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PRÉPOSITION À ÉCLIPSES

Claire Blanche-Benveniste

De Boeck Supérieur | Travaux de linguistique

2001/1 - no42-43
pages 83 à 95

ISSN 0082-6049

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2001-1-page-83.htm
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Pour citer cet article :
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Blanche-Benveniste Claire, « Préposition à éclipses »,
Travaux de linguistique, 2001/1 no42-43, p. 83-95. DOI : 10.3917/tl.042.083
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Préposition à éclipses

PRÉPOSITION À ÉCLIPSES

Claire BLANCHE-BENVENISTE *

École Pratique des Hautes Études, Paris

Les prépositions spécifiques des valences verbales sont généralement


considérées comme indispensables pour une bonne réalisation des
compléments qu’elles « introduisent ». Le verbe confier a un complément
de valence à valeur de « bénéficaire ». Lorsque ce complément est réalisé
sous forme de syntagme nominal, il doit être précédé de la préposition à :
Elle a confié la robe à sa mère.
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Sans cette préposition, la tournure serait grammaticalement mal formée
Elle a confié la robe *sa mère

C’est seulement lorsque ce complément « bénéficiaire » est réalisé sous la


forme d’un pronom clitique, me, te, se, lui, leur, qu’il se réalise sans la
présence de la préposition à :
Elle m’a confié la robe, elle la lui a confiée, elles la leur ont confiée, elles se
la sont confiée, etc.

Par là s’explique l’habitude de dire que ces compléments sont « introduits »


par une préposition et de considérer ce type de prépositions comme des
« introducteurs ». Mais pourtant, dans d’autres situations, par exemple entre
c’est et qu-, la préposition à exigée par le verbe confier devant le complément
nominal a un statut plus compliqué. Elle peut figurer une fois devant le
complément nominal, ce qui paraît le plus « normal » :
[1] C’est à sa mère qu’elle a confié la robe
c’est [ + prép N ] [ - prép que] V a confié

Elle peut être absente devant le complément nominal, mais présente devant
qu- (réalisé sous forme du pronom qui) :

* 21 avenue Jules-Ferry, F. 13100 Aix-en-Provence (France) – Tél : 00 33 4 42 27 66


18 – claire.benveniste@pop.freesbee.net

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Claire BLANCHE -BENVENISTE

[2] C’est sa mère à qui elle a confié sa robe


c’est [ - prép N ] [ + prép que] V a confié

Elle peut aussi figurer deux fois, aussi bien devant le complément nominal
que devant qu- :
[3] C’est à sa mère à qui elle a confié sa robe
c’est [ + prép N ] [ + prép que] V a confié

La première tournure [1] a une meilleure réputation normative que les deux
autres, mais tout le monde s’accorde généralement à reconnaître que les
deux autres, [2] et [3], sont aussi grammaticalement bien formées.

Cette particularité est mentionnée depuis longtemps par les


grammairiens français, qui pourtant, pour la plupart, ont été gênés par la
coexistence de trois tournures grammaticalement si proches (de Wailly 1803,
Bescherelle 1867, Martinon 1927, Grevisse 1986). Plusieurs ont cherché à
y mettre de l’ordre, en supposant par exemple qu’elles n’avaient pas la
même histoire diachronique ou en cherchant à en dévaluer au moins une sur
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les trois. Une remarque célèbre de l’Académie française avait déjà tenté de

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discréditer l’usage de la double préposition chez Boileau (cf. N. Fournier
1998: 134-6) :
C’est à vous mon esprit à qui je veux parler (Boileau 1668, Satire IX, 1).

Les générativistes ont suivi le même raisonnement, en présentant la tournure


à deux prépositions comme un archaïsme (Jones 1996), la tournure à
préposition devant qui comme une sorte d’étape intermédiaire dans le
développement et la tournure la plus normative comme un aboutissement
moderne de l’évolution. Comme il arrive très souvent dans ce type de
présentation, tout se passe comme si un « bon complot » avait guidé
l’évolution historique pour l’amener vers la seule bonne forme normative.
Il me semble que cette interprétation est fondée sur des bases peu
solides et qu’on doit accepter l’idée que les trois tournures coexistent
actuellement, et qu’elles ont sans doute coexisté à d’autres époques. Dans
cette perspective, il faudrait admettre que ce phénomène de « préposition à
éclipses » n’est pas un accident de l’évolution mais qu’il fait partie de la
grammaire. Comme d’autres langues semblent présenter des faits analogues
(Dixon 1991 : 14, 48, 66, 68, 281-286), on peut être tenté d’y voir un
phénomène plus général, qui ne serait pas spécifiquement français.
Je propose de rappeler les principales circonstances dans lesquelles
s’observe ce phénomène de la « préposition à éclipses », et d’en envisager
quelques interprétations1.

