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Brentano et le positivisme

Roger Schmit
Dans Archives de Philosophie 2002/2 (Tome 65), pages 291 à 309
Éditions Centre Sèvres
ISSN 0003-9632
DOI 10.3917/aphi.652.0291
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Brentano et le positivisme
ROGER SCHMIT
Centre universitaire de Luxembourg

L’apologie du positivisme

L’étude Auguste Comte und die positive Philosophie de Brentano est le


fruit d’une fréquentation plus assidue de l’œuvre de Comte. Elle est, en
effet, à mettre en relation directe avec un cycle de conférences publiques,
portant sur la philosophie de Comte et tenues en 1869 à Wurzbourg, où
Brentano enseigne alors à titre de Privatdozent. Initialement, sept articles
étaient prévus, mais un seul sera effectivement publié, la revue Chilianeum
cessant toute parution à partir de 1870 1.
L’étude en question doit être comptée parmi les tout premiers travaux en
langue allemande consacrés à Auguste Comte. Malgré les critiques qu’elle
formule, elle se lit comme un véritable hommage au fondateur du positi-
visme. Auguste Comte n’y est-il pas cité au nombre des plus éminents
penseurs du e siècle 2 ? Face à l’idéalisme qui domine alors en Allemagne,
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le positivisme est salué comme un renouveau authentique, capable de régé-


nérer la philosophie en l’engageant sur la voie sûre de la science. À première
vue, les visées de Comte s’accordent entièrement avec l’esprit qui préside
aux thèses d’habilitation que Brentano a présentées en 1866 à Wurzbourg. La
quatrième thèse notamment refuse de séparer la philosophie de la méthode
scientifique et stipule : « Vera philosophiae methodus nulla alia nisi scien-
tiae naturalis est ». Toutefois, il serait erroné d’en conclure que Brentano
s’aligne complètement sur les vues de Comte. Bien au contraire, il opposera
à celui-ci quelques critiques fondamentales dont il ne se départira jamais.
Au moment de la parution de l’article, la pensée d’Auguste Comte
demeure encore entièrement à découvrir par les lecteurs allemands. À cet

1. Les notes de lecture très étendues, prises en vue de ces conférences et publiées à titre
posthume, soulignent le grand intérêt que Brentano manifeste à cette date à l’égard de la
philosophie de Comte (B, 1987b). Le fait que Brentano ait renoncé à la publication de
la suite des articles peut aussi avoir une signification plus profonde au sens que Brentano se
distancie progressivement des vues de Comte.
2. « Comte war unstreitig einer der hervorragendsten Denker, deren unser Jahrhundert
sich rühmen kann » (B, 1968b, p. 99-100).

Archives de Philosophie 65, 2002


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égard, dit Brentano, l’Allemagne présente un retard considérable par rap-


port à la France et aussi à l’Angleterre. Longtemps négligé en France au
profit de l’éclectisme grandiloquent des Royer-Collard, Cousin et Jouffroy, le
positivisme est devenu entre-temps très influent dans ces deux pays. Bren-
tano reconnaît que, par l’intermédiaire de la philosophie anglaise, les idées
de Comte commencent aussi à gagner lentement l’Allemagne, bien que le
public y continue à en ignorer l’origine réelle. Pour combler cette lacune,
Brentano entreprend d’exposer les principes du positivisme aux lecteurs
allemands. L’étude prend très vite la tournure d’une apologie du positi-
visme. Non seulement celui-ci développe une conception plus scientifique de
la philosophie, mais, en évitant l’idéalisme et le scepticisme, il préserve
encore les bases de la science, contrairement à ce qu’affirment ses détrac-
teurs.
Tout d’abord, le positivisme s’oppose au kantisme, et ceci en dépit de
points de convergence manifestes tels que le phénoménalisme et le refus de
la connaissance absolue. En effet, le concept de phénomène chez Comte ne
renvoie pas à la chose en soi, mais désigne simplement un fait particulier par
opposition à la loi générale. Ensuite, dans l’esprit de Comte, la connaissance
a pour objet la réalité même, ce qui défend de voir dans le positivisme un
idéalisme ou même un scepticisme. Comte renvoie dos à dos les défenseurs
d’une conception absolue de la connaissance en même temps que les scepti-
ques. Contre les premiers, il souligne la relativité de la connaissance par
rapport à notre organisation sensorielle et notre localisation dans le monde.
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La position de Comte implique, entre autres, que l’objet n’est jamais


connaissable dans sa totalité 3. Contre le scepticisme, Comte affirme la
possibilité du progrès scientifique, défini comme élargissement de notre
connaissance du réel en même temps qu’unification de notre savoir.
Le point crucial sur lequel Comte et Brentano s’accordent est que l’un et
l’autre concèdent la possibilité d’une connaissance des relations réelles entre
les phénomènes : « Und was anderes also bleibt, das uns von ihnen [i.e. : les
sceptiques] unterscheiden könnte, wenn nicht die Behauptung der Erkenn-
barkeit der wahren Verhältnisse der Dinge ? » 4
D’autre part, en affirmant la priorité de la théorie par rapport à l’obser-
vation, Comte s’écarte nettement de la voie de l’empirisme anglo-saxon.
Brentano s’attache à montrer que Comte, à l’opposé de Hume, ne rejette pas
la notion de cause comme vaine, mais qu’il nie seulement que la nature
intime de la causalité soit connaissable. En ce sens, dit-il, Comte défend
exactement le même point de vue que la science dont la fonction n’est pas de

3. C, 1970, p. 13-15.


4. B, 1968b, p. 114. Pour la critique d’une lecture kantienne de Comte,
cf. p. 112-115.
BRENTANO ET LE POSITIVISME 293

dire pourquoi ni comment les « forces causales » agissent, mais simplement


d’expliquer les phénomènes singuliers en les rattachant à des lois générales.
Brentano cite l’exemple de la gravitation des corps. La science n’a pas la
prétention de nous enseigner l’essence de l’attraction, c’est-à-dire le pour-
quoi de ce phénomène. Mais on ne saurait nier qu’elle précise quand même
que la cause de l’attraction de deux corps réside effectivement dans ces deux
corps et dans leur position réciproque. En ce sens, on peut dire, conclut
Brentano, que ni la science ni le positivisme ne contestent réellement la
notion de causalité en soi 5.
Brentano voit certainement juste en affirmant que Comte évite le piège
du scepticisme. En revanche, il est évident que la critique positiviste va
nettement plus loin que Brentano ne l’admet et qu’elle affecte effectivement
la notion de causalité. En effet, dans la mesure où la loi des trois états associe
la notion de causalité à un type de pensée dépassé, celle-ci est forcément
frappée de suspicion 6.

