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Claire Blanche-Benveniste
2001/1 - no42-43
pages 83 à 95
ISSN 0082-6049
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Préposition à éclipses
PRÉPOSITION À ÉCLIPSES
Claire BLANCHE-BENVENISTE *
Elle peut être absente devant le complément nominal, mais présente devant
qu- (réalisé sous forme du pronom qui) :
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Claire BLANCHE -BENVENISTE
Elle peut aussi figurer deux fois, aussi bien devant le complément nominal
que devant qu- :
[3] C’est à sa mère à qui elle a confié sa robe
c’est [ + prép N ] [ + prép que] V a confié
La première tournure [1] a une meilleure réputation normative que les deux
autres, mais tout le monde s’accorde généralement à reconnaître que les
deux autres, [2] et [3], sont aussi grammaticalement bien formées.
les trois. Une remarque célèbre de l’Académie française avait déjà tenté de
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Préposition à éclipses
1.1. Le modèle de réalisation le plus simple est celui qui fait apparaître la
préposition suivie du syntagme nominal dans la position privilégiée
entre d’une part c’est , il n’y a que et d’autre part la conjonction que,
soit, schématiquement :
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Préposition à éclipses
[(à) elle] [ à qui] [(à) cela] [ à quoi] [(de) cela] [ dont] [(à) celle-ci] [ à laquelle]
[(à) cet endroit] [où] [où]
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Cela fait partie des cas que mentionne Dixon où la préposition disparaît
devant les « measure phrases »,
He runs (for) three miles,
She stood in the pouring rain twenty minutes (Dixon 1991 : 285).
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Préposition à éclipses
Les choix varient selon les usagers. Grevisse (1986) recommande je demande
à ce qu’on m’oublie, là où l’usage le plus général semblerait plutôt être Je
demande qu’on m’oublie. La tendance semble être, du reste, de choisir que,
comme en témoigne cet exemple de sensibiliser, ordinairement construit
avec à (sensibiliser à quelque chose), tel qu’il apparaît avec une que-phrase
dans une conversation :
Il faudrait sensibiliser les gens que le feu rouge c’est quand même dans le
code de la route (Sardier 6,8)
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Ce dont les Américains sont conscients, c’est que Bill Clinton va aller piocher
dans les poches de certains d’entre eux (Roubaud 2000 : 393)
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Préposition à éclipses
Mais avec des interrogatives comme de qui il était question, de quoi j’ai
l’air, à qui tu l’as confiée, avec qui je dois travailler, qui commencent elles-
mêmes par une préposition, la décision est plus délicate. Les locuteurs
peuvent-ils tolérer une suite de prépositions de+de, de+à, de+avec, comme
il s’en produit dans les exemples suivants, à la jonction des deux grands
constituants ?
Te rends-tu compte de de qui il était question ?
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Les exemples sont rarement attestés; lorsqu’on sollicite des usagers, leurs
réponses semblent diverses et peu fiables : « pas joli, mais pas impossible ».
Meyer-Lübke allait jusqu’à dire que le français moderne serait « plutôt
antipathique à la juxtaposition de prépositions » (T. III, p. 132, cité par
Damourette et Pichon VII : 266). Les locuteurs acceptent à la rigueur les
rencontres de de+à, de+avec, mais ils préfèrent nettement les solutions
dans lesquelles la préposition valencielle « se perd » devant celle du terme
interrogatif :
[Te rends-tu compte ] [de qui il était question] ?
[Te rends-tu compte ] [de quoi j’ai l’air] ?
[Te rends-tu compte ] [où nous allons] ?
[Te rends-tu compte ] [ à qui tu l’as confiée] ?
[Te rends-tu compte ] [avec qui je dois travailler] ?
Dans les exemples oraux attestés, comment se comportent les verbes d’usage
fréquent comme dépendre de, s’intéresser à, réfléchir à, s’interroger sur,
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4. Conclusion
La conclusion est provisoire. Elle porte à la fois sur les données et sur
l’analyse. Pour les données, d’abord. La « préposition à éclipse » n’a
généralement pas reçu une bonne légitimation grammaticale, que ce soit
chez les grammairiens classiques ou chez les linguistes contemporains. Ce
n’est pas par hasard. Elle oblige à considérer deux situations désagréables.
