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BACCALAUREAT SESSION 2023 – Série technologique

Texte N°12– Arthur Rimbaud, « Voyelles » (1871)

Explication de texte linéaire du sonnet « Voyelles » de Rimbaud


Arthur Rimbaud est un jeune poète prodige né en 1854 à Charleville-Mézières et mort en 1891 à Marseille. Bien
que brève, son œuvre est caractérisée par une grande densité thématique ainsi qu’une originalité et une
innovation stylistique. Il écrit ses premiers poèmes à l’âge de 15 ans et cherchera à dépasser les influences de
ses prédécesseurs : Charles Baudelaire, Victor Hugo, Théodore de Banville. Vers l’âge de 20 ans, il renonce
soudainement à la littérature et choisit de mener une vie aventureuse de négociant et d’explorateur.
Probablement écrit en 1871 ou 1872, mais publié seulement le 5 octobre 1883 dans la revue Lutèce, le sonnet
intitulé « Voyelles » est l’un des plus célèbres et des plus mystérieux d’Arthur Rimbaud. Le poète y exprime sa
fascination pour les transformations alchimiques du langage et pour les synesthésies de Baudelaire, c’est-à-dire
les correspondances sensorielles entre éléments visuels, sonores, olfactifs, tactiles ou gustatifs.
Le mouvement du texte est en deux parties : 1/ les deux premiers alexandrins présentent les associations de
voyelles et de couleurs ; 2/ la suite du sonnet détaille chacune des voyelles et les visions imagées que ces voyelles
procurent au poète.
Piste de lecture : Comment Rimbaud parvient-il à faire de cet abécédaire vocalique un véritable univers poétique
personnel ?

Partie 1 : Au vers 1, les voyelles sont énoncées dans l’ordre de l’alphabet grec et chacune d’entre elles est
associée à une couleur : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu (il manque le Y, mais celui-ci peut s’apparenter
au U (upsilon) du grec ancien, comme le U latin s’apparente au V du latin). Ces couleurs peuvent avoir un sens
symbolique : au noir est associé la décomposition et la mort, au blanc la pureté, au rouge le sang, au vert la
nature et la mer, au bleu le rayon violet du prisme de l’arc-en-ciel. Elles peuvent représenter d’autres objets ou
éléments, elles sont des signes, des symboles. En fin de premier vers, le poète s’adresse directement aux voyelles
par une apostrophe : « voyelles,/Je dirai quelque jour vos naissances latentes ». Les voyelles recèlent une part
de mystère que le poète, qui est un voyant, va révéler. Il annonce ainsi à la fois ses créations poétiques à venir
et la suite du poème, avec le détail des associations d’idées et de sensations auxquelles les voyelles se combinent.

