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© Éditions Albin Michel, 2015

ISBN : 978-2-226-38660-1
Introduction

Depuis quelques années, nous redécouvrons l’œuvre d’Hildegarde de


Bingen, alors qu’elle est déjà largement diffusée en Allemagne. On connaît
le plus souvent l’apport d’Hildegarde à la médecine, à l’alimentation, en
particulier avec l’épeautre, à la musique, qui revisite le grégorien, mais
Hildegarde a également proposé une spiritualité parlante pour notre époque,
et plus largement une théologie spirituelle solide qui l’a fait nommer
docteur de l’Église, le 7 octobre 2012. Certaines de ses œuvres, en
particulier le Scivias et Le Livre des œuvres divines, sont largement
illustrées et permettent ainsi de mieux comprendre ses visions. Nous nous
attacherons, dans cet ouvrage, aux dix enluminures du Livre des œuvres
divines, telles qu’on les trouve dans l’unique manuscrit illustré qui soit
parvenu jusqu’à nous : le Lucca Codex 1, datant du début du XIIIe siècle.
Hildegarde ne l’a pas supervisé, mais elle n’en est pas moins représentée
dans chacune des miniatures, en tant que visionnaire, selon une tradition
antique, écrivant sous la dictée divine, alors que dans le Scivias elle n’est
représentée comme telle qu’une seule fois, au début de l’ouvrage.
Paradoxalement, les miniatures du Livre des œuvres divines n’ont
jamais fait l’objet d’une étude d’ensemble 2, pas même dans le Companion
to Hildegard of Bingen 3, récemment paru, alors qu’elles constituent une
porte d’entrée à l’œuvre de la prophétesse. Aussi nous proposons-nous de
les commenter, à partir du texte de ses visions et de l’interprétation qui leur
en est donnée.
La vie et l’œuvre d’Hildegarde

Abbesse bénédictine, Hildegarde a sillonné l’Europe en faisant preuve


de talent et même de génie dans tout un ensemble de domaines. Elle illustre
remarquablement ce printemps du Moyen Âge qu’a été le XIIe siècle, à tel
point que Régine Pernoud l’a appelée la « conscience inspirée du
e 4
XII siècle . »

Elle est l’une des femmes du Moyen Âge dont on connaît le mieux la
vie : non seulement nous disposons de quelques-unes de ses lettres, Scivias
et Le Livre des œuvres divines qui rendent compte de ses visions, mais elle a
également un biographe en la personne de Thierry d’Echternach, même si
celui-ci ne l’a pas connue directement et qu’il opte pour une part pour
l’hagiographie. Il n’en demeure pas moins qu’il s’appuie sur des sources
reconnues, issues des proches d’Hildegarde : Guibert de Gembloux et
Geoffroy pour écrire l’ouvrage qui lui a été commandé par les abbés
Gottfried et Ludwig. Dans cette Vie 5, il est surtout question de ses visions et
des miracles qu’elle a réalisés. On a également un écho de sa vie dans le
retable de Rochuskapelle de Bingen.

Née en 1098 à Bemersheim, près d’Alzey en Rhénanie, Hildegarde est


la dixième et dernière enfant de seigneurs locaux, Mechtilde et Hildebert.
Son frère Wescelin a été prévôt de Saint-André de Cologne, un autre de ses
frères, Roric, fut chanoine à Tholey. À l’âge de huit ans, et peut-être en
raison de ses visions, elle est confiée comme oblate au monastère
bénédictin du Disibodenberg, où une ermite, réputée pour ses talents
pédagogiques, Jutta de Spanheim, lui donne une éducation complète et
l’aide à comprendre ses visions. Au Moyen Âge, l’oblature est une chance,
elle permet aux enfants et en particulier aux filles d’avoir une bonne
formation intellectuelle et spirituelle. Vers l’âge de quinze ans, Hildegarde
fait profession dans ce même monastère, dont elle devient l’abbesse à l’âge
de trente-huit ans.
En 1149, une vision lui indique de quitter le Disibodenberg pour
installer son monastère au Rupertsberg, près de Bingen, ce qui ne va pas
sans difficulté. La communauté de bénédictins du monastère jumelé à celui
d’Hildegarde ne comprend pas, en particulier son abbé Cuno, qui s’oppose
au départ des moniales. Hildegarde hésite, est malade, mais des visions lui
font comprendre qu’elle doit partir. Elle part alors, avec une vingtaine de
moniales, pour fonder un monastère à Bingen, dédié à saint Rupert et
directement rattaché à l’évêque de Mayence et à l’empereur Frédéric
Barberousse. Même si ce nouveau monastère n’est reconnu officiellement
qu’en 1158, il a bientôt un remarquable rayonnement, de sorte
qu’Hildegarde doit en fonder un autre, sept ans après cette reconnaissance,
de l’autre côté du Rhin, à Eibingen. C’est à cet endroit que se trouve le
monastère que nous pouvons voir aujourd’hui.
Si Hildegarde est une abbesse bénédictine en quelque sorte tétanisée par
ses visions, elle n’en sillonne pas moins l’Europe pour visiter les
monastères, prêcher, exhorter les populations. Elle a à la fois un rôle
spirituel, politique et social, elle est partie prenante des problèmes de son
temps. Elle n’hésite pas à s’opposer à l’empereur Frédéric Barberousse, qui
est à l’origine du schisme opposant trois anti-papes au pape Alexandre III.
Elle fait quatre voyages importants : en 1158-1159, dans la région du Main ;
en 1160, en Moselle, à Trèves et en Lorraine, à Metz ; en 1161-1162, en
Rhénanie ; en 1170, en Souabe et en Rhénanie, pour inviter les habitants à
vivre l’Évangile. Elle correspond avec les papes, l’empereur… Visionnaire
et prophétesse, elle s’attache à rendre effectif le contenu de ses visions par
l’écrit et par l’image.

Hildegarde n’a pas voulu faire œuvre littéraire, elle n’a pas écrit non
plus de traité, ni de commentaire de l’Écriture, pas plus qu’elle n’a présenté
d’autobiographie. Elle n’aurait certainement jamais rédigé d’ouvrage si, à
l’âge de quarante-deux ans et sept mois, une voix ne lui avait enjoint de
mettre par écrit ses visions. Sans doute est-ce relativement tard dans sa vie,
en 1141, qu’elle entend cette voix, mais comme elle vit jusqu’en 1179, elle
a le temps d’écrire d’autres ouvrages en l’espace des trente-huit années
suivantes. Elle y est aidée, en particulier, par son secrétaire, le moine
Volmar, du monastère voisin du Disibodenberg. La diffusion de son œuvre
est facilitée car l’authenticité de ses visions a été reconnue au synode de
Trèves, en 1148. De plus, elle a une certaine liberté d’action, étant abbesse à
Bingen, elle est directement rattachée à l’archevêque de Mayence et est en
relation épistolaire avec les grandes figures de son temps, dont l’empereur
Frédéric Barberousse.
Son œuvre se subdivise en plusieurs parties. Il y a tout d’abord le grand
triptyque visionnaire constitué par le Scivias, publié en 1151, le Livre des
mérites de la vie, datant de 1163, Le Livre des œuvres divines, publié en
1174 ; c’est là son apport spécifique, la présentation et l’interprétation de
ses visions.
Se rapportent à ce volet théologique de son œuvre la Vie de saint
Disibode et celle de saint Rupert, les deux fondateurs des monastères où
elle a vécu, ainsi que l’Explication de la Règle de saint Benoît, qu’elle a
suivie tout au long de sa vie, et l’Explication du « Symbole » de saint
Athanase, qu’elle récitait quotidiennement et qui revient fréquemment dans
le récit de ses visions ; autant dire que ce sont des ouvrages
d’approfondissement qui ont l’intérêt de pénétrer le contexte où elle vivait
et de mieux apprécier l’originalité de son propos. D’autres ouvrages
s’inscrivent également dans cette partie théologique de son œuvre : le Traité
du sacrement de l’autel, expliquant l’eucharistie, qui a une place
fondamentale dans ses visions du Scivias, un opuscule intitulé Solutions aux
questions du 30 octobre, ainsi que cinquante-huit Homélies sur l’Évangile.
Il peut sembler étonnant de trouver des homélies dans l’œuvre
d’Hildegarde, mais l’abbesse de Bingen a prêché, exhorté les populations à
vivre davantage l’Évangile lors de ses différents voyages, qui étaient autant
de petites croisades.
S’y ajoutent quelque quatre cents Lettres qui sont parvenues jusqu’à
nous, et qui permettent de mieux comprendre sa personnalité ainsi que le
rôle politique qui fut le sien.
Une autre composante importante de son œuvre est son apport médical,
avec un ouvrage dit « de médecine complexe », intitulé Des causes et des
soins et un autre, dit « de médecine simple », ayant pour titre Physique, ou
Neuf livres des subtilités des diverses créatures de la nature. En tant
qu’abbesse et comme le monastère vivait en autarcie, Hildegarde devait y
avoir une pharmacie, un jardin de plantes médicinales pour soigner ses
moniales, d’où la réflexion médicale qu’elle propose à partir de là, avec
l’esquisse d’une médecine psychosomatique en raison de l’unité de l’être
humain qu’elle a comprise dans ses visions.
Il y a également un livre atypique ayant pour titre Langue inconnue
avec traduction latine. Hildegarde a, en effet, inventé une langue dont cet
ouvrage se fait l’écho. Le langage dont elle disposait n’était-il pas apte à
rendre compte de ses visions ou a-t-elle voulu créer une langue universelle
ou encore un moyen de communication avec ses moniales ? On ne sait.
Reste toute la partie musicale de son œuvre. En tant que moniale puis
abbesse, la musique liturgique et en particulier le chant ont une grande
place dans sa vie. Ainsi Hildegarde compose-t-elle hymnes, antiennes,
chants liturgiques qu’elle regroupe sous le titre Symphonie de l’harmonie
des révélations célestes. Elle écrit également un drame liturgique pour
l’inauguration du monastère du Rupertsberg, l’Ordo virtutum, qui reprend et
prolonge la dernière vision du Scivias 6.

Le triptyque visionnaire

Le Scivias
Le triptyque visionnaire 7 d’Hildegarde, constitué par le Scivias, le Livre
des mérites de la vie et Le Livre des œuvres divines, résulte de ce que
Bernard Gorceix appelle les « trois tempêtes visionnaires de 1141, de 1159
et de 1163 8 », qui ont véritablement terrassé Hildegarde, mais qui l’ont
amenée à transmettre une œuvre grandiose, dont le fleuron est Le Livre des
œuvres divines, avec les magnifiques reproductions de ses visions.
Ces visions, Hildegarde les consigne tout d’abord dans le Scivias, dont
le titre signifie « Connais les voies » ou encore « Sache quelles sont les
voies du Seigneur », voies qui lui ont été révélées lors de ses visions. Cet
ouvrage est en quelque sorte la porte d’entrée de son œuvre.
Avec le Scivias, un tournant, une libération se réalisent pour Hildegarde.
Enfin, elle peut parler ouvertement de ses visions qu’elle a depuis l’âge de
trois ans et qui ne cesseront pendant soixante-dix-huit ans. Ainsi rapporte-t-
elle dans sa Vie : « À l’âge de trois ans, je vis une si grande lumière que
mon âme en fut tout effrayée ; mais en raison de l’impuissance due à l’âge,
je ne pus rien en manifester. Plus tard, je demandai à ma nourrice si elle
voyait quelque chose de semblable. Elle ne répondit pas, parce qu’elle ne
voyait rien 9. » Presque toujours, elle est confrontée à de telles
incompréhensions. Seuls Jutta de Spanheim, Richardis de Stade et le moine
Volmar, qui l’accompagnent, comprennent qu’elle vit quelque chose hors du
commun. Lui ont-ils demandé de mettre par écrit le contenu de ses visions
ou l’ont-ils fait d’eux-mêmes à partir du récit qu’elle en donnait ? On ne
sait.
Dans son triptyque visionnaire, Hildegarde ne se raconte pas, elle ne
parle pas d’elle-même, elle répond à la voix qui lui dit : « Écris ce que je te
dis. » De plus, ses visions ont un intérêt pour les autres, car elles
comportent un message pour son époque et pour l’humanité en général,
d’où le titre de « prophétesse » attribué à Hildegarde. Elle s’en explique en
ces termes, au début du Scivias : « J’avais beau voir et entendre cela,
néanmoins, comme je doutais et me méfiais de moi-même, et comme je
voyais l’hostilité des paroles des hommes, j’ai longtemps refusé d’écrire
non par entêtement, mais par pratique de l’humilité, jusqu’au jour où […] je
me suis mise à écrire. Et, pendant que je le faisais, j’ai pris conscience,
comme je l’ai dit, de l’extrême profondeur de ces livres 10. »

Des visions originales


e
Au XII siècle, ce printemps du Moyen Âge, un certain nombre de
femmes ont eu des visions, qui leur ont donné d’être reconnues.
Contemporaine et amie d’Hildegarde, Élisabeth de Schönau a eu elles aussi
des visions 11. Mais, celles d’Hildegarde de Bingen sont tout à fait
originales, elle ne les a pas eues dans un état second, ni en rêve, mais en
étant pleinement éveillée. Elle-même s’en est rapidement étonnée, comme
elle le dit clairement : « J’étais quelqu’un qui avait beaucoup de visions et
qui parlait encore plus en toute simplicité, de sorte que ceux qui entendaient
ces choses se demandaient avec étonnement d’où elles venaient et de qui
elles provenaient. Sur ce, moi aussi, je me suis étonnée à mon propre sujet,
car tandis que j’avais ces visions à l’intérieur, dans mon âme, j’avais aussi
une vision extérieure, et parce que je n’entendais rien de tel de la part de
personne, les visions que j’ai eues dans mon âme, je les ai cachées autant
que j’ai pu ; j’ai ignoré aussi bien des choses extérieures à cause des
fréquentes indispositions que j’ai endurées, indispositions qui ont épuisé ma
chair et ont causé la défaillance de mes forces 12. » Dans tous ses ouvrages,
elle rappelle le caractère original de ses visions, qui, selon la typologie de
saint Augustin 13, correspondent aux visions intellectuelles, c’est-à-dire les
visions les plus hautes, qui ne relèvent pas de l’imagination mais qui,
comme celles des prophètes, sont un don et un langage de Dieu (de là,
comme on l’a dit, le titre de « prophétesse » attribué à Hildegarde).

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Hildegarde, « trompette de Dieu »
Mais la publication du Scivias ne fut pas aussi aisée qu’on pourrait le
penser. Il fallut tout d’abord un long temps pour qu’Hildegarde le rédige,
quelque dix années. Il lui fallait élaborer un texte à partir des images qui lui
étaient apparues. Maura Zatonyi, dans Vidi et intellexi, explique
qu’Hildegarde propose une sorte de commentaire de l’Écriture à travers le
récit et l’explication de ses visions 15. Aussi se donne-t-elle pour but de
préciser le rapport entre vision et compréhension de l’Écriture à partir d’une
recherche sur l’herméneutique hildegardienne de l’Écriture dans son
triptyque visionnaire 16. Elle la présente comme étant essentiellement un ars
interpretandi, en faisant ressortir qu’Hildegarde connaît les règles
médiévales d’interprétation de l’Écriture, qu’elle les met en œuvre et
comprend l’Écriture comme source de salut.
De plus, la publication du Scivias a fait difficulté. Aussi a-t-il été
demandé à Bernard de Clairvaux de se prononcer sur l’authenticité des
visions d’Hildegarde et comme il conclut qu’il ne fallait « point permettre
que fût occultée par le silence une lampe aussi remarquable, mais qu’il
fallait confirmer de son autorité cette grande grâce que le Seigneur voulait
manifester en son temps 17 », le synode de Trèves, puis le pape Innocent III
reconnurent la réalité des visions d’Hildegarde. À partir de là, elle pouvait
continuer à rédiger le Scivias, qu’elle termina en 1151.
C’est un livre magistral, à la fois original et classique, tout entier
articulé autour du rapport de la création et du salut et scandé en trois
étapes : la bonté de la création, puis la chute, le rapport entre l’homme et le
cosmos (les six premières visions) ; l’intervention du Sauveur et les
chemins du salut que sont les sacrements (les sept visions suivantes) ; et
finalement le développement de l’histoire du salut jusqu’aujourd’hui (les
treize dernières visions) 18. De manière pédagogique, Hildegarde propose le
récit de ses visions puis donne l’explication qu’elle en a reçue avant qu’en
soit présentée l’expression iconographique. Elle a partiellement supervisé
l’illustration de ses visions consignées dans le Scivias 19.
Dans le prologue au Livre des œuvres divines, Hildegarde se dit inculte.
Sans doute est-ce là une preuve d’humilité et une manière de montrer qu’il
lui est donné de transmettre le message de ses visions. Ainsi rapporte-t-elle
qu’une voix lui a dit : « Écris-le en te fondant non pas sur le langage de
l’homme, non pas sur l’intelligence de l’invention humaine, non pas sur la
volonté humaine d’organisation, mais en te fondant sur le fait que tu vois et
entends cela d’en haut, dans le ciel, dans les merveilles de Dieu 20. »

La bonté de la création dans le Scivias

Hildegarde rappelle tout d’abord que la création est bonne, ce qui


montre qu’elle ne développe pas une gnose où tout ne serait que chute, où le
monde serait nécessairement mauvais. Cela apparaît en particulier dans la
sixième vision de la première partie, où elle dit clairement : « Le Dieu tout-
puissant et ineffable […] a construit d’admirable façon, par sa volonté,
toute la création, et, par sa volonté, l’a organisée d’admirable façon.
Comment cela ? Il a ordonné à certaines créatures de rester attachées à la
terre et aux autres de s’installer dans le ciel. Et il a également établi de
bienheureux esprits angéliques, tant pour le salut des hommes que pour la
gloire de son nom 21. » Par elle-même, la création est bonne, elle reflète la
gloire de Dieu et l’écho pictural qu’Hildegarde en donne est tout de
douceur.
La première vision constitue à elle seule un programme, le lien entre
création et création nouvelle y est présent, manifestant ainsi que la création
attend son accomplissement de son Créateur. Le Christ Pantocrator, ailé,
domine l’image en surplombant la montagne où se trouvent des
personnages qui regardent apparemment sans voir. En revanche, deux autres
personnages, l’un évoquant la crainte de Dieu, l’autre la pauvreté en esprit,
sont au bas de l’image. Celui qui renvoie à la crainte de Dieu est « tout
recouvert d’yeux », qui manifestent la « présence de Dieu » en lui 22. L’autre
silhouette est plus petite, de la taille d’un enfant, elle symbolise l’humilité
qui caractérise la pauvreté en esprit. « Sur sa tête, dit la voix, depuis celui
qui trône sur la montagne, descend une si grande lumière que tu ne peux
voir son visage : c’est que l’apparition et la force de cette sainteté sont
pénétrées d’une si grande lumière par l’apparition de celui qui commande
admirablement à toute création, que l’on est incapable de saisir sa
profondeur par un regard faible et mortel 23 ». C’est l’attitude humble de la
visionnaire Hildegarde qui est évoquée par là et celle de tout être humain,
appelé à être enfant de Dieu, en recevant de lui toute sa vie.
La vision suivante va dans le même sens, en s’appliquant cette fois à la
création angélique et en évoquant la liberté de l’être humain.
La troisième présente le monde créé dans sa perfection, qui est l’œuvre
de la Trinité.
La quatrième parle de la création de l’âme, sa grandeur et le choix libre
qui lui est laissé.
La cinquième représente la synagogue, comme une femme d’une taille
immense, portant en elle tous les sages de l’Ancienne Alliance qui
regardent l’Église avec admiration. Elle entend une voix lui dire : « À
l’ancien peuple, Dieu a imposé l’austérité de sa Loi […] que, par la suite, il
a changée en une grâce de douceur lorsque, par son Fils, il a donné aux
croyants la vérité de son Évangile, par lequel il a apporté la douceur de
l’huile de la miséricorde à ceux qui étaient blessés par le joug de la Loi 24. »
La sixième vision est toute de plénitude, c’est celle de la création
angélique. Tout est harmonie, symphonie, ce qui correspond tout à fait à la
musique d’Hildegarde. Sans doute l’abbesse a-t-elle été marquée aussi par
la Hiérarchie céleste de Denys l’Aréopagite, qu’elle réinterprète. Après
avoir dessiné la beauté et la grandeur de la création, ses visions lui donnent
à voir et à comprendre le salut apporté par le Christ.

Le salut à l’œuvre d’après le Scivias


La première vision de la deuxième partie reprend, en un raccourci
fulgurant, le thème de la création et du salut. Elle évoque simultanément la
création d’Adam, sa chute qui fait de lui un vieillard et le salut que vient lui
apporter le Christ, sortant comme un feu de la Trinité. C’est toute l’œuvre
de salut qui est évoquée par là.
La vision suivante évoque la Trinité. Hildegarde avait une sorte de
familiarité avec la Trinité en raison de son époque, où la Trinité était
célébrée, prêchée, représentée et grâce au « Symbole » du Pseudo-Athanase
qui lui donnait de mieux la comprendre. Elle entend la voix lui dire : « Tu
vois une lumière éblouissante qui, sans aucune trace d’illusion, de faiblesse
ni de tromperie, représente le Père, et, en elle, une forme humaine couleur
de saphir qui, sans aucune trace d’endurcissement, d’envie, ni d’iniquité,
désigne le Fils, engendré du Père, dans sa divinité, avant les temps, puis,
dans le temps, incarné dans le monde, selon son humanité ; et elle brûle tout
entière d’un feu suave et rougeoyant : ce feu, sans trace de dessèchement,
de mort, ni de ténèbres, montre l’Esprit Saint, par qui le Fils unique de Dieu
a été conçu selon la chair et est né de la Vierge, dans le temps, puis a
répandu dans le monde l’éclat de la lumière de la vérité. Et cette lumière
éblouissante envahit tout ce feu rougeoyant, et ce feu rougeoyant envahit
toute cette lumière éblouissante, et cette même lumière éblouissante et ce
même feu rougeoyant envahissent toute cette forme humaine, formant ainsi
une lumière unique ayant une puissance unique : cela signifie que le Père,
qui est l’équité souveraine, mais qui n’est pas sans le Fils et l’Esprit Saint,
ainsi que l’Esprit Saint, qui embrase le cœur des fidèles, mais qui n’est pas
sans le Père et le Fils, ainsi que le Fils, qui est la plénitude de la fécondité,
mais qui n’est pas sans le Père et l’Esprit Saint, sont inséparables dans la
majesté de la divinité ; car le Père n’est pas sans le Fils, ni le Fils sans le
Père, ni le Père ni le Fils sans l’Esprit Saint, ni l’Esprit Saint sans eux ; ainsi
ces trois personnes sont un Dieu unique, dans une seule et entière divinité
de majesté, et l’unité de la divinité demeure indestructible dans ces trois
personnes, car la divinité ne peut être partagée 25. » C’est la figure du Fils,
du Sauveur qui se dégage de l’unité de la Trinité, sa figure humaine nous
est accessible. C’est déjà le thème de l’admirable échange de la divinité et
de l’humanité qui est évoqué par là. Compte tenu de son importance, c’est
la représentation de cette vision qui a été choisie pour l’église de
Rüdesheim, devant la châsse d’Hildegarde.
Cette même figure est présente dans la vision suivante, à l’intérieur de
l’Église qui, par le baptême, est source de salut pour tous. L’Église est
symbolisée par une « femme, d’une taille aussi grande que celle d’une
cité ». La voix en précise le sens à Hildegarde : « Elle représente l’Épouse
de mon Fils qui, sans cesse, engendre des fils par la régénération de l’Esprit
et de l’eau 26. »
La quatrième vision reprend les sacrements de l’initiation : le baptême
et la confirmation, l’eucharistie n’est pas encore abordée, mais elle le sera
dans toute son ampleur dans la sixième vision.
C’est toute l’œuvre de salut de la Trinité qui est envisagée à travers les
sacrements, avec un point d’orgue dans la cinquième vision évoquant le
corps mystique du Christ qu’est l’Église.