Dans l’une, on doit convenir qu’il y a des combinatoires syntaxiques
virtuelles qu’on ne peut pas réaliser facilement. C’est le domaine des
« indicibles ». Dans l’autre, on doit admettre qu’une seule et même « chose »
syntaxique puisse se dire de trois façons différentes, sans qu’il soit possible
d’installer sérieusement, entre les trois, des nuances de style, de contenu ou
d’âge diachronique. Certains grammairiens du XVIIe dotés d’un peu
d’humour avaient réfléchi à cette question avec plus de liberté qu’on ne le
fait aujourd’hui. A l’époque où, pour standardiser la langue selon les
consignes officielles, ils étaient sommés de se prononcer entre plusieurs
usages, ils étaient bien convaincus que, s’ils devaient déclarer mauvais
certains usages, c’était uniquement par conformisme, et que les formes
officiellement écartées n’en continuaient pas moins à exister dans la langue.
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Je ferais plutôt l’hypothèse qu’il s’agit, dans les trois cas cités, d’une seule
et même structure syntaxique clivée, quelle que soit la réalisation
morphologique qui en est donnée, soit par des pronoms qui supportent les
prépositions, soit par une conjonction qui les refuse. La réalisation
morphologique se situerait au niveau des réalisations et non au niveau de la
structure syntaxique.
C’était déjà la position qu’avaient adoptée Moreau (1971), Kayne
(1975) et Tranel (1978) pour analyser les emplois non-prépositionnels du
relatif, qui et que, où ils voyaient des manifestations d’une conjonction.
Ces linguistes fondaient leurs analyses essentiellement sur les phénomènes
de « relatives emboîtées ». Je proposerai d’étendre l’analyse aux emplois
prépositionnels manifestés dans les tournures syntaxiques focalisantes que
je viens de citer. Le pronom et la conjonction y ont une distribution réglée
par le phénomène de la « préposition à éclipse » : préposition présente avec
la réalisation de pronom; préposition absente avec la réalisation de
conjonction. Cela reviendrait à dissocier, dans les deux cas, le niveau des
structures syntaxiques et le niveau des réalisations morphologiques.
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NOTES
1. J’ai déjà abordé une partie de cette question dans une communication faite
au XXIIe Congrès de Linguistique et Philologie Romanes, à Bruxelles, en juillet
1998. J’essayais alors d’y englober des énoncés non-normatifs relevés en français
parlé. Ici je ne retiendrai que des énoncés réputés normatifs.
2. Il est usuel de considérer que dont représente [de + que ] et que où représente
[locatif + que].
3. Damourette et Pichon en citent quelques exemples qu’ils auraient entendus
oralement, et qui paraissent assez isolés, comme Il a joué à qu’il serait un horrible
monstre (Damourette et Pichon VII, 257). Nous n’en avons pas rencontré dans les
corpus de français parlé actuels.
RÉFÉRENCES
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Préposition à éclipses
Paris, PUF.
ROUBAUD M.-N., 2000, Les constructions pseudo-clivées en français contemporain.
Paris, Champion (Collection « Les Français parlés, textes et études »).
ROUQUIER M., 1988, Les ce-que phrases en ancien français. Thèse, Paris-VII.
ROUQUIER M., 1990, « Le terme ce que régissant une complétive en ancien français »,
Revue Romane, 25, p. 48-72.
SCAPPINI S., Thèse en cours sur les constructions clivées en français contemporain.
Université de Provence.
SEIJIDO M., Thèse en cours sur le « remarqueur » Andry de Boisregard, Université
de Provence.
TRANEL B., 1978, « On the elision of i in French qui », Studies in French Linguistics,
1, p. 53-75.
WAILLY de, 1803, Principes généraux et particuliers de la langue française. Paris,
H. Barbou.
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