Vous êtes sur la page 1sur 176

Roger-Franc¸ois GAUTHIER

Andre´ D. ROBERT

L’école
et l’argent
Quels financements pour quelles finalités ?

www.editions-retz.com
1 rue du De´part, 75014 Paris
L’École – tout comme l’éducation – est l’objet de
multiples confrontations d’idées entre profes-
sionnels de l’enseignement, de la formation et
du travail social, responsables du système édu-
catif à tous les échelons, décideurs politiques,
experts, partenaires sociaux, parents… Ces confrontations trouvent
régulièrement un écho dans les médias au travers de « débats » dont
la récurrence ne signale pas toujours la pertinence par rapport aux
défis réels à relever : absence de diagnostics fiables, ignorance des
acquis réflexifs les mieux établis, cantonnement à des stigmatisa-
tions convenues…
Cet écho est insuffisant pour éclairer la communauté éducative et
élever le niveau des connaissances communes, si précieuses pour
l’action quotidienne. Les savoirs sur l’École et sur l’éducation ne
cessent pourtant de progresser et de se diversifier, ouvrant à une
meilleure compréhension des situations passées et contempo-
raines.
La collection « Défis d’éducation » vise à mieux faire connaître ces
savoirs sur l’École. Elle a pour objectifs d’aider à structurer la
réflexion collective en questionnant les perceptions immédiates
et les représentations dépassées, de faire partager repères et
références indispensables, de cerner les questions vives qui font
réellement débat.

© Retz / S.E.J.E.R. 2005


Sommaire

Avant-propos : y a-t-il vraiment un « trésor caché » dedans ? 5

1. L’investissement « École » : comment le définir ? 9

2. La gratuité de l’enseignement en France 19

3. La gratuité dans le monde : état des lieux 29

4. Un principe de gratuité pas toujours respecté 35

5. Les familles sont-elles « gagnantes » ? 45

6. La concurrence dans l’école : jusqu’où ? 53

7. Le financement et la place des manuels scolaires 61

8. L’enseignement privé sous contrat :


un choix et une émulation 69

9. L’enseignement privé hors contrat et le soutien scolaire 83

10. Le marché parascolaire traditionnel et l’aide « en ligne » 93

11. Le prix de l’école : qui finance quoi ? 101

12. Avec les décentralisations, un financement


qui se complexifie 111

13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ? 127

14. Les coûts de la machine : quelles anomalies ? 147

15. Des mesures pour réformer le financement de l’école 157

Conclusion : repenser l’équité 165

Notes bibliographiques 172


Avant-propos :
y a-t-il vraiment un
« trésor caché » dedans ?
En 1998, le rapport à l’UNESCO de la Commission internationale sur
l’éducation au XXIe siècle, dite Commission Delors, s’intitulait : « Éduca-
tion : le trésor est caché dedans ». Le mot « caché » est sans doute, par
la référence à la fable de La Fontaine, le plus intéressant : l’« éducation »
en effet, au premier regard, face à l’urgence des problèmes de la vie,
ne nous sert directement à rien, apparaît même plutôt vaine, et l’on
peut se demander s’il « vaut » la peine d’y consacrer des ressources. « Ne
vous y fiez pas, intervient Jacques Delors, l’éducation recèle vraiment
un trésor, mais, comme dans la fable, il est caché ! »
En fait, si les Enfants du Laboureur creusèrent, fouillèrent et bêchè-
rent bien pour trouver un trésor caché, on sait que ce trésor avait ceci
de particulier qu’il naissait seulement à mesure du travail fourni, qu’il
était à la fois ce travail même et le « rapport » de ce travail, « au bout
de l’an », permettant lui-même à la fois consommation, investissement
et épargne. Comment mieux parler de la valeur polyphonique de
l’éducation ? Les hommes, dans l’organisation de leur vie individuelle
et collective, peuvent en effet, pris par l’urgence ou mal renseignés,
décider de ne consacrer ni temps ni argent à l’éducation. S’ils optent
pour la position inverse, l’idée est qu’ils trouveront d’abord un premier
trésor, immense, aussi inattendu dans l’affaire que la leçon posthume
du Laboureur à ses Enfants, et aussi impalpable, aussi proprement
« in-estimable », pour l’individu comme pour la collectivité, à savoir
l’éducation elle-même, l’étude, et pourquoi pas les savoirs, les compé-
tences, voire quelque sagesse, puis, en un second temps, des trésors,
nombrables, « résultant » de l’éducation, là encore individuels aussi
bien que collectifs, cette fois-ci beaucoup plus tangibles, et propre-
ment « monnayables », notamment en termes d’emploi.

5
L’école et l’argent

L’éducation serait donc, si l’on suit Jacques Delors, un « être » éco-


nomique complexe. Mais faut-il le suivre dans cette direction ?
Rapprocher ainsi école et argent n’est-il pas en effet proprement im-
pertinent ? N’y a-t-il pas quelque contresens sur l’éducation à poser le
rapport école-argent comme susceptible d’éclairer l’éducation elle-
même ? L’école, du grec scholè, ne désigne-t-elle pas originellement le
« loisir », pas celui de l’industrie du loisir, mais celui des activités véri-
tablement désintéressées, tandis que ce qui a rapport à l’argent, ce qui
s’oppose à ce loisir de la culture désintéressée, ce qui « nie » le loisir,
c’est en latin negotium, le négoce ?
L’histoire, de son côté, nous répète, jusqu’à une date assez récente,
que l’école et l’argent ne sont pas du même ordre, si l’on se souvient
par exemple qu’en 1810, c’est de l’ordre de 1/1000e des ressources de
la nation qui étaient consacrées à la dépense d’éducation, dans un pays
qui, pourtant, était pour l’époque développé. Notre sujet n’existait pas.
De la même façon, si, selon une approche très différente, nous
contactons le collège le plus proche pour demander à ses responsables
« combien coûte » l’établissement, nous obtiendrons peut-être le mon-
tant du budget, qui ne représente paradoxalement qu’une petite part de
l’argent que consomme le collège, puisque le poste le plus important,
à savoir les rétributions de la plupart des personnels, n’y est pas
décompté. Si nous les interrogeons sur le montant de cette dépense-là,
nos interlocuteurs, de la meilleure volonté soient-ils, trouveront la ques-
tion saugrenue, et nous donneront au mieux une indication dans une
monnaie étrange, l’« heure de cours », dont la parité avec l’euro n’est
pas fixe ! Vue du collège interrogé, l’éducation n’a ni prix, apparem-
ment, ni coût. École/argent : le rapport n’a pas d’« intérêt ».
Comment, pourtant, dans nos hésitations, ne pas considérer qu’un
quart du budget de l’État est consacré à l’éducation, essentiellement
aux titres des ministères de l’Éducation nationale et de l’Agriculture* ?

* Pour l’enseignement agricole.

6
Avant-propos : y a-t-il vraiment un « trésor caché » dedans ?

Comment comprendre que, chaque année, le coût de la rentrée, pour


les familles cette fois, occupe le haut des gazettes en septembre ?
Comment comprendre que cette famille de cadres supérieurs ait
décidé de consacrer tant de dollars cette année pour financer deux
semestres des études de sa fille dans une université américaine ? Et si
l’école et l’argent avaient en fait des surfaces d’échange beaucoup
plus vastes qu’on n’y penserait tout d’abord ? Et si l’examen de ces
surfaces d’échange, en France, en les rapportant le cas échéant à des
situations étrangères, nous aidait à réfléchir à la matière éducative,
voire à certaines décisions politiques qu’il serait souhaitable de
prendre en cette matière ?
Réfléchir au rapport école/argent en France implique de s’arrêter
d’abord à ce principe, étrange en notre monde, presque choquant, de
la gratuité : l’examiner, dans son histoire, dans sa grandeur, dans ses
limites, si l’on veut, puis montrer en quoi ce concept ne paraît plus
guère capable aujourd’hui, à l’heure où la société française est tra-
vaillée par la fracture que l’on sait, de rendre des services équivalents
à ceux du passé ; ce sera le premier objet auquel nous nous arrête-
rons. Nous nous confronterons ensuite à une interpellation envahis-
sante, celle de la concurrence, du marché et de la privatisation qui
s’immiscent de plus en plus dans la sphère scolaire. Nous considére-
rons les rapports entre l’école et l’argent tels qu’ils se manifestent,
d’une part – selon des modalités régulées – dans les secteurs du
manuel scolaire et de l’enseignement privé sous contrat, et d’autre
part – sous des formes beaucoup plus libérées de contraintes – dans
les secteurs du privé hors contrat, du commerce des cours de soutien,
du parascolaire et de la vente de services éducatifs électroniques en
ligne. Après quoi, nous nous interrogerons sur le prix de l’école en
examinant la structure des grandes dépenses, puis les financements,
leur diversité et leurs ambiguïtés, liées notamment à la décentralisa-
tion. Nous pointerons ensuite sur un certain nombre de facteurs qui

7
L’école et l’argent

peuvent « plomber » la dépense, de ceux qu’on pourrait appeler


a minima des « anomalies » situées au cœur de la machine éducative,
après avoir toutefois essayé de prendre la mesure de ce qui pourrait
être une véritable efficacité en partant du service effectivement offert,
en interrogeant les outils mêmes de la mesure et en ouvrant des pers-
pectives d’évaluation. En conclusion, nous tenterons de nous deman-
der, face au modèle de la gratuité scolaire désormais insuffisant à
penser le rapport école/argent, quelles propositions il est possible de
faire pour que ce rapport, loin de signer l’accentuation de quelque
consumérisme ou l’abandon du service public à la loi du marché, par-
ticipe au contraire de l’effort de l’école vers plus d’équité.

8
1. L’ investissement
« École » : comment le définir ?

C onsidérer l’école du point de vue de l’argent, c’est bien entendu


se demander ce qu’on peut inscrire dans la colonne des « res-
sources » et dans celle des « emplois ». Au long de l’histoire, si l’on
considère aussi bien l’individu que la société, on a inscrit des choses
très diverses dans ces deux colonnes : de l’école d’un ordre religieux
fondée sur le principe de charité au financement du précepteur de la
famille aristocratique ; de l’école communale de la IIIe République,
assurant l’instruction gratuite du peuple, au centre d’apprentis rému-
nérés en fonction d’un contrat de travail ; de la grande école de
commerce prestigieuse, imposant des frais de scolarité considérables,
à l’université d’État quasi gratuite et désargentée, tant de modèles
existent ! C’est qu’en réalité, le « bien » dont l’école permet l’acqui-
sition, ou le service dont elle permet de bénéficier, sont perçus,
selon les cas, de façons si différentes qu’on peut se demander si c’est
à raison qu’on associe ces situations sous la commune bannière
d’« école ».

L’école, quels biens ?


Longtemps, pour les sociétés classiques, ou même au commen-
cement de la révolution industrielle (début XIXe siècle), l’école restait
du seul côté de l’otium, du loisir désintéressé, et son rapport avec
l’argent n’était pas approfondi : tout au plus attendait-on de ce loisir
qu’il conforte la sélection sociale qui l’organisait. Même quand la
société fut plus mobile, on demanda encore à l’école de renforcer les

9
L’école et l’argent

hiérarchies sociales qui risquaient de s’éroder, par différents systèmes


dont on n’attendait rien d’autre : n’exerçant aucune fonction écono-
mique et assurant une simple fonction sociale qui n’était pas de former,
l’école pouvait ne pas coûter cher.
Nous sommes surpris aujourd’hui que l’idée de l’école comme
« investissement » fût totalement étrangère aussi bien au plan indivi-
duel qu’à celui de la société : elle n’avait d’ailleurs pas ce caractère
pour une classe privilégiée de plus en plus oisive et non productive.
Quant au Bourgeois Gentilhomme, il apprend fort mal des choses
inutiles, payant cher pour rien, sauf pour être ridiculisé par les nobles.
Ultérieurement, le débat public s’appesantit longtemps et ne
s’épuisa jamais sur la question de savoir si l’éducation, dont des
esprits irresponsables proposaient d’étendre le bénéfice au peuple,
n’était pas d’abord un danger politique et économique : d’abord parce
que la main-d’œuvre des enfants et des jeunes était indispensable,
aussi bien aux champs qu’à la forge ou à l’atelier, et rapportait ce dont
les familles avaient besoin pour survivre ; ensuite parce que l’éduca-
tion de ces jeunes leur était inutile à eux et potentiellement néfaste au
corps social, parce qu’elle faisait naître de vains espoirs de change-
ments de condition.
L’extension de l’éducation cessa toutefois d’être chargée d’une
valeur négative pour différents motifs : l’éducation des âmes eut sou-
dain un prix, et mérita qu’on dépense beaucoup pour elle sous la
Contre-Réforme (XVIe siècle). On se plut aussi en d’autres temps à
décrire l’avantage qu’une société conservatrice pouvait retirer d’une
dépense scolaire tournée vers le peuple, avantage mêlé de façon opti-
miste à celui qu’en pouvait retirer l’individu : c’est ainsi que Jean-
Baptiste Say (1767-1832) parlait de « ce degré habituel de prudence,
de progrès personnel, d’acceptation de l’ordre social qui permet à
chacun de se réaliser », disant que si « la société » voulait jouir de « cet
avantage », elle devait « le donner à ses frais ».

10
1. L’investissement « École » : comment le définir ?

La IIIe République trouva d’autres motifs à la dépense d’éducation


du peuple, parmi lesquels la lutte contre le socialisme après la
Commune, mais aussi celle contre le cléricalisme et encore le renfor-
cement de l’esprit national contre l’ennemi germanique.
Même de la part de ceux qui s’intéressèrent à l’économie, la
dépense scolaire comme investissement est une idée qui n’apparut
pas facilement, et Adam Smith (1723-1790) se préoccupait surtout de
la cohérence sociale que l’éducation pouvait recréer là où la division
du travail risquait de l’écorner.

Des dépenses pour quelles finalités ?


Aujourd’hui, en revanche, il est admis que les sociétés, les indivi-
dus, les entreprises, les États « dépensent » pour l’éducation, mais les
justifications de cette dépense sont plurielles, convergentes ou diver-
gentes. Ainsi s’opposent ou s’associent à la fois des arguments, clai-
rement invoqués, et des motifs plus implicites qu’on ne peut parfois
reconstituer qu’en se demandant, pour peu qu’elle soit régulière, « à
qui profite » la dépense d’éducation ?
Transmettre un héritage
On trouve d’abord l’argument selon lequel l’éducation est une
dépense justifiée pour assurer une transmission entre les générations,
un « coût d’héritage », en quelque sorte ; l’humanité est parvenue à un
certain niveau de patrimoine scientifique et culturel : protéger ce
patrimoine est indispensable, cela passe par sa transmission, et dans
de telles conditions qu’il pourra être ultérieurement développé.
Sélectionner les individus et hiérarchiser la société
Financer un système éducatif pour qu’il se charge de constituer la
hiérarchie sociale ou de la conforter est une idée rarement mise en
avant telle quelle ; c’est bien néanmoins à cela que sert la « distillation
fractionnée » des élèves et des étudiants le long de parcours complexes,

11
L’école et l’argent

de même qu’une certaine fonction culturelle de l’école dont la capacité


à exclure n’est peut-être pas un « défaut ». On peut estimer que cette
famille parisienne qui déménage pour se rapprocher du lycée Henri-IV
et faciliter à sa progéniture l’accès au Saint des Saints de l’enseignement
secondaire français n’a pas en tête, pour justifier sa prohibitive
dépense*, le développement économique ou culturel de la France. De
la même façon, le discours de milieux économiques comme une cer-
taine réalité des recrutements montrent que l’entreprise attend elle aussi
parfois de l’école qu’elle se limite à sélectionner les plus adaptés ou les
plus adaptables, plutôt que de prétendre les former, ce dont elle pré-
fère se charger elle-même. Cas particulier du rôle de l’école pour la
construction des hiérarchies sociales, la fonction de « distinction » jouée
par certaines formations a ceci de particulier qu’une dépense est effec-
tuée par l’agent, à moins que, comme c’est souvent le cas, il parvienne
à la faire prendre en charge par une collectivité publique, non pas parce
que cette formation a un contenu attirant ou apporte des compétences
dont l’agent espère qu’elles seront valorisées ailleurs, mais parce qu’elle
a la seule et simple fonction de « distinguer » celui qui y est inscrit dans
le jeu social. Un exemple : telle option de langue rare ou de langue
ancienne que l’élève abandonne dès que le fait d’y être inscrit a pu
jouer ce qu’on en attendait dans une stratégie sociale de distinction,
d’évitement de certains élèves ou de certains établissements.
Investir pour le développement économique
Pour les pouvoirs publics comme pour les milieux économiques,
un des motifs du financement de l’éducation est bien sûr le dévelop-
pement économique. L’adjectif retenu dans le contexte de la loi
d’orientation de l’éducation du 23 avril 2005**, proposant de conduire
50 % d’une classe d’âge au niveau d’un diplôme de l’enseignement
* Qui n’est pourtant pas comptabilisée dans la dépense éducative française.
** Cette disposition figurait dans le projet de rapport annexé à la loi, dont le contenu sera repris
sous forme réglementaire par le gouvernement après que le Conseil constitutionnel a déclaré
contraire à la Constitution l’article de la loi qui renvoyait à ce rapport annexé.

12
1. L’investissement « École » : comment le définir ?

supérieur, va dans le sens de l’investissement nécessaire à une société


développée à l’âge de « l’économie de la connaissance ». De fait, les
textes du processus de Lisbonne* nomment clairement la dépense
d’éducation comme une dépense d’investissement. C’est, bien sûr, une
telle présentation qui prévaut dans le rapport Delors déjà cité, ainsi
que dans la plupart des manifestes des organisations internationales,
en particulier en direction des pays en développement pour lesquels
l’investissement correspond véritablement à une épargne forcée dont
on attend un effet multiplicateur. S’il existe, bien évidemment, le lien
entre développement de l’éducation et développement économique
n’est toutefois ni chiffré ni expliqué par les spécialistes avec certitude,
et il est très variable d’une culture à l’autre, d’un niveau de dévelop-
pement à l’autre et d’un niveau scolaire à un autre : on a pu observer
qu’en certains pays le décollage économique avait précédé l’expan-
sion de l’école, qu’en d’autres il l’avait suivie.
Assurer le bon fonctionnement de la démocratie
Investissement collectif économique, l’école mérite aussi que la
société y investisse en ce qu’elle est capable d’assurer un meilleur
fonctionnement de la démocratie en élevant le niveau culturel des
individus : c’est un investissement collectif politique.
Trouver une place grâce au diplôme
Les individus, eux, malgré parfois des doutes, notamment dans les
pays en développement qui n’ont pas de capacité d’embauche suffi-
sante de diplômés d’enseignement supérieur pour faire face à une
« production » excédentaire de ces diplômés, considèrent en général
que la dépense éducative, collective comme individuelle, se justifie

* Au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, les chefs de gouvernement se sont assigné
un nouvel enjeu stratégique à l’échéance de 2010. Ils coopéreront « pour créer l’économie de
la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, permettant une croissance
économique durable associée à une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et à une
plus forte cohésion sociale ».

13
L’école et l’argent

dans la mesure où les statistiques montrent que le diplôme est une


protection assez efficace contre le chômage* ; la dépense scolaire
devient prime d’assurance.
Acquérir et développer des compétences
De façon plus courante, l’individu justifie aussi la dépense éduca-
tive par l’investissement qu’elle constitue, qu’il se charge lui-même de
la dépense ou qu’il se repose sur une collectivité pour la réaliser :
même si le rendement de cet investissement peut varier en fonction
de facteurs extérieurs à l’éducation, comme la fortune ou les relations,
l’investissement lui-même est important, s’agissant des « connaissances »
et des « compétences » qui valent par elles-mêmes, sur le marché du
travail, ou pour « apprendre à apprendre » au-delà d’elles. L’aide à la
résolution des problèmes de la vie complexe et l’acquisition des life
skills** indispensables font aussi partie de ce que les sociétés attendent
de plus en plus systématiquement de l’école.
Tant de motifs de dépenser pour l’école ! Mêlés, contradictoires. Si
contradictoires que personne ne prétendra tous les retenir, mais assez
nombreux pour qu’on puisse considérer que nos sociétés sont
condamnées pour longtemps à dépenser, et à dépenser beaucoup
pour l’école, en raison des bénéfices que les individus comme les
groupes pensent retirer de cette dépense étrange. La plupart du temps
en effet, cette dépense se situe dans quelque zone commune à l’in-
vestissement (l’école est presque toujours tendue vers des usages ou
une utilité attendue dans le futur) et une consommation qui n’épuise
pas le « bien » consommé (tout savoir que j’acquiers, même en consi-
dération de ses seuls usages futurs, a toujours pour moi un sens et

* Avec de fortes variations selon les secteurs professionnels, comme le montre l’enquête du
Cereq : « Génération 98 » in Alternatives économiques, hors-série, janvier 2005.
** Life skills, ou compétences nécessaires à la vie : on range sous cette appellation des dimen-
sions peu abordées au sein de l’école française, comme la compétence à préparer et prendre
une décision, à faire preuve d’esprit critique, à communiquer et travailler avec les autres, etc.

14
1. L’investissement « École » : comment le définir ?

une valeur dans le moment où je l’acquiers et cette acquisition ne


réduit en général en rien la possibilité qu’un autre puisse en profiter
à l’occasion d’un apprentissage spécifique).

Des dépenses pour toute la vie ?


Et pourtant ! Et pourtant, il n’est pas certain que le rapport entre la
dépense d’école et l’ensemble de la dépense de la société reste celui
que l’on connaît, c’est-à-dire un rapport d’abord tourné vers la
dépense de formation initiale, dans l’enfance et l’adolescence. A-t-on
en effet pris garde que, par elle-même, l’école joue dans une vie
humaine, en dehors même des mots financiers, une fonction d’inves-
tissement : « Cela te servira plus tard ! » n’est-il pas l’avertissement qui
résume l’école ? Or, aujourd’hui, les voix ne manquent pas qui risquent
d’autres propositions.
La formation pendant la première partie de la vie serait un modèle
dépassé : « du berceau à la tombe », c’est désormais selon ce para-
digme que devrait apprendre l’héritier de cette espèce étrange qui,
dans sa préhistoire, s’est mise à attacher aux apprentissages et aux
acquis une valeur d’autant plus grande qu’elle était de moins en moins
guidée par des instincts innés. La « formation tout au long de la vie »,
dès lors, risque d’entraîner des coûts totalement inflationnistes, dont
on ne sait pas qui va les prendre en charge ni les réguler. L’école ini-
tiale, en revanche, ne risque-t-elle pas d’être de plus en plus ramenée
à un rôle de facilitation des apprentissages de toute la vie, d’« apprendre
à apprendre », comme on dit ? Auquel cas, elle pourrait coûter beau-
coup moins cher, penseront certains, quand d’autres craindront
qu’elle limite alors les apprentissages indispensables à des instruments
étrangers à toute culture – cet autre objectif de l’école si difficile à éva-
luer en résultats, et donc à chiffrer en dépense, devant y conduire.

15
L’école et l’argent

Des dépenses superflues ?


D’autres interrogations surviennent : et si les modes les plus récents
de circulation, de présentation, de mise à disposition des savoirs ren-
daient soudain l’école superflue ? Et si Internet, mettant potentielle-
ment à disposition de chacun, à tout moment et en tous points du
monde, la totalité des savoirs humains, donnait désormais à l’école –
comme lieu onéreux à construire et à entretenir, comme temps
contraint, comme référence à un innombrable personnel permanent
désormais chargé de mettre en route le micro-ordinateur – le charme
des choses qui vont disparaître ? On a bien sûr eu les mêmes certi-
tudes lors de l’invention du cinéma, de la radio et de la télévision,
mais cette fois, l’assaut de ces idées se fait particulièrement insistant.
On sait en effet que l’e-education, dématérialisée, représente, à cer-
tains niveaux, dans certains pays et pour certains apprentissages, une
part significative de l’offre. Mais l’e-education est encore de l’éduca-
tion, avec une dépense affectée : certains, plus intégristes dans leurs
rêves, vont jusqu’à imaginer qu’Internet soit directement le lieu où
chacun va chercher la connaissance, sans avoir besoin de l’interces-
sion de sites dédiés aux enseignements... L’« école » n’aurait ainsi plus
de coût autre que celui du temps passé à apprendre, et elle disparaî-
trait des habitudes humaines...
De l’observation même de la structuration des savoirs humains et
de l’aventure de la connaissance, certains tirent d’autres arguments
contre la nécessité de l’école et de dépenser dans sa direction : les
savoirs seraient trop complexes et trop spécialisés pour qu’aucun
« savoir » soit possible. Serait arrivé le règne des « experts », c’est-à-dire
de ceux qui, face à tout besoin privé ou collectif de réponse à une
question, vont répondre à la place des personnes concernées, de la
façon la plus adaptée possible... Il faudrait, dans ces conditions, lais-
ser les différents domaines d’expertise fonctionner, et l’apprentissage
scolaire comme précaution individuelle pour faire face au besoin de

16
1. L’investissement « École » : comment le définir ?

penser le monde ou l’action à y conduire perdrait sa nécessité. Bien


plus : l’école, où l’on apprend quantité de choses sans savoir les-
quelles on aura l’occasion de mobiliser, serait un lieu de gaspillage
par excellence, face à l’expertise dont le seul coût serait celui de la
réponse à la question quand elle se pose !
Comment ne pas voir aussi qu’au moment même où nous nous
interrogeons sur l’avenir de la dépense scolaire, des industriels venus
d’horizons divers s’intéressent, y compris pour la formation initiale, à
la création de ce qui est désigné depuis une quinzaine d’années
comme « le grand marché du XXIe siècle », c’est-à-dire l’échange oné-
reux de services éducatifs sans considération des institutions ni des
territoires nationaux traditionnels ? Selon ces entrepreneurs, pourquoi
des intérêts privés ne proposeraient-ils pas des cursus d’études, béné-
ficiant des économies d’échelle que permettrait un marché mondial,
soit à des élèves individuels solvables, soit – le cas échéant, aidés par
une collectivité publique – à des entreprises ou des secteurs écono-
miques qui écriraient à la place des États les cahiers des charges des
compétences de l’Homme ? Les membres de l’ERT (European Round
Table) comme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) relaient
ainsi régulièrement des demandes de libéralisation en la matière, pro-
venant de divers acteurs économiques. Ce serait alors non pas l’école
qui courrait le risque d’un effacement programmé, mais une version
datée de celle-ci, liée à la nation, ou encore à l’idée d’« institution »,
comme à celle de légitimité publique.

N’en serions-nous pas là ? Ces réflexions seraient-elles des élucu-


brations ? A contrario, comment ne pas voir la force du modèle sco-
laire sur nos sociétés quand ce matin, à 8 h 20, tous les enfants
sillonnaient les rues du voisinage pour se rendre à leur établissement,
quand le budget de l’État voté pour 2005 lui consacre le quart de ses
dépenses ?

17
L’école et l’argent

En fait, nous ne sommes ni dans cet improbable futur sans école,


ni dans le seul présent itératif. Nous sommes confrontés à la com-
plexité des fonctions de l’école dans nos sociétés et dans le monde,
ce qui doit nous contraindre, dans la situation française, à réfléchir
aux rapports entre l’école et l’argent. Le poids de l’existant y est consi-
dérable et la marge de manœuvre faible, mais les exigences d’équité,
de qualité du développement humain et d’humanisation des savoirs
impliquent aussi de trouver comment, face aux questions du présent,
ne pas se limiter, par fatalisme, aux vieilles recettes.

18
2. La gratuité
de l’enseignement en France

L e débat sur le principe de la gratuité scolaire a hanté la fin du


XVIIIe siècle et tout le XIXe siècle. Il s’agit, en France, d’un principe
d’orientation proprement « révolutionnaire » lorsqu’il est entendu dans
son acception absolue ou intégrale, et quoiqu’il ne soit d’abord appli-
qué qu’au seul enseignement élémentaire*. C’est en effet l’Assemblée
nationale constituante qui, pour la première fois, dans la Constitution
présentée au roi le 3 septembre 1791, proclame qu’« il sera créé et
organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gra-
tuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les
hommes » (titre premier), l’article 2 de la loi du 14 septembre préci-
sant : « les écoles primaires seront gratuites et ouvertes aux enfants de
tous les citoyens sans distinction1** ». Il est vrai que, dans la suite des
événements révolutionnaires, comme cette loi scolaire (pas plus que
d’autres entre 1791 et 1800) ne sera jamais mise en œuvre, le décret
du 24 octobre 1795 ne retiendra plus le principe de la gratuité géné-
ralisée.
C’est ensuite la révolution de 1848 qui reprend le flambeau en sti-
pulant, dans l’article 13 de la Constitution du 4 novembre : « La société
favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement
primaire gratuit. » Mais on sait qu’aucun de ces régimes révolution-
naires éphémères n’a réussi à faire véritablement œuvre scolaire,

* Sauf dans la conception de Condorcet, qui élargit le principe aux degrés supérieurs dont il
prévoit l’organisation.
** Les notes bibliographiques sont regroupées en fin d’ouvrage.

19
L’école et l’argent

notamment en matière élémentaire, et l’universalisation du principe a


tardé, nourrissant, tout au long du XIXe siècle, des échanges d’argu-
ments extrêmement vifs entre républicains progressistes, se réclamant
de la Révolution, et conservateurs catholiques.

Aux origines du principe


Or, compris de façon partielle, ce même principe relève d’une
autre origine – religieuse, et plus précisément catholique ; il prend
alors une tout autre signification. Dans le contexte de la Contre-
Réforme en effet, l’intention charitable et la volonté de contrôle social
des classes indigentes constituent les piliers de la gratuité qui est
réservée à leurs enfants. Telle est la justification qu’en donne par
exemple Charles Démia (1637-1689), créant à Lyon seize écoles gratuites
de garçons et de filles pour les pauvres2. Dans le contexte contre-réfor-
mateur, plusieurs autres congrégations agissent dans le même esprit,
comme les Frères des Écoles chrétiennes fondés par J.-B. de La Salle.
Plus généralement, selon la tradition de l’Ancien Régime, les petites
écoles dépendaient de l’initiative locale et fonctionnaient conformé-
ment au dispositif de « l’écolage ». Si une fondation (de curés, de
riches et/ou de notables) n’assurait pas la totalité du fonctionnement
de l’école, les parents étaient appelés à verser directement au maître
une contribution mensuelle, dont le montant pouvait varier selon
leurs revenus, et selon le niveau de l’enseignement. En ville, cet éco-
lage est plus élevé qu’à la campagne, car l’année scolaire y est plus
longue, et les maîtres en général plus qualifiés, donc plus chers3.
Après la Révolution, on parlera de « rétribution scolaire », et non plus
d’écolage, terme d’origine médiévale ; on établira des listes de gra-
tuité, d’ailleurs toujours plus larges, ne s’adressant plus aux seuls indi-
gents, mais aussi aux orphelins et enfants trouvés (1835), aux enfants
d’instituteurs (1851), aux enfants de douaniers et de gendarmes
(1873), aux enfants de troupe (1880), etc.

20
2. La gratuité de l’enseignement en France

Compte tenu de cette évolution, certains gouvernements éprouvent


le besoin de souligner que la gratuité absolue n’est pas la politique
officielle. Ainsi, un avis du 23 décembre 1842, se référant à la loi
Guizot de juin 1833 (qui disposait que chaque conseil municipal dési-
gnerait les élèves « gratuits »), précise : « Il importe de rappeler aux
préfets que le principe général de la loi est la non-gratuité de
l’Instruction publique ; que la gratuité est l’exception ; que cette
exception ne doit être établie que dans les communes riches. » C’est
a contrario dire combien la tentation de la gratuité absolue de l’en-
seignement élémentaire parcourt le siècle, y compris dans un envi-
ronnement monarchique ou impérial. Sous l’Empire libéral, le
novateur Victor Duruy, ministre de 1863 à 1869, convaincu qu’il y a
« un intérêt social de premier ordre à mettre l’instruction primaire au
nombre des grands services publics », prend à son compte des déci-
sions favorables à la gratuité, en supprimant la règle dite « du maxi-
mum » qui fixait une limite au nombre d’élèves « gratuits » dans les
écoles publiques (1866), puis en autorisant les communes à prélever
elles-mêmes une imposition extraordinaire de « quatre centimes addi-
tionnels » à cette fin (1867). Pour autant, la gratuité n’est pas encore
dans la loi et le débat fait rage entre ses partisans et ses détracteurs.

Vers la gratuité absolue ?


Parmi les premiers, notons les arguments de Louis-Arsène Meunier
(1801-1887), cet instituteur percheron qui eut une vie professionnelle
mouvementée (il a raconté ses « tribulations ») et militante (il était par-
tisan des idées démocratiques). Dans un opuscule paru avant l’ins-
tauration de la IIIe République, L’égalité dans l’éducation par la
gratuité ou organisation démocratique de l’enseignement public 4, il
demande le bénéfice de l’admission gratuite pour tous dans les écoles
publiques : « d’abord parce que la gratuité restreinte aux pauvres a le
caractère d’aumône ; ensuite parce qu’elle engendre des difficultés

21
L’école et l’argent

inextricables dans l’application ; enfin parce qu’elle repose sur une


base fausse et injuste. » La pratique et la théorie sont d’accord pour
justifier la gratuité absolue dans les écoles publiques ; la pratique, en
montrant que l’établissement de la rétribution mensuelle engendre des
inconvénients inextricables, qu’il s’agisse soit de la fixation du taux de
cette rétribution, soit de la détermination des élèves qui doivent la
payer ; la théorie, en prouvant qu’il est aussi utile que légitime de
donner gratuitement l’instruction, même aux enfants des familles non
indigentes. Dans ce système, l’instruction est regardée, avec juste rai-
son, comme un de ces « besoins généraux auxquels l’État doit pour-
voir dans l’intérêt commun et dans celui de la civilisation ».
À l’opposé, les détracteurs développent plusieurs contre argu-
ments : l’éducation n’est pas un droit des individus et donc pas un
devoir de l’État mais une œuvre, et, s’agissant des pauvres, une œuvre
de charité, exercée par les plus riches et/ou l’Église. En rendant l’école
gratuite, la gratuité ayant partie liée avec l’obligation, l’État défait le
lien privilégié qui doit exister entre la famille et l’enfant. Ainsi, le journal
L’Univers du 28 mai 1880 n’hésite pas à écrire : « S’il y a pour le père
et la mère un devoir primordial, c’est celui d’élever leurs enfants… Or
l’instruction gratuite soustrait le père et la mère à leur première, à leur
plus chère sollicitude… L’égoïsme prendra la place de la reconnais-
sance5. » Enfin, l’argumentation économique n’est pas la moindre, pré-
tendant que la gratuité grèverait dangereusement le budget de l’État,
la pointe libérale ajoutant que la rétribution d’un service entraîne à la
fois plus d’exigence et d’implication de la part de la famille. Déjà, en
1848, le rapporteur de la commission sur l’instruction primaire,
Barthélémy Saint-Hilaire, avait fait rejeter la gratuité absolue au motif
que, « s’il est un fait constant, c’est que l’on tient fort peu à ce qu’on
reçoit de la munificence publique6 ».
Quoi qu’il en soit, au cours du XIXe siècle, la gratuité partielle
a connu une extension constante : en 1833, elle concernait 29 % de

22
2. La gratuité de l’enseignement en France

l’effectif scolaire, en 1850 39 %, en 1867 41 % et en 1877 57 %7.


Parallèlement, la rétribution scolaire n’a cessé de décroître, si bien que
le gouvernement républicain a beau jeu de montrer, dans le projet de
loi présenté par Jules Ferry, secondé par M. Lepère, ministre de
l’Intérieur, que, la marche à la gratuité étant inexorable du fait de la
volonté des communes (et donc de l’assentiment de la société), s’y
opposer est un combat d’arrière-garde, la seule question étant désormais
celle du passage encore progressif ou décidé immédiatement. La loi du
16 juin 1881 a évidemment opté pour la seconde solution, stipulant dans
son article premier : « Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans
les écoles primaires publiques, ni dans les salles d’asile publiques*. » Il
est intéressant de relever, à la lecture du projet de loi susmentionné,
que l’argumentation ne se paye pas de mots, ne se drape dans aucune
grandiloquence, s’avère même plutôt technique pour démontrer que
la nouvelle décision n’alourdira pas la charge de l’État compte tenu
des dispositions précédentes (notamment la loi Duruy de 1867) qui
établissent une relation privilégiée, y compris sur le plan financier,
entre les communes et leurs écoles.
Par le fait, l’établissement de la gratuité absolue de fréquentation
scolaire appliquée à l’enseignement primaire a institué la notion de
service public, c’est-à-dire de devoir d’État rendu – ici en matière
d’instruction et d’éducation – à tous les enfants, sans distinction de
naissance ou de fortune, selon un principe d’égalité formelle.

Les exceptions de l’enseignement secondaire


Cependant, dès l’origine, ce principe républicain de source révolu-
tionnaire a souffert des exceptions qui, à première vue, concernent
principalement l’enseignement secondaire. Celui-ci, organisé par
Bonaparte à partir de 1802, s’insérant ensuite dans le cadre de ce qui
sera l’Université impériale, est en effet payant, donc réservé à une élite

* Préfiguration des classes maternelles.

23
L’école et l’argent

restreinte, même si des bourses sont attribuées à certains élèves ;


les Républicains des années 1880 ne reviendront pas sur cet état de
fait. Il est vrai que Jules Ferry n’hésite pas à affirmer, sans soulever
alors d’opposition particulière : « Quand on arrive à l’enseignement
secondaire, il n’y a plus la même nécessité et la prétention ne serait
plus admissible si l’on disait : “Tout le monde a droit à l’enseignement
secondaire”. Non ; ceux-là seuls y ont droit qui sont capables de le
recevoir, et qui, en le recevant, peuvent rendre service à la société 8. »
D’où la perpétuation par la IIIe République, jusqu’aux années 1930, du
caractère payant de l’enseignement secondaire public (lycées et col-
lèges) assorti d’un système de bourses, obtenues sur concours, par les
élèves méritants de condition modeste. Ce n’est que sous la pression
insistante des idées défendues par les partisans de l’École unique que
des lois de finances successives supprimeront la rétribution exigée par
les établissements secondaires publics*.
D’abord esquissée en 1927 et 1928 sous conditions restrictives**, la
gratuité est instituée dans les classes de sixième par la loi de finances
du 16 avril 1930, dans celles de cinquième par la loi du 31 mars 1931,
dans celles de quatrième par une loi de l’année suivante ; enfin, le
secondaire public est rendu entièrement gratuit par la loi de finances
du 31 mai 1933 (gratuité complète des études dans tout l’enseigne-
ment secondaire).
Mais, au niveau même des premières années d’enseignement, il
existait une dérogation aux principes de l’universalité et de la gratuité
qui a de quoi surprendre. En effet, même s’ils les réformèrent (en sup-
primant l’enseignement du latin), Jules Ferry et les Républicains main-
tinrent l’existence des classes élémentaires des lycées (de la onzième
à la septième) créées par Napoléon Ier en 1809, parallèles et concur-
rentes de celles des écoles primaires et destinées aux enfants de la

* En 1929, n’y étaient scolarisés qu’environ 100 000 élèves.