L’accomplissement du salut et la construction de la


Jérusalem céleste

La troisième partie du Scivias s’ouvre de nouveau par une vision du


salut comme accomplissement de la création. Cette fois, tout paraît
accompli : le Christ Pantocrator siège au-dessus des cieux nouveaux et de la
terre nouvelle. Comme dans une symphonie, Hildegarde, après avoir
annoncé le thème central, lui donne désormais toute son ampleur, en
l’espace de treize visions, soit autant que dans l’ensemble des deux parties
précédentes.
Elle précise ensuite ce qu’il en est de cette création nouvelle dans le
cadre de la Jérusalem céleste, dont le Christ est la pierre d’angle.
Dans les visions suivantes, ce sont les vertus divines qui sont
présentées, en particulier la miséricorde, puis la continuité entre l’Ancienne
et la Nouvelle Alliance, et la liberté qui revient à l’être humain, la place du
magistère.
La septième vision, qui a un rôle charnière, met en évidence la place
centrale de la Trinité, présentée cette fois sous la forme de trois colonnes
parallèles. Elle a une situation clef, comme pilier de la Jérusalem céleste. La
voix explique à Hildegarde que « la colonne qu’elle voit dans l’angle
occidental de l’édifice qui lui est montré est à l’image de la vraie Trinité :
c’est que le Père, le Verbe et l’Esprit Saint sont un seul Dieu en Trinité, et
que cette Trinité est unité, colonne parfaite du bien total, pénétrant sommets
et abîmes, et régissant tout l’univers 27 ».
En lien avec cette colonne se trouve celle des vertus théologales et plus
largement des autres vertus. On y retrouve en particulier l’humilité et la
crainte de Dieu, d’où le lien avec la première vision. Puis vient le rôle de
l’Église, avant que le Christ règne sur la création nouvelle. De nouveau, les
visions d’Hildegarde interviennent comme les morceaux d’une symphonie
qui en posent peu à peu le thème central : Ce Fils de l’Homme règne
d’abord sur les vertus, puis sur l’Antéchrist, avant le jugement final, le
triomphe de la Trinité et la réalisation de la création nouvelle, autant dire
que les visions d’Hildegarde déroulent l’histoire du salut, de la création à la
création nouvelle.
En même temps, en se disant presque illettrée, Hildegarde recourt à un
artifice littéraire car, en tant qu’oblate bénédictine, elle a bénéficié d’une
éducation complète. Même si elle n’a pas fait d’études de théologie à
proprement parler, elle a été formée à la théologie, au moins par
l’intermédiaire de la liturgie, ce qui lui a permis aussi de rendre compte du
sens de ses visions. Elle en donne une sorte d’écho musical dans le Scivias,
où elle évoque la symphonie de la création et du salut.

Le Livre des mérites de la vie ou l’appel


à la responsabilité personnelle

Le Livre des mérites de la vie reprend et développe la troisième et


dernière partie du Scivias, en la radicalisant en une sorte de traité de
théologie ascétique et d’éthique. C’est un ouvrage pratique, qui donne des
exhortations pour l’attitude à adopter dans diverses situations. Articulé
autour des six visions d’Hildegarde, cet ouvrage, qui présente une typologie
de trente-cinq vices et vertus, se situe dans la ligne des Pères du désert, en
particulier des ouvrages d’Évagre le Pontique, ou encore des Institutions
cénobitiques de Jean Cassien, qu’Hildegarde a dû connaître pendant son
noviciat et qui devaient être lues lors des repas au Disibodenberg. Elle va
plus loin que ses prédécesseurs en raison du nombre important de vices et
de vertus qu’elle envisage (trente-cinq). D’autre part, elle les expose de
manière originale à partir de ses visions, ce qui amènerait à rapprocher
davantage l’ouvrage des tentations de saint Antoine telles qu’elles ont été
représentées dans la peinture. C’est aussi un remarquable organon pour la
psychologie actuelle qu’elle propose dans ce livre.
C’est en 1158, alors qu’elle a soixante et un ans, qu’Hildegarde entend
une voix lui dire : « Dès l’enfance, au moyen de visions réelles, tu as été
instruite par l’Esprit du Seigneur, non pas physiquement, mais
spirituellement ; à présent tu dois raconter ce que tu vois et entends.
Puisque, dès tes premières visions, certaines te sont apparues tel du lait, et
que d’autres t’ont été dévoilées telle une délicate et douce nourriture,
pendant que d’autres se sont manifestées à toi telle une nourriture
consistante et parfaite, par conséquent, témoignes-en, en te fiant à Moi et
non à toi, et écris-les, en te fiant à Moi et non à toi 28. » C’est une sorte
d’écriture sous la dictée de l’Esprit Saint qu’elle réalise, à partir de cette
nouvelle série de visions, et il lui faudra cinq années pour en rendre compte
(l’ouvrage sera publié en 1163). On peut noter une différence dans cette
série de visions : elles ne sont plus « du lait », mais « une nourriture
consistante », un apport pour son époque et plus largement pour l’humanité.

Dans cet ouvrage, le personnage de référence est toujours le même pour


les six visions, c’est en quelque sorte le Christ cosmique. Hildegarde le
présente dans la première : « Je vis un Homme, tellement immense que,
depuis les abysses où il se tenait, sa tête atteignait les nuages dans le ciel, et
ses épaules se trouvaient au-dessus des nuages du calme éther ; plus bas,
des épaules aux hanches, il était sous ces nuages, dans d’autres nuages,
blancs ceux-là ; et, des hanches aux genoux, il était dans l’air terrien ;
ensuite, des genoux aux chevilles, il était sur terre ; enfin, ses chevilles et
ses pieds étaient plongés dans les abysses. Il était tourné vers l’orient, de
sorte qu’il regardait vers l’orient et le sud. Son visage resplendissait d’un tel
éclat que je ne pouvais soutenir complètement cette image 29. » Quel est ce
personnage sinon le Christ qui est à la fois Dieu et homme ? Hildegarde ne
le dit pas directement, mais elle le laisse entendre. Chacune des visions
suivantes s’ouvre par la référence à cet homme qui tantôt « pivote vers le
couchant 30 », tantôt « se tourne vers le nord 31 », ou encore « vers le sud et
l’occident 32 ». Au début de la cinquième vision s’opère une récapitulation :
Hildegarde voit le même homme examiner les quatre points cardinaux, qui
trouve son prolongement dans la sixième vision, où elle voit « cet Homme
se déplacer en même temps que les quatre directions de la terre […] : cela
veut dire, précise-t-elle, que Dieu donnera la démonstration de son pouvoir
lors de la fin du monde, en utilisant les forces célestes. Il bouleversera les
frontières du monde, et chaque âme doit se préparer à un tel jugement 33 ».
On retrouve ici, comme dans l’ensemble de l’ouvrage, la dimension
apocalyptique déjà présente dans le Scivias.
L’originalité de l’ouvrage vient-elle de sa dimension cathartique qui
rend inutile l’expression picturale ? C’est véritablement un travail sur soi
qui est impliqué à partir des visions d’Hildegarde.
Finalement, dans la sixième vision, tout s’apaise, c’est une expression
de l’accomplissement, de la Jérusalem céleste qui est donnée, du repos en
Dieu, aurait dit saint Augustin, comme dans la finale du Livre des œuvres
divines.

Le Livre des œuvres divines ou le point d’orgue

Dans ce dernier ouvrage, publié par Hildegarde en 1174, le contexte est


beaucoup plus serein. Les visions sont centrées sur la création et la création
nouvelle, sur l’ampleur cosmique de l’action de Dieu et sur la place de
l’être humain dans l’univers, qui a amené à comparer Dante et Hildegarde à
des « poètes cosmiques 34 », même si leurs perspectives sont différentes et si
Hildegarde s’attache principalement à faire ressortir par là le cœur de la
réalité.
Comme elle le dit dès le prologue : « C’est au début de la première
année de mes nouvelles visions que l’événement eut lieu. J’étais en ma
soixante-cinquième année. J’eus alors une vision dont le mystère était si
profond, qui tellement me bouleversa que mon corps tout entier se mit à
trembler. Faible que j’étais, je tombai malade. Sept ans durant, je travaillai
sur cette vision, et je réussis à peine à achever ma rédaction. » Elle entend
alors une voix lui dire : « Te voilà pourtant encore une fois transpercée par
le flot de l’abysse des mystères de Dieu. Pour le service des hommes, ne
relâche pas ta plume 35. » C’est son ouvrage le plus mûr qu’elle rédige ainsi,
donnant par là à son œuvre son sommet.
Comme le Scivias, Le Livre des œuvres divines a un rythme ternaire,
alors que le Livre des mérites de la vie est « monolithique 36 », avec une
même figure qui regarde successivement les quatre points cardinaux, mais
en même temps, les visions d’Hildegarde reprennent et récapitulent celles
des deux autres ouvrages. La méthode est la même que dans le Scivias :
Hildegarde présente le récit de sa vision, puis le sens qui lui en a été
communiqué, avant que l’écho iconographique n’en soit donné.
Les visions du Livre des œuvres divines s’organisent en trois registres :
la Trinité, l’anthropologie 37 qui situe l’homme comme la mesure de toutes
choses à l’intérieur de la Trinité (fig. 3) et le salut. Plus précisément,
conformément à son titre, l’ouvrage rend compte de l’œuvre de Dieu, en le
présentant tout d’abord dans la première vision en tant que Trinité, puis ce
sont ses deux grandes actions, la création et la création nouvelle, qui sont
évoquées. Ainsi les quatre visions de la première partie montrent-elles
comment la Trinité permet de comprendre le rapport de l’homme au monde.
La cinquième vision, qui résume la deuxième partie, constitue un tournant,
elle a une dimension apocalyptique qui prépare les cinq visions de la
troisième partie, relatives à la Jérusalem céleste, à la création nouvelle
animée par la Trinité. Les figures géométriques qui sous-tendent ces visions
sont simples, ce sont successivement le cercle et le carré.
La dixième vision est véritablement un point d’orgue, elle est l’écho
direct de la première. C’est la charité qui y est évoquée, animant la cité de
Dieu. Il est alors dit à Hildegarde : « Si la charité revêt différentes parures,
c’est que les parures sont aussi nombreuses que les vertus qui œuvrent dans
l’homme : l’amour est la source de tout bien. Le visage a l’éclat du soleil,
pour indiquer que l’homme doit diriger vers le vrai soleil toutes les bonnes
actions de son cœur […]. La tablette qui étincelle comme le cristal montre
que personne ne peut pleinement saisir la divinité 38. » C’est sur cette vision
fondamentale de la création nouvelle que se termine le cycle des visions
d’Hildegarde.

Le manuscrit enluminé de l’ouvrage


Parmi les manuscrits 39 du Livre des œuvres divines d’Hildegarde, un
seul est enluminé et il se trouve à la Bibliothèque d’État de Lucques en
Italie, c’est le Manuscrit 1942, ce qui peut paraître étonnant. En fait, ce
manuscrit de la première moitié du XIIIe siècle n’a pas été confectionné en
Italie, mais il y est arrivé par le hasard des achats, par l’intermédiaire de
Giovanni Domenico Mansi, historien et archevêque de Lucques, qui le
mentionne comme étant bibibliotheca mea, ce qui amène à se demander s’il
appartenait à sa famille, originaire de Mayence, ou si lui-même l’a acheté
en se rendant dans cette région proche du Rupertsberg, ou encore s’il l’a
trouvé dans la bibliothèque du couvent Sanctae Marie Curtis
Orlandingorum de Lucques 40. La question reste ouverte.
En tout cas, il ressort que ce manuscrit est richement enluminé, avec de
belles lettrines en couleur et des planches en pleine page. On ne connaît pas
l’atelier qui l’a réalisé. On a d’abord pensé qu’il devait être proche du
Rupertsberg 41, mais désormais on note une influence alsacienne et une
proximité avec l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg et avec
certains vitraux de la cathédrale de Strasbourg 42. Le manuscrit porte la
mention du monastère de Notre-Dame de Pfalzel, près de Trèves, qui devait
être l’un de ses premiers propriétaires, ce qui conduit à penser qu’il a dû
être élaboré dans un atelier proche de la vallée du Rhin. Il a certainement
été fait en vue de la canonisation d’Hildegarde 43.
Reste à savoir comment il a été réalisé : à partir de dessins effectués du
vivant d’Hildegarde et sous sa direction ou, au contraire, indépendamment
d’elle, quelques décennies plus tard ? La première hypothèse semblerait
plus vraisemblable, dans la mesure où celui qui a relié le manuscrit semble
s’être trompé dans la mise en page de la deuxième vision : en général, la
vision est placée avant le récit de la vision, alors que pour celle-ci une page
blanche a été oubliée 44, ce qui a pu échapper à la visionnaire. Si Hildegarde
l’a supervisé, cela lui donne d’autant plus de crédit.
Plusieurs mains sont intervenues pour le réaliser, mais on peut noter des
analogies dans la facture : d’une part la première et la sixième enluminures
et d’autre part la huitième et la dixième 45 doivent avoir été réalisées par le
même peintre.
Nous allons désormais étudier les dix miniatures de ce Codex, en lien
avec le texte d’Hildegarde. C’est en effet tout le rapport entre le texte et
l’image 46 qui se joue dans le commentaire des planches du Livre des œuvres
divines, et ce n’est peut-être pas un hasard si Hildegarde est à chaque fois
représentée en train de contempler la vision. Mais n’y a-t-il pas pour autant
une distance entre le texte et l’image qui n’est nullement une photographie
de la vision mais parfois une interprétation, une version abrégée à visée
catéchétique, comme la Bible des pauvres qui, au Moyen Âge, se déroule en
fresques sur les murs des églises ? L’image ne peut en effet reprendre toute
la complexité du texte, mais parfois elle peut à l’inverse permettre de
percevoir l’indicible. En représentant les visions d’Hildegarde, n’y a-t-il pas
également une volonté de les faire connaître, et de rendre par là son
enseignement accessible à tous 47 ?
PREMIÈRE PARTIE
PREMIÈRE VISION

La Trinité

La première vision du Livre des œuvres divines (fig. 1) ouvre la


première partie de l’ouvrage, consacrée à la création. Cependant,
conformément au texte d’Hildegarde, l’iconographie correspondant à cette
vision ne renvoie pas directement à la création mais à la Trinité. Les trois
visions suivantes lèvent la difficulté, en montrant à quel point la Trinité est
créatrice. La création est en effet l’œuvre du Dieu Trinité, comme le montre
le texte de la Genèse et comme l’ont expliqué les Pères de l’Église, en
particulier saint Augustin dans ses commentaires de la Genèse : la création
se fait dans et par le Verbe prononcé par le Père, et l’Esprit, qui « planait sur
les eaux », la parachève. Au Moyen Âge, le thème de la Trinité créatrice est
habituel et la vision d’Hildegarde s’inscrit dans son époque. D’ailleurs,
cette vision est le point de départ des autres qui en seront en quelque sorte
le déploiement, un peu comme dans le Livre des mérites de la vie où
Hildegarde a une seule vision déclinée de différentes manières.

La Trinité

Assez souvent, Hildegarde de Bingen a eu des visions de la Trinité, dont


certaines étaient étonnantes : renvoyant à une forme d’œuf, à trois cercles
concentriques, avec une forme humaine au centre 1 ou encore à trois bandes
parallèles 2… À son époque, la Trinité était célébrée, pensée, représentée…
Le « Quicumque », « Symbole » d’Athanase, qu’elle récitait chaque jour,
est un bon condensé de la théologie trinitaire, et on en retrouve souvent les
lignes de fond dans ses textes.
En ouverture du Livre des œuvres divines, c’est une évocation originale,
presque anthropomorphique de la Trinité qui intervient. Le sujet est
difficile, comme l’indique le titre de l’ouvrage : Liber divinorum operum.
La traduction française ne rend pas vraiment compte du terme latin opus,
qui désigne l’agir de Dieu et son agir unique que sont la création et la
création nouvelle. Aussi, en ouverture de l’ouvrage, Dieu apparaît-il comme
un être de feu, difficilement représentable, d’où l’originalité de la miniature.
En revanche, sur un plan formel, cette miniature se situe, comme les
autres de l’ouvrage, dans un cadre, matérialisé par une « bordure
quadrangulaire qui délimite un fond d’or. Un motif ornemental (palmettes,
filigrane) court dans la bordure, à laquelle se superpose l’image proprement
dite 3 ». Le rayonnement de la Trinité rend sa représentation difficile.
Hildegarde s’en explique : « Je contemplai dans le secret de Dieu, au cœur
des espaces aériens du midi, une merveilleuse figure. Elle avait une
apparence humaine. La beauté, la clarté de son visage étaient telles que
regarder le soleil eût été plus facile que regarder ce visage. Un large cercle
d’or ceignait la tête. Dans ce cercle, un deuxième visage, celui d’un
vieillard, dominait le premier visage ; son menton, sa barbe frôlaient le
sommet du crâne. De chaque côté du cou de la première figure se détachait
une aile. Ces ailes s’élevaient au-dessus du cercle d’or, au-dessus duquel
elles se rejoignaient. La partie extrême de la courbure de l’aile droite portait
une tête d’aigle : ses yeux de feu rayonnaient comme en un miroir la
splendeur angélique. La partie correspondante de l’aile gauche portait une
tête d’homme qui luisait comme étincellent les étoiles. Les deux visages
étaient tournés en direction de l’orient. De chaque épaule de la figure, une
aile descendait, jusqu’aux genoux. Un vêtement, qui avait l’éclat du soleil,
la revêtait. Dans les mains, elle portait un agneau qui luisait comme une
journée débordante de lumière. Du pied, elle terrassait un monstre à l’aspect
effroyable, vireux et noir, et un serpent. Le serpent serrait dans la mâchoire
l’oreille droite du monstre. Son corps s’enroulait autour de la tête du
monstre, et sa queue allait jusqu’à ses pieds, du côté gauche de la figure. La
figure parla en ces termes : “C’est moi l’énergie suprême, le feu. C’est moi
qui ai enflammé chaque étincelle de vie. Mes ailes supérieures touchent le
cercle terrestre, dans la sagesse, je suis l’ordonnatrice universelle” 4. »
Qu’est-ce à dire sinon que la Trinité est la source même de la vie,
qu’elle est rayonnante de beauté, comme le montrent son éclat et son
vêtement, qu’elle est créatrice et, en même temps, qu’elle est, en quelque
sorte, irreprésentable ? On peut simplement en avoir une idée grâce à
l’Incarnation du Fils. Les ailes de séraphin qui l’entourent renvoient
également au mystère de Dieu.
Reste cependant une question : le personnage tout de lumière, vêtu
d’une tunique royale comme le Fils de l’homme du Livre de Daniel (7, 13-
14), et ayant une couronne royale, est-il le Fils, au-dessus duquel apparaît la
tête du Père ? Mais où est alors l’Esprit Saint ? Est-il évoqué par l’Agneau
vainqueur de l’Apocalypse ? Mais celui-ci est lui aussi une expression du
Fils : il a une auréole et une croix. La question reste en suspens, tant dans le
texte d’Hildegarde que dans l’écho iconographique qui en est donné. Si l’on
suit la symbolique des couleurs d’Hildegarde 5, le rouge est lié à l’Esprit
Saint, à l’amour 6, et le bleu au Fils 7. Le Saint-Esprit serait alors représenté
ici en jeune homme et le Fils symbolisé par l’Agneau vainqueur. Le
phylactère qui sort de la main du personnage central ne comporte
malheureusement aucune inscription, mais force est de constater qu’il y a
ici une représentation originale du Saint-Esprit 8.
En revanche, Hildegarde précise le sens de l’Incarnation du Fils qui
n’est autre que l’expression de l’amour du Père : « Voilà, écrit-elle, ce que
te montre le visage que tu contemples. La magnifique figure que tu aperçois
au midi des espaces aériens et dans le secret de Dieu, et dont l’apparence est
humaine, symbolise en effet cet amour du Père des cieux. Elle est l’amour :
au sein de l’énergie de la déité pérenne, dans le mystère de ses dons, elle est
une merveille d’une insigne beauté. Si elle a l’apparence humaine, c’est que
le Fils de Dieu a revêtu la chair, pour arracher l’homme à la perdition dans
le service de l’amour 9. »

