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DIFFERENCIATION PEDOLOGIQUE

I. NOTIONS DE PEDOGENESE

La pédologie est la science des sols.

C'est l'étude de l'organisation (structures et fonctionnement) des sols, de leurs


propriétés, de leur distribution dans l'espace et de leur évolution dans le temps.

Née officiellement en 1883 en Russie, la pédologie n'a véritablement été introduite


en France qu'en 1934 par A. Demolon, de retour d'un congrès à Leningrad. De par
ses racines historiques, elle a été longtemps considérée comme une branche de la
géologie et limitée à l'étude de la formation et de l'évolution des sols (pédogenèse).

Les conceptions les plus modernes partent du constat que les véritables objets
d'étude de la pédologie sont les couvertures pédologiques, formations naturelles,
continues, tridimensionnelles, dont l'organisation et les propriétés sont en perpétuelle
évolution, en lien avec les autres facteurs du milieu et en particulier avec les
interventions de l'Homme.

Les couvertures pédologiques

Les couvertures pédologiques sont des formations naturelles dont l'existence et


l'état actuel résultent de l'évolution au cours du temps de la partie la plus superficielle
de la lithosphère sous l'action combinée de facteurs climatiques ou physiques
(températures, précipitations, gravité) et de l'activité biologique au sens large
(végétaux, animaux, micro-organismes).

Les caractères spécifiques non exclusifs des sols sont :

- une structure (organisation) particulière qui n'est pas celle de la roche


d'origine ;
- des transformations chimiques de certains minéraux hérités (altération) ;
- l'apparition de nouvelles espèces minérales (néogenèses) ;
Les couvertures pédologiques sont des volumes (presque toujours de moins de 2 m
d'épaisseur sous les climats tempérés), le plus souvent à très grande extension
latérale (dizaines de km). Elles sont circonscrites latéralement par des limites
naturelles : coulées de laves ou cendres volcaniques récentes, rivières, lacs, mers,
rebords de falaises, etc. Il existe aussi des limites d'origine humaine plus ou moins
nettes : bord de carrières, routes, terrassements, zones urbanisées.

Les couvertures pédologiques sont des continuums variant dans les trois dimensions
de l'espace. En effet, à l'intérieur de ses limites, chaque C.P. n'est pas homogène.
Selon l'axe vertical existent toutes sortes de gradients (matières organiques, taux et
nature des argiles, calcaire, agrégation et porosité), indépendants ou corrélés entre
eux, qui se combinent ou s'entrecroisent. Le constat de cette anisotropie verticale est
à l'origine du concept d'horizon.

Si l'on se déplace d'un point à un autre, on observe l'hétérogénéité latérale des


couvertures pédologiques. Les changements sont plus ou moins progressifs, plus ou
moins contrastés, ils affectent un seul caractère ou plusieurs à la fois, ils sont plus ou
moins faciles à observer ou à quantifier. Ces changements s'opèrent parfois en
quelques mètres, ou bien à l'échelle du kilomètre.

Comme elles sont traversées par des flux et que des transferts de matières s'opèrent
en leur sein, verticalement et latéralement, les couvertures pédologiques ont
tendance à se différencier progressivement dans les trois dimensions. Mais elles ne
se déplacent pas, et sont donc strictement localisées à un certain territoire. Leur
aspect et leurs propriétés en chaque point de l'espace sont la résultante de l'action
des facteurs extérieurs de leur genèse, mais aussi de leur auto-évolution
pédologique. À l'action des processus naturels s'ajoutent les effets des interventions
humaines. Chaque secteur d'une couverture pédologique a donc son histoire
spécifique qui est la cause de la grande variabilité verticale et latérale.

Les couvertures pédologiques sont des continuums hétérogènes, mais les variations
que l'on y observe ne sont pas aléatoires. On distingue plusieurs niveaux
d'organisation : celui de l'agrégat, celui de l'assemblage, celui de l'horizon et celui du
système pédologique
Couvertures pédologiques
Deux façons de subdiviser les couvertures pédologiques : en volumes homogènes, les horizons, I ; en volumes
hétérogènes correspondant à des portions de territoires, II
Organisations emboîtées

Les organisations emboîtées des couvertures pédologiques. Ordre de grandeur et techniques d'observations spécifiques.
Notion d'horizon

En chaque point de l'espace, l'observation de la morphologie d'une couverture


pédologique montre en général des différenciations selon un axe vertical. De là est
née la notion d'horizon.