La question de la métaphysique
Il est donc certain que la critique positiviste atteint, au-delà de la notion
de causalité, la métaphysique. Avec les causes premières, la métaphysique et
la théologie sont éliminées en même temps. Or, c’est précisément cette
conséquence que Brentano récuse. Comme nous venons de le voir, le positi-
visme, à ses yeux, ne rejette pas la notion de causalité, mais s’insurge
seulement contre l’idée que l’essence du nexus causal soit connaissable. Il en
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découle pour Brentano qu’au fond le positivisme reste parfaitement compa-


tible avec la position métaphysique du théisme. À ce titre, l’explication de
l’origine de l’univers par l’existence d’un principe divin n’implique pas
encore l’affirmation que nous ayons une connaissance de la nature ou de
l’action dudit principe.
Chez Brentano, l’usage transcendant du concept de causalité est justifié
au moyen d’un raisonnement par analogie. L’exigence d’expliquer l’exis-
tence de l’univers par un principe divin est à considérer comme aussi
rationnelle que le fait de rendre compte des mouvements volontaires du
corps par notre volonté. Il est vrai que l’action de l’esprit sur le corps reste
inexplicable en elle-même. Mais ceci, note Brentano, caractérise de façon
générale le lien causal et ne saurait en conséquence rendre illégitime l’usage
courant du concept de causalité 7. Soucieux de réconcilier le positivisme
avec la métaphysique, Brentano estime que le fond de la pensée de Comte est

5. G, 1955b, p. 145.


6. B, 1968b, p. 115-122.
7. B, 1968b : « Der allgemeine Schleier, der uns über jeder Verursachung liegt,
wird auch hier nicht gehoben » (p. 121). Pour l’analyse de la notion de la causalité, cf. p. 115-125.
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moins anti-métaphysique qu’il n’y paraît. Loin de nier l’existence de Dieu,


Comte rejetterait en réalité seulement le principe d’une démonstration
scientifique de l’existence de Dieu et la possibilité de connaître l’essence
divine. Aux yeux de Brentano, le fait que Comte considère l’explication
théiste de l’univers comme plus probable que l’hypothèse mécaniste consti-
tue une preuve supplémentaire que Comte n’est pas hostile à la métaphysi-
que en soi.
L’opposition entre le positivisme et l’explication métaphysique,
Brentano la considère comme étant plus apparente que réelle et due prin-
cipalement à une ambiguïté terminologique. Il fait observer qu’initiale-
ment les concepts de théologie et de métaphysique possèdent un sens très
spécifique chez Comte et désignent les types d’explication qui reposent sur
la fiction d’entités censées avoir une existence réelle dans les choses
(die personenfingierende Erklärungsweise ; die entitätenfingierende Erklä-
rungsweise). Ces deux modes de pensée sont évidemment invalidés par le
stade positif. Mais l’inconséquence de Comte consisterait à rejeter, avec ces
deux modes de pensée dépassés, la théologie et la métaphysique dans leur
ensemble 8.
Sans doute, la gageure de réconcilier le positivisme avec la métaphysi-
que, telle qu’elle apparaît chez Brentano, est à considérer comme avortée ab
ovo. Non seulement elle déconcerte au plus haut degré, mais elle fait
également violence aux textes de Comte. Contrairement à ce que pense
Brentano, Comte dénie à la notion classique de causalité toute force explica-
tive au sens positif ou scientifique, ce qui équivaut à une condamnation sans
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appel de la métaphysique. Sans doute, Brentano a-t-il très vite pris cons-
cience de l’incompatibilité irrémédiable entre le positivisme et la théologie,
ce qui pourrait expliquer pourquoi il renonce en fin de compte à la publica-
tion de la suite des articles initialement prévus 9.

La classification des sciences, ordre historique et ordre systématique


La Psychologie vom empirischen Standpunkt (1874) reprend, tout en y
apportant quelques modifications substantielles et sans même citer le nom
de Comte, la classification exposée dans le Cours de philosophie positive.
Brentano accepte le principe directeur de la classification comtienne, à

8. En plus, Brentano (1968b, p. 127) estime qu’en concevant le projet d’une philosophie
première, postulée comme antérieure aux sciences spéciales et appelée à définir les lois
générales auxquelles obéissent les phénomènes dans les domaines les plus divers, Comte admet
implicitement la légitimité de la métaphysique. Brentano fait ici allusion au Système de
politique positive de Comte.
9. Cf. à ce sujet C, 1970, p. 33-40, où est affirmée l’incompatibilité finale entre la
philosophie positive et la théologie.
BRENTANO ET LE POSITIVISME 295

savoir le principe de simplicité ou de généralité, suivant lequel la place de


chaque science est fonction de la complexité (simplicité) des phénomènes
étudiés 10. La classification retrace l’ordre historique dans lequel les diffé-
rentes sciences se sont constituées en même temps qu’elle reflète l’ordre de
subordination qui les relie. En ce sens, elle s’inscrit manifestement dans le
projet positiviste de l’unification de la science : en expliquant les relations de
dépendance entre les différentes sciences, la philosophie positive dévoile
leur unité profonde.
Chez Comte, la série encyclopédique embrasse cinq sciences dans l’ordre
de la complexité croissante, à savoir l’astronomie, la physique terrestre, la
chimie, la biologie et la sociologie, les mathématiques possédant un statut à
part. Dans la mesure où la terre est comprise dans le système global de la
nature, la physique terrestre est considérée par Comte comme une modifi-
cation de l’astronomie. Les phénomènes chimiques, à leur tour, sont plus
complexes que les phénomènes physiques, car chaque réaction chimique est
soumise aux lois physiques et présente en outre des caractéristiques propres
qui modifient l’action des agents précédents. Dans le même ordre d’idées, les
phénomènes de la vie apparaissent comme des modifications des phénomè-
nes naturels en général et les phénomènes sociaux comme des modifications
des phénomènes de la vie. Pour Comte, l’homme social représente le phéno-
mène le plus compliqué de la nature.
Cependant, Brentano n’adopte pas simplement la classification com-
tienne. Il remplace l’astronomie par les mathématiques. Cette modification
supprime la distinction quelque peu artificielle entre la physique céleste et la
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physique terrestre et tient compte du fait que les lois de la mécanique sont
formulées dans le langage mathématique.
La seconde rectification est plus importante encore et consiste à substi-
tuer la psychologie à la sociologie. Dans la mesure où Comte réduit la
psychologie à la sociologie, la psychologie n’apparaît pas dans sa classifica-
tion. Brentano, au contraire, considère la psychologie comme la science la
plus complexe et la plus haute. Bien qu’elle soit encore peu développée, la
psychologie est promise à un grand avenir [die Wissenschaft der Zukunft].
Son rapport privilégié à l’homme en même temps que ses possibilités
pratiques, encore inexploitées, la destinent à jouer un rôle éminent dans la
société future 11. Tout ceci explique que Brentano considère la sociologie