La liberté

Puis Hildegarde explique la signification de l’aigle, associé à


l’évangéliste Jean et qui symbolise les dons de l’Esprit Saint 10, ainsi que de
la tête d’homme qui se trouvent respectivement à l’angle de chaque aile
supérieure. Elle évoque un « aigle aux yeux de feu. En eux, écrit-elle, se
reflète comme un miroir la cohorte des anges […]. L’aigle désigne les
spirituels qui, par l’offrande de leur cœur, par leur méditation fréquente,
contemplent à l’instar des anges de Dieu 11 ». En tant que moniale et à une
époque où l’entrée dans un ordre monastique est synonyme de salut 12,
Hildegarde ne limite pas la notion de « spirituels » aux religieux, mais en
donne une expression plus large, qui n’est pas sans annoncer l’appel
universel à la sainteté que l’on trouve, à Vatican II, dans Lumen gentium.
Cependant, pour ce qui est du rapport entre texte et image, force est de
constater que sur l’enluminure, les anges évoqués dans le texte
d’Hildegarde n’apparaissent pas.
Quant au « visage humain qui apparaît au sommet de la courbure de
l’aile gauche, il luit comme étincellent les étoiles. En voici la signification :
lorsque, parvenus au sommet de l’humilité victorieuse, nous nous
consacrons à la défense de notre Créateur, lorsque nous rabaissons toutes
les attaques qui déferlent pour ainsi dire du flanc gauche, nous prenons
visage d’homme. Nous nous détachons en effet de l’existence bestiale, pour
vivre conformément à la dignité que nous enseigne la nature de l’homme :
nous révélons ainsi nos bonnes intentions dans des œuvres justes, tout en
rayonnant de l’éclat le plus clair » 13. C’est une exhortation à la vie
évangélique qui est implicitement donnée par ces deux figures. Hildegarde
fait également ressortir que la pratique de la charité et de la justice
humanise effectivement. Elle met en évidence la place centrale de
l’humilité (comme elle fera, de nouveau, dans la huitième et la dixième
visions), humilité qui a une place fondamentale dans sa vie de
bénédictine 14.
Il en va de même pour la signification des ailes inférieures : « Une aile,
dit-elle, qui descend jusqu’aux genoux se détache des deux épaules : le Fils
de Dieu a attiré et maintenu au cœur de son énergie d’amour les justes
comme les pécheurs. Ceux qui ont vécu selon le droit, il les porte sur
l’épaule ; les autres, il les porte sur les genoux 15. » C’est cette fois la
sollicitude de Dieu, sa miséricorde qui s’expriment.
Finalement, on peut se demander si cette figure toute de lumière est une
évocation de la Trinité ou de l’un de la Trinité : le Fils qui de Dieu s’est fait
homme pour apporter le salut, ce qui correspondrait au sens de l’ouvrage
qui va de la création à la création nouvelle. Une remarque d’Hildegarde irait
en ce sens. Elle y explique que l’« habit que porte notre figure a l’éclat du
soleil. C’est une allusion au Fils de l’homme qui revêtit en son amour le
corps de l’homme, comme notre beau soleil 16 ». Mais la question reste en
suspens, d’autant que la figure semble correspondre à l’Esprit Saint. En tout
cas, elle évoque Dieu, qui est l’amour même, et on ne peut manquer de voir
la symétrie entre cette première vision du Livre des œuvres divines et la
dixième et dernière de ce même livre qui est également une expression de
l’amour. Autant dire qu’il est donné à Hildegarde de pénétrer, par ses
visions, dans ce foyer d’amour qu’est la Trinité, d’y comprendre le sens de
la création et du salut, et de montrer le triomphe final de l’amour.
Dans sa facture, cette enluminure est originale. Elle n’en est pas moins
inspirée 17 dans sa forme par l’évangéliaire Bernward de Hildesheim 18 et,
pour ses deux têtes, par celui de Bamberg 19.
La représentation de la visionnaire

Mais il n’en est pas moins difficile pour Hildegarde de transcrire ses
visions, comme elle le dit dès le prologue de l’ouvrage. Pour en rendre
compte ici, on la voit au bas de la miniature (fig. 2), recevant, du ciel, le feu
de l’Esprit Saint, regardant la vision et essayant d’en faire le récit sur des
tablettes de cire, en étant aidée par son secrétaire Volmar et par sa fille
spirituelle Richardis de Stade. Elle se situe dans un « cadre qui redouble
l’architecture du couvent et qui est accolé à celui de la représentation
principale, technique qui est reprise dans les septième, huitième et dixième
visions. Dans les autres cas, la figure de l’auteur s’inscrit à l’intérieur d’un
cadre unique, celui de la vision 20 ». Y a-t-il là une signification ? L’auteur
de la miniature entend-il montrer par là que la vision échappe à la
visionnaire, qu’elle la dépasse ? Y a-t-il une force particulière des visions
pour lesquelles Hildegarde est placée dans un cadre extérieur ? Il le semble.
Ici, en tout cas, on voit le rôle effectif de Volmar dans la transcription de ses
visions. Est-ce aussi pour lui rendre hommage, car il est mort avant que
l’ouvrage ne soit terminé ? C’est possible. Hildegarde a aussi une taille plus
grande que Volmar et Richardis, afin de faire ressortir que c’est bel et bien
elle la visionnaire.
DEUXIÈME VISION

L’homme, au centre de la création

Avec la deuxième vision (fig. 3), il est donné à Hildegarde de


comprendre la place de l’homme dans la création. Trois visions vont se
succéder pour en rendre compte, en une sorte de démultiplication de la
même vision, avec un accent mis sur tel ou tel point.
Mais cette deuxième vision du Livre des œuvres divines, tout en étant
originale, découle également de la première de ce même ouvrage. On a
l’impression que c’est de la Trinité même, qu’Hildegarde vient de voir, que
surgit cette vision de l’homme au milieu du cosmos, qu’on passe en quelque
sorte de l’extérieur à l’intérieur, comme dans les Vierges ouvrantes qui sont
pourtant plus tardives. Les deux têtes superposées, qui exprimaient la
Trinité dans la première vision, sont de nouveau là, ainsi que les pieds du
personnage. Quant aux bras, ils sont devenus immenses pour englober le
cosmos. Faut-il voir là les deux mains du Père dont parlait saint Irénée ou
l’expression de la Trinité créatrice ? Cette seconde hypothèse serait plus
plausible, dans la mesure où Hildegarde s’inscrit dans son époque et où la
Trinité créatrice est un thème important au XIIe siècle. On en voit
l’expression par la « main gauche du Fils (ou de l’Esprit, au sud) qui tient
un phylactère qui traverse la bordure de l’image 21 », et qui entend peut-être
délivrer un sens. On remarque aussi que la tête du Père dépasse le cadre de
l’image, laissant entendre qu’il est invisible et que l’Esprit Saint parachève
la création, mais on pourrait aussi penser au Fils qui contient en lui la
création, conformément à l’In Principio qui avait une telle place chez les
Pères 22. La question de l’identification des deux personnes reste toujours en
suspens. D’autre part, l’image dépasse le texte, dans la mesure où il n’est
pas dit que les bras de la figure entourent la roue, il en va beaucoup plus
d’une reprise de l’iconographie de l’époque 23.
Hildegarde évoque en effet en ces termes sa vision : « Au milieu de la
poitrine de la figure que j’avais contemplée au sein des espaces aériens du
midi, voici qu’apparut une roue d’une merveilleuse apparence. Elle
contenait des signes qui la rapprochaient de cette vision en forme d’œuf,
que j’avais eue voici vingt-huit années, et que j’avais décrite dans la
troisième vision de mon livre Scivias […]. La figure de l’homme occupait
le centre de cette roue géante. Le crâne était en haut, et les pieds touchaient
la sphère de l’air dense, blanc et lumineux. Les doigts des mains droite et
gauche, étaient tendus en forme de croix, en direction de la circonférence,
les bras de même 24. »
Deux figures géométriques sont évoquées ici : la roue et l’œuf. La roue,
qui renvoie au cercle, induit une idée de perfection, d’éternité, et l’œuf
renvoie à la fécondité. Dans la troisième vision du Scivias (fig. 4), c’était
également la Trinité créatrice qui était évoquée, sans qu’y apparaisse
toutefois la place de l’être humain. Il n’en ressort pas moins qu’il y a une
continuité dans les visions d’Hildegarde, tant à l’intérieur du Livre des
œuvres divines qu’entre ce dernier et le Scivias, où il était également
question de la création.
Les cercles concentriques au milieu desquels se trouvent la Terre et
devant elle l’être humain sont au nombre de six dans cette vision, alors qu’il
y en avait cinq dans celle du Scivias. Faut-il y voir une référence à
l’hexaemeron, aux six jours de la création ? Compte tenu de leur
importance à l’époque 25 d’Hildegarde, c’est tout à fait possible, d’autant
que l’être humain est créé le sixième jour.
Dans la deuxième vision du Livre des œuvres divines, l’être humain
apparaît comme l’Homme de Vitruve avant la lettre, dans la mesure où
Léonard de Vinci l’a dessiné aux alentours de 1492. Mais s’il est inspiré de
Vitruve 26, un architecte du IIe siècle, Léonard de Vinci n’a-t-il pas été
marqué aussi par Hildegarde de Bingen pour réaliser son célèbre dessin, car
Vitruve inscrit l’homme dans un carré et non dans un cercle, comme le fait
Hildegarde ?
En tout cas, si l’Homme de Vitruve est le symbole de l’humanisme qui
place l’homme au centre de l’univers, tout comme Protagoras avait dit que
l’« homme est la mesure de toutes choses » (ce que Manpower reprendra de
nos jours), il n’en va pas de même pour la vision d’Hildegarde de Bingen
qui situe l’homme au centre de la création mais à l’intérieur de la Trinité, ce
qui implique que la véritable « mesure de toutes choses » se trouve dans la
Trinité et non dans l’être humain. Il n’en demeure pas moins que la place
centrale donnée à l’être humain lui confère une prééminence sur la création,
car cette place est celle qui est réservée à Dieu.
La symbolique des couleurs tend à montrer que l’être humain est inscrit
à l’intérieur de la Trinité : sur le fond or, qui évoque la vie divine, le cercle
extérieur rouge exprime la divinité de l’Esprit Saint et la couleur bleue des
eaux de laquelle se détache l’homme traduit son humanité. On ne sait pas
quel atelier d’enlumineurs a réalisé ces miniatures, mais les couleurs
utilisées ici sont analogues à celles des icônes. Y aurait-il une influence de
l’Orient ? Peut-être, dans la mesure où on trouve, à la même époque, cette
influence dans l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg.

La perfection et l’unité de Dieu

L’explication de la vision que reçoit Hildegarde permet d’ailleurs d’aller


encore plus loin. Il lui est dit qu’« en sa prescience et en son opération, la
déité forme un tout, à l’instar d’une roue. Elle est insécable. Elle n’a ni
commencement ni terme ; personne ne peut l’embrasser ; elle ignore en
effet le temps. Comme un cercle enferme en soi tout ce qui lui est caché, la
déité sainte en elle enferme tout sans restriction : elle transcende tout ;
personne n’a jamais pu encore, en sa puissance, la fragmenter ni la dominer
ni l’achever. Si dans les visions précédentes nous t’avons révélé ladite
figure sous la forme d’un œuf, c’est que cette analogie te permettait de
saisir au mieux la distinction des éléments du monde. En effet, la structure
multiple de l’œuf ressemble à la multiplicité des divisions du monde. La
roue, elle, évoque exclusivement la révolution, l’exact équilibre des
éléments du monde 27 ».
Il ressort de ces mots que la roue exprime la perfection de la déité, ce
qui correspond sur l’image au cercle rouge extérieur, qui renvoie à l’agir de
Dieu. Ensuite, les autres cercles concentriques renvoient, comme les strates
de l’œuf, aux éléments de la création, avec l’être humain au milieu.

L’homme, au centre du monde

« La présence d’une forme humaine au sein de la roue, lui est-il dit, la


tête en haut et les pieds en bas, touchant le cercle d’air dense et blanc,
cependant que les bouts des doigts des deux mains se tendent dans la
direction du même cercle, comme si les bras étaient tendus à l’extrême, a la
signification que voici : l’homme, dans la structure du monde, est pour ainsi
dire en son centre. Il a plus de puissance que les autres créatures qui
demeurent cependant dans la même structure. S’il est petit de stature, il est
grand de par l’énergie de l’âme. La tête levée et les pieds bien calés, il est
capable de mouvoir les éléments d’en haut, comme ceux d’en bas. Les
œuvres de ses deux mains pénètrent le tout, parce qu’il a, par l’énergie de
l’homme intérieur, la possibilité de mettre ce pouvoir en œuvre 28. » La
situation intermédiaire 29 de l’être humain est clairement mise en évidence
dans cette explication qui est donnée à Hildegarde, il apparaît véritablement
comme le microcosme 30 de la création, ce qui est un thème largement
développé à l’époque d’Hildegarde, et on peut même noter une analogie
avec l’homme microcosme d’Herrade de Landsberg dans l’Hortus
deliciarum. Une insistance est également portée sur l’homme intérieur, sur
l’âme, par laquelle l’être humain est créé à l’image de Dieu, ce qui le situe
au sommet de la création.
C’est là une vision optimiste de l’être humain. Dans la lignée des Pères
de l’Église, l’être humain apparaît comme l’intendant de la création. Toute
une anthropologie est impliquée. L’être humain est le sommet de la
création. Il est en relation constante non seulement avec la création qu’il
gère, mais aussi avec la Trinité, dont il reçoit sa vie. Il a une place médiane.

Les vents

Un élément inattendu intervient ensuite dans la vision, ce sont les vents


qui, d’après Hildegarde, ont un rôle décisif pour réaliser l’équilibre, tant sur
le plan intérieur que sur celui du cosmos, ce qui relève apparemment d’une
influence stoïcienne ou encore de l’astronomie de Nemrod 31 qu’elle devait
connaître.
Sur un plan pictural, les vents semblent sortir du feu de l’Esprit Saint
qui entoure le cosmos 32. Ils sont au nombre de douze, regroupés par trois
aux quatre points cardinaux, en fonction de la symbolique des nombres,
largement développée à l’époque 33. Dans l’interprétation qui lui est donnée
de sa vision, le symbolisme en est précisé ainsi : « Les quatre têtes, du
léopard, du loup, du lion et de l’ours, apparaissent dans les quatre contrées
qui sont aussi les demeures des vents aux quatre côtés de l’univers. Les
quatre vents n’ont bien entendu pas cet aspect, mais leurs énergies
ressemblent à la nature de ces animaux. En une certaine mesure en effet,
l’homme existe au carrefour des soucis du siècle, il est l’objet d’une foule
de tentations. Or la tête de léopard lui rappelle la crainte du Seigneur, celle
du loup les châtiments infernaux, celle du lion la crainte du jugement de
Dieu. L’ours, quant à lui, évoque la foule des ouragans et des angoisses qui
assaillent son corps […]. Toutes ces têtes projettent leur souffle sur la roue
en direction de la figure humaine. Les vents, en effet, tempèrent le monde
de leur souffle, leur ministère préserve le salut de l’homme. S’ils n’étaient
pas vivifiés par ces souffles, le monde ne pourrait survivre ni l’homme
vivre 34. » Ils sont couplés avec des vents moins importants, représentés par
le crabe, le cerf, l’agneau et le serpent. Sans doute Hildegarde reprend-elle
la cosmologie de son époque 35, issue du Timée de Platon, tout en la situant,
comme dans le Livre des subtilités des créatures, dans une perspective
éthique qu’elle développe à travers les figures du crabe représentant la
confiance, du cerf exprimant la foi, mais il n’en demeure pas moins qu’elle
met en évidence le rôle des vents, et plus largement du cosmos, dans la vie,
en prenant en compte la liberté de choix de l’être humain.
Ces têtes d’animaux, aux quatre points cardinaux 36, ainsi que les vents
qui soufflent en direction de la figure humaine apparaissent clairement, en
petite taille, sur l’enluminure. En revanche, les sept planètes, y compris la
Lune, qu’évoque Hildegarde « au-dessus de la tête de l’image » et qui
concourent également à l’harmonie cosmique, sont stylisées par
l’enlumineur, tout comme les rayons de lumière. Ce qui importe, c’est
surtout la mise en évidence de la place centrale de cet homme parfait, avec
les bras en croix, qui n’est pas sans faire penser au Christ de la deuxième
vision de la deuxième partie du Scivias, à cette différence près qu’il semble
être ici l’expression directe du souffle des deux visages qui sont au-dessous
de lui, en d’autres termes qu’il vient immédiatement de la Trinité, même si
l’enluminure ne matérialise pas l’expression de ce souffle.
Les trois visions suivantes reprennent et développent ces deux
composantes.
TROISIÈME VISION

Macrocosme et microcosme

Dans cette vision, il est principalement question de la nature de l’être


humain et c’est davantage le volet médical de l’œuvre d’Hildegarde,
largement développé aujourd’hui, qui est envisagé.
La facture de l’enluminure (fig. 5) est analogue à la précédente, à cette
différence près que la double tête, les pieds et les mains de la Trinité ont
disparu. Le phylactère qui sortait d’une de ses mains apparaît de nouveau,
mais cette fois au bas de l’image, allant vers Hildegarde, représentée en bas
à gauche, comme sur l’image précédente, ce qui amène à voir que le Fils est
toujours présent à la création. Il en est même le maître d’œuvre, comme
l’ont expliqué d’autres auteurs de l’époque en commentant l’In Principio du
début de la Genèse.
Cette vision de la création est caractéristique du XIIe siècle. Elle est faite
d’harmonie et de mouvement. « Hildegarde partage en effet avec ses
contemporains une conception dynamique de la création, qui connaît une
alternance de phases de croissance et de décroissance, de chaleur et de
froid, de sécheresse et d’humidité. Ces mouvements de la nature sont
commandés par les astres, plus précisément par les sept planètes connues et
avant tout par le cycle de la Lune, qui est la planète la plus proche de la
Terre, donc la plus influente 37. »
Elle rapporte sa vision en ces termes : « Je contemplai : et voici que le
vent d’est et le vent du sud, eux qui, avec leurs vents annexes, meuvent du
souffle de leur énergie le firmament, se mirent à animer ce dernier
mouvement circulaire, du levant au couchant, au-dessus de la terre. Puis je
vis le vent d’ouest, le vent du nord et leurs vents annexes recueillir ce même
firmament, le pousser de leurs souffles, et de l’ouest à l’est le rejeter au-
dessous de la terre […]. Je vis enfin combien, en une concurrence
réciproque que cause la diversité des qualités des vents et de l’air, les
humeurs se trouvaient, au sein de l’homme, remuées et transformées, et
comment elles revêtaient alors les qualités de ces vents et de l’air. En effet,
à chaque élément supérieur correspond un air d’une qualité particulière.
C’est cet air qui fait tourner grâce à l’énergie des vents cet élément qui
autrement serait immobile. Grâce à l’assistance du soleil, de la lune et des
étoiles, ces éléments libèrent également l’air qui tempère le monde. Lorsque
donc un élément quelconque, par l’ardeur de la course du soleil ou par le
jugement de Dieu, doit rejoindre quelque région du monde, ledit élément,
mû en même temps que l’air, envoie à partir de cet air même un souffle qui
a pour nom vent, dans la couche de l’air inférieur. Ce vent a tôt fait de se
mélanger à l’air, avec lequel il a certes des affinités et auquel il est sous un
certain rapport semblable. Il touche alors l’homme dont il modifie les
humeurs internes, selon les propriétés correspondantes de ce vent et de cet
air ; il leur apporte alors tantôt la faiblesse, tantôt – c’est le cas le plus
fréquent – la santé. Je vis également ce phénomène : je vis l’un parmi tous
ces vents dont nous avons décrit les qualités s’élever en une quelconque
région du monde, sous l’influence des variations du Soleil et de la Lune, ou
par une décision de la justice divine. Ce vent, je le vis envoyer son souffle,
après que l’air eut été mû et modulé en conséquence, et je vis cet air
s’exhaler à travers le monde. Je vis ensuite ce même souffle conserver la
tempérance de toutes les créatures et rendre l’homme changeant en ses
humeurs. En effet, lorsqu’un homme dont la qualité naturelle correspond à
ce souffle aspire et expire cet air en mutation, lorsque l’âme le recueille et
le transmet à l’intérieur du corps, ce sont les humeurs internes qui se
trouvent elles aussi transformées et qui provoquent, comme nous venons de
le montrer, la maladie ou la santé 38. »
À partir de l’étude des vents, qui sont de nouveau représentés sous la
forme de têtes d’animaux ou même d’une tête d’homme, Hildegarde précise
ce qu’il en est de la santé et de la maladie. Sans doute son analyse est-elle
rudimentaire, en fonction de la science de son époque, mais elle n’en est pas
moins intéressante. Elle met en évidence le rapport entre le macrocosme,
représenté par les vents, et le microcosme : la santé de l’être humain. Ainsi
dit-elle que « les humeurs ne cessent de changer dans l’homme. Bien
souvent, au cours de cette transformation, elles touchent le foie. Or, c’est
dans le foie qu’est mise à l’épreuve la connaissance en provenance du
cerveau, connaissance qui est équilibrée par les énergies de l’âme 39 ». On
est proche ici de la médecine psychosomatique.
La voix donne ensuite le sens de sa vision, qui n’est pas sans faire
penser à la définition d’un écosystème : toutes les créatures sont au service
de l’homme, les vents l’amènent à la vertu. La figure humaine au centre des
différents cercles est analogue à la précédente, elle est faite d’harmonie et
renvoie à la créature parfaite. Elle n’est pas sans évoquer non plus la
deuxième vision de la deuxième partie du Scivias, où le Fils était représenté
de manière analogue au centre de la Trinité, comme on l’a également
remarqué pour la vision précédente.
Sur le plan iconographique, le peintre a pris apparemment quelque
distance avec la vision, dont la représentation est, il est vrai, difficile. Pour
rendre compte du mouvement de l’univers, les animaux, symbolisant les
vents et les vertus, ainsi qu’une tête d’homme ajoutée sur le cercle
extérieur, n’envoient plus leur souffle sur l’être humain, mais dans les
différents cercles du cosmos où l’homme se situe, mettant alors en évidence
sa liberté personnelle. C’est un peu l’homme comme intendant de la
création qui est évoqué sur la miniature.
QUATRIÈME VISION

L’homme et le monde

Les quatre saisons

Dans cette quatrième vision (fig. 7), dont le récit est le plus long de
l’ouvrage, mais aussi le moins unifié, c’est le développement de la vie sur
terre, le travail de l’homme et plus précisément les travaux des champs aux
différentes saisons qui sont retenus sur la miniature, ce qui fait un peu
difficulté dans la mesure où ce passage est relativement bref et marginal
dans le texte du Livre des œuvres divines, alors que l’essentiel de la vision
est consacré à l’influence du cosmos sur l’être humain. À propos des
travaux et des saisons, il est seulement dit à Hildegarde : « Dieu a consigné
dans l’homme toutes les créatures. Il a aussi reproduit en lui l’ordre des
différents moments de l’année. L’été correspond à l’homme éveillé, l’hiver
à l’homme qui dort. L’hiver renferme en lui ce que l’été profère dans la joie.
Le sommeil réconforte le dormeur, pour qu’il soit rapidement apte à
certaines œuvres, quand ses énergies s’éveillent. Il a donc distingué en lui
les mois, discernant les qualités et les vertus […]. L’homme est terrestre de
par sa chair, céleste par son âme, conformément aux créatures inférieures et
aux créatures supérieures, respectivement. L’homme connaît l’évolution du
temps, qui scande le mouvement et la vie universels […]. C’est que
l’homme est la totalité de l’œuvre divine, et Dieu est connu par l’homme,
puisque Dieu a créé pour lui toutes les créatures 40. »
Sans doute est-il difficile de représenter l’âme, mais il ressort ici que
l’enlumineur a laissé libre cours à son imagination, ou qu’il s’est inspiré de
modèles existants 41, issus des Bucoliques de Virgile ou Des travaux et des
jours d’Hésiode, pour rendre compte des quatre saisons, ce qui sera ensuite
systématisé dans les Très Riches Heures du Duc de Berry, par exemple,
mais aussi sur les vitraux ou sur les tympans d’églises, comme celle
d’Autun. L’originalité ici consiste à situer les quatre saisons à l’intérieur du
cercle où était inscrit l’être humain, ce qui reprend la facture des plans de
villes ou des cartes du monde de l’époque.
En fait, la structure de l’enluminure est la même que dans les deux
visions précédentes, avec les six cercles concentriques, les douze vents, ce
qui cette fois correspond au texte d’Hildegarde, mais la Trinité a disparu, il
ne reste que le cercle rouge qui l’évoque, et la main de Dieu tenant le
phylactère qu’elle présente à Hildegarde, ce qui implique que le contexte
est le même : la création est l’œuvre de la Trinité. L’homme, qui est en le
microcosme, est l’expression de l’œuvre divine. D’ailleurs, Dieu l’a créé à
son image et à sa ressemblance (cf. § 100 du Livre des œuvres divines). De
plus, à l’intérieur de la création, l’être humain coopère à l’agir divin par son
action aux différentes saisons de l’année. Il n’est plus au centre du cercle, à
la place de Dieu, mais sur le côté du deuxième cercle central, divisé en
quatre parties, de couleurs différentes, ce qui est sa place habituelle.