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Préposition à éclipses

1. La répartition entre prépositions, pronoms et


conjonctions dans les clivées et les restrictives
Je m’intéresse aux « compléments prépositionnels » qui apparaissent en
position focalisée dans les constructions clivées en c’est… qu-… et les
restrictives en il n’y a que….qu-…. Dans les deux cas, ces compléments
prépositionnels forment un syntagme autonome, qui n’est aucunement
déterminé par la suite en qu-, comme ce serait le cas avec un antécédent et
une relative. On peut prendre comme prototypes des syntagmes autonomes
et non-autonomes les formes de pronoms celui-ci et celui- (Cf. Blanche-
Benveniste et alii, 1987) :
C’est à celui-ci que je l’ai demandé
Il n’y a qu’à celui-ci que je l’ai demandé
C’est celui à qui je l’ai demandé
Il n’y a que celui à qui je l’ai demandé

Dans les constructions clivées et dans les restrictives, qui présentent un


syntagme autonome, la forme du complément prépositionnel est dictée par
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la valence du verbe placé après que. Le relevé des exemples contemporains
amène à distinguer trois modèles.

1.1. Le modèle de réalisation le plus simple est celui qui fait apparaître la
préposition suivie du syntagme nominal dans la position privilégiée
entre d’une part c’est , il n’y a que et d’autre part la conjonction que,
soit, schématiquement :

[+prép N] [- prép Que]


C’est [à toi] que ces choses-là arrivent
Il n’y a qu’[à toi] que ces choses-là arrivent

Exemples en français parlé :


ce n’est pas à nous que vous feriez croire cela (Plaidoyer 19,4)
c’est pas à vous qu’il faut le demander (BusE36)
c’est pas pour moi que je parle (BusE49)
c’est sur moi que maman comptait (Barallier 45,12)
c’est sur la goupille qu’il y a marqué les numéros de série (Poi98 Vengeance
45,12)

Exemples en français écrit contemporain :


Et c’est avec son mari et leur serveuse qu’elle a dégusté le plat, à l’abri des
regards désapprobateurs (Presse)

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Claire BLANCHE -BENVENISTE

Exemple en français écrit du XVe siècle :


C’est à vous mesme que je parle (Pathelin, ca 1456, DMF, p. 176,
communiqué par M. Rouquier)

1.2. Dans le deuxième modèle, la préposition ne figure pas devant le


syntagme clivé ou restreint, mais devant l’élément Qu-, qui est en ce
cas un pronom, qui, quoi, lequel, dont, où, soit schématiquement :

[- prép N] [+ prép Qu-]2


Exemples en français parlé
C’est sûrement elle à qui il pensait l’offrir (Cl89-90)

Exemples en français écrit contemporain


c’est certainement cela dont j’ai peur (Gide, d’après Togeby)
Parce que c’est elle à qui Monica avait confié la Robe, qu’elle garda dans
son appartement du Watergate à Washington (Presse 0508981)
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Exemple en français écrit du XVe siècle
Ouy, Monseigneur, c’est Gervaise à qui je donnay ma main et ma foy (Le
Jouvencel, ca.1461-6, DMF 1,224, communiqué par M. Rouquier)

1.3. Dans le troisième modèle, la préposition figure dans les deux


emplacements :

[+prép N] [+ prép Qu-]


Exemples en français parlé
c’est de ça dont j’ai parlé dans la dernière réunion où je suis allée (Beaumettes
7,8)
c’est évidemment d’information dont nous allons parler (Charrier 61287)
et c’est là où il y a la caserne (Poi 98, incendie 33,3)
c’est à peu près à ce moment-là où moi je suis venu m’installer définitivement
(Barrad 17,14)
c’est là où vous vous rendez compte qu’en fait vous êtes rien (Poi98 Attentat
4,24)
c’est là où justement il y avait beaucoup plus de dangers (Poi 98 Hold up
27,3)

Exemples en français écrit contemporain


ce n’est pas de pain, en effet, selon lui, dont les Indiens avaient besoin
(Ionesco, d’après Togeby)

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Préposition à éclipses

Exemple en français écrit du XVe siècle


C’est à vous à qui je vendi six aulnes de drap, maître Pierre (Pathelin, DMF,
p. 160, communiqué par M. Rouquier).