10. B, 1955 : « Die allgemeinen theoretischen Wissenschaften bilden eine Art
Skala, bei welcher jede höhere Stufe auf der Grundlage der niederen sich erhebt. Die höher-
stehende Wissenschaft betrachtet mehr verwickelte, die niedere einfachere Phänomene, und
diese gehen mit in jene Entwicklung ein » (p. 33).
11. B, 1955, p. 33-38 et plus spécialement p. 36-37 : « Wir haben ein Vierfaches
hervorgehoben, was geeignet schien, die vorzügliche Bedeutung der psychischen Wissenschaft
darzutun : die innere Wahrheit, sowie die Erhabenheit ihrer Phänomene, die besondere
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comme une partie intégrante de la psychologie et qu’il ne la mentionne pas


dans l’échelle des sciences.
Chez Comte comme chez Brentano, les mathématiques occupent une
position privilégiée et sont considérées comme le fondement de toutes les
autres sciences. Toutefois, cette prééminence, fondée sur le fait qu’elles
forment le point de départ pour les autres sciences, n’implique nullement
l’adhésion à l’idée cartésienne de la mathématisation uniforme de l’expé-
rience. Ni Comte ni Brentano ne mettent en question l’autonomie et la
spécificité des différentes sciences fondamentales. Dans le même ordre
d’idées, Brentano oppose la simplicité des mathématiques à la complexité de
la psychologie et affirme l’irréductible spécificité de la seconde. Pour Comte,
les mathématiques sont essentiellement une science du réel. Leur spécificité
par rapport aux autres sciences de la nature doit être vue dans la généralité
de leur objet qui réside dans les relations entre les « phénomènes quelcon-
ques ». En outre, les mathématiques servent d’instrument aux autres scien-
ces auxquelles elles fournissent procédures formelles et schèmes d’organisa-
tion. En raison de leur fonction instrumentale, Comte considère la partie
abstraite des mathématiques « comme une immense extension admirable de
la logique naturelle » 12.
Pour Brentano, la science mathématique pose avant tout un problème au
niveau de la loi des trois états. Dans l’optique de Comte, toutes les sciences
sans exception parcourent l’état théologique et l’état métaphysique avant
d’atteindre le stade positif. Or, Mill avait déjà remarqué que leur abstraction
semble conférer aux mathématiques une position à part, qui les met à l’abri
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de toute contamination théologique et métaphysique. En prenant la défense


de Comte, Brentano souligne qu’une caractéristique aussi fondamentale
n’aura pas échappé à Comte, qui a enseigné les mathématiques à l’École
Polytechnique. La raison pour laquelle celui-ci étend la loi des trois états
jusqu’aux mathématiques semble être qu’il y englobe également la mécani-
que pour laquelle l’évolution tripartite est plus évidente 13.
Cette démarche est assez symptomatique du jugement que Brentano
porte sur la loi des trois états. Pour l’essentiel, cette loi trouve son approba-
tion et s’accorde, à part quelques restrictions, avec sa propre vue de l’histoire
des idées. Les restrictions formulées dans l’étude Auguste Comte und die
positive Philosophie portent principalement sur le développement rectili-
gne des connaissances humaines, tel que le postule Comte. Brentano relève
que la pensée humaine est sujette à des régressions et à des rechutes, si bien
que l’histoire des sciences n’est pas seulement faite d’avancées, mais aussi de

Beziehung dieser Phänomene zu uns, und endlich die praktische Wichtigkeit der sie beherr-
schenden Gesetze. »
12. C, 1968, p. 93.
13. B, 1968b, p. 129-131.
BRENTANO ET LE POSITIVISME 297

périodes de déclin et de décadence. L’erreur de Comte consisterait précisé-


ment à ne prêter aucune attention à ces dernières. Toutefois, cette critique ne
met pas en cause le principe de base de la philosophie positive, suivant lequel
la marche de la science reste, dans son ensemble, soumise à un mouvement
progressif 14.
Dans le même contexte, Brentano expose succinctement son propre
schéma de l’évolution de la philosophie tout en rappelant que, sur le point de
la métaphysique, l’opposition à Comte reste irréductible. Conformément à
ce schéma, la philosophie est passée par trois cycles successifs (la philosophie
antique, médiévale et moderne) de quatre phases chacune. Au cours de
chaque cycle, une phase initiale de recherche (Forschung), qu’il qualifie
encore de positive, est suivie de trois phases de dégénérescence : la phase du
développement (Ausbildung), la phase du scepticisme (Skepsis) et la phase
du mysticisme (Mystik) 15. Pour ce qui est de la philosophie moderne, la
phase ultime de la décadence semble effectivement atteinte avec le pan-
théisme de Schelling et de Hegel. Brentano assigne à son temps la tâche de
reconduire la philosophie à une forme de pensée plus positive 16. À ses yeux,
la méthode positive n’est pas nouvelle dans le domaine de la philosophie
puisqu’on la rencontre déjà chez une série de penseurs tels qu’Aristote, saint
Thomas ou Bacon, tous les trois soucieux de faire valoir les droits de
l’observation.

