Vous êtes sur la page 1sur 2

« Les juges de la Nation ne sont (...) que la bouche qui prononce les paroles de la loi ».

La célèbre formule de Montesquieu


tirée de l’Esprit des lois paraît résumer les rapports pouvant exister entre la loi et le juge.

Il explicite le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir de juger est accordé au juge chargé de rendre des décisions
de justice sur les litiges qui lui sont soumis. Le pouvoir législatif revient au Parlement qui est le seul habilité à créer des lois.
S’il est vrai qu’au sens matériel, c’est-à-dire au sens le plus large, la loi comprend toutes les règles de droit émanant du
pouvoir législatif ou exécutif, ce qui englobe aussi bien la loi au sens formel que les textes réglementaires émanant du
pouvoir exécutif, en revanche, cette faculté de créer des règles n’est pas accordée au pouvoir judiciaire. Il y a une séparation
nette entre le pouvoir de légiférer et le pouvoir de juger. Le législateur ne peut pas juger. La loi énonce des règles générales et
impersonnelles qui ont vocation à s’appliquer à tous. Elle est indifférente aux particularités individuelles. Une fois énoncée,
elle est appli- quée par les juges à l’occasion des litiges qui leur sont soumis. Inversement, le juge ne peut pas légiférer. Le
juge qui ne fait qu’appliquer la loi apparaît comme un simple exécutant. Il est lié par la loi qu’il doit mettre en œuvre.

Le fait que le juge soit la « bouche de la loi » dépend de la qualité de la loi elle-même. Moins la loi est claire et précise, plus
le juge pourra faire œuvre de législateur. Si la loi est claire et précise, il suffit de l’appliquer aux faits (la démarche du
magistrat est décrite sous la forme d’un syllogisme judiciaire où la règle de droit constitue la majeure, les faits la mineure et
l’application de la règle aux faits, la solution au litige). Si la loi est peu claire, imprécise ou ambiguë, le juge devra en
rechercher le sens, en déterminer les conditions d’application, l’interpréter avant de l’appliquer. Si enfin la loi est incomplète,
silencieuse sur un problème, les juges ne pourront s’abstenir de rendre le droit et devront recourir à leurs propres lumières
pour suppléer les lacunes de la loi.

Le juge n’est plus seulement la bouche de la loi (1), il peut se libérer de sa parole et participer à la production du droit au-delà
de la loi (2).

I • Le juge, bouche de la loi

Montesquieu précisait que le juge est un « être inanimé » qui dit et applique la loi sans en modérer la force et la rigueur. Il ne
peut devrait en modifier ni le sens, ni la portée. Le juge est soumis à la loi qu’il a pour mission d’appliquer. Non seulement la
loi détermine la mission du juge l’empêchant de créer des lois (A), mais le juge étant tenu de respecter les principes de
procédure et de fond établis par la loi, il lui est subordonné (B).

A) La fonction du juge limitée par la loi

La volonté des révolutionnaires de maintenir le juge dans un rôle passif d’appli- cation stricte de la loi s’est traduite
notamment par la mise en place du référé législatif, supprimé en 1837, obligeant les juges, dans certains cas, à s’adresser au
législateur pour toute difficulté d’interprétation.

La mission du juge est également très encadrée par le Code Civil de 1804, en particulier par son article 5 qui dispose qu’il «
est défendu aux juges de pronon- cer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises
». Il leur est interdit d’empiéter sur les pouvoirs du législateur. L’article 5 interdit alors la pratique de l’Ancien Régime des
arrêts de règlement. Les tribu- naux ne peuvent plus rendre des arrêts non pas applicables à un cas déterminé mais constituant
une règle applicable par la suite à tous les cas analogues. Ils ne peuvent plus agir comme législateur. Une fois saisi, le juge
doit se prononcer sur le cas particuliers qui lui est soumis et non édicter des principes généraux, ce qui explique le principe de
l’autorité relative de la chose jugée et l’impossibilité pour le juge de se saisir d’office.

La loi empêche donc en principe le juge de créer des normes dans le cadre de son activité juridictionnelle. Celle-ci apparaît
également entièrement dépen- dante de la loi.

B) La fonction du juge subordonnée à la loi

La loi est nécessaire au juge. Elle détermine les comportements et règles à suivre ainsi que les sanctions à apporter en cas de
violation.