Macrocosme et microcosme

Hildegarde rend compte de sa vision en ces termes au début du récit :


« Je vis, écrit-elle, le firmament et toutes ses dépendances : son épaisseur,
d’un bord à l’autre, au-dessus de la terre, était égale à celle de la terre, sur
tout son diamètre. Je vis aussi le feu supérieur du firmament : ébranlé par
instants, il projetait sur terre des braises, comme des écailles ; ces braises
marquaient et ulcéraient les hommes, les animaux, les plantes. Je vis aussi
comme un brouillard qui s’échappait du feu noir et qui atteignait les terres :
il asséchait la viridité terrestre, il réduisait l’humidité des champs. Mais
l’éther, dans sa pureté, s’opposait à ces écailles et à ces brumes ; il
empêchait que les fléaux ne frappassent outre mesure les créatures que nous
avons citées. L’air blanc dense et lumineux dégageait lui aussi un autre
brouillard en direction des terres […]. L’air aqueux, quant à lui, s’opposait à
ce brouillard ; il le tempérait, afin qu’il n’apportât pas aux créatures des
blessures excessives. Je vis aussi une humeur qui jaillissait en bouillonnant
de l’air mince et qui se répandait sur terre : elle y suscitait la viridité, elle
provoquait la germination de tous les fruits ; dans ses parties supérieures,
elle portait également quelques nuages qui soutenaient les couches
supérieures […]. De nouveau, j’entendis une voix du ciel qui s’adressait à
moi en ces termes : “Dieu, le Créateur de tout ce qui existe, a conféré cette
constitution aux mondes supérieurs, afin, grâce à eux, de conforter et de
purifier les mondes inférieurs. Tu constates que le firmament et ses
dépendances ont exactement l’épaisseur de la terre. C’est, ô homme, pour te
montrer et pour te signifier leur égalité […]. Voilà pourquoi : l’homme, en
son esprit intérieur, manifeste ses forces aussi bien sur terre que dans les
cieux ; son corps applique ses énergies à ces doubles pratiques ; lorsque
l’âme et le corps s’accordent dans leur rectitude, ils obtiennent dans une
joie unanime des récompenses suprêmes. Tu vois aussi que des braises
tombent du firmament sur les hommes, les animaux et les plantes […]. Cela
montre que la puissance de Dieu, qui détient en son pouvoir l’esprit de
l’homme, ébranlée par un juste jugement, châtie les actions perverses des
hommes” 42. »
Cette fois, l’enluminure semble mieux correspondre au récit
d’Hildegarde, tant pour ce qui est de l’organisation du cosmos que pour les
braises qui tombent l’été. Il est toutefois difficile à l’enlumineur de rendre
compte du bouillonnement de l’air, de la brume… De plus, le récit lui-
même est relativement court dans l’ensemble de la vision (§ 1-10). On
comprend que le peintre ait repris la structure des miniatures précédentes.
Il y a également des éléments irreprésentables dans la vision
d’Hildegarde, par exemple quand il lui est dit : « Le trône de Dieu, c’est son
éternité, là où seul il repose, et tous les êtres vivants sont comme les
étincelles qui jaillissent de sa splendeur, comme les rayons du soleil.
Comment saurait-on que Dieu est vie, autrement que par ces créatures
vivantes qui le glorifient, qui viennent de lui en célébrant sa gloire ? Il a
donc placé ces étincelles vivantes et ardentes pour éclairer son visage 43. »
Les personnages représentés sur la miniature sont autant d’« étincelles
vivantes ».
Hildegarde précise que « Dieu a façonné l’homme sur le modèle du
firmament […]. Tout le corps est relié à la tête comme la terre et ses
annexes sont jointes au firmament […]. Du sommet de la boîte crânienne
jusqu’à la partie extrême du front, nous distinguons sept zones de mêmes
dimensions : de même au firmament, les sept planètes sont séparées par des
espaces égaux 44 ». Une nouvelle fois, sa vision rejoint la conception,
largement répandue à son époque, de l’être humain, microcosme de la
création, mais on n’en a pas d’écho sur l’enluminure.

Les vents

S’y ajoute la conception des vents de son temps, qui reprend et prolonge
les deux visions précédentes. Sur la miniature, ils sont situés de nouveau
aux quatre points cardinaux et ils ne sont pas sans influence sur l’être
humain. Cette fois, les animaux qui les représentent n’envoient plus leur
souffle vers l’extérieur, mais vers l’être humain, et ils ont une influence sur
lui. Ainsi Hildegarde explique-t-elle qu’« aux quatre vents principaux
correspondent quatre énergies au sein de l’homme, la pensée, la parole,
l’intention et la vie affective » 45, ce qui est leur donner une grande
importance.
Il ressort finalement de cette quatrième vision que l’être humain est le
microcosme de la création, qu’il y a en lui une influence réciproque de
l’âme et du corps, ce qui oriente vers une médecine psychosomatique, telle
qu’on la trouve dans Des causes et des soins.
Créé par Dieu, l’homme est appelé au salut par le Dieu vivant qui s’est
incarné, comme l’explique la fin de la vision, en une relecture du Prologue
de saint Jean. Un parallèle intervient entre cette vision et la sixième de la
première partie du Scivias, où il est donné à Hildegarde de percevoir la
hiérarchie de la création humaine et angélique. Cette fois, la hiérarchie
disparaît et tout est centré sur l’être humain.

Les quatre premières visions


du Livre des œuvres divines

Les quatre premières visions du Livre des œuvres divines ont une grande
unité et montrent à quel point la Trinité est créatrice. Elles prolongent, en
un cycle unifié, les visions de la création qu’Hildegarde rapporte, en ordre
dispersé, dans le Scivias. De plus, à la différence des enluminures de ce
dernier, qui évoquent non seulement la création mais aussi la chute et le
salut, celles du Livre des œuvres divines sont beaucoup plus unifiées et plus
sereines : c’est l’homme accompli en harmonie avec la vie trinitaire qu’elles
présentent, il n’y a pas de drame cosmique. Les quatre premières visions
d’Hildegarde sont comme la dilatation de la première : la Trinité créatrice
crée le monde, avec l’homme en son centre, elle le maintient dans l’être tout
en lui étant distincte, comme le montre la planche suivante, où Hildegarde
met l’accent sur la responsabilité de chacun.
C’est toute une cosmologie et une anthropologie qui se déploient à
travers ces quatre premières visions d’Hildegarde, qui ne sont pas sans
analogie avec la vision que saint Benoît a eue du monde ramassé en un
rayon de lumière 46.
DEUXIÈME PARTIE
CINQUIÈME VISION

La liberté et ses conséquences :


une géographie spirituelle

Avec cette cinquième vision (fig. 8), nous passons à la deuxième partie
du Livre des œuvres divines, et à la totalité de cette seconde tempête
visionnaire. Si la première partie est toute d’harmonie, célébrant cette
œuvre divine qu’est la création de l’homme, microcosme et sommet de la
création, en revanche la deuxième partie fait ressortir la responsabilité qui
revient à l’être humain et le jugement de Dieu qui s’ensuit. Elle constitue un
tournant dans l’ouvrage, elle en est, en quelque sorte, le point d’inflexion,
mais sans être en rupture avec ce qui précède. L’expression picturale qui en
est donnée change également. La figure dominante reste le cercle, mais il
est cette fois en mouvement, pris entre la protection de Dieu et le risque de
chute dans l’abîme, en fonction du choix réalisé par l’être humain. À
considérer la structure de l’image qui en est faite, force est de constater
qu’elle part d’un centre de rayonnement, à la manière d’un point de fuite
qui se situe entre les deux ailes entourant la roue, ces deux ailes qui ne sont
pas sans analogie avec celles de la première vision. La ligne partant de ce
centre rejoint directement la main d’où sort le phylactère en haut de
l’image, l’autre ligne qui lui correspond passe sous la tablette que tient
Hildegarde et qui renvoie à la fois au livre des Écritures et à la tablette de
cire où elle consignait ses visions. Leur importance est ainsi visuellement
soulignée, comme elle l’est, d’une autre manière, dans l’explication de la
vision.
Comme les précédentes et même davantage, cette vision est faite de
symboles. Pour permettre de les comprendre, la démarche pédagogique du
Scivias est reprise, avec successivement le récit de la vision et son
explication. Intervient en finale une reprise des six jours de la création.
Hildegarde explique tout d’abord qu’elle aperçut le « cercle terrestre
partagé en cinq secteurs : l’un à l’est [à gauche sur l’enluminure], l’autre à
l’ouest, le troisième et le quatrième au sud et au nord [au bas de l’image] et
le cinquième au centre. Les zones est et ouest avaient la même surface et
l’aspect d’un arc tendu […]. Les deux parties sud et nord étaient divisées en
trois branches : les parties médianes avaient même forme et même mesure
[…]. Le secteur est resplendissait d’une même clarté, la ténèbre recouvrait
partiellement l’ouest 1 ». Entre eux se répartissaient les êtres humains, plus
ou moins heureux, dont on n’aperçoit que les têtes sur la gravure. « En
direction de l’est, j’aperçus, au-dessus de la courbure terrestre et à une
certaine altitude, une boule rouge, entourée d’un cercle de la couleur d’un
saphir. Deux ailes sortaient de la gauche et de la droite de cette boule, elles
s’élevaient des deux côtés, puis elles se recourbaient, elles se faisaient face,
elles se prolongeaient jusqu’à la moitié de la circonférence terrestre qu’elles
encerclaient et qu’elles recouvraient à l’exclusion du firmament. De ces
limites partait, en forme d’arc, un cercle rouge […]. Sur la courbure, en
direction de l’est, et à la jointure des deux ailes, se dressait une sorte de
bâtiment qui s’élevait jusqu’à toucher la boule. De la boule partait jusqu’au
milieu des deux ailes une route, au-dessus de laquelle scintillait une étoile
lumineuse [on la voit difficilement sur l’image]. De plus, l’on voyait entre
les pointes des ailes une boule de feu, qui projetait ses feux dans toutes les
directions […]. Entre le coin ouest et nord bâillaient comme une gueule
affreuse deux autres zones ténébreuses : la gueule béait, prête à
engloutir 2. » C’est une sorte de géographie spirituelle qui se dessine.
Du bon usage des cinq sens

Hildegarde précise l’explication qui lui en a été donnée : « Dieu a


suspendu le globe terrestre au milieu des trois éléments pour qu’il ne pût ni
se dissoudre ni fondre […]. C’est lui qui a divisé la terre en quatre zones,
quand il la créa : l’une en pleine clarté, l’autre ténébreuse, la troisième
effroyable, la quatrième lieu de perdition. Certaines zones sont faites pour
l’homme, d’autres sont inhabitables […]. Voici la signification : la Terre
représente l’homme. L’homme est consolidé, il est conduit au salut de son
âme par les cinq sens 3. » C’est de nouveau l’analogie entre le macrocosme
et le microcosme qui intervient pour montrer à quel point il revient à l’être
humain de mettre en œuvre son discernement qui, d’après les Pères du
désert 4 qu’Hildegarde connaît, est la vertu par excellence, la boussole de la
vie spirituelle. Il permet de faire un bon usage des cinq sens. En effet,
d’après l’interprétation qui lui est donnée de la vision, la vue est comparée à
l’âme qui « sert le salut du corps 5 » ; en revanche, l’ouïe est présentée
comme ambivalente, « messagère tantôt de bonheur, tantôt de malheur 6 » ;
quant à l’odorat, il est présenté venant « d’un désir supérieur 7 » ; le goût
permet d’opérer un discernement et le toucher est « animé et conforté 8 » par
les quatre autres sens, mais il n’en doit pas moins atteindre la perfection
comme le montre la « cinquième zone, qui prend la forme d’un rectangle et
qui est contenue et traversée par les quatre autres zones 9 ». Plus
généralement, il revient aux cinq sens de mettre en œuvre la « science du
bien 10 » par le discernement et de devenir des sens spirituels qui orientent
vers la béatitude, exprimée par la zone orientale, et non vers les autres
zones qui apparaissent comme des lieux de purification, avec des peines
plus ou moins importantes, comme en témoignent les têtes qui apparaissent
dans ces quatre zones.
Une explication apocalyptique, qui n’est pas reprise sur l’image, en est
ensuite donnée.
La justice

Puis d’autres éléments de la vision sont expliqués à Hildegarde : il lui


est indiqué « vers l’orient, au-dessus du globe terrestre, à une certaine
altitude, un globe rouge entouré d’un cercle de couleur saphir : cette zone
orientale représente l’origine de la justice. Ce lieu dépasse l’intelligence de
l’homme. Il a son assise dans les profondeurs des mystères des cieux. Ainsi
se révèlent le zèle de Dieu, sa puissance, sa justice d’amour. C’est que Dieu
est assez puissant pour accomplir ses jugements ; mais il les exécute dans
l’équilibre de son amour 11 ». De fait, ce cercle qui surplombe la miniature,
avec la main de Dieu tenant un phylactère, restait énigmatique.
L’explication qui en est donnée à Hildegarde permet de comprendre le rôle
de Dieu, qui veille perpétuellement sur sa création qu’il a réalisée par
amour.

La protection divine

Quant aux « ailes qui s’élèvent et qui se recourbent, elles montrent que
la protection divine s’exerce dans la prospérité et dans l’adversité, par une
douce inspiration ou par une dure saisie […]. Quant à celles qui enserrent la
Terre et qui descendent jusqu’au milieu du globe, elles montrent que la
défense suprême ne protège pas seulement les habitants des cieux, mais
aussi les créatures inférieures […]. Le cercle rouge en forme d’arc qui, à
l’exception de quelques zones, enserre toute la partie occidentale extrême
évoque le point que voici : avec la même perfection qu’il met à protéger
dans sa miséricorde ses zélateurs, Dieu, par le feu de son zèle, par sa juste
et vengeresse extension, frappe de sa justice tous ceux qui abandonnent la
fréquentation des bonnes actions et du domaine de la vraie foi absolue » 12.
Ces ailes ainsi que « celles qui enserrent la Terre 13 » et ce cercle rouge qui
restaient énigmatiques symbolisent en fait la présence de Dieu à son œuvre.
Les ailes sont synonymes de protection, de défense, alors que le cercle
rouge renvoie à la justice divine qui peut s’exercer à l’encontre de ceux qui
s’opposent à l’œuvre de Dieu. À la différence des premières visions, le
châtiment est cette fois évoqué.

La cité de Dieu

Un élément prépare en revanche les visions suivantes, c’est l’évocation


de la cité de Dieu. En effet, l’« édifice qui apparaît entre les ailes évoque la
cité construite de pierres de vie, elle se détourne des causes terrestres, par la
source de justice et sous la protection divine. Elle tourne son visage vers le
jugement divin, elle le glorifie 14 ». Il est un peu difficile de la voir, mais elle
est déjà l’expression de la création nouvelle, du salut.
Cette création nouvelle est aussi exprimée par la route qui est la « voie
qui conduit des jugements de la puissance de Dieu à la parfaite
protection 15 ». L’étoile, qui la surplombe, représente à la fois la Vierge et le
Fils incarné. Quant à la boule rouge, elle « manifeste l’Esprit Saint, qui
distribue la multiplicité de ses dons. Même distance de la terre au globe
rouge, du globe à l’étoile, de l’étoile au globe de feu : les décisions de la
puissance divine et les dons de l’Esprit Saint ne sont pas différents 16 ».

La gueule béante

En revanche, « dans l’angle sud-ouest, les ténèbres revêtent la forme


d’une gueule béante. C’est là, en ces zones situées en dehors du monde,
qu’elles prennent l’aspect cruel de la gueule du puits des enfers 17 ». C’est
l’aspect apologétique qui intervient cette fois, conformément à l’époque, de
manière à effrayer et induire, a contrario, des œuvres bonnes. Sur
l’enluminure, les traits en sont adoucis. Cela tient certainement au texte
d’Hildegarde qui, tout en maintenant l’aspect effrayant de ce « puits
infernal », rappelle que « Dieu créa l’homme dans la lumière de sa vertu et
il le plaça dans le paradis que rien ne peut éteindre, que rien ne peut
corrompre et qui fructifie 18 ».
À la différence des autres, cette cinquième vision a une dimension
morale et eschatologique. La liberté et la responsabilité de l’être humain
sont engagées. Il est d’ailleurs dit à Hildegarde : « L’homme resterait vide
s’il n’œuvrait pas, s’il n’avait pas de demeure. Dieu, qui est feu et lumière,
donne donc par l’âme la vie à l’homme, il lui donne par la raison le
mouvement : de même, dans l’écho de son Verbe, il créa le monde entier,
qui est la demeure de l’homme 19. » C’est dans ce processus de création et
de création nouvelle que l’être humain est pris, il a un rôle actif à y jouer.

L’œuvre des six jours ou hexaemeron

Pour en rendre compte, la vision d’Hildegarde reprend les six jours de


la création, en un long hexaemeron qu’on ne trouve pas dans la traduction
française, ni dans l’écho iconographique que l’on a de la vision. Vivant au
Moyen Âge, elle donne une interprétation allégorique et développée de ces
six jours : le premier étant en lien avec l’Incarnation, le deuxième avec
le discernement, le troisième avec le baptême, le quatrième avec l’amour de
Dieu et du prochain, le cinquième avec la vie spirituelle, le sixième avec
l’obéissance et l’humilité, le septième avec l’accomplissement de l’Église
dans le Christ 20 et l’action de l’Esprit Saint. C’est tout le déploiement de
l’histoire du salut qui est évoqué par là, d’une histoire qui exprime la
prévenance et la miséricorde de Dieu, mais où l’être humain n’en a pas
moins un rôle actif à jouer.
Cette grande fresque de l’histoire du salut que Hildegarde déploie à
travers l’hexaemeron complète les quatre premières visions, en faisant
ressortir la bonté et la beauté de la création et son lien avec la création
nouvelle, réalisée par le Christ.
TROISIÈME PARTIE
SIXIÈME VISION

Le salut à l’œuvre :
vers la cité de Dieu

Avec cette sixième vision (fig. 9), nous passons à la troisième partie du
Livre des œuvres divines, partie comprenant cinq visions alors que la
deuxième n’en compte qu’une, longue il est vrai.
Un nouveau changement intervient, tant par rapport à la forme qu’au
fond : on passe de la figure du cercle, qui symbolise la perfection, à celle du
carré, qui renvoie au cosmos 1. On va aussi de la création à la cité, voire à la
cité de Dieu, mais la réalité de la création reste en arrière-fond. Cette
nouvelle série de visions procède à la manière d’une symphonie qui
annonce à plusieurs reprises le thème principal avant que celui-ci ne prenne
toute son ampleur.
Si la cité a une place centrale sur l’enluminure, comme dans la
troisième partie du Livre des œuvres divines et qu’on la retrouve, à quelques
différences près, identique dans la traduction picturale des cinq dernières
visions, avec six bâtiments, dont une église à double chœur qui est peut-être
la cathédrale de Mayence ; si cette cité a la forme d’un carré entouré d’une
bordure blanc et noir et si elle a l’aspect de la Jérusalem céleste (Ez 40-48),
ou encore d’un sceau de ville, tel qu’on le faisait à l’époque ; si elle a une
telle importance pour Hildegarde dans la mesure où la Jérusalem céleste est
évoquée par le monastère, en revanche elle n’a pas toujours une place aussi
décisive dans la vision. Elle est mentionnée comme « ornée de collines et
de figures 2 » qui n’apparaissent pas sur l’image dans la sixième vision,
mais elle ne l’est plus guère dans les visions suivantes, et ce sont souvent
les motifs qui l’entourent qui sont importants, ce qui se vérifie pour les cinq
dernières visions. Une nouvelle fois, il est davantage question de la bonté
de la création et de la responsabilité de l’être humain.
Tout d’abord, Hildegarde fait le récit de sa vision : « J’aperçus comme
une grande cité, en forme de carré, ceinte d’un mur à la fois de splendeur et
de ténèbres […]. Sur le côté est de la cité se dressait une grande et haute
montagne, d’une pierre blanche et dure, qui ressemblait à un volcan. À son
sommet resplendissait un miroir, dont la clarté et la pureté paraissaient
même dépasser celles du soleil. Une colombe apparut dans ce miroir, les
ailes écartées, prête à prendre son vol. Ledit miroir, qui était le lieu de
merveilles cachées, projetait un éclat qui s’élevait et s’étendait, et au sein
duquel se manifestaient de nombreux mystères, et plusieurs formes et
figures. En cette splendeur et en direction du midi apparaissait un nuage,
blanc dans sa partie supérieure, noir dans sa partie inférieure. Au-dessus de
ce nuage resplendissait toute une cohorte angélique. Les uns rayonnaient
comme le feu, les autres étaient toute clarté, les troisièmes scintillaient
comme des étoiles. Tous étaient agités par le souffle d’un vent, telles des
lanternes allumées 3. » Avec ce récit de la vision, le décor est planté : il y a
la cité, la montagne qui doit avoir une signification symbolique, le miroir
avec la colombe, le nuage et la cohorte angélique, le vent.

La cité

Une voix en donne, de manière habituelle, la signification à Hildegarde


et lui fait comprendre que cette vision n’est pas aussi différente des
précédentes qu’on aurait pu le penser : c’est toujours à la création qu’elle
renvoie, mais cette fois à la création parfaite, où cependant la liberté est loin
d’être absente, ce qui induit des situations différentes. Ainsi est-il dit à
Hildegarde que « la grande cité carrée représente l’œuvre stable et ferme de
la prédestination divine, et si elle est entourée tantôt de splendeur, tantôt de
ténèbres, comme d’un mur, c’est que les croyants et les incroyants, séparés
par un juste changement, sont destinés tantôt à la gloire, tantôt au
châtiment. Si elle est ornée de montagnes et de figures, si elle est protégée,
rehaussée de merveilles, de vertus et de grands prodiges, c’est que Dieu, qui
a accompli toutes ses œuvres dans la vérité et dans la justice, a conforté ces
œuvres avec une énergie telle qu’aucune impulsion fallacieuse ne peut les
exterminer 4 ». La volonté de salut de Dieu est toujours présente, mais il
n’en demeure pas moins qu’en fonction des choix réalisés, des changements
interviennent. Cette interprétation de la vision est très augustinienne, tant en
raison de la référence à la cité de Dieu qu’à l’importance du choix pour ou
contre les projets de Dieu.