La psychologie du point de vue empirique


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L’influence d’Auguste Comte est encore perceptible au niveau de la


définition de la psychologie qu’on trouve dans l’œuvre maîtresse de Bren-
tano, la Psychologie vom empirischen Standpunkt. À première vue, cette
affirmation paraît paradoxale en raison même de l’hostilité de Comte envers
toute psychologie fondée sur l’observation interne.
Cependant, dès les premières pages de l’ouvrage, nous rencontrons les
deux idées directrices du positivisme : le thème de l’unification de la science
et l’affirmation de sa positivité. L’objectif de Brentano est d’unifier la

14. B, 1968b : « Comte hat nur auf die aufsteigende Linie der Entwickelung,
nicht auf den Verfall, der zeitweise die Fortschritte mancher Wissenschaften unterbricht,
Rücksicht genommen » (p. 131) .
15. Selon Carl Stumpf, la doctrine des quatre phases (die Lehre von den vier Phasen)
remonte à 1860. En 1866, Brentano l’expose dans un cours sur l’histoire de la philosophie. Cf.
à ce sujet W, 1989, p. 60-62.
16. B, 1968b : « Unseren Tagen bleibt es vorbehalten, zu einer positiven Be-
handlung der Philosophie sich zurückzuwenden. Der Ruf danach hat sich laut erhoben, und
man hat, teils unter Anknüpfung an die Höhepunkte der Vergangenheit, teils unter
Benützung der Fortschritte der Naturwissenschaft, bereits da und dort mit einem schönen
Anfange begonnen » (p. 133).
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psychologie : « An die Stelle der Psychologien müssen wir eine Psychologie


zu setzen suchen » 17. Corrélativement, Brentano s’insurge contre la concep-
tion classique qui voit dans la psychologie la science de l’âme et il définit
celle-ci comme la science des phénomènes psychiques. La psychologie, du
moins la psychologie scientifique, n’a pas le droit d’outrepasser le domaine
des phénomènes. Son objet n’est pas l’âme-substance au sens d’un hypothé-
tique support des états, manifestations et propriétés psychiques, une telle
entité n’existant que comme pure fiction : « So ist sie [die Substanz]
offenbar kein Gegenstand der Wissenschaft... Eine Seele gibt es nicht,
wenigstens nicht für uns ; eine Psychologie kann und soll es nichtsdestowe-
niger geben ; aber ¢ um den paradoxen Ausdruck von Albert Lange zu
gebrauchen ¢ eine Psychologie ohne Seele » 18.
Cette définition surprend évidemment dans le contexte de la Psycholo-
gie vom empirischen Standpunkt qui reste, après tout, entièrement impré-
gnée de la pensée aristotélicienne 19. La préface n’annonce-t-elle pas le
dessein de traiter le problème de l’immortalité de l’âme, problème métaphy-
sique s’il en est ?
Mais c’est surtout la façon dont Brentano caractérise la nature des actes
psychiques qui s’inspire nettement d’Aristote. Ainsi le principe fondamen-
tal de la psychologie brentaniste, suivant lequel tout phénomène psychique
est ou une représentation ou fondé sur une telle représentation, est d’origine
aristotélicienne. La même remarque s’applique à la thèse qui veut que nos
actes psychiques aient une double visée et se rapportent aussi bien à un objet
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premier qu’à eux-mêmes (i. e. : l’objet secondaire). De même, l’idée que les
phénomènes psychiques constituent des actes est à mettre au compte de la
lecture d’Aristote et est dérivée directement de la notion d’être en acte.
Enfin, la doctrine de l’inexistence intentionnelle, selon laquelle l’objet
représenté n’est pas réellement présent dans l’acte de la représentation, est
influencée par la théorie aristotélicienne de la perception 20.
À la lumière de tous ces points de convergence, on mesure pleinement la
rupture que la définition de la psychologie donnée dans Psychologie vom
empirischen Standpunkt représente par rapport à la psychologie substan-
tialiste d’Aristote. Cette définition se situe dans le prolongement direct de
l’étude sur Comte, où Brentano souligne déjà le caractère métaphysique,
c’est-à-dire fictif, de certaines doctrines fondamentales de la philosophie
d’Aristote, telles que les théories de la substance et de l’accident, de l’acte et

17. B, 1955 : préface, p. 2.


18. B, 1955, p. 16.
19. Faut-il rappeler que la dissertation et la thèse d’habilitation de Brentano portent
respectivement sur la philosophie et la psychologie aristotéliciennes (B, 1960 et 1967).
20. M, 1989, p. 33-37.
BRENTANO ET LE POSITIVISME 299

de la puissance. Pour Brentano, il est évident que la psychologie devra être


développée comme science des phénomènes psychiques.
En revanche, Brentano ne suit pas Comte dans son rejet de la psychologie
basée sur l’introspection. Dans le Cours de philosophie positive, Comte
récuse la notion d’expérience interne comme impossible 21. En effet, dans le
cas de l’observation de l’esprit par lui-même, une condition essentielle de
l’observation n’est pas réalisée, qui est la séparation de l’objet et du sujet de
l’observation. Selon Brentano, cette critique ne porte pas, car elle néglige
complètement la distinction entre la perception interne (die Wahrnehmung)
et l’observation interne (die Beobachtung), distinction fondée sur la double
visée de la conscience. Conformément au principe de l’intentionnalité, toute
conscience est conscience de quelque chose, c’est-à-dire est primairement
dirigée sur un objet. Autrement dit, l’acte en soi ne saurait être saisi
indépendamment de l’objet sur lequel il est dirigé. Cette caractéristique des
actes psychiques implique que ceux-ci ne sont pas observables au sens des
objets physiques, comme le souligne à juste titre Comte. Mais elle n’empêche
pas que ces mêmes actes nous soient accessibles dans la perception interne
comme conscience (objet) secondaire 22. Pour Brentano, cette perception
interne, dotée à ses yeux d’une évidence immédiate et infaillible, doit
constituer la base première et la méthode fondamentale en psychologie.
Dans la mesure où il cherche à développer une science autonome des
phénomènes psychiques, Brentano rejette le point de vue comtien, qui
consiste à fonder la psychologie sur la physiologie et à remplacer l’étude des
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phénomènes psychiques par l’étude de la localisation des fonctions cérébra-


les (la phrénologie). Par contre, Brentano fait des emprunts manifestes au
Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la Religion
de l’Humanité (1851-1854) de Comte, où celui-ci cherche à intégrer la
psychologie dans la sociologie. Toujours hostile à la méthode de l’observa-
tion interne, Comte y insiste sur l’importance de la méthode historique, de la
psycho-pathologie et de la psychologie animale. La Psychologie vom empi-
rischen Standpunkt de Brentano reprend ces trois thèmes. Non seulement la
psychologie doit étudier les psychismes élémentaires de l’enfant et de l’ani-
mal, mais aussi les maladies mentales. En plus, la psychologie ne saurait
renoncer à l’étude historique, l’histoire des individus comme des collectivi-
tés étant riche en leçons de psychologie 23.
Cependant, l’apport fondamental de Brentano à la psychologie ne réside
pas dans ces investigations génétiques, mais dans sa conception de la psycho-
logie descriptive. Bien que celle-ci soit déjà annoncée dans la Psychologie