Lorsque l’on rassemble des exemples pris aux différentes époques, on se


convainc assez facilement que ces tournures existent sous leurs trois formes
depuis le XVe siècle, qu’elles ont été toutes trois exploitées à l’époque
classique (cf. Haase 1914, Fournier 1998), qu’elles existent encore
aujourd’hui et qu’on ne peut pas les placer l’une derrière l’autre dans une
perspective d’évolution historique, comme l’ont supposé de nombreux
grammairiens.
On peut considérer qu’il y a actuellement un supplétisme entre les
deux grands types morphologiques : la réalisation [préposition + pronom]
et la réalisation [absence de préposition + conjonction que]. La répartition
peut être ainsi résumée :

[(à) elle] [ à qui] [(à) cela] [ à quoi] [(de) cela] [ dont] [(à) celle-ci] [ à laquelle]
[(à) cet endroit] [où] [où]
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[à elle] [ - que] [à cela] [ - que] [de cela] [ - que] [à celle-ci] [ - que]
[à cet endroit] [ - que]

Les grammairiens qui se sont intéressés à la question ont souvent été


obnubilés par le problème de la « partie du discours » (cf. Riegel et alii
(1994 : 537), et se sont surtout attachés à définir la nature de l’élément qu.
Ils ont été gênés d’avoir à accepter que cet élément doive être analysé, selon
les cas, tantôt comme une conjonction que et tantôt comme un pronom
relatif, qui, quoi, dont, où. Lorsque la concurrence est possible, l’usage de
la conjonction leur paraît plus « pauvre », parce qu’elle ne fait ressortir
aucun cas de « flexion ». Mais il était bien difficile d’analyser que comme
un pronom dans des exemples comme :
C’est là qu’il habitait
C’est à ce moment qu’il est parti
C’est ainsi que nous l’appelons

Cela fait partie des cas que mentionne Dixon où la préposition disparaît
devant les « measure phrases »,
He runs (for) three miles,
She stood in the pouring rain twenty minutes (Dixon 1991 : 285).

Cette omission de préposition correspondrait, selon lui, pour l’anglais, à un


effet particulier de la focalisation portant sur des éléments aspectuels des

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Claire BLANCHE -BENVENISTE

compléments. Mais l’analyse se prolonge pour les cas où, en français, le


dispositif clivé permet des constructions sans préposition, qui seraient
impossibles dans un dispositif direct :
Elle y est *des années / Il y a des années qu’elle y est
Je joue *la dernière fois / C’est la dernière fois que je joue
Il était ouvert *deux ou trois mois / ça faisait deux ou trois mois qu’il était
ouvert
Une autre solution, qui est un peu un renoncement, consiste à voir ici une
« grammaticalisation », difficile à analyser morphème par morphème. Une
autre solution, qui suppose une sorte de « complémentarité » entre pronom
et conjonction, consiste à considérer que, dans une même construction clivée
ou restrictive, avec la même valeur syntaxique, deux réalisations
morphologiques sont également possibles, l’une avec un pronom qui
supporte une préposition et une autre avec une conjonction que qui renvoie
la préposition devant le syntagme clivé. Il ne s’agirait pas d’une marque
d’une différenciation fonctionnelle entre les tournures proprement relatives :
dans un cas la préposition est conservée auprès de l’élément qu-, un touriste
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à qui :
C’est un touriste déjà assez blasé à qui on promet un dépaysement certain
(Presse),

et dans l’autre la préposition serait auprès de l’élément clivé, à un touriste


que :
C’est à un touriste déjà assez blasé qu’on promet un dépaysement certain.

Il faudrait admettre que les deux coexistent sans aucune différence


sémantique.