La montagne

L’explication donnée à Hildegarde se poursuit : « La montagne que tu


vois à l’est et qui a la forme d’un volcan montre que Dieu est présent dans
l’énergie de sa justice […]. Si le sommet de la montagne resplendit d’une
telle clarté, d’une telle pureté, qui paraissent dépasser la splendeur du soleil,
c’est que la prescience divine, dans son excellence, est si lumineuse, si
avisée qu’elle dépasse tout l’éclat des créatures 5. » On peut noter ici une
continuité avec la vision précédente, où la justice de Dieu était représentée
par un globe rouge, entouré d’un cercle de saphir. Un élément nouveau
intervient ici, également augustinien : la prescience de Dieu.

La colombe

Elle lui est expliquée en ces termes : « La colombe qui apparaît dans le
miroir et qui est prête à prendre son vol signifie que cette même prescience
est le lieu dans lequel s’épanche l’ordonnance divine, dans lequel elle tend à
se manifester. Si cette colombe, perchée au-dessus de la montagne, réfléchit
sur la direction à prendre, si elle a besoin de deux ailes pour voler, c’est que
l’ordonnance divine possède elle aussi deux ailes, les anges et les hommes
[…]. De même l’homme, dans le silence, ordonnance ses volontés. En
l’assurant de la protection des anges, Dieu lui a donné en quelque sorte
deux ailes : la volonté et le désir d’agir 6. » De nouveau, c’est la prévenance
du Créateur pour sa création qui est manifestée à Hildegarde, avec un appel
à la responsabilité personnelle. Une influence est à noter ici sur Hildegarde,
non plus tant celle d’Augustin que celle d’Anselme de Canterbury, un
bénédictin du XIe siècle, dont elle devait connaître les œuvres et qui
introduit la notion de rectitudo ou encore qui lie la miséricorde de Dieu à
son ordonnance.
De nouveau, de manière très augustinienne, Hildegarde se fait l’écho de
ce qu’elle entend : « Celui qui vole vers Dieu en disant : “Je m’élèverai vers
toi, car c’est toi qui m’as créé, et mon âme s’accroche à toi !”, il est prêt à le
protéger de sa droite et à l’accueillir, en lui attribuant bien des
ornements 7. » Dieu donne son accomplissement à celui qui réalise le projet
qu’il a sur lui.
La suite de l’explication de la vision va dans le même sens, en
envisageant cette fois l’Incarnation qui fait l’admiration des anges et qui est
décisive pour l’être humain. Ainsi est-il dit à Hildegarde : « Aucun homme
n’est capable de réaliser son œuvre sans l’Incarnation du Verbe de Dieu. Par
ce même habit, il sanctifia les hommes afin qu’ils levassent les yeux vers
lui, afin que, les ailes écartées, ils volassent avec lui vers les désirs
suprêmes 8. » C’est tout le thème de l’admirable échange de la divinité et de
l’humanité qui est alors sous-jacent, afin de montrer à quel point le Fils
nous donne le chemin pour aller vers le Père, ce qui n’est pas sans analogie
avec le thème de la patrie et de la voie chez Augustin.

Le miroir
Le miroir

Le miroir peut, dès lors, apparaître énigmatique. En fait, Hildegarde


reprend le thème paulinien de la vision en énigmes (1 Co 3, 12). Elle écrit :
« La multitude des mystères et des figures signifie que les réalités
inconnues et ignorées se manifesteront ouvertement, quand s’ouvrira
l’ostension des merveilles divines 9. » Une figure est donnée ici, celle de la
colombe qui évoque l’Incarnation, qui ouvre l’intelligence des mystères,
introduit à la vie trinitaire.
Hildegarde connaît également le genre littéraire des miroirs, important à
son époque, elle ne le reprend pas directement ici, bien qu’elle mette
l’accent sur la dimension éthique, s’attachant plutôt à la fonction du miroir
qui fait voir des réalités qu’on ne perçoit pas nécessairement, en
l’occurrence ici le nuage et les anges. Plus tard, Nicolas de Cues
développera toute une réflexion sur le miroir. Sans doute connaissait-il
l’œuvre d’Hildegarde, qu’il avait dans sa bibliothèque.

Le nuage et les anges

« Le nuage blanc et noir qui s’élève vers le midi montre qu’en cette
ostension de l’ardente justice de Dieu seront mises à nu l’intention des
esprits bienheureux, digne de louange, et celle des esprits déchus, odieuse.
Au-dessus du nuage resplendit une grande cohorte angélique, les uns tel un
feu, les autres toute clarté, les troisièmes telles des étoiles. Les anges de feu
recèlent les énergies les plus vives, rien ne peut les ébranler ; Dieu a désiré
en effet qu’ils contemplent sans cesse son visage. Les anges qui sont toute
clarté sont, eux, ébranlés par le service des œuvres humaines, qui sont aussi
œuvres de Dieu […]. Quant aux anges qui ressemblent à des étoiles, ils
souffrent avec la nature humaine, ils la présentent à Dieu comme un livre.
Ils sont les compagnons des hommes, ils leur adressent des paroles de
raison, selon la volonté de Dieu. Si tous sont agités par un vent, comme des
lampes allumées, c’est que l’esprit de Dieu qui vit, et qui brûle de vérité,
incite les esprits angéliques à se dresser contre leurs ennemis. C’est alors un
concert de voix qui ressemble au bruit de la mer […]. S’il envoie un feu
vers le nuage noir, et si ce nuage se consume sans flammes, c’est que les
esprits bienheureux qui voient les entreprises des anges déchus servent
l’honneur de Dieu 10. » Cette fois, on passe dans le domaine de
l’eschatologie. Sans doute Hildegarde est-elle marquée par la hiérarchie
angélique de Denys l’Aréopagite, mais elle la réinterprète et précise la place
des anges dans la vie humaine.
Elle semble également influencée par saint Augustin qui, dans le De
Genesi ad litteram par exemple, présente la création angélique comme le
prototype de la création humaine. En effet, elle en vient à des accents
augustiniens quand elle écrit : « Chaque créature qui vit doit lever ses
regards vers son Créateur, et elle ne doit pas tirer gloire d’elle-même.
L’homme en effet ne peut puiser en soi la joie pleine de son utilité
particulière : il faut qu’il la reçoive de quelqu’un d’autre. Quand cet autre
lui aura permis de comprendre cette joie, ce sera en son cœur une grande
exaltation. Alors seulement l’âme se souvient que c’est Dieu qui l’a créée,
elle lève les yeux vers lui, pleine de foi 11. » C’est, à la suite de saint
Augustin, une profonde méditation sur la bonté de la création et sur le
rapport entre le Créateur et l’être créé qu’Hildegarde propose ici.

Le vent

Comme dans les premières visions, l’importance du vent lui est


expliquée dans les termes cités plus haut : « Si tous sont agités par un vent,
comme des lampes allumées, c’est que l’Esprit de Dieu qui vit, et qui brûle
de vérité, incite les esprits angéliques à se dresser contre leurs ennemis… »
Les têtes d’animaux, présentes dans les premières visions, ne sont pas
reprises ici, mais l’influence des vents est toujours dominante, comme dans
le stoïcisme 12 ; cependant, cette fois, cette influence est fondamentalement
bonne, elle le fait de manière libre pour mettre en évidence l’apport de sa
vision, en l’occurrence ici : pour rendre compte de l’harmonie céleste. Le
vent animé par l’esprit de Dieu est représenté, comme dans l’Antiquité,
avec une tête humaine et son souffle a trois couleurs ; le vert de la vie, le
rouge et le bleu.
La disparition du nuage n’est pas évoquée sur l’enluminure, mais le
triomphe final des bons anges et leur louange éternelle sont manifestés par
les trompettes qui, comme la main de Dieu, sortent d’un autre nuage, plus
élevé.

Le combat contre le mal

Le combat céleste contre le mal est représenté, de manière biblique, par


le serpent. Ainsi Hildegarde précise-t-elle : « Les colonnes angéliques
ressemblent aux fleuves d’eau vive, que les vents de l’Esprit de Dieu
incitent à la célébration de sa louange : ces mêmes voix ont engagé le
combat contre le dragon noir. C’est Michel en effet qui, dans les échos des
trompettes du jugement caché de Dieu, a frappé à mort le serpent qui
désirait connaître la clarté de Dieu 13. » Sur l’enluminure, les fleuves d’eau
vive sont représentés, ainsi que les trompettes, et, en bas de la gravure, le
serpent terrassé, mais Michel n’y apparaît pas.
Le combat comme tel ne peut être représenté sur l’image. De plus,
Hildegarde n’en reste pas au combat, elle conclut sur la louange éternelle,
évoquée sur l’enluminure. Ainsi écrit-elle : « Ces anges sont esprit et vie de
Dieu. Ils ne renoncent jamais aux louanges divines, ils ne cessent de
contempler la clarté ignée de Dieu, et cette clarté de la divinité leur donne
l’éclat de la flamme 14 », d’où les couleurs resplendissantes de la cohorte
angélique sur l’image.
SEPTIÈME VISION

La porte du salut

Avec cette septième vision (fig. 10), Hildegarde passe de la


compréhension de la création à celle du salut, en prenant toujours en
compte l’importance de la liberté humaine. La septième vision est plus
dense. Le cadre de référence est toujours la cité, mais qui cette fois est
ouverte vers l’orient, et qui compte d’autres éléments importants autour
d’elle, bien qu’elle ne soit pas directement mentionnée dans le texte.
Comme pour la première vision, Hildegarde est située à l’extérieur de
l’enluminure, ce qui donne presque à l’ensemble l’aspect d’une lettrine, un
P, comme pour le « Puer natus est », « Un enfant nous est né », de Noël, ce
qui amènerait à se demander si l’enlumineur a suivi cette option et a voulu
exprimer par là la création nouvelle. La question reste ouverte.
Dans le récit qu’elle fait de sa vision, Hildegarde explique tout d’abord
que la cité s’ouvre sur un « rocher de marbre, comme une grande montagne,
élevé, sans faille. L’on y avait percé une seule porte, qui ressemblait à la
porte d’une grande cité. Une splendide lumière venue du Levant le baignait
tout entier, mais ne le dépassait pas. De ce rocher jusqu’à l’est à peu près, et
en direction du midi, apparaissaient comme des étoiles à travers un nuage
des figures humaines, enfants, jeunes gens et vieillards, dont les voix
résonnaient jusqu’à l’occident […]. Tout près de la limite orientale se
dressaient côte à côte deux figures. La première avait une tête et une
poitrine de léopard, des bras d’homme, mais ses mains ressemblaient à des
griffes d’ours […]. Elle était vêtue d’une tunique en pierre : elle était donc
absolument immobile, et elle tournait son regard en direction du nord.
L’autre figure, plus proche de l’angle évoqué au début, avait un visage et
des mains d’homme. Les mains étaient pliées et les pieds ressemblaient à
des griffes de faucon. Elle était vêtue d’une tunique qui paraissait de bois
[…]. Cette figure portait un glaive, qui reposait de travers sur les reins […].
Je vis ensuite dans toute la zone du midi une foule innombrable, qui
ondoyait comme un nuage. Les uns portaient des couronnes d’or, les autres
tenaient à la main des palmes bien décorées, les autres des flûtes, des
cithares et des instruments à vent, et le son de ces instruments résonnait
comme une douce musique dans les nuages 15 ».
Il y a dans cette vision d’Hildegarde beaucoup d’éléments
symboliques : non seulement le rocher de marbre, mais aussi les deux
personnages énigmatiques, tout comme la foule qui se trouve dans le nuage
près de la cité et qui porte une trompette d’une taille gigantesque et qui
pénètre dans la cité.

La porte dans le rocher

Une voix en donne la signification à l’abbesse, en lien avec la vision


précédente. Ainsi lui est-il dit : « Après la chute des anges déchus, Dieu
décida de l’homme dans la gloire de ceux qui l’avaient perdue. Comme
l’homme eut tôt fait de s’effondrer, il le racheta de force et à grand prix.
Pour le rappeler à la vie, il usa de signes nombreux et dignes d’admiration,
dans l’Ancien Testament de multiples promesses, cependant qu’il accomplit
dans le Nouveau Testament de nombreux miracles pour sa libération. La
pierre d’angle à l’est signifie que Dieu, dès le commencement des créatures,
dès la création du monde, demeure parfaitement stable, rocher solide,
puissant, élevé, qui jamais ne subit le moindre changement. La porte du
rocher désigne la volonté de Dieu : elle ressemble à une porte ouverte vers
tous les biens 16. » Après la création de l’être humain, c’est son salut qui est
présenté à Hildegarde. L’idée augustinienne, reprise par saint Bernard, que
l’homme remplace les anges déchus est présente ici. Est-ce un élément de
sa vision ou une influence de saint Bernard ? On ne peut le déterminer. En
revanche, l’explication de la vision met l’accent sur la prévenance de Dieu
pour l’homme, tant dans l’Ancienne que dans la Nouvelle Alliance. Le
motif de la création est implicitement exprimé : il n’est autre que la
surabondance de l’amour de Dieu, qui reste stable. La volonté de Dieu est
exprimée par la porte qu’on voit en rouge sur le rocher, et prépare la venue
du Christ, ce que l’on trouve également chez Herrade de Landsberg.
Ici, une question se pose, celle de savoir si Hildegarde a lu ou entendu
lire Le Pasteur d’Hermas, car on peut noter une analogie étonnante avec la
« Similitude IX » de ce texte. Il y est en effet écrit : « Au milieu de la
plaine, il me montra un grand rocher blanc qui s’y dressait. Il était plus haut
que les montagnes et carré, de façon à contenir le monde entier. Ce rocher
était ancien, une porte y était creusée, mais cette porte paraissait avoir été
creusée récemment. Elle resplendissait plus que le soleil : je m’étonnai de
son éclat 17. » La forme du rocher est précisée dans Le Pasteur, en revanche
la porte n’est pas présentée comme représentant la volonté de Dieu, mais
l’éclat est identique. Y a-t-il une convergence dans la vision, une
réminiscence du Pasteur de la part d’Hildegarde ou une reprise réalisée par
celui qui a consigné la vision d’Hildegarde pour l’inscrire dans la
Tradition ? La question reste ouverte.

Les figures de la prophétie

Les autres éléments de la vision sont ensuite expliqués à Hildegarde :


« Les nombreuses figures que l’on distingue vers l’est ont la signification
que voici […]. De génération en génération, par les différents âges de
l’humanité, telle la lumière dans les ténèbres, la prophétie brille. Et elle ne
renoncera pas à son chant jusqu’à la fin du monde, élevant les voix de ses
multiples sens, imprégnée par les multiples mystères, sous l’inspiration de
l’Esprit Saint 18. » Ainsi les prophètes sont-ils évoqués, ils sont éclairés par
les tables de la Loi, placées en haut de l’image dans un nuage bleu, qui n’est
pas sans évoquer le Christ, et d’où sort le phylactère que l’on voit sur
chaque image, à l’exception de la sixième et de la huitième. Il n’est pas dit
qu’Hildegarde fait partie du groupe des prophètes, mais ses visions ont
effectivement une dimension prophétique. L’accent est mis ici sur
l’importance de la prophétie.

Les deux figures

Il est précisé à l’abbesse : « Les deux figures que tu aperçois près des
limites orientales signifient que, lorsque les origines de la justice,
préfigurées en Adam, se mirent à vaciller, Dieu décida de deux époques
voisines, de mœurs différentes, l’une englobant le temps qui précède le
Déluge, où la Loi était absente, l’autre après le Déluge, le temps de la Loi.
La première figure a une tête et une poitrine de léopard, des bras d’homme
et des pieds qui ressemblent à des pattes d’ours, parce que le temps qui
précède le Déluge manifesta dans les mœurs des hommes la puissance et la
force, les différentes natures bestiales […]. Si leur tunique est de pierre,
immobile, si la figure tourne son regard vers le nord, c’est que les hommes
de ce temps s’enfermèrent dans la rudesse et dans la lourdeur de leurs
péchés 19. » Après le motif de la création, c’est l’histoire du salut qui est
envisagée, à travers ces deux figures, avec deux moments distincts : avant
et après le Déluge, sans ou avec la Loi. Le peintre a ajouté, en haut à gauche
de l’enluminure, les tables de la Loi qui envoient leur rayonnement sur les
prophètes et à partir desquels le rouleau des Écritures se déroule.
Mais l’explication de la vision se poursuit. Il est dit à Hildegarde : « La
seconde figure, plus proche de l’angle que nous avons décrit, qui a les
mains pliées, un visage d’homme, mais les pieds d’un faucon, désigne le
temps qui suit le Déluge, le temps de la Loi qui réglemente les mœurs […].
Si la tunique de cette figure est de bois, c’est que ce temps se fixa pour
règle l’Ancienne Loi, qui néglige les fruits spirituels. La couleur blanche,
qui va du sommet de la tête jusqu’au nombril, c’est le temps qui précède
Noé, Noé qui connut son Créateur, qui se sut homme, qui ébaucha le
premier édifice de sainteté, et qui apporta des offrandes à Dieu. Ce temps
dura jusqu’à la venue d’Abraham […]. Du nombril aux reins, la figure est
rougeâtre : c’est le temps qui va d’Abraham à Moïse […]. Des reins aux
genoux, la couleur grisâtre montre que le temps qui s’étend du Législateur
Moïse à l’exil de Babylone est un temps de dureté, de règne de la Loi […].
Des genoux aux pieds, la couleur trouble évoque l’époque qui va de l’exil à
Babylone à la ruine de la Loi, avant que ne vienne le Fils de Dieu pour
accomplir en lui-même ladite Loi dans sa totalité 20. » Cette fois, ce sont les
âges du monde, bien connus à l’époque d’Hildegarde, qui sont envisagés 21.
Les Pères de l’Église les faisaient correspondre aux six jours de la création.
Les deux figures représentent les deux principaux âges du monde : celui
d’Adam et de sa descendance, puis celui de la Loi, avant la venue du Fils de
Dieu. La distinction proposée par la vision d’Hildegarde est originale, elle
s’articule autour de la Loi, au lieu de reprendre, comme d’autres, la
distinction entre les patriarches et les prophètes par exemple. Le glaive que
le personnage porte à la ceinture est un « rappel de la pureté de la justice
divine 22 ».
Ici Hildegarde se réfère en fait implicitement à la prophétie. Elle
explique même qu’elle réalise le passage de la création à la création
nouvelle. En effet, les différents âges sont autant de « signes prémonitoires.
Dieu montra l’arche à Noé, il donna à Abraham la circoncision, il enseigna
à Moïse la Loi […]. Trois signes devancèrent le Fils de Dieu : les sacrifices
d’animaux, la circoncision et la Loi […]. Mais seul le Fils de Dieu
manifesta ce qui était caché dans les secrets de Dieu 23 ». C’est toute
l’économie du salut qui est évoquée ici. La vision d’Hildegarde la présente,
comme chez Irénée de Lyon, pareille au déploiement de la pédagogie divine
qui permet à l’être humain de progresser pour reconnaître le Fils de Dieu.

L’harmonie céleste

La vision qui lui est donnée ensuite de l’harmonie céleste (fig. 11) lui
est également expliquée. Il lui est dit : « La foule d’hommes que tu aperçois
au midi, comme un nuage, signifie que la foule des croyants qui ont imité et
qui imitent le Fils de Dieu dans l’ardeur de leur justice, en élevant leur
esprit vers ce qui appartient aux cieux, montent et monteront de vertu en
vertu. Si certains portent des couronnes, c’est qu’ils exaltent leur esprit et
qu’ils donnent à leur âme, dans la justice et la sainteté de leur désir,
l’ornement des récompenses suprêmes : les bons désirs, c’est le
commencement des commencements. Les palmes que certains tiennent
rappellent que ces croyants montreront dans leurs œuvres la victoire du bon
combat. Les cithares évoquent les récompenses d’une voie dure et étroite
qui conduit à la vie ; les orgues, la multiplicité des vertus qui se révèlent
dans le cœur de ceux dont la louange tend vers Dieu. Le concert de ces
instruments résonne comme un doux tonnerre : de même les louanges qui
résonnent dans la dignité et dans les fruits desdites vertus, dans le cœur de
ceux qui œuvrent en ces vertus avec tout le mérite souhaitable, s’accordent
avec les esprits de ceux qui s’élèvent vers les cieux 24. »
À une époque où il y avait une distinction entre l’Église pérégrinante et
l’Église triomphante, c’est une vision originale de l’Église triomphante qui
est donnée à Hildegarde, vision qui correspondrait davantage à l’appel
universel à la sainteté, mis en lumière par Vatican II 25, à la communion des
saints. En effet, différentes figures de sainteté sont représentées, en une
harmonie céleste : ceux qui portent une couronne ont vécu l’épectase, un
progrès spirituel continu, ceux qui portent des palmes sont vainqueurs dans
le combat spirituel, d’une certaine manière comme ceux qui portent des
cithares ; ceux qui ont des flûtes sont les messagers de la Parole ; quant aux
orgues, elles renvoient à la multiplicité des vertus, autant dire que
l’harmonie céleste est complète. Elle est symbolisée par un nuage pour
montrer que « le désir de l’âme […] ne sera jamais saturé » 26. Nous
sommes du côté de l’infini de Dieu, du progrès continuel, qui n’est pas sans
rappeler Grégoire de Nysse dans la Vie de Moïse.

Création et salut

En une remarquable synthèse, Hildegarde rappelle, comme dans les


premières visions, que l’être humain est le sommet de la création, qu’il est
créé à l’image de Dieu, mais dans cette vision un pas de plus est franchi, car
il est non seulement question de la création mais aussi du salut. Or, à
l’époque d’Hildegarde, il y a deux conceptions du salut : l’une comme
accomplissement de la création, issue d’Irénée de Lyon, l’autre issue
d’Anselme de Cantorbéry, comprenant le salut en termes de rachat. En tant
que bénédictine, on pourrait penser qu’Hildegarde opterait pour la
conception du salut anselmienne en termes de rachat. Il n’en va pas ainsi.
Elle perçoit au contraire au cours de sa vision que l’« ordonnance divine de
la création a dès le début prévu que l’homme devait être renouvelé en sa vie
spirituelle 27 ». Le salut est déjà inscrit dans la création et Hildegarde le
précise : « Voilà tout ce qui a été révélé par l’Incarnation du Fils de Dieu
[…]. Avant son Incarnation il a participé à la création aux côtés du Père,
après l’Incarnation il a sauvé l’homme qu’il avait formé 28. » C’est un seul et
même mouvement de la bienveillance divine qui va de la création à la
création nouvelle, ce qui manifeste l’optimisme et l’ouverture de la
perspective d’Hildegarde.
Le récit se termine par une vision cosmique du Christ, qui accomplit
toutes les prophéties. Hildegarde reprend ici une lecture typologique de
l’Écriture, issue de saint Paul et familière aux Pères. La Pentecôte intervient
comme l’événement cosmique par excellence, où les douze apôtres, animés
par l’Esprit Saint, agissent de concert avec les douze vents. Mais le Christ
« restaure la création. Il marche sur les ailes des vents comme les prophètes
furent les ailes de l’Esprit Saint 29 », ce qui en revanche n’apparaît pas sur
l’enluminure.
HUITIÈME VISION

L’agir divin, la création nouvelle

La huitième vision (fig. 13) ou encore la troisième de la troisième partie


est la plus courte, mais c’est en même temps la plus belle. Elle est
l’expression de l’agir de Dieu, de la symphonie des harmonies célestes. On
a l’impression d’atteindre un sommet : alors que la vision précédente
présentait la porte du salut, avec deux de ses réalisations, les prophètes et
les bienheureux, cette fois la création nouvelle est réalisée par la Trinité,
elle irrigue la cité et présente ses fruits dans la communion des saints.
L’enluminure qui en rend compte prend de nouveau la forme d’un P,
celui du « Puer natus est », qui n’est d’ailleurs pas sans faire penser à la
création nouvelle, qui apparaît ici dans toute sa splendeur.