21. C, 1968, p. 29-30.


22. B, 1955, p. 40-46 et 180-183.
23. B, 1955, p. 56-60.
300 R. SCHMIT

vom empirischen Standpunkt, la distinction explicite entre la psychologie


descriptive (Psychognosie) et la psychologie génétique n’apparaît que vers
1887. Contrairement à la seconde, la première est considérée comme capable
de s’élever à des lois universelles à caractère apodictique. De telles lois
s’expriment sous forme négative et apparaissent déjà au niveau de la Psycho-
logie vom empirischen Standpunkt. Qui plus est, Brentano estime que la
psychologie descriptive est plus fondamentale que la psychologie génétique
puisque l’explication causale des phénomènes psychiques présuppose néces-
sairement leur distinction et leur description adéquates.

Un chapitre oublié dans l’histoire de la réception du positivisme


Il est généralement admis que c’est la lecture de l’ouvrage de John St.
Mill Auguste Comte and positivism (1865) qui a amené Brentano à l’étude
de la pensée de Comte. Effectivement, au début de l’année 1872, dans une
lettre pleine de reconnaissance, Brentano remercie J. St. Mill de lui avoir
révélé l’œuvre de Comte 24. En plus, comme l’atteste sa bibliothèque per-
sonnelle, Brentano était en possession de la traduction française de l’ouvrage
de Mill.
Malgré ces faits, on ne peut, a priori, écarter l’hypothèse d’autres ponts
entre Brentano et la philosophie de Comte. Ainsi, le beau-frère de Brentano,
Théophile Funck-Brentano (1830-1906), fait-il paraître en 1869 un opuscule
intitulé La pensée exacte en philosophie, dans lequel il critique sévèrement
le positivisme. Complètement oublié de nos jours, Funck-Brentano est
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l’auteur d’une série d’ouvrages philosophiques, dont Philosophie et lois de


l’histoire (Paris,1859) 25. Ses préférences philosophiques vont manifeste-
ment à l’éclectisme, alors en vogue en France et fustigé par Brentano. Il est à
présumer qu’au cours de ses études de médecine à Paris, Théophile Funck a
pris goût à la philosophie et qu’à la même occasion il est aussi entré en
contact avec les idées de Comte.
La question se pose dès lors si Funck-Brentano a pu faire découvrir le
positivisme à Brentano. À ce propos, il convient de souligner que l’opuscule
La pensée exacte en philosophie porte en exergue à la deuxième partie une
dédicace à Brentano : « À Monsieur Franz Brentano. La philosophie et les
mathématiques sont des sciences sœurs ; c’est votre conviction, cher beau-
frère, comme la mienne. Aussi je vous dédie ce petit traité en forme exacte,
avec d’autant plus de plaisir que vous en serez le meilleur juge. » D’autre

24. Un résumé de la lettre se trouve reproduit dans M, 1972, p. 1875-1876.


25. Médecin et homme de lettres, Théophile Funck-Brentano enseignera, à partir de 1873,
le droit civil à l’Ecole libre des sciences politiques, nouvellement créée à Paris. Carl Stumpf, qui
l’a rencontré au Luxembourg en 1874 à l’occasion d’un voyage fait en compagnie de Brentano,
dresse son portrait dans S, 1919 : « ...Funck-Brentano war ein allgemeingebildeter, auch
philosophisch belesener Mann und eleganter Schriftsteller... » (p. 137-138).
BRENTANO ET LE POSITIVISME 301

part, nous savons que Théophile Funck avait offert un exemplaire de


l’ouvrage à son beau-frère 26. Bien que nous ignorions à peu près tout des
relations intellectuelles entre les deux hommes, il semble toutefois qu’ils ne
partageaient pas les mêmes convictions philosophiques.
La première partie de l’opuscule a la forme du dialogue et oppose quatre
personnages : le sceptique, l’idéaliste, le positiviste et l’étranger. Médecin
comme Funck-Brentano, l’étranger expose le point de vue de l’auteur. Tout
en présentant Comte comme « ...un penseur hardi et profondément logi-
que », qui, « frappé du vide des rêves idéalistes... voulut découvrir une
méthode plus exacte », le chapitre Les croyances du positiviste constitue un
véritable réquisitoire contre le positivisme 27.
La loi des trois états est rejetée au nom de l’unité de la pensée et de
l’identité des lois intellectuelles 28. Aux yeux de Funck-Brentano, elle ne
représente qu’un dogme sans le moindre fondement : « Cette loi et ses
conséquences me paraissent... également arbitraires, hypothétiques, subjec-
tives, métaphysiques et tout ce que vous voudrez, mais rien moins que
positives. » 29 Funck-Brentano s’en prend également au caractère artificiel
de la classification des sciences 30. Enfin, en se fixant le but de formuler les
règles d’une méthode universelle de la découverte, Comte, comme Bacon
avant lui, se nourrirait d’illusions pour la simple raison que la méthode
scientifique ne se laisse pas enfermer dans « une règle positive » : « Ainsi
vouloir soumettre la mobilité insondable et toute l’immensité de ce travail
constant, soutenu, sans trêve, de la pensée humaine dans les siècles, à une
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pauvre classification, c’est... aussi peu comprendre la grandeur et la puis-


sance du génie humain, que les conditions les plus élémentaires de ses
progrès » 31. Toujours selon Funck, Comte néglige totalement la complexité
de l’histoire des sciences en même temps que les multiples transferts de
connaissances qui s’opèrent entre les différents domaines du savoir.
Mais avant toute chose, l’auteur récuse la réduction empiriste de la
connaissance au seul monde des phénomènes. Il convient toutefois de noter
à la décharge de Comte que celui-ci n’a jamais défendu l’empirisme plat,
qu’y voit Funck, ni surtout conçu le projet de définir une logique de la
découverte. En conclusion, Funck reproche à Comte de concevoir un projet

26. Un fragment de cet exemplaire est conservé dans la bibliothèque personnelle de


Brentano aux Archives de l’ Université de Graz (Forschungsstelle für österreichische Philoso-
phie).
27. F, 1869, p. 48.
28. F, 1869, p. 15, 29-30 et 49.
29. F, 1869, p. 15.
30. F, 1869 : « ...la hiérarchie des sciences m’a toujours paru un enfantillage indigne
d’un penseur sérieux » (p. 27).
31. F, 1869, p. 38-39.
302 R. SCHMIT

qui présente tous les caractères d’une religion nouvelle et qui verse dans le
dogmatisme le plus pur.
Il est manifeste que tout sépare cette critique radicale du jugement plus
nuancé et plus juste qu’on trouve chez Brentano. Tout en attestant un esprit
cultivé, l’opuscule de Funck-Brentano n’atteint jamais la profondeur ni la
rigueur des écrits de Brentano. Ceci nous permet en même temps d’apporter
une réponse à la question posée plus haut : alors que rien ne permet
d’exclure la possibilité que Funck-Brentano, malgré tout, ait pu attirer
l’attention de Brentano sur l’œuvre de Comte, ce fait ne semble avoir
influencé d’aucune façon les vues que Brentano développe sur le positi-
visme.

