION
d’autorisation préalable nécessaire, ne modifiait ni le devenir des
Sa probabilité est élevée dans certaines infections bactériennes malades ni le temps nécessaire à la mise en route d’un traitement
de réanimation, comme les pneumopathies sous ventilation méca- approprié. Des mesures très strictes de régulation de l’accès à certains
nique ou les péritonites tertiaires. Elle doit être recherchée par des traitements conduisent les prescripteurs à se reporter vers d’autres
prélèvements microbiologiques de contrôle. Il peut s’agir de la sélec- produits, avec des effets secondaires en termes de promotion de la
tion sous traitement d’une sous-population résistante au sein de la résistance à ces mêmes produits.
population bactérienne de départ. Il peut s’agir d’une véritable surin-
fection par une autre espèce bactérienne. Dans les deux cas il faut Des propositions de rotation antibiotique ont également été
supposer que ces bactéries sont résistantes, ou au moins peu sensi- proposées (cycling). L’effet en est difficile à apprécier. Les résultats
bles, à l’antibiothérapie initiale. Des réajustements de traitement favorables observés dans certaines expériences sont d’interprétation
sont alors nécessaires. délicate, car entachés de biais liés à l’existence, puis au contrôle
La surinfection fongique, occulte ou apparente, doit être éventuel de phénomènes épidémiques contemporains de la mise en
évoquée. L’antibiothérapie prolongée et la colonisation préalable à place des mesures concernant l’antibiothérapie.
Candida sont des facteurs de risque connu. Le diagnostic de l’infec- L’éducation des prescripteurs est sûrement fondamentale. La
tion profonde est parfois difficile, si bien que certains patients mise à leur disposition, en temps réel, de l’ensemble des informa-
doivent être traités sur une base empirique. tions diagnostiques et épidémiologiques, de même que des éléments
concernant l’activité ou la tolérance des médicaments ainsi que
CHOIX D’UN TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE DE DEUXIÈME LIGNE l’état du malade (biologie rénale, hépatique, allergies, etc.) est
Il doit alors faire appel à des antibiotiques qui ne soient pas apparue, dans des systèmes informatiques hospitaliers performants,
touchés par les mécanismes de résistance en cause dans l’échec de susceptible de contribuer à une large maîtrise de l’antibiothérapie, y
l’antibiothérapie initiale. Cela oblige souvent à changer de classe compris en réanimation.
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Antibiotiques 1009

EN PRATIQUE : QUE RECOMMANDER? prescrite par la loi, de même que le croisement régulier des informa-
tions venant des unités cliniques, du laboratoire de microbiologie et
Le risque le plus important est celui de la fuite en avant et de la de la pharmacie.
spirale infernale des résistances et de l’inflation antibiotique, jusqu’à Les propositions précédentes peuvent en fait être déclinées et
l’impasse thérapeutique et l’échec. modulées de manière variable et adaptée à la situation locale. Ce qui
Des règles simples doivent permettre dans les services de réani- est à faire pour la réanimation n’est que la déclinaison de ce qui est à
mation de contribuer à une meilleure gestion de l’antibiothérapie au faire à l’hôpital et que résume la proposition n° 58 des 100 recom-
quotidien et de s’inscrire dans le développement de la qualité des mandations pour la surveillance et la prévention des infections
soins. nosocomiales (Comité technique des infections nosocomiales, 1999) :
On peut ainsi citer : « Trois grands types d’actions, généralement combinés, sont
• l’élaboration de protocoles écrits de prise en charge et de traite- préconisés : actions de formation et information, dispensation enca-
ment des infections communautaires les plus fréquentes; drée des antibiotiques, audit des pratiques de prescription dans le
• l’élaboration d’un « guide antibiotique » à usage local de l’unité, but de les comparer avec les référentiels. Un dispositif de veille phar-
car tenant compte des spécificités de recrutement et de l’épidémio- maco-épidémiologique est indispensable à l’initiation et au suivi de
logie locale propre aux malades pris en charge : ce guide doit ces actions; il est facilité par la mise en réseau des services de soins,
indiquer dans ses grandes lignes la place des produits disponibles, en de la pharmacie et du laboratoire de microbiologie ».
distinguant ceux de première ligne et ceux de recours;
• la sensibilisation et la formation régulière des plus jeunes
prescripteurs;
• la prescription systématique sous la responsabilité d’un senior; RÉFÉRENCES
• la reconsidération systématique des traitements au 2e-3e jour, puis [1] Andremont A, Brun-Buisson C, Mc Gowan Jr JE. Antibiotic therapy and
au 8e jour; control of antimicrobial resistance in hospitals. Elsevier, 1999.
• le développement des pratiques d’audit, dans le cadre de la mise en [2] Bergogne-Berezin E, Dellamonica P. Antibiothérapie en pratique clinique.
place de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP); 2e éd, Paris, Masson, 1999.
• la tenue régulière de « staffs de microbiologie clinique » avec les [3] Bergogne-Berezin E, Brogard JM. Bases biologiques de l’antibiothérapie. Paris,
Masson, 1999.
microbiologistes permettant de discuter des résultats de laboratoire [4] Bryskier A. Antibiotiques, Agents antibactériens et antifongiques., Paris,
et des traitements, de suivre les évolutions épidémiologiques; Ellipses1999.
• la collaboration avec les pharmaciens, permettant de suivre [5] Craig WA. Pharmacokinetic/pharmacodynamic parameters : rationale for
l’évolution des consommations antibiotiques et de les corréler aux antibacterial dosing of mice and men. Clin Infect Dis, 1998, 26 : 1-12.
données épidémiologiques microbiologiques. [6] Drusano GL. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of antimicrobials.
Clin Infect Dis, 2007, 45, suppl 1 : S89-S95.
Des systèmes d’information performants devraient permettre la [7] Gilbert DN, Eliopoulos GM, Moellering RC, Sande MA. The Sanford guide to
mise en place effective de la prescription nominative individuelle antimicrobial therapy. USA, Antimicrobial Therapy, Inc, edit, 2007.

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