Le rôle du juge est défini par l’article 4 du Code civil. En disposant que « le juge qui refusera de statuer sous prétexte du
silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice », cet article
impose au juge une obligation légale de juger, et ce dans tous les cas. Que la loi soit silencieuse, obscure ou insuffisante, le
juge doit juger. Mais la fonction du juge est limitée. Le juge ne crée pas la loi, il doit l’appliquer pour trancher les litiges.

Le juge doit également s’appuyer sur la loi pour rendre son jugement. La motivation est une obligation légale issue de
l’article 455 du Code de procédure civile et de l’article 6 §1 de la convention européenne des droits de l’Homme telle
qu’inter- prétée par la Cour européenne des droits de l’Homme. Le juge doit viser la règle de droit dont il assure l’application
au cas particulier. La Cour de cassation elle-même contrôle la motivation des décisions, sanctionnant pour motifs insuffisants la seule
référence à une jurisprudence constante. Les juges doivent donc suivre la lettre de la loi. Pourtant, ils ne peuvent se limiter à
cela. La loi ne peut pas tout prévoir, tout exprimer, tout préciser. Le juge, lié par son obligation de juger, est obligé de
corriger les erreurs de la loi et de combler ses lacunes. Sa parole se libère alors de la loi.

II • Le juge, au-delà de la loi

L’application de la loi n’est jamais aussi simple que la présentation du syllogisme judiciaire le laisse croire. Les faits sont
souvent complexes, les textes à applicables nombreux et leur sens parfois délicat à trouver. Les juges doivent alors chercher
leur signification parfois bien au-delà de leur lettre. Par l’interprétation et l’appli- cation qu’il fait de la loi, le juge peut être
conduit à se substituer au législateur (A) ou l’inciter à adopter une loi (B).

A) Le juge, substitut du législateur

Appelé à combler une lacune ou un vide législatif, le juge est amené à faire œuvre de législateur.

En effet, l’article 4 du Code Civil interdit au juge de ne pas se prononcer « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de
l’insuffisance de la loi ». Lorsque la loi est peu claire, imprécise, confuse, ou ambiguë, le juge va devoir l’interpréter. Cette
fonction d’interprétation permet de faire dire à un texte plus de choses qu’il ne le prévoyait ou de façon différente. C’est déjà
pratiquement de la création. Le législateur lui-même laisse aux juges le soin d’interpréter ses textes en considération des
situations concrètes et des évolutions de la société en utilisant des notions floues ou notions-cadres dont l’interprétation est
susceptible d’évolution. On peut citer à titre d’exemple la notion de « faute » qui fonde le principe de responsabilité civile
énoncé à l’article 1240 du Code civil.

Mais plus encore si la loi est muette sur un problème, si aucun texte ne peut être invoqué, le juge devra avoir recours à ses
propres lumières pour compenser cette absence de loi, la compléter. Le juge est contraint de suppléer la loi. Toute l’œuvre
créatrice de la jurisprudence apparaît alors. Le juge est un acteur direct de la production du droit. Il intervient aussi de façon
indirecte dans l’adoption de lois quand il pousse le législateur à agir.

B) Le juge, instigateur de la loi

Par ses décisions, la jurisprudence comble elle-même les lacunes de loi ou incite le législateur à intervenir. Ainsi celui-ci, lors
du vote des premières lois bioéthiques en 1994 est venu consacrer l’interdiction de la pratique des mères porteuses prononcée
par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation. Avant, c’est une célèbre décision, l’arrêt Desmares, qui a contraint le
législateur à adopter une loi spéciale relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation leur réservant un
régime dérogatoire des règles classiques de la responsabilité civile. Dans son rapport annuel, la Cour de cassation a d’ailleurs
pris l’habitude de formuler des propositions de modifications de la loi.

La loi elle-même reconnaît l’importance de la participation de la jurisprudence dans le phénomène normatif. La procédure de
la saisine pour avis de la Cour de cassation en est la meilleure preuve. Saisie pour avis sur une « question de droit nouvelle,
présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges », la Cour de cassation n’est plus liée à la logique du
procès, elle est direc- tement associée à l’œuvre législative. La loi précise que la juridiction qui a formé la demande n’est pas
liée par l’avis de la Cour de cassation mais l’avis est nécessairement communiqué aux parties et la menace d’un pourvoi en
cassa- tion par le jeu des différents recours incitent les juges du fond à se conformer dès l’avis à la position de la Cour de
cassation.

Le juge n’est – il pas la bouche qui murmure à l’oreille de la loi

Vous aimerez peut-être aussi