** Établissements secondaires pourvus d’une école primaire supérieure ou technique annexée.

24
2. La gratuité de l’enseignement en France

bourgeoisie qui voulaient se démarquer du peuple sans recourir à


l’enseignement confessionnel, classes d’élite et… payantes. Alors
même que la gratuité est décidée dans les lycées et les collèges à par-
tir de 1930, ces classes résistent aux tentatives visant à les supprimer
(notamment pendant le Front populaire) et conservent leur caractère
payant. Leur renforcement par le régime de Vichy leur assure un nou-
veau sursaut. À nouveau officiellement supprimées par une ordon-
nance de mars 1945, c’est-à-dire en fait confondues avec des classes
primaires (circulaire d’avril 1945), elles réussissent pourtant à se main-
tenir distinctement dans les établissements secondaires jusqu’au
milieu des années 1960, quoique en ayant heureusement perdu leur
caractère payant depuis la Libération.
La Libération et les années qui suivent voient se généraliser le prin-
cipe de gratuité. L’ordonnance du 8 janvier 1945 rétablit en effet cette
gratuité – que le gouvernement de Vichy avait supprimée pour les
classes du deuxième cycle en 1941 – et l’étend aux classes prépara-
toires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur dispensé dans
les lycées ; le préambule de la Constitution d’octobre 1946, repris ulté-
rieurement – de même que la Déclaration de 1789 – dans celle de
1958, qui nous régit toujours, accueille le principe sous la forme sui-
vante : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’ins-
truction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation
de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un
devoir de l’État. » (§14) La loi Haby du 11 juillet 1975, dans son article
premier, réaffirme « la gratuité de l’enseignement durant la période de
scolarité obligatoire ». La loi d’orientation du 10 juillet 1989 n’a pas
éprouvé ce besoin. Deux articles du récent code de l’éducation pren-
nent soin de stipuler : « L’enseignement public dispensé dans les
écoles maternelles et les classes enfantines et pendant la période
d’obligation scolaire […] est gratuit. » (article L132-1) « L’enseignement
est gratuit pour les élèves des lycées et collèges publics qui donnent

25
L’école et l’argent

l’enseignement du second degré, ainsi que pour les élèves des classes
préparatoires aux grandes écoles et à l’enseignement supérieur des
établissements d’enseignement public du second degré. » (article
L132-2) On se situe là au niveau de l’affirmation du principe en son
sens strict, à savoir que la prestation du service de l’enseignement dis-
pensé dans les établissements publics au-delà même de la période de
la scolarité obligatoire est entièrement à la charge de la collectivité.

Aujourd’hui, une gratuité élargie ?


Progressivement, la notion de gratuité s’est élargie au-delà de la
prestation du seul service d’enseignement9, d’abord avec la pratique
consistant à fournir gratuitement les manuels scolaires. Bien que rien
ne leur en fasse obligation*, la plupart des communes ont pris l’habi-
tude de fournir les manuels aux élèves, ainsi que d’autres matériels
(autres types de livres et diverses fournitures de papeterie parfois,
photocopies, CD-Rom, accès Internet, etc.). Un autre aspect, extensif,
de la gratuité se manifeste donc là, mais des disparités importantes se
faisant jour entre les communes en fonction de leurs ressources
inégales et de leur politique scolaire, ces pratiques – passées dans les
mœurs et vécues à tort comme la conséquence d’un droit législatif –,
outre qu’elles abritent de sérieux défauts pédagogiques, sont loin d’as-
surer l’égalité dans tous les points du territoire. Du côté du collège,
c’est la loi Haby qui a prévu des « dispositions » destinées à assurer la
gratuité de l’enseignement. Dans les faits, cela s’est traduit, depuis
1977, par la fourniture gratuite, aux frais de l’État, des manuels dans
les collèges publics et privés sous contrat (René Haby, très attaché à
cette décision, qu’il considérait comme éminemment démocratique,
montrait beaucoup d’amertume devant les critiques reprochant plus
* Un décret du 29 janvier 1890, parlant d’affecter les « ressources provenant de la Caisse des
écoles et de la subvention de l’État […] à la fourniture gratuite des livres aux élèves indigents »
montre clairement que la fourniture des livres ne faisait pas partie de la mise en œuvre du
principe de gratuité universelle à l’école primaire.

26
2. La gratuité de l’enseignement en France

largement à sa politique scolaire d’avoir été injuste, inégalitaire).


Plusieurs problèmes ont accompagné cette introduction d’une gratuité
élargie sous la forme des manuels des collèges : celui du montant des
dotations budgétaires d’État, lié au rythme de renouvellement des col-
lections ; celui de savoir s’il devait s’agir d’un don (élément non négli-
geable pour les élèves issus de familles qui n’ont aucune culture du
livre) ou d’un prêt ; celui des cahiers d’exercices, payants, induits par
les manuels ; à partir des lois de décentralisation, celui des responsa-
bilités respectives de l’État et des conseils généraux (qui ont la charge
du matériel et des fournitures à usage collectif).
Ces dernières années, le débat s’est déplacé vers la question de la
gratuité des manuels aux lycées général et professionnel (où sont
nécessaires, en plus, des aides pour l’achat de matériels spécifiques).
À partir de 1998, quelques conseils régionaux ont inauguré une poli-
tique de gratuité des manuels, dans tout ou partie des classes de lycée
(Centre, Alsace, Aquitaine, Île-de-France, Midi-Pyrénées, Haute-
Normandie, PACA, Rhône-Alpes). Quinze autres conseils, pour la plu-
part renouvelés à l’occasion de la victoire de la gauche aux élections
du printemps 2004, ont décidé de rejoindre les régions pionnières lors
des rentrées suivantes. On trouve une variété de modalités déjà ou
bientôt mises en œuvre pour assurer cette forme de gratuité : dota-
tions aux établissements* ; achats centralisés par la région (cas du seul
Languedoc-Roussillon) ; versements directs aux familles ou aux lycéens
soit sous forme de chèques**, soit sous forme de chèques-livres ou de
cartes à puce utilisables uniquement en librairie ou dans les bourses
aux manuels organisées par les associations de parents***. La majorité
des conseils régionaux a opté pour cette solution, permettant d’acheter

* Bourgogne, Centre, Franche-Comté (combinaison avec des aides directes), Île-de-France,


Pays de Loire, PACA.
** Alsace, Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes.
*** Auvergne, Bretagne, Champagne, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Basse et
Haute-Normandie, Picardie, Rhône-Alpes.

27
L’école et l’argent

tous types de livres, pas seulement les manuels, et de maintenir un lien


entre les élèves et le monde de la librairie, comme par exemple celui
de Midi-Pyrénées qui, en novembre 2004, a infléchi sa politique de gra-
tuité en décidant le développement du « chéquier-lecture » pour les
lycéens généraux et professionnels, ainsi que pour les apprentis*.

Gratuité et équité : il faut poser la question


Ces débats autour des manuels introduisent aux questions plus
générales d’équité et de justice dans le système scolaire : que faut-il
rendre gratuit, au-delà de la prestation du service d’enseignement ? Et,
concernant cette prestation même, à partir de et jusqu’à quel niveau
– en dehors de la phase stricte d’obligation ? Qui paye et devrait
payer ? Comment ? Les moyens sont-ils à la hauteur de l’ambition pro-
clamée (sachant que, dans le cas des manuels du second cycle par
exemple, on atteint déjà un total de crédits votés par les régions de
120 millions d’euros, et que certains libraires se plaignent d’un
manque à gagner en raison du risque de lenteur des rythmes de
renouvellement d’achat des collections) ? La gratuité est-elle totale ou
partielle (dans les régions citées, ce ne sont pas toutes les classes qui
sont concernées partout) ? Est-elle bien réelle ou ne comporte-t-elle
pas des leurres en avantageant finalement les mieux lotis ? etc. De ce
rapide examen, nous avons vu ressortir, en fonction des communes,
départements et régions, des différences dans l’approche de la gra-
tuité élargie qui entament sérieusement le principe d’équité.

* Déclaration de Martin Malvy, président de la région, le 23/11/2004. Depuis 2002, le chéquier-


lecture, d’une valeur de 50 €, coûtait 10 €. Désormais, il sera entièrement gratuit, pour une
valeur de 80 € en seconde, 60 € en première et terminale, 50 € en CAP, BEP et CLIPA (appren-
tis), moins bien lotis mais bénéficiaires d’autres aides.

28
3. La gratuité dans
le monde : état des lieux

A u plan international, la Convention relative aux droits de l’enfant


(New York, 26 janvier 1990) proclame la gratuité de l’enseigne-
ment primaire et recommande fortement celle du secondaire : « Les
États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation et, en par-
ticulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur
la base de l’égalité des chances :
a) Ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;
b) Ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement
secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et
accessibles à tout enfant et prennent des mesures appropriées, telles
que l’instauration de la gratuité de l’enseignement et l’offre d’une aide
financière en cas de besoin. »
Ces recommandations valent évidemment surtout pour les pays
pauvres et en voie de développement. Parmi ceux-ci, ces dernières
années, quelques-uns ont décidé d’établir la gratuité de l’enseigne-
ment primaire, provoquant un afflux d’élèves dans les écoles, tout à
fait révélateur d’un vrai besoin, mais posant souvent de gros pro-
blèmes en termes de capacités d’accueil (faute d’anticipation et de
moyens en rapport avec l’intention). Ainsi, le Malawi en 1994,
l’Ouganda en 1996, le Cameroun en 1999, la Tanzanie en 2001, la
Zambie en 2002 et le Kenya en 2003 ont-ils aboli les droits de scola-
rité au niveau du primaire. Au Malawi, le nombre d’élèves scolarisés
est alors brutalement passé de 1,9 million à 3,2 millions (en trois
mois). « Certaines personnes ont estimé que c’était une pure folie étant

29
L’école et l’argent

donné l’état catastrophique du système avant même cette mesure […]


mais, du point de vue des droits de l’homme, peut-on priver des mil-
lions d’enfants de toute forme d’éducation, même de piètre qualité1 ? »

Une bataille toujours d’actualité


Une vaste enquête menée en 2001 pour la Banque mondiale
auprès de 79 pays de diverses régions du monde nous permet d’avoir
une vue quelque peu synthétique de l’état de la question, toujours au
niveau du seul enseignement primaire. La méthode utilisée par Raja
Bentaouet Kattan et Nicholas Burnett2 mérite d’être relevée ; ces éco-
nomistes distinguent plusieurs modulations de la notion de gratuité,
selon que celle-ci concerne les droits de scolarité proprement dits, les
frais liés aux manuels et livres scolaires, ceux relatifs au port obliga-
toire d’un uniforme, à des contributions locales (« communautaires »)
d’ordres divers, et les frais pour d’autres activités scolaires telles que
les droits d’inscription aux examens. Très rares sont les pays où aucun
de ces droits n’est perçu : des 79, seuls l’Algérie et l’Uruguay n’en
réclament aucun. Dans tous les autres cas, au moins un des cinq items
cités fait l’objet de la perception d’un droit par l’État, par l’école elle-
même ou par une autorité locale. Nous nous concentrerons ici sur la
gratuité afférente à l’autorisation de suivre une scolarité primaire dans
une école publique, ne donnant au passage, et incidemment, que
quelques éclairages sur d’autres aspects. Seulement 60 % de la totalité
des pays dans lesquels a été conduite l’enquête ne perçoivent pas de
droits de scolarité, nous indiquant ainsi que la bataille de la gratuité a
encore du sens à l’orée du XXIe siècle dans un grand nombre de pays,
d’autant plus que les chiffres et pourcentages mentionnés excluent le
secondaire.
En Afrique subsaharienne, dix États sur vingt-sept enquêtés conti-
nuent à percevoir des droits de scolarité (Bénin, Comores, Érythrée,

30
3. La gratuité dans le monde : état des lieux

Éthiopie, Lesotho, Madagascar, Mali, Maurice, Rwanda, Togo)*. Sauf


au Bénin et en Éthiopie, ceci est conforme à la législation en vigueur.
Sur les dix pays d’Asie de l’Est et de la zone pacifique pour lesquels
ont été recueillies des données, cinq exigent le règlement de droits de
scolarité : Indonésie, Vietnam, Chine, Papouasie-Nouvelle-Guinée,
Îles Salomon (ceci étant conforme à la loi dans les trois derniers pays
cités, dérogatoire dans les deux premiers). L’école primaire est en
revanche gratuite au Cambodge, au Laos, aux Philippines, en Malaisie
et en Thaïlande. Dans sept de ces États sont perçus des frais pour les
livres (excepté aux Îles Salomon, en Papouasie et aux Philippines) et
dans huit des frais pour l’uniforme scolaire obligatoire (sauf en
Indonésie et aux Îles Salomon).
Dans une partie de l’Europe de l’Est et en Asie centrale, sur douze
pays visités, l’Arménie, la Bosnie, la fédération de Russie, le Tadjikistan
et la Lituanie sont « payants », alors que l’Albanie, l’Azerbaïdjan, la
Bulgarie, la Macédoine, la Moldavie, la Roumanie et la Turquie sont
« gratuits ». La majorité de ces pays fait payer les manuels (sauf la
Russie, l’Albanie, la Bulgarie et la Roumanie).
C’est dans la zone d’enquête de l’Amérique latine et des Caraïbes
que la gratuité de fréquentation de l’école primaire publique est la
plus affirmée. Seule la Colombie perçoit des droits, là où Bolivie,
Brésil, Dominique, République dominicaine, Salvador, Grenade,
Guatemala, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama,
Paraguay, Pérou, Trinidad et Uruguay en exemptent les parents
d’élèves. En revanche, dans presque deux tiers de ces pays, des
sommes sont exigées des familles au titre de contributions locales.
En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur six États enquêtés,
quatre requièrent des droits d’entrée à l’école primaire publique :
Égypte, Jordanie, Tunisie et Yémen ; seuls l’Algérie et le Liban sont
* Nous tenons compte du fait que, depuis l’enquête, la Tanzanie est passée à la gratuité,
comme indiqué ci-dessus.

31
L’école et l’argent

sous le régime de la gratuité. Mais le Liban fait payer les familles pour
les manuels scolaires (comme l’Égypte et la Tunisie) et pour l’uni-
forme obligatoire (comme l’Égypte).
En Asie du Sud enfin, quatre pays perçoivent des droits de scola-
rité (Inde, Népal, Pakistan et Bhutan), bien que ce ne soit légal qu’au
Pakistan et au Bhutan. Les Maldives et le Bangladesh sont « gratuits »
de ce point de vue, les premières nommées faisant payer les livres (en
compagnie de l’Inde notamment) et l’uniforme (en compagnie du
Bhutan et du Pakistan).
Ce rapide panorama permet de se faire une idée de la situation
relative au point qui nous occupe dans un nombre non négligeable
de pays pauvres, en voie de développement ou émergents ; il permet
aussi de saisir la difficulté du problème quand il s’agit de parler uni-
formément de la gratuité scolaire. Pour aller vite, réitérons la néces-
sité de distinguer : entre acception stricte (portant sur le principe de
la prestation d’enseignement) et acception élargie de la gratuité
(répondant à la question : qu’est-ce que financent réellement les
familles ?) ; entre affirmation légale du principe et application effec-
tive ; entre niveaux d’enseignement auxquels s’applique la gratuité.
Mais, au-delà de ces considérations, un certain nombre de données
relatives à la situation internationale ne doivent pas être oubliées.
D’après les chiffres de l’UNICEF (2001), 115 millions d’enfants (dont
3/5e de filles) ne fréquentent jamais une école primaire, sur 180 pays
où les données sont disponibles. Pour ceux qui sont inscrits dans une
école, un sur trois ne termine pas sa scolarité dans le primaire, et un
adulte sur six est analphabète. La fréquentation généralisée et com-
plète du cycle primaire, évidemment favorisée par la gratuité*, est
donc à juste raison un combat inclus dans les objectifs du Millénaire
de l’ONU pour l’horizon 2015, dans la perspective de voir s’atténuer
la cassure entre pays développés et pays pauvres.
* Les exemples du Kenya, du Malawi et de l’Ouganda déjà cités le montrent : la suppression
des droits de scolarité provoque un afflux d’inscriptions.

32
3. La gratuité dans le monde : état des lieux

La situation de la France en Europe


S’agissant du monde occidental, et de l’Union européenne en par-
ticulier, Bernard Toulemonde relève, dans son rapport3 : « La France
[...] a maintenant été […] dépassée par nos voisins de l’Union euro-
péenne. » Nous nous situons là au niveau de l’affirmation légale et de
l’application effective du principe pendant le temps de la scolarité
obligatoire (principe entendu au sens strict, absence de perception de
droits de scolarité primaire et secondaire, et souvent au sens élargi,
incluant la gratuité des manuels et matériels pédagogiques). Dans la
totalité des pays de l’Union, y compris les dix derniers arrivés au prin-
temps 2004, la scolarité obligatoire jusqu’à 15 ans (Portugal, par
exemple), 16 ans (majorité des cas), voire 18 ans (Pologne, par
exemple) est gratuite. Parfois même, l’enseignement supérieur public
a aussi cette caractéristique (mais il n’a pas alors de caractère de
masse, comme par exemple en République tchèque)*.
L’État qui semble le plus avancé en la matière (gratuité intégrale de
l’enseignement obligatoire) est certainement la Suède, puisque ce
pays rend gratuits pendant toute cette période non seulement les
livres scolaires, mais aussi les matériels pédagogiques nécessaires et
les « autres aides requises pour une éducation moderne 4 ». Dans plu-
sieurs pays, la gratuité s’étend à tout l’enseignement secondaire, au-
delà de l’âge de l’obligation (ce qui est le cas de la France, comme on
sait) : Allemagne, Autriche, Danemark, Irlande, Italie. En Allemagne,
plusieurs Länder prêtent les manuels et matériels pédagogiques pen-
dant toute la durée de la scolarité primaire et secondaire, certains
allant même jusqu’à fournir aux élèves les outils pédagogiques cou-
rants (cahiers, stylos, etc.).
En Angleterre, le principe de la gratuité remonte à assez loin en ce
qui concerne l’enseignement primaire, puisqu’il se stabilise vers 1890,

* Cf. la base de données Eurybase.

33
L’école et l’argent

vingt ans après la décision de rendre cet enseignement obligatoire.


C’est en 1944, avec la loi Butler, que la gratuité est instaurée dans le
secondaire public, obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans, dès lors ouvert
à tous dans le cadre d’une diversité des voies (l’allongement de la sco-
larité obligatoire jusqu’à 16 ans intervenant en 1973)5. La réforme
récente décidée par le gouvernement de Tony Blair a considérable-
ment augmenté les droits de scolarité à l’université, notamment –
compte tenu de la progressivité en fonction de critères sociaux – pour
les étudiants issus des classes moyennes, obligeant un grand nombre
d’entre eux à s’endetter à hauteur de 16 000 £ en moyenne (soit envi-
ron 24 000 €) pour faire face aux frais* (ceci étant considéré par le
pouvoir comme un gage d’intérêt des étudiants pour leurs études, à
tous les sens du mot « intérêt »).
Aux États-Unis, les établissements primaires et secondaires publics
gratuits sont financés par l’impôt foncier récolté par les États, l’État
fédéral intervenant sous la forme d’une indemnité compensatoire
pour corriger les inégalités entre districts à l’intérieur d’un même État,
mais non pas entre États (très hétérogènes). Dès 1834, la Pennsylvanie
fut le premier État à garantir la gratuité dans les écoles élémentaires,
alors qu’il fallut attendre 1867 dans l’État de New York et 1868 dans
le Connecticut. Aux États-Unis, comme en Angleterre, existe aussi un
secteur privé très puissant, confessionnel ou laïque, souvent très cher.
En comparaison avec des pays de même nature, au regard de la
seule question de la gratuité et de ce qu’elle induit, par-delà ses ori-
gines historiques spécifiques, l’« exception française » n’apparaît donc
finalement pas aussi singulière que cela…

* En 2001-2002, un revenu inférieur à 31 000 € exempte de droits ; le droit maximum est de


1 700 € pour des revenus supérieurs à 47 000 €.

34
4. Un principe de gratuité
pas toujours respecté

H éritage républicain, aux frontières de plus en plus élargies, la gra-


tuité scolaire ne manquait pas, dès l’origine, malgré son apparent
succès, d’ambiguïtés, comme nous l’avons vu. En 2005, toutefois, les
réalités de la société française et de l’école sont trop éloignées de
celles de la dernière génération du XIXe siècle pour qu’il ne soit pas
inutile de se demander ce qu’est devenu ce concept de gratuité sco-
laire, et s’il est adapté ou non aux défis majeurs de cette société
comme il l’avait effectivement été à ceux de la société de la IIIe
République triomphante. Il faut alors constater à la fois que la gratuité
a toujours eu des limites dans sa mise en œuvre et qu’elle est aujour-
d’hui aussi bien le lieu d’une étrange crispation intégriste qu’incapable
d’aider l’école à lutter efficacement contre la fracture sociale, si dure,
qui marque le début du XXIe siècle comme elle pesa sur la fin du siècle
précédent.

Les dépenses à la charge des familles


La gratuité ne fut jamais complète : il y eut à la fois, sans disconti-
nuité, la présence simultanée de systèmes de financement fondés sur
d’autres logiques et des exceptions continues à l’application du principe.
Les coopératives scolaires
Tôt, dès le début du XXe siècle, on a vu, au sein de l’école publique,
se développer un mode de financement faisant appel aux ressources
des familles et ouvertement concurrent du financement municipal, à

35
L’école et l’argent

savoir le financement coopératif*. Les coopératives scolaires ont été


créées à la fin de la Première Guerre mondiale (textes fondateurs en
1928), dans la mouvance à la fois de l’idéologie de l’École unique et
de l’économie sociale : appelées aussi « foyers coopératifs », elles ont
caractérisé le milieu de l’enseignement du premier degré – c’est-à-dire
celui où était logiquement développée la gratuité – plutôt que les
autres niveaux : il s’est donc agi, paradoxalement, de pallier la modi-
cité du financement communal des écoles primaires par le recours à
la mobilisation familiale, dans le cadre de la défense et de la promo-
tion militante de l’école primaire obligatoire et gratuite.
Sous le nom de « Sou des écoles », ces coopératives tiraient leurs
ressources à la fois de contributions des familles, de subventions des
collectivités territoriales et du produit de diverses manifestations telles
que kermesses, expositions, ventes d’objets fabriqués par les élèves,
tombolas et autres. L’argent servait à financer l’« embellissement de
l’école, l’amélioration des conditions de travail, à l’organisation de la
culture artistique et des loisirs des sociétaires, au développement des
œuvres scolaires et postscolaires d’entraide et de solidarité 1 ». Créées
au niveau de la simple classe ou de l’école, ces coopératives sont
fédérées à l’échelon du département ainsi qu’au plan national au sein
de l’Office central de la coopération à l’école. En 2005, l’OCCE reven-
dique l’affiliation de près de 55 000 établissements scolaires, de la
maternelle au lycée. Ce qui est intéressant, c’est que la coopération
scolaire a rapidement été considérée par ceux qui la mettaient en
œuvre au moins autant comme une procédure pédagogique que
comme un moyen de mobiliser des ressources pour l’école. On a
insisté sur leur double intérêt : pour « contribuer à développer la
coopération entre les enseignants » et pour « favoriser au maximum la

* On ne propose pas ici d’analyse spécifique d’un autre financement scolaire autour des
Pupilles de l’École publique, qui proposent aussi depuis longtemps, à l’intérieur du système
de gratuité, un financement en direction d’enfants nécessiteux.

36
4. Un principe de gratuité pas toujours respecté

participation effective des enfants à la gestion financière de leur


coopérative tout en les initiant également à la démocratie représenta-
tive puisque, par l’intermédiaire de leurs délégués », les élèves « par-
ticiperont à la gestion de la coopérative d’école ».
Et on a même souligné leur importance pour amener les élèves à
« réfléchir sur quelques questions fondamentales : la consommation
[…], l’initiation économique, la gestion comptable, la vie associative2 ».
Il est donc extrêmement intéressant de voir dans la coopération sco-
laire un effort unique de penser les rapports culturels entre l’école et
le monde économique autrement que sur le mode de l’opposition ou
de l’ignorance.
Un risque de substitution au financement public
Deux motifs toutefois ont conduit à s’interroger sur la coopération
scolaire, qui paraît renvoyer à un état daté du fonctionnement de
l’école.
Selon les textes mêmes, la coopération scolaire a une partie offi-
ciellement liée avec les mouvements laïques militants qui se rattachent
à la Ligue française de l’enseignement, mais surtout avec le Syndicat
national des instituteurs et institutrices : on est là dans un climat de
combat, issu du début du XXe siècle, où il s’agit de défendre l’école
publique et où les fonctionnements financiers de l’école primaire
n’évitent pas toutes les confusions entre argent public, argent asso-
ciatif et militantisme.
Au fur et à mesure que les besoins de financement des écoles crois-
saient d’une part, que la population était réticente à voir les familles
financer quelque aspect que ce soit des coûts scolaires d’autre part,
on veilla de plus en plus à ce que la coopération scolaire n’inter-
vienne plus que pour des financements complémentaires et non liés
aux nécessités directes de l’enseignement.
En 2001, sous un gouvernement socialiste, une circulaire ministé-
rielle est venue rappeler qu’une coopérative « n’était pas habilitée à

37
L’école et l’argent

gérer des fonds publics » et qu’« elle n’avait pas à se substituer à la


commune dans ses compétences en matière d’équipement et de fonc-
tionnement de l’école ». Elle précise en outre qu’en aucun cas on
n’exigera des parents « de participer financièrement à la coopérative »
et qu’« aucun élève ne pourra être écarté du bénéfice d’une activité
financée par la coopérative au motif que ses parents n’auraient pas
participé ».
On peut s’interroger : la coopération scolaire, qui portait en elle à
la fois un objectif pédagogique et une idéologie de solidarité laïque,
a-t-elle démérité au point d’être ramenée à une simple infraction au
principe de gratuité, à la fois parce qu’elle dispenserait les collectivi-
tés publiques responsables de jouer leur rôle de financeur et parce
qu’elle reconnaîtrait le principe d’un certain financement par les
familles ? En tout cas, elle contribue à être un révélateur de certaines
insuffisances de la gratuité, à laquelle elle déroge indéniablement, fût-
ce sur un mode militant revendiqué.
Des bourses ou de l’aide sociale ?
Un autre système de financement des dépenses scolaires préexis-
tant à celui du financement de l’ensemble des dépenses par l’État est
le système des bourses. Leur origine est ancienne puisque, sous
l’Ancien Régime déjà, il était d’usage que l’État finance les études
(secondaires et supérieures) des jeunes aristocrates des provinces
récemment rattachées à la Couronne par des bourses individuelles
leur permettant d’aller dans une grande ville ou à Paris. Il est classique
de rappeler que Bonaparte et Robespierre ont fait leurs études grâce
à des bourses royales. De fait, les bourses financent des études
lorsque celles-ci sont payantes comme le furent les études secondaires
jusqu’au début des années 1930 : pour ce motif, la République a conti-
nué à financer ces études pour des élèves à faible niveau économique
et à bon niveau scolaire, recrutés grâce au « concours des bourses »,
mais elle n’a bien sûr jamais attribué de bourses aux élèves de l’école

38
4. Un principe de gratuité pas toujours respecté

primaire, puisque cette dernière était gratuite. Lorsque l’enseignement


secondaire est à son tour devenu gratuit, le système des bourses s’est
maintenu. Il s’est même étendu puisque différentes bourses attribuées
par des collectivités territoriales, et notamment des conseils généraux,
se sont ajoutées à des bourses d’État. Ces bourses ont de plus en plus
rarement été attribuées « au mérite » et l’ont de plus en plus souvent
été sur les seuls critères sociaux*. Du même coup, on peut se deman-
der quelle est la logique qui préside aujourd’hui à l’inexistence de
bourses à l’école primaire, puisque les bourses ne sont pour les col-
légiens qu’une aide sociale sans considération de mérite, cela alors
même que les études au collège apparaissent comme les plus com-
plètement gratuites aujourd’hui**.
Des repas diversement pris en charge
Outre l’existence de logiques concurrentes à la gratuité, reconnais-
sant les insuffisances de celle-ci, il faut souligner que la gratuité n’a
jamais couvert certaines dépenses : il n’a jamais été question qu’elle
finance, par exemple, la dépense correspondant au repas de midi, qui
est seulement partiellement subventionné par les collectivités locales
ou l’État, selon les niveaux. Cette remarque peut sembler relever
d’une conception extrême de la gratuité, et peut-être abusive, puis-
qu’on peut effectivement arguer que l’élève mangerait même s’il restait
chez lui. On peut aussi remarquer que certains pays, comme la
Finlande ou la Suède, qui ont une ambition forte pour la scolarité obli-
gatoire, ont pris ce parti d’un financement public du repas de midi,
estimant que c’était indispensable pour mettre les élèves sur un plan
d’égalité, et que c’était à la fois plus efficace pour assurer cette éga-
lité et plus simple qu’une pratique de tarifs dégressifs. On peut sur-
* La loi du 23 avril 2005 reprend l’idée d’un rapport entre financement des bourses et mérite.
** Notons, en effet, qu’aucun niveau scolaire n’a été aussi complètement pris en charge par
l’État en France que le collège, entre la loi Haby de 1975 et les lois de décentralisation des
années 1980 : investissement et fonctionnement jusqu’au financement des manuels de classe
par l’État, ce qui n’avait jamais été le cas de l’école primaire.

39
L’école et l’argent

tout se demander si, s’agissant de l’emploi des finances publiques, un


tel financement n’a pas un mérite de clarté préférable à la diversifica-
tion des financements complémentaires non affectés à des dépenses
strictement scolaires d’élèves en difficulté sociale sur condition de res-
sources tels qu’ils se sont multipliés en France.

Des infractions à la gratuité diversement ressenties


Curieusement, le principe de gratuité souffre de plus en plus d’ex-
ceptions en même temps qu’il est défendu avec de plus en plus
d’âpreté par les acteurs.
En effet, chacun sait aujourd’hui que la limitation la plus visible à
la gratuité scolaire réside dans la multiplication des dépenses impo-
sées ou fortement suggérées aux familles dans les établissements sco-
laires pour financer une grande diversité d’objets : fournitures
complémentaires, cahiers d’exercices, photocopies, livres de biblio-
thèque, petit matériel, billets de spectacle, sorties et voyages de classe.
Certaines de ces dépenses sont en développement rapide, à la fois
pour des motifs liés à la banalisation de certains procédés techniques,
comme la photocopie, et en raison de la pression croissante d’une
demande sociale.
Les voyages de classe
S’agissant des voyages de classe, par exemple, il existe souvent un
accord entre les équipes enseignantes qui les proposent et certaines
familles qui les perçoivent comme partie intégrante des activités sco-
laires. De fait, on a vu en quelques années la simple sortie d’un après-
midi pour aller casser quelques fossiles dans une carrière proche du
collège s’allonger en durée, en kilométrage, passer les frontières puis
les océans : il est aujourd’hui admis qu’une classe parte une semaine
ou dix jours à l’étranger dans le pays dont les élèves étudient la
langue, sans qu’ait jamais été étudié précisément l’impact d’un tel
voyage sur les compétences linguistiques des élèves. On peut

40
4. Un principe de gratuité pas toujours respecté

d’ailleurs se dire que, paradoxalement, la préoccupation ne semble


jamais, malgré un financement par les familles, de mettre un coût en
regard d’un bénéfice attendu ; en effet, alors qu’il est encore généra-
lement admis que l’anglais parlé dans la toute proche Grande-
Bretagne est une référence acceptable pour les élèves français, les
voyages de classe aux États-Unis ne cessent de progresser. Les États-
Unis deviennent de plus en plus souvent la Californie, puis, depuis
trois ou quatre ans, il semblerait que le seul anglais encore recevable
soit celui qu’on parle en Australie ! Les coûts sont considérables* et,
pour beaucoup de familles, existe un dilemme** – pour d’autres tout
simplement une impossibilité, malgré certaines aides – entre financer
une dépense élevée ou priver son enfant d’une occasion d’apprendre
ressentie comme irremplaçable.
On peut tirer deux enseignements de cet état de choses : les res-
ponsables de l’école rencontrent un vrai problème déontologique face
à des entreprises de ce style et, si les fédérations de parents d’élèves
sont partagées quand ces projets de voyages sont soumis aux conseils
d’administration, on peut s’étonner que des professeurs et leur hié-
rarchie soutiennent de tels projets*** ; le paradoxe est que l’ampleur
de l’infraction passe inaperçue : quelques débats en conseil d’admi-
nistration, ici ou là, n’empêchent pas de voir que de nombreuses
familles acceptent sans rechigner des exceptions considérables au
principe de gratuité, alors même que ce principe est réputé plus intan-
gible que jamais.

* On peut citer le cas d’un lycée d’une ville des Bouches-du-Rhône fortement touchée par le
chômage où les autorités d’un lycée public proposaient, en 2005, un voyage en Australie au
prix de 1 700 €.
** On verra plus loin qu’existent des modalités d’aides aux élèves nécessiteux, mais certains
voyages outrepassent les aides disponibles, ou ne sont pas éligibles à ces aides. Surtout, il est
facile de trouver des élèves de familles modestes qui renoncent à participer « pour motifs per-
sonnels », ce qui permet aux responsables d’assurer régulièrement qu’aucun élève n’a été privé
de voyage pour un motif économique. Les pauvres n’aiment pas voyager, c’est bien connu.
*** Il faut préciser que les professeurs accompagnateurs ne paient pas leur voyage et sont parfois
rétribués par différentes modalités, comme des points à gagner pour des voyages personnels.

41
L’école et l’argent

Le voyage de « distinction »
Cela signifie que ces familles au moins montrent qu’en certaines
occasions elles ne tiennent plus à ce principe, et qu’elles sont prêtes
à y renoncer au bénéfice d’autre chose : dans le contexte de concur-
rence scolaire qui existe, il n’est pas difficile de comprendre que si
l’on accepte de payer si cher pour ce voyage en Australie, dont on
n’interrogera même pas l’efficacité, c’est parce que l’on y voit un avan-
tage qui n’a sans doute pas de prix (la recherche d’une « distinction »),
expression d’un rapport consumériste à l’école.
Un type de voyage qu’on observe fréquemment dans les établisse-
ments est le voyage en classe complète de « la » bonne cinquième,
celle qui est sociologiquement composée d’élèves qui ont déjà l’habi-
tude de voyager, ou bien le voyage à Naples des seuls élèves lati-
nistes : dans les deux cas, l’utilité marginale du voyage sera faible,
puisqu’il ne profitera pas aux élèves auxquels il pourrait apporter ce
dont ils ne bénéficieront pas par ailleurs ; en revanche, le confort des
professeurs accompagnateurs ainsi que le sentiment de connivence
sociale seront maximaux.
Comme il a été dit, le paradoxe est que ce type de dérive fréquente
survient alors même que les parents d’élèves et la plupart des politiques
ont l’habitude de s’insurger immédiatement contre toute dépense impo-
sée aux élèves en général. Le discours sur la gratuité scolaire non seu-
lement n’a plus d’ennemis, mais il est devenu indépassable,
indiscutable, comme si le contenu d’une loi votée il y a 120 ans dans
un contexte très différent et avec un champ d’application limité au seul
premier degré, repris dans le Préambule de la Constitution de 1946, ren-
dait impossible une autre attitude que la crispation intégriste.
Les fournitures de rentrée et les cahiers d’exercices
Cette crispation est manifeste, par exemple, lorsque les associations
de consommateurs et de parents d’élèves confrontent avec des ser-
vices officiels leurs chiffres à propos du « coût de la rentrée », la presse

42
4. Un principe de gratuité pas toujours respecté

donnant à chaque mois de septembre la une à ce « marronnier ». La


tonalité habituelle de ces articles est que, chaque année, la rentrée
coûte plus cher, coûte trop cher aux familles et que cette dépense
n’est pas au fond justifiée, comme si elle était par elle-même une
entorse à un principe général de gratuité, non pas seulement de l’en-
seignement, mais de l’éducation des enfants tout court*. De même, les
associations de parents sont très vigilantes sur toutes les dépenses que
les écoles ou les professeurs peuvent prescrire à leurs élèves au-delà
de la liste officielle des fournitures et des manuels : c’est, par exemple,
le cas des timbres-poste ou des cahiers d’exercices de langue vivante,
qui sont souvent achetés par les élèves et « consommés » par eux,
puisque le cahier sur lequel on écrit est, à la différence des manuels,
à usage unique.
La focalisation sur ces thèmes est telle que Bernard Toulemonde,
dans son rapport de 20023, a pointé toutes les entorses au principe
avec l’objectif de proposer des solutions, d’autant que les tribunaux
administratifs sont à plusieurs reprises venus rappeler la force du prin-
cipe ; toutefois, sur les cahiers d’exercices de langue vivante, par
exemple, il est à craindre que la solution proposée par le rapport,
consistant à conseiller aux maîtres de se détourner de leur usage, n’ait
pas été très suivie, tant les professeurs considèrent que ces cahiers
sont utiles. Le coût desdits cahiers est faible (de l’ordre de 5 à 15 €) :
on est là, de la part des parents, non pas dans la recherche d’une solu-
tion acceptable (par exemple en recherchant un financement par la
collectivité territoriale de rattachement, ou par l’établissement, au
moins pour les élèves qui ne pourraient pas consentir à une telle

* Estimer le montant approximatif de cette dépense n’est pas chose facile. On se reportera à
l’étude de Sophie Genelot : « Les dépenses et pratiques éducatives familiales », IREDU, Dijon,
2001. Celle-ci s’attache en fait au coût de l’année civile dans son entier, y compris les vacances,
et non à la seule rentrée. Pour l’année 2001, les coûts totaux s’établissent ainsi, et en moyenne :
école maternelle = 106,75 € ; école élémentaire = 244,94 € ; collège = 706,27 € ; lycée =
847,12 € .

43
L’école et l’argent

dépense), mais dans la référence absolue à un principe pour lequel la


moindre entorse semble inenvisageable.
Les photocopies
Les responsables politiques nationaux perçurent si nettement l’at-
tachement des familles à la gratuité qu’ils décidèrent, en 1999, d’ins-
crire au budget de l’État des financements qui, normalement, se
rattachant aux frais de fonctionnement des établissements, auraient dû
être pris en charge par les collectivités locales : ce fut le cas des
dépenses de photocopies par versement d’une somme forfaitaire par
élève au CFC*, mais aussi des frais d’affranchissement des bulletins tri-
mestriels ou d’achat des carnets de correspondance.
La situation est donc contradictoire, où les parents d’élèves du même
collège peuvent, en septembre, s’insurger contre la dépense prescrite
d’un timbre-poste ou de 10 € pour un cahier d’exercices d’anglais, et
financer au printemps un voyage en Australie à 1 700 €.

* CFC : Centre français d’exploitation du droit de copie. Un accord intervenu en mai 2005 a
forfaitarisé les versements pour l’enseignement primaire.

44
5. Les familles
sont-elles « gagnantes » ?

O n a déjà dit en quoi le maintien d’un système de bourses à cer-


tains niveaux peut paraître d’une logique différente de celle de la
gratuité : dans les années 1990, pourtant, c’est une logique encore dif-
férente de celle des bourses qui prévalut. Les conséquences de la crise
économique et sociale étaient en effet telles qu’il apparut nécessaire
de financer sur fonds publics d’autres dépenses que certains élèves ne
pouvaient pas accomplir : on vit apparaître en quelques années l’al-
location de rentrée scolaire (ARS), attribuée sous condition de res-
sources, le fonds social lycéen (1991), le fonds social collégien (1995),
le fonds social pour les cantines (1997).