2. Les que-phrases incompatibles avec une préposition


Je m’intéresse maintenant aux rencontres à prévoir entre une préposition et
une « que-phrase ». Certains verbes ont un complément de valence qui se
réalise par une préposition suivie d’un syntagme nominal ou d’un verbe à
l’infinitif
Je me souviens de cela
Je me souviens de lui
Je me souviens de l’arrivée de Jean
Je me souviens d’avoir vu Jean arriver

Lorsque cette valence complément comporte également une que-phrase, il


est impossible de la faire précéder d’une préposition faible comme de, à,
en :

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Préposition à éclipses

Je me souviens de *que Jean est arrivé très tard


Je me plains de*qu’il arrive si tard3

Deux solutions se présentent, l’une morphologiquement « riche » et l’autre


« pauvre ». La « riche » consiste à étoffer le que en ce que :
Je me souviens, je m’étonne, je me plains de ce que Jean arrive très tard

Magali Rouquier (1988, 1990) a étudié le développement diachronique de


cette tournure en ce que, qui semble s’être restreinte au cours de l’histoire.
La solution « pauvre » consiste à faire tomber la préposition et à ne garder
que le que :
(Je me souviens, je m’étonne, je me plains) que Jean arrive si tard

Les grammaires d’usage donnent des listes de verbes à solution riche,


(aider à ce que, s’excuser, etc.) de ce que….
(tenir, se plaire , etc) à ce que….

d’autres à solution pauvre,


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(avertir, avoir besoin, se désoler, s’indigner, se souvenir, etc.) que…

et de ceux pour lesquels l’usage est hésitant :


s’attendre à ce / que … – se rendre compte de ce / que…

Les choix varient selon les usagers. Grevisse (1986) recommande je demande
à ce qu’on m’oublie, là où l’usage le plus général semblerait plutôt être Je
demande qu’on m’oublie. La tendance semble être, du reste, de choisir que,
comme en témoigne cet exemple de sensibiliser, ordinairement construit
avec à (sensibiliser à quelque chose), tel qu’il apparaît avec une que-phrase
dans une conversation :
Il faudrait sensibiliser les gens que le feu rouge c’est quand même dans le
code de la route (Sardier 6,8)

Le problème existe aussi dans les réalisations pseudo-clivées, par exemple


pour être sûr, être conscient de (Cf. Roubaud 2000) :
Ce dont je suis sûr, c’est de cela
Ce dont je suis sûr, c’est d’avoir très bien compris
Ce dont je suis sûr, c’est *de qu’il va pleuvoir

La réalisation tend généralement vers que :


Ce dont on est sûr, c’est que ces orages vont se déplacer (Roubaud 2000 :
409).

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Ce dont les Américains sont conscients, c’est que Bill Clinton va aller piocher
dans les poches de certains d’entre eux (Roubaud 2000 : 393)

Dixon (1991) mentionne des phénomènes analogues en anglais. Il en fait


même un argument privilégié pour poser l’existence d’une forme sous-
jacente de la préposition :
« Omission of a preposition before complementisers that, for or to. The
preposition is retained before an NP or an Ing complement clause, but must
be omitted before a complement clause introduced by that, for or to (and
may optionally be omitted before a complement clause beginning in wh- :

He boasted about his victory


He boasted – that he had won
They decided on John
They decided – that John would be chosen
It was decided that John would be chosen
I was surprised by the fact that the plumber came
I was surprised – that the plumber came » (Dixon 1991 : 66).
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Pour lui, il existe en ce cas en anglais une préposition sous-jacente, parce

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qu’elle peut réapparaître dans la même construction verbale, au passif :
Everyone hoped (*for ) that England would win
That England would win was hoped for by everyone (Dixon 1991 : 14).

En français, comme on ne peut pas miser sur une « stranded » préposition


de ce type, on peut vérifier qu’il y a une préposition en recourant à une
dislocation, qui fait surgir, auprès de l’élément disloqué, un pronom clitique
dont la forme n’est pas le, mais en :
On en est sûr, que les orages vont se déplacer

On se donnera donc le droit de poser également en français l’existence d’une


préposition sous-jacente.