Les horizons résultent de la subdivision d'une couverture pédologique en volumes


considérés comme suffisamment homogènes. Il est clair que cette homogénéité est
relative et correspond à une certaine échelle d'investigation. Elle autorise
explicitement une hétérogénéité dans le détail : agrégats distincts, différents
constituants formant le fond matriciel et les traits pédologiques.

Par leur dimension verticale, le plus souvent centimétrique à métrique, les horizons
sont directement perceptibles à l'œil nu sur le terrain.

Chaque horizon est un volume. On doit définir son contenu (constituants,


organisations, caractères, propriétés et données analytiques) mais aussi son contenu
par la description de ses limites, de son enveloppe. Sa dimension verticale la plus
petite est au moins centimétrique et souvent décimétrique, voire métrique. Ses
dimensions latérales sont au moins décimétriques et le plus souvent hectométriques
ou kilométriques. Un horizon n'est pas infini : il disparaît latéralement ou se
transforme en un autre horizon. Son extension spatiale est délimitable.

Les limites supérieures et inférieures d'un horizon sont généralement conformes à la


surface du terrain. Mais un horizon peut aussi se présenter sous la forme de lentilles,
il peut même être entièrement inclus dans un autre horizon. Les transitions entre
horizons peuvent être nettes ou plus ou moins progressives. Chaque horizon est
presque toujours associé géométriquement à d'autres horizons et lié à eux par des
relations étroites. Les limites géométriques entre horizons peuvent être des limites
dynamiques : relations pédogénétiques (évolutions longues) et relations
fonctionnelles (dynamique journalière ou saisonnière).
II. INTRODUCTION A LA DIFFERENCIATION PEDOLOGIQUE

En métallogénie de surface, la différenciation pédologique est l’un des mécanismes


les plus importants de la concentration métallifère. Elle peut soit induire directement
la formation des gisements (gisements résiduels par départ de stérile) soit créer les
conditions permettant à la différenciation sédimentaire de jouer un rôle important
après exportation vers les bassins sédimentaires des produits de l’altération. On
appellera différenciation pédologique une différenciation résultant de l’action de
l’altération superficielle et créant le développement des sols. L’altération correspond
à l’ensemble des processus conduisant à la dégradation des roches. L’importance
de la différenciation pédologique en métallogénie fut soulignée par H. ERHART
(1955) qui présenta pour la première fois le modèle de la ’’biorhexistasie’’. Ce
phénomène se développe selon ERHART sur les paysages morphologiquement
évolués, structuralement stables à l’exception de légers mouvements orogéniques et
localisés sous des climats chauds et humides qui fournissent le développement de la
forêt tropicale. Dans ces conditions, l’altération et le développement du sol se réalise
à une vitesse extrêmement grande par rapport aux échelles géologiques (une durée
de 5000 ans apparaît comme une grandeur suffisante pour développement des sols.)
cette altération peut être interprétée géochimiquement comme une séparation des
éléments chimiques de la roche mère en deux phases distinctes : une phase soluble
(ou migratrice) d’une part et une phase insoluble (ou résiduelle) d’autre part.
L’ensemble forêt-sol-profil d’altération constitue selon ERHART un véritable filtre
dont l’importance est fonction du type d’altération, de roche mère et de sol. Les
éléments de la phase migratrice (appelés aussi éléments solubles) sont représentés
par K, Na, Ca, Mg, SiO2 (liés aux silicates, etc.) et ceux de la phase résiduelle sont
constitués par les hydroxydes de fer, Al etc. Lors d’une phase biostasique c’est-à-
dire d’équilibre biologique la sédimentation des bassins océaniques alimentée par la
phase migratrice est essentiellement chimique à dominance carbonatée,
accessoirement siliceuse. En revanche lors d’une phase rhexistasique (rupture,
‘’rhexis’’ de l’équilibre biologique), la destruction de la forêt et du filtre qu’elle
entretient provoque le départ des hydroxydes et des produits résiduels qui
alimenteront les bassins. Cette destruction (ou rupture) de l’équilibre biologique peut
avoir des causes diverses : tectonique, climatique, anthropique. La différentiation
géochimique des éléments majeurs précédemment énoncés s’accompagne bien sûr
d’une différenciation géochimique des éléments traces provoquant souvent dans les
environnements sédimentaires la formation de plusieurs gisements de minéraux
utiles (cas des Reds Beds, des black shales ou Kupferschieffers et des gisements
sur inconformité des milieux carbonatés). L’importance de la différenciation
pédologique peut être illustrée par les données recueillies sur quelques exemples de
gisements issus du phénomène.