La postérité néo-positiviste
L’histoire des idées ne saurait renoncer à la recherche des sources et des
filiations conceptuelles. Or, pour naturelle qu’elle paraisse, cette forme de
l’historiographie soulève des problèmes méthodologiques certains. N’étant
jamais entièrement à l’abri de la réduction abusive, le recours aux concepts
de préformation et d’anticipation risque de méconnaître la spécificité et la
nouveauté des idées. À la limite, il nie même l’idée de progrès intellectuel.
Non moins réel est le danger de la dispersion. Le retour aux sources, en
raison de leur pluralité, ne porte-t-il pas atteinte à l’unité interne de toute
pensée philosophique ? D’autre part, la référence aux précurseurs soulève le
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problème épineux de départager non seulement les influences directes et les


influences lointaines, mais aussi les influences essentielles de celles qui sont
seulement accessoires.
L’histoire du positivisme logique illustre parfaitement ces difficultés. À
la fois héritier de l’empirisme classique (de Bacon à Hume), du positivisme
du e siècle (Comte et Mill) et du courant logiciste (Bolzano et Frege), le
positivisme intègre encore bien d’autres influences, comme celles de Bren-
tano, Mach, Duhem, Poincaré, Einstein, Russell et Wittgenstein, sans qu’il
soit réductible à aucune d’entre elles. Bien qu’ils soient pleinement assumés
par tous les néopositivistes, les liens de filiation entre le positivisme ancien et
le néo-positivisme sont loin d’être clairs.
Ceci est souligné par le fait que l’appellation même de néo-positivisme
soulève déjà des problèmes. Comme le terme positivisme logique, proposé à
l’origine par Herbert Feigl, elle ne fut jamais entièrement acceptée par les
membres du Cercle de Vienne et fut employée par ses critiques et ses
historiens plutôt que par ses adeptes. Accueillie avec bien des réticences par
les uns, elle fut carrément refusée par d’autres, comme par exemple Otto
Neurath. Celui-ci justifie son rejet, entre autres, par la subsistance de résidus
BRENTANO ET LE POSITIVISME 303

métaphysiques dans la philosophie de Comte 32. Sensibles à ce qui les sépare


du positivisme ancien, les néo-positivistes donnent la préférence aux termes
empirisme rationnel ou empirisme logique. Ces termes soulignent le rôle
prépondérant qui, dans le néo-positivisme, revient à l’analyse logique, com-
plètement absente dans la philosophie de Comte, en même temps qu’ils
reconnaissent la dette du Cercle de Vienne envers l’empirisme anglo-saxon,
dont l’influence semble avoir été plus importante que celle de Comte.
Malgré les réserves formulées par Neurath, le Cercle de Vienne voit en
Auguste Comte un précurseur. Le manifeste Wissenschaftliche Weltauffas-
sung : Der Wiener Kreis, paru en 1929 et rédigé par Carnap, Hahn et
Neurath, reste encore relativement discret au sujet du rôle joué par Comte
dans l’avènement du néo-positivisme. Son nom apparaît seulement dans la
liste des penseurs empiristes et positivistes étudiés et discutés plus systéma-
tiquement au sein du Cercle. En revanche, l’influence exercée par Brentano
est présentée comme tout à fait déterminante. Par son opposition à Kant et
par l’importance qu’il accorde aux recherches logiques, Brentano aurait
directement préparé le terrain au néo-positivisme. Autre fait marquant sur
lequel insistent les auteurs du manifeste : en renouant avec la pensée
leibnizienne, Brentano et son école ont contribué à la diffusion des idées de
Bolzano en Autriche et, en même temps, attiré l’attention sur les problèmes
relatifs à la fondation de la logique 33.
La communication Le développement du Cercle de Vienne et l’avenir de
l’Empirisme logique de Neurath, parue en 1936 à Paris, se réfère plus
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explicitement à Comte. Analysant les multiples sources auxquelles se ratta-


che le néo-positivisme directement ou indirectement, Neurath cite trois
points de convergence majeurs entre le positivisme ancien et le néo-
positivisme : l’opposition à la métaphysique, le scientisme et le projet de la
science unitaire. Quant à l’attitude anti-métaphysique que Neurath décèle
chez Comte, il est certain que celle-ci ne résulte ni de la volonté d’en finir une
fois pour toutes avec la métaphysique ni même d’une position empiriste
outrée, comme c’est le cas du Cercle de Vienne. Chez Comte, la critique de la
métaphysique semble plutôt directement liée au rejet de la notion classique
de causalité au profit de la notion de loi. Quoi qu’il en soit, la volonté de