La fontaine de vie

Hildegarde fait le récit de sa vision (fig. 14) en ces termes : « Je


contemplai le centre de la région du midi, et là j’aperçus trois figures : deux
d’entre elles se tenaient debout dans une fontaine d’eau très pure, sertie
dans sa partie supérieure d’une pierre ronde, percée de cavités ; elles y
étaient comme enracinées. Comme des arbres, elles semblaient croître en
cette eau, l’une entourée d’un éclat de pourpre, l’autre d’un éclat tout de
blancheur. Je ne pouvais tout à fait les contempler. La troisième figure était
à l’extérieur, au-dessus de ladite pierre, vêtue de blanc, et sa face
resplendissait d’une clarté telle que cette clarté forçait mon regard à se
détourner. L’on apercevait au-dessus, comme une nuée, les ordres
bienheureux des saints que contemplaient avec intensité les trois figures. La
première figure s’exprimait ainsi : “Je suis l’amour, la clarté du Dieu vivant.
C’est moi qui fus aux côtés de la Sagesse, quand elle accomplit son œuvre.
L’humilité, qui plonge ses racines dans la fontaine de vie, m’a assistée, et la
paix lui est jointe” 30. »
Cette vision est à la fois originale et ancrée dans la Tradition. Elle
renvoie à la fontaine de vie qui est Dieu lui-même (Ps 36, 9) ou encore le
Christ, qui est à la fois l’eau vive et la fontaine. Hildegarde ne se réfère pas
à l’Évangile de la Samaritaine (Jn 4, 14), pas plus qu’à la fontaine
baptismale, mais cette « fontaine d’eau très pure, sertie dans sa partie
supérieure d’une pierre ronde », n’est pas sans faire penser à un baptistère
d’où jaillit la vie nouvelle.
Les trois figures ne sont pas sans amener non plus à penser à une
réinterprétation des « trois grâces » à la lumière de la création nouvelle.
Elles sont toutes de beauté, « comme enracinées » dans la fontaine de vie.
Les deux qui se trouvent dans la fontaine sont respectivement l’amour et
l’humilité qui apparaissent comme indissociables. Celle qui se trouve à
l’extérieur est la paix, qui se tient sur la pierre d’angle qui est le Christ.
Toutes rayonnent. Sur la miniature, il est difficile d’exprimer cet éclat qui
les caractérise. Pour en rendre compte, l’enlumineur les a placées sur un
fond or, dont elles se détachent. La figure représentant l’amour et située à
gauche est vêtue d’une tunique entre le brun et le violet, mais non pourpre,
comme il est dit dans le récit d’Hildegarde. Le peintre a opté pour trois
figures féminines, alors que l’abbesse ne le précise pas. Y a-t-il une
analogie entre ces figures et les moniales du Rupertsberg, vivant déjà la
création nouvelle, ou plus radicalement a-t-on là une expression de la
Trinité : l’humilité renvoyant au Fils, l’amour à l’Esprit Saint et le Père
invisible se trouvant à l’extérieur de la fontaine ? La question reste ouverte.
Mais alors pourquoi des figures féminines si ce n’est pour montrer que la
Trinité échappe à la représentation ?
La figure centrale, représentant l’humilité, est vêtue de blanc,
conformément à la vision d’Hildegarde. De la main, elle signifie son
détachement, tout comme la figure représentant la paix, qui lui est
analogue, à cette différence près que son visage est beaucoup plus
rayonnant.
Comme dans la vision précédente, il y a, au-dessus de ces trois figures,
un nuage où apparaissent des têtes auréolées. Hildegarde parle des « ordres
bienheureux des saints ». Cette conception des différents types de sainteté
est liée à son époque : y apparaissent en effet clercs et laïcs, hommes et
femmes, et certainement aussi apôtres et prophètes, évoquant la communion
des saints que les trois figures contemplent et avec lesquels elles
communiquent.
Vient ensuite un passage énigmatique, relatif à l’ombre.

La fontaine de vie et la cité

Sur la miniature, la fontaine de vie irrigue la cité, avec les fleuves du


paradis, et éclaire les ténèbres qui l’entourent. Mais il n’en va pas de même
dans le texte d’Hildegarde. Elle parle d’ombre en des sens différents : non
pas tant en termes de reflet, ce qui serait platonicien, mais essentiellement
comme expression de la gloire de Dieu. Ainsi la figure représentant l’amour
dit-elle : « C’est moi qui ai écrit l’homme : en moi, en mon ombre, il a
trouvé ses racines ; l’eau recèle toujours l’ombre des objets : en moi, telle
une ombre, j’ai enfermé toutes les créatures, et cette ombre a servi de
modèle à la création de l’homme par le feu et par l’eau […]. Tout être
vivant a une ombre ; ce qui vit évolue en lui telle une ombre […]. Tous les
projets divins furent ombre, avant que Dieu ne fût […]. De l’ombre naquit
ce premier écrit, le Scivias, de la bouche d’une femme, qui était ombre de
force et ombre de vigueur 31. » Qu’est-ce à dire sinon qu’Hildegarde joue
sur la polysémie du terme « ombre », en évoquant à la fois le reflet des
objets sur l’eau et tout ce qui relève du mystère : la création à l’image de
Dieu, la vie, le dessein de Dieu, les visions qu’elle a eues… ? Hildegarde ne
se réfère pas au texte de l’Annonciation, mais c’est implicitement à cette
ombre qu’elle renvoie, à la Shekhina, en quelque sorte au mystère même de
Dieu. Sans doute n’est-elle pas la première à évoquer l’ombre de cette
manière. Origène l’avait fait avant elle, Jean de la Croix développera
largement ce thème.
Mais force est de constater ici qu’Hildegarde emploie ce terme pour
évoquer l’inexprimable. Elle s’en explique d’ailleurs en disant : « Quant à
la fontaine de vie, c’est l’Esprit de Dieu que lui-même disperse dans toutes
ses œuvres. De cette fontaine, elles ont tiré leur vie ; par cette fontaine, elles
possèdent la vie qui donne la vie, de même que l’ombre de tous les objets
apparaît dans l’eau. Il n’est rien cependant qui voie clairement la source de
sa vie ; l’on sent seulement la cause du mouvement […]. En cette ombre, la
Sagesse mesure tout de la même mesure 32. » L’ombre renvoie dès lors au
mystère de la création. Dans ses premières visions, il a été donné à
Hildegarde de comprendre la création, mais pas l’acte créateur. C’est à
partir de cet acte dont elle perçoit désormais l’ombre, qu’il lui est donné de
comprendre le sens de la fontaine de vie. En revanche, cette ombre
n’apparaît pas sur l’enluminure.
Mais Hildegarde peut alors expliquer : « Cette Sagesse a puisé à la
fontaine de vie les paroles des prophètes, d’autres sages, des évangélistes
aussi, et elle les a transmises aux disciples du Fils de Dieu, afin que les
fleuves de cette eau vive pussent par leur intermédiaire se répandre par tout
le monde, afin que les hommes, retrouvant le juste chemin, pussent
recouvrer le salut. Or cette fontaine qui de partout jaillit, c’est la pureté du
Dieu vivant, et elle resplendit en cette clarté 33. » La fontaine de vie exprime
donc le mystère de Dieu. On comprend qu’elle anime la cité nouvelle,
même si Hildegarde ne le dit pas explicitement dans son texte.

Les trois figures

Une voix lui donne le sens des trois figures : « Dieu a réalisé toutes ses
œuvres dans l’amour, dans l’humilité et dans la paix, afin que l’homme
appréciât l’amour, recherchât l’humilité, saisît également la paix […]. Les
trois figures que tu aperçois, dans la disposition décrite, ce sont, dans la
force d’une ardente justice, au nom de la sainte Trinité, ces trois vertus,
amour, humilité et paix. L’amour et l’humilité sont ancrés dans la divinité la
plus pure, ils sont les sources des fleuves de la béatitude […]. Ces vertus ne
sont pas plus séparées de la divinité que la racine de l’arbre : Dieu, qui est
amour, conserve son humilité dans toutes ses œuvres et dans tous ses
jugements. Amour et humilité descendirent sur terre avec ce même Fils de
Dieu, et c’est eux qui l’accompagnèrent, quand il rejoignit le ciel 34. » On
peut noter une originalité dans la référence aux trois vertus qui se
substituent aux trois vertus théologales : la foi, l’espérance et la charité.
Vivant à une époque de chrétienté, la foi et l’espérance ont moins
d’importance pour Hildegarde que l’humilité qui est le véritable chemin de
foi et de vie. Quant à la paix, elle rend la vie possible et concrétise déjà
pour une part l’espérance.

L’humilité

Mais pourquoi Hildegarde fait-elle presque de l’humilité une vertu


théologale, sinon parce qu’elle vient de Dieu ? Dans la vision précédente,
elle disait, conformément à la tradition bénédictine, que l’« humilité ouvre
la porte des cieux aux imitateurs de Dieu 35 ». Elle précise ici que
« l’humilité s’est ouverte, elle s’est révélée dans l’humanité du Fils de Dieu,
elle a jailli de la pure étoile née de la mer 36 ». D’une certaine manière,
Hildegarde rejoint Augustin qui a mis l’accent sur la dimension ontologique
de l’humilité, conformément à Philippiens 2 et qui en fait la voie du salut.
Hildegarde n’en met pas moins en évidence le caractère unique de
l’humilité en écrivant : « L’humilité ne détient rien, elle maintient tout au
sein de l’amour, c’est en son sein que Dieu se penche vers la terre, et c’est
par elle qu’il rassembla toutes les vertus 37. » Elle est pure grâce et apparaît
comme un vrai charisme.
Dans la première vision du Scivias, on trouve une conception analogue.
Dans ce premier ouvrage d’Hildegarde de Bingen, l’humilité n’est pas
représentée comme telle, mais elle est l’attitude fondamentale des deux
petits personnages au bas de la gravure qui symbolisent respectivement la
crainte de Dieu et la pauvreté en esprit. Elle leur permet de recevoir
entièrement leur vie du Christ Pantocrator qui se trouve au sommet de la
montagne. Peut-être Hildegarde est-elle influencée ici par les douze degrés
de l’humilité de la Règle de saint Benoît, qu’elle pratique quotidiennement.
Commentant cette vision d’Hildegarde, peinte sur le mur du réfectoire
d’un des couvents de moniales qu’il a visités dans son Premier Sermon
pour la fête de la Dédicace, Jean Tauler voit dans ces deux petits
personnages l’expression de l’humilité qui permet de recevoir toute sa vie
de Dieu, qui est la condition de la naissance de Dieu dans l’âme.
Dans la deuxième vision du Scivias au numéro 33, il est donné à
Hildegarde de comprendre que l’« humilité est comme l’âme et la charité
comme le corps : elles ne peuvent être séparées l’une de l’autre, mais elles
opèrent ensemble 38 », comme elle le montrera plus nettement dans la
huitième vision du Livre des œuvres divines.
Force est donc de constater qu’Hildegarde de Bingen va assez loin dans
l’approfondissement de l’humilité et que les représentations qui en ont été
données sont significatives. Elle en fait ainsi ressortir l’importance, voire le
caractère décisif.
L’amour

Elle n’en oublie pas pour autant la place de l’amour, mais à la limite,
celle-ci va de soi, comme lui dit la voix : « En moi qui suis l’amour, toutes
les créatures ont resplendi. Ma splendeur a révélé leur forme, de même que
l’ombre traduit la forme. Dans l’humilité, mon soutien, la création
s’épanouit sur l’ordre de Dieu, en cette même humilité 39. » Apparemment,
l’amour est du côté de Dieu et l’humilité du côté de la créature. À la limite,
les choses sont plus complexes, car Hildegarde comprend, une nouvelle fois
à partir de là, le sens de la création, comme elle l’explique : « C’est que
l’homme est totalement l’œuvre de Dieu. Il regarde le ciel et il terrasse la
terre qu’il domine 40. » Il vit de l’amour de Dieu, il est microcosme de la
création, mais en tant que créature, il est distinct de Dieu et bien inférieur,
l’humilité lui donne sa juste place, d’où le lien indissociable entre amour et
humilité.
L’Incarnation du Fils, qui de Dieu s’est fait homme pour permettre à
l’homme d’être introduit dans la vie même de Dieu, en est l’expression. La
nuée des saints qui domine la miniature en témoigne, comme l’explique
Hildegarde : « Ils montrent que l’on acquiert la gloire des sommets par
l’amour et l’humilité : les esprits des fidèles montent comme les nuées de
vertu en vertu 41. » Ceux qui ont vécu pleinement l’amour et l’humilité
vivent déjà dans la gloire de Dieu. C’est d’une certaine manière
l’expression de la communion des saints, concernant tous les états de vie,
qui intervient dans cette vision d’Hildegarde.

La paix

En revanche, Hildegarde parle assez peu de la paix, dans la mesure où


elle n’est pas établie de manière durable. C’est bien plutôt le « Fils de Dieu
qui la rétablit 42 ». Sa place à l’extérieur de la fontaine de vie montre
justement cette situation intermédiaire de la paix, qui est donnée par Dieu
mais qui est toujours à réaliser.

Avec cette vision, c’est déjà l’expression de la création nouvelle qui se


réalise par l’amour et l’humilité caractérisant le Fils de Dieu et l’Esprit
Saint.
NEUVIÈME VISION

La Sagesse et la toute-puissance
de Dieu

C’est toujours la figure de la cité qui prédomine dans la reproduction de


la neuvième vision (fig. 15), alors qu’elle a peu de place dans le texte
d’Hildegarde, mais cette fois, la cité est au nord et elle semble prendre feu
en raison de la fumée et des flammes que l’on voit s’échapper. Deux
personnages se trouvent au-dessous de la cité, l’un féminin, l’autre curieux,
avec un corps de poisson, des ailes et une tête d’homme. Une main avec un
phylactère sort de la nuée.
Hildegarde en parle en ces termes : « Je vis une figure dont le visage et
les pieds rayonnaient d’un tel éclat que mes yeux en étaient éblouis. Sur sa
robe de soie blanche, elle portait un manteau vert, richement orné des
gemmes les plus diverses. À ses oreilles, un pendentif, un collier sur la
poitrine, aux bras des anneaux, des bijoux d’or fin sertis de gemmes. Mais
au centre de la région du septentrion, j’aperçus une seconde figure. Étrange
apparition, dressée. À la place de la tête, une splendeur qui m’éblouissait.
Au centre de son ventre, on voyait la tête d’un homme aux cheveux gris,
barbu. Ses pieds ressemblaient à des griffes de lion. Elle portait six ailes
[…]. Ces ailes se levaient parfois, comme si elles voulaient se déployer
pour permettre le vol. Tout le corps de la figure était recouvert, non pas de
plumes, mais d’écailles comme un poisson. Quant aux ailes de la nuque,
elles portaient cinq miroirs. Le miroir supérieur, sur l’aile droite, portait
l’inscription : “Voie et vérité.” Le deuxième miroir du milieu : “Je suis la
porte de tous les arcanes de Dieu.” Le miroir du bout de l’aile droite : “Je
suis l’ostension du bien tout entier.” Le miroir supérieur de l’aile gauche :
“Je suis le miroir qui reflète les bonnes intentions des élus.” Au bout de
l’aile, on lisait, au-dessus du cinquième miroir : “Dis-nous si c’est bien toi
le roi du peuple d’Israël.” La figure tournait le dos à l’aquilon. Quant à la
totalité de la région occidentale, elle était recouverte de terribles ténèbres
qui fumaient. Le coin de ladite zone qui regardait le septentrion vomissait
quant à lui un mélange noirâtre de feu et de soufre, en une épaisse ténèbre.
Et ce mélange se convulsait jusqu’au milieu de la région du septentrion 43. »
Cette vision semble relever de la théophanie si l’on considère seulement
le personnage avec le manteau vert qui peut exprimer la viriditas, la
« viridité », cette force de vie à laquelle Hildegarde se réfère souvent et
pour laquelle elle a composé l’hymne « O nobilissima viriditas ». On le
retrouve, comme en rappel, sur la miniature dans le cadre où se trouve la
visionnaire, et qui exprime ici la Sagesse. En revanche, cette même vision
est inquiétante de par le feu qui s’échappe de la cité.

La Sagesse

Une voix lui en indique le sens : « Le Dieu tout-puissant, qui a fondé


par la Sagesse toute la création, a manifesté ses œuvres merveilleuses en
une multiplicité de signes. Ses merveilleux dons, il les a distribués à chaque
créature selon sa volonté. Ainsi il a voulu redonner à l’homme la béatitude
supérieure, et il a désiré lui montrer, en détail, par ces merveilleuses figures,
comment étaient les demeures célestes, celles de la terre, celles des
enfers 44. » C’est toute la pédagogie de Dieu qui se déploie à travers cette
vision. L’objectif en est le même que dans les premières visions de ce même
livre : il s’agit de faire comprendre à l’être humain la beauté de la création
et de la création nouvelle et plus largement de faire ressortir la sollicitude
de Dieu pour lui, comme le manifestent les deux figures.
La voix poursuit en effet : « La figure que tu aperçois près de l’angle du
septentrion […], c’est la Sagesse de la vraie béatitude. Son commencement
et son terme dépassent l’entendement de l’homme, car sa même lumineuse
prescience en regarde et en prévoit le début et la fin. Sa robe de soie
blanche, c’est le Fils de Dieu qui s’incarne dans la virginale beauté et qui
étreint l’homme de la blancheur et de la suavité de son amour […]. Si le
manteau est vert, orné de pierres précieuses, c’est que la Sagesse ne rejette
pas ces créatures extérieures dont l’esprit meurt avec la chair […]. Elle les
fait croître, les préserve, car elles protègent l’homme de l’esclavage, en
assurant sa nourriture. Elles portent aussi les ornements de la Sagesse : c’est
qu’elles n’outrepassent pas leur nature, à la différence de l’homme qui
transgresse souvent le droit chemin qui lui est réservé. Les bijoux que la
figure porte rappellent que toutes les créatures lui obéissent et gardent en
mémoire ses préceptes […]. Tout ce qui a pour source la Sagesse lui fait
une parure d’une pureté, d’une élégance extrêmes, toutes les créatures
resplendissent en elle du plus splendide éclat de son essence. L’homme lui-
même qui accomplit les commandements divins est le vêtement blanc et
suave de la Sagesse. Si ce vêtement est vert, c’est que les intentions sont
bonnes et pleines de vie, ses œuvres ornées d’une légion de vertus. Ses
boucles d’oreilles rappellent que l’homme refuse d’entendre les méchants
murmures ; si sa poitrine est protégée, c’est que l’homme néglige ses désirs
illicites. Les anneaux des bras évoquent le courage qui lui permet de se
défendre du péché 45. »
C’est donc la Sagesse 46 qui est représentée ici au nord. Sa
transcendance, son rayonnement sont évoqués par la couleur ocre de son
visage, de ses mains et de ses pieds, comme pour les autres visions. Ses
mains n’étaient pas mentionnées dans la vision, mais elles apparaissent sur
l’enluminure en signes de bénédiction. On peut simplement se demander
pourquoi Hildegarde se réfère, comme le fera plus tard Henri Suso, à la
Sagesse et non au Christ. Elle est apparemment marquée par le livre de la
Sagesse, où la Sagesse est l’artisan de la création, comme une préfiguration
du Christ. La représentation de la Sagesse, qui est donnée dans le texte et
sur la miniature, est classique 47.
La Sagesse, qui est une figure du Fils, a présidé à la création, mais elle
est également à l’œuvre dans la création nouvelle. La robe de soie blanche
dont la figure est revêtue le manifeste, elle symbolise l’Incarnation qui,
dans l’admirable échange de la divinité et de l’humanité qu’elle implique,
est chemin de vie pour l’être humain. Le manteau vert renvoie, comme on
l’a vu, à la viridité et souligne que la Sagesse assume toute la création.
C’est aussi tout le volet physique, médical, de l’œuvre d’Hildegarde qui est
impliqué ici.
De nouveau, Hildegarde est rendue attentive à la beauté et à la bonté de
la création, récapitulée dans la Sagesse, qui est une figure du Christ et
appelée en lui au salut.