Quand l’école devient dispensatrice d’aide sociale


Avec ces fonds et financements, il ne s’agit plus de rendre gratuite
à tous la fourniture d’un service ou d’un bien, mais soit de rendre une
telle fourniture gratuite à certains (prise en charge des repas à la can-
tine pour des élèves dans le besoin), soit d’attribuer aux élèves des
fonds – sans affectation a priori, comme c’est le cas avec les bourses
– non pas sous forme monétaire, mais pour couvrir la prise en charge
de dépenses spécifiques. Personne ne peut nier l’urgence des besoins
de financement ainsi pointés, puisque, par exemple, le fonds social
pour les cantines a été créé lorsque des chefs d’établissement consta-
tèrent qu’un nombre croissant d’élèves désertait la cantine et était
privé de repas de midi faute de pouvoir le financer. Or, le choix fut
fait de financer ces fonds sur crédits d’État, au moment même où, à

45
L’école et l’argent

la suite des lois de décentralisation, les compétences en matière d’as-


sistance sociale relevaient des départements. Du coup, ces prises en
charge, de type ARS ou financement par des fonds divers, sont ren-
dues inégalitaires sur le territoire, précisément au motif de l’interven-
tion volontariste des collectivités locales pour abonder, voire doubler
ces fonds, ou pour attribuer des allocations sans condition des res-
sources. En outre, comme la répartition et le versement de ces fonds
sont confiés aux lycées et aux collèges eux-mêmes – ce qui répond
dans le principe à un souci d’intervention rapide au plus près des
besoins –, la mise en œuvre a eu pour conséquence non seulement
des solutions très disparates dans les critères d’attribution, mais sur-
tout l’embarras d’institutions, n’ayant pas vocation à réaliser la
dépense sociale, à dépenser ces fonds : on a plusieurs fois constaté
que des établissements versaient tout simplement l’essentiel de ces
sommes… au fonds de réserve.
Au final, les dépenses que ces fonds sont venus couvrir n’ont eu
progressivement qu’un lien de plus en plus lointain avec des
dépenses scolaires : est-ce bien alors le rôle de l’école de se substi-
tuer à d’autres instances et de gérer, avec les difficultés que nous
avons vues, ce type de fonds ? Cela, même s’il est avéré que la réus-
site à l’école est corrélée aux conditions plus générales de vie de l’en-
fant (importance du logement, de l’alimentation, de la santé).

Les familles et la redistribution


À la fin du XIXe siècle, les circuits financiers et les finances des
familles étaient beaucoup plus simples qu’aujourd’hui : l’impôt sur le
revenu apparaît timidement en 1917 et les allocations familiales, pour
ne citer que ces deux outils de redistribution, ne datent que de 1932.
Bien entendu, quel que soit le mode d’imposition en vigueur, la
gratuité de l’enseignement opère par elle-même une redistribution,
puisqu’un célibataire ou un ménage sans enfant financent les dépenses
éducatives des familles avec enfants. En outre, comme ceux qui ont les

46
5. Les familles sont-elles « gagnantes » ?

revenus les plus élevés payent plus d’impôts, directs ou indirects, on


peut dire que la gratuité de l’enseignement opère aussi une redistri-
bution des plus « riches » vers les plus « pauvres ».
On ne peut toutefois porter de jugement sur ces phénomènes qu’à
la condition d’interroger plus largement les systèmes de redistribution
en vigueur, car rien n’interdit a priori de penser que la redistribution
fondée sur la gratuité de l’enseignement soit neutralisée par d’autres
mouvements redistributifs1. Précisément, tandis que les dépenses sco-
laires financent des « élèves » ou des « étudiants », la collectivité s’est
aussi intéressée au financement des « enfants », c’est-à-dire qu’à la poli-
tique de gratuité scolaire s’est progressivement ajoutée une politique
de financement familial, ce qui n’a pas le même sens. De la même
façon, au cœur de la politique fiscale s’est imposée la technique du
quotient familial, qui prend aussi en compte le nombre des enfants
présents au foyer. Enfin, chacun sait qu’existent des aides, soit liées à
la scolarité, comme les bourses, soit liées à la famille, comme les aides
au logement, qui sont attribuées sous condition de ressources, c’est-à-
dire aux plus nécessiteux. Le schéma s’est donc à ce point complexi-
fié depuis Jules Ferry que la gratuité de l’enseignement n’est plus qu’un
élément dans un ensemble, plus difficile à saisir car hétérogène.
Deux questions se posent donc :
– Les redistributions de différents types vont-elles dans le même sens,
« démocratique », que la gratuité scolaire ?
– La gratuité scolaire qui s’est étendue bien au-delà de la scolarité
obligatoire fonctionne-t-elle toujours dans le même sens, « démocra-
tique » lui aussi, que la gratuité instaurée à l’origine ?
Si l’on appelle « transferts négatifs » tout ce que les familles versent
de façon obligatoire (en particulier l’impôt sur le revenu ou la contri-
bution sociale généralisée – CSG), qu’elles aient ou non des enfants,
que ceux-là soient ou non scolarisés, ces transferts négatifs se mon-
taient à 58,2 milliards d’euros en 2001.

47
L’école et l’argent

Une politique fiscale inégalitaire


Dans le même temps, les familles bénéficiaient de « transferts posi-
tifs » à la hauteur de 38,4 milliards, répartis comme suit, en euros :
• transferts liés au fait d’avoir des enfants scolarisés, comme les bourses
ou l’allocation de rentrée scolaire : ils profitent aux familles modestes
et s’élèvent à 3,7 milliards ;
• transferts liés au simple fait d’avoir des enfants : soit ils sont indé-
pendants des ressources, comme les allocations familiales, soit ils pro-
fitent surtout aux familles les plus aisées, comme le quotient familial
(9,9 milliards sur un total de 27,4 milliards) ;
• transferts familiaux divers, en direction des familles les plus modestes,
non spécifiquement tournés vers les enfants ni vers leur scolarité, mais
pouvant leur profiter : 8,3 milliards.
On constate à la fois que les transferts directement liés à la scola-
risation sont relativement peu élevés, rapportés à l’ensemble des
transferts en faveur des familles (un dixième environ) ; qu’avec des
transferts sans condition de ressources, les allocations familiales, à
hauteur de 14,3 milliards, montrent le poids d’une politique nataliste
qui ne favorise pas les scolarités mais la multiplication des enfants,
surtout dans les familles les plus défavorisées (l’avantage relatif des
allocations familiales est beaucoup plus élevé dans les familles les
plus modestes) ; surtout qu’avec la technique du quotient familial,
spécialité très inéquitable que la France partage avec peu de pays, les
allègements d’impôts consentis aux foyers avec enfants profitent, en
raison de la forte progressivité de l’impôt, surtout aux hauts revenus,
peu aux revenus moyens, pas du tout aux revenus faibles qui ne
payent pas cet impôt. C’est une « allocation sous condition de hautes
ressources », pourrait-on dire ! Ce transfert inique représente plus de
six fois le montant des bourses et de l’allocation de rentrée scolaire
réunies et un peu moins du septième du total de la dépense publique
d’éducation !

48
5. Les familles sont-elles « gagnantes » ?

On voit donc qu’indépendamment des inégalités devant l’École dif-


ficiles à dépasser, créées par les conditions culturelles des familles, la
politique fiscale de l’État finance les enfants des familles riches d’une
façon bien supérieure à tout ce qui est redistribué en direction des
familles modestes.
Politique nataliste, politique fiscale, politique éducative : les contra-
dictions sont flagrantes et on voit mal comment on pourrait traiter du
financement de la dernière sans revoir le bien-fondé des deux autres.
Des dépenses publiques qui profitent aux familles aisées
Quant à la dépense publique d’éducation, de l’ordre de 75,5 milliards
d’euros (en 2001), elle équivaut à 2,5 fois l’ensemble des transferts moné-
taires liés aux enfants, qu’ils soient ou non scolarisés. À qui profite, au
plan social, cette dépense ? Si on répartit les familles en déciles de
niveaux de vie, les enfants du premier décile bénéficient d’un transfert
(en 2001) de 4 337 € et ceux du décile le plus aisé de 5 126 € – en rai-
son essentiellement de la dépense d’enseignement supérieur, qui profite
surtout aux enfants des classes aisées, la distribution de l’ensemble des
transferts éducatifs publics est favorable aux ménages déjà favorisés, à la
fois par leur revenu et par la technique du quotient familial !
Deux autres notations renforcent ces éléments : s’agissant des
enfants des familles modestes, qui, à l’âge de la scolarité obligatoire,
reçoivent effectivement plus que la moyenne, il ne faut pas négliger
qu’une part de cette dépense en leur faveur consiste à financer des
redoublements, qui touchent beaucoup plus massivement les élèves
issus de ces milieux : c’est donc un financement « de réparation », et qui
plus est d’un type de réparation dont on connaît le caractère la plupart
du temps inefficace ; si l’on rapporte les transferts non pas aux enfants
scolarisés dans chaque cycle, mais à ceux qui devraient l’être en fonc-
tion de leur âge, on obtient les chiffres suivants2 : la dépense publique
d’enseignement supérieur pour un enfant du décile le plus modeste est
de 1 147 €, tandis que celle du décile supérieur s’élève à 4 262 € !

49
L’école et l’argent

Les leurres de la gratuité aujourd’hui


La mission de l’école est d’enseigner et d’éduquer de façon effi-
cace. On peut considérer que cette efficacité ne peut être atteinte que
si les conditions économiques des élèves sont en tous les cas amélio-
rées, mais il n’appartient pas à l’école de réaliser la redistribution ou
la justice sociale entre les familles. La « gratuité » était venue réaliser
une égalité formelle devant l’école, mais qui avait eu le mérite de per-
mettre la généralisation de l’enseignement primaire, c’est-à-dire de
l’école du peuple, dans des conditions claires.
En étendant le bénéfice de la scolarité du second degré à la tota-
lité (le collège) ou la majorité (le lycée) d’une classe d’âge, tout au
long du XXe siècle, l’État n’a pas posé de nouveau principe écono-
mique que celui qui avait prévalu pour la généralisation de l’ensei-
gnement primaire : entre l’extension progressive de la gratuité au
second degré et le maintien à ce niveau d’un système de bourses,
entre le financement de dépenses pédagogiques par l’État et l’abon-
dement des dépenses de fonctionnement par les collectivités territo-
riales, on a cru qu’on parviendrait à accompagner économiquement
les décisions politiques d’ouverture de l’enseignement secondaire aux
classes qui ne le fréquentaient pas auparavant.
Cela n’a pas été le cas : on constate aisément aujourd’hui que la
simple gratuité du service d’enseignement n’a pas suffi à faire sens ni
à « démocratiser » les études. Le problème est là : à quoi sert la gra-
tuité, faite en principe pour mettre les plus démunis au même niveau
que tous les autres, dans un système fortement inéquitable, en ce sens
qu’il ne répartit pas également les savoirs selon les conditions de for-
tune financière et sociale ? N’y a-t-il pas un leurre tendu aux classes
populaires elles-mêmes en les laissant croire qu’il suffit que la scola-
risation ne leur coûte rien ? L’impuissance de l’école à contrecarrer le
jeu des devenirs sociaux n’est pas seulement une question liée au
budget des familles, mais politique, scolaire, culturelle et sociale.

50
5. Les familles sont-elles « gagnantes » ?

La seule réponse, qui a été de mêler la dépense scolaire à des finan-


cements sociaux, comme la création des différents fonds que nous
avons évoqués, n’apparaît pas vraiment satisfaisante : elle peut laisser
croire que la démocratisation de l’enseignement est seulement une
affaire financière, qui se résoudra dans la « gratuité totale », et inciter les
familles à considérer que la dépense scolaire est une dépense comme
une autre, de consommation ordinaire. Or, s’il est vrai que – comme
nous l’avons déjà relevé – la qualité des conditions (de logement, de
santé, de culture, de loisirs et de consommation) dans lesquelles vit
l’enfant a une incidence indéniable sur son rapport à l’école3, il n’en est
pas moins vrai que la réussite scolaire suppose une mobilisation spéci-
fique, centrée sur l’institution scolaire et ses exigences propres.
La mobilisation familiale et le recours au marché scolaire
Ces dernières décennies, de nombreuses analyses ont montré l’im-
portance de la mobilisation de certaines familles sur l’école, postures
éminemment « économiques », payées de retour par un rendement
scolaire assurant à leurs enfants les meilleures positions dans les
filières les plus « classantes » et, partant, dans les emplois les plus gra-
tifiants. L’investissement a une nature double, psychologique et éco-
nomique. Si quelques familles populaires réussissent à déjouer les
obstacles de cette course à handicaps qu’est le parcours des élèves,
socialement inégaux, dans l’école hypocritement gratuite jusqu’au
terme du second degré, grâce à un surinvestissement psychologique,
et sans doute aussi à certains sacrifices financiers, il n’en reste pas
moins que l’avantage revient toujours, peut-être même de plus en
plus4, aux familles dites « favorisées », à la fois les mieux placées au
départ, les plus informées des subtilités du système, les plus valori-
sées par la plupart des procédures scolaires et les plus en mesure de
consentir aux dépenses scolaires nécessaires à maintenir ou à creuser
la différence avec « les autres ». C’est ce qui se réalise par le recours
au marché scolaire : il est temps de s’y intéresser de plus près.

51
6. La concurrence
dans l’école : jusqu’où ?

S i la gratuité a donc des limites à l’intérieur même du fonctionne-


ment ordinaire de l’école publique, il est évident que c’est par
l’existence des différents « marchés » de l’éducation qu’elle est le plus
interpellée : des marchés les plus encadrés, comme celui des manuels
scolaires ou de l’enseignement privé sous contrat, aux marchés beau-
coup plus libres, celui de l’enseignement privé hors contrat, des cours
et du commerce scolaires, celui du parascolaire et enfin celui des ser-
vices d’enseignement en ligne.
Demandons-nous, sans reprendre toutes les analyses critiques pro-
duites sur la question1, ce que signifie cette notion de concurrence en
éducation.

L’école au prisme de la concurrence


Ayant progressivement fait, depuis la Révolution française, l’objet
d’une mise au service du public (c’est-à-dire du peuple dans toutes
ses composantes) et d’une mise en service public, censé incarner l’in-
térêt général dans une institution d’État (l’École publique), éducation
et instruction constituent des biens en soi, des biens réputés non mar-
chands, gratuits, qui par principe devaient ainsi échapper à l’exposi-
tion au grand vent de la concurrence marchande. Or, celle-ci peut se
définir, étymologiquement, comme le fait de se trouver ensemble en
un même lieu et d’y entrer en rivalité relativement à un même but ;
la notion n’a donc a priori rien de condamnable, lorsqu’elle fait signe
vers cette rivalité à la loyale, et vers ce succès dû au mérite d’un des

53
L’école et l’argent

participants (d’ailleurs, la méritocratie n’est-elle pas l’idéologie offi-


cielle de l’école républicaine ?) ou – transposition en termes de mar-
ché – dû à la meilleure offre, sanctionnée par l’abondance de clients
satisfaits*.
La question des avantages et des inconvénients des notions de mar-
ché et de concurrence mérite donc d’être posée alors qu’il s’agit
d’éducation. Notons d’abord que la concurrence est une organisation
humaine délicate, qui n’a par elle-même rien de la loi de la jungle,
dans la mesure où, en général, une réglementation – d’ailleurs
publique – la protège activement, comme les exemples français et
européens le montrent. Poussons plus loin l’étonnement : en d’autres
temps ou d’autres lieux, certaines sociétés, en confiant l’éducation à
des églises ou à des États qui n’avaient pas brevet de démocratie,
n’ont-elles pas accepté une « loi du plus fort » face à laquelle précisé-
ment quelque concurrence eût été la bienvenue** ? L’éducation était
hors marché, certes, mais complice d’un ordre social et/ou politique
intangible.
Les conditions décrites par les économistes pour qu’existe un mar-
ché concurrentiel sont classiquement les cinq suivantes : existence
d’une mobilité des clients et des fournisseurs ; homogénéité du pro-
duit offert ; atomicité de l’offre (le client qui s’engage avec tel four-
nisseur pour tel achat doit rester libre de s’engager avec un autre
fournisseur pour un autre achat) ; information complète, uniforme et
garantie des fournisseurs comme des clients ; last but not least, les dif-
férents agents doivent vouloir poursuivre leur intérêt, cet intérêt doit

* Dans un marché qui peut naturellement être en partie régulé.


** Les trois termes « marché », « privé » et « concurrence » doivent-ils d’ailleurs être en perma-
nence associés ? Il est évident que non. Deux collèges publics peuvent parfaitement être en
concurrence pour attirer tel effectif ou tel type d’élèves ; une école peut très bien être privée
et être en situation de monopole de droit, sans la moindre ouverture à la concurrence ni au
marché ; des écoles peuvent être indifféremment publiques ou privées, en concurrence, et par-
faitement gratuites, ce qui n’est pas compatible avec la notion de marché, qui implique un
achat « privé » ; il peut enfin très bien y avoir un marché scolaire, mais avec une concurrence
faussée de façon plus ou moins illicite.

54
6. La concurrence dans l’école : jusqu’où ?

se dégager facilement et la transaction doit pouvoir s’effectuer par le


recours à un « pouvoir » d’achat du client. Ce sont donc bien ces ques-
tions, nécessairement abstraites, qu’il faut examiner de façon concrète
lorsqu’on parle de « marché éducatif » ou « scolaire ».
La mobilité des acteurs
Dans un modèle de marché, la concurrence entre écoles suppose-
rait, par exemple, que les élèves soient prêts, le cas échéant, à préfé-
rer faire quotidiennement du chemin pour fréquenter une autre école
que celle de la proximité. Même si cela peut surprendre, ce point est
fortement discriminant socialement ; en dehors même des frais géné-
rés, les familles dont les parents n’ont pas fait d’études ont des diffi-
cultés particulières à admettre qu’il faille se déplacer pour apprendre.
On voit bien que ce critère peut se réaliser éventuellement en zone
urbaine, beaucoup plus difficilement en zone rurale, où la distance
réduit la possibilité de choix : ce n’est pas un hasard si les deux pays
européens où la concurrence existe sous cet angle sont les Pays-Bas
et la Belgique*.
La mobilité de l’offreur d’école n’est pas plus simple à réaliser : les
coûts immobiliers et d’équipement d’une école sont souvent élevés et
il serait faux d’imaginer que l’offre scolaire peut suivre son public
potentiel comme la Cour suivait le roi !
L’homogénéité du « produit »
En principe, une offre éducative peut être homogène d’un établis-
sement à l’autre, et donc permettre la concurrence (une formation à
l’anglais pendant les quatre années de la scolarité au collège, par
exemple). Que se passe-t-il en cas de mise en concurrence ? Un éta-
blissement ne pourra étendre sa part de marché qu’en proposant ses

* Pays où la population est majoritairement urbaine, avec la Grande-Bretagne, ces pays sont
aussi ceux où les fonds publics qui financent la scolarité sont attachés à la tête de l’élève : un
élève qui change d’école, pour le public ou le privé, voyage avec sa subvention. Ce n’est pas
le cas en France.

55
L’école et l’argent

services à un prix inférieur, et cela en diminuant ses coûts de pro-


duction... Cette proposition n’a bien sûr pas beaucoup de sens s’agis-
sant d’une activité d’enseignement. Cela a pour conséquence que
l’extension de la part de marché ne peut passer que par une diffé-
renciation du produit, selon deux modalités possibles : soit les objec-
tifs fins de cette formation à l’anglais sont imposés à l’établissement,
et alors il entreprendra de rendre sa formation plus attrayante, mais
bien « différente », en jouant sur les méthodes pédagogiques utilisées
pour atteindre ces objectifs ou sur les conditions de l’enseignement
(recours à un anglophone natif, par exemple) ; soit il est libre de fixer
ses objectifs d’enseignement ou d’en rajouter aux programmes offi-
ciels, et il proposera alors carrément autre chose.
L’atomicité de l’offre
Imaginons que, dans un collège, le professeur de maths soit excel-
lent, mais que l’enseignement d’anglais laisse à désirer ; va-t-on s’ins-
crire dans un collège différent pour chaque discipline ? Au-delà même
du problème posé à chaque enfant, on sait que les fratries ont sou-
vent l’habitude de fréquenter les mêmes établissements et que, même
si des familles commencent, comme on le verra, à changer leurs
enfants d’établissement au long du cursus, on ne peut procéder ainsi
en permanence. Toute scolarité implique le respect d’une régularité et
demande d’avoir la durée pour elle. L’offre éducative n’est donc déci-
dément pas facile à emballer pour le marché ou le quasi-marché (si
l’on appelle ainsi la situation où le choix d’un usager ne se traduit pas
nécessairement par un achat en numéraire) !
L’information complète et uniforme
On sait qu’en matière éducative, l’information est complexe car elle
dépend de véritables « modèles » scolaires. Selon que vos parents ont
fait ou non des études, selon que vous avez ou non votre place dans
des réseaux d’information en général assez fermés, l’information dont

56
6. La concurrence dans l’école : jusqu’où ?

vous disposerez sur la carte des établissements entre lesquels un


choix vous est offert sera extrêmement discriminante. On peut certes
souhaiter que la puissance publique prenne en charge de diffuser à
tous une information fiable (et nous le souhaitons vivement), mais
cela risque d’être un vœu pieux, une recherche sans fin, tant réappa-
raîtra sans fin aussi une information que seuls des initiés accepteront
de partager. Le paradoxe est le suivant : si j’acquiers ce bien particu-
lier, vous ne pourrez pas l’avoir ; alors que si j’accède à une connais-
sance, rien n’empêchera que vous en disposiez aussi. Or, l’information
dont je peux disposer avant d’acheter le bien en question est en géné-
ral assez facilement disponible aux clients potentiels, alors que l’in-
formation qui me conduit à un savoir par essence partageable est
jalousement gardée par certains. L’explication du paradoxe réside sans
doute dans le fait que si le savoir peut bénéficier à autrui sans que
j’en sois privé, en fait le pouvoir auquel ce savoir peut donner accès
est une denrée rare. L’information sur l’école est donc socialement
stratégique : un système scolaire complexe, et, par exemple, concur-
rentiel, fait inévitablement le jeu du groupe dominant, qui gardera ou
produira l’information.
L’intérêt de l’acheteur et du vendeur
Comme J. Stuart Mill (1806-1873) disait qu’« il faut une longue expé-
rience de l’éducation pour apprécier l’éducation », on peut estimer que
si on laisse les différents membres d’une société totalement juges de
leur intérêt en matière scolaire, beaucoup déserteront l’école... C’est
bien parce que l’école est un curieux service public, où la collectivité
estime que chacun n’est pas nécessairement le meilleur juge de ses
intérêts, qu’a été instauré le concept de scolarité obligatoire ! Se fier
uniquement à la perception peu informée des acteurs et de leurs inté-
rêts risquerait d’entraîner de bien fâcheuses conséquences.
S’il n’est donc pas indécent – en opposition à certains interdits intel-
lectuels – de réfléchir sur l’école au prisme de la notion de concurrence,

57
L’école et l’argent

si rien dans la réalité ne s’oppose bien sûr à ce qu’un enseignement


puisse s’acheter (ce que fait, par exemple, la formation continue), cela
semble cependant extrêmement hasardeux qu’une concurrence
convenable puisse régner dans ce domaine si particulier. Bien sûr,
nous ne méconnaissons pas les avantages qui peuvent découler d’une
introduction de quelques formes de marché dans l’école : personne
ne se plaindra que l’usager-consommateur soit plus exigeant, ou son
comportement plus rationnel, même en termes d’exigence vis-à-vis de
soi-même, avec, par exemple, moins de décrochage scolaire. Il est
toutefois clair à nos yeux que la mise en concurrence de l’école est
d’abord très difficile sinon impossible à obtenir, pour les motifs rap-
pelés ci-dessus. D’autre part, autant qu’elle se réalise, elle n’entraîne
pas en général des conséquences équivalentes à celles qu’elle produit
sur un marché ordinaire, avec la fermeture de l’établissement, l’équi-
valent de l’ « unité de production » dont la clientèle aura disparu, et
les drames humains ainsi provoqués. Elle entraîne en effet plutôt le
déclassement des écoles jugées – avec de bons ou de mauvais critères
– les moins efficaces et leur dévalorisation croissante. Toutefois, tant
en raison des inerties que des jeux sociaux dominants qui ont intérêt
à ce creusement des disparités, la disparition de la « mauvaise » école
– en admettant même que cette solution soit souhaitable et économi-
quement acceptable (n’oublions pas la question des coûts immobiliers
et surtout des coûts de remplacement) – risque de prendre un temps
considérable, avec de toutes façons d’innombrables effets négatifs,
d’abord sur ceux qui seront, pour différents motifs, les derniers à quit-
ter l’école en question, c’est-à-dire sur les plus démunis.
Nous considérons donc que le caractère public de la dépense et de
l’offre scolaire est la meilleure garantie d’un service de qualité pour
l’ensemble d’une population. Il y a des territoires à l’écart, il y a des
populations exclues, il y a des élèves pour lesquels un effort plus oné-
reux doit être consenti : non seulement il est juste que ces dépenses

58
6. La concurrence dans l’école : jusqu’où ?

soient mutualisées par l’impôt, mais c’est aussi de l’intérêt de la col-


lectivité que les connaissances et les compétences soient diffusées lar-
gement et démocratiquement en son sein.

Entre monopole et concurrence : le compromis français


À rejeter le jeu de la concurrence en matière scolaire, nous ne
devons pas non plus oublier que la difficulté de la conception éta-
tique, même républicaine, réside dans la tournure monopolistique à
laquelle elle conduit d’emblée et, particulièrement lorsqu’il s’agit de
transmettre des contenus intellectuels et moraux, dans la possible
dérive dogmatique à laquelle elle risque d’entraîner. On sait bien sûr
de quoi est gros le prix à payer, d’abord en termes idéologiques, aux
régimes totalitaires, où l’État contrôle tout, interdit autre chose que la
« science officielle » et, entre autres exemples, édite lui-même les
manuels scolaires. C’est bien pour s’assurer chacun le monopole de
l’enseignement et de l’éducation que l’Église et l’État se sont livré les
formidables batailles que l’on connaît. Mais ce qui assure, à nos yeux,
l’issue heureuse de ce combat en faveur de l’État, dans la mesure où
il est démocratique, c’est le caractère de plus grande proximité des
contenus scolaires proposés par ce dernier à l’apprentissage et à l’ad-
miration des enfants (raison, vérité scientifique, progrès, etc.) avec la
notion d’universel, et sa capacité – malgré toutes les critiques dont il
fait aujourd’hui l’objet – à incarner l’intérêt général.
Si aucun des deux modèles, ni celui de l’école comme marché ni
celui de l’école monopolisée par l’État, ne peut donc être retenu tel
quel, on peut observer que, de fait, la République française – confor-
mément à sa tradition politique libérale – a fini par trouver en ce
domaine un compromis intéressant et à admettre de droit, à côté de
son école publique, une école privée, très majoritairement d’origine
catholique, en organisant, d’une certaine façon, au nom de la liberté
(revendiquée par une partie importante du peuple), sa propre concur-

59
L’école et l’argent

rence. On se situe là dans le cadre d’une concurrence régulée, au sens


où le général de Gaulle évoquait, à un autre sujet, l’idée « de com-
penser l’inconvénient de la liberté sans en perdre l’avantage2 », une
concurrence sur les marges du service public, et même une concur-
rence intégrée au service du public, moyennant un certain nombre de
garanties liées au fait que l’État dispose du monopole des programmes.
De même, et par une tradition plus ancienne, l’État n’a jamais histori-
quement été le producteur des manuels qu’il diffusait dans ses écoles ;
il a réservé au secteur marchand l’élaboration et la fabrication des
livres de classe, laissant jouer la concurrence entre les éditeurs, pour
des raisons économiques visant à maintenir et à promouvoir l’écono-
mie de marché, et sans doute aussi pour des raisons idéologiques :
étant entendu qu’il possède le contrôle de la conformité des contenus
des manuels avec les programmes*, l’État laisse néanmoins place à une
variété de conceptions pédagogiques des ouvrages.
Si, comme on va le voir, l’existence en France de l’enseignement
privé joue un rôle systémique complexe qui n’est pas celui de la mar-
chandisation de l’offre, on assiste aussi à la percée d’un marché libre
de l’école, fait d’établissements, de vente de cours et de services pri-
vés, en concurrence les uns avec les autres, et avec l’instance publique,
à une échelle encore jamais connue dans notre pays. Danger immédiat
en conséquence pour l’équité, en ce que l’égalité des élèves, même
formelle, des conditions de l’éducation, et même dans le créneau des
années de l’obligation scolaire, est désormais rompue. Danger plus
potentiel mais redoutable pour la laïcité des contenus : à partir du
moment où le seul profit serait à la base de la diffusion des biens sco-
laires, il est clair que la valeur intrinsèque de ceux-ci finirait par impor-
ter peu, ou moins, et que ce qui prédominerait serait la soumission à
la demande, éventuellement aberrante, des payeurs 3.

* En fait et non en droit : l’intérêt bien compris des éditeurs privés de manuels est de se confor-
mer aux programmes officiels pour être choisis par les enseignants.

60
7. Le financement et la place
des manuels scolaires

U ne des rares industries développées directement dans la marge


officielle de l’école, et en principe à son service, est sans conteste
celle du manuel scolaire. Sa part dans le chiffre d’affaires de l’édition
n’est pas négligeable, avec 11 % du total, après la littérature (19 %),
les livres scientifiques et les livres pratiques. Par le nombre d’exem-
plaires vendus également, le secteur du manuel arrive en deuxième
position, après les romans.
Ce sont des éditeurs privés qui constituent ce secteur : ils dépen-
dent essentiellement des deux grands groupes éditoriaux qui se par-
tagent la plus large part de l’édition française (Hachette – groupe
Lagardère – et Éditis – groupe Wendel), avec souvent des « maisons »
anciennement indépendantes, devenues des filiales internes aux
groupes, qui se font entre elles une concurrence contrôlée. Ces édi-
teurs exercent en toute liberté, certes dans le cadre des programmes
scolaires, mais, ce qui est assez rare, sans le moindre contrôle a priori
de la part des autorités scolaires sur le contenu ou la forme des
manuels.
Cette importance économique et cette liberté d’exercice laisseraient
attendre une mécanique bien huilée entre l’organisation de l’Éduca-
tion nationale et celle de l’édition scolaire. On va voir qu’il n’en est
rien et qu’au contraire les relations entre ces deux entités sont le lieu
des improvisations les plus invraisemblables, qui sont, au bout du
compte, à l’origine d’injustices bien installées dans le traitement des
élèves.

61
L’école et l’argent

Des délais de promulgation non respectés


Le premier rendez-vous traditionnellement manqué entre les édi-
teurs scolaires et l’Éducation nationale concerne les délais entre la
promulgation d’un programme et sa mise en œuvre effective. Les édi-
teurs sont des professionnels qui doivent, depuis les auteurs jusqu’aux
diffuseurs en passant par les maquettistes, les illustrateurs, les impri-
meurs, fédérer le travail de création et organiser une chaîne stricte
entre plusieurs métiers afin de produire des manuels conformes au
nouveau programme. Ils sont donc en position de dire très précisé-
ment au donneur d’ordres, en l’occurrence l’État lorsqu’il décide de
modifier les programmes scolaires, le temps nécessaire pour parvenir
à servir leurs clients de façon convenable : douze mois. C’est d’abord
l’intérêt du client que ce délai soit respecté – il a même été, par pré-
caution, fixé réglementairement. Or, l’Éducation nationale viole fré-
quemment cette règle, avec chaque fois de bonnes raisons pour
« expliquer » son retard, et avec les idées dominantes, encore que non
exprimées, que tout cela n’est pas très important, que les éditeurs sont
de toutes façons des capitalistes plutôt que des professionnels, et que
le métier d’éditeur scolaire consiste à envoyer chez l’imprimeur des
copies qu’on reçoit en forme définitive de la part des auteurs !
D’ailleurs ne manquent pas les acteurs de l’institution scolaire qui,
régulièrement, commentent la production des éditeurs en les accusant
de produire des ouvrages chers, excessivement encyclopédiques et
luxueux, et finalement trop lourds pour les épaules des enfants.
Chaque fois, les éditeurs expliquent que, si un programme est allégé
par ses concepteurs, lorsqu’ils décident, par exemple en géographie,
que l’étude de l’Inde ou du Brésil sera au choix, le manuel, lui, qui
doit permettre précisément aux classes d’exercer leur choix entre
l’étude de ces deux puissances, devra traiter aussi bien de l’Inde que
du Brésil ! Ils expliquent aussi que leur intérêt est de produire les
manuels qu’attendent ceux qui les choisissent dans les écoles, à savoir

62
7. Le financement et la place des manuels scolaires

les enseignants, et qu’ils se tiennent informés de leurs souhaits,


notamment par des réseaux de conseillers pédagogiques. Mais ces
démonstrations sont toujours à reprendre et n’ont guère d’effets au
sein du système qui persiste à porter peu de considération à ces outils
fondamentaux des classes et encore plus des élèves.

Un système de financement incohérent


Les modes de financement des manuels illustrent bien ce manque
d’attention et ce refus des autorités de mettre dans ce domaine la
cohérence qui le rendrait efficace : en effet, de l’école primaire au
lycée, trois systèmes se succèdent.
Aucune règle ne définit le financement des manuels à l’école pri-
maire, et c’est seulement par coutume que les communes acceptent
de le prendre en charge – les manuels représentant à peu près, en
moyenne, le cinquième de leurs dépenses scolaires. Le donneur
d’ordres des changements de programmes étant bien entendu l’État,
on constate que les communes ne sont en général pas informées par
l’institution des projets de renouvellement des programmes, ce qui
leur permettrait pourtant de prévoir et d’étaler leurs financements. La
conséquence la plus dommageable de cette improvisation est la très
grande dispersion de l’effort des municipalités en matière de manuels,
avec des écarts de financement par enfant de 1 à 10 selon les com-
munes. On imagine facilement les conséquences cumulées de cette
disparité de financement sur l’équipement des classes, dont certaines
sont parfois totalement dépourvues de manuels (on estime que, dans
un quart des classes de cours préparatoire, les enfants ne disposent
pas de livres pour l’apprentissage de la lecture).
Au collège, deuxième partie pourtant de la scolarité obligatoire,
les règles de financement sont tout autres, puisque, de par la loi, c’est
l’État qui s’en charge. Le département, collectivité territoriale à
laquelle sont rattachés les collèges et qui les finance pour tout le reste

63
L’école et l’argent

(sauf la rétribution des enseignants), ne contribue en rien à cette


dépense. La subvention d’État est rarement révisée et s’érode en
conséquence, mais surtout, alors que l’État est prescripteur des chan-
gements de programmes, cette subvention est fixe quel que soit leur
rythme de renouvellement. Un collège ne peut donc pas, en général,
suivre le renouvellement dans plusieurs disciplines à la fois, ce qui
entraîne un déphasage, souvent observé, entre les manuels des
enfants et les programmes en vigueur. La subvention de l’État ne per-
met en général de financer qu’environ deux livres neufs par élève et
par an (pour environ 21 €).
Au lycée, en revanche, le financement des manuels est à la charge
des familles. C’est une survivance de l’extension progressive de la gra-
tuité à partir de l’enseignement obligatoire, dont le lycée ne fait pas
partie. Toutefois, récemment, les régions, collectivités territoriales de
rattachement des lycées, se sont saisi de la question de façon volon-
taire pour combler cette exception visible au principe de la gratuité
des études : elles financent aujourd’hui l’achat des manuels des lycées,
selon des systèmes variés aux effets différents, comme nous l’avons
vu précédemment*.

Les inconvénients du système du prêt


Au-delà de l’identité du financeur, on voit toutefois que le modèle
qui s’est progressivement imposé est celui de la gratuité-prêt : les
ouvrages sont prêtés à l’élève pour la durée de l’année scolaire, ou
encore (dans la formule du financement aux familles par les régions
en lycée) l’élève achète en début d’année un ouvrage qu’il est incité
à revendre à la fin, la collectivité couvrant en quelque sorte l’écart
entre prix d’achat et prix de revente. Cette logique, qui n’est en géné-
ral pas contestée, a pourtant plusieurs inconvénients.

* Voir pp. 27-28.

64
7. Le financement et la place des manuels scolaires

Chaque fois qu’il s’agit d’un prêt organisé dans l’établissement, sou-
vent par les documentalistes du CDI, les exigences du nombre font
que les livres ne sont distribués qu’après la rentrée scolaire et sont
repris aux élèves souvent jusqu’à deux semaines avant la fin des
classes, ce qui veut dire, par exemple, que les élèves parviennent aux
dates de leurs examens en étant privés de leurs manuels. Une part du
succès des ouvrages parascolaires de bachotage s’explique par cette
indisponibilité des manuels.
Autre inconvénient : l’élève ne garde pas les livres. La conséquence
en est que, dans les familles les plus modestes, où n’existent pas de
livres de référence, l’élève ne garde rien et n’a donc, au-delà de l’an-
née scolaire en cours, aucune possibilité de se reporter à un livre por-
teur de contenus dont il pourra avoir besoin ultérieurement. Cet état
des choses comme le fait qu’il ne semble pas poser problème aux
enseignants ni aux familles sont particulièrement étonnants à une
époque où la société semble demander plus nettement à l’école d’as-
surer les fondamentaux de la connaissance et des références cultu-
relles durables. Si l’efficacité de l’école passe par sa capacité à préciser
les grands objectifs à atteindre au-dessus de la simple succession des
années scolaires, on voit mal comment on pourrait négliger plus long-
temps la question de l’outillage des élèves, notamment en livres qui
contiennent effectivement ce qu’on peut exiger d’eux, et qu’ils puis-
sent conserver ces livres d’une année sur l’autre. Le système du prêt
annuel, s’il était maintenu, serait alors particulièrement absurde et
contre-productif.
Une autre conséquence de la préaffectation des budgets aux
manuels, comme c’est le cas au collège, réside dans la rigidité de l’or-
ganisation du renouvellement : une fois un manuel « en service » dans
la collectivité, il doit servir plusieurs années de suite, en général à tous
les élèves, quels que soient les différences des classes et leurs besoins
individuels. En outre, comme les outils sur papier « consommables »,

65
L’école et l’argent

cahiers d’exercices et fichiers souvent fort utiles, ne peuvent pas être


financés sur le budget d’achat des manuels et que les familles, fermes
sur le principe de gratuité, rechignent à ce type d’achat que les ensei-
gnants ne sont plus autorisés de leur côté à prescrire, ces outils sont
souvent réservés aux élèves qui fréquentent, par exemple, des cours
particuliers. C’est une autre conséquence inégalitaire du financement
actuel des manuels.
Si l’achat des manuels obéit à ce principe peu favorable de la gra-
tuité-prêt et provoque les disparités dont il a été question, les consé-
quences en sont un sous-équipement fréquent des élèves français par
rapport à leurs homologues des pays comparables : on ne sait pas
qu’au niveau du collège, l’élève français est le plus mal traité pour ce
qui est de la dépense consentie en sa faveur en matière de manuels,
dépense qui représente les trois quarts de celle consentie en faveur
du collégien américain, la moitié du collégien norvégien, le quart du
collégien néerlandais et près du cinquième des collégiens italiens et
espagnols. Dans l’enseignement primaire, si le financement moyen
par élève équivaut à celui du Royaume-Uni, et représente les deux
tiers de celui de l’Allemagne, il n’atteint que la moitié de celui de la
plupart des pays comparables.

Reconsidérer la place des manuels à l’école


Quand on interroge les acteurs du système français sur les origines
de ce manque d’intérêt pour l’outillage des élèves, ou au moins de la
méconnaissance des outils, on est renvoyé à plusieurs idées qui para-
sitent l’ensemble du dossier des manuels scolaires parce qu’elles res-
tent le plus souvent inexprimées.
L’une de ces idées est que le coût de ces manuels serait prohibitif.
Elle rejoint bien sûr la méconnaissance de ce qu’est l’élaboration de ces
objets dont la consultation comme l’évocation des fonctions qui sont
attendues de lui par les maîtres nous montrent en fait la complexité.