32. Dans une lettre datée du 9 mai 1934 adressée à Carnap, Otto Neurath note : « Bitte nicht
‘Positivismus’ sagen. Ich las wieder einmal Comtes Werk. Und obgleich ich es gegen zuviel
Beschimpfung schützen muß, es graust einem oft... Ich werde ihn bei ‘Einheitswissenschaft’
schon nennen ¢ aber ‘Positivismus’... o weh ». Cité par H, 1986b, p. 194-195.
33. N, H, C, 1981, p. 301-303. Le fait que Brentano ait développé les
éléments d’une critique du langage n’est certainement pas étranger au prestige dont il jouit
auprès des membres du Cercle de Vienne. Pour les relations de Brentano avec le Cercle de
Vienne, cf. H, 1993, p. 26-28, 40-43 ; S, 1986b, p. 21-41 ainsi que S, 1989,
p. 31-43.
304 R. SCHMIT

constituer une conception strictement scientifique de l’univers est commune


à Comte et aux néo-positivistes qui ont inscrit sur leur bannière l’idéal de la
Allgemeinwissenschaft ohne Metaphysik 34. Toutefois, Neurath relève à
raison que Comte n’a pas réussi à expulser tous les spectres de la métaphy-
sique de sa philosophie. Ainsi la loi des trois états, qui réduit l’histoire
intellectuelle de l’humanité à un développement strictement nécessaire,
nous livre un exemple particulièrement frappant de la rémanence d’élé-
ments métaphysiques dans le positivisme comtien.
Enfin, Comte est présenté, avec Saint-Simon et Cournot, comme le
précurseur et le pionnier de l’idée de l’unification de la science (ein Vorläufer
der Bewegung in Richtung Einheitswissenschaft) 35. En effet, Comte
n’assigne-t-il pas à la philosophie positive la tâche de la systématisation de
nos connaissances ? Pour la philosophie positive, ceci ne signifie évidem-
ment pas qu’elle doive interpréter tous les aspects de la réalité à partir d’une
loi unique, mais qu’elle est appelée à révéler l’unité réelle de toutes les
sciences en dévoilant leur organisation différenciée et leurs relations respec-
tives 36. C’est là aussi la signification plus profonde de la classification
comtienne des sciences. Le thème de l’unité de la science figure également au
programme du Cercle de Vienne. Héritier non seulement de Comte, mais
aussi de Leibniz et de Bolzano, le cercle de Vienne estime toutefois que
l’unité de la science devra être réalisée par la logique et plus précisément par
une analyse dévoilant la structure logique commune qui sous-tend toutes les
théories scientifiques.
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Comte et l’Autriche : les voies de la transmission


Bien avant l’avènement du positivisme logique, les idées de Comte,
notamment la loi des trois états, avaient cours à Vienne et influaient sur le
climat intellectuel particulier dans lequel le Cercle de Vienne a pu se
développer. Les conceptions philosophiques de Comte ont pénétré la pensée
autrichienne par plusieurs voies.
Très proche du scientisme comtien, Ernst Mach (1838-1916), titulaire de
la chaire d’histoire et théorie des sciences inductives à l’Université de Vienne
de 1895 à 1901, considéré comme le véritable père spirituel du Cercle de
Vienne ¢ initialement celui-ci s’était donné le nom de Ernst-Mach-Verein ¢,
se réfère en fait très peu à Comte. S’il le cite, c’est pour rappeler brièvement
la loi des trois états, ou bien, comme c’est le cas dans Die Analyse der
Empfindungen und das Verhältnis des Physischen zum Psychischen, pour

34. N, 1981b, p. 694-695.


35. N, 1981b, p. 685.
36. M, 1989, p. 69-71.
BRENTANO ET LE POSITIVISME 305

marquer sa distance vis-à-vis de Comte en ce qui concerne la question de la


psychologie 37.
Comme l’Allemagne, l’Autriche semble avoir découvert les idées de
Comte essentiellement grâce à l’œuvre de John St. Mill, qui avait une large
audience à Vienne. S’inspirant des idées de Comte et en relation épistolière
avec lui, Mill a consacré une monographie à Comte, dont nous avons déjà eu
l’occasion de parler (Auguste Comte and Positivism). Le rôle déterminant
dans la diffusion des idées de Mill en Autriche et en Allemagne revient
incontestablement à Theodor Gomperz (1832-1912), professeur de philolo-
gie classique à l’Université de Vienne en même temps que traducteur et
éditeur de l’œuvre de Mill. Entièrement acquis aux idées de Mill, avec qui il
s’était lié d’amitié, Gomperz a dirigé la traduction et l’édition allemande des
œuvres de Mill, parues à Leipzig (1868-1880) 38.
Parmi les auteurs qui ont fait connaître la pensée de Comte à Vienne, il
faut aussi citer Robert Zimmermann (1824-1898). Professeur de philosophie
à l’Université de Vienne de 1861 à 1895, il consacre deux études plus
importantes à Comte, dans lesquelles il analyse les rapports entre le kan-
tisme et le positivisme. Zimmermann s’attache à montrer que ni l’un ni
l’autre ne renient radicalement la métaphysique. À ses yeux, Kant et Comte
ont pour but d’opérer une synthèse entre le rationalisme et l’empirisme.
Dans la mesure où Comte considère la métaphysique comme une phase
nécessaire dans la constitution des sciences positives, il en reconnaît impli-
citement la valeur 39. En revanche, Zimmermann critique chez Comte
l’absence d’une authentique histoire des sciences, retraçant la constitution
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effective des différentes sciences à partir de leur forme pré-scientifique 40. Il


convient de souligner que l’invitation, adressée à Brentano, de venir en-
seigner à Vienne émane de Zimmermann.
Enfin, dans la transmission de l’héritage de Comte, la philosophie de
Brentano, qui a connu un rayonnement hors pair dans l’ancien empire
austro-hongrois, a joué un rôle important, quoique plus difficile à saisir 41.

37. M, 1905, p. 99 et 1903 : « Von Comte muß ich mich darin entfernen, daß mir die
psychologischen Thatsachen als mindestens eben so wichtige Erkenntnisquellen erscheinen
wie die physikalischen » (p. 38). Selon Blackmore (1972, p. 164-169), il existe des points de
convergence indiscutables entre le positivisme comtien et les doctrines de Mach, comme l’idée
scientiste que le progrès de l’humanité passe par le progrès scientifique, l’opposition à la
métaphysique et l’idéal de l’unification des sciences.
38. Parmi les traducteurs figure aussi Sigmund Freud, chargé de la traduction du tome XII
de l’édition, lequel comprend entre autres L’asservissement des femmes.
39. Z, 1885, p. 3-4, 31 et 39.
40. Z, 1874, p. 62-63 et 1885, p. 37-39.
41. Ce rayonnement s’explique par la conjonction de deux facteurs. Tout d’abord, il
convient de souligner l’extraordinaire fascination qui se dégage, non seulement de la personna-
lité de Brentano, mais encore de ses cours pendant les vingt années qu’il a enseigné à
306 R. SCHMIT