La toute-puissance de Dieu

L’autre figure est énigmatique. La voix lui dit qu’elle « désigne le Dieu
tout-puissant qui s’oppose à la force et au jugement inique de l’antique
serpent, invisible, en sa majesté, merveilleux de par ses énergies, parce que
personne ne peut achever la profondeur de ses mystères. Au sommet de la
figure, à l’endroit de la tête, si la clarté est foudroyante en son rayonnement
au point de t’éblouir, c’est qu’aucun vivant, tant que l’alourdit le corps
mortel, ne peut voir l’excellence de la divinité, qui illumine tout 48 ». C’est
une manifestation du Dieu tout-puissant qu’il lui est donné de percevoir à
travers cette étonnante figure. Comme pour la Sagesse, sa tête est pur
rayonnement, ce qui n’est pas sans faire penser à l’Esprit Saint.
La tête d’homme qui se trouve au milieu de la figure « rappelle la
présence, dans la perfection des œuvres divines, de l’antique projet du salut
de l’homme […]. Si la tête est une tête d’homme, c’est que Dieu créa
l’homme à son image et à sa ressemblance, c’est qu’il lui donna pouvoir
d’opérer le bien, tant qu’il en serait capable, de célébrer son Créateur, de ne
pas l’oublier. Mais, personne n’est semblable à Dieu, personne ne peut être
Dieu 49 ». C’est de nouveau la bonté de Dieu et sa prévenance pour l’être
humain qui sont évoquées par cette tête, renvoyant au salut de l’être
humain. À considérer cette tête, force est de constater qu’elle est analogue à
la tête du Père qu’on trouve sur la planche correspondant à la première
vision.
« Quant aux griffes de lion, elles rappellent que Dieu cache aux
hommes mortels sa divinité, mais qu’il leur montre un grand nombre de
biens par ses préceptes, par ses lois, dans les autres créatures. Toute sa
création, il l’attirera à lui par son Fils comme des griffes de lion 50 », le lion
étant une image du Christ dans l’Apocalypse (5, 5), reprise dans le
Physiologus par exemple. Cette fois, ce n’est plus le rayonnement mais ce
sont les griffes qui traduisent le mystère de Dieu.
Les six ailes, elles, renvoient aux six jours de la création : « Les deux
ailes ascendantes qui se rejoignent pour protéger la clarté désignent l’amour
de Dieu et du prochain […]. Dieu les a placées près de son visage, il a fait
d’elles les miroirs de ses merveilles […]. Les deux ailes qui partent des
épaules et qui passent derrière la nuque, ce sont l’Ancien et le Nouveau
Testaments : dans l’Ancien, les prophètes annoncèrent le Fils de Dieu que
les fils de l’Église, dans le Nouveau, accueillirent par le sacrifice de leur
foi. Ainsi toute cette figure proclame la puissance de Dieu qui peut créer,
agir comme il le veut […]. Quant aux ailes inférieures, elles désignent le
présent et le futur 51. » Implicitement, les six ailes renvoient aux séraphins
qui contemplent la gloire de Dieu, qui, dans la Hiérarchie céleste de Denys
l’Aréopagite représentent le premier chœur des anges, celui qui est le plus
près de Dieu. Hildegarde ne le dit pas, mais s’y réfère implicitement, tout
en précisant de manière originale le sens de chaque paire d’ailes.
Ce qui est étonnant en revanche, c’est le corps de cette figure, car ni
Dieu ni les anges n’ont de corps, mais le sens en est expliqué en ces termes
à Hildegarde : « Si le corps est recouvert d’écailles comme un poisson et
non de plumes comme un oiseau, en voici la raison : de même que nous
ignorons comment naissent les poissons et comment ils se développent,
comment ils sont entraînés par les eaux courantes, de même le Fils de Dieu
est né dans sa sainteté parfaite en une nature étrange […]. Ainsi le Dieu
vivant offrit son Fils, lui donna une apparence semblable à celle d’Adam,
pour qu’il rachetât l’homme par le vêtement de son humanité 52. » La figure
prend ici tout son sens. Dieu, étant en lui-même invisible, n’est perçu que
par son rayonnement. En revanche, par l’Incarnation de son Fils, il vient
partager notre humanité et devient représentable. Mais là les choses sont un
peu plus complexes dans la mesure où c’est le mystère même de
l’Incarnation qui est évoqué dans cette vision. S’y ajoute le fait que, dans
les premiers siècles, l’ichthus (signifiant « Jésus-Christ, Fils de Dieu,
Sauveur ») est le signe de reconnaissance des chrétiens. Finalement, cette
étrange figure n’est pas sans faire penser à la Trinité 53 et présente une
certaine analogie avec celle de la première vision.
Le sens des miroirs est ensuite précisé : « Les deux ailes intermédiaires,
est-il dit, portent cinq miroirs : ainsi dans l’Ancien et le Nouveau
Testaments, nous voyons les luminaires des différentes époques. Ils sont au
nombre de cinq : Abel, Noé, Abraham, Moïse, puis le Fils de Dieu. Tous les
cinq éclairent tout ce qui sert l’homme sur le chemin de la vérité. Mais c’est
le Fils de Dieu qui, par sa Passion, a ouvert la clôture des joies célestes 54. »
Comme le deuxième personnage de la septième vision évoqué plus haut,
ces miroirs renvoient aux cinq âges du monde, largement développés par les
Pères et les médiévaux. Ils mettent en évidence la continuité de la
Révélation : depuis les mystères de Dieu jusqu’à l’Incarnation.
À considérer les deux figures, force est de constater qu’elles ne sont pas
sans renvoyer au Christ et à la Trinité, et qu’elles illustrent, à leur manière,
le verset 1 de Corinthiens 1, 24, disant que « le Christ est puissance et
sagesse de Dieu ».

Les ténèbres

« Quant au mélange noirâtre de feu et de soufre dans le bouillonnement


d’épaisses ténèbres, dans le coin de ladite zone, quant à son extension
jusqu’au milieu de la zone septentrionale, il évoque la profondeur du
châtiment, ce lac où se perdent les âmes de ceux qui ont méprisé Dieu et qui
ont refusé de connaître Dieu par des œuvres bonnes. La dilatation même de
cette fumée rappelle que la science humaine ne peut totalement comprendre
la diversité de ces peines […]. L’homme qui suit la voie de la folie et qui
déteste la Sagesse qui a tout créé se condamne lui-même 55. » Après avoir
mis en évidence la sollicitude de Dieu pour l’homme, la voix montre à
Hildegarde l’importance de répondre au projet divin. C’est là tout le rôle de
la liberté personnelle qui peut amener à l’accomplissement ou à la chute.

La beauté de la création

Vient ensuite un passage sur la beauté de la création qui n’apparaît pas


sur l’enluminure, mais qui est intervenu dans les quatre premières
enluminures. Elle est présentée comme le « vêtement de la Sagesse 56 »,
d’où sa couleur verte.
Finalement, c’est sur l’homme microcosme de la création que se
termine la vision. Ainsi Hildegarde écrit-elle : « Dieu a enfermé dans
l’homme qu’il a formé ses mystères cachés, l’homme a été créé à sa
ressemblance par la connaissance, par la pensée et par l’action […].
L’homme est la clôture des merveilles de Dieu. C’est Dieu qui ordonne,
c’est l’homme qui pense […]. L’homme qui est la clôture de ses merveilles
connaît Dieu par l’œil de la foi, il l’embrasse du baiser de la connaissance,
il ne peut le voir avec les yeux de la chair, mais il agit en suivant son
exemple 57. » Au cours de ces visions, Hildegarde développe une
anthropologie optimiste, où l’homme est non seulement le sommet de la
création mais aussi et surtout l’interlocuteur de son Créateur, d’où sa
responsabilité dans l’accomplissement du projet qui lui est confié, sans
oublier la prévenance de Dieu qui lui apporte le salut par le Christ et qui
l’invite à entrer dans la vie trinitaire.
DIXIÈME VISION

La théophanie de la charité

Cette dixième vision (fig. 16) constitue véritablement le point d’orgue


de l’ouvrage. Elle est toute de paix et de beauté. Elle a une dimension
prophétique d’accomplissement. La main bénissant qui sort de l’étoile pour
dérouler le phylactère semble la donner (fig. 17). La cité est toujours
présente. Une montagne se trouve à sa gauche, comme dans la sixième
vision. Elle la relie à un cercle où se trouve une figure féminine qui semble
récapituler toute la création et qui a l’attitude d’un Christ Pantocrator, à
cette différence près qu’au lieu de bénir, elle exprime le détachement. Dans
sa main gauche, elle porte une tablette étincelante qui a la forme du livre
des Écritures ouvert, alors qu’en général le Christ Pantocrator porte le Livre
fermé pour signifier par là qu’il accomplit l’Écriture, et s’il tient parfois
également le Livre ouvert, c’est avec un passage qui le concerne
particulièrement, alors qu’ici le texte ne vient pas de l’Écriture, et sur
l’enluminure, le texte n’a pas été repris. La forme du cercle et celle du carré
sont réunies, en un accomplissement, dans cette miniature.
Hildegarde fait le récit de sa vision en ces termes : « Je vis ensuite, près
de la montagne située au centre de la partie orientale, comme une roue
d’une surprenante amplitude, qui ressemblait à un nuage blanc et qui était
tournée vers l’orient. Cette roue était coupée en deux par une ligne
transversale, qui se déployait de gauche à droite, comme la respiration d’un
homme. Dans la moitié supérieure de la roue, du sommet jusqu’au milieu
de ladite ligne, on voyait descendre un rayon, comme une aurore
rougeoyante. La partie supérieure de la roue, du côté gauche, jusqu’en son
milieu, émettait une couleur verte, et du côté droit jusqu’au milieu une
couleur rouge : les deux espaces qu’occupaient ces deux zones colorées
étaient identiques. La moitié de la roue située au-dessous de la ligne
transversale était d’un blanc mêlé de noir. Or voici qu’au milieu de la roue
et sur la ligne dont je viens de parler apparut, trônant, une figure qui
m’avait été auparavant présentée comme étant l’amour. Sa parure était
cependant différente de l’apparition précédente : son visage resplendissait
comme le soleil, ses habits avaient la splendeur de la pourpre, et elle portait
un collier d’or orné de pierres précieuses. Ses sandales avaient l’éclat de
l’éclair. À la hauteur du visage, elle tenait une tablette qui brillait comme un
cristal. Cette tablette portait l’inscription : “Je me manifesterai dans la
beauté, tel l’argent, car la divinité, qui ignore le commencement, possède
une grande clarté. Mais tout ce qui a un commencement connaît des
contradictions angoissées, et ne peut saisir les secrets de Dieu en pleine
connaissance.” La figure contemplait la tablette. Puis la ligne sur laquelle
elle avait établi son trône se mit à bouger, et à l’endroit où la ligne était
reliée à la roue, du côté gauche, le bord de ladite roue se mit à devenir
liquide dans un coin réduit, avant de se colorer en rouge, puis de devenir
pur et lumineux, puis à nouveau troublé et tempétueux 58. »
La forme de la roue, omniprésente dans les premières visions, revient.
C’est une roue animée d’un mouvement intérieur et comportant une figure
qui n’est plus celle de l’être humain mais d’une personnification de
l’amour, qui était déjà intervenue dans la huitième vision. La représentation
qui en est donnée sur cette enluminure est différente de la précédente, tant
dans l’expression, qui est presque celle de la majestas Domini 59 d’un
tympan roman ou de manuscrits, que dans la couleur, plus proche ici du vert
que du pourpre, mais cela tient certainement au peintre. Il n’en demeure pas
moins qu’Hildegarde est la « première femme mystique à personnifier
l’amour dans une fort belle apparition féminine 60 ».
61
Le cercle et ses couleurs

L’explication de cette vision est ensuite donnée à Hildegarde : « Dieu


est unique, il est le feu qui vit, le feu par lequel les âmes respirent, le feu qui
existait avant le commencement, le feu qui est l’origine et le temps des
temps. Voilà tout ce que manifeste notre vision. La roue que tu aperçois,
c’est Dieu, qui n’a ni commencement ni terme, c’est Dieu qui manifeste sa
mansuétude dans ses œuvres, et qui se montre disposé à l’accomplissement
de tous les biens. La ligne sombre transversale, c’est la volonté de Dieu :
elle pénètre entièrement le monde périssable ; elle inspire le terme de ce
monde, l’éternité ; elle sépara les réalités temporelles des réalités éternelles.
L’autre ligne qui rougeoie comme l’aurore a trait à l’ordonnance divine
[…], elle est prête à toute justice. La partie verte sur le côté gauche a la
signification que voici : quand Dieu décida de faire agir les créatures dans
les formes qu’il avait prescrites, il les tint pour ainsi dire enfermées dans la
viridité de sa volonté. Quant à la couleur rouge sur la droite, elle montre
que Dieu, après la fin du monde, améliorera tout ce qui sert la vie dans le
siècle transitoire […]. Si les deux espaces, le vert et le rouge, sont
identiques, c’est que l’éternité n’a pas de commencement ni de fin […] : le
début et la fin du monde sont comme enfermés dans un cercle unique qui
les englobe. La couleur blanche mêlée de noir du cercle inférieur désigne
les temps caducs […]. Cette zone inclut aussi bien la marque pénible de la
pâleur des angoisses que la noirceur des tribulations […]. La couleur rouge,
c’est la constance, la permanence qu’atteindra la création après la fin du
monde, quand tout sera parfait 62. »
On peut tout d’abord noter une continuité avec les visions précédentes :
la roue représente Dieu dans son unité, comme elle évoquait la Trinité dans
les visions 2 à 5. On pourrait même envisager un parallèle avec la deuxième
vision de la deuxième partie du Scivias, qui montrait une figure humaine,
certainement le Christ à l’intérieur de la Trinité. Désormais, la roue est
quant à elle compartimentée, animée par la volonté de Dieu qui la traverse
et par son œuvre d’organisation de la création, Hildegarde reprenant ici la
rectitudo d’Anselme. Le vert renvoie à la viridité, à la force de vie que Dieu
donne à sa création, le rouge à son accomplissement dans l’amour, le blanc
et le noir aux vicissitudes que connaît la création.

La charité

Ensuite, le sens de la figure centrale (fig. 18), qui apparaît en une


théophanie cosmique, est expliqué à Hildegarde : « La figure de l’amour
que tu aperçois au centre de la roue, et dont la parure est différente de la
parure que tu avais vue dans une autre vision, montre qu’à cette perfection
qui permet à la puissance de Dieu de tout soumettre est joint l’amour,
comme en une sorte de quiétude : c’est que l’amour accomplit la volonté de
Dieu tout entière. Si l’amour revêt différentes parures, c’est que ces parures
sont aussi nombreuses que les vertus qui œuvrent dans l’homme : l’amour
est la source de tout bien 63. » La vision précédente mettait l’accent sur la
Sagesse, qui a d’importantes analogies avec la charité, et sur la toute-
puissance de Dieu, représentée par cet être étonnant qui intervenait, alors
que cette fois c’est la charité qui est centrale. Elle n’est plus liée à l’humilité
et à la paix, comme dans la huitième vision, mais elle est tout entière
articulée à la volonté de Dieu. Dans la représentation qui en est donnée, les
yeux et l’oreille, d’une taille démesurée, prédominent 64, ce qui amènerait à
penser que la charité est toute vision et écoute, les deux sens les plus
spirituels, comme Hildegarde qui est traversée par ses visions et qui, suivant
la tradition hébraïque et bénédictine, est tout écoute.
En tout cas, la transcendance de cette figure est radicale, mais elle
exhorte à la suivre, comme en témoigne son « visage [qui] a l’éclat du soleil
pour indiquer que l’homme doit diriger vers le vrai soleil toutes les bonnes
actions de son cœur 65 ». Raison et cœur sont indissociables, comme le
manifeste « sa tunique [qui] est de pourpre : l’homme qui se fait un
vêtement du cœur même de la miséricorde aide autant qu’il le peut toute
personne qui s’adresse à lui. Le collier d’or serti de pierres précieuses
signale que […] si l’homme s’humilie totalement, il montre véritablement
qu’il est réellement soumis à Dieu, comme le Fils de Dieu 66 ». Ce collier est
identique à celui que portait la Sagesse dans la vision précédente. C’est un
chemin de vie qui est proposé, celui du Christ humble (Ph 2), de l’humilité
qui est au cœur de la Règle de saint Benoît qu’Hildegarde suit
quotidiennement, comme l’expriment les sandales de la figure.
« Si, en effet, elles ont l’éclat de la foudre, c’est que toutes les voies que
suit l’homme sont dans la lumière de la vérité, afin que l’homme suive les
traces du Christ, afin qu’il demeure pour les autres un exemple de rectitude
et de fidélité 67. » Hildegarde fait preuve ici d’optimisme, comme d’ailleurs
dans toute son œuvre, même si Dieu est insaisissable, comme le montre la
tablette. Cette « tablette qui étincelle comme le cristal montre que personne
ne peut pleinement saisir la divinité ; elle n’a pas de commencement et elle
n’est soumise à aucun commencement. C’est par le regard de l’amour que
la prescience de Dieu se manifeste […]. Si la ligne sur laquelle se trouve le
trône de la figure se met en mouvement, c’est que lorsque l’amour de Dieu
contempla sa prescience, tout ce qui devait se réaliser dans les créatures
apparut […]. La volonté de Dieu, à laquelle l’amour est joint comme en une
sorte de quiétude, entreprit ensuite la formation des créatures […]. Après
toutes les créatures, Dieu créa l’homme, afin que l’homme n’eût aucun
manque à subir une fois formé. Il donna à l’homme la lumière de l’esprit
vivant, il le consolida merveilleusement de deux modes particuliers, afin
qu’il fût feu et flamme : le feu dans l’âme, et dans la raison, cette flamme
qui jaillit du feu. La flamme de la raison sait où elle doit opérer après le
baiser de la grâce ; elle sait ce qu’est la science du bien et du mal 68 ». De
nouveau, Hildegarde rappelle la positivité de la création, dont l’homme est
le sommet.
Dieu n’en continue pas moins à être attentif à sa création et à intervenir
quand il le faut. Ainsi est-il dit à Hildegarde : « Le coin de la zone
inférieure gauche, qui se met à devenir liquide, rappelle le jugement de ma
puissance, qui décida de l’effusion des eaux du Déluge, quand ma volonté,
jointe à ma puissance, eut engendré les créatures […]. Adam et ses fils
engendrèrent certes des germes convenables, dans la crainte de Dieu et
selon la nature de l’homme, mais leurs descendants s’opposèrent d’une
honteuse façon à la nature de l’homme […]. Les strates, rouge, puis
blanche, qui apparaissent sous cette partie aqueuse évoquent l’époque qui
va du Déluge à l’Incarnation de mon Fils 69. »
De nouveau, Hildegarde se réfère aux âges du monde et elle les
explique dans la suite de la vision, en une histoire générale du salut, dont
l’enluminure présente la synthèse en dédoublant, en quelque sorte, le demi-
cercle, qui se trouve au-dessus d’Hildegarde. Cela donne l’impression que
la charité se trouve dans une auréole ou au milieu de l’arc-en-ciel,
renforçant ainsi l’impression de théophanie qui ressort de cette image.

L’anti-Christ

L’enluminure, qui est toute de paix, ne prend pas en compte la référence


à l’anti-Christ, présente dans le texte d’Hildegarde : « Voici que surviendra
ce lion que nous avons annoncé dans le Scivias ! Or voici que surgiront bien
des guerres dures et cruelles, une fois rejetée la crainte de Dieu, voici le
meurtre de bien des hommes, et bien des cités qui sombreront dans la
destruction 70 ! » C’est là le volet apocalyptique de l’œuvre d’Hildegarde,
qui est beaucoup plus perceptible dans l’iconographie du Scivias. Il est vrai
que dans son ensemble Le Livre des œuvres divines est plus serein, mettant
en évidence la continuité entre la création et le salut.
Comme le dit Hildegarde en un répons célèbre, l’« amour inonde toutes
choses » : Caritas abundat in omnia de imis excellentissima super sidera
atque amantissima in omnia, quia summi regi osculum pacis dedit.

Épilogue

L’épilogue qui n’apparaît pas dans la traduction française et n’intervient


que dans le manuscrit du Riesenkodex de Wiesbaden n’en est pas moins
intéressant. Hildegarde y remercie en effet le moine Volmar qui a transcrit
ses visions et qui est représenté en marge de la première vision. Mais
Volmar étant mort lors de la rédaction de l’ouvrage, Hildegarde a eu
d’autres secrétaires en la personne de Louis de Trèves et de son frère
Wescellin, qu’elle remercie également. Ces différents moines ont non
seulement transcrit les visions de l’abbesse, mais ils ont dû également leur
donner un apport théologique, ou du moins les situer dans la théologie de
l’époque, ce qui amène à se demander quelle a été leur part dans
l’élaboration du texte d’Hildegarde (mais là aussi la question reste ouverte)
et quel message théologique ils souhaitaient transmettre à travers ses
visions qui étaient largement reconnues depuis leur authentification par
Bernard de Clairvaux.
Conclusion

Le Livre des œuvres divines est considéré, à juste titre, comme le chef-
d’œuvre d’Hildegarde, c’est également son ouvrage le plus difficile, dans la
mesure où, par ses visions, elle est en quelque sorte plongée au cœur de
l’agir divin et s’en fait l’écho autant qu’elle le peut. L’iconographie qui est
jointe au livre et qui essaie de rendre compte au mieux de ses visions en
facilite l’accès et laisse parfois percevoir l’indicible par le jeu des couleurs
et des symboles.
Sans doute ce cycle d’illustrations, où la visionnaire est représentée sur
chacune des planches, avait-il pour but d’aboutir à sa canonisation, qui est
intervenue seulement huit siècles plus tard… Aussi a-t-il une dimension
pédagogique indéniable, tout en suivant le texte d’Hildegarde. Il déroule
toute une théologie en images qui fait comprendre que la Trinité est
créatrice, en la présentant sur la première enluminure, puis en montrant
comment elle procède à la création qui trouve son sommet dans l’homme,
avant de laisser ce dernier gérer la création, tout en lui prêtant son aide,
comme le montrent les planches suivantes. Ce sont également la bonté et la
beauté de la création qui se dégagent de ces représentations. Tout est calme
et beauté, induisant une théologie de la beauté et de la gloire, qui se situe
déjà dans l’éternité et qui constitue le point d’orgue de cette théologie au
tournant du XIIe et du XIIIe siècle.
Une esquisse de mouvement intervient dans l’iconographie de la
cinquième vision, où la liberté de l’être humain est engagée, mais où tout
semble apaisé, à la différence du Scivias, qui a une dimension plus
dramatique, plus apocalyptique dans sa représentation de la création et du
salut.
Les cinq dernières visions, qui déroulent le plan du salut, laissent
percevoir quelque chose de la vie divine, de la Jérusalem céleste. Elles sont
inhabituelles mais, par un habile jeu de couleurs, sur fond d’or, elles
évoquent l’accomplissement, l’œuvre du salut. Elles adoucissent le texte
d’Hildegarde, en faisant ressortir la continuité entre la création et le salut,
ce qui est aussi une prise de position, peut-être due à Volmar, à l’encontre
de la sotériologie d’Anselme de Cantorbéry, qui envisageait le salut en
termes de rachat, alors que pour la théologie de la création Hildegarde est
proche d’Anselme en tant qu’elle met en évidence l’action constante et
régulatrice du Créateur.
On peut également noter la perfection formelle de l’ouvrage qui induit à
penser qu’il est l’œuvre d’un atelier d’enlumineurs de métier, bien qu’il soit
encore difficile de déterminer lequel dans la mesure où on peut y distinguer
diverses mains avec des influences françaises : non seulement celle de
Nicolas de Verdun, mais aussi des influences strasbourgeoises, du fait que
les figures émergeant de la fontaine de vie ne sont pas sans faire penser à la
statue de l’église de la cathédrale de Strasbourg, par exemple 1… Il n’en est
pas moins possible que ces artistes soient venus au Rupertsberg ou aient été
en lien avec le monastère. À considérer la facture des miniatures, la
recherche géométrique qui y est mise en œuvre semble plutôt dater du
e 2e
XII siècle que du XIII , ce qui amène à penser qu’Hildegarde a pu jouer un

rôle dans l’élaboration de l’iconographie. En revanche, le texte a pu être


copié plus tard.
Finalement, Hildegarde, qui a été fortement influencée par le prologue
de l’Évangile de Jean, en propose une magistrale interprétation dans
Le Livre des œuvres divines, tant par la vision cosmique qu’elle donne de la
création et de la place de l’être humain dans la création, que par
l’explication du motif de la création qui n’est autre que la filiation divine. À
sa manière, elle commente, en prophétesse, le prologue de Jean et en donne,
grâce à ses visions, une version illustrée, actualisée et parlante.
Son œuvre n’a peut-être pas eu la postérité qui aurait dû être la sienne, à
cause de l’arrêt de son procès de canonisation (pour des raisons techniques),
mais elle a été toujours été une référence en Allemagne et, au XIVe siècle,
elle n’a pas été sans influencer par exemple les mystiques rhénans, non
seulement Jean Tauler qui lui a consacré son Sermon sur la Dédicace, mais
aussi Eckhart, qui est un grand commentateur de l’Évangile de Jean. La
redécouverte de son œuvre en France depuis quelques années est pleine
d’espérance.
Repères chronologiques

1098 Naissance d’Hildegarde à Bemersheim


(Rhénanie).
1106 Confiée à la recluse Jutta von Spanheim au
monastère du Disibodenberg.
1113 Vœux de moniale bénédictine.
1136 Élue abbesse du monastère.
1141 Début de la mise par écrit de ses visions et
composition du Scivias.
1148-1150 Fondation du monastère du Rupertsberg.
1158-1163 Composition du Livre des mérites de la vie.
1163-1173/1174 Rédaction du Livre des œuvres divines.
1165 Fondation du monastère d’Eibingen.
1170-1174 Premier texte du Livre des œuvres divines (Genter
Codex).
1173 Mort de Volmar.
1179 Mort d’Hildegarde dans son monastère du
Rupertsberg.