Cas des gisements de bauxites de l’Arkansas (Canada)

Ces gisements sont formés aux dépens d’un massif de syénite nephelinique. Si
nous considérons comme base la formation d’une couche de 5m de bauxite
résiduelle et en admettant que l’aluminium a un comportement purement résiduel on
constate que pour 1Km2 de bauxite, il a été exporté :

10*106t de silice

1,5*106t de FeO

0,14*106t de CaO + MgO

0,28*106t de Na2O

0,27*106t de K2O pendant que 106t de Al2O3 s’accumulent sur place.

Cas des gisements de bauxites de Weipa (Queensland Australie)

Ces bauxites se sont développées sur un grès kaolinique (à 93% de SiO2 et 3,9%
Al2O3), contre une teneur en silice de 9,9% et de l’alumine 47% dans la bauxite

Ces deux exemples montrent bien que la différenciation pédologique est l’un des
processus le plus important de la séparation des éléments utiles. On comprend ainsi
que pendant une phase d’altération comparable à celle qui régnait pendant la
formation des bauxites de l’Arkansas les apports chimiques de la phase migratrice
dans le bassin puissent marquer parfaitement la sédimentation. Ce phénomène
s’observe nettement dans les sédiments tertiaires de nombreux bassins d’Afrique où
l’on observe des associations de sépiolite-attapulgite (minéraux à déficit de silice
typique des milieux basiques) et des concentrations siliceuses. Cette sédimentation
est issue d’une altération à caractère typiquement biostasique. Si pour des raisons
quelconques cet équilibre venait à rompre il se produira un décapage de la pellicule
d’altération développant sur le continent même si les conditions climatiques restent
inchangées du fait que la vitesse d’érosion mécanique est supérieure à celle de
l’altération chimique. Le bassin sédimentaire situé en aval enregistrera alors une
sédimentation d’ultradétritiques (essentiellement formée de kaolinite +
éventuellement d’hydroxydes d’alumine) de détritiques (concrétions d’hydroxydes de
fer + éventuellement d’hydroxydes d’alumine) et de minéraux en fragments de
roches plus ou moins altérés. Ce type de sédimentation connu sous le nom de
sidérolithique peut former de fer ou de kaolin. Il correspond à la phase à caractère
typiquement « rhexistasique ».

En 1969 Y.TARDY proposa un modèle très exhaustif sur le comportement


différentiel des éléments chimiques au cours de la différenciation pédologique. Il
élabore un schéma simplifié de paysages géochimique étendus allant de la zone
équatoriale ferralitique aux zones arides et désertiques et qui se résument de la
manière suivante :

a) Zones à bauxites : Elles sont localisées sous des climats très humides et très
agressifs provoquant le lessivage de tous les éléments chimiques à l’exception
de l’Al et dans une moindre mesure du Fe et des minéraux résistants. Ces
éléments se concentrent de manière relative et forment les gisements de
bauxites constitués d’hydroxydes d’alumine. Elle renferme également des
minéraux résiduels comme le zircon, l’ilménite etc.