Partie 2 : A la lettre A est associée la métaphore du « corset velu » des mouches, c’est-à-dire leur abdomen
lorsque ces insectes tournoient en bourdonnant : c’est le sens du nélologisme « bombiner » forgé par Rimbaud,
dont les sonorités sont très évocatrices et apportent un élément sonore au tableau. Les allitérations en « b »
imitent le bourdonnement des insectes. Ces mouches « éclatantes », c’est-à-dire brillantes, sont attirées par les
« puanteurs cruelles », c’est-à-dire par les éléments en décomposition, ce qui fait de A, qui débute le cycle, une
voyelle tournée vers la mort.
Mais la voyelle E va apporter une régénération, une renaissance. En effet, E est associée aux images de
« vapeurs » blanches, de « tentes » blanches (peut-être dans le désert ou sur un champ de bataille), de « glaciers »
blancs, de « rois » blancs et de « fleurs », sans doute également blanches (les « ombelles » sont des
inflorescences en forme de sphère). On remarque le lexique extrêmement recherché de Rimbaud pour évoquer
ces images visuelles : « candeurs », « Lances des glaciers fiers », « frissons d’ombelles ». Certains des
substantifs sont qualifiés par un adjectif à valeur morale : les « glaciers fiers », comme les « mouches » étaient
« éclatantes », adjectif qui porte un sens concret et un sens figuré. Il y a une tonalité épique associée au blanc :
les « lances des glaciers », la fierté, les rois et les tentes.
La voyelle I est comparée aux « pourpres », c’est-à-dire aux matières colorantes d’un rouge vif extraites d’un
mollusque, le pourpre, mais aussi au « sang craché ». La juxtaposition des expressions « sang craché » et « rire
des lèvres belles » crée un véritable tableau paradoxal devant nos yeux, où le sang est craché par des lèvres
rieuses, sous l’effet de la colère ou d’une ivresse pécheresse, qui se repent de ses péchés : c’est le sens de
l’expression « les ivresses pénitentes ».
Le premier tercet s’ouvre sur la voyelle U et les significations symboliques qui lui sont attachées : le vert est
une couleur qui évoque pour Rimbaud le voyage et les espaces des mers et des prairies : « mers virides », « paix
des pâtis semés d’animaux ». On note deux néologismes créés par le poète : le nom « vibrements » (au lieu de
vibrations) et l’adjectif « virides », forgé à partir du latin « viridis » qui signifie vert. Ces néologismes donnent
un caractère précieux et innovant au poème, tout comme le choix du terme ancien « pâtis » désignant les
pâturages. Sur le plan du signe alphabétique, du signifiant linguistique, la voyelle U est associée au Y dans le
mot « cycles » et au V dans le mot « vibrements », mot qui donne sa connotation sonore au tableau. Le champ
lexical du paysage est valorisé par l’adjectif « divins » qui qualifie « vibrements » et par l’anaphore « paix » qui
caractérise les « pâtis » et les « rides », donnant un caractère d’apaisement à cette couleur, intensifié par les
allitérations en « p » et les assonances en « i ». La couleur verte est également le propre de l’étude et des longues
recherches des alchimistes vieillis : « Paix des rides/Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux » (v.
10-11). « L’alchimie » est pour Rimbaud à la fois un processus de transformation de la matière (par exemple en
or), et de transmutation de la parole ordinaire, grâce aux visions poétiques, en une parole supérieure porteuse de
beauté et de richesse.
Enfin, le dernier tercet est consacré à la voyelle O, qui clôt le sonnet avec « l’Oméga », dernière lettre de
l’alphabet grec. Le O est tout d’abord associé à des images sonores : « suprême Clairon plein des strideurs
étranges » (v. 12), puis « Silences traversés des Mondes et des Anges » (v. 13). Le « Clairon » pourrait être
assimilé aux sept trompettes de l’Apocalypse de Saint-Jean dans la Bible, annonçant la fin des temps mais aussi
la victoire du Christ sur Satan. Le mot « strideurs » est à nouveau un néologisme forgé par Rimbaud pour
désigner des bruits perçants et vibrants. La lettre O est porteuse d’un sens métaphysique, spirituel, avec
l’évocation des « Anges » et la personnification des « Mondes », deux allégories. L’Alpha et l’Oméga
symbolisent en effet dans la religion chrétienne l’éternité du Christ. Au vers 14, la lettre O est également associée
à un rayon lumineux violet, peut-être l’une des sept couleurs de l’arc-en-ciel (rouge, orange, jaune, vert, bleu,
indigo et violet). Selon la Bible, l’arc-en-ciel, apparu après le déluge et la constitution de l’arche de Noé,
représente l’alliance de Dieu et des hommes. C’est un symbole de paix et de prospérité. L’expression « Ses
Yeux » pourrait ainsi se rapporter à Dieu ou à une divinité, plutôt qu’à une femme aimée. On se rend compte
que les deux tercets apportent un caractère pacifique au poème et le terminent sur une tonalité apaisée.

Conclusion : Dans ce sonnet quelque peu énigmatique et porteur d’éléments symboliques associés aux lettres et
aux couleurs, Rimbaud donne toute la mesure de son génie créatif. Les images poétiques, visuelles et sonores,
créent de véritables tableaux emblématiques du langage, ici représenté par ses plus petits éléments linguistiques,
les voyelles. Ainsi, ce langage est une « alchimie » qui, par le pouvoir des mots, va donner vie à la création
poétique.

Grille d’évaluation de l’explication de texte linéaire orale sur 20 points


- Lecture expressive : /2 pts
Introduction :
- Présentation auteur/œuvre : /2 pts
- Mouvement du texte : /1 pt
- Piste de lecture/problématique : /1 pt
Développement :
- Reformulation/explicitation pertinentes : /5 pts
- Analyse des procédés de style : /5 pts
Conclusion : /2 pts
- Langue correcte, débit/élocution et respect du temps (5/6-8 mn) : /2 pts

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