Hildegarde est fêtée le 17 septembre.


Notes

Introduction
1. Lucca, Biblioteca Statale, Codex Latinum 1942. Voir Hildegardis Bingensis, Liber
divinorum operum, A. Derolez et P. Dronke (éd.), Turnhout, Brepols, 1996, p. CIII-CVII.
2. Il existe une présentation générale du manuscrit par A. R. Calderoni Masetti, G. Dalli
Regoli, Sanctae Hildegardis Revelationes. Lucca, Biblioteca Statale, MS 1942, Lucca,
1973, ainsi qu’une étude ponctuelle de K. Suzuki, Bildgewordene Visionen oder
Visionserzählungen : Vergleichende Studie über die Visionsdarstellungen in der
Rupertsberger « Scivias »-Handschrift und im Luccheser « Liber divinorum operum »,
Bern, Peter Lang, 1998, et un article de référence de R. Otto, « Zu den gottischen
Miniaturen einer Hildegardhandschrift in Lucca », Mainzer Zeitschrift. Mittelrheinisches
Jahrbuch für Archäologie, Kunst und Geschichte, 71-72 (1976-1977), p. 110-126.
3. B. M. Kienzle, D. L. Stoudt, G. Ferzoco, A Companion to Hildegard of Bingen, Leiden,
Brill, 2014.
4. R. Pernoud, Hildegarde de Bingen, la conscience inspirée du XIIe siècle, Paris, Le Livre de
poche, 1996.
5. La Vie de sainte Hildegarde et les actes de l’enquête en vue de sa canonisation, C. Munier
(éd.), Paris, Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2000.
6. Cf. G. Iversen, « Réaliser une vision. La dernière vision du Scivias et le drame Ordo
virtutum de Hildegarde de Bingen », Revue de musicologie, 86 (2000), p. 37-63.
7. Édité en un volume : Hildegardis Bingensis, Thesaurus, t. 1, Visiones, Brepols, Turnhout,
1998.
8. B. Gorceix, « Introduction », in Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, Paris,
Albin Michel, 1982, p. XXVI.
9. Vie, L, II, § 16.
10. Hildegarde de Bingen, Scivias, P. Monat (éd.), Paris, Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes »,
1996, p. 28-29.
11. Élisabeth de Schönau, Visions, Paris, Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2009.
12. Vie, p. 135.
13. Saint Augustin, De Genesi ad litteram, XII, BA 49, p. 351.
14. S. Gouguenheim, La Sibylle du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse
rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 149.
15. M. Zatonyi, Vidi et intellexi. Die Schrifthermeneutik in der Visionstrilogie Hildegards von
Bingen, Münster, Aschendorff, 2012, p. 13-14.
16. Ibid., p. 14.
17. Vie, op. cit., I, 4, p. 118.
18. Cf. J.-C. Schmitt, « Quand la lune nourrissait le temps avec du lait. Le temps du cosmos et
des images chez Hildegarde de Bingen (1098-1179) », Images Re-vues, I (2008), p. 4.
19. Cf. L. E. Saurma-Jeltsch, Die Miniaturen im « Liber Scivias » der Hildegard von Bingen,
Wiesbaden, Reichert, 1998 ; « Die Rupertsberger Scivias-Handschrift. Überlegungen zu
ihrer Entstehung », in E. Forster (éd.), Hildegard von Bingen. Prophetin durch die Zeiten.
Zum 900. Geburtstag, Freiburg im Breisgau-Wien, Herder, 1997, p. 340-358.
20. Hildegarde de Bingen, Scivias, op. cit., p. 26.
21. Ibid., p. 136.
22. Ibid., p. 32.
23. Ibid., p. 33.
24. Ibid., p. 127.
25. Ibid., p. 162-163.
26. Ibid., p. 174.
27. Ibid., p. 534.
28. Hildegarde de Bingen, Livre des mérites de la vie, Saint-Benoît-du-Sault, Éditions
bénédictines, 2012, p. 6.
29. Ibid., p. 7.
30. Ibid., p. 55.
31. Ibid., p. 97.
32. Ibid., p. 139.
33. Ibid., p. 211-212.
34. H. Ostländer, « Dante und Hildegard », Dante Jahrbuch, 27 (1948), p. 159-170.
35. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 3.
36. B. Gorceix, ibid., p. XXVII.
37. Cf. R. Berndt (éd.), Im Angesicht Gottes Suche der Mensch sich selbst : Hildegard von
Bingen, Berlin, Akademie Verlag, Erudiri Sapientia, 2, 2001.
38. Ibid., p. 190.
39. On dispose de cinq manuscrits de l’ouvrage : Ghent, Bibliothèque universitaire, MS 241 ;
Wiesbaden, Hessische Landesbibliothek MS 2 ; Riesenkodex qui regroupe l’ensemble de
l’œuvre d’Hildegarde, Troyes, Bibliothèque municipale, MS 683 ; Lucca, Biblioteca
Statale, MS 1942 ; Francfort, Bibliothèque municipale et universitaire, fragm. lat. I 95 ; et
de deux manuscrits tardifs : Trèves, Bibliothèque municipale, MS 722/277 et Londres,
British Library, Add. MS 15418.
40. A. R. Calderoni Masetti, G. Dalli Regoli, Sanctae Hildegardis Revelationes, op. cit., p. 22,
n. 1.
41. Cf. M. Schrader, A. Führkötter, Die Echtheit des Schriftums der heiligen Hildegard von
Bingen. Quellenkritische Untersuchungen, Köln, 1956, p. 80.
42. K. Suzuki, Bildgewordene Visionen oder Visionserzählungen, op. cit., p. 280-283.
43. A. Derolez, P. Dronke, in Hildegardis Bingensis, Liber divinorum operum, op. cit., p. CVII.
44. Ibid., p. CV.
45. K. Suzuki, Bildgewordene Visionen oder Visionserzählungen, op. cit., p. 278-279.
46. Cf. C. Meier, « Zum Verhältnis von Text und Illustration im überlieferten Werk Hildegards
von Bingen », in Hildegard von Bingen 1179-1979. Festschrift zum 800. Todestag der
Heiligen, Mainz, 1998, p. 159-169.
47. C’est le rôle de medium de l’image qui intervient alors. Cf R. Wetzel, F. Flückiger (éd.),
Au-delà de l’illustration. Texte et image au Moyen Âge. Approches méthodologiques et
pratiques, Zürich, Chronos Verlag, 2009, p. 7-18.

Première partie
1. Hildegarde de Bingen, Scivias, op. cit., p. 162-163.
2. Ibid., p. 534-535, 545.
3. J.-C. Schmitt, « Quand la lune nourrissait le temps avec du lait. Le temps du cosmos et des
images chez Hildegarde de Bingen (1098-1179) », art. cit., p. 7.
4. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 121-122.
5. Cf. C. Meier, « Die Bedeutung der Farben im Werk Hildegards von Bingen »
Frühmittelalterliche Studien, 6 (1972), p. 245-355. Voir aussi R. Maisonneuve, « Le
symbolisme sacré des couleurs chez deux mystiques médiévales : Hildegarde de Bingen et
Julienne de Norwich », in Les Couleurs au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses
universitaires de Provence, 1988, p. 253-272.
6. C. Meier, « Die Bedeutung der Farben im Werk Hildegards von Bingen », art. cit., p. 270.
7. Ibid., p. 266.
8. Antérieure au XVIIIe siècle, voir F. Boespflug, Dieu dans l’art, Paris, Cerf, 1984.
9. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 123.
10. R. Otto, « Zu den gottischen Miniaturen einer Hildegardhandschrift in Lucca », art. cit.,
p. 112.
11. Ibid., p. 125.
12. A. Vauchez, La Spiritualité du Moyen Âge occidental VIIIe-XIIIe siècles, Paris, PUF, 1975.
13. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 128.
14. Saint Benoît, Règle, ch. VII.
15. Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 129.
16. Ibid.
17. Cf. R. Otto, « Zu den gottischen Miniaturen einer Hildegardhandschrift in Lucca », art. cit.,
p. 113.
18. Evangeliar Bernward, Hildesheimer Domschatz, Ms 18, fol. 174v.
19. Bamberger Evangeliar, Bamberger Domschatz, Ms 94, fol. 154v.
20. D. Sansy, « Iconographie de la prophétie. L’image d’Hildegarde de Bingen dans le Liber
divinorum operum », Mélanges de l’École française de Rome, 102 (1990), p. 407-408.
21. J.-C. Schmitt, « Quand la lune nourrissait le temps avec du lait. Le temps du cosmos et des
images chez Hildegarde de Bingen (1098-1179) », art. cit. p. 8.
22. In Principio. Interprétations des premiers versets de la Genèse, Paris, Études
augustiniennes, 1973.
23. K. Suzuki, Bildgewordene Visionen oder Visionserzählungen, op. cit., p. 61.
24. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 135-136.
25. Y. Congar, « Le thème de Dieu Créateur et les explications de l’hexaemeron dans la
tradition chrétienne », in L’Homme devant Dieu. Mélanges H. de Lubac, t. I, Paris, Aubier,
1963, p. 189-222.
26. F. Zöllner, Vitruvus Proportionsfigur. Quellenkritische Studien zur Kunstliteratur im XV.
und XVI. Jahrhundert, Worms, 1987.
27. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 139.
28. Ibid., p. 149.
29. Saint Augustin l’avait déjà précisée dans la Lettre XVIII.
30. Cf. F. Saxl, « Macrocosm and Microcosm in Mediaeval Pictures », in Lectures, t. I,
London, Warburg Institute, 1957, p. 63 sq.
31. B. Obrist, « Les vents dans l’astronomie de Nemrod », in Astronomie et sciences humaines,
Publications de l’Observatoire de Strasbourg, 6/2 (1994), p. 57-76.
32. B. Obrist, « Wind diagrams and medieval cosmology », Speculum, 72 (1997), p. 76.
33. H. Meyer, R. Suntrup, Lexikon der mittelalterlichen Zahlenbedeuting, Münster, 1987.
34. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 149-150.
35. Cf. B. Obrist, La Cosmologie médiévale, Florence, Sismel, 2004. Voir aussi Die
Kosmographie des Aethicus, O. Prinz (éd.), MGH, München, 1993.
36. Cf. B. Maurmann, Die Himmelsrichtungen im Weltbild des Mittelalters, Münche, 1976.
37. J.-C. Schmitt, « Quand la lune nourrissait le temps avec du lait. Le temps du cosmos et des
images chez Hildegarde de Bingen (1098-1179) », art. cit., p. 3.
38. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 48-50.
39. Ibid., p. 50.
40. Ibid., p. 255-256.
41. Cf. J. C. Webster, The Labors of the Months in Antique and Mediaeval Art, Princeton,
1938.
42. Ibid., p. 197-199.
43. Ibid., p. 203.
44. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 208, 212, 213-214.
45. Ibid., p. 230.
46. Grégoire le Grand, Dialogues, ch. XXXV.

Deuxième partie
1. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 263-264.
2. Ibid., p. 264-265.
3. Ibid., p. 265-266.
4. En particulier Jean Cassien, Conférences, I.
5. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 266.
6. Ibid.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 267.
9. Ibid., p. 269.
10. Ibid.
11. Ibid., p. 277.
12. Ibid., p. 277-278.
13. Ibid., p. 278.
14. Ibid.
15. Ibid., p. 279.
16. Ibid.
17. Ibid., p. 280.
18. Ibid., p. 282.
19. Ibid., p. 283.
20. Cf. M.-T. D’Alverny, « Les anges et les jours », Cahiers archéologiques, 9 (1957), p. 271-
300.
Troisième partie
1. Lexikon der christlichen Ikonographie, tome II, Freiburg, Herder, 1968, p. 394.
2. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 287.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 288.
5. Ibid., p. 288-289.
6. Ibid.
7. Ibid., p. 290.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ibid., p. 290-291.
11. Ibid., p. 294.
12. Cf. B. Obrist, « Wind diagrams… », op. cit., p. 77.
13. Ibid., p. 295.
14. Ibid., p. 296.
15. Ibid., p. 297-298.
16. Ibid., p. 298.
17. Hermas, « Similitude IX », § 79 (2), in Le Pasteur, Paris, Cerf, coll. « Foi vivante », 1990,
p. 461.
18. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 299.
19. Ibid., p. 301-302.
20. Ibid., p. 306-307.
21. A. Luneau, L’Histoire du salut chez les Pères de l’Église. La doctrine des âges du monde,
Paris, Beauchesne, 1964.
22. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 308.
23. Ibid., p. 310.
24. Ibid., p. 310-311.
25. Lumen gentium, ch. V.
26. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 311.
27. Ibid.
28. Ibid., p. 315.
29. Ibid., p. 316.
30. Ibid., p. 317.
31. Ibid., p. 318.
32. Ibid., p. 318-319.
33. Ibid., p. 319-320.
34. Ibid., p. 321.
35. Ibid., p. 312.
36. Ibid., p. 322.
37. Ibid., p. 324.
38. Hildegarde de Bingen, Scivias, op. cit., p. 65.
39. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 320.
40. Ibid.
41. Ibid., p. 322.
42. Ibid.
43. Ibid., p. 325-326.
44. Ibid., p. 326.
45. Ibid., p. 326-327.
46. Cf. I. Riedel, « Hildegards Sophia-Vision. Zu einer Miniatur aus dem Lucca-Kodex », in E.
Forster (éd.), Hildegard von Bingen. Prophetin durch die Zeiten, op. cit., p. 406-407.
47. Lexikon der christlichen Ikonographie, op. cit., Bd. IV, p. 42.
48. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 328.
49. Ibid. p. 328-329.
50. Ibid., p. 329.
51. Ibid., p. 330.
52. Ibid., p. 331.
53. R. Otto, « Zu den gottischen Miniaturen einer Hildegardhandschrift in Lucca », art. cit.,
p. 122.
54. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 332.
55. Ibid., p. 335.
56. Ibid., p. 336.
57. Ibid., p. 337-338.
58. Ibid., p. 339-340.
59. Cf. A.-O. Poilpré, « Majestas Domini ». Une image de l’Église en Occident (Ve-IXe siècles),
Paris, Cerf, 2005.
60. P. Dronke, Women Writers in the Middle Ages, Cambridge, Cambridge University Press,
1984, p. 171.
61. Cf. C. Meier, « Die Bedeutung der Farben im Werk Hildegards von Bingen », art. cit.,
p. 245-355.
62. Ibid., p. 341-343.
63. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 343-344.
64. I. Riedel, « Hildegards Sophia-Vision. Zu einer Miniatur aus dem Luca-Kodex » art. cit.,
p. 409.
65. Hildegarde de Bingen, Le Livre des œuvres divines, op. cit., p. 344.
66. Ibid.
67. Ibid.
68. Ibid., p. 344-345.
69. Ibid., p. 346.
70. Ibid., p. 355-356.

Conclusion
1. Cf. R. Otto, « Zu den gottischen Miniaturen einer Hildegardhandschrift in Lucca », art. cit.,
p. 124.
2. Ibid.
Bibliographie

SOURCES

Textes

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Traductions

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ÉTUDES

Étude de référence

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Autres études

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Verlag, 1999.
DU MÊME AUTEUR
Creatio, conversio, formatio chez saint Augustin, Fribourg, Éditions universitaires, coll.
« Paradosis », 1991 ; 2e édition augmentée, 1997.
Saint Augustin et le mystère trinitaire, Paris, Cerf, coll. « Foi vivante », 1993.
L’Expérience du Saint-Esprit, Paris, Cerf, coll. « Foi vivante », 1998.
Dieu le Père, mystère de charité, Paris, Cerf, coll. « Foi vivante », 1998 ; traduction en polonais :
Bog Ojciec tajemnica Milosci, Instytut Pax, Varsovie, 1999.
Jean Cassien, « Traité de l’Incarnation contre Nestorius », trad. et commentaire, Paris, Cerf, 1999.
La Communion trinitaire, Paris, Cerf, coll. « Foi vivante », 1999 ; traduction en polonais : Trojca
Swieta tajemnica jednosci, Varsovie, Pax, 2000.
Noël chez Eckhart et les mystiques rhénans, Paris, Arfuyen, 2005.
Eckhart à Strasbourg, Strasbourg, Ville de Strasbourg, 2006.
Les « Confessions » de saint Augustin, Paris, Cerf-Jaca Book, 2007.
De la Résurrection à la naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart, Paris, Cerf, 2008.
Anthologie des mystiques rhénans, Paris, Cerf, 2010.
I mistici renani : Eckhart, Taulero, Suso. Antologia, Milan, Jaca Book, 2013.
Saint Augustin. La conversion en acte, Paris, Dervy, 2011.
Prier quinze jours avec sainte Hildegarde de Bingen, Paris, Nouvelle Cité, 2012 ; traduction en
slovaque : 15 dni so svätou Hildegardou z Bingenu, Bratislava, 2013.
Les Saints Sépulcres alsaciens, Strasbourg, Éd. du Signe, 2014.

DIRECTION D’OUVRAGES COLLECTIFS


Les Mystiques rhénans, Paris, Cerf, 1996.
Encyclopédie saint Augustin. La Méditerranée et l’Europe IVe-XXIe siècle, Paris, Cerf, 2005, 1491 p.,
trad. d’une grande partie de l’ouvrage.
La Naissance de Dieu dans l’âme chez Eckhart et Nicolas de Cues, Paris, Cerf, coll. « Patrimoines »,
2006.
Encyclopédie des mystiques rhénans d’Eckhart à Nicolas de Cues et leur réception, Paris, Cerf,
2011.
EXTRAITS DU CATALOGUE
Spiritualités vivantes / poche
35. Dialogues avec Lanza del Vasto, de René Doumerc.
48. Le Désert intérieur, de Marie-Madeleine Davy.
61. L’Évangile de Thomas, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup.
65. La Sagesse du désert, aphorismes des Pères du désert, de Thomas Merton.
76. L’Évangile de Jean, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup.
79. Le Livre des œuvres divines, d’Hildegarde de Bingen.
86. Écrits sur l’hésychasme, de Jean-Yves Leloup.
91. Écrits, du père Henri Le Saux, textes choisis et présentés par Marie-Madeleine Davy.
94. Paroles du Mont Athos, de Jean-Yves Leloup.
102. Les Collations de Jean Cassien ou l’Unité des sources, textes choisis et présentés par Jean-Yves
Leloup.
103. Praxis et Gnosis, textes d’Évagre le Pontique, textes choisis et présentés par Jean-Yves Leloup.
112. Vie de Moïse, de Grégoire de Nysse, ou l’Être de désir, présenté par Jean-Yves Leloup.
113. Homélies de Jean Chrysostome sur l’incompréhensibilité de Dieu, présenté par Jean-Yves
Leloup.
117. Œuvres, de saint François d’Assise, traduit et présenté par Alexandre Masseron.
122. Prière de Jésus, prière du cœur, de Rachel et Alphonse Goettmann.
133. Expérience chrétienne et mystique hindoue, de Bede Griffiths, préface de Marie-Madeleine
Davy.
147. Le Miroir des âmes simples et anéanties, de Marguerite Porete.
160. L’Imitation de Jésus-Christ, traduit et adapté par Pierre Corneille.
177. L’Évangile de Marie, Myriam de Magdala, traduit et commenté par Jean-Yves Leloup.
180. Etty Hillesum. Un itinéraire spirituel. Amsterdam 1941-Auschwitz 1943, de Paul Lebeau.
181. Bernard de Clairvaux, de Marie-Madeleine Davy.
189. Dietrich Bonhoeffer. Résistant et prophète d’un christianisme non religieux, d’Arnaud Corbic.
226. Angèle de Foligno, de Michel Cazenave.
236. Le Nuage de l’inconnaissance, commenté par Bernard Durel.
239. Les Sermons, de Maître Eckhart.
242. Cent prières de chartreux, présenté par Nathalie Nabert.
246. La Voie du silence dans la tradition des Pères du désert, de Michel Laroche.
254. Les Traités et le Poème, de Maître Eckhart.
268. Le « Notre Père », une lecture spirituelle, de Jean-Yves Leloup.
271. Les Récits d’un pèlerin russe, commenté par Gleb Potrovsky.
281. Les Épîtres de Jean, de Jean-Yves Leloup.

Espaces libres
10. Henry Thoreau, l’Éveillé du Nouveau Monde, de Gilles Farcet.
28. Marie-Madeleine, un amour infini, de Jacqueline Kelen.
43. L’Absurde et la Grâce, de Jean-Yves Leloup.
75. L’Au-delà au fond de nous-mêmes, d’Alphonse et Rachel Goettmann.
80. Henri Le Saux, le passeur entre deux rives, de Marie-Madeleine Davy.
81. La Petite Sainte Thérèse, de Maxence Van der Meersch.
95. Nicolas Berdiaev ou la révolution de l’esprit, de Marie-Madeleine Davy.
147. Traversée en solitaire, de Marie-Madeleine Davy.
155. L’Homme intérieur et ses métamorphoses, de Marie-Madeleine Davy.
182. Lettres sur la méditation, de Laurence Freeman.
217. Le Chant des profondeurs, sous la direction de Nathalie Nabert.
243. La Presqu’île interdite. Initiation au mont Athos, d’Alain Durel.

Albin Michel spiritualités / grand format


Un pèlerinage intérieur, de Paule Amblard.
L’Archipel des saints, d’Alain Durel.
La Vie de saint François d’Assise, d’Omer Englebert.
La Fleur des saints, d’Omer Englebert.
Petit traité de la prière silencieuse, de Jean-Marie Gueullette.
Maître Eckhart ou l’Empreinte du désert, de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière.
Hadewijch d’Anvers ou la Voie glorieuse, de Jacqueline Kelen.
Approche de la mystique dans les religions occidentales et orientales, de Carl A. Keller.
L’Apocalypse de Jean, de Jean-Yves Leloup.
La « Théologie mystique » de Denys l’Aréopagite, de Jean-Yves Leloup.
Le Jardin des sens, de Nathalie Nabert.
La Passion de Thérèse d’Avila, de Christiane Rancé.
Humanisme et Mystique, d’Albert Schweitzer, textes choisis et présentés par Jean-Paul Sorg.

Les carnets du calligraphe


Le Cantique des créatures, de saint François d’Assise, calligraphies de Frank Missant.
La rose est sans pourquoi, d’Angelus Silésius, préface de Christiane Singer, calligraphies de Vincent
Geneslay.

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