Par l’intermédiaire de son œuvre, la philosophie de Comte a pu exercer une


influence indirecte sur la pensée autrichienne. En effet, sans renoncer à la
métaphysique, la pensée de Brentano s’est manifestement incorporé des
éléments de la philosophie de Comte (le postulat de la positivité de la science
et le principe de la classification). En plus, le positivisme a marqué Brentano,
de façon plus diffuse, en renforçant deux tendances majeures qui s’affirment
déjà très tôt dans sa pensée et qui font que Brentano se reconnaît des affinités
fondamentales avec le positivisme, à savoir la volonté de constituer une
philosophie de caractère scientifique et le rejet du kantisme.
L’idéal d’une philosophie rigoureuse et proche des sciences, Brentano l’a
conçu très tôt au contact de la pensée aristotélicienne. Cet idéal est formulé
expressément dans la quatrième thèse d’habilitation. La volonté d’ériger une
philosophie « scientifique », Brentano la retrouve dans le positivisme. Il est
vrai que Brentano ne renoncera jamais à la métaphysique, mais il exigera que
celle-ci soit fondée sur des données expérimentales. Ses disciples se rallie-
ront sans exception à son idéal d’une philosophie rigoureuse et en assureront
la diffusion dans l’empire austro-hongrois. Aussi, par une singulière ironie
de l’histoire des idées, Brentano, tout en faisant valoir les droits de la
métaphysique, aura-t-il contribué à orienter la pensée autrichienne vers une
philosophie de type scientifique. En soulignant la dette du Cercle de Vienne
envers Brentano, l’un de ses membres les plus en vue, Neurath, note que
c’est effectivement par sa dimension critique et logique, plutôt que par son
orientation métaphysique, que la philosophie de Brentano a agi à Vienne 42.
En deuxième lieu, Brentano s’oppose au kantisme et, plus vigoureuse-
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ment encore, à l’idéalisme allemand, qui, à ses yeux, constituent des formes
dégénérées de la philosophie. Face à l’idéalisme, le positivisme est vécu
initialement comme le signe et la promesse d’un redressement authentique
de la philosophie. Dans l’étude sur Comte, Brentano s’évertue à réfuter toute
velléité d’interpréter le positivisme dans le sens du kantisme. Ce qui rappro-
che effectivement Brentano de Comte, c’est que l’un et l’autre prennent le
contre-pied de Kant en défendant une conception réaliste de la connais-
sance. Or, l’anti-kantisme et l’anti-idéalisme représentent une caractéristi-
que constante et fondamentale de la philosophie autrichienne. Cette orien-
tation remonte à Bolzano, qui a critiqué dans l’idéalisme la confusion de
l’objet d’une représentation avec la représentation elle-même et qui a ancré

l’Université de Vienne (1874-1894). Ensuite, l’influence exercée par l’enseignement de ses


nombreux disciples, qui, devenus titulaires des principales chaires de philosophie de l’empire,
diffuseront la pensée de leur maître, a largement contribué au succès de la philosophie de
Brentano.
42. N, 1981b, p. 690. Dans le même contexte, Neurath relève les liens directs qui
existent entre la pensée de Brentano et celle de Comte : « Brentano orientierte seine empirisch-
psychologischen Bestrebungen an Comte » (688).
BRENTANO ET LE POSITIVISME 307

la pensée autrichienne dans la tradition leibnizienne. Il est certain que


l’enseignement de Brentano, qui va dans la même direction, a fortement
consolidé cette tendance anti-kantienne.
Les rapports entre Comte et Brentano restent fort ambivalents. Malgré
les emprunts et les points de convergence manifestes, l’opposition insurmon-
table entre la pensée de Brentano et le positivisme éclate au grand jour dès
1869. A cette date, Brentano note déjà : « Comte’s Irrtümer sind groß, aber
sie sind Zeugen großer Wahrheiten. » 43 Dès lors, Brentano semble s’éloi-
gner de plus en plus de Comte et, dans ses cours, il ne cesse de multiplier les
mises en garde contre le positivisme 44. L’ambiguïté qui caractérise le juge-
ment de 1869 est symptomatique d’une ambivalence fondamentale de son
œuvre, qui explique l’attrait que celle-ci a pu représenter pour le Cercle de
Vienne. En effet, bien qu’elle soit métaphysique dans son essence, la pensée
de Brentano n’a jamais renoncé à l’idéal d’une philosophie exacte et proche
des sciences.

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43. B, 1968, p. 101.


44. Cf. entre autres B, 1968c, p. 160-164.
308 R. SCHMIT

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BRENTANO ET LE POSITIVISME 309

Résumé : En 1869, le jeune Brentano (1838-1917) consacre une étude à Auguste Comte
(1798-1857), dans laquelle il rend un vibrant hommage au fondateur du positivisme. La
question de la métaphysique mise à part, l’étude fait apparaître des affinités profondes
entre le positivisme comtien et la philosophie de Franz Brentano : chez les deux penseurs
on rencontre en fait le même refus de séparer la philosophie de la science. Au-delà de ces
affinités qui existent au départ, la lecture de Comte aura durablement marqué la pensée
de Brentano. Tout ceci explique pourquoi l’héritage de Brentano a pu jouer un rôle certain
dans l’avènement du néo-positivisme dans la Vienne des premières décennies du XXe
siècle. La position particulière que Brentano occupe aussi bien par rapport au positivisme
ancien qu’au néo-positivisme soulève deux problèmes majeurs. Le premier a trait au rôle
que Brentano a pu jouer dans la transmission de l’idéal positiviste. Le second, plus
fondamental, se rapporte aux liens généralement sous-estimés qui existent entre le
néo-positivisme et la philosophie positiviste de Comte.
Mots-clés : Positivisme. Néopositivisme. Philosophie des sciences. Métaphysique. Psycholo-
gie.

Abstract : In 1868 the young Brentano (1838-1917) publishes a very laudatory essay on
Auguste Comte (1798-1857). If we except the question of metaphysics, the study reveals
deep affinities between Comte’s positivism and the philosophy of Brentano : both
philosophers indeed decline to separate philosophy from science. Beyond these affinities,
the study of Comte’s work left its mark on Brentano’s thinking. This fact explains that
his philosophy played an important part in the birth of neo-positivism in Vienna in the
first decades of the 20th century. The peculiar position Brentano holds in relation to
Comte and the Vienna Circle raises two major problems. The first relates to the part
Brentano may have played in the transmission of Comte’s ideas to Austrian philosophy.
The second is more fundamental and pertains to those relations which exist between
neo-positivism and Comte’s work and which are generally underestimated.
Key words : Positivism. Neopositivism. Philosophy of science. Metaphysics. Psychology.
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