Les bauxites latéritiques reposent sur des roches silico-alumineuses de nature


variée, desquelles elles dérivent : syénites néphéliniques en Guinée (îles de
Los), dans l'Arkansas ; basaltes ou dolérites, en Allemagne (Vogelsberg), en
Irlande (Antrim), en Inde (trapps du Deccan), au Cameroun (Adamaoua) ;
trachytes et andésites en Malaisie (Johore, Sarawak) ; schistes sédimentaires ou
métamorphiques dans les Guyanes, en Guinée (Kindia), au Ghana ; grès
arkosiques en Australie (Queensland), etc.
Production mondiale de bauxite

Production mondiale de bauxite en 2006, en millions de tonnes (source : U.S. Geological


Survey, Mineral Commodity Summaries, janvier 2007).

b) zone à kaolinite : Elle se localise sous les climats de type tropical humide avec
des drainages importants. Le drainage provoque un lessivage complet des bases
et partiel de la silice qui le combinera alors avec l’Aluminium du profil d’altération
pour former la kaolinite.

L'érosion en milieux forestiers doit son originalité à la permanence de la chaleur


et de l'humidité. En premier lieu, cette permanence assure, dans l'attaque des
roches, la prépondérance absolue de l'altération biochimique sur les actions
mécaniques. L'eau en est l'agent essentiel, renforcé par le dioxyde de carbone
de l'atmosphère et par les acides humiques issus de la décomposition rapide de
la matière organique fournie en abondance par la puissante couverture
forestière. Selon l'acidité des roches attaquées et les conditions du drainage,
l'hydrolyse des silicates et des constituants alumino-silicatés du matériel éruptif
et métamorphique, abondant dans les boucliers tropicaux, donne divers produits
de néoformation en proportions variables, par élimination différentielle d'un grand
nombre des constituants primaires. Dans les bas-fonds marécageux dominent
les argiles du type montmorillonite (bisiallitisation), alors que celles du type
kaolinite se forment sur les versants (kaolinisation ou monosiallitisation)

c) zone à cuirasses et concrétions ferrugineuses : Elle apparaît sous un climat


tropical relativement sec par rapport aux précédents avec des saisons sèches
assez marquées. Les concrétions et cuirasses ferrugineuses abondent dans le
paysage qui concentre également le Vanadium, le Molybdène, le Titane et le
Cobalt.
Monde inter-tropical

Le monde tropical et ses limites


d) zones à concrétions manganésifères : Elle apparaît juste à l’aval des concertions
ferrugineuses dans les paysages géochimiques. Cette zone renferme fréquemment
du Pb, Sn, Cu, Ni, et Ba en quantités remarquables.

e) zones des vertisols à montmorillonite : Elles apparaissent sous les climats assez
secs de type tropical sec, avec les saisons sèches très marquées dans ces milieux.
Les bases ne sont que partiellement lessivées. En revanche l’Aluminium et la silice
se concentrent dans le profil, ils se combinent avec les éléments alcalins et alcalino-
terreux pour former la montmorillonite qui se néoforme abondamment dans le
secteur.

f) zones à concrétions ou nodules carbonatés : Elles apparaissent sous le climat


aride proche du climat désertique. Dans ce milieu les éléments très solubles
(éléments alcalins : K, Na, Rb, Li…) continuent à migrer. Le magnésium, calcium,
baryum et strontium se concentrent dans le profil et forment des concentrations
carbonatées à giobertite, dolomite, calcite etc.

g) zones à concrétions sulfatées (gypse) et concrétions salines à carbonates : Elles


apparaissent sous des climats très arides de type désertique. Ces environnements
renferment des fortes proportions de nitrates ou chlorures de Ca, Na, K, Rb, et Li.
Ainsi lorsque l’on évolue d’une zone de climat équatoriale vers une zone de climat
désertique on observe toute une succession de paysages géochimiques allant du
domaine des éléments insolubles (bauxites) vers le domaine où précipitent les
éléments les plus solubles sous forme de chlorure de nitrate et de sulfates (domaine
évaporitique). Le piégeage des éléments solubles dans les paysages géochimiques
peut être comparé à une course de franchissement d’une série d’obstacles de plus
en plus sévère lorsque le climat évolue du type équatorial vers le type désertique des
régions arides. Ces obstacles retiennent les éléments chimiques à chimiques à
différents niveaux selon le degré de mobilité propre de chaque élément. Les plus
mobiles franchiront tous les obstacles dans les régions non désertiques et seront
évacués vers les bassins sédimentaires par l’intermédiaire des eaux de ruissellement
et/ou d’infiltration.

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