66
7. Le financement et la place des manuels scolaires

La réalité est la suivante : en moyenne, pour un manuel de 15 €, on


peut considérer que 5 € vont au libraire, 4 à la fabrication (composi-
tion, impression, reliure), 2 à la diffusion, 1,5 à la promotion, 1,5 aux
auteurs et illustrateurs et 1 € à l’entreprise d’édition. Les éditeurs de
manuels scolaires, rassemblés au sein de l’association Savoir livre, font
valoir – non sans quelque pertinence – qu’alors que le prix Goncourt,
qui représente fréquemment entre 200 et 300 pages en impression
noir et blanc, est en vente à un prix proche de 20 €, on a, pour un
prix souvent inférieur, des manuels de plus de 300 pages, pleins d’illus-
trations, de photographies et de cartes en couleur.
Une autre idée est que les manuels n’auraient pas d’intérêt péda-
gogique véritable, qu’ils seraient la survivance de conceptions pres-
criptives de l’enseignement ou l’enseignant ne ferait que suivre à la
lettre les recettes que le « livre du maître » lui propose en regard du
manuel destiné aux élèves. Depuis les années 1960, les pédagogies les
plus valorisées au sein même de l’institution étaient souvent celles qui
faisaient fi des outils préconçus et par lesquelles chaque maître était
censé élaborer lui-même ses propres outils.
On pourrait adhérer à cette conception, d’apparence sympathique,
si on n’en voyait pas, avec le recul, les deux conséquences domma-
geables : la plupart du temps, dans l’enseignement primaire d’abord,
le recul du manuel a signifié la disparition du livre, qui ne parvenait
plus entre les mains des enfants, et le début du règne de la photoco-
pie. On estime que, dans les écoles, le seul coût du papier pour la
photocopie atteint la moitié du budget consacré aux manuels. Les
maîtres demandent en effet plus souvent aux maires le financement
en photocopieuses qu’en manuels d’enseignement. Sans parler ici des
aspects juridiques du photocopillage de différents... manuels par les
maîtres eux-mêmes, on ne peut qu’en constater les effets pédago-
giques négatifs, puisque les cartables des enfants sont devenus les
réceptacles de feuillets souvent très déficients au plan formel, privilé-

67
L’école et l’argent

giant une approche désordonnée des matières enseignées par rapport


au suivi méthodique cohérent d’un seul livre. Les dernières instruc-
tions pour l’école primaire (2002) sont venues rappeler toute l’impor-
tance, surtout pour les élèves les moins à l’aise dans les
apprentissages, de disposer de livres, et en particulier de manuels.
L’autre conséquence de la minoration du rôle du manuel a été, en
France, l’extraordinaire développement du marché des outils parasco-
laires, qui, discipline par discipline, niveau par niveau, « doublent » les
manuels délaissés. L’hypocrisie est donc manifeste : les écoles et les
enseignants se détournent quelque peu des manuels dont l’institution
ne parvient pas à assurer convenablement ni équitablement le finan-
cement au sein du principe de gratuité, appliqué strictement dans des
établissements qui s’interdisent de demander aux familles des achats
complémentaires, tandis que le marché des ouvrages parascolaires
fleurit en France plus que partout ailleurs, proposant donc aux
familles, sans le moindre contrôle, des dépenses qui placent les élèves
dans les conditions les plus inégalitaires*.

* Voir nos analyses ci-après, p. 93 et sq.

68
8. L’enseignement
privé sous contrat :
un choix et une émulation

C omme nul ne l’ignore, il existe en France, concurremment à l’en-


seignement public, un enseignement privé en partie financé par
l’État. « Privé » désigne ici des établissements à caractère généralement
confessionnel, parfois appelés « libres », et non pas à caractère stricte-
ment commercial ; il s’agit, en réalité, d’écoles catholiques à plus de
90 %. Nous examinerons ici les conditions historiques et juridiques
ayant présidé à la stabilisation des rapports de cet enseignement avec
son concurrent du public, et surtout nous essaierons de déterminer
combien il coûte aux familles qui le choisissent.

Deux types d’association avec l’État


Après des décennies de lutte acharnée, c’est la loi Debré du 31
décembre 1959 qui est venue tenter de pacifier les relations
public/privé et établir les grandes lignes d’un règlement de la ques-
tion. Michel Debré, Premier ministre, faisant alors aussi provisoire-
ment fonction de ministre de l’Éducation nationale, avance l’idée – en
s’appuyant sur les travaux d’une commission – qu’un établissement
d’enseignement privé est en droit de solliciter et d’obtenir une aide de
l’État à condition d’accepter en retour un contrôle de celui-ci sur son
activité. Sont imaginés deux types d’association à l’État, sous les
formes du contrat dit « simple » et du contrat dit « d’association ».
Initialement, le contrat simple était conçu comme une étape expéri-
mentale devant conduire, au bout de neuf ans, à sa transformation
en contrat d’association, mais en réalité, lorsque, vers la fin de la

69
L’école et l’argent

décennie 1960, l’échéance s’est présentée, beaucoup d’établissements


ont souhaité rester dans les limites du contrat simple et ont reçu l’ap-
pui du président de la République de l’époque (Georges Pompidou)
qui a imposé la décision pérennisant les deux contrats (loi de 1971).
Néanmoins, au début des années 2000, le mouvement s’étant pro-
gressivement inversé, plus de 70 % des établissements privés sont pas-
sés sous contrat d’association.
Il est d’abord à remarquer que l’État ne contracte pas précisément
avec l’enseignement privé, mais avec des établissements, c’est-à-dire
en principe avec des instances prises individuellement, et non avec
une entité centrale prise globalement (même si, dans les soubresauts
de l’histoire – 1984, 1994, notamment –, l’enseignement privé a tenté,
parfois avec succès, de mener des négociations sous cet aspect).
Autrement dit, l’État laïque refuse ainsi d’être accusé de financer une
puissance scolaire rivale et, utilisant dans la loi la notion de « besoin
scolaire reconnu », il invite à admettre la réalité d’une contribution pri-
vée au service public d’éducation (ou service privé d’utilité publique).
Le contrat simple implique des obligations limitées et concerne les
établissements du premier degré (à titre provisoire, ceux du second
degré jusqu’en 1979-80). Les classes doivent avoir fonctionné pendant
au moins cinq ans et les locaux doivent être conformes aux règles de
salubrité ; l’enseignement dispensé doit être conforme aux horaires et
aux programmes de l’enseignement public. Les enseignants, salariés
de droit privé, sont dans ce cas nommés par l’autorité privée, mais ils
sont agréés et rémunérés par l’État. Les dépenses de fonctionnement
sont partiellement assurées par une participation publique, sensible-
ment moins importante que dans le cas du contrat d’association. Cette
participation limitée est pour partie le fait de l’État, pour partie celui
des collectivités locales.
Le contrat d’association détermine des obligations plus profondes,
moyennant quoi l’engagement financier de l’État et des collectivités

70
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

locales est plus fort. Sur la base du « besoin scolaire reconnu1 », leurs
locaux et installations étant appropriés, les établissements contractant
sous cette modalité doivent appliquer les règles et programmes de
l’enseignement public. À partir des lois de décentralisation (1983-
1985), intervient pour les établissements contractants la notion de
compatibilité avec les schémas prévisionnels de formation et les plans
régionaux. Les enseignants, recrutés par concours, rémunérés par
l’État, sont nommés par l’autorité académique « sur proposition » du
directeur de l’établissement privé ; depuis 1995, ils sont formés dans
les IUFM pour le second degré, le premier degré disposant de ses
propres centres de formation. Outre la rémunération des enseignants,
l’État assure un contrôle des établissements sous contrat, plus appro-
fondi dans le cadre de l’association, incluant notamment l’inspection
pédagogique. Les établissements conservent, quant à eux, ce que la
loi de 1959 a appelé leur « caractère propre », c’est-à-dire leur per-
sonnalité exprimée par un projet, dans le respect de la « liberté de
conscience » de leurs élèves.

Ce que financent l’État et les collectivités locales


En matière de dépenses, plusieurs distinctions s’imposent : entre
les dépenses dites « de fonctionnement », les dépenses pédagogiques
et celles dites « d’investissement » d’une part, entre le premier et le
second degré d’autre part, et à l’intérieur de ce dernier entre l’ensei-
gnement général et l’enseignement technique.
Considérons d’abord le premier degré et les dépenses de fonction-
nement*. « Les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat
sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des
classes correspondantes de l’enseignement public » ; ces dépenses

* C’est-à-dire : entretien des locaux, frais de chauffage, d’eau, d’éclairage et de nettoyage, rem-
placement du mobilier scolaire et du matériel collectif d’enseignement n’ayant pas le caractère
de biens d’équipement ; rémunération des agents de service.

71
L’école et l’argent

relèvent des communes, pour lesquelles elles représentent une obli-


gation. Par ailleurs, les communes ont la possibilité de « faire bénéfi-
cier des mesures à caractère social tout enfant sans considération de
l’établissement qu’il fréquente », mais elles doivent immanquablement
se référer, pour l’évaluation des dépenses du privé sous contrat
qu’elles prennent en charge, au coût moyen d’un élève des classes de
l’école publique. En matière d’investissement*, l’aide publique est par
principe illégale (en vertu de la loi Goblet de 1886 sur l’enseignement
primaire) ; elle n’est autorisée vis-à-vis des établissements privés, y
compris hors contrat, que sous la forme de garanties d’emprunt à des
opérations de construction, d’aménagement ou d’acquisition, et que
par des compléments de dotation ou des subventions en provenance
de l’État concernant le matériel informatique pédagogique (vis-à-vis
des établissements sous contrat seulement).
Dans le second degré, une distinction est à opérer entre établisse-
ments techniques et établissements d’enseignement général. En ce qui
concerne les premiers (en vertu de la loi Astier de 1919 organisant
l’enseignement technique), les établissements d’enseignement tech-
nique et professionnel privés peuvent recevoir des subventions de l’État
(et par suite des collectivités locales) ; régions et départements ont
donc liberté pour fournir aides, subventions, prêts, tant en matière de
fonctionnement que d’investissement, sans limitation. En revanche,
dans l’enseignement général, les dépenses de fonctionnement des
classes sous contrat d’association sont prises en charge sous la forme
de contributions forfaitaires versées par élève et par an, en respectant
la règle de parité public/privé (système dit « du forfait d’externat »). La
contribution de l’État porte sur la rémunération de tous les personnels,
et pas seulement enseignants, calculée en rapport avec les dépenses
correspondantes de fonctionnement matériel afférentes à l’externat

* C’est-à-dire dépenses liées à la construction, l’acquisition, l’aménagement et les grosses répa-


rations des locaux scolaires.

72
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

des établissements publics ; le montant des dépenses pédagogiques


est fixé annuellement par la loi de finances. Les départements pour les
collèges, les régions pour les lycées assurent de manière obligatoire
le reste des besoins en fonctionnement sous forme de contribution
forfaitaire par élève et par an, déterminée en relation avec le coût
annuel moyen d’un élève externe du public. Concernant les dépenses
d’investissement, une jurisprudence relative à l’article 69 de la loi
Falloux de 1850, toujours en vigueur malgré des tentatives de révi-
sion*, limite les aides directes d’investissement des départements et
régions à 10 % du total des dépenses d’un établissement. Quant au
financement indirect, l’intervention des collectivités locales concerne
surtout des garanties d’emprunt (qui peuvent être supérieures à la
limite de 10 %), ou la mise à disposition de locaux, à condition qu’ils
soient préexistants et non bâtis spécialement. L’acquisition de matériel
informatique complémentaire reste possible.
Il existe aussi des établissements d’enseignement supérieur privés,
que l’État peut subventionner s’ils répondent à la qualification d’éta-
blissements là encore « reconnus », mais l’attribution de subventions
n’a rien d’automatique. En 2002, 47 établissements étaient ainsi sub-
ventionnés sur plus de 300 (8 « universités », 68 écoles d’ingénieurs,
234 écoles de commerce et diverses).
Au début des années 2000, on dénombrait environ 10 000 établis-
sements d’enseignement privés sous contrat, primaires et secondaires,
scolarisant deux millions d’élèves (17 % de la population scolaire) et
impliquant environ 130 000 enseignants. Au même moment (1999), la
loi de finances consacrait 5,95 milliards d’euros à cet enseignement
privé (hors enseignement supérieur), soit une progression de 3,41 %
par rapport à l’année précédente, alors que le budget général de l’en-
seignement scolaire augmentait de 4,3 % pour un montant total de
45,7 milliards d’euros. Entre 1994 et 1999, la progression des dépenses
* Dont la dernière a échoué en 1994.

73
L’école et l’argent

d’État pour l’enseignement scolaire privé a été de 16,9 % : cette pro-


gression résulte de l’application de l’accord salarial conclu dans la
fonction publique (et appliqué aux personnels du privé sous contrat)
de mesures d’ajustement de crédits de personnels et de différentes
mesures intéressant encore la situation des personnels. Autrement dit,
là comme ailleurs (« ailleurs » désignant le budget général de l’Éduca-
tion nationale), l’essentiel de la dépense va en salaires des personnels.

Le « zapping » des familles entre public et privé


La question qui se pose est celle de la justification du fait que l’État,
qui dépense déjà beaucoup pour son service public d’éducation,
finance aussi un secteur privé, qu’il dispense de toute sectorisation
(les parents sont totalement libres d’inscrire leurs enfants où ils le sou-
haitent quand ils font le choix de cet enseignement payant), alors qu’il
soumet son système public à une carte scolaire en principe impéra-
tive (les enfants doivent fréquenter les établissements de leur secteur).
Alors que la loi Debré, évoquée plus haut, a déclenché en son temps
un très vaste mouvement de protestation de la part des militants
laïques, sans réussir à bloquer l’application des dispositions prévues,
comme s’en étaient fait le serment des milliers de manifestants en juin
1960, depuis au moins deux décennies, dans la perception qu’en a
un grand nombre de familles, l’enseignement privé est assez large-
ment « désidéologisé » et considéré comme un recours dont la priva-
tion équivaudrait à une réduction de liberté insupportable.
À preuve, ce qu’ont montré les sociologues Gabriel Langouët et
Alain Léger2, et plus récemment (avril 2005) une enquête du CREDOC*.
Les pourcentages de fréquentation des deux enseignements restent
globalement équivalents pendant toute la période récente (aux alen-
tours de 80-81 % pour le public). Le privé continue certes à accueillir

* Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie : enquête réalisée par
téléphone pour le compte de l’UNAPEL auprès d’un échantillon de 800 familles.

74
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

une très large majorité d’élèves issus de familles favorisées, bien que
toutes les catégories sociales soient représentées dans ce secteur, mais
le choix du privé ne correspond plus majoritairement, même s’il existe
encore, à un choix religieux ou philosophique. Ce que Langouët et
Léger appellent le « tout privé » (toute la scolarité d’un ou des enfants
exclusivement dans le privé) aussi bien que ce qu’ils nomment en
parallèle le « tout public » ont sensiblement régressé. Au début des
années 1990, moins de six élèves sur dix font une scolarité (jusqu’à la
fin des études secondaires) « tout public ». De même, les scolarités
« tout privé » ont nettement décru. Quant à eux, les enquêteurs du
CREDOC distinguent les parents « convaincus » (46 %) de la supériorité
du privé, mais qui n’avancent pas en totalité ni prioritairement des
motifs religieux, des « pragmatiques » (35 %), et des « autres » (19 %).
Est donc apparu au grand jour un phénomène de « zapping » entre
public et privé, qui concerne aujourd’hui près d’une famille française
sur deux : 45 % au moins des familles françaises utilisent tantôt les ser-
vices du public, tantôt ceux du privé, pour un même enfant, ou les
deux simultanément pour plusieurs enfants, au cours de la scolarité.
Il y a donc bien eu atténuation des clivages idéologiques entre les
deux écoles dans la perception d’une partie importante de la popula-
tion, confirmant dans les faits les intentions initiales de la loi Debré.
Parmi les raisons invoquées par les parents optant tantôt pour un sec-
teur, tantôt pour l’autre, émergent des raisons consuméristes ou de
calculs d’intérêt en vue de ce qui est estimé recéler la meilleure pos-
sibilité de réussite des enfants : commodités, mais aussi et surtout
choix stratégiques et tactiques, sensibilité à la réputation d’un établis-
sement, préjugés sociaux, raisons sociopédagogiques (discipline), rai-
sons expressément pédagogiques. Selon l’enquête du CREDOC, les
critères cités parmi les plus importants dans le choix du privé sous
contrat sont : la bonne réputation de l’établissement (87 %), le projet
éducatif (80 %), le « niveau » scolaire (79 %) et la proximité géogra-

75
L’école et l’argent

phique (69 %). La motivation religieuse ne recueille que 14 % de cita-


tions. En choix prioritaires cette fois, seuls 33 % des interrogés se
disent, confirmation implicite du phénomène de « zapping », non satis-
faits de l’enseignement public ; ce qui prime, c’est par ordre décrois-
sant un bon encadrement, l’épanouissement de l’enfant, la
transmission de valeurs morales, le niveau, l’adaptation de l’école à
l’enfant et la fréquence des liens avec les enseignants.

Le coût du privé pour les familles


Il n’en reste pas moins que faire le choix du privé sous contrat, c’est
– lorsqu’il ne s’agit pas d’un choix délibérément idéologique (ce n’est
plus le cas que pour une minorité, nous venons de le voir) – faire un
pas, et un pas qui coûte de l’argent. Combien ? Si nous nous livrons à
un rapide tour de France du privé sous contrat, nous trouvons des dis-
parités entre les cas où la scolarité est gratuite (cela existe) et ceux où
elle peut s’élever à près de 100 € par mois, hors tous les nombreux
frais annexes. On peut ainsi considérer que le prix d’une scolarité pri-
vée (droits d’inscription et de fréquentation entendus stricto sensu)
s’élève en moyenne mensuelle, hors tous les autres frais :
• au niveau primaire, entre 30 et 40 € ;
• au niveau collège, entre 45 et 50 € ;
• au niveau lycée, entre 65 et 100 €.
L’ensemble de ces chiffres est à multiplier par 10 pour obtenir des
moyennes annuelles.
En fait, les prix sont fixés par chaque institution – qui constitue une
personne morale – dans le cadre d’un contrôle préfectoral, et beau-
coup d’établissements recourent à la pratique du quotient familial qui
détermine le montant de la cotisation en fonction des revenus fami-
liaux et du nombre d’enfants, pouvant conduire à exonérer certains
parents et expliquant que des familles modestes (certes statistique-
ment minoritaires) fréquentent aussi cet enseignement. Mais ces

76
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

chiffres indicatifs doivent être entendus en dehors des contributions


volontaires des parents laissées à leur appréciation, tout en étant for-
tement souhaitées (en fonction des possibilités de chacun), et desti-
nées à financer l’amortissement immobilier et la formation religieuse
(même si les familles n’y recourent pas). Parmi les autres frais incom-
pressibles, on trouve bien sûr les frais de cantine, plus élevés que
dans le public pour des raisons de moindre subvention, la caution
demandée par certains collèges pour les manuels et tous les autres
frais annexes qu’on trouve aussi dans l’enseignement public*.
Pour rendre les choses plus concrètes, recourons à un exemple
assez représentatif du coût d’un gros établissement privé, scolarisant
de la maternelle à la terminale, à la rentrée 2004. Il s’agit d’une insti-
tution catholique réputée d’une grande ville de l’ouest de la France,
sous contrat d’association avec l’État. Dans son document de présen-
tation, cet établissement justifie ses prix en arguant des lourdes
charges qu’il doit supporter (« immobilier, sécurité, caractère propre »)
et indique aux parents qu’en inscrivant leur enfant, ils acceptent en
même temps de participer au financement des structures et services
de l’enseignement catholique. Parmi ces structures, on trouve l’APEL,
association à laquelle l’adhésion est recommandée : il n’est ainsi pas
étonnant que le regroupement national de ces associations, l’UNAPEL,
constitue la plus puissante fédération de parents d’élèves de France
avec 800 000 adhérents.
Si l’inscription ou la réinscription se fait en maternelle ou en école
primaire, les frais se présentent comme suit. Selon la procédure en
vigueur, il est d’abord demandé 8 € de frais de dossier, non rem-
boursables, puis un acompte déductible de la première facture, dont
le montant est variable selon le régime choisi pour l’élève (externe ou
demi-pensionnaire). Plusieurs tarifs annuels de contribution scolaire

* Ensemble de données d’après l’enquête « coût de scolarité 2002 » de la Confédération syndi-


cale des familles.

77
L’école et l’argent

sont proposés (comprenant la contribution obligatoire de base, qui


représente la somme la plus élevée, les contributions obligatoires spé-
cifiques telles que photocopies, CDI, association sportive, OGEC*, et
enfin le forfait périscolaire) : tarif de base (304 €), tarif pour les
familles non imposables (281 €) et deux tarifs de solidarité (l’un à
335 €, l’autre à 367 €) faisant l’objet de fortes incitations. Viennent
s’ajouter, outre l’adhésion à l’APEL, une contribution immobilière
exceptionnelle, justifiée par les interdits juridiques faits à l’enseigne-
ment privé, portant sur l’investissement et spécialement la construc-
tion, ce qui représente une cinquantaine d’euros, et des contributions
facultatives (par exemple, « programme international », 370 €). Le mon-
tant annuel de la demi-pension s’établit à 715 €. Parmi les prestations
facultatives, sont proposées une garderie (205 € annuels) ou des
études encadrées (256 €).
En ce qui concerne les niveaux collège et lycée, le principe est le
même, la tarification se décompose de la même façon, mais les mon-
tants sont plus élevés (par exemple, pour les contributions obligatoires,
spécifiques et le forfait périscolaire : selon les quatre possibilités, res-
pectivement, 556 €, 443 €, 641 € ou 700 €). À ces niveaux, est offerte
l’option supplémentaire de l’internat. Celui-ci revient, pour l’héberge-
ment seul, à 1 120 € annuels, auxquels il convient d’ajouter 1 130 €
pour la restauration, et éventuellement 310 € pour une chambre indi-
viduelle. Un tarif dégressif peut être appliqué aux familles scolarisant
au moins trois enfants dans l’institution.
Sans être exorbitants, les prix indiqués pour de tels établissements
restent élevés (nous n’incluons pas d’autres petites options possibles**,
qui peuvent venir alourdir la note) et, bien qu’il existe des modula-
tions en fonction des revenus, ces prix supposent une certaine aisance
des familles (statistiquement, cela reste le cas) ou, à tout le moins, une
* Organisme de gestion de l’enseignement catholique, qui rémunère et peut révoquer le direc-
teur, où les parents siègent de droit et où ils exercent un contrôle financier.
** Par exemple, la possession d’un casier individuel verrouillé, etc.

78
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

volonté de consentir des sacrifices financiers importants pour la sco-


larité de ses enfants. On peut être frappé par une certaine orientation
commerciale de l’offre, où sont multipliées les options censées appor-
ter un « plus » et les incitations diverses, auxquelles il paraît difficile
de résister. Il ne s’agit là, nous l’avons dit, que d’un exemple ; nous
pourrions trouver, sur le territoire national, dans une palette très diver-
sifiée, des établissements sous contrat moins chers, mais aussi
d’autres, plus luxueux, supposant une sélection sociale plus mani-
feste, et nettement plus coûteux. En tout état de cause, les tarifs doi-
vent faire l’objet d’un agrément par les services du préfet.

Les « plus » de l’effort financier pour les familles


De quels éléments l’enseignement privé sous contrat dispose-t-il
pour justifier la demande de telles sommes aux familles (dont la moti-
vation est – on l’a vu – fondée sur la conviction que l’offre est
meilleure) ? Quelle est la nature du rapport qualité/prix ? Le privé
entend se prévaloir d’une meilleure réussite de ses élèves ; de fait, il
peut exciper de 70,3 % de réussite au bac pour les élèves qui ont fait
toute leur scolarité dans le privé, contre seulement 59,1 % pour leurs
homologues « tout public ». Dans la même perspective, il apparaît que
4,7 % des élèves « tout privé » sortent du système sans diplôme, tan-
dis que c’est le cas de 11,5 % des élèves « tout public ». Cependant,
pour l’observateur extérieur, ces excellents résultats doivent être rela-
tivisés en tenant compte de l’origine sociale des élèves, dont on sait
qu’elle influence la réussite scolaire : l’enseignement privé sous
contrat accueille 29 % d’élèves dits « très favorisés » contre 18,7 % pour
le public ; à l’inverse, alors que ce dernier reçoit 40,5 % d’élèves issus
de milieux dits « défavorisés », le privé n’en abrite que 26,7 % 3.
Peuvent évidemment être allégués d’autres arguments, dont la vérifi-
cation est beaucoup plus aléatoire, tributaire des représentations et
convictions de chacun : meilleure discipline, meilleure morale, suivi

79
L’école et l’argent

individuel plus systématique, plus grande disponibilité des ensei-


gnants, plus grande possibilité d’intervention des parents, comme l’in-
dique l’enquête du CREDOC pour l’UNAPEL, déjà citée.
Certaines voix partisanes (Alain Madelin, par exemple) s’élèvent
pour déplorer que les familles qui recourent aux services de l’ensei-
gnement privé paient doublement puisqu’elles acquittent le plus sou-
vent l’impôt (qui inclut le financement de l’école publique et,
partiellement, de l’école privée sous contrat) et qu’elles doivent rajou-
ter le prix des dépenses complémentaires de la scolarité privée.
Faudrait-il alors, comme le plaident certains, supprimer toute ligne de
partage financière entre les deux secteurs ? Cet argument ne nous
paraît pas recevable, dans la mesure où rien n’oblige des parents à uti-
liser un enseignement malgré tout à part, « distinctif » dans le sens
sociologique déjà relevé, sinon leur conviction et leur volonté mises
en œuvre en toute connaissance de cause. En outre, alors même que
l’offre publique est large et diversifiée, la loi – en se fondant sur une
réalité déjà existante et plébiscitée par une partie significative de la
population – a admis la possibilité de recourir à d’autres solutions sco-
laires en les finançant substantiellement, c’est-à-dire en donnant à une
liberté la possibilité de se réaliser effectivement (faute de quoi elle ne
serait que formelle). Il ne paraît pas anormal, dans ces conditions, que
ce qui est estimé représenter le « plus » de cet enseignement par rap-
port à l’offre publique soit pris en charge financièrement par les
familles demandeuses, sauf à supprimer toute signification à la notion
de service public entendue stricto sensu et non simplement au sens
de service du public. Dans l’hypothèse maximaliste, toutes les initia-
tives privées auraient vocation à être soutenues, et on n’aurait plus
affaire qu’à une mosaïque de telles initiatives, venant paradoxalement,
par le soutien étatique accordé, constituer un système semi-public,
totalement dispersé et centrifuge, ce qui est évidemment inacceptable,
sauf dans une conception ultralibérale.

80
8. L’enseignement privé sous contrat : un choix et une émulation

Le recours au privé : une incitation pour le public


à mieux faire…
À l’inverse, comme le pensent d’autres, faudrait-il supprimer la
concurrence du privé sous contrat, qui coûte de l’argent à l’État, en
arrêtant son financement ? Cela ne pourrait pas revenir à faire des éco-
nomies, puisqu’il faudrait bien continuer à scolariser les deux millions
d’élèves pris en charge, à moins de les renvoyer vers le « privé privé »,
commercial, hors contrat et… hors de prix, solution inenvisageable.
Cela reviendrait en fait à intégrer le privé sous contrat au public, solu-
tion qui a déjà été tentée (en 1984) mais qui a échoué pour des rai-
sons sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici. Or, comme l’atteste la
pratique généralisée du « zapping », les Français semblent tenir au sys-
tème actuel, qui leur offre la possibilité de trouver des recours, en
n’étant pas enfermés dans une voie unique.
La solution avancée par Philippe Meirieu4 est plus originale, et plus
habile. Partant du constat de certaines défaillances du système public,
et de la problématique du recours par laquelle de nombreuses
familles justifient leur choix du privé, cet auteur plaide pour que
l’école publique « soit à elle-même son propre recours », c’est-à-dire
qu’elle mette en œuvre les dispositifs pédagogiques aptes à venir réel-
lement en aide aux enfants en difficulté, dispositifs – accompagnés
d’une disponibilité des enseignants – dont il estime qu’ils sont plus
systématiquement présents dans l’enseignement privé. Finalement,
Philippe Meirieu propose à son tour une fusion privé/public, mais à
condition que l’enseignement public, pour éviter sa « dislocation5 »,
améliorer ses performances et son attractivité, intègre des méthodes
en vigueur dans le privé (« nationaliser l’enseignement privé ou pri-
vatiser l’enseignement public »). Sans souscrire à la lettre à ce pro-
gramme, largement irréalisable aujourd’hui, et, comme nous l’avons
dit, non souhaité par la majorité des parents, nous l’entendrons
a minima comme une incitation faite à l’enseignement public de

81
L’école et l’argent

veiller à un meilleur rapport coût/résultats et à développer une vraie


culture de l’évaluation, dont les effets pourraient être de réduire le
besoin de l’enseignement privé. Autrement dit : amélioration constam-
ment recherchée de la performance du système public pour limiter
l’accroissement des attitudes de recours, sans remise en cause pour
autant de l’alternative du privé sous contrat.

82
9. L’enseignement privé
hors contrat
et le soutien scolaire

E n marge de l’école d’État, et de l’enseignement privé sous contrat,


existent un enseignement privé hors contrat (le « privé privé »),
entièrement libre de tout contrôle pédagogique, et une offre de pro-
duits et de services scolaires de soutien ou d’approfondissement non
prescrits, très diversifiés, et très prisés, également de nature privée.
Faire sa scolarité dans un organisme entièrement privé, souvent très
cher, prendre des cours particuliers ou collectifs en dehors de l’école,
se procurer des documents d’accompagnement ou d’approfondisse-
ment dans l’espoir de réussir, moyennant finance, cela a toujours
existé. Il existe depuis longtemps une économie des cours particuliers
dispensés par des enseignants. Sur la base d’une enquête en région
Rhône-Alpes rappelée dans son récent rapport1, Dominique Glasman
estime qu’il y a une dizaine d’années, en 1994, 20 à 25 % des lycéens
prenaient de tels cours, 36 % à un moment où à un autre de l’année.
Rien de nouveau sous le soleil donc ? Bien au contraire : outre le fait
nouveau de l’intrusion de l’électronique et d’Internet, on assiste à une
explosion considérable du recours à ce type de prestations et de pro-
duits dans la société hyperpédagogisée qui est devenue la nôtre et des
entreprises ont pris de fortes positions dans ce secteur ; désormais,
même les bons élèves, dont les parents en ont les moyens, recourent
à ce genre de démarches pour être encore meilleurs et venir se pla-
cer au rang des plus compétitifs dans la course aux diplômes et aux
positions de « distinction », en quelque sorte effet pervers de la mas-
sification. Phénomène qui tend à rapprocher petit à petit la situation

83
L’école et l’argent

française de la situation japonaise, où 50 000 « juku » (organismes


parallèles privés, constituant une sorte d’école de l’ombre 2) se dispu-
tent les faveurs des familles pour chauffer intellectuellement leurs
enfants dès le plus jeune âge et leur donner prétendument des avan-
tages dans la compétition scolaire, pour un prix très élevé (environ
8 000 € par an). Au moins 70 % des élèves japonais reçoivent ainsi
une aide scolaire privée lourde.

Le privé hors contrat : 1 % des élèves


Avec les établissements privés hors contrat, nous entrons dans le
domaine commercial pur, nous changeons aussi d’ordre de grandeur
en matière de coût d’une scolarité. Il n’est pas rare que telle « boîte »
un peu chic coûte 4 000 € l’année, hors frais annexes, et ce n’est pas
un prix plafond. Le privé hors contrat reste certes très minoritaire,
représentant moins de 1 % des presque 15 millions d’élèves étudiant
en France métropolitaine (contre près de 81 % dans le public et envi-
ron 17 % dans le privé sous contrat, comme nous l’avons déjà vu). Les
établissements hors contrat sont entièrement régis par le droit privé,
leurs budgets restent totalement indépendants de toute intervention
de l’État, qui ne procède à aucun contrôle pédagogique, la valeur de
la pédagogie pratiquée étant laissée à l’appréciation des clients, les
familles. L’inspection de ces établissements se limite aux titres exigés
des directeurs et des enseignants, à l’obligation scolaire, au respect de
l’ordre public et de ce qui est appelé les « bonnes mœurs », à la pré-
vention sanitaire et sociale.
Notons au passage que la représentation nationale, notamment le
Sénat, a pu être amenée à s’intéresser, ces dernières années, aux
dérives sectaires, assez habilement dissimulées, comme toujours, der-
rière certaines officines d’éducation.
Cet enseignement se révèle peu présent au niveau élémentaire, un
peu plus au niveau du premier cycle secondaire, et mieux représenté

84
9. L’enseignement privé hors contrat et le soutien scolaire

au niveau du second cycle (« boîtes à bac »). Il est surtout fort dans
les formations post-bac (classes de BTS et préparatoires aux grandes
écoles) et dans le secteur professionnel. À Paris – comme ailleurs –,
cet enseignement reçoit en grande partie, du moins dans le cycle
général, des élèves ayant des difficultés scolaires (les taux d’élèves
« en retard » dans les premier et second cycles secondaires sont systé-
matiquement plus élevés que ceux du public et du privé sous contrat),
dont les parents peuvent payer. Les formations au baccalauréat géné-
ral – où les taux de réussite se révèlent sensiblement inférieurs à ceux
des autres secteurs, public et privé sous contrat – tendent à privilégier
la série ES (économique et social), celles du secteur technologique, la
filière STT (principalement : action commerciale et communication,
comptabilité-gestion). Quant aux formations post-bac, elles sont majo-
ritairement orientées vers le domaine des services, le commerce, la
comptabilité, la gestion, la communication des entreprises. Dans le
secteur professionnel, les pôles dominants à Paris sont constitués par
les soins aux personnes, la coiffure, l’esthétique et la cosmétique,
le soin, le conseil, la vente. Certains établissements présentent la
particularité d’être intégrés à une grande école, en relation avec leurs
sections de techniciens supérieurs ; d’autres, des lycées profession-
nels, d’être adossés à une marque (par exemple Yves Rocher dans le
domaine du cosmétique) ; d’autres enfin sont en lien direct avec les
chambres de commerce et d’industrie.
Moins de 1 %, dira-t-on, c’est peu de choses dans le paysage natio-
nal. Mais on constate que, depuis quelques années, le privé hors contrat
accueille 6 % des élèves de la capitale (six fois plus donc qu’en
moyenne nationale) contre 66 % au public et 28 % au privé sous
contrat3. Si on émet l’hypothèse que Paris anticipe un certain nombre
de phénomènes qui se diffusent ultérieurement sur l’ensemble du terri-
toire, le phénomène parisien peut s’avérer révélateur d’un courant qui
n’est certes pas nouveau (il y a toujours eu des « boîtes » privées plus

85
L’école et l’argent

ou moins chères pour des élèves plus ou moins cancres*) mais qui tend
à s’amplifier assez considérablement : la recherche de solutions sco-
laires privées, y compris hors toute aide et tout contrôle étatiques, abou-
tissant à une sélection par l’argent encore plus marquée.

Le vaste marché des cours de soutien


À la rentrée 2004, un site spécialisé d’éditeur (Fabert) recensait, à
la rubrique « soutien scolaire », pas moins de 364 « établissements »
proposant des cours individualisés. Il ne s’agit pas d’établissements
organisés en classes et en niveaux au sens classique (comme ceux
dont nous venons de parler) mais d’entreprises privées spécialisées
dans le soutien. La demande sociale de cours particuliers à domicile
ou sur sites spécialisés est en expansion constante depuis une dizaine
d’années. Cela se traduit par une abondance de publicités sur une
multitude de supports et explique que l’État consente une réduction
d’impôts aux parents utilisateurs de cette offre, via la législation sur
les emplois familiaux. Un prestataire (Domicours) s’est même consti-
tué à partir d’une initiative mutualiste et privée (Mutualité française,
MACIF, MATMUT, Groupe Chèque Déjeuner), en référence à une
charte déontologique qui entend moraliser les pratiques dans le
domaine : ne faire payer que les heures de cours effectivement dis-
pensées, sans préachat forfaitaire ; rémunérer directement les profes-
seurs, et donc leur offrir un travail salarié ; permettre aux parents de
régler les cours à l’aide de chèques domicile (titres emplois services)
en étant aidés par leur comité d’entreprise, et donc donner une colo-
ration sociale à l’affaire. C’est dire que les pratiques dans le domaine
n’ont pas toujours été des plus irréprochables.
Tout est organisé pour que l’élève et ses parents aient le sentiment
d’être réellement pris en considération individuellement. « Acadomia »,
le numéro 1 du secteur (près de 70 agences en France) met ainsi à la

* On se rappelle le Topaze de Marcel Pagnol.

86
9. L’enseignement privé hors contrat et le soutien scolaire

disposition de ses clients des conseillers pédagogiques qui écoutent


et ont ensuite pour mission d’orienter vers les solutions les mieux
adaptées. L’offre est diversifiée : cours proprement dits, organisés
autour d’une matière, stages intensifs pendant les périodes de
vacances et même sur les lieux de vacances, mais aussi cours de
méthodologie, très en vogue, autour du fameux « apprendre à
apprendre », et également gestion du stress, bilans personnalisés sur
le modèle des bilans de compétences, voire coaching, etc. En 2004-
2005, « Acadomia » emploie 240 salariés permanents et 22 000 ensei-
gnants, pour 78 000 élèves. Des concurrents comme « Complétude »
ou les « Cours Legendre » rassemblent chacun près de 20 000 élèves.
En prenant appui sur les besoins réels, ou parfois provoqués, des
parents, sur leurs angoisses et leurs fantasmes vis-à-vis de la scola-
rité, les groupes rivalisent d’inventivité pour capter des parts de mar-
ché : « Après la classe » organise son offre autour de la prise en
charge physique de l’enfant au sortir de la classe (gardiennage et
consolidation scolaire), « Vacances éducatives » propose pendant l’été
une préparation à l’entrée au cours préparatoire ! Le poids lourd amé-
ricain créé dès 1979, « Sylvan* », entré récemment sur le marché
français, procède selon le schéma suivant : évaluation, diagnostic
(hiérarchisation des lacunes de l’élève), programme de consolidation
structuré et personnalisé, aide aux devoirs. Il dispense quant à lui ses
prestations dans des lieux spécialement dédiés à l’enseignement,
dont le confort et la fonctionnalité sont vantés auprès des familles
(avec, notamment, l’existence de « salles clubs » où les enfants peu-
vent se détendre, jouer, accéder à du matériel informatique, avant et
après les cours). Disposant de sept centres en France au printemps
2005, « Sylvan » espère effectuer une percée sur ce marché florissant,
en pleine expansion.

* Mille centres aux États-Unis, 200 au Canada, 900 en Allemagne.

87
L’école et l’argent

Les professeurs sollicités sont eux-mêmes impliqués d’emblée dans


ce processus de service individualisé, l’organisme employeur s’assu-
rant auprès d’eux que le cours leur « correspond » et qu’ils sont suffi-
samment « disponibles » pour l’assurer en continu. Il leur est
recommandé de déterminer avec la famille la nature précise du besoin
motivant la demande, en s’inscrivant clairement dans une logique de
relations client/prestataire de services. En vertu de quoi, dans les cas
les plus courants, un enseignant reçoit un salaire brut composé d’un
salaire de base brut horaire (environ 10 €, du primaire au supérieur,
tarifs rentrée 2004), à quoi viennent s’ajouter une indemnité congés
payés de 10 % et, éventuellement, une ou plusieurs indemnités péda-
gogiques (1 € en lycée, 3 € dans le supérieur). Des frais de déplace-
ment sont consentis, non soumis à charges sociales, alors que celles-ci
doivent évidemment être déduites du salaire brut précédemment
décrit. À ces tarifs-là, il faut, à quelqu’un qui enseigne dans ce genre
de structure, effectuer près de 100 heures mensuelles pour obtenir un
revenu à peine décent (aux alentours de 1 000 €) ! On comprend que,
dans ces conditions, et surfant sur la vague de demande exacerbée
de ce type de services scolaires, les bénéfices de ces « établissements »
singuliers soient en expansion continue ! Le directeur d’« Acadomia »
reconnaît une croissance de 45 % par an depuis dix ans4. « Keepschool »,
qui cible notamment les enfants de maternelle, fait état d’une pro-
gression de 300 % en 2003-2004.