3. Rencontre entre deux prépositions appartenant à


deux valences verbales distinctes
La rencontre se produit lorsqu’un verbe qui construit un complément de
valence avec une préposition admet, dans le même paradigme, une
« interrogative indirecte », qui commence elle-même par une préposition.
On construit très aisément se rendre compte de, avec un syntagme nominal,
en gardant la préposition de :
Te rends-tu compte de la situation ?

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Préposition à éclipses

Avec une que-phrase, cette préposition se perd :


Te rends-tu compte (*de) que c’est dangereux ?

Avec des interrogatives indirectes qui commencent par ces interrogatifs


comme comment, quel, non précédés de préposition, la tournure est possible :
Ça dépendra de comment ça se passe (oral Répondeur 4,2)

On peut s’interroger sur quelles étaient les circonstances quand le décrochage


est intervenu (oral, Radio Informations 08/2000),

Mais avec des interrogatives comme de qui il était question, de quoi j’ai
l’air, à qui tu l’as confiée, avec qui je dois travailler, qui commencent elles-
mêmes par une préposition, la décision est plus délicate. Les locuteurs
peuvent-ils tolérer une suite de prépositions de+de, de+à, de+avec, comme
il s’en produit dans les exemples suivants, à la jonction des deux grands
constituants ?
Te rends-tu compte de de qui il était question ?
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Te rends-tu compte de de quoi j’ai l’air ?

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Te rends-tu compte de à qui tu l’as confiée ?
Te rends-tu compte de avec qui je dois travailler ?

Les exemples sont rarement attestés; lorsqu’on sollicite des usagers, leurs
réponses semblent diverses et peu fiables : « pas joli, mais pas impossible ».
Meyer-Lübke allait jusqu’à dire que le français moderne serait « plutôt
antipathique à la juxtaposition de prépositions » (T. III, p. 132, cité par
Damourette et Pichon VII : 266). Les locuteurs acceptent à la rigueur les
rencontres de de+à, de+avec, mais ils préfèrent nettement les solutions
dans lesquelles la préposition valencielle « se perd » devant celle du terme
interrogatif :
[Te rends-tu compte ] [de qui il était question] ?
[Te rends-tu compte ] [de quoi j’ai l’air] ?
[Te rends-tu compte ] [où nous allons] ?
[Te rends-tu compte ] [ à qui tu l’as confiée] ?
[Te rends-tu compte ] [avec qui je dois travailler] ?

C’est la situation que P. Le Goffic (1994) décrit comme celle de la


« percontative pseudo-directe », qu’il illustre par un exemple :
Réfléchissez ( ) dans quelle aventure vous vous embarquez ici (P. Le Goffic
(1994 : 265).

Dans les exemples oraux attestés, comment se comportent les verbes d’usage
fréquent comme dépendre de, s’intéresser à, réfléchir à, s’interroger sur,

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Claire BLANCHE -BENVENISTE

se renseigner sur ? Il semble qu’un certain nombre de combinaisons


virtuellement possibles soient exclues de l’usage, à cause des difficultés de
rencontre des prépositions. Comme on l’a vu, on peut effacer les prépositions
valencielles comme de ou à, quand elles sont faibles. Mais, malgré l’exemple
cité par Le Goffic, il est apparemment plus difficile d’effacer des prépositions
plus « fortes » comme sur :
*Je l’ai interrogé – de quoi il était question
*Je l’ai interrogé – à qui il l’a confiée
*Je l’ai interrogé – où nous allons

*Je l’ai interrogé – avec qui je dois travailler

Il est également difficile de conserver cette préposition devant l’autre


préposition, appartenant à l’interrogative qui suit, car ces combinaisons
paraissent toujours « bizarres » :
Je l’ai interrogé sur de quoi il était question
Je l’ai interrogé sur à qui il l’a confiée
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Je l’ai interrogé sur où nous allons

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Je l’ai interrogé sur avec qui je dois travailler

Le résultat est que l’on tombe là sur des « indicibles » de la langue.

4. Conclusion
La conclusion est provisoire. Elle porte à la fois sur les données et sur
l’analyse. Pour les données, d’abord. La « préposition à éclipse » n’a
généralement pas reçu une bonne légitimation grammaticale, que ce soit
chez les grammairiens classiques ou chez les linguistes contemporains. Ce
n’est pas par hasard. Elle oblige à considérer deux situations désagréables.
Dans l’une, on doit convenir qu’il y a des combinatoires syntaxiques
virtuelles qu’on ne peut pas réaliser facilement. C’est le domaine des
« indicibles ». Dans l’autre, on doit admettre qu’une seule et même « chose »
syntaxique puisse se dire de trois façons différentes, sans qu’il soit possible
d’installer sérieusement, entre les trois, des nuances de style, de contenu ou
d’âge diachronique. Certains grammairiens du XVIIe dotés d’un peu
d’humour avaient réfléchi à cette question avec plus de liberté qu’on ne le
fait aujourd’hui. A l’époque où, pour standardiser la langue selon les
consignes officielles, ils étaient sommés de se prononcer entre plusieurs
usages, ils étaient bien convaincus que, s’ils devaient déclarer mauvais
certains usages, c’était uniquement par conformisme, et que les formes
officiellement écartées n’en continuaient pas moins à exister dans la langue.

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Préposition à éclipses

De deux tournures, disait Andry de Boisregard, ils veulent toujours qu’il y


en ait « une de mauvaise » :
C’est un défaut ordinaire à nos grammairiens de s’imaginer que dès qu’une
chose se dit de deux façons, il faut condamner l’une pour autoriser l’autre.
Pourquoy ne pourront-elles pas estre toutes deux bonnes ? […] Il semble
qu’il ne leur soit pas libre de les admettre toutes deux et qu’il faille
necessairement qu’il y en ait une de mauvaise, en quoy ils se trompent fort »
(Andry de Boisregard, 1689, Réflexions sur l’Usage présent de la Langue
Française, p. 420).

Pour l’analyse, la clef des embarras vient du statut grammatical à accorder


à qu-. Les grammaires orientées vers les solutions morphologiques ont
tendance à décider que deux constructions différentes se manifestent dans
les clivées, selon qu’il s’agit d’un pronom relatif, qui supporte les
prépositions :
C’est vous à qui je veux en parler

ou d’une conjonction, qui rejette la préposition :


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C’est à vous que je veux en parler

Berrendonner (1997), convaincu que ce sont des constructions


distinctes, envisageait même que les locuteurs puissent s’y embrouiller en
produisant des « hybrides », qui seraient les formes à double préposition,
C’est à vous à qui je veux parler.

Je ferais plutôt l’hypothèse qu’il s’agit, dans les trois cas cités, d’une seule
et même structure syntaxique clivée, quelle que soit la réalisation
morphologique qui en est donnée, soit par des pronoms qui supportent les
prépositions, soit par une conjonction qui les refuse. La réalisation
morphologique se situerait au niveau des réalisations et non au niveau de la
structure syntaxique.
C’était déjà la position qu’avaient adoptée Moreau (1971), Kayne
(1975) et Tranel (1978) pour analyser les emplois non-prépositionnels du
relatif, qui et que, où ils voyaient des manifestations d’une conjonction.
Ces linguistes fondaient leurs analyses essentiellement sur les phénomènes
de « relatives emboîtées ». Je proposerai d’étendre l’analyse aux emplois
prépositionnels manifestés dans les tournures syntaxiques focalisantes que
je viens de citer. Le pronom et la conjonction y ont une distribution réglée
par le phénomène de la « préposition à éclipse » : préposition présente avec
la réalisation de pronom; préposition absente avec la réalisation de
conjonction. Cela reviendrait à dissocier, dans les deux cas, le niveau des
structures syntaxiques et le niveau des réalisations morphologiques.

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Claire BLANCHE -BENVENISTE

NOTES

1. J’ai déjà abordé une partie de cette question dans une communication faite
au XXIIe Congrès de Linguistique et Philologie Romanes, à Bruxelles, en juillet
1998. J’essayais alors d’y englober des énoncés non-normatifs relevés en français
parlé. Ici je ne retiendrai que des énoncés réputés normatifs.
2. Il est usuel de considérer que dont représente [de + que ] et que où représente
[locatif + que].
3. Damourette et Pichon en citent quelques exemples qu’ils auraient entendus
oralement, et qui paraissent assez isolés, comme Il a joué à qu’il serait un horrible
monstre (Damourette et Pichon VII, 257). Nous n’en avons pas rencontré dans les
corpus de français parlé actuels.

RÉFÉRENCES

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