Le coût du soutien scolaire pour les familles


De leur côté, que payent en moyenne les familles ? À la rentrée
2004, les frais d’inscription dans l’un des établissements les plus en
vue du secteur s’élevaient à 70 € annuels. Les tarifs horaires s’établis-
saient ainsi :

88
9. L’enseignement privé hors contrat et le soutien scolaire

Province Paris, Île-de-France


Primaire 27 € 29 €
Collège 28 € 30 €
Lycée 31 € 33 €
Supérieur 34 € 36 €

Mais la publicité met l’accent sur le fait que, après déduction d’im-
pôt, le prix d’un cours revient effectivement à la moitié moins et que,
sur la base de 27 € par exemple, le total d’un soutien trimestriel de
24 heures coûte en réalité 324 €. Malgré ces dispositions, il est clair
que ce type de services n’est accessible aux familles à faibles revenus
qu’au prix d’énormes sacrifices et que, par là même, il concerne
essentiellement les familles des catégories moyennes et supérieures,
qui sont d’ailleurs les seules à bénéficier de la déduction d’impôt. Le
fait relativement nouveau est, nous l’avons noté, que désormais y
compris les bons élèves y recourent, et pensent devoir y recourir,
pour obtenir ce « plus » qui les distinguera.
Ce qui se passe dans certains secteurs de l’enseignement supérieur,
le droit et la médecine particulièrement, en est la confirmation. Le
phénomène là encore n’est pas nouveau, mais a pris, ces dernières
années, une ampleur sans précédent. Il devient en effet de plus en
plus admis que, pour réussir son passage en deuxième année de
médecine, en deuxième année de droit, pour entrer à Sciences Po ou
à l’École nationale de la magistrature (ENM), il faut recourir à des
« prépas » privées cher payées (environ 2 500 € annuels en médecine,
1 800 € en droit pour une préparation parallèle complète). Il n’est pas
rare que les mêmes enseignants dispensant leur science dans le sec-
teur public arrondissent leurs fins de mois en réservant la délivrance
de trucs, recettes et meilleures façons de travailler aux étudiants ins-
crits dans le secteur privé. Celui-ci affiche, en médecine, des taux de
réussite plus de deux, voire trois fois supérieurs à ceux de la seule

89
L’école et l’argent

université. Il n’est donc pas étonnant que 20 000 étudiants, sur les
38 000 en médecine, fréquentent une prépa privée. À l’ENM, 40 % des
reçus sont passés par une prépa payante, l’ISP (l’institut supérieur de
préparation, 2 400 € pour 137 heures de cours, répartis sur toute l’an-
née, souvent le week-end)5. C’est tout le sens du service public d’en-
seignement qui se trouve dénaturé par ces pratiques, dont on ne sait
trop à qui imputer l’origine (vieille histoire de l’œuf et de la poule) :
besoin artificiellement créé par les marchands ? réponse à une demande
sociale existante et n’attendant que d’être satisfaite ? L’esprit de com-
pétition exacerbé, l’étroite dépendance entre le niveau de diplôme et
l’emploi en période de chômage chronique, l’angoisse généralisée liée
aux études dans un contexte de « pédagogisation » de la société, la
marchandisation de toutes formes d’activités en sont des causes bien
manifestes. Tout cet ensemble de prestations privées, de la maternelle
aux plus hauts niveaux du supérieur, génère un marché qui dépasse
certainement un milliard d’euros en France aujourd’hui, et dont sont
forcément exclus les plus pauvres, voyant ainsi se creuser un peu plus
la fracture sociale par le renforcement du lien entre argent et accès
privilégié à certains savoirs et savoir-faire scolaires.

Un soutien scolaire qui creuse les écarts entre les familles


Toutes choses égales d’ailleurs, on est là dans une sorte de cercle
vicieux de même nature que celui qu’on peut connaître dans les
affaires de dopage sportif : tant qu’une autorité régulatrice n’est pas
intervenue, il suffit qu’un seul déroge initialement aux règles tacite-
ment admises et obtienne par là un avantage, pour qu’à sa suite un
grand nombre de concurrents ou compétiteurs s’engouffre dans la
brèche, afin de ne pas être en situation de désavantage. En outre, loin
de chercher apparemment à mettre fin à cette pratique, l’État ne fait
jusque-là que la conforter en instaurant une réduction d’impôt. Qu’en
est-il de l’accès des familles en difficulté à ce type de services ? Qu’en

90
9. L’enseignement privé hors contrat et le soutien scolaire

est-il de celles qui justement n’acquittent pas l’impôt, faute de revenus


suffisants ? Tout se passe comme si elles ne devaient pas être concer-
nées, ce qui les pénalise doublement. Des cours de soutien existent,
dira-t-on, dans les quartiers sur la base d’initiatives associatives et offi-
ciellement dans les zones d’éducation prioritaire, où beaucoup
d’élèves issus de ces familles sont concentrés, mais qui ne voit le
caractère « ghettoïsant » et stigmatisant d’une telle réponse ?
La formule déjà citée de Philippe Meirieu (« l’école [publique] doit
être à elle-même son propre recours »), si elle est juste sur le fond,
n’est cependant pas suffisante à résoudre la question, tant que les
solutions n’ont pas été inventées par le système. Rien n’interdit d’œu-
vrer pour qu’elles le soient, mais le réalisme oblige à reconnaître que
l’état de fait constitué par cette école parallèle, cette « école hors
l’école », est destiné à durer. Le problème consiste à ne pas creuser
encore plus les handicaps de certaines familles et élèves en brandis-
sant les mythes républicains d’un côté, et le laisser-faire hypocrite de
l’autre. En conséquence, dans l’impossibilité de mesures contrai-
gnantes, la meilleure réponse est peut-être encore de permettre à ces
familles de se mobiliser sur l’école, sinon à l’égal des autres, du moins
à leur moindre désavantage en comparaison avec celles-ci.

91
10. Le marché
parascolaire traditionnel
et l’aide « en ligne »

U n autre aspect du phénomène qui nous intéresse ici est constitué


par le secteur parascolaire : on entendra par ce terme un
« ensemble de produits à caractère pédagogique, qui ont pour fonc-
tion de redoubler, renforcer ou compléter l’enseignement dispensé
par l’institution [dont] l’acquisition est laissée à l’initiative des familles
et des élèves1 ». Il s’agit d’un secteur traditionnel du monde de l’édi-
tion qui comprend, sous la forme dite « papier », aussi bien les cahiers
de vacances et de soutien, les « méthodes », les « guides », les ouvrages
de soutien, de révision et d’entraînement, que les traditionnelles
annales d’examens et de concours, les ouvrages de référence tels les
célèbres « Bescherelle » (Hatier) ou « Bled » (Hachette Éducation), et
aussi les « classiques »*. Tout, dans cet ensemble, ne relève donc pas
du véritable « marché de l’angoisse » que nous venons de voir se des-
siner avec l’explosion du phénomène des cours de soutien, mais une
partie néanmoins du développement de ce secteur procède de ce
phénomène contemporain.
Le parascolaire a pris un nouvel essor à partir de 1977, date à
laquelle, comme nous l’avons vu, les manuels ont été rendus gratuits
au niveau du collège, ce qui a entraîné par ricochet une baisse du
niveau d’équipement. Pour compenser un manque à gagner, les édi-
teurs ont alors cherché à diversifier leur offre, en prenant certes appui
sur des produits déjà existants (notamment les cahiers de vacances),

* Éditions de petit format, commentées pour l’usage de la classe, d’œuvres littéraires.

93
L’école et l’argent

mais en en renouvelant la portée et le nombre. Tout s’est alors passé


comme s’ils avaient réussi à susciter une demande accrue chez les
parents, lesquels avaient sans doute déjà des prédispositions à se lais-
ser convaincre en vertu d’une conception de plus en plus consumé-
riste de l’éducation de leurs enfants. Au cours de la période, le
changement d’échelle a été manifeste, comme en atteste le fait que la
contribution du secteur parascolaire au chiffre d’affaires de l’édition
scolaire a plus que doublé.

Les cahiers de vacances


Les cahiers de vacances ont longtemps représenté le produit phare
du domaine, disposant d’une expérience vieille de soixante-dix ans
(création par la maison Magnard en 1933). Ayant connu une alerte en
2001, où les ventes ont subi une chute relative qui a motivé la
recherche de produits nouveaux, les cahiers de vacances délimitent
néanmoins encore un marché tout à fait juteux. Exigeant un faible
investissement éditorial (ils sont recyclables pendant quatre ou cinq
ans), peu coûteux en dépenses publicitaires du fait du caractère
devenu rituel de leur achat par les familles pour chaque enfant et à
chaque niveau de la scolarité (leur prix reste modique, entre 4 et 8 €),
ils sont assurés d’un volume de ventes très conséquent grâce à leur
diffusion, qui se fait désormais essentiellement dans le réseau des
grandes et moyennes surfaces (80 % du total des ventes), dans une
période très courte qui va du 15 juin au 15 août. En 2002, il s’est
encore vendu 4,5 millions de tels supports d’exercices, pour lesquels
– titillés par le recul dont nous avons parlé et par l’apparition de nou-
velles demandes (révision et soutien tout au long de l’année) – les édi-
teurs cherchent des formules toujours plus ludiques et attractives (par
l’introduction de jeux, de personnages de BD, etc.). Le leader dans le
domaine reste, depuis une vingtaine d’années, Hachette, avec son
fameux Passeport (30 titres disponibles), qui représente plus de 50 %

94
10. Le marché parascolaire traditionnel et l’aide « en ligne »

de parts de marché dans ce segment, devant Nathan, qui a lancé en


2004 un cahier se voulant haut de gamme, le Cahier soleil, dont le
motif publicitaire est : « le cahier qui donne envie d’aller jusqu’au
bout ». Il est vrai qu’une étude scientifique, menée par des chercheurs
de l’IREDU2, avait montré, quelque temps auparavant, que le cahier
de vacances n’a de vertu pédagogique que s’il est mené jusqu’à son
terme par l’élève, ce qui n’est le cas que pour le quart d’entre eux
(80 % d’enfants semblant y recourir au moins dans les petites
classes*). La même étude avait aussi mis au jour le phénomène que
nous rencontrons à plusieurs reprises dans le présent livre, à savoir
que ce sont les élèves qui en auraient objectivement le moins besoin
qui profitent le plus des exercices de vacances ainsi proposés.
Mais le secteur parascolaire « papier » est nettement plus diversifié
et son chiffre d’affaires tout à fait considérable : 81,24 millions d’eu-
ros en 2002, année pourtant peu faste, pour 20,7 millions d’exem-
plaires vendus, tous ouvrages confondus. Bien que peu présent sur le
marché du cahier de vacances, Hatier occupe – au total de l’ensemble
des produits – la première place dans un groupe constitué de cinq
éditeurs leaders**. Procédant de la même orientation sociétale que le
recours aux cours particuliers, les cahiers de soutien et d’entraînement
sont en pleine expansion, répartis en ouvrages mono-, bi- ou multi-
disciplinaires (« tout en un »), ces derniers induisant le sentiment d’une
possibilité de domination synthétique de l’ensemble d’un programme
propre à une classe. Mais le fait vraiment nouveau de ces dernières
années, lui aussi très symptomatique d’un climat, c’est le succès des
ouvrages de ce type concernant le niveau de l’école maternelle, la cer-
titude que « tout se joue avant six ans » (selon le titre du best-seller de
Dodson3) étant désormais quasi universelle. À partir de 2002, tous les
grands éditeurs ont lancé des cahiers pour les petits et ont vu depuis,
* Ce qui contribue en partie à expliquer la part prépondérante prise par le segment maternelle-pri-
maire dans l’ensemble du marché parascolaire (43 %) devant le lycée (39 %) et le collège (18 %).
** Hatier, Hachette Éducation, Nathan, Bordas, Magnard.

95
L’école et l’argent

en partie grâce à cette nouveauté qui fait l’objet d’une véritable créa-
tivité éditoriale (alors que les annales et autres outils de révision des
examens de fin d’études sont tenus à plus de convention), le chiffre
d’affaires global du parascolaire augmenter jusqu’à approcher les 100
millions d’euros en 2004.
Si l’on considère la diversité des produits, la multiplicité des niveaux
et des filières scolaires qui sont à satisfaire, les besoins sans cesse accrus
qu’expriment les familles en matière d’appui ou de compensation à la
scolarité « officielle », on conçoit l’intérêt que représente pour les édi-
teurs ce secteur du parascolaire restant, malgré tout, traditionnel.

« Dérive marchande » ou « fracture culturelle » ?


Existe-t-il un fondement à critiquer, à ce propos, une « dérive mar-
chande » ainsi qu’on est tenté de le faire lorsqu’il s’agit de l’explosion
des cours particuliers, et de la tentative de percée des services édu-
catifs électroniques, dont nous allons traiter ? Comme en ce qui
concerne les manuels, l’appartenance du parascolaire au marché de
l’édition n’a rien de critiquable en soi. La concurrence entre éditeurs
tend à constituer un gage de qualité, et la teneur pédagogique de
beaucoup des ouvrages de ce secteur, auxquels collaborent des
auteurs spécialisés, souvent des enseignants compétents, est d’ailleurs
généralement indéniable. La dérive, si dérive il y a, viendrait plutôt de
l’aspect inflationniste des produits, dont certains peuvent être jugés
plus ou moins utiles, généré par le contexte économique (besoin pour
les éditeurs de compenser des pertes à partir de la fin des années
1970) et par un contexte psychologique (l’angoisse accrue des familles
vis-à-vis des études) dans le cadre de la massification scolaire et de
l’intensification de la compétition.
Mais surtout, cette « dérive » serait liée à la part que peut ainsi
prendre le parascolaire dans l’accentuation des inégalités d’accès des
élèves à certains biens éducatifs, parmi lesquels nous mettrons au pre-

96
10. Le marché parascolaire traditionnel et l’aide « en ligne »

mier rang le livre (sous la forme des « classiques », par exemple), pour
des raisons d’argent et tout autant pour des raisons culturelles, entiè-
rement entremêlées. Si les cahiers de vacances distribués principale-
ment dans les grandes surfaces sont en effet de prix tout à fait
modiques, de même que les « classiques », il n’en est pas exactement
de même concernant d’autres ouvrages du secteur : la dépense reste
toutefois souvent fondée, notamment quand on prend en considéra-
tion l’achat d’auxiliaires pédagogiques caractérisés par leur durabilité,
tels une grammaire ou un dictionnaire. La difficulté vient de ce que,
outre le fait qu’elle doive être à l’évidence limitée par des contraintes
de budget familial – là où, pour d’autres milieux, on ne regardera pas
à acheter beaucoup de livres et autres biens culturels de haute renta-
bilité scolaire –, la dépense dans cette direction n’est nullement
acquise de manière spontanée pour certaines familles non familiari-
sées avec l’univers du livre et son environnement. C’est donc une frac-
ture culturelle, superposée dans la majorité des cas à une fracture
socio-économique, qu’il faut incriminer en l’occurrence, avant d’im-
puter la cause des risques d’inégalités accrues à l’école en elle-même
(quoique non prescriptrice de la plupart de ces achats, elle en est bien
sûr inductrice, sans qu’on puisse entièrement le lui reprocher) ou au
secteur parascolaire lui-même, sauf à opérer le même type de raison-
nement pour tous les biens mis sur un marché.
À la fracture culturelle risquent de se rajouter les effets de la « frac-
ture numérique ». En effet, de plus en plus, ces livres et cahiers d’exer-
cices sont associés à l’édition de CD-Rom complémentaires (produits
électroniques dits « hors ligne »), et des tentatives sont également faites
pour vendre dans le même mouvement des services Internet (produits
« en ligne »).

97
L’école et l’argent

L’aide « en ligne » : les espoirs (provisoirement ?)


déçus d’un nouveau marché
Consistant en la diffusion de cours, aides, soutiens, etc. payants via
Internet, ces services constituent l’équivalent électronique de ce que
nous avons rencontré plus haut sous la forme de cours privés, dont
nous avons mesuré à quel point ils signifient – par rapport à la tradi-
tion – l’intrusion d’une nouvelle logique marchande dans la sphère
éducative, et quelle manne ils représentent.
Quel aperçu peut être tracé de la situation en France aujourd’hui du
point de vue de cette offre de services d’enseignement payants en ligne ?
On entendra par là toute prestation à orientation et à contenu expres-
sément éducatifs (au sens des apprentissages) accessible par Internet,
moyennant finance. La situation est, dans ce domaine, extrêmement
volatile, et nous ne ferons que l’esquisser. Sur ce marché, on trouve4 :
les grands éditeurs qui ont tenté de développer, dans leur secteur mul-
timédia, des services Internet en en attendant des bénéfices substantiels ;
des éditeurs privés spécialisés (comme Jériko, Éditronics, Bibliopolis,
etc.) ; des groupes industriels non spécialisés (France Telecom, Boulanger,
Renault, EDF, etc.). Nous ne retenons pas, dans ce rapide tableau, le
CNED, opérateur public, dont la vocation d’enseignement à distance
payant, interne à l’Éducation nationale, est ancienne, et qui ne peut
donc être rangé parmi les prestataires de services comme les autres.
L’offre de ces prestataires privés s’adresse en majorité à des clients indi-
viduels et prend souvent la forme suivante : services de révision des
connaissances, d’entraînement, de bachotage à l’intention des élèves ;
conseils prodigués aux parents ; documents pédagogiques consultables
en ligne ou téléchargeables ; forums, « chats », échanges de courriels
avec des enseignants tuteurs. Les enseignants constituent également des
cibles pour les offreurs qui cherchent à proposer des services de res-
sources en lien avec des progressions pédagogiques. Les modalités de
paiement sont celles de l’abonnement individuel mensuel ou annuel

98
10. Le marché parascolaire traditionnel et l’aide « en ligne »

pour des usages illimités, de l’abonnement forfaitaire pour des usages


ciblés payés en points (micropaiements).
Or, paradoxalement, s’il s’agit bien là d’un marché considéré comme
très prometteur par les entrepreneurs, il n’a pas vraiment « pris » en
France ni encore rapporté ce qui en était attendu (son chiffre d’affaires
reste très inférieur à celui des autres aspects des secteurs marchands
évoqués précédemment), sans doute pour plusieurs raisons. La pre-
mière tient au fait que l’usager répugne à payer là où il peut trouver des
services équivalents, voire supérieurs, gratuits, comme c’est le cas avec
certains sites élaborés par des enseignants ou des associations d’ensei-
gnants, ou d’autres, prodiguant des conseils, donnant accès à des res-
sources, organisant des forums, proposant des devoirs rédigés et des
élucidations de questions (Sosphilo, Webmaths, par exemple), etc.
Serge Pouts-Lajus* fait remarquer que le principe initial d’Internet était
justement celui de l’échange non marchand basé sur le don réciproque ;
les retentissants échecs rencontrés par Hachette et Vivendi Universal à
la fin des années 1990, dans leurs tentatives de réaliser de très gros
bénéfices par les moyens mentionnés ci-dessus, témoignent une
méconnaissance de cette donnée. Parmi les autres raisons, il ne faut pas
négliger l’attachement de la population à l’éducation traditionnelle
in praesentia, que celle-ci relève d’ailleurs du système public d’ensei-
gnement ou du système privé, comme le montre l’engouement pour les
cours privés individualisés. Cet attachement n’est bien sûr pas exclusif
du recours aux formes virtuelles, particulièrement pour les milieux qui
investissent (à tous les sens du terme) sur l’éducatif, et qui, ayant les
moyens de le faire, cumulent à nouveau des avantages ; mais, pour la
majorité d’entre eux, la forme présentielle collective – bien qu’attaquée
aujourd’hui, par exemple, par le home schooling (scolarisation au seul
domicile) – reste le cœur de la vision scolaire privilégiée.
* S. Pouts-Lajus est spécialiste des liens entre éducation et nouvelles technologies ; il est l’au-
teur, avec Marielle Riché, de L’École à l’heure d’Internet (Paris, Nathan, 1998).

99
L’école et l’argent

En conclusion, on soulignera néanmoins que, par-delà son échec


relatif actuel, ce type de services en ligne porte en germe des risques
majeurs pour l’école traditionnelle.
Il s’agit tout d’abord du développement du home schooling préci-
sément, déjà très en vogue aux États-Unis (les supports Internet
venant alors compléter les interventions parentales et/ou communau-
taires) et commençant à se développer en France, où l’obligation sco-
laire ne l’interdit pas*. En 2000, c’étaient 1 500 enfants (hormis les cas
de maladie ou d’empêchement relevant d’une scolarisation à distance
par le CNED, ce qui est une autre configuration) qui étaient ainsi pris
en charge ; mais ce chiffre est en assez sensible progression depuis.
Il s’agit ensuite du risque d’accentuation, au moins pendant un
temps, de la fracture socioscolaire via la fracture numérique. À long
terme, on peut même voir se profiler la dissolution de la forme scolaire
traditionnelle, significativement appelée de ses vœux par le chantre de
l’intelligence artificielle, Seymour Papert**, qui considère l’institution
scolaire actuelle comme l’un des derniers bastions soviétiformes à
détruire. Tout un programme… auquel nous ne souscrivons résolument
pas, compte tenu de ce que cela supposerait de substitution d’enjeux
purement marchands à la primauté nécessaire de l’enseignement
public, comme nous l’avons montré plus haut. Si, en effet, dans le cadre
d’une concurrence contrôlée, la coprésence du public et de certaines
formes du privé reste acceptable (la réalité française présente en atteste
par plusieurs aspects), les risques de la solution « privée » espérée en
matière d’enseignement, selon certaines conceptions radicales, via le
cheval de Troie du « virtuel », hors toute prise en compte de l’intérêt
général, nous semblent devoir être absolument écartés.

* Même si le code de l’éducation stipule que « l’instruction obligatoire est assurée prioritaire-
ment dans les établissements d’enseignement » (art. L.122-1).
** S. Papert, mathématicien, est un pionnier des recherches sur l’intelligence artificielle et sur
les apports de celle-ci aux processus d’apprentissage. Parmi ses ouvrages traduits en français :
L’Enfant et la machine à connaître : repenser l’école à l’ère de l’ordinateur (Paris, Dunod, 1994).

100
11. Le prix de l’école :
qui finance quoi ?

L e coût de l’école, considérable dans une société développée,


passe facilement inaperçu dans la vie courante, laissant parfois
croire que ce qui est gratuit n’a pas de coût. Il faut tenter à la fois d’ap-
précier cette dépense et son évolution, mais aussi de juger de la répar-
tition de cette dépense entre les différents financeurs.

La dépense intérieure d’éducation (DIE)


En 2003, la DIE s’est élevée en France à 111,3 milliards d’euros. La
DIE définit l’ensemble des dépenses consacrées à l’éducation par tous
les acteurs économiques concernés : État (administrations publiques
centrales), régions, départements, communes (administrations
publiques locales), entreprises et ménages. Dans cet acronyme, le E
de « éducation » désigne l’enseignement à tous niveaux, les activités
visant à organiser le système scolaire (administration générale, orien-
tation, documentation, recherche sur l’éducation), à favoriser la fré-
quentation scolaire (cantines et internats, transports, médecine
scolaire) et les achats de biens et de services liés à l’éducation (four-
nitures, livres, habillement, loisirs en relation avec la fréquentation
scolaire). Il s’agit donc d’une notion beaucoup plus large que le seul
budget de l’Éducation nationale, bien que celui-ci soit évidemment
inclus dans la DIE.
Cette dépense d’éducation ainsi calculée a représenté, en 2003, 7,1 %
du PIB (produit intérieur brut, mesurant la richesse nationale produite
annuellement). Ce chiffre a oscillé depuis 1974, s’élevant toutefois à

101
L’école et l’argent

7,8 % de 1990 à 1993 (du fait de l’effort des collectivités locales, suite
à la décentralisation, et de la revalorisation des salaires des personnels
enseignants décidée en 1989), mais diminue depuis 1993.
Évolution de la part de la DIE dans le PIB (%) de 1974 à 2003

Source : L’état de l’école, n° 14, octobre 2004, Paris, publications de la DEP.

En termes de comparaison internationale, la DIE en pourcentage du


PIB – mais limitée dans cette évaluation au seul aspect « formation ini-
tiale » – situait en 2001 la France (avec 6 %) dans un ensemble de « pays
de tête », dont les systèmes éducatifs sont très différents comme la Corée
(8,2 %), les États-Unis (7,3 %), la Suède (6,5 %), la Norvège (6,4 %).
D’autres pays dont l’école est ancienne et développée n’atteignent que
des niveaux inférieurs : Royaume-Uni (5,5 %), Allemagne et Italie (5,3 %),
Espagne et Pays-Bas (4,9 %), Japon (4,6 %), Irlande (4,5 %)*. Ce qui peut

* Chiffres de l’OCDE, CERI.

102
11. Le prix de l’école : qui finance quoi ?

expliquer, pour la France, le caractère élevé de sa DIE, c’est notamment


l’effort qu’elle accomplit en direction des petits, qu’elle scolarise dès
l’âge de deux ans et pratiquement en totalité à l’âge de trois ans (à la
différence, par exemple, de la Grande-Bretagne). La dépense par élève
a ainsi progressé beaucoup plus vite en maternelle qu’en élémentaire
(+ 60 % depuis 1985 contre + 30 % seulement). C’est aussi la résultante
d’autres caractéristiques comme la pratique du redoublement, dont le
coût annuel pour la dépense touchant la scolarité obligatoire est estimée
à 2 milliards d’euros (1,1 milliard si l’on tient compte des coûts fixes)1.
Le coût par élève et par niveau d’enseignement
En moyenne annuelle (2003), la France dépense (ou un élève coûte)
6 600 € par élève ou par étudiant, ce qui représente un effort financier
de 1 810 € par habitant. Mais cette moyenne (qui prend en compte
la totalité des dépenses, courantes et en capital, ainsi que l’intégralité
des activités extrascolaires et de formation continue) recouvre d’im-
portantes disparités. En effet, on peut constater que cette dépense
moyenne dans l’enseignement public s’élève à :
• 4 530 € pour un élève du premier degré ;
• 8 210 € pour un élève du second degré ;
• 6 820 € pour un étudiant d’université (hors IUT*).
Ces moyennes elles-mêmes, qui montrent que le second degré
coûte le plus cher ou que l’effort national est le plus appuyé à ce
niveau, méritent d’être encore relativisées. On s’aperçoit ainsi que les
disparités sont importantes à l’intérieur d’un même secteur. Dans le
second degré, la dépense moyenne pour un collégien s’élève à
7 150 €, pour un lycéen de l’enseignement général et technologique
à 9 750 €, pour un lycéen professionnel à 10 130 € (ce qui se com-
prend par les investissements en machines et en matériels, ainsi que
par les moindres effectifs par professeur) et pour un apprenti de
niveau secondaire seulement à 6 150 € (moindres investissements).
* IUT : institut universitaire de technologie.

103
L’école et l’argent

Globalement, le premier degré a connu une forte hausse de son coût


par élève au cours de la décennie 1990, liée à plusieurs facteurs : pro-
gression du nombre d’enseignants et baisse concomitante du nombre
d’élèves ; revalorisation des carrières avec la création du corps des
professeurs des écoles, désormais rémunérés comme catégorie A de
la fonction publique ; réduction des effectifs des classes de maternelle.
Un enseignement supérieur délaissé et inégalitaire
Concernant l’enseignement post-baccalauréat, nous n’avons men-
tionné que le coût moyen d’un étudiant d’université publique (bien
moins cher donc qu’un élève du secondaire), mais nous voyons les
chiffres exploser si nous considérons d’autres types d’étudiants : les
coûts montent à 9 320 € pour un élève d’IUT et doublent littéralement
pour un élève de CPGE* (13 170 €). Globalement, la France se dis-
tingue par la faiblesse de sa dépense vis-à-vis de l’enseignement uni-
versitaire ; elle y consacre 1,2 % de son PIB (18 milliards d’euros, dont
17 milliards pour la seule formation initiale) quand c’est plus de 2 %
aux États-Unis, par exemple2. À la différence des États-Unis justement,
et d’autres pays, le financement de l’enseignement supérieur est
essentiellement public (à 86 %, dont 70 % assumés par le seul MEN,
au lieu de 50 % aux États-Unis et 42 % au Japon). Malgré un effort finan-
cier très important fourni en faveur de l’université au début de la décen-
nie 1990, la dépense moyenne par étudiant n’a guère progressé en prix
constants, du fait notamment de l’augmentation importante des effectifs
universitaires entre 1990 et 1995 (presque 400 000 étudiants en plus).
La distinction française entre enseignement supérieur et enseigne-
ment universitaire conduit au constat suivant : alors que les filières les
plus prestigieuses et les plus rentables scolairement et socialement
sont fréquentées très majoritairement par des étudiants issus des caté-
gories sociales les plus favorisées et/ou les mieux informées, l’effort

* CPGE : classe préparatoire aux grandes écoles.

104
11. Le prix de l’école : qui finance quoi ?

« égalitaire » consenti par la nation à l’endroit de ces filières – ouvertes


à tous mais fortement sélectives – bénéficie en priorité à ceux qui sont
déjà initialement avantagés, cela même si, désormais, les autres ont la
possibilité d’atteindre eux aussi des niveaux supérieurs, mais nette-
ment moins valorisants. Le sociologue F. Dubet l’exprime avec force :
« Les études les plus rentables pour les individus sont les plus coû-
teuses pour la collectivité. Elles sont “gratuites” et réservées aux plus
favorisés alors qu’elles sont “payées” par tous, c’est-à-dire d’abord par
ceux qui ne feront jamais ce type d’étude3. »
Le rang de la France au niveau international
De leur côté, les mesures historiques et géographiques ont tout leur
intérêt. Entre 1810 et la fin du XXe siècle, la dépense par élève a ainsi
été multipliée par 30 4 ; entre 1975 et aujourd’hui, elle a augmenté de
82 % pour les élèves du primaire et du secondaire, seulement de 25 %
pour les étudiants d’université. Ces chiffres témoignent à la fois du
formidable investissement qui a été consenti pour l’éducation depuis
les temps précédant l’instruction de masse, ainsi que de l’accélération
qui s’est opérée dans le dernier quart du XXe siècle, notamment du
côté de l’enseignement secondaire, tout autant que des limites de l’ef-
fort concernant l’université de masse (limites dont l’interprétation doit
être en partie rapportée à l’augmentation considérable des effectifs
étudiants jusqu’en 1996, puis de nouveau depuis 2000, et à l’absorp-
tion des crédits par le seul fait de cette augmentation). Si l’on se
tourne vers la comparaison internationale, avec toutes les difficultés
méthodologiques qui se présentent (prise en compte ou non de l’en-
seignement privé), on constate que la dépense française moyenne
pour un élève du premier degré (public et privé) est, en 2001, presque
exactement la même que celle de la moyenne des pays de l’OCDE*
(France : 4 780 équivalents-dollars, moyenne OCDE : 4 850**). Il en
* L’OCDE comprend une trentaine de pays parmi les plus riches.
** Très nettement au-dessus, on trouve l’Italie (6 780), les États-Unis (7 560), le Danemark (7 570).

105
L’école et l’argent

va de même concernant les dépenses cumulées par étudiant pendant


la durée moyenne des études (France : 41 370 équivalents-dollars,
OCDE : 42 910*, en 2001). En revanche, la France est très largement
en avance sur la dépense moyenne des pays de l’OCDE pour ce qui
a trait aux élèves du second degré public et privé, cette moyenne s’éta-
blissant à 6 150 équivalents-dollars par an, celle de la France à 8 110,
exactement comme le Danemark, et juste derrière l’Italie (8 260) et les
États-Unis (8 780).
Au total, on peut avoir une idée de la répartition de la dépense, par-
ticulièrement favorable à l’enseignement secondaire et défavorable à
l’enseignement supérieur, en observant les ratios suivants : si on part
d’une base 100 pour nommer la dépense par élève dans l’enseignement
primaire, l’indice de la dépense par élève dans le second degré est de
173 en France et en Allemagne, alors qu’il n’est que de 103 en Suède
(ce pays investit autant dans un écolier que dans un lycéen, ce qui veut
dire qu’on aide davantage les élèves plus tôt dans leur scolarité, au lieu
d’attendre peut-être qu’apparaissent des situations d’échec).
Si on prend maintenant l’indice du coût d’un étudiant de l’ensei-
gnement supérieur, et si on le rapporte à l’indice d’un élève du second
degré (en gardant le coût d’un écolier en base 100), on obtient pour
la France le coefficient de 1.1 et pour la Suède de 2.4 !

Réalités et limites d’un financement « tout État »…


Comment se distribuent les parts prises par les différents acteurs
dans le financement des dépenses d’éducation** ? L’État reste de loin le
premier financeur du système éducatif avec, à sa charge, en 2003,
64,8 % de la dépense. Même si toutes les dépenses d’éducation de
l’État ne sont pas inscrites à la charge du seul budget de l’Éducation
nationale (les autres ministères impliqués étant notamment ceux de
* Plus dépensiers sont le Danemark (59 830), les Pays-Bas (63 910) et la Suède (69 980).
** En termes de financement initial, c’est-à-dire avant transferts entre les différents acteurs éco-
nomiques.

106
11. Le prix de l’école : qui finance quoi ?

l’Agriculture, de la Défense, de la Justice), ce dernier supporte à lui seul


57,5 % du financement national en question.
La part prépondérante du budget de l’État dans la dépense intérieure
d’éducation montre donc que l’essentiel du financement de l’éducation
est assuré par l’impôt. Une illustration de ce point réside dans la prise
en charge par l’État de l’essentiel de la formation professionnelle initiale
(là où, ailleurs, par exemple en Allemagne, ce sont les entreprises).
Bien entendu, dans d’autres pays qui n’ont pas la même culture tradi-
tionnelle du service public que la France, la part des fonds privés dans
le financement de l’éducation se révèle très importante : notamment en
Corée (43 %), aux États-Unis (près du tiers du total des dépenses), en
Australie et au Japon (près d’un quart du total).
Les collectivités territoriales participent à hauteur de 19,4 %, leur
part du financement s’étant évidemment accrue depuis les lois de
décentralisation des années 1980.
Les ménages sont les troisièmes financeurs, avant transfert des
bourses d’État et des aides des caisses d’allocations familiales. Ils sup-
portent directement 8 % de la dépense totale. Ils participent en effet aux
dépenses générales d’entretien, de cantine et d’internat, à l’achat des
livres (les manuels ne sont pas à leur charge dans l’élémentaire et le
premier cycle, et c’est aussi, de plus en plus, souvent le cas dans le
second cycle) et des fournitures scolaires, ils paient les droits d’inscrip-
tion dans les établissements privés (qui sont comptabilisés dans ce cal-
cul) et dans les universités. Sur la moyenne durée, cette part effective
et comptabilisée (selon une méthodologie qui peut certes être contes-
tée) a eu tendance à diminuer sensiblement si l’on prend pour réfé-
rence 1975 (10,6 %) et 1985 (11,2 %), très légèrement si on considère
1995 (8,2 %)*.
Pour leur part, les entreprises contribuent en 2003 pour 5,8 % au
financement initial de la dépense nationale d’éducation, par le biais
* La baisse de la dépense relative des familles pour l’éducation peut surprendre, si on la rap-
porte à des budgets familiaux de loisirs et culture en hausse.

107
L’école et l’argent

du financement de la formation continue, de l’apprentissage et de la


taxe du même nom. Cet impôt, créé en 1925, peut soit être acquitté par
versement au Trésor public, soit être remplacé par des dépenses en
faveur de la formation professionnelle initiale (cas le plus fréquent).
Le premier budget de l’État
En 2004, les dotations de crédits inscrites au budget se sont élevées
au total à 64,6 milliards d’euros (55,5 pour la section budgétaire ensei-
gnement scolaire, 9 pour celle de l’enseignement supérieur). Cela
représentait une progression de 2,85 % par rapport à la loi de finances
initiale de 2003, continuant à placer le budget de l’éducation en tête
de tous les budgets ministériels, avec une part de 23,25 %.

Évolution du budget du MEN, du budget de l’État de 1999 à 2004


(en milliards d’euros et %)
1999* 2000 2001 2002 2003 2004
MEN 53,3 55 59,2 61,4 62,8 64,6
État 254,6 253,8 260,9 266,3 273,8 277,9
MEN/État 20,9 % 21,6 % 22,6 % 23 % 22,9 % 23,2 %
* Budget voté Source : Repères et références statistiques, 2004, p. 275.

On trouverait une progression, de la même façon quasi continue,


en prenant un autre repère dans le temps, puisque, au début de la
décennie 1990, la part du MEN dans le budget de l’État était de 18,4 %.
Si l’on mesure par ailleurs le rapport du budget de la seule Éducation
nationale au PIB pour la période 1999-2004, on se situe constamment
aux alentours de 4 %, avec de légères fluctuations, ce qui montre une
nouvelle fois la part prépondérante prise par ce ministère dans le
financement initial de la dépense d’éducation. Cela s’explique par
l’importance que représentent les dépenses de personnels.

108
11. Le prix de l’école : qui finance quoi ?

Ce ministère est en effet l’employeur de 1,3 million de personnes


(soit plus de la moitié des emplois budgétaires de l’État). Au 31 jan-
vier 2004, le nombre exact de personnels rémunérés par le ministère
de l’Éducation nationale était de 1 317 483 (dont 1 172 089 relevant
du secteur public et 145 394 du secteur privé sous contrat, 76,9 %
étant des enseignants). Le budget du MEN est donc essentiellement un
budget de dépense en rémunérations des personnels puisque ce
compte représente plus de 95 % du total dans le domaine de l’ensei-
gnement scolaire. Dans l’enseignement supérieur, la part du budget
dévolue aux salaires des personnels s’élève à 60 % du total. Le finan-
cement va ainsi surtout vers les salaires d’enseignants, de façon beau-
coup plus forte que dans d’autres champs d’action de l’État, et – tout
spécialement dans les secteurs primaire et secondaire – la marge pour
satisfaire d’autres types de besoins s’avère extrêmement étroite, sinon
nulle, d’autant plus que les charges correspondant aux dépenses de
fonctionnement courant, d’investissement et d’intervention ont été
transférées aux régions et départements depuis les années 1980.
Le point sur le supérieur
Que nous apporte la comparaison internationale ? On constate que,
si la France fait partie d’un ensemble de pays où la dépense publique
(État ou autres collectivités) est forte, avec, par exemple, le groupe des
pays scandinaves, et où la dépense des familles est en conséquence
faible, une différence sensible existe pour l’enseignement supérieur :
en effet, à ce niveau, et malgré des dépenses globales relativement
faibles, la France demande une participation aux familles (14,5 %) plus
forte que dans les pays scandinaves, alors que ces pays dépensent plus
que la France pour l’enseignement supérieur. En outre, financer l’en-
seignement supérieur, en France, pour l’État, c’est surtout financer des
établissements, alors que dans les pays scandinaves de référence, ici,
c’est beaucoup plus financer les étudiants par un système de bourses.
Le pourcentage de la dépense publique d’enseignement supérieur qui

109
L’école et l’argent

est consacré au financement des étudiants est de 8 % en France, mais


de 30,3 % au Danemark ou de 20,3 % en Suède. On voit mieux
comment se « répartit la pénurie » pour l’enseignement supérieur en
France : relativement peu d’argent, presque totalement public, finance
le fonctionnement d’établissements beaucoup plus qu’il n’aide les étu-
diants à s’en sortir. La démocratisation de l’enseignement supérieur est
bien sûr de reste.

110
12. Avec les
décentralisations,
un financement qui se complexifie

L a gratuité de l’enseignement a été un thème républicain dès l’ori-


gine, et c’est l’État, comme on l’a vu, qui s’était chargé du finan-
cement de l’essentiel de cette gratuité, en partageant toutefois le
fardeau avec les communes, pour autant qu’il s’agissait à l’époque du
seul financement de l’enseignement primaire.
Quand la gratuité s’est étendue à d’autres niveaux d’enseignement
(collège, lycée, enseignement supérieur), cela s’est fait aux seuls frais
de l’État, sans participation autre que volontaire (et faible) des collec-
tivités territoriales (au début les communes et les départements, puis
les régions quand elles furent créées). L’État était reconnu comme le
financeur quasi unique des dépenses d’éducation à tous les niveaux
d’enseignement : locaux, dépenses de personnels de tous types, frais
de fonctionnement.
C’est cette situation qui s’est profondément modifiée. Le contexte a
été bien sûr celui du développement en France de la décentralisation,
c’est-à-dire des compétences et des pouvoirs à la fois des départe-
ments et des régions, dont les affaires sont réglées respectivement par
les conseils généraux et les conseils régionaux. L’idéologie générale
qui présida à la décentralisation proposait d’améliorer la qualité des
décisions dans un certain nombre de domaines de compétence
publique, en s’assurant qu’elles soient prises plus près de leur terrain
d’application : le meilleur ajustement des réponses aux besoins amè-
nerait non seulement une amélioration des services, mais également
permettrait de réaliser des économies.

111
L’école et l’argent

Il ne faut pas négliger aussi d’autres questions mêlées, très par-


lantes en matière d’éducation dans les années 1980, d’expansion
quantitative sans précédent du nombre de lycéens à accueillir entre
des murs avec des professeurs pour leur enseigner : comment éviter
de faire porter à l’État de nouvelles charges, dans le contexte des res-
trictions budgétaires et de la limitation des déficits publics, voire com-
ment lui permettre de reporter un certain nombre de ses charges
traditionnelles sur les budgets des départements et des régions ? Il ne
faut pas oublier en effet que la décentralisation en France n’a pas été
une réponse apportée à une demande d’autonomie des territoires,
mais un octroi par l’État, à des collectivités qui ne le demandaient pas
nécessairement, d’un certain nombre de compétences : renvoyer des
problèmes vers le « local », c’est éviter parfois qu’ils ne prennent trop
de force à l’échelon national…

La décentralisation de l’éducation :
un délicat exercice de dévolution de pouvoir
Décentraliser en matière d’éducation est toutefois un thème encore
plus délicat que dans d’autres domaines : comment l’Éducation « natio-
nale » pourrait-elle accepter que certaines de ses compétences soient
déléguées, voire abandonnées ? Il s’est d’ailleurs agi, en matière
d’éducation, d’une décentralisation douce, et non d’un chamboule-
ment, d’une évolution d’une situation simple (l’État paye tout !) à une
situation complexe qui traça un nouveau paysage.
Car décentraliser un pouvoir d’État, cela implique de faire des
choix : va-t-on décider de confier tous les pouvoirs scolaires, et donc
la globalité des financements, à des collectivités territoriales, comme c’est
le cas en général dans l’Europe du Nord ? Ou bien seulement certains
de ces pouvoirs, les autres restant à l’État ? Va-t-on vouloir donner des
pouvoirs à ces départements et à ces régions nouvellement nées, ou bien,
au nom des mêmes motifs décentralisateurs, ne va-t-on pas vouloir

112
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

décentraliser les financements aux établissements eux-mêmes, aux


écoles, aux collèges et aux lycées, comme c’est le cas, par exemple,
aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni ? Après tout, rapprocher la dépense
du service rendu et des usagers, ne serait-ce pas cela ? A-t-on besoin de
cet échelon intermédiaire, de ces collectivités territoriales qui ne deman-
dent rien et qui ne connaissent rien à l’éducation, alors que l’État, les
académies, les établissements sont vraiment dans leur domaine ? Et va-
t-on prendre les mêmes décisions pour ce qui concerne les écoles, les
collèges, les lycées, les universités ?
Toutes ces questions, déjà complexes prises isolément, se croisent,
puisqu’on a trois grandes catégories de dépenses (dépenses de per-
sonnel, investissements et dépenses de fonctionnement) à combiner
avec trois niveaux de pouvoir à organiser (État, collectivités territo-
riales et établissements d’enseignement eux-mêmes), trois niveaux
d’enseignement à articuler (primaire, collèges et lycées), trois types de
collectivités territoriales à impliquer (communes, départements et
régions) et que, dans chaque cas, on doit aussi décider si celui qui
devra dépenser le fera sur ses ressources propres ou sur des res-
sources transférées par un autre niveau de pouvoir, et s’il le fera en
toute liberté ou en devant respecter des réglementations préétablies
ou encore des enveloppes « fléchant » les différentes dépenses…
Au risque d’un système de poupées russes inintelligible
C’est alors qu’une idée d’apparence logique, mais aux consé-
quences étranges, fit son chemin : reprendre le vieux schéma qui avait
prévalu quand on avait attribué les dépenses de fonctionnement et
immobilières des écoles primaires aux communes ; attribuer les
dépenses équivalentes pour les collèges aux conseils généraux et
celles concernant les lycées aux conseils régionaux, selon un système
de poupées russes. À la différence, toutefois, de la situation qui pré-
vaut depuis l’origine dans les écoles primaires, les personnels non
enseignants (administratifs, de service…) des lycées et collèges sont

113
L’école et l’argent

restés, de 1983 à 2004*, à la charge de l’État. Indépendamment de la


logique de décentralisation à laquelle on peut ou non être favorable,
force est de reconnaître que ces décisions étaient étranges. Elles fai-
saient comme si un département ou une région pouvaient improviser
des compétences en matière de planification de l’enseignement secon-
daire et professionnel. Elles désignaient trois financeurs différents pour
l’ensemble écoles/collèges/lycées, en complément du financement des
personnels qui restait assuré par l’État, ce qui d’une part créait à la base
une complexité susceptible d’être à l’origine de problèmes de coordi-
nation et de charnières, et ce qui rendait d’autre part le financement de
l’école particulièrement inintelligible aux citoyens.
C’est ainsi que les parents, par exemple, n’ont pas perdu l’habitude
de s’adresser à l’inspecteur d’académie, au recteur ou au ministre pour
protester contre une insuffisance de financement en matière de
locaux, de matériels ou de prestations de cantine qui ne sont plus de
la compétence de l’État. Le plus intéressant est sans doute de consta-
ter que les courriers adressés au ministre par les parlementaires conti-
nuent de l’interpeller au sujet de la construction d’un nouveau collège,
du déneigement d’une cour de récréation ou de la qualité acoustique
des constructions1.
Cette incapacité des Français et de leurs élus à comprendre que
l’État s’est décentralisé est d’ailleurs renforcée si l’on se souvient qu’à
l’automne 1990, c’est-à-dire bien après les lois de décentralisation,
alors que les lycéens dans la rue protestaient partout en France contre
l’état physique de leurs lycées, le ministre Jospin a bien perçu que les
manifestants n’admettraient pas qu’il leur réponde que tout cela est
désormais de la compétence des conseils régionaux ! De fait, l’État a
lancé alors le « plan d’urgence des lycées » et y a investi 2 milliards
de francs (près de 305 millions d’euros) ! Tout cela n’a-t-il pas conforté
* La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales transfère aux collectivi-
tés territoriales les personnels techniques, ouvriers et de service, c’est-à-dire les personnels
s’occupant du cadre bâti dont les collectivités ont la charge.

114
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

l’idée que l’école, c’est de l’« argent public », quoi qu’il advienne, de
l’argent presque mystérieux tant on ne sait pas d’où il provient, et
presque de l’argent sans responsable ni coût !
L’autre idée qui s’imposa fut celle qui consista à séparer les
dépenses et compétences pédagogiques de tout le reste. L’apparence
semble simple : l’État, conservant ses compétences « régaliennes » en
matière de « contenus d’enseignement », payait les professeurs chargés
de les mettre en œuvre et les crédits pédagogiques des établisse-
ments. Tout le reste était financé par les collectivités locales, selon la
répartition énoncée plus haut.
Un autre principe qui s’imposa, au moins dans les textes, dès la fin
des années 1980, fut de favoriser, dans le second degré public, l’émer-
gence d’une entité en route vers l’autonomie : l’établissement. Désignées,
à partir de 1985, sous le nom d’établissements publics locaux d’ensei-
gnement (EPLE), près de onze mille entités sur le territoire national
ont commencé à exister en se dotant d’un budget et en ayant donc,
en théorie au moins, des décisions à prendre en matière de ressources
et de dépenses.
Comme on peut s’y attendre, il ne sera pas facile de faire cohabi-
ter ces différents principes : si l’on prend les choses dans l’autre sens,
à partir de l’établissement, on voit qu’il a l’obligation de coordonner,
au sein de son budget, des ressources qu’il tient de l’État et de la ou
des collectivités territoriales, des dépenses réputées pédagogiques et
des dépenses qui ne le seraient pas, que l’État finance totalement – en
dehors du budget de l’établissement – la plus importante dépense, à
savoir la rémunération des personnels (enseignants et non ensei-
gnants), et que les collectivités interviennent aussi fréquemment hors
budget, par exemple sur le cadre bâti !
On aperçoit là une autre caractéristique des dépenses d’éducation
en France : leur très grande complexité, aussi bien quand on appré-
hende les principaux itinéraires de financement que lorsque l’on tente

115
L’école et l’argent

de comprendre comment les choses se passent à l’échelon de mise en


œuvre, c’est-à-dire à celui de l’école ou de l’établissement. Dans les
pays étrangers comparables, on a des choix extrêmement divers entre
les trois niveaux de financement possibles : État, collectivité intermé-
diaire, établissement, mais on n’a nulle part de solution aussi com-
plexe qu’en France.

L’effort des collectivités locales


Comme chaque fois que le législateur intervient sur l’organisation
de la vie publique, les conséquences sont faites d’un mélange dont
personne ne connaît à l’origine le dosage entre conséquences prévi-
sibles et imprévisibles. On peut dire que la diversification des finan-
cements de l’éducation dont les décentralisations (celles des années
1980 et de 2004 en direction des collectivités territoriales d’une part,
celle en direction des établissements d’enseignement d’autre part)
sont à l’origine a eu deux conséquences majeures : améliorer consi-
dérablement un certain nombre de prestations éducatives dans la tota-
lité du pays ; poser des questions nouvelles sur le sens à donner à
l’avenir au service public d’éducation.
Pour mesurer l’effort financier des collectivités locales en faveur de
l’éducation, on s’en tiendra à deux repères : tandis que la part des col-
lectivités dans le financement de la dépense intérieure d’éducation
(DIE), c’est-à-dire dans le total des dépenses effectuées dans le pays
pour financer quelque dépense d’éducation que ce soit, était de 14 %
en 1975, elle a atteint 19,9 % en 2000*, et même 22,3 % si l’on englobe
ce qu’elles dépensent après les transferts de compensation provenant
du budget de l’État. C’est donc quantitativement considérable : à quoi
cela a-t-il servi ? Pour quels progrès ? Avec quelles réserves ?

* Elle a, comme on l’a vu, un peu baissé depuis : 19,4 % en 2003.

116
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

Une nette amélioration des bâtiments


Les améliorations ont essentiellement touché un domaine essentiel
où l’État n’était depuis longtemps plus « à la hauteur » de ses respon-
sabilités : le cadre bâti des établissements. Responsables des bâtiments
depuis la loi de 1983, les conseils généraux pour les collèges, régio-
naux pour les lycées ont eu à faire face à un effort considérable en ce
qui concerne le bâti : il leur a fallu financer quantité de nouveaux bâti-
ments pour répondre à l’explosion des effectifs en lycées, généraux
et professionnels (il y avait, en 1985, 1 207 600 lycéens ; il y en eut
1 528 300 en 1990 et 1 575 900 [public + privé] en 1992). Toutes les
régions, tous les départements ont fait, à un moment ou à un autre,
leur priorité de l’investissement scolaire : par exemple, on peut rap-
peler que, de 1987 à 1993, 237 lycées ont été ouverts, ainsi qu’une
trentaine de collèges par an (malgré un fréquent tarissement démo-
graphique à ce niveau) !
Ce qui est plus satisfaisant encore, et qui montre que ces questions
financières produisent du sens symbolique et social, c’est que le chan-
gement du financeur, passé de l’État à une collectivité, a eu comme
conséquence que la situation et l’architecture des établissements ont
été mieux considérées : là où l’État avait recherché des bâtiments à
construction industrielle au plus faible coût – dont le collège Pailleron,
qui brûla en 1972, laisse le triste souvenir – les départements et
régions ont naturellement créé de la diversité et, souvent, de l’inno-
vation et de la qualité architecturale. Comme avait changé le visage
des villages français quand la IIIe République avait généralisé les
écoles primaires, celui des bourgades et des villes a changé dans les
années 1980 et 1990 quand ont surgi ou ont été rénovés de fond en
comble, avec souvent des préoccupations à la fois fonctionnelles et
esthétiques évidentes, beaucoup de collèges et de lycées. Les préoc-
cupations fonctionnelles ont souvent porté sur des aspects qui, aupa-
ravant, étaient négligés : espaces d’accueil, d’échange, centres de

117
L’école et l’argent

documentation, locaux de restauration collective, bureaux des profes-


seurs, espaces multimédia. En certains cas, d’ailleurs, l’État a eu du
mal à suivre, quand il lui fallut créer des postes et rétribuer les per-
sonnels destinés à occuper et entretenir ces nouveaux locaux.
Si la diversification des financeurs a eu cet impact éminemment
positif, qui a modifié les conditions de vie et de travail dans les col-
lèges et les lycées, la complexité du schéma initial n’a pas toujours eu
des effets aussi univoques.
Il faut reconnaître que les domaines que les collectivités devaient
financer avaient un aspect relativement ingrat, cantonnées qu’elles
étaient dans les questions de locaux et de fonctionnement, en
excluant tout ce qui traitait de pédagogie. De fait, on constata au
début un faible intérêt des élus locaux, en bien des cas, pour la vie
des établissements, pour participer aux conseils d’administration des
lycées et collèges et y voter les budgets où était pourtant décidée l’uti-
lisation de leurs subventions.
Toutefois, assez vite, les élus locaux comprirent que leurs interven-
tions en matière scolaire pouvaient avoir un impact électoral fort, pour
peu qu’ils sachent communiquer à leur sujet et les rendre visibles.
Le financement des secteurs pédagogiques nouveaux
C’est en réalité dans le domaine pédagogique que le financement
par les collectivités territoriales a été le plus remarqué dans les établis-
sements : en effet, on sait que, si l’État a voulu garder le monopole de
la pédagogie, son intervention dans ce domaine est depuis longtemps
très chiche. L’État a, en effet, depuis toujours, le sentiment qu’il a rem-
pli son devoir s’il met, en quantité mesurée, des élèves devant des pro-
fesseurs censés avoir été convenablement formés à la date de la rentrée
scolaire. La dépense essentielle de l’État, on l’a vu, consiste à rémuné-
rer les personnels et il reste souvent peu de moyens pour tout le reste.
Les collectivités ont pris l’habitude d’intervenir précisément là.
Souvent, dans un établissement au budget tiré, la collectivité de ratta-

118
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

chement apporte le supplément qui permet à l’établissement d’avoir


une petite marge de liberté et, finalement, d’exister de façon un peu
autonome. Tantôt la collectivité va intervenir spontanément et de
façon volontariste, y compris en des domaines où l’établissement
n’exprime pas ou pas encore de demande : cela a surtout été le cas
en matière d’informatique, où certaines collectivités ont pris l’initiative
de financer des équipements (achat de micro-ordinateurs, câblage de
sites, etc.) avec générosité. Financé ou surfinancé ? Dépensé ou gas-
pillé ? La réponse n’est pas aisée : l’État lui-même, à la fin des années
1980, avait brillé par ses gaspillages en la matière en finançant ce qui
s’était appelé le « plan informatique pour tous », qui dota tous les éta-
blissements qui n’en avaient pas fait la demande, et dont les person-
nels n’y étaient pas formés, de micro-ordinateurs inadaptés à la
situation. Les collectivités territoriales, dans les années 1990, c’est-à-
dire à l’heure de l’arrivée d’Internet, avaient bien sûr conscience de la
publicité que leur feraient des décisions parfois audacieuses, comme
de doter tous les collégiens, par exemple, d’un micro-ordinateur por-
table, mais faut-il leur en vouloir d’avoir tenté de développer l’usage
des technologies d’information et de communication, alors que l’État
pédagogue donnait bien peu de conseils d’utilisation et que les ensei-
gnants étaient souvent sceptiques ? Quand existaient dans les services
de l’État des personnes compétentes, par exemple au sein des centres
régionaux ou départementaux de documentation pédagogique (CRDP,
CDDP), pour aider les collectivités à dépenser intelligemment en
matière de nouvelles technologies à l’école, cette collaboration a
donné de bons résultats et l’argent public des collectivités a été bien
dépensé.
Tantôt les représentants des collectivités ont perçu que les écoles
avaient des souhaits, peut-être des besoins, qu’elles ne pouvaient pas
financer, dans des secteurs pédagogiques nouveaux, ou encore per-
çus comme marginaux : si l’État rétribue le travail des professeurs des

119
L’école et l’argent

différentes disciplines, on sait quelles difficultés il rencontre à ce que


soient mis en œuvre les programmes d’enseignement dès lors qu’ils
appellent des démarches interdisciplinaires. Les collectivités, elles,
dont l’action tient plus de la vedette, avec sa légèreté, que du paque-
bot « Éducation nationale », proposent alors leur financement. Il en va
de même sur des sujets comme la lutte contre l’échec scolaire, ou
encore pour financer des voyages.
De fil en aiguille, pour se démarquer du mammouth qu’elles crai-
gnent autant qu’elles le méprisent souvent, les collectivités ont donc
pris de plus en plus souvent l’habitude d’intervenir en matière péda-
gogique, d’une façon facilement ambiguë.
Elles ont souvent répondu aux ambitions que les établissements for-
malisaient dans ces documents que leur demande l’administration aca-
démique sous le nom de « projet » : tandis que l’État avait rarement les
moyens de financer quoi que ce soit au-delà de sa dotation de base à
partir de la lecture du projet d’établissement, la collectivité trouvait faci-
lement ce chemin. La question est alors de savoir si, en finançant tel ou
tel type d’activité, en jouant le jeu du projet, la collectivité ne va pas
prendre la main sur ces projets d’établissement, au point que non seu-
lement l’établissement sera assujetti à une nouvelle tutelle, mais aussi
que l’État, qui finance quand même l’essentiel de la dépense, à savoir
la rétribution des personnels, ne sera plus maître chez lui.
Elles ont parfois financé dans le domaine de l’État lui-même, chan-
geant le jeu pédagogique : l’État refuse-t-il de financer le dédouble-
ment des effectifs en classes de langue, étant donné qu’il ne peut
prendre une telle décision qu’au plan national, avec des coûts immé-
diatement considérables, le conseil régional prend alors en charge ce
dédoublement. L’État prône-t-il une innovation pédagogique comme
les « itinéraires de découverte » au collège sans y consacrer de nou-
veaux moyens, le conseil général de tel département apporte alors la
ressource nécessaire. L’État peine-t-il à développer l’enseignement des

120
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

langues vivantes étrangères à l’école primaire, faute de professeurs


compétents, le conseil général et la commune vont alors dégager les
fonds nécessaires à la rétribution de vacataires linguistes.
On peut se réjouir de ces initiatives, en considérant qu’elles se font
pour le bien des élèves, ce qui est vrai. On peut aussi en être préoc-
cupé pour plusieurs motifs : elles risquent de déresponsabiliser l’État,
qui s’habituera vite à l’idée qu’il peut lancer des projets pédagogiques
incantatoires, à charge à d’autres de les payer ; elles introduisent des
disparités considérables entre les élèves selon les territoires, ce qui
peut rompre gravement l’égalité devant le service public, dont toutes
les collectivités sont comptables ; elles pervertissent le rapport entre
l’État et ses fonctionnaires quand, comme c’est le cas à Paris, la col-
lectivité finance des professeurs spécialisés de musique ou d’arts plas-
tiques qui font à leur place le travail des instituteurs et professeurs
d’école2, ou encore quand elles décident tout d’un coup de réduire
une dépense qui n’a pour elles rien d’obligatoire : le nombre de per-
sonnes recrutées par les collectivités pour contribuer à l’enseigne-
ments des langues vivantes dans le premier degré étant passé de 1891
en 1999-2000 à 833 en 2002-2003, c’est tout le service qui s’en est
trouvé déséquilibré.

Trouver des règles du jeu entre les différents financeurs


Il faut analyser ces phénomènes dans un contexte général : les col-
lectivités locales auront de plus en plus de légitimité à pénétrer dans les
domaines éducatif et pédagogique puisque la loi de programmation
pour la cohésion sociale, dite « loi Borloo », du 18 janvier 2005 leur ouvre
désormais officiellement ce domaine. L’État, de son côté, continue à élar-
gir le champ de la décentralisation, comme ce fut le cas avec la loi du
13 août 2004, qui transfère aux collectivités des compétences en matière
de carte scolaire et, pour la première fois, en matière de personnels,
pour les personnels dits « techniques, ouvriers et de service », ainsi que

121
L’école et l’argent

des compétences sur les fonctions d’« accueil » et de « restauration » qui


ont, de toute évidence, des implications dans le champ « éducation ».
La diversité des financeurs n’est pas nécessairement un handicap,
bien au contraire, si elle permet la souplesse, l’innovation et le traite-
ment de l’urgence. Il y a toutefois un certain nombre de conditions si
l’on veut éviter les gaspillages, les chevauchements et la création d’iné-
galités, qui sont les trois risques de financements croisés.
La première condition est qu’en matière éducative il y ait un pilote,
reconnu, qui favorise l’intervention d’autres partenaires, qui les consi-
dère comme autre chose que des payeurs, même s’il garde le dernier
mot : en ce domaine, l’État a revendiqué un monopole pédagogique,
qu’il a rarement été à la hauteur d’assumer, en ne donnant aux collec-
tivités ni les explications ni les outils qui leur auraient permis de finan-
cer plus juste – en tous les cas, elles s’en sont régulièrement plaint.
La deuxième condition est la mise en place d’un véritable système
d’évaluation concernant les effets, sur le terrain, de la pluralité des
financements. Il s’agit en effet chaque fois d’argent public. Or, aucun
dispositif ne permet aujourd’hui d’évaluer en synthèse l’opportunité et
la compatibilité des différents financements publics (État, conseil
régional, conseil général, communes) bénéficiant sur le terrain au sys-
tème scolaire et à ses élèves.
La troisième condition découle pour partie de la précédente : com-
ment éviter que l’intervention croissante des collectivités territoriales
en matière d’éducation, et même de pédagogie, soit à l’origine de la
création ou du renforcement de disparités trop importantes sur le ter-
ritoire ? La loi du 13 août 2004 dispose que l’État « assume le contrôle
et l’évaluation des politiques éducatives en vue d’assurer la cohérence
d’ensemble du système éducatif » ; elle instaure aussi l’obligation d’un
rapport au Parlement tous les deux ans sur l’effet de l’exercice des
compétences décentralisées en éducation ; elle crée aussi un Conseil
territorial de l’éducation qui formulera notamment « toutes les recom-

122
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

mandations destinées à favoriser l’égalité des usagers »… L’État serait-


il en train de découvrir vraiment les collectivités territoriales comme
interlocutrices en matière d’éducation, après leur avoir jusqu’ici sur-
tout demandé de payer ?

Logiques territoriales et financement de l’éducation


Si cette innovation partielle que constitue la décentralisation en
matière de financement de l’éducation répond à une logique claire,
constatons qu’elle est en balance avec d’autres idées qui rendent le
schéma trop complexe.
En effet, dans les mêmes années, le début des années 1980, où il
commençait de décentraliser certaines compétences scolaires en
direction des collectivités territoriales, l’État adoptait une attitude qui,
comme la décentralisation, recherchait une meilleure adaptation des
financements aux diversités économiques et sociales, mais, cette fois,
sans passer par les collectivités sur lesquelles s’appuie la décentrali-
sation : avec l’instauration des zones d’éducation prioritaires (ZEP) en
1983, l’État décidait bien que ceux qui sont censés « avoir moins » en
dehors de l’école – de par leurs conditions économiques et culturelles
– allaient « recevoir plus ». La nouveauté est qu’il ne se tourne pas,
cette fois, vers une logique d’aide individuelle à certains élèves, mais
vers une logique territoriale, en finançant plus les écoles d’un terri-
toire défini spécifiquement à partir de critères scolaires.
Relevons, comme nous l’avons déjà fait pour la décentralisation, ce
qu’une telle attitude a de nouveau pour l’institution : depuis des
siècles, sous l’Église puis la République successivement toutes puis-
santes, l’école n’avait pas cessé d’arracher les gens au local, à ses
pesanteurs et à ses limites, et même de se mettre hors du monde !
Le bilan que l’on peut faire, après deux décennies de ZEP, est négatif,
pour plusieurs motifs qui nous montrent la difficulté actuelle de conce-
voir un financement de l’école autre que celui inspiré par l’uniformité :

123
L’école et l’argent

– l’effort financier en direction des ZEP a été de l’ordre de 10 à 15 %


de plus que les moyens ordinaires : c’est peu comparativement aux 150
à 200 % consentis aux Pays-Bas pour une politique de même ordre ;
– cet effort financier s’est essentiellement porté sur la baisse du
nombre d’élèves par classe (de l’ordre de deux), ce qui, d’après les
travaux des chercheurs, est trop peu pour être significatif. Le coût a
d’abord été un coût en heures d’enseignement, la vieille unité de
compte dont on attend tout ;
– l’efficacité de l’enseignement en ZEP n’a pas été démontrée en
termes d’acquis des élèves3 ;
– surtout, les écoles en ZEP ont été de plus en plus désertées par les
classes moyennes et sont devenues, en zone urbaine notamment, des
« ghettos », dont les élèves se frottent de moins en moins à ce que la
cité leur refuse : le reste du monde, la variété culturelle, l’exposition
aux savoirs, et même les stratégies scolaires.

Cet échec, rapidement évoqué, montre surtout que la volonté


publique de diversifier les financeurs de l’école (la décentralisation),
ou les modes de financement, rencontre d’évidentes difficultés ; on
voit bien les tensions entre l’idée d’un financement égalitaire du terri-
toire, celle d’un financement dont la diversité renvoie à la démocratie
locale, celle d’un financement cherchant à créer de l’équité par une
politique de zone ou par une politique d’aide individuelle.
Des choix sont à faire entre toutes ces logiques disponibles, et il va
falloir interroger la réalité des prochaines années pour savoir ce qu’il
va en advenir.
État et collectivités sauront-ils s’entendre sur les principes de la
répartition territoriale des dépenses scolaires ? On peut imaginer que
prévalent ici la recherche de l’équité ; ailleurs, celle du développe-
ment de pôles d’excellence, etc. ; ici, l’aide individuelle ; là, un zonage
géographique…

124
12. Avec les décentralisations, un financement qui se complexifie

État et collectivités sauront-ils s’entendre sur l’évaluation de la qua-


lité des établissements et des résultats des politiques ? On peut, en
particulier, se demander si, pour les uns comme pour les autres, le
cadre très éclaté de l’établissement scolaire, au moins dans le second
degré, permet de bâtir efficacement une politique territoriale, alors
qu’il serait plus judicieux de travailler dans le cadre plus global d’une
entité constituée d’écoles, de collèges et de lycées entre lesquels se
répartit l’ensemble de la population d’une ville ou d’un bassin.
Amorcée par la question des compétences financières, la décentra-
lisation appelle de toute évidence, maintenant, une autre géographie
de l’école, qui ne pourra être que la traduction d’une vision politique
nationale et consensuelle4.

125
13. Comment mesurer
l’ efficacité de l’école ?

I l s’agit ici de considérer la valeur des biens produits ou acquis par


l’intermédiaire des dépenses consenties, en mesurant cette fois la
plus ou moins grande ampleur de l’écart entre des objectifs fixés et
des résultats effectivement atteints. Ce type d’exploration peut être raf-
finé à l’infini, et pourrait faire à lui seul l’objet de plusieurs dévelop-
pements, fondés sur des méthodologies différentes voire divergentes,
avec des résultats eux-mêmes divergents ; ne seront évoqués ici que
quelques traits particulièrement saillants concernant le système édu-
catif français, issus d’évaluations « officielles », nationales ou interna-
tionales. Efficacité et efficience renvoient à un rapport entre les
objectifs d’une organisation, les moyens mis en œuvre (investisse-
ment, temps, énergie) et ce qui en ressort en termes de plus-value
(valeur ajoutée). Cela étant, l’éducation ne pouvant être assimilée à
l’industrie ou à la spéculation boursière, il convient d’admettre la pos-
sibilité de ce que les économistes appellent des « rendements décrois-
sants » : effets d’une dépense qui ne « rapporte » pas directement mais
qui, par exemple en assurant à des populations en difficulté une sco-
larisation longue et un meilleur niveau de culture générale, évite aux
personnes elles-mêmes et à la société des situations par trop négatives.

Mesurer l’« espérance de scolarisation »


Que révèle l’évaluation de l’éducation dans notre pays, telle qu’elle
est couramment pratiquée, notamment par des organismes officiels ? En
bonne et due forme, une évaluation suppose qu’on mette en rapport

127
L’école et l’argent

des objectifs précisément définis et le niveau d’atteinte de ces objec-


tifs, en fonction des moyens disponibles (ceci a même été codifié par
un décret du 18 novembre 1998). À défaut d’une délimitation stabili-
sée d’objectifs et de missions sur laquelle s’appuierait une mesure
rigoureuse (on a maintes fois relevé les aspects extraordinairement
complexes, pour ne pas dire contradictoires, des missions désormais
dévolues au système éducatif), on pourra reprendre l’interrogation :
qu’en est-il d’abord du « service offert » ?
Parmi les indicateurs à prendre en compte, certains portent sur les
durées de fréquentation de l’univers scolaire et sur le nombre des
jeunes qui le fréquentent en formation initiale exclusivement. Un de
ces indicateurs est constitué par « l’espérance de scolarisation », c’est-
à-dire la projection calculée de la durée de scolarité d’un(e) petit(e)
Français(e) entrant en maternelle à l’âge où il est possible d’y entrer,
c’est-à-dire 2 ans. Cette durée (il s’agit bien sûr d’une moyenne) est,
en 2003, de 18 ans et 9 mois, filles et garçons ensemble (19,2 pour les
filles, 18,6 pour les garçons). L’espérance moyenne est en légère
régression par rapport à 1995-1996, mais de multiples facteurs expli-
catifs peuvent intervenir dans le phénomène, notamment des souhaits
de quitter plus tôt le système éducatif si la conjoncture de l’emploi est
meilleure.

Évolution de la durée de scolarisation depuis 1985 (en nombre d’années)


1985-1986 1990-1991 1995-1996 2000-2001 2002-2003
Ensemble 17,1 18,1 19,0 18,9 18,9
Filles 17,2 18,2 19,2 19,1 19,2
Garçons 17,0 18,0 18,8 18,7 18,6
Source : MEN (population scolaire), INSEE (effectifs d’habitants), in L’état de l’école, 2003, p. 19.

Comme toujours, la comparaison internationale permet de se faire


une idée plus parlante de la signification de ces chiffres mais, comme

128
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

souvent, la comparaison ne peut pas s’établir spontanément sur des


bases identiques. Dans le cas d’espèce, il faut prendre pour point de
référence l’âge de 5 ans, car la France est un des rares pays, sinon le
seul, à proposer une scolarisation effective (et pas simplement un gar-
diennage) dès l’âge de 2 ans (ce qui a aussi une signification non
dénuée d’intérêt en termes d’évaluation qualitative). En 2002, selon
l’OCDE, l’espérance de scolarisation à temps plein pour un enfant de
5 ans est, en France, de 16 ans et 6 mois, ce qui place notre pays à
égalité avec l’Italie, derrière l’Espagne (16,7), la Suède (16,8) et
l’Allemagne (17,1)*, mais devant le Royaume-Uni (14,7), l’Argentine
(14,9), les États-Unis (15,4), la Belgique (16,2) et les Pays-Bas (16,5).
Un autre indicateur consiste dans le taux de scolarisation. Celui-ci
mesure la proportion d’élèves et d’étudiants en situation scolaire ou
universitaire relativement à l’ensemble de la population du même âge.
Alors que ce taux est égal à 100 % entre 6 et 14 ans, il se situe à envi-
ron 85 % à l’âge de 18 ans (filles et garçons). Évalué de 2 à 29 ans, ce
taux de scolarisation atteint 65 %, ce qui constitue un record : plus
d’un quart de la population française est en effet à l’école ; il est à
noter que près de 4 Français sur 10 ont entre 2 et 29 ans.
Une hausse du niveau moyen
Si l’on procède à des comparaisons intergénérationnelles au plan
national et international, en raisonnant en termes de durée et de
niveau de qualification atteint, on ne peut que conclure à l’affirmation
de la hausse du niveau moyen – ce que d’aucuns ne manquent pas
de contester avec des arguments portant sur le contenu culturel des
enseignements validés. Ainsi, en France, si l’on met en regard la géné-
ration des 25-34 ans et celle des 55-64 ans, on constate un net avan-
tage au bénéfice des premiers, qui tend à justifier l’effort budgétaire

* Comme on sait, le système dual allemand combine, pour un grand nombre de jeunes, sco-
larité et formation en entreprise, comptabilisées comme scolarisation à temps plein.

129
L’école et l’argent

accompli au cours des dernières décennies. En effet, en 2002, environ


80 % des jeunes de 25-34 ans possèdent un diplôme du second cycle
du secondaire*, tandis que c’est le cas de seulement 48 % des 55-64
ans. Cela permet à la France de se situer juste derrière un peloton de
tête constitué par le Japon, le Canada, les États-Unis, l’Allemagne**, et
devant la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne,
l’Argentine (à noter que, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, avec res-
pectivement 53 et 56 %, les 55-64 ans apparaissent diplômés du
secondaire en plus grand nombre)1.
Il est vrai que, si l’on peut ainsi accumuler des indicateurs révélant
une progression quantitative en elle-même très significative en termes
de service offert, on ne peut esquiver la problématique de la qualité,
du type et du niveau culturel des diplômes délivrés à un nombre infi-
niment plus grand d’élèves et d’étudiants ayant suivi une scolarité plus
longue, la problématique de la persistance de l’échec scolaire et des
sorties du système sans qualification, du maintien ou du creusement
des inégalités, ou encore – en matière de comparaison internationale
– de la nature des performances des jeunes Français dans certains
domaines. On touche ici aux indicateurs qui renvoient à une évalua-
tion plus qualitative, concernant le rapprochement des « coûts de
l’école de ses résultats, et pas seulement des services qu’elle offre2 »,
en un mot la qualité du service.
Si l’on prend pour repère le diplôme phare qu’est en France le bac-
calauréat, attestant des études secondaires menées à leur terme avec
succès, et non plus une certification quelconque du second cycle
secondaire au sens des organismes internationaux, il est clair que les
politiques volontaristes mises en œuvre depuis 1985, relayant l’évolu-
tion sociale, autour du mot d’ordre « 80 % d’une classe d’âge au niveau
du bac à l’horizon des années 2000 » ont porté leurs fruits, cela même
* Cela inclut en France le CAP, désormais préparé après la classe de troisième, et le BEP, bre-
vet d’études professionnelles.
** 25-34 ans : Japon = 94 %, Canada= 89 %, États-Unis = 87 %, Allemagne = 85 %.

130
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

si l’objectif assigné est loin d’avoir été atteint et si, depuis le milieu des
années 1990, on observe une stagnation, voire une légère régression.

1970 1980 1995 2002


Génération au niveau du bac 28 % 34 % 68,5 % 69,1 %
Génération bacheliers 21 % 29 % 61 % 61,8 %
Source : MEN, comptes de l’éducation.

Cependant, les sorties sans qualification représentent un des échecs


les plus préoccupants du système. Selon des critères retenus depuis
les années 1960, elles désignent officiellement les arrêts d’études en
cours de CAP, de BEP ou en fin de troisième. Une polémique a eu lieu
récemment (début 2005, au moment de la discussion du projet de loi
Fillon) sur le nombre exact des jeunes dans ce cas : 75 000 (version
optimiste) ou 150 000 (version pessimiste) ? En réalité, les chiffres se
déclinent de la manière suivante. En 2002, 50 000 jeunes ont quitté le
système de la formation initiale sans avoir atteint au moins une classe
terminale de CAP ou de BEP, ou une seconde générale et technolo-
gique, soit environ 7 % de la population totale concernée (cohorte
annuelle de 745 000 élèves ou étudiants achevant leur formation ini-
tiale). Malgré le caractère insatisfaisant de la situation, la vérité oblige
à reconnaître des progrès, puisqu’au début des années 1980, ces
chiffres étaient doubles, et quadruples dans les années 1960 – les
conditions de l’insertion dans la société étant alors d’une autre nature,
avec une moindre importance du diplôme. Si l’on prend en compte
les sorties du système sans aucun diplôme mais pouvant survenir au-
delà des classes officiellement désignées, c’est-à-dire jusqu’au niveau
du baccalauréat, on trouve en 2002 le chiffre de 100 000 sortants non
diplômés. Quand on ajoute à ce chiffre les élèves qui ne possèdent
au mieux que le brevet des collèges au moment où ils quittent le sys-
tème, on atteint de fait les 150 000. Outre les graves problèmes

131
L’école et l’argent

humains qu’elles recouvrent, compte tenu de l’importance prise


aujourd’hui par la relation diplôme/emploi, ces données s’interprètent
aussi en termes de coûts, dans la mesure où les abandons sans qua-
lification représentent une dépense presque totalement à perte.
La question du niveau des élèves
La question lancinante, qui ne manque pas de survenir lorsque sont
évoqués les progrès relatifs accomplis par le système en termes de
progrès justifiant le maintien ou le développement des dépenses,
concerne le niveau réel des élèves. Commençons par quelques élé-
ments d’évaluation interne, en recourant à trois formes de « mesurage »
des acquis des élèves : évaluation de fin d’école primaire, de fin de
collège, évaluation lors de la JAPD (journée d’appel de préparation à
la défense).
En fin d’école primaire, d’après une évaluation menée en juin 2003
(sur un échantillon représentatif d’écoles publiques et privées sous
contrat en France métropolitaine) à propos de la compréhension
écrite et orale et de l’expression orale, un tiers des élèves présentent
une bonne ou très bonne maîtrise des compétences attendues ; plus
de la moitié n’ont certes pas toutes les compétences mais sont en
mesure de profiter de l’enseignement du collège, si celui-ci veut bien
faire l’effort de s’adapter ; enfin, 15 % sont en grande ou très grande
difficulté. Ce qui est attendu dans les tests de compréhension écrite et
orale, élaborés en conformité avec les standards internationaux, c’est
notamment la compréhension fine, la capacité à hiérarchiser les infor-
mations pour reconstituer le sens explicite ou implicite d’un texte lu
ou entendu, la capacité à justifier une argumentation. Parmi les 85 %
d’élèves considérés comme n’étant pas en difficulté, il y a bien évi-
demment des gradations, le groupe le plus faible (25,8 %) se caractéri-
sant par le fait de prêter une attention globale aux textes, de ne pas
rentrer dans les détails, de ne pas revenir sur l’écrit pour confirmer une
première approche, de ne pas soutenir très longuement l’attention

132
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

lorsque la tâche est plus complexe. Pour les 15 % en grand ou en total


échec face à ces mêmes tests, pour les uns, la saisie de la globalité
d’un texte est impossible au-delà d’un court paragraphe, pour les
autres (3,4 %), aucune des compétences attendues n’est maîtrisée3.
Dans la mesure où la maîtrise de la langue maternelle et la première
phase de la scolarisation constituent le socle de constitution des « fon-
damentaux » dont toute la suite dépend, on peut estimer que, dans la
répartition de la dépense, un effort particulier est à accomplir à ce
niveau, mieux valant assurer les bases que remédier ou compenser ulté-
rieurement*. En fin de collège, l’évaluation de juin 2003 permet de mesu-
rer la présence ou l’absence de compétences transversales, nécessaires
à des savoir-faire communs à plusieurs champs disciplinaires (exploiter
une information, résumer, synthétiser, argumenter, utiliser le raisonne-
ment hypothético-déductif). Un quart des collégiens présentent une
excellente ou très bonne maîtrise de ces compétences ; sur les 60 % sui-
vants, le groupe le plus faible (la moitié) est capable de prélever des
informations explicites contenues dans un document, de combiner plu-
sieurs éléments prélevés, d’extraire des informations dans un schéma, un
tableau, un texte continu ; mais ce groupe est seulement sur le point de
maîtriser l’organisation de plusieurs données pour procéder à un traite-
ment et de maîtriser la compréhension du cadre spatial et temporel.
Enfin, 15 % sont en difficulté par rapport à ces compétences, dont 2 %
en grande difficulté : les élèves ne parviennent pas à maîtriser un texte
complexe, contenant un vocabulaire un peu élaboré ou spécifique d’une
discipline. Face à cette situation, l’incapacité du système, au niveau du
collège, à clarifier les objectifs de l’école, est en soi coûteuse, tous les
objectifs semblant dès lors devoir être atteints à la fois.
Enfin, les tests mis en œuvre lors des JAPD auprès des jeunes
Français(es) de 17 ans révèlent que 84 % n’ont pas de difficultés par-

* On pourrait, par exemple, choisir de favoriser systématiquement la création de petits groupes


d’apprentissage pour les élèves dont les difficultés sont très tôt repérées.

133
L’école et l’argent

ticulières en lecture, 6 % ont des résultats moyens en compréhension


globale sans maîtriser la compréhension fine, tandis qu’environ 10 %
sont en grande difficulté, certains étant même dans une situation qui
pourrait les conduire à l’illettrisme. Ces jeunes sont ceux qui ont fait
les études les plus courtes, n’ayant pas dépassé le niveau du collège
pour les plus en difficulté d’entre eux, la majorité ayant fait des études
professionnelles courtes de niveau CAP-BEP. Ce constat peut, d’un
côté, conforter l’institution scolaire dans la mesure où plus longue est
la scolarisation, plus élevées sont heureusement les chances d’acqué-
rir les compétences nécessaires au citoyen, mais, d’un autre côté, ce
même constat peut l’interpeller vivement quant à sa capacité à four-
nir dès les petites classes les bases indispensables (ce qui justifie l’im-
portance d’un effort à porter sur le niveau élémentaire, et sur la notion
de « socle »).
Si l’on se tourne vers la question des inégalités, sans aucune exhaus-
tivité, les quelques chiffres suivants sont à eux seuls significatifs : près
de 80 % des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs parviennent
au bac sans jamais redoubler, la moitié d’entre eux décroche le bac
scientifique, porte d’entrée de toutes les filières. À l’inverse, plus de
75 % des enfants d’ouvriers intègrent la troisième avec au moins un
an de retard, alors que la proportion des enfants de cadres et d’en-
seignants s’élève ici respectivement à 10 et 4 %. Quant aux bacheliers
professionnels, ils entrent à l’université, mais sont 90 % à y échouer…
Les évaluations internationales
Il convient ensuite de prendre en considération les évaluations à
caractère international, par exemple celles issues des enquêtes PISA*
de l’OCDE. Tous les trois ans depuis 2000, l’OCDE a entrepris d’éva-
luer les acquis des jeunes de 15 ans dans divers domaines (en 2003,
culture mathématique, compréhension de l’écrit, culture scientifique

* Program for International Student Assessment.

134
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

notamment), grâce à des épreuves écrites organisées dans un échan-


tillon d’écoles*. Dans tous les cas, la France se classe dans la première
moitié des quarante pays enquêtés, au-dessus donc de la moyenne
déterminée, mais chaque fois dans un rang médiocre, au point que
dans le commentaire général de présentation des résultats, où sont
cités les pays performants et les pays les plus déficients, le nom de la
France n’est jamais mentionné.
En continuité avec ce qui précède, prenons d’abord l’item « com-
préhension de l’écrit » : notre pays y obtient son plus mauvais rang
(17e) avec un score de 496, juste au-dessus des États-Unis (495) et de
la moyenne (494). Les scores et les places en culture mathématique et
scientifique sont un peu meilleurs : 16e concernant les mathématiques
avec 511 (moyenne OCDE : 500), derrière Hongkong (550), la
Finlande (544), la Corée (542), les Pays-Bas (538), mais devant la
Suède (509), l’Autriche (506), l’Allemagne (503), les États-Unis, la
Russie, l’Italie (en dessous de la moyenne) ; 13e concernant la culture
scientifique avec un score de 511 (moyenne OCDE : 500), derrière la
Finlande, première (548), le Japon, Hongkong, la Corée, mais devant
la Suède (506), l’Allemagne (502), les États-Unis, l’Autriche, l’Italie (en
dessous de la moyenne). Dans son commentaire de présentation
générale, qui relève évidemment d’un certain type d’engagement,
l’OCDE note d’abord que les pays riches « réussissent » mieux que les
pays pauvres, exception faite notamment de la Corée, très bien pla-
cée, dont le revenu national est inférieur de 30 % au revenu moyen
des pays de l’OCDE. Elle souligne ensuite que point n’est besoin de
dépenser beaucoup pour réussir, qualifiant de « bon rapport qualité-
prix » les performances globales de l’Australie, de la Belgique, du
Canada, de la Corée, de la Finlande, du Japon, des Pays-Bas et de la
République tchèque. Quoi qu’il en soit, considérons ces informations

* Il conviendrait bien entendu de prendre une connaissance exacte des épreuves et, comme
toujours, la problématique présidant à une enquête peut être critiquée.

135
L’école et l’argent

comparatives comme des indices invitant à une réflexion non conve-


nue, qui appelle usage d’esprit critique.

Au niveau français, ce qui est actuellement évalué


Face à l’interrogation sur l’efficience globale d’un système scolaire,
les travaux des économistes de l’éducation ne nous aident cependant
pas assez : ils ont bien tenté, au plan des États dans leur entier, de rap-
procher un niveau de dépenses d’un niveau d’efficacité. Il eût été si
confortable pour eux de pouvoir dire que les meilleurs systèmes étaient
ceux qui dépensaient le plus, ou le moins, ou de telle ou telle façon :
la difficulté est que leurs conclusions ont dû se faire beaucoup plus
modestes, et que si l’on constate sans surprise que les pays en déve-
loppement, qui n’ont que des ressources très limitées, ont des systèmes
d’éducation particulièrement peu efficaces (au sens où ils n’atteignent
pas du tout leurs objectifs) et peu efficients*, et que les systèmes des
pays développés le sont davantage, on peut difficilement dire autre
chose ! À l’intérieur de chacune des catégories de pays, en effet, les cor-
rélations entre niveau de dépenses pour l’éducation et succès des sys-
tèmes n’apparaissent pas. L’économiste Jean-Jacques Paul fait
remarquer que si l’on rapproche le cas de deux pays qui ont l’un et
l’autre d’excellents résultats aux enquêtes PISA, la Corée ne consacre
qu’une faible part de ses finances publiques à l’éducation, tandis que la
Finlande est beaucoup plus généreuse en la matière ; de plus, la part
du PIB consacrée à l’éducation en Finlande (intégrant donc dépenses
publiques et privées) est bien supérieure à celle de la Corée, pour des
résultats à peu près semblables. Le même chercheur fait remarquer que,
même entre les différents États des États-Unis, on ne parvient pas à cor-
réler investissement éducatif ou dépenses publiques d’éducation et
résultats des systèmes, et il en va de même à l’intérieur de chaque État
si l’on compare les politiques de districts.
* Ils consacrent en général à l’éducation une part du budget de l’État supérieure à celle qui lui
est consacrée par les pays développés.

136
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

Deux indicateurs contestables


Face à ces incertitudes, l’observateur peut pourtant avoir l’impres-
sion que les politiques d’éducation en France ont, elles, beaucoup
plus d’assurance pour prétendre mesurer leur efficience, puisque,
chaque année, les responsables affichent publiquement leur satisfac-
tion en deux circonstances qui semblent dédouaner l’ensemble du
système pour solde de tout compte : la rentrée scolaire et les résultats
du baccalauréat.
De quoi s’agit-il en réalité ?
Pour la rentrée scolaire, c’est la question de savoir si, le jour « J »,
le système réussira à mettre tous les élèves dans des classes à effectif
acceptable et un enseignant en face de chaque classe et de chaque
matière. Il est vrai que c’est un tour de force d’y parvenir, tour de
force à porter au crédit d’une administration compétente, mais que, si
le succès de l’opération est pour chacun un motif de satisfaction, le
bilan d’une rentrée n’est rien d’autre que la mesure des moyens mis
au jour « J » à la disposition d’un système, il ne nous dit rien de l’effi-
cience dudit système.
Le taux de succès au baccalauréat, lui, est l’objet de communiqués
du ministère tous les ans à l’issue de la session, repris par l’ensemble
des médias : les ministres successifs se félicitent en général de taux de
succès élevés, et, si ceux-ci sont en hausse, ne manquent pas de por-
ter cela au crédit du système. On ne peut que s’étonner de voir la
presse rapporter en général sans recul ce type de nouvelle et d’ap-
préciation : un taux de succès à un examen de ce type, que ce soit à
l’échelle d’un établissement ou à l’échelle d’un État, ne prouve préci-
sément rien, puisqu’on ne sait si on a préalablement sélectionné for-
tement ou rejeté massivement les candidats, puisqu’on ne sait si les
candidats ont réussi ou non à l’aide de cours particuliers et d’aides
extérieures diverses, puisqu’on ne sait quelles consignes de correction
et de notation ont été, le cas échéant, données, puisqu’on ne sait ce

137
L’école et l’argent

qui a fait le succès, par exemple un bon niveau dans les disciplines
fondamentales ou bien une accumulation de points dans des épreuves
facultatives*.
Les limites des indicateurs officiels
Si l’on cherche à dépasser ces deux outils de mesure privilégiés par
les médias et les ministres, que peut-on dire des instruments dont on
dispose ou ne dispose pas pour tenter d’évaluer des résultats du sys-
tème, pour les rapporter à la dépense d’éducation ? Ils sont à la fois
très nombreux (une direction du ministère, la Direction de l’évalua-
tion et de la prospective, publie chaque année un grand nombre de
données et d’études), parfois très sophistiqués, et pourtant la plupart
du temps insuffisants à nous permettre de nous prononcer sur les
résultats du système.
On peut en effet naïvement imaginer que, pour mesurer le succès
d’une école, on va, dit très grossièrement, mesurer ce que les élèves
« savent » à la sortie, et par différence avec ce qu’ils « savaient » à l’en-
trée, et en déduire une sorte de « valeur ajoutée » de la scolarité. Or,
il se trouve que, pour différents motifs, l’Éducation nationale ne s’est
jamais donné les moyens de mesurer cela**. Les services du ministère
ont alors tenté de mesurer la valeur ajoutée, mais d’une façon bien
spécifique : en comparant les taux de succès obtenus par un établis-
sement avec ceux qu’il aurait « dû » obtenir par référence à une
moyenne, celle des établissements dont les élèves relèvent des mêmes
catégories socioprofessionnelles. Chacun sait l’importance de l’origine
sociale des élèves de seconde face à la scolarité, mais ne prendre en

* Depuis quelques années, au baccalauréat, la tendance, quand on rajoute une épreuve, est de
l’instaurer sous forme facultative ou ne permettant que de gagner des points au dessus de la
moyenne ! Ministre ou candidat, les intérêts convergent !
** Pour faire très vite, on peut dire, par exemple, qu’au collège, on mesure à peu près l’entrée
(évaluation des compétences des élèves à l’entrée en sixième), mais rien à la sortie (grande
déficience du brevet des collèges soulignée par l’avis n°2, juin 2001, du Haut Conseil de l’éva-
luation de l’école) ; de même, au lycée, on ne mesure rien à l’entrée, et si, à la sortie, existe
bien le baccalauréat, on n’en tire pas grand-chose de lisible.

138
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

compte rien d’autre que cela, par exemple, à l’entrée en seconde,


revient à nier le rôle des apprentissages qui ont pu être réalisés au col-
lège, à préférer un fatalisme sociologique à une mesure véritable des
acquis des élèves pouvant seule permettre de se faire une idée de l’ef-
ficacité de l’école4.
Si l’on s’intéresse à la mesure des compétences de base, sur les-
quelles se construit, ou non, tout l’édifice des apprentissages ulté-
rieurs, comme les compétences en lecture ou en écriture, il en va de
même : tout se passe comme si l’institution n’avait pas véritablement
privilégié jusqu’ici des mesures permettant de connaître la réalité,
avec une définition claire pour tous de ce qu’on appellerait « savoir
lire ». Un rapport élaboré en 2003 pour le Haut Conseil de l’évaluation
de l’école5 observe qu’en 1989, l’institution abandonne les évaluations
permettant de suivre ces compétences : « Du coup, toute analyse
rigoureuse des acquis depuis 1989 est impossible. Et on a l’impression
que rien n’est attendu de cette profusion d’évaluations... que les éva-
luations se répètent sans planification ni projet visibles. »
Impression similaire si l’on suit la question des compétences des
jeunes Français en langues étrangères ; on sait que c’est un domaine
d’apprentissage qui non seulement coûte cher, mais aussi où aux
coûts traditionnels du second degré sont venus récemment s’ajouter
ceux de l’enseignement de ces langues à l’école primaire*. On aurait
pu imaginer qu’on suive l’évolution des compétences, pour savoir si
l’on avançait dans la bonne direction. Or, il a fallu qu’on attende une
évaluation internationale des compétences des jeunes de 15 ans
conduite dans un cadre international en 2002, pour découvrir qu’en
anglais, les jeunes Français avaient non seulement les résultats les plus
mauvais des sept pays évalués, non seulement des résultats désormais
pires que ceux des Espagnols qui étaient précédemment derniers,
mais aussi des résultats plus mauvais depuis qu’une partie de ces

* Cf. p. 152.

139
L’école et l’argent

élèves (d’ailleurs impossible à évaluer) a bénéficié d’un apprentissage


précoce de la langue.
De façon plus générale, on peut observer que jamais les innova-
tions mises en place par l’exécutif ne sont précédées d’une évaluation
sur expérimentation des coûts et de l’efficacité des mesures, ni d’une
évaluation a posteriori. Bien sûr, quand une mesure correspond à un
horaire à inscrire à l’emploi du temps des professeurs, on est obligé
de calculer un coût, mais on évalue rarement l’effet en le rapportant
à ce coût, parce qu’en général, on a négligé de préciser l’effet attendu
dès l’origine. À plus forte raison, s’il n’y a pas modification obligatoire
des horaires des enseignants, tout le monde fait comme si la mesure
n’avait pas non plus de coût : en ce cas, si la mesure d’un effet est
possible, il n’y a plus rien au numérateur du rapport permettant d’ap-
procher l’efficience. Dans tous les cas, le décideur promet un enchan-
tement éloigné des duretés économiques : soit il y a un coût, mais on
considère déplacé de se préparer à évaluer les effets, soit on promet
qu’il n’y aura même pas de coût, ce qui est la grâce suprême*.
On voit donc qu’il serait faux, en France, d’opposer des « acteurs
de base » du système hostiles à l’évaluation à des décideurs qui en
seraient les zélateurs : le ton est donné depuis la rue de Grenelle pour
qu’on ne pose pas les questions dès lors qu’on redoute les réponses.
On a fortement l’impression que la République, bonne fille, n’a pas
demandé jusqu’ici trop de comptes. On verra bientôt en quoi les
choses pourraient changer rapidement.

* On pourrait reprendre en ce sens toutes les mesures de réforme du collège depuis quinze
ans pour vérifier que quantité de mesures ont été décidées sans considération des coûts à
attendre, que ces derniers soient négligés, renvoyés aux collectivités locales ou à l’« autonomie
des établissements » et sans mesure programmée des effets.

140
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

D’où viennent les réticences


face à l’évaluation de l’efficience ?
Si on rapproche cette difficulté institutionnelle, apparemment forte
en France, à se préoccuper de l’efficience de l’école de la situation de
pays étrangers, on ne peut qu’être surpris de la différence : dans la
plupart des situations, on trouve des pays qui, dans un passé plus ou
moins récent, se sont vigoureusement interrogés sur leurs systèmes
éducatifs parce qu’ils ont, d’une façon ou d’une autre, été mis en « état
de choc ». La conséquence en a souvent été, devant le constat d’une
machine qui ne fonctionnait pas, d’attirer l’attention sur l’efficience
des ressources que la nation consacrait à l’école. Il y a, bien sûr, les
pays en développement, pour lesquels le « choc » est permanent, tant
leurs systèmes « peinent » et tant les ressources sont rares ; rien d’éton-
nant à ce qu’on y recherche la combinaison optimale des ressources,
en particulier quand on constate que l’investissement le plus efficient
est celui sur l’enseignement de base, qui permet à toute une popula-
tion d’émerger de l’analphabétisme puis du sous-développement. Il y
a aussi les pays qui ont émergé dans un passé récent, comme la Corée
du Sud, qui ont donc eu à se poser la question du meilleur emploi de
ressources limitées : le choix de ce pays a été fait véritablement en
considération d’une efficience à trouver, qui l’a d’ailleurs été brillam-
ment, comme on sait, avec des choix économiques particuliers pour
l’atteindre, comme celui de tolérer des classes plus chargées
qu’ailleurs, mais de rétribuer nettement plus les enseignants.
Les vraies situations de « choc » ont toutefois été vécues par des pays
à systèmes anciens, comme les États-Unis, après la publication en 1983
du rapport « A Nation at Risk », qui mettait en avant, sans pudeur, les
défauts du système de formation, en particulier pour l’acquisition des
trois « R » (Reading, wRiting, aRithmetics), comme la Grande-Bretagne,
confrontée à l’appauvrissement et au chômage du début des années
Thatcher, qui se rendit compte du nombre de laissés-pour-compte que

141
L’école et l’argent

tolérait l’enseignement primaire, ou comme l’Allemagne, qui croyait


comme d’autres avoir le meilleur système du monde, jusqu’à être
réveillée brutalement au début du millénaire par l’évaluation interna-
tionale PISA* qui lui attribuait de piètres résultats.
Le contexte français est celui d’une méfiance d’ensemble à l’égard
des démarches d’évaluation et du coup de toute mesure de l’efficacité
et de l’efficience chez la plupart des acteurs et d’abord chez les ensei-
gnants. Les arguments sont sans surprise, explicites ou non. L’idée
générale est que toute entreprise de mesure de l’efficacité de l’ensei-
gnement, et à plus forte raison de son efficience, est le cheval de Troie
du libéralisme, puisqu’elle est nécessairement perçue comme une
étape pour réduire l’engagement financier de l’État en matière d’édu-
cation et pour instaurer la loi de la concurrence entre les établisse-
ments ; des exemples étrangers sont alors souvent cités, et une sorte
de théorie du complot est proposée à titre d’explication. D’autres
arguments sont aussi appelés à la rescousse, qui sont tous intéres-
sants : mesurer l’effet d’un acte pédagogique, à l’échelle d’un individu
ou d’un système, serait une entreprise impossible, à la fois en raison
de la variété de ce qu’il s’agirait de mesurer (connaissances, compé-
tences, comportements, culture ?), de la difficulté à mesurer certaines
des composantes des effets de l’éducation (les comportements, par
exemple) et du fait que certains effets peuvent ne se révéler que dans
le temps, agrégés à d’autres savoirs à venir ou à des motivations non
encore actives au moment de l’apprentissage.
Une série d’arguments entre directement dans le monde de la
mesure : certes, reconnaissent ceux qui les défendent, les professeurs
passent une large partie de leur temps à attribuer des notes et, donc,
ce faisant, pénètrent dans l’univers du chiffre, susceptible de toutes les

* La France a jusqu’ici évité l’état de choc et répète donc à peu près les mêmes choix de poli-
tique éducative, à quelques variantes près, car toutes les majorités sont confrontées aux mêmes
« blocages ». Il n’y a pas, en France, de consensus sur l’école, sauf sur le fait de ne pas en
rechercher et de préférer les dysfonctionnements graves à l’épreuve de vérité.

142
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

manipulations arithmétiques et statistiques* ; mais les notes ainsi attri-


buées n’auraient de sens que par rapport à une situation de classe
déterminée, telle note pouvant, dans tel microclimat, être une sanc-
tion de lacunes, dans tel autre signifier un encouragement.
Ces réticences sont fortes et, à notre sens, fondées : il est réel que
ce qui se passe au sein de l’ensemble des apprentissages dont l’école
est chargée le long d’une scolarité ne s’accommode pas de mesures
prises sans précaution qui feraient de l’enseignement la caricature de
lui-même. Il est vrai que cette réduction caricaturale ne fait pas toujours
peur par principe à certains technocrates, voire à ceux qui rêveraient
de ramener l’enseignement à la poursuite d’acquisitions élémentaires,
à condition bien sûr que leurs propres enfants, et accessoirement ceux
de la classe sociale dont ils relèvent, continuent de bénéficier des
apports culturels les plus sophistiqués.
Nous ne retiendrons toutefois pas les arguments, pédagogiques ou
autres, qui s’opposent à toute mesure de l’efficacité en matière scolaire,
en raison d’un argument fort : le refus de la mesure des résultats,
caractéristique du système éducatif français d’aujourd’hui, est l’un des
défauts par lesquels il s’abandonne en fait au creusement non maîtrisé
des disparités entre les établissements et aux jeux économiques et
sociaux les plus brutaux.
Face à ce que nous considérons comme une carence, deux positions
peuvent être défendues : chercher à mesurer l’efficience au niveau le
plus « macro » possible, celui du système entier ; viser au contraire les
niveaux plus modestes, l’établissement, pourquoi pas la classe, voire
l’élève.
Les deux sont sans doute utiles, mais on voit bien que, si au niveau
du système, on mesure assez bien les coûts, mesurer les performances
et leurs progrès nécessite la mise en place d’évaluations nationales

* On sait que certains systèmes éducatifs, comme ceux des pays scandinaves ou le système ita-
lien, s’interdisent d’attribuer des notes chiffrées ou en limitent fortement l’impact.

143
L’école et l’argent

ambitieuses et onéreuses, et qui doivent être accompagnées de tout


un appareil d’aide et de conseil, comme celui que les Britanniques ont
su mettre en place. Ne pas le faire consiste à croire que les perfor-
mances du coureur vont s’améliorer par le simple fait qu’on lui achè-
tera un chronomètre.

Technocratie triomphante ou chance à saisir ?


Une meilleure mesure de l’efficience du système est l’un des
objectifs du ministère de l’Éducation nationale, comme de tous les
autres, dans le cadre de ce qu’on appelle la LOLF (loi organique rela-
tive aux lois de finances). De quoi s’agit-il ? De la volonté quasi una-
nime, ce qui est rarissime, des parlementaires, exprimée en 2001, de
modifier en profondeur la façon dont, chaque année, ils votent le
budget du pays. On sait que les conditions actuelles de ce vote (la
LOLF ne doit s’appliquer qu’à partir de 2006) ne sont pas satisfai-
santes au plan de la démocratie, puisque la représentation nationale
n’est appelée à se prononcer que sur les « mesures nouvelles », qui
ne représentent qu’une faible partie du budget, le reste étant consi-
déré comme acquis*. Désormais, la nouvelle constitution financière
est orientée vers des résultats à partir d’objectifs définis. L’article 7
dispose ainsi que les crédits sont spécialisés par programme, qui
« regroupe les crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un
ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère et auquel
sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’in-
térêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l’objet d’une
évaluation ».
Tout cela est très important dans le champ de l’éducation, puisque,
sans que les acteurs s’en soient encore vraiment rendu compte, la
mesure de résultats, à partir d’indicateurs, devient obligation légale.

* La marge de manœuvre d’un budget est d’autant plus faible qu’est importante la part de ce
budget consacrée à la rémunération de personnels titulaires.

144
13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ?

Au moment où ces lignes sont écrites*, il apparaît que la mesure


des résultats prévue par la LOLF n’a pas été précédée d’un travail de
fond avec les acteurs éducatifs sur ce qu’il conviendrait de mesurer,
ni comment il conviendrait de le faire : on peut comprendre la frilo-
sité du gouvernement à mettre tout cela dans le débat éducatif, mais
à ne pas le faire, on court le risque d’un rejet, car certains des projets
de mesure des performances n’ont bénéficié que d’un travail préa-
lable, et à notre sens indispensable, tout à fait insuffisant de recherche
de consensus. Il y a là une construction fortement technocratique qui
risque d’avoir des effets contre-productifs par rejet par les acteurs de
cette conception de l’efficacité.
Une autre question se pose : imaginons que la représentation
nationale soit placée face à un indicateur qui fasse apparaître que le
taux de succès des élèves de CM2 pour telle compétence soit inférieur
de x dixièmes de points l’année n par rapport à l’année n -1 : quelle
conséquence pourra-t-elle en tirer ? Donner plus de moyens désor-
mais, pour que le score s’améliore, en donner moins, pour sanction-
ner une action inefficace ? Ou s’interroger sur la signification même
d’une telle mesure d’une année sur l’autre ? En un mot, à ce stade,
rien ne met le système éducatif français à l’abri de dérives grossière-
ment technocratiques qui risquent de ne pas avoir grande utilité pour
l’amélioration du système et de son efficacité réelle, qui nécessite plus
de prudence et de travail de fond sur ce que sont les apprentissages
et les chances de les mesurer.
Nous pensons, nous aussi, que la mesure de l’efficacité est néces-
saire, mais qu’il ne doit pas, qu’il ne peut pas, s’agir d’une démarche
top down, qu’elle ne peut être que le résultat d’une démarche pro-
gressive, participative et pédagogique en direction des acteurs. Le
niveau de l’établissement est à notre sens le niveau à privilégier : c’est
là qu’on peut le mieux espérer poser efficacement les questions de

* Printemps 2005.

145
L’école et l’argent

l’efficacité de l’organisation, de son équité, de son efficience chaque


fois que des actions nouvelles sont engagées.
Mais c’est affaire de choix : préfère-t-on viser l’atteinte d’une effi-
cience mesurée « d’en haut », qui risque bien de devenir une statis-
tique de peu de sens, ou bien rechercher patiemment avec les
professionnels comment évaluer l’efficacité d’une école, dans ses dif-
férents domaines d’action, et rechercher ce qui explique ici une effi-
cacité supérieure à celle observée ailleurs, en sachant que c’est une
démarche délicate, intellectuellement exigeante, mais susceptible
d’engendrer plus de progrès ?

146
14. Les coûts de la machine :
quelles anomalies ?

I l n’est bien sûr pas question ici de prétendre lister tous les dys-
fonctionnements à l’œuvre dans l’ensemble du système éducatif
français, mais seulement de repérer, à partir de quelques exemples,
de quelle façon ils se forment.
Puisque, en examinant les grands comptes, nous avons vu, par
exemple, que les études en lycée étaient en France particulièrement
onéreuses, il peut être intéressant de regarder plus attentivement ce
qu’on peut trouver à ce niveau d’enseignement comme dépense super-
flue, voire inutile ou contre-productive, et d’en rechercher les causes.

Comment se crée une dépense indue :


l’exemple des « modules »
La structuration actuelle du lycée général, avec ses trois filières ES,
L et S, remonte à une réforme élaborée à partir de 1990 sous le minis-
tère Jospin. Cette réforme entendait produire un schéma d’ensemble
plus lisible des études et surtout contrebattre une tendance encyclo-
pédiste et inflationniste qui avait depuis longtemps le défaut de garan-
tir la production de têtes bien pleines sans toujours s’assurer qu’elles
soient bien faites. Elle se proposait donc de limiter le nombre des
enseignements, des heures de cours, des options facultatives et de
tout ce qui allait dans ce sens inflationniste.
Les motifs étaient pédagogiques et moraux (l’inflation des ensei-
gnements, profitant essentiellement à des élèves qui sont déjà en posi-
tion de succès, fait classiquement « pleuvoir là où c’est mouillé »), en

147
L’école et l’argent

aucun cas financiers. L’argent ainsi économisé servit à autre chose :


comme on observait depuis longtemps que beaucoup de lycéens ren-
contraient de grandes difficultés à l’entrée en seconde, on décida de
financer la création d’enseignements en petits groupes spécifiquement
organisés pour répondre à la diversité de leurs besoins*.
De telles mesures n’eurent bien sûr pas que des partisans, et les lob-
bies de certaines disciplines rejoignirent l’appétit de certaines familles
obsédées de compétition par l’accumulation des contenus pour dénon-
cer cette réforme. Quand Jack Lang succéda rue de Grenelle au ministre
qui l’avait imaginée, il écouta ces lobbies plutôt qu’il ne protégea la
cohérence du projet de réforme : les « modules », déjà financés, furent
maintenus, mais toutes les options et enseignements supplémentaires
de pur consumérisme furent réintroduits, dans les études comme à
l’examen de baccalauréat. Voilà comment se crée une dépense indue :
on fait une réforme, on en finance le coût en faisant certains arbitrages,
puis on rétablit les mesures que la réforme avait rejetées.
On peut citer des cas plus structurels, dont les responsabilités se
perdent dans l’histoire du système : pour être professeur de l’ensei-
gnement secondaire, il faut être titulaire du CAPES, délivré par la réus-
site à un concours d’État. Ce concours est ouvert aux titulaires d’une
licence, grade obtenu, lui, à l’université. On pourrait donc s’attendre
à ce que l’État, employeur des enseignants, recrute parmi les licenciés
ceux qui lui semblent aptes à devenir professeurs, par leurs capacités
relationnelles, pédagogiques, par leur intérêt pour l’éducation... Or, ce
n’est pas du tout ce qui se passe : l’État financeur de l’enseignement
supérieur finance en l’année n l’organisation des examens de licence
dans les universités puis, l’année n +1, l’État employeur des profes-
seurs du second degré finance à nouveau un an de préparation des
épreuves du concours du CAPES qui, loin de vérifier les seules capa-
cités des candidats à enseigner, sont le pur doublon des épreuves de

* Comme il faut des noms pour désigner les choses, on appela cela des « modules ».

148
14. Les coûts de la machine : quelles anomalies ?

licence, sur les mêmes programmes disciplinaires, pour vérifier les


mêmes connaissances et compétences académiques ! Tout cela parce
que l’État patron des enseignants ne fait pas confiance à l’État tutelle
des universités et le soupçonne de délivrer certaines licences par
quelque inspiration proche de la charité !
On citera seulement ici pour mémoire, parce que le sujet est
abordé ailleurs, toutes les fois où l’organisation du système génère des
coûts parce qu’elle manque précisément à être systémique, et « fait de
l’huile », dénomination ici métaphorique de ce qu’on appelle commu-
nément l’échec scolaire. En effet, le « système » est en réalité constitué
de plusieurs tronçons constitués historiquement à des époques diffé-
rentes et sur des bases idéologiques hétérogènes : école primaire,
enseignement secondaire, enseignement supérieur, lui-même consti-
tué des grandes écoles et des universités. Il est également constitué de
plusieurs milliers d’établissements juxtaposés sur le territoire et qui se
partagent les mêmes populations. Aux articulations entre ces diffé-
rents ensembles qui structurent la réalité scolaire du pays verticale-
ment (l’histoire) et horizontalement (l’espace), les dysfonctionnements
s’agrègent et s’enkystent : les politiques s’épuisent sans succès à finan-
cer d’innombrables mesures pour faciliter la « liaison » CM2/6e, ou col-
lège/lycée, ou pour transformer en première année d’université les
anciens lycéens en étudiants que le lycée aurait pourtant dû prépa-
rer... De façon tout aussi regrettable, l’incapacité des écoles, collèges
et lycées du même lieu, du même « bassin de formation », comme on
dit, à travailler ensemble pour aider globalement une population d’en-
fants à progresser, plutôt que se faire concurrence et se renvoyer
comme patates chaudes les élèves jugés indésirables, crée une large
partie des abandons scolaires, générateurs d’exclusions sociales ulté-
rieures, elles-mêmes créatrices de coûts sociaux sans fin.
De la même façon, une organisation perd toujours de l’efficacité si
elle commet de façon régulière des erreurs à l’embauche : ces erreurs,

149
L’école et l’argent

non seulement ne créent pas la valeur là où on en aurait besoin, mais


engendrent des coûts de réparation des dommages ainsi causés.
S’étonnerait-on des dégâts que causerait à un hôpital le recrutement
comme médecins de personnels non qualifiés ? Comment ne pas dès
lors estimer que le recrutement chronique par l’Éducation nationale, à
chaque rentrée, comme enseignants, de personnels peu qualifiés*,
embauchés sans garantie suffisante quant à leurs savoirs académiques
comme quant à leur formation professionnelle, est générateur pour les
apprentissages des élèves de dysfonctionnements qui génèrent dura-
blement des dépenses de « réparation » supérieures à l’économie ini-
tialement réalisée ?
Quelques graves qu’elles soient, laissons ces difficultés, dont on
retrouverait peut-être l’équivalent dans beaucoup d’organisations, pour
en venir à deux sources de coûts particulièrement caractéristiques de
l’Éducation nationale parce que tenant au cœur de sa culture et de la
structuration de ses pouvoirs.

Le coût de l’empilement de « mesures »


et « dispositifs » partiels
Ce qui était dit en début de chapitre de l’effet désastreux, au plan
financier comme au plan symbolique, de l’annulation des principes de
la réforme engagée par un ministre du fait des décisions de son suc-
cesseur n’est hélas pas un phénomène isolé : il existe en effet, au
ministère de l’Éducation nationale, un rapport quasi névrotique avec
l’idée d’une « réforme ». Le rêve de chaque hôte successif de la rue de
Grenelle est de laisser son nom à « la » réforme qui changera profon-
dément la donne. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher les causes de

* Sous les noms de « maîtres auxiliaires », de « maîtres contractuels », de « vacataires », ces ensei-
gnants ont souvent été titularisés par vagues, ce qui signifie qu’un nombre important des profes-
seurs aujourd’hui titulaires l’ont été de cette façon. Il n’y a pas ici de jugement de valeur, seulement
deux questions : si ce mode bon marché de recrutement convient, pourquoi ne pas le générali-
ser ? S’il entraîne des effets négatifs sur les apprentissages des élèves, pourquoi les tolérer ?

150
14. Les coûts de la machine : quelles anomalies ?

cette impossibilité de l’Éducation nationale à trouver les termes de la


réforme dont elle rêve pourtant sans cesse, mais de marquer les
conséquences de cet état des choses sur les finances de l’éducation.
La première conséquence de cette incapacité du pouvoir politique
à promouvoir une réforme globale et cohérente qui permette aux
acteurs de savoir clairement dans quelle direction avancer pendant
une période suffisamment longue est la récurrence d’une attitude de
compensation consistant pour le pouvoir à multiplier les « mesures »
et les « dispositifs » partiels censés répondre à des problèmes d’en-
semble. Les conséquences de cette multiplication des mesures poin-
tillistes, que chaque ministre ne manque pas de prendre dès qu’il a
compris qu’il ne lui reviendrait pas de conduire « la » réforme, sont
l’addition inflationniste du coût de ces différentes mesures, le gas-
pillage engendré par l’arrivée rapide d’un nouveau train de mesures
dès que le ministre change sans que les précédentes soient vraiment
abrogées ni évaluées. Avec quelle sévérité toute autre institution res-
ponsable de ses engagements financiers qui fonctionnerait durable-
ment dans un tel mépris des règles les plus élémentaires de l’action
humaine, qui s’inscrit d’ordinaire dans un calendrier avec un finance-
ment et une procédure d’évaluation, ne serait-elle pas condamnée par
ses actionnaires ?
L’autre conséquence est qu’au fil des années, la stratification des
couches de décisions qui n’ont d’autre logique que celle de la chro-
nologie crée un paysage où chacun a pris peu ou prou l’habitude de
faire fonctionner les institutions sans idée claire de la hiérarchie de
leurs objectifs. Parce que personne n’a jamais proclamé les objectifs
des études au collège* et qu’en revanche, d’innombrables textes sont
venus énoncer « des » objectifs des études au collège, on constate faci-
lement, dans la plupart des collèges, des actions non seulement

* Par exemple, donner une culture commune à tous, qu’il faudrait encore définir, préparer à la
vie, préparer aux études dans les sections générales des lycées, etc.

151
L’école et l’argent

concurrentes, mais encore contradictoires, qui, pour ces motifs, utili-


sent les finances publiques d’une façon qui, sans que les acteurs
locaux en soient responsables ni coupables, est génératrice de gas-
pillages d’une ressource rare. De la même façon, il serait intéressant
de faire le bilan financier de l’ensemble des mesures qui, année après
année depuis le début des années 1990, proclament régulièrement la
priorité de l’apprentissage des langues vivantes étrangères à l’école
primaire : on décrète chaque fois l’urgence, on définit chaque fois un
niveau différent de départ et des modalités pédagogiques nouvelles*,
on réalise chaque fois quelques opérations de communication, mais
comme on n’a rien installé dans le temps, en commençant en amont
par rechercher un consensus et par former ceux qui seraient chargés
de cet enseignement, on dépense là des sommes considérables dont
on sait tellement qu’elles le sont en vain que programmes et profes-
seurs continuent à considérer en sixième que les élèves sont des
débutants absolus !

Le coût de la structure d’encadrement


C’est encore en se fondant plus sur le bon sens qu’en se référant à
quelque logique des entreprises privées qu’on peut interroger le fonc-
tionnement de l’encadrement de l’organisation : doit-on considérer
qu’en dessous du ministre, dont on a vu plus haut la condamnation
tragique à la pseudo-réforme dispendieuse, l’encadrement de l’Édu-
cation nationale est, dans sa structure, organisé pour faire le meilleur
emploi des deniers publics ?
On citera deux thèmes qui dénoncent au contraire des défauts réd-
hibitoires de commandement qui contreviennent en permanence à
l’efficacité.

* On, a selon les années, parlé de sensibilisation, d’initiation, d’enseignement, on a misé tantôt
sur les maîtres eux-mêmes, tantôt sur d’autres intervenants, tantôt sur des vidéocassettes mettant
en scène des sitcoms diffusées massivement dans toutes les écoles de France en quatre langues...

152
14. Les coûts de la machine : quelles anomalies ?

Le premier défaut relevé concerne l’encadrement supérieur de l’or-


ganisation dans sa division territoriale première qu’est l’académie. Il y
a, en France, trente académies, à la tête desquelles se trouve placé un
recteur. Dans toutes les administrations de l’État, on considère que
l’efficacité de l’action suppose que tous les directeurs régionaux soient
subordonnés à l’autorité du préfet de région : ni le directeur régional
des affaires sanitaires et sociales, ni celui de la recherche n’y ont
jamais vu autre chose que l’application d’un principe de cohérence.
L’Éducation nationale échappe à la règle puisque le recteur n’accepte
pas de rendre compte au représentant de l’État. Est-ce au nom des
franchises universitaires et pour garantir une indépendance du pou-
voir politique supérieure à celle des directeurs régionaux des autres
administrations ? Il n’en est rien puisque, à la différence des préfets et
des directeurs régionaux, les recteurs ne forment pas un corps,
comme l’est le corps préfectoral, c’est-à-dire qu’ils sont nommés et
remerciés par le fait du prince sans la moindre garantie.
Les conséquences de cet état des choses sont que le pouvoir poli-
tique nomme plus souvent que d’autres ministères, dans la première
responsabilité territoriale, des gens repérés pour des motifs politiques
et non professionnels. Se sachant éjectables ad nutum, ils engagent
souvent eux aussi des réformes sur un mode aussi léger que les
ministres, c’est-à-dire que l’étude des actions conduites par les recto-
rats fait aussi souvent apparaître leur empilement géologique, leur
inefficacité par manque de suivi et d’évaluation, avec la conséquence
pour les fonctionnaires qu’ils attendent souvent la prochaine plutôt
qu’ils n’exécutent l’actuelle. Qui achèterait des actions d’une entre-
prise qui limogerait si souvent ses cadres supérieurs tout en en faisant,
sitôt qu’ils sont nommés, des proconsuls aussi indiscutés ?
Un autre défaut structurel de l’encadrement coûte cher, même si ce
coût n’apparaîtra jamais dans une loi de finances, au sein de l’Éduca-
tion nationale : l’existence de deux structures distinctes de comman-

153
L’école et l’argent

dement. Certes le ministre est seul, mais l’unitarisme s’arrête là : en


dehors de lui, deux hiérarchies parcourent tout le système, l’une de
nature « administrative », qui comprend au niveau national l’essentiel
de l’« administration centrale », dans chaque académie le recteur, le
secrétaire général, les inspecteurs d’académie (directeurs départemen-
taux), puis les chefs d’établissement (proviseurs de lycée et principaux
de collège), et les intendants, avec un corps national d’inspection spé-
cifique* ; l’autre, qu’à défaut de mieux nous appelleront « pédago-
gique », qui comprend au niveau national l’inspection générale de
l’Éducation nationale, dans les académies les inspecteurs pédago-
giques régionaux, coordonnés par un « doyen », puis dans les établis-
sements le très grand nombre des professeurs**.
Bien sûr, tous ces professionnels sont loyaux et poursuivent les
mêmes objectifs généraux, mais comment juger les chances d’effica-
cité d’un établissement scolaire si l’on sait que les professeurs, qui en
sont les agents les plus nombreux, refusent, et en l’état actuel des
choses souvent à juste titre, de se considérer sous l’autorité du chef
d’établissement dès qu’il s’agit de l’essentiel de leur activité : faire la
classe*** ? Qu’ils en appellent volontiers à l’inspecteur pédagogique de
leur discipline face au chef d’établissement, de même que, face au
recteur, l’inspecteur pédagogique, pourtant « régional », n’hésitera pas
à en appeler, à Paris, à un inspecteur général ! Il y a tiraillement per-
manent entre deux logiques et deux réseaux de commandement.
Aucune structure de l’éducation à l’étranger ne connaît ce dualisme du
commandement de la base au sommet. Ce sujet est si sensible, en par-
ticulier en ce qui concerne son coût, que tout regard qui s’y attarde
est vite dénoncé comme émanant de milieux hostiles à l’éducation.

* L’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche.


** Pour des raisons de place, nous ne détaillons pas ici l’arbre hiérarchique de l’enseignement
primaire, qui diffère sensiblement.
*** Rares sont les proviseurs ou principaux qui se sentent le droit, par exemple, d’entrer dans
une classe pour assister au cours d’un professeur.

154
14. Les coûts de la machine : quelles anomalies ?

Héritage de l’histoire, cette double hiérarchie mérite pourtant d’être


critiquée de l’intérieur même du système car, au cœur même de l’ins-
titution, de son système de pouvoirs et de ses fonctions de grande
entreprise, elle génère des inconséquences graves qui créent en per-
manence les conditions de dépenses indues.

155
15. Des mesures pour
réformer le financement
de l’école

N ous proposons ici de retenir deux préoccupations majeures, et


d’essayer de les conjuguer : la pénurie* dans laquelle la France
s’est installée, par rapport à la plupart des pays de niveau économique
équivalent, en termes de formation de diplômés de l’enseignement
supérieur, d’une part, le caractère particulièrement inéquitable socia-
lement du fonctionnement actuel du système éducatif français, qui
« produit » massivement échec et fractures, d’autre part. La concentra-
tion de l’échec et de l’exclusion à un pôle de la société, cela dans un
cadre qui se prétend juste et égalitaire, basé sur une égalité des
chances dont tout montre qu’elle est une fiction si elle ne repose pas
sur une proximité minimum des conditions (sociales, économiques,
culturelles) de départ, est en effet un symptôme particulièrement
grave. Comme on le voit, ces deux préoccupations ne sont bien sûr
pas d’abord financières, au sens technique, mais politiques, et elles
ont partie liée : que des couches importantes de la société restent à
l’écart de l’essentiel de la connaissance est bien le double scandale
humain et économique de la France contemporaine, scandale qui
appelle la recherche de solutions, y compris s’il le faut iconoclastes et
remettant en question des habitudes de pensée ou des positions
acquises.

* On trouvera tout l’argumentaire, qui ne relève pas directement de notre propos, dans le rap-
port du Haut Conseil de l’évaluation de l’école préalable au débat national sur l’école. On rap-
pellera seulement que ce ne sont, par exemple, aujourd’hui, que 40 % d’une classe d’âge qui
accèdent aux études supérieures en France, quand c’est 60 % aux États-Unis.

157
L’école et l’argent

Refuser la libéralisation ne signifie pas


tout conserver en l’état
Toutefois, nous ne devons pas nous cacher que, pour changer
l’existant, les marges de manœuvre sont étroites, et qu’il n’est pas
facile de conclure, même en s’aidant de quelques références interna-
tionales comme nous l’avons fait, sur des questions aussi basiques, en
apparence, que celle qui consiste à se demander si la nation dépense
trop ou pas assez pour l’éducation, ou si le budget de l’État consacre
trop de ses ressources à la financer. Tout ce que l’on sait de façon cer-
taine, c’est que la nation comme l’État consacrent à l’éducation des
ressources très importantes, qu’il y a peu d’éventualité pour que les
occasions de dépenser se raréfient dans les années à venir et qu’il
n’est pas déplacé de se souvenir qu’aucun budget n’est extensible à
l’infini, cela même si l’on estime qu’il serait bon de dépenser encore
plus. On peut seulement avoir en tête que bien des problèmes ne sont
pas récents et que l’augmentation régulière de certains budgets, au
cours des dernières décennies, l’accroissement continu de certains
moyens, l’inflation permanente de certains postes de dépense n’ont
pas toujours agi efficacement pour aider à les résoudre. Un second
point à propos duquel on peut avoir quelque certitude pourrait être
le suivant : alors même que, par souci de justice, il convient de s’op-
poser au développement des différentes formes de concurrence au
sein du système, notamment entre les établissements, il faut garder à
l’esprit que la situation actuelle est déjà un terreau favorable au déve-
loppement des injustices et exclusion. Refuser la libéralisation de
l’école, en référence à l’équité*, ne saurait donc avoir pour consé-
quence qu’on se satisfasse de la situation actuelle et qu’on veuille la
conserver en l’état.

* C’est-à-dire la recherche de plus d’égalité en prenant en compte les situations de désavan-


tage initial de certains et en cherchant à les réduire par une attitude volontariste.

158
15. Des mesures pour réformer le financement de l’école

En outre, en matière de propositions crédibles, sauf à penser qu’on


peut changer une réalité sociale par décret, la voie est étroite et reste
dépendante des balisages antérieurs, ce que des économistes appellent
la « dépendance du sentier » (path dependence) : tout vrai changement
de direction relève d’un choix finalement contraint, dépendant de ce
sentier antérieurement balisé dont on ne peut faire abstraction.

L’État ne peut pas être seul financier


Que privilégier ? Entre beaucoup d’orientations possibles, que rete-
nir ? Il semble, comme on l’a énoncé, que les propositions doivent
toutes, au bout du compte, être articulées au problème majeur, pour
le pays, de l’accès insuffisant des Français à l’enseignement supérieur :
si la nation ne fabrique pas, et dans presque tous les domaines, beau-
coup plus de compétences du type de celles qu’on acquiert dans l’en-
seignement supérieur, les conséquences seront un appauvrissement
général, une détérioration de la situation de la France dans le monde
et un développement non maîtrisable du chômage. Pour y parvenir, il
faut programmer une véritable révolution.
Or, précisément, si l’on veut développer cet accès à l’enseignement
supérieur, on sait que cela va coûter de l’argent, ne serait-ce que parce
qu’il y aura plus d’étudiants à accueillir. Mais on sait aussi qu’il s’agit
de décider plus de jeunes à faire des études universitaires, et donc de
bien comprendre deux points. Tout d’abord, les jeunes qu’on aimerait
attirer relèveront de plus en plus de couches de population pour les-
quelles se posera immédiatement un problème de financement des
études et de la vie ; ce sera une nouvelle source de dépenses ;
ensuite, il ne s’agit pas de les attirer pour qu’ils y échouent, ce qui
implique, afin que la dépense en direction de l’enseignement supé-
rieur ne soit pas pure perte, de se préoccuper de leur préparation à
l’enseignement supérieur et, donc, de se demander si le lycée, qui coûte
si cher, ne pourrait pas en ce sens être plus efficace et équitable.

159
L’école et l’argent

Le problème est que nous risquons, en avançant ces quelques


idées, de coûter très cher au budget de l’État. Pourquoi pas ?
Pourquoi pas, mais pourquoi absolument ? On se souvient en effet
que nous avons vu par ailleurs que financer davantage l’enseignement
supérieur revenait dans l’immédiat à renforcer un transfert d’argent
des pauvres vers les riches, si c’est l’État tout seul qui paye la facture
par le biais de l’impôt !
On se souvient aussi que nous avons remarqué qu’en France, les
familles payaient particulièrement peu pour l’éducation, ce qui est
sans doute trop pour certaines, mais ce qui peut aussi poser question,
quand des familles aisées font financer entièrement par l’État les
études supérieures longues de leurs enfants, alors que d’autres, plus
modestes, n’ont accès qu’à des BTS, mais privés et onéreux ! Quand
les mêmes familles aisées bénéficient pour leurs enfants du fonction-
nement particulièrement inique du quotient familial dans le calcul de
l’impôt sur le revenu.
Nous avons vu aussi que les entreprises en France font payer par
l’État l’essentiel de la formation des compétences professionnelles ini-
tiales, par exemple dans les lycées professionnels, alors qu’elles-
mêmes participent peu au financement de l’éducation.
Nous avons surtout rappelé que l’accroissement généralisé des com-
pétences dans le pays n’est possible que si le problème de l’échec sco-
laire trouve des solutions : malgré toute la composante économique et
sociale du problème, on en connaît quelques-unes, comme sa préven-
tion dès les tout premiers mois d’école, comme la mise à disposition
des élèves des familles pauvres de tous les moyens raisonnables dont
bénéficient les autres (des livres à la maison, gratuits, des voyages à
l’étranger, des précepteurs et mentors individuels, des cours dans des
domaines artistiques), comme la répression intraitable de tous les phé-
nomènes de ghettos scolaires, où l’échec est massif, et de tout ce qui,
même doté des meilleures intentions, les favorise peu ou prou.

160
15. Des mesures pour réformer le financement de l’école

À cet égard, l’urgence est telle, là aussi si on ne veut pas dépenser


en pure perte, qu’il est indispensable de s’interroger sur des équilibres
construits il y a deux décennies ou plus, à une époque où les pro-
blèmes sociaux et leur poids sur l’école étaient moindres.
Réviser le quotient familial
On peut commencer par là : en France, les dépenses d’éducation étant
d’abord des dépenses publiques et financées par l’État, à partir de l’im-
pôt, avec une ambition évidente de redistribution, il ne paraît pas accep-
table qu’au sein du même budget de l’État, le recours à la technique du
quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu vienne en per-
manence contredire la philosophie de la dépense d’éducation en finan-
çant, de façon très inégalitaire, le coût des enfants pour les familles, en
faveur des plus aisées d’entre elles, comme nous l’avons montré. Le quo-
tient familial pourrait être soit progressivement supprimé, soit au moins
considérablement atténué dans ses effets particulièrement injustes.
Financer l’enseignement supérieur de façon massive et ciblée
Le passage est extrêmement étroit entre les besoins du pays en
termes de compétences du niveau de l’enseignement supérieur, une
université française à la traîne par rapport à beaucoup de ses homo-
logues étrangères, l’attachement très fort de la population à sa quasi-
gratuité, les dépenses nettement plus élevées consenties pour d’autres
parties du système éducatif (le secondaire) et de l’enseignement supé-
rieur lui-même (principalement les classes préparatoires aux grandes
écoles), et les contraintes budgétaires déjà rappelées.
La « solution » évidente de l’augmentation des droits d’inscription à
l’université pourrait, à notre sens, être retenue, à la fois parce que leur
niveau est faible en France et puisque, pour des raisons sociologiques,
en rester à la situation présente en revient, dit bien sûr trop rapidement,
à faire financer par les « pauvres » les études des « riches » : elle ne
pourrait toutefois l’être que dans un cadre de complète remise à plat

161
L’école et l’argent

des conditions de la justice dans l’accès à l’enseignement supérieur et


dans la réussite des étudiants.
Des droits d’inscription pour les classes préparatoires
Une manière de penser plus équitablement les choses ne consiste-
rait-elle pas d’abord à faire entrer dans le jeu budgétaire de l’ensei-
gnement supérieur les classes préparatoires aux grandes écoles,
dépendant actuellement du secondaire et entièrement gratuites, alors
que des droits, même relativement faibles (150 € environ) doivent être
acquittés pour entrer à l’université, et que – sociologiquement – les
premières sont majoritairement fréquentées par les catégories aisées,
la seconde par des catégories moins favorisées ? Compte tenu du fait
que de nombreuses familles n’hésitent pas, on l’a vu, à payer très cher
des formations parallèles, serait-il inadmissible qu’elles acquittent des
droits au moins équivalents à ceux de l’université pour l’inscription de
leurs enfants en classes préparatoires ?
L’augmentation des droits à l’université pourrait être étudiée dans
le cadre suivant : elle serait faible pour les trois années de licence et
la première année du master (ancienne maîtrise). Elle serait plus sub-
stantielle par la suite, et notamment quand elle concerne des salariés
bien rémunérés en reprise d’études. Elle serait diversifiée aussi selon
les disciplines en fonction des gains que chaque type d’études permet
aux diplômés d’espérer à court terme. L’État et les collectivités locales
garantiraient et financeraient les intérêts des prêts que les banques
seraient invitées à consentir aux étudiants.
Vers un revenu minimum étudiant
Cette proposition ne ferait toutefois que reprendre de vieilles
recettes et serait insupportable si elle n’était pas précédée d’un chan-
gement drastique dans la façon dont l’État finance aujourd’hui l’ensei-
gnement supérieur. Par comparaison avec d’autres pays où l’État
s’implique davantage, on a vu qu’il finançait essentiellement les éta-

162
15. Des mesures pour réformer le financement de l’école

blissements, c’est-à-dire les locaux et les personnels qui y travaillent,


beaucoup moins les étudiants dont les bourses sont modestes,
bourses qui ne bénéficient qu’à une minorité et ne permettent pas de
vivre. La vraie démocratisation de l’accès aux études longues passe
par une augmentation considérable du nombre et du montant des
bourses, leur transformation en un revenu minimum étudiant (RME,
garanti à tous) devant être étudiée. Les étudiants boursiers devraient
aussi pouvoir occuper un emploi salarié sous un plafond maximal.
Vers une participation financière des entreprises
De même que nous avons proposé de remettre en cause l’absolu-
tisme de l’application d’un principe de non-participation des familles
au financement des études, au moins au niveau supérieur, au motif
que, face aux besoins de financement, le maintien de ce principe était
tout simplement injuste, de même on pourrait développer, à certains
niveaux du système, le recours à un financement par les entreprises.
À partir du moment où les entreprises de telle ou telle branche pro-
fessionnelle ont intérêt au développement de formations profession-
nelles en université, ne pourrait-on admettre qu’elles en financent une
partie significative, sous le mode de conventionnements précisant les
responsabilités de chaque partenaire ? De même, dans le cadre de la
prise en main par les régions de la carte des formations profession-
nelles dans les lycées, on pourrait imaginer qu’elles associent les
branches professionnelles au financement des lycées professionnels,
y compris pour la rémunération de professeurs contractuels : l’ensei-
gnement professionnel, qui d’ores et déjà est défini de façon tripartite
entre l’État (qui garantit les diplômes), la région (qui établit la carte
des formations) et les entreprises (qui embauchent les diplômés),
pourrait être financé de la même façon. Ce sont en effet les entre-
prises, quand elles recrutent, qui bénéficient les premières des com-
pétences élaborées dans le système de formation.

163
Conclusion :
repenser l’ équité
L’Éducation nationale est dans l’erreur quand elle considère que le
financement de l’éducation consiste presque exclusivement à rému-
nérer des maîtres, sans prêter une attention véritable au financement
des outils, individuels et collectifs, de l’étude et de l’accès au savoir.
Agir en ce domaine peut contribuer à rapprocher la condition des
élèves qui disposent notamment de l’outil du livre chez eux et les
autres. Étant donné le sous-financement historique de ce type de
dépenses dans le système éducatif français, et ce qu’on sait de l’in-
égalité des familles en ce domaine, il est proposé de développer les
dépenses publiques visant le financement de matériel culturel et
pédagogique en direction des établissements et la fourniture gratuite
et généreuse, sous forme de dons et non plus de prêts, aux élèves, de
manuels et d’ouvrages de référence, sur tous les supports, éventuelle-
ment sous condition de ressources. Les collectivités territoriales
seraient les principaux financeurs.

Se préoccuper des conditions et de l’environnement


permettant l’accès de tous à la connaissance
Étant donné, par ailleurs, que beaucoup d’interventions privées
autour de l’école, sources d’inégalités, ne font que proposer différents
types d’aide aux élèves pour l’accomplissement de leur travail scolaire
ordinaire ou pour chercher des solutions à des difficultés qu’ils ren-
contrent dans leurs apprentissages scolaires, il convient prioritairement
de donner toute sa force, dans l’organisation des établissements comme
dans la culture et la déontologie des enseignants, à l’idée que l’École
doit être son propre recours. Si ce recours n’est pas disponible sur
place, on pourra étudier les conditions d’une offre gratuite des services
du Centre national d’enseignement à distance (CNED).

165
L’école et l’argent

Favoriser un accès plus démocratique


aux ressources pédagogiques privées
Toutefois, nous sommes persuadés qu’il serait vain, au-delà des cas
où l’École doit être systématiquement son propre recours, de refuser
de voir que la vie et les techniques contemporaines proposent à beau-
coup d’enfants et de jeunes certaines opportunités d’apprendre (des
ressources électroniques ou imprimées aux voyages à l’étranger ou
aux cours de disciplines extrascolaires, artistiques, par exemple), qui
ne peuvent exister dans le cadre de l’école, et que ces opportunités
profitent, pour le double motif de leur prix et de la nécessité d’être
informé de leur utilité pour s’en saisir, essentiellement aux enfants des
milieux les plus favorisés. On pourrait mettre en place, au sujet de ces
objets et opportunités d’apprendre, à la fois une procédure de signa-
lement pédagogique et surtout de financement public, concerté entre
État et collectivités territoriales, d’un achat ciblé de ces objets par les
familles des enfants scolarisés*. Ce financement ciblé pourra, dans cer-
taines limites, être la nouvelle forme que prendraient les bourses et,
dans ce cadre, le bénéfice des bourses pourrait être étendu à l’ensei-
gnement primaire, où elles sont inexistantes.
Mieux contrôler la qualité du marché privé de formation
Cela étant, le caractère insidieux du développement de certaines
offres scolaires privées dont le caractère inéquitable est assorti d’une effi-
cacité discutée justifierait que les responsables publics de l’éducation se
sentent responsables de l’assainissement de ce marché en mettant en
place une veille de ses développements et de ses interventions publici-
taires, assortie d’une obligation faite à ces entreprises de se soumettre à
des contrôles de qualité. Des affaires récentes sont venues montrer l’in-

* Nous ne reprenons pas à notre compte le système des chèques-éducation ou vouchers, en rai-
son de ses effets pervers, revenant à mettre en concurrence les écoles transformées en simples
prestataires de services. En revanche, la notion de compte-éducation, ouvrant droit au finance-
ment de formations extérieures au strict cursus officiel, du type de celles que financent ordinaire-
ment les familles pour leurs enfants dans les milieux favorisés, nous semble devoir être favorisée.

166
Conclusion : repenser l’équité

térêt public qu’il y aurait à ce que l’ensemble du privé hors contrat soit
soumis à un contrôle impartial de la qualité du service et des comptes.
Des bilans de compétences à la place
du système anxiogène de notation
L’institution ne doit pas, par ailleurs, se cacher qu’elle participe
elle-même fortement, par certaines de ses pratiques, à favoriser le
développement de certaines offres privées, fondées sur le terreau
d’une angoisse excessive des parents d’élèves. Agir sur la source de
cette angoisse inutile, au moins au cours des années d’enseignement
obligatoire, pourrait modifier en partie certains comportements qui
contribuent à creuser les inégalités : il est proposé de limiter aux
seules classes d’examen les classements et calculs de moyennes et
d’en proscrire l’usage dans tous les autres cas, en les remplaçant,
quand c’est nécessaire, par des bilans de compétences, à l’instar de ce
qui se pratique dans les pays scandinaves.
En ce qui concerne les différents financements apparus pendant la
dernière décennie dans les collèges et lycées sous formes de fonds
sociaux, nous pensons qu’il ne s’agit que d’un pis-aller et qu’il
conviendrait que la prise en charge sociale des familles soit le fait des
services spécialisés, extérieurs à l’école (bien sûr en rapport avec elle)
et non des établissements scolaires, dont ce n’est pas le métier. En
dehors de cela, il semble important de ne pas mélanger, au plan sym-
bolique, les financements individuels et collectifs des apprentissages,
c’est-à-dire l’investissement individuel et collectif de formation et
l’aide sociale. Masquer ou noyer le coût d’apprendre ne permet pas
de financer comme il convient les apprentissages.
Détruire tous les ghettos
Nous l’avons dit : la crise sociale sévit sur l’École de façon beau-
coup plus forte qu’il y a quinze ans. Du même coup, certains équi-
libres ou dispositifs qui n’étaient pas interpellés de ce point de vue le

167
L’école et l’argent

sont désormais, et la prudence nécessaire de l’intervention politique


dans des domaines sociologiquement marqués ne doit pas dispenser
de s’interroger.
Ainsi, comme la preuve n’a pas été faite de leur efficacité alors que
leur systématisation développe bien des effets pervers, il est proposé
de ne pas développer, voire de poser la question de la pérennité de
toutes les zones d’éducation prioritaire. On utiliserait des moyens ainsi
récupérés à des financements flexibles de réponses plus personnali-
sées que l’école peut apporter à la prévention et au traitement des dif-
ficultés scolaires des élèves. Nous suivons volontiers Éric Maurin
lorsqu’il expose et démontre que « c’est en ciblant correctement les
individus eux-mêmes […] que l’on parviendra à atténuer un tant soit
peu les effets destructeurs de la ségrégation territoriale 1 », par la vertu
de ce que des spécialistes ont appelé « effet multiplicateur 2 ».
Corriger une concurrence faussée
Autre question qu’on ne peut pas ne pas poser : le rôle de service
public joué en France par l’enseignement privé sous contrat financé
par l’État est-il en contradiction avec la fonction perverse que joue
aujourd’hui, le plus souvent malgré lui, cet enseignement en investis-
sant une position de concurrence faussée vis-à-vis de l’enseignement
public ? On parle de concurrence faussée puisqu’il s’agit d’une concur-
rence entre des établissements dont les uns ne supportent qu’une très
faible partie de la charge de former les enfants les plus en difficulté. Il
est proposé de chercher localement les conditions auxquelles l’État, en
association avec les collectivités locales, pourrait introduire, dans les
conditions du contrat qui le lie aux établissements privés, la prise en
charge d’un contingent d’élèves en provenance de familles en diffi-
culté proportionnellement égal aux établissements publics voisins. À
ne pas le faire, en beaucoup d’endroits on renforcera, qu’on le veuille
ou non, l’écart entre une école de pauvres et une école de riches,
avec, en outre, la ségrégation souvent ethnique que cela recouvre.

168
Conclusion : repenser l’équité

Évaluer les établissements


Mais l’État doit « balayer devant sa porte » : il a lui-même laissé se
développer une concurrence pernicieuse entre établissements
publics : elle doit être absolument combattue, pour les mêmes motifs
que précédemment. Deux moyens s’offrent pour cela : créer au sein
de l’Éducation nationale, au-dessus des écoles et des EPLE, un niveau
hiérarchique supplémentaire, peut-être en substitution à l’échelon
départemental, permettant d’organiser la cohérence entre l’action des
différents établissements entre lesquels se partage une population
donnée. Il convient aussi que l’ensemble de la population puisse juger
sur des éléments objectifs et comparables, et non les seuls initiés sur
des rumeurs, la qualité des différents établissements en fonction des
conditions qui sont les leurs. Étant donné que les établissements fran-
çais d’enseignement ne sont pas des lieux d’exécution d’une politique
homogène dans l’ensemble de ses prescriptions, mais qu’au contraire
le travail des différents établissements consiste à rechercher les
meilleures conditions de la mise en œuvre locale des objectifs que la
nation assigne à l’école, la contrepartie de l’exercice d’une autonomie,
nécessaire aux acteurs, est la mise en place d’une évaluation véritable
des établissements, si possible sur le mode d’une autoévaluation
accompagnée par la tutelle avec l’objectif de partager regards internes
et externes. Les résultats de ces évaluations seront en tous les cas
publics.
Former les familles à l’investissement éducatif
Agir sur le front de l’équité est toutefois plus difficile encore que
ce qui a été dit jusqu’ici : les inégalités devant l’éducation tiennent en
effet fortement aux différences des niveaux d’information sur les
opportunités d’étudier, sur les voies les plus adaptées, mais surtout sur
l’intérêt d’un investissement individuel et familial dans l’éducation.
Une politique de véritable formation des familles au repérage et aux
choix dans le système d’éducation et de formation doit être inventée,

169
L’école et l’argent

financée et mise en place, d’abord tournée vers les milieux qui n’ac-
cèdent pas en général aux études longues.

Améliorer le fonctionnement de l’institution


Il est de peu de secours de chercher à multiplier les financements
si on ne se préoccupe pas de la qualité de l’organisation à laquelle ils
profitent. Il convient à cet égard, nous avons expliqué pourquoi, de
revoir l’organisation de l’Éducation nationale dans son ensemble, avec
deux préoccupations principales : supprimer toutes les incohérences
créées par la cohabitation à tous les niveaux des deux lignes de com-
mandement – pédagogique et administrative – et ramener la fonction
trop politisée et éphémère des recteurs d’académie dans la situation
commune de directeurs régionaux compétents d’une administration
d’État, sous l’autorité et la coordination du préfet de la région.
Autre question clé essentielle à une entreprise à la fois de la taille
de l’Éducation nationale et intéressée comme elle l’est à l’avenir et à
la recherche des meilleures solutions : étant donné l’ampleur des
sommes publiques dépensées en matière d’éducation et l’importance
des enjeux humains quand est prise une décision dans ce domaine, il
est proposé d’augmenter considérablement les moyens, la qualité et
la visibilité de la recherche/développement en matière éducative, en
la dotant de toutes les garanties d’indépendance nécessaires à la cré-
dibilité de ses résultats.
Repenser l’articulation entre les niveaux d’enseignement
Nous avons à plusieurs reprises insisté sur les coûts négatifs résul-
tant du tronçonnement historique de l’Éducation nationale entre ensei-
gnement primaire, collège, lycée, enseignement supérieur, chacun
ayant ses objectifs, sa culture, ses non-dits. Plus ce système éducatif
veut emmener de jeunes vers des études longues, plus ces coûts vont
se renforcer, à la fois pour l’institution et pour les individus. Étant
donné, par exemple, que les difficultés actuelles rencontrées par les

170
Conclusion : repenser l’équité

étudiants et les professeurs dans les premiers cycles universitaires ne


paraissent pas devoir bénéficier des financements nouveaux, en tout
état de cause nécessaires si certaines conditions des apprentissages
des étudiants ne sont pas modifiées, il est proposé que les enseigne-
ments en lycée soient définis, beaucoup plus que ce n’est le cas
aujourd’hui, en termes de préparation à l’enseignement supérieur et
aux attentes de ce dernier en termes de maîtrise de méthodes de tra-
vail, de culture générale, de connaissances des langages et raisonne-
ments et d’approche épistémologique des savoirs. La caractérisation
actuelle du lycée en « séries » et « options » trop spécialisées, et dont
la vertu formatrice n’est pas toujours prouvée, est sans doute à recon-
sidérer en profondeur.
De même, on n’entraînera pas avec succès vers un niveau supé-
rieur de compétences et de culture plus d’élèves tant qu’on n’aura pas
unifié enseignement primaire et collège dans un concept d’enseigne-
ment obligatoire : la scission actuelle entre la culture du premier degré
et celle du secondaire, gouvernée en fait par le lycée d’enseignement
général, est une des causes majeures de l’échec scolaire, qui est un
sous-produit insupportable de l’organisation scolaire. L’école ne peut
que coûter de plus en plus cher à la collectivité et aux individus, en
termes d’échec, tant qu’on n’aura pas reconsidéré complètement les
finalités de l’enseignement obligatoire, tant qu’on n’aura pas surmonté
un certain nombre de contradictions qui pèsent sur les programmes
et objectifs d’enseignement, et cela non pas pour les seuls élèves dits
« en difficulté », mais pour tous, en sachant qu’entre « des savoirs qui
rassemblent et des savoirs qui distinguent, voire qui excluent3 », des
choix doivent être faits sans la clarté desquels les financements ne
peuvent rien.

171
Notes bibliographiques

2. La gratuité de l’enseignement en France (pp. 19-28)


1. Loi portant qu’il sera créé et organisé une instruction commune à tous les
citoyens, citée dans O. Gréard, La Législation de l’instruction primaire de 1789 jus-
qu’à nos jours, Paris, Librairie de MM. Delalain Frères, 2e édition, 1902, tome 1.
2. Cf. Y. Poutet, Charles Démia : 1637-1689. Journal de 1685-1689, pré-
senté, transcrit et annoté par le frère Y. Poutet, Cahier Lassallien n° 56,
Maison J.-B. de La Salle, Rome, 1994.
3. Cf. article de B. Grosperrin, « Écoles, petites écoles », in Dictionnaire de
l’Ancien Régime, L. Bély dir., Paris, PUF, 1996. Pour plus de précisions et de
nuances, on se reportera à F. Lebrun, M. Venard et J. Quéniart, Histoire de l’en-
seignement et de l’éducation, II. 1480-1789, Paris, Perrin, 2003, pp. 284 sqq.
4. Imprimerie Edouard Prox et Ce, rue Neuve-des-Bons-Enfants, non daté.
5. Cité par Françoise Mayeur, Histoire de l’enseignement et de l’éducation, III.
1789-1930, Paris, Perrin, 2003, p. 596.
6. Cité dans l’article « Gratuité » du Dictionnaire de pédagogie, F. Buisson,
édition 1911, pp. 748-750.
7. D’après O. Gréard, op. cit.
8. In P. Robiquet, Discours et opinions politiques de Jules Ferry, Paris, A. Colin,
1893-1898, cité par C. Nique et C. Lelièvre, La République n’éduquera plus.
La fin du mythe Ferry, Paris, Plon, 1993, pp. 27-28.
9. Cf. B. Toulemonde, La Gratuité de l’enseignement, passé, présent, avenir,
rapport au ministre de l’Éducation nationale, IGEN, 2002.

3. La gratuité dans le monde : état des lieux (pp. 29-34)


1. Steve Packer, UNESCO, membre de l’équipe chargée du rapport mondial
de suivi sur l’éducation, cité in « L’école gratuite, à quel prix ? »,
http://portal.unesco.org.
2. Rapport User fees in Primary Education, Education Sector, Human Develop-
ment, The World Bank, juillet 2004.
3. B. Toulemonde, La Gratuité de l’enseignement, passé, présent, avenir, op. cit, p. 8.

172
Notes bibliographiques

4. Idem, p. 9.
5. Cf. M. Lemosse, Le Système éducatif anglais depuis 1944, Paris, PUF, 2000.

4. Un principe de gratuité pas toujours respecté… (pp. 35-44)


1. Extrait du règlement type d’une coopérative scolaire du premier degré, dif-
fusé le 10 février 1948 en illustration d’une circulaire fortement incitatrice du
ministre aux inspecteurs d’académie.
2. Extraits d’un document de la Fédération nationale OCCE (11 octobre 2000).
3. B. Toulemonde, La Gratuité de l’enseignement, passé, présent, avenir, op. cit.

5. Les familles sont-elles « gagnantes » ? (pp. 45-52)


1. On lira avec intérêt l’article « Transferts en faveur des familles », commu-
nication pour un séminaire du CERC de V. Albouy, F. Bouton et N. Roth
(Insee, division Études sociales), Paris, 15 nov. 2002.
2. Idem.
3. Cf. notamment É. Maurin, L’Égalité des possibles. La nouvelle société fran-
çaise, Paris, Le Seuil, 2002.
4. Cf., par exemple, C. Thélot et L.-A. Vallet, « La réduction des inégalités
sociales devant l’école depuis le début du siècle », in Économie et statistique,
n° 334, pp. 3-32.

6. La concurrence dans l’école : jusqu’où ? (pp. 53-60)


1. Cf. A. van Zanten, L’École de la périphérie, Paris, PUF, 2001. Voir aussi :
« École et logiques de marché. Réalités, risques et (dés)illusions ? », numéro
coordonné par Choukri Ben-Ayed, Revue du Centre de recherche en éduca-
tion, n° 20, déc. 2001, St-Étienne, université J.-Monnet.
2. Mémoires d’espoir, I. Le Renouveau 1958-1962, Paris, Plon, 1970, p. 143.
3. Sur l’ensemble du thème, on lira avec intérêt E. Delamotte, Une intro-
duction à la pensée économique en éducation, PUF, 1998, ainsi que B. Frelat-
Kahn, L’École en France et la pensée libérale, Paris, Ellipses-Marketing, 1999 ;
M. Gurgand, Économie de l’éducation, Paris, La Découverte, 2005 ; et C. Laval,
L’école n’est pas une entreprise : le néolibéralisme à l’assaut de l’enseigne-
ment public, Paris, La Découverte, 2003.

173
L’école et l’argent

8. L’enseignement privé sous contrat :


un choix et une émulation (pp. 69-82)
1. Il y a une certaine ambiguïté de l’expression, sans doute voulue par le
législateur. Nous renvoyons à B. Toulemonde « La loi Debré du 31 décembre
1959 : une construction juridique originale », pp. 109-121, in B. Poucet (dir.),
La loi Debré. Paradoxes de l’État éducateur ?, Amiens, CRDP, 2001. Voir aussi,
dans le même ouvrage, C. Durand-Prinborgne, « La loi Debré dans le système
français, la tradition républicaine et le cadre européen », pp. 123-147.
2. G. Langouët, A. Léger, Le Choix des familles : école publique ou école privée ?,
Paris, Fabert, 1997.
3. Pour de plus amples détails et précisions d’analyse, voir Éducation et for-
mation, revue de la DEP, n° 69, juillet 2004.
4. P. Meirieu, Nous mettrons nos enfants à l’école publique…, Paris, Mille et
une nuits, 2005.
5. Idem, p. 65.

9. L’enseignement privé hors contrat


et le soutien scolaire (pp. 83-92)
1. D. Glasman, Le Travail des élèves pour l’école en dehors de l’école, HCEE
(Haut Conseil de l’évaluation de l’école), mai 2005.
2. M. Bray, The Shadow Education System, UNESCO IIPE, 2003.
3. Note d’information, service statistique Académie de Paris, juin 2004.
4. Interview parue dans Elle du 23 août 2004. Article d’E. Weissman et S. Wolff,
pp. 59-64.
5. Chiffres cités par L. Colcombet dans un article paru dans Libération le
27 avril 2005.

10. Le marché parascolaire traditionnel


et l’aide « en ligne » (pp. 93-100)
1. C. Coridian, notice « Parascolaire », Dictionnaire de l’éducation et de la for-
mation, 3e éd., Paris, Retz, 2005.
2. J.-P. Jarousse et C. Leroy-Audoin, « Les activités scolaires des élèves durant
les congés d’été et leurs conséquences sur le niveau des connaissances à la
rentrée », Les Cahiers de l’IREDU, Université de Bourgogne/CNRS, 2001.

174
Notes bibliographiques

3. Traduit en français en 1972, éd. Robert Laffont.


4. Pour ce développement, nous nous appuyons sur S. Pouts-Lajus, L’Offre
éducative des acteurs privés, associatifs et institutionnels, étude réalisée pour
la direction de l’action éditoriale du CNDP, 2001.

11. Le prix de l’école : qui finance quoi ? (pp. 101-110)


1. Cf. le rapport pour le HCEE de J.-J. Paul et T. Troncin : Les Apports de la
recherche sur l’impact du redoublement, déc. 2004.
2. Cf. le rapport annuel du HCEE, 2003.
3. F. Dubet, L’École des chances. Qu’est-ce qu’une école juste ?, Paris, Le Seuil,
2004, p. 41.
4. Cf. J.-J. Paul, « “Ça coûte trop cher pour pas grand-chose !” Ou Comment
évaluer les coûts et les résultats de l’institution scolaire », in P. Meirieu (dir.),
L’École et les parents : la grande explication, Paris, Plon, 2000.
5. On se reportera aussi au rapport de la Cour des comptes, La gestion du
système éducatif, avril 2003.

12. Avec les décentralisations,


un financement qui se complexifie (pp. 111-126)
1. Voir François Louis, Décentralisation et autonomie des établissements : la
mutation du système éducatif français, Paris, Hachette éducation, 1994.
2. Cf. Évaluation de l’enseignement dans l’académie de Paris, rapport d’ins-
pection générale de 2004 : « Même si les constats réalisés […] ont confirmé
la qualité de l’enseignement dispensé par les professeurs de la ville de Paris,
leur intervention dans la classe-même, l’absence trop fréquente de coordi-
nation, l’effet “déresponsabilisant” de la multiplication des enseignants, les
graves dysfonctionnements qui en résultent parfois, doivent faire l’objet
d’une réflexion approfondie des autorités académiques et de la Ville de
Paris. »
3. On se reportera notamment à D. Meuret, « L’efficacité de la politique
des ZEP dans les collèges », in Revue française de pédagogie, n° 109, 1994 ;
J.-Y. Rochex, « Les ZEP, un bilan décevant », in J.-P. Terrail (dir.), La
Scolarisation de la France, Paris, La Dispute, 1997 ; M. Kherroubi et J.-Y.
Rochex, « La recherche en éducation et les ZEP en France », 1 et 2, Revue

175
L’école et l’argent

française de pédagogie, n° 140, 2002, n° 146, 2004. Voir aussi D. Meuret, Les
Recherches sur la réduction de la taille des classes, rapport pour le HCEE,
Paris, MEN-HCEE, 2001.
4. On se reportera à l’étude d’Eurydice, « Questions clés de l’éducation en
Europe », vol. 2 : Le financement et la gestion des ressources dans l’ensei-
gnement obligatoire, 2000.

13. Comment mesurer l’efficacité de l’école ? (pp. 127-146)


1. Source : Regards sur l’éducation, OCDE, 2004.
2. C. Thélot, L’Évaluation du système éducatif, Paris, Nathan, 1993, p. 37.
3. Cf. L’État de l’École, n° 14, op. cit, pp. 42-43.
4. Une analyse critique est proposée dans G. Félouzis, « Les indicateurs de
performance des lycéens », in Éducation et formation, n° 70, déc. 2004.
5. M.-T. Céard, M. Rémond et M. Varier : L’Appréciation des compétences des
élèves et des jeunes en lecture et en écriture et leur évolution dans le temps,
rapport en ligne sur le site du HCEE.

Conclusion : repenser l’équité (pp. 165-171)


1. É. Maurin, Le Ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, Paris, Seuil,
2004, p. 69.
2. Cf. les expériences américaines citées par É. Maurin, op. cit., pp. 70-72.
3. J.-L. Derouet, « Les politiques des savoirs. Réflexions croisées », in
Troisièmes entretiens franco-américains sur la recherche en éducation, INRP
CPRE, Lyon, 23-27 mai 2005, inédit.

Conception et réalisation graphique : Christine Paquereau


Corrections : Catherine Lainé
Direction éditoriale : Sylvie Cuchin
Édition : Céline Lorcher
N° d’éditeur : 1334
----------
N° de projet : 10119017 - Dépôt légal : octobre 2005
Achevé d’imprimer en France sur les presses d’E.M.D. S.A., 53110 Lassay-les-Châteaux

Vous aimerez